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‘Wusine ot la division du travail Si la guillotine marque te promier pas vers la séria- lisaton des pratiques de miso & mort, Auschwitz en constitue épilogue industriel, & Page du eapitalisme fordiste. Mats Ia transition est longue. Entre Te cou- peret mécanique utilisé pour les exécutions eapitales prs 1789 ef Textermination industrialisée de mail- lions &éres humains se situent plusieurs étapesinter- médiaires. La plus importante, durant la seconde moitié du xn siecle, fut sans doute la rationalisation des abattoirs. Auparavant installés au centre-vill, is en étaient maintenant éloignés fau méme ttre que les eimetiore) selon les prescriptions d'une politique hygidniste visant Vassainissemont des centres urbains ; eur déplacement vers les banlioues se cou: plait d'une concentration et done d'une réduction ‘Grastique de leur nombre. lis étaient beaucoup moins visiles et, en méme temps, se dépouillaient de toute Ia dimension festive et sacrificielle qui avait Jus- ‘qualors accompagné les abatiages. Symptome révé- Tatour @'une nouvelle sensibiite et dane intolérance croissante & Pégard des manifestations extéricures de la violence, Fabattoirtémoigne de cette mutation anthropologique décrite par Alain Corbin comme le passage des « pulsions dionysiaques » du massaero ‘raditionnel aux « carnages pasteurisés » de Vige moderno™. Ce transfert hors des eentres-ville des abattoir coinedait avec leur rationalisation ; ils com mencaient a fonetionner comme de véritables usines. CCest eas des abattoirs de la Vllete Paris, congus ppar Haussmann ot inaugurés en 1867. Cest surtout Te-cas des nouveaux abattoirs de Chicago, qui conna tronten quelques décennies un essor impression rant. Les bates y étaient désormais tnées ila chain, n des procédé strictement rationalisés:rassem: blement dans les 6cures, abatage, viseération, tai “ Surveiller puntr et ter ements des déchets. Nose Viales a bien saisi les caractéristiques de T'abattage industriel: massif et ‘anonyme, technique et dans la mesure du possible, Indolore, invisible et, idéalement,« inexistant. tl doit ftre comme n'étant pas ». Lappellation méme d'abat- {oir Innovation sémantique de cette période ~visalt ‘exoreiser toute image de violence. Parler d'abat- twin, c’tait éviter des termes comme « tuerie » ou “cécorcherie » Dans The Jungle, roman naturaliste ‘contemporain de Fessai wabérien sur L’thique pro- testante, I rivain amérieain Upton Sinclar déeri= vit Ies abattoirs de Chicago comme « le Grand Boucher: Pinearnation de esprit du capitalise » (lt was the Great Butcher it was the spirit of Capi ‘alism made flesh»). Dans sa Theory of Fil, fried Kracauer avait saisi une analogio abstoirs et les camps de la mort en soulignant, par une comparaison entre les documentaires sur les ‘amps nazis et un flim comme Le sang des betes de Georges Franju, jusqu'a quel point dans ees deux eux régnait le méme caractare méthodique des dis- positifs de (uerie ot la méme organisation géom Irique de espace, Au fond, éerivaitil les Lager nazis étaient des abattoirs ob des hommes déclassés ‘du genre humain étaient tués comme des animaux. [historien Henry Friedlander a mis Taccent sur lini en dfinissant les eampsd'extermination nazis, ‘comme des « abattoirs pour éires humains » ‘Nous ne savons pas si Hitler avait a Mesprit les ahattoirslorsqu'l décida la « Solution finale ». mais les architectes et les ingéniours de lentreprise Topt «Erfurt qu ont congu Faménagement des fours eré ‘matoiresd Auschwitz ont blen dy penser. Les camps onetionnaient comme des usines dé mort, soustraites au regard dela population civil, ot la production en Série de marchandlises était remplacée par la pro- duction et 'élimination industrielle de cadavres, 45 Les origines de la violence nazie Suivant les principes taylorises du sciendfte mana: gement, le syste de mise & mort éait segment en plusieurs 6tapes ~ concentration, deportation, spo- liation des bions des victimes, récupération de cor taines parties de leur corps, gazage et incingration des cadavres ~ afin d’en augmenter le rendement, Les responsables des camps d'extermination Pavaiont ailleurs aucune dificlté a en reconnaltre la structure typiquement industrielle: un medecin SS d'Auschwitz en avait donné une definition exacte «la chaine » (am laufenden Bandi. Intercoyé pat Glaude Lanzmann, Ix Franz Suchomel alfrmat. «Treblinka était une chaine de mort, primitive certes, ‘mais qui fonctionnait bien » Auschwitz présente done, grice & ses procédés industriels de mise & mort, ds affntes essentelles avec Tusine, comme Findiquent de fagon svidente son architecture, avec ses cheminges ot ses araquetonts aligns en colonnes symétriques, et son emplacement, au centro d'une zane industieile et d'un important hutud ferroviaire. Production et extermination sit: terpénétralent, comme si le massacre (les chambres A gaz de Birkenaw)n’avat 66 qu'une forme particu lire de production, au méme ttre que la fabrication de caoutchoue synthétique pour laquelle avait été réé le camp d’Auschitz Il (Buna-Monowitz). Le ‘mati, les convois arrivaient et déchargeatent leur cargaison de julfs déportés; les meddecins S$ proc dalent a la sélection :une fos exelus les aptes au tra, vail, les déportés étaient spolis de leurs biens et fenvoyés aux chambres & ga? ;le sot ils avaient dja 16 incinérés; leurs vétemonts,valises, mets, ete talent tris et stockés dans les magasins, ans! que certaines parties de leur corps, comme les cheveus ft les dents en or Filip Miller, un des membros de ‘Sonderkommando Auschwitz, alaissé une descrip, tion précise, dans ses mémoires, du fonctionnement 46 Surveiller punir et tuer

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