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expériences
étonnantes
p. 50
1 Ces transmutations
qui défient les lois
Susciter des réactions nucléaires... à température ambiante?
De plus en plus d’expériences montrent aujourd’hui que le
pari de la fusion froide n’est peut-être pas si fou. Explications.
Est-ce une prouesse d’alchimiste? Un pour s’inscrire dans la grande tradi-
fantasme de savant médiéval ? Ou une tion du secret des alchimistes des temps
promesse de physicien abusé ? Un peu anciens, mais par nécessité: leurs
partout dans le monde, dans des labo- études ne sont pas facilement publiées
ratoires italiens, français, américains, dans les revues internationales “offi-
japonais ou russes, des chercheurs af- cielles”, dotées d’un comité de physi-
firment transmuter la matière à tem- ciens indépendants aptes à en évaluer
pérature ambiante. Avec une pincée la solidité scientifique. Les plus pres-
d’énergie, ils transforment allégrement tigieuses, Sature et Science, n’accep-
la nature des éléments chimiques: tant pas une ligne sur la question...
l’hydrogène devient hélium, le titane Ces revues ont en effet été échaudées
mue en aluminium... et le plomb se par... la “fusion froide”, cette fameuse
change en or ! Auraient-ils découvert la expérience qui, présentée en 1989
pierre philosophale, objet d’une fan- par Stanlev Pons et Martin Fleisch-
tastique quête ésotérique depuis des mann, a suscité une des plus grandes
millénaires? Qu’on ne se méprenne polémiques scientifiques de la fin du l’élément chimique (par exemple :
pas : il n’y a rien d’occulte dans ces re- XXe siècle ( voir p. 58). Les deux physi- 1 proton pour l’hydrogène, 2 pour l’hé-
cherches. Et si la centaine de chi- ciens américain et anglais affirmaient lium, 6 pour le carbone... ), le nombre
mistes et physiciens qui travaillent sur pouvoir transformer de l’hydrogène de neutrons définissant, lui, les diffé-
ce domaine le font souvent en marge en hélium dans une éprouvette avec, rents isotopes (comme le deutérium,
de leurs travaux officiels, ce n’est pas en prime, un dégagement de chaleur isotope de l’hydrogène, qui possède
propre à en faire une source d’énergie un neutron en plus du proton, voir
quasiment inépuisable... Après un “Jargon”). Ainsi, lorsqu’un noyau ato-
CONTEXTE engouement mémorable, cette pre- mique gagne (ou perd) un ou plusieurs
Quinze ans après Pons et Fleisch- mière présentation publique de trans- protons, il change de nature et voyage
mann, les velléités de réaliser des mutation à basse énergie fut violem- de case en case à travers le tableau des
transmutations nucléaires à basse ment rejetée par les physiciens. Et éléments de Mendeleïev. C’est ce que
température ne sont pas mortes. pour cause : la transmutation à basse l’on appelle une transmutation.
Bien au contraire. Alors que la poli-
température est une quasi-hérésie pour
tique énergétique mondiale est en
plein questionnement, que les cen- un physicien nucléaire ! PASSER D’UN MONDE À L’AUTRE
trales nucléaires n’ont toujours pas Pour comprendre, il faut se pencher Mais ces réactions nucléaires ne se
résolu leurs problèmes de déchets
radioactifs et que des budgets co- sur la nature des éléments chimiques, font pas en réalité aussi simplement
lossaux sont consacrés au déve- soigneusement recensés par le fameux que sur le papier. Car si la charge
loppement de la fusion chaude, des tableau de Mendeleïev établi par le électromagnétique du neutron est
expérimentateurs se démènent chimiste russe en 1869 et complété nulle, la charge du proton, elle, est po-
pour prouver qu’il existe une autre depuis. Chaque atome y est classé sui- sitive ; deux protons ont donc toujours
voie. A tel point que leurs travaux
commencent à trouver un écho... vant le nombre de protons que contient naturellement tendance à se repousser
son novau, qui définit la nature de lorsqu’on les rapproche. Cependant,
Solide
passer
d’un monde à l’autre, Gaz
Créé
de même qu’il en faut énormément artificiellement
lorsqu’ils sont pour gravir les flancs d’un volcan...
suffisamment proches, ils ne Pour faire une fusion nucléaire, c’est- Le tableau de
se repoussent plus : l’attraction liée à la à-dire fondre deux novaux en un seul,
Mendeleïev n’est
force nucléaire forte (une force fon- les physiciens utilisent par exemple des
plus aussi figé !
damentale qui domine à l’échelle du accélérateurs de particules, qui génè- Etabli en 1869 par Mendeleïev,
le tableau périodique des élé-
noyau ) prend alors le pas sur la répul- rent des chocs très violents entre des ments est aujourd’hui malmené
sion électromagnétique en mainte- noyaux dans le vide ou, plus souvent, par d’étonnantes expériences.
Des physiciens affirment pou-
nant les protons fermement collés recourent à de très hautes tempéra- voir réaliser des transmutations
entre eux - ce qui assure au passage tures, l’agitation des noyaux devenant à basse température, c’est-à-
dire passer sans peine d’un
notre confortable cohésion maté- si violente qu’ils arrivent alors à se élément à l’autre.
rielle... Toute la difficulté des trans- percuter. C’est ce qui se passe dans le
mutations consiste donc à franchir soleil ou dans les réacteurs expéri-
cette barrière énergétique (dite “bar- mentaux (comme le futur réacteur FUSION
rière coulombienne”) qui se dresse international Iter) chauffés à plusieurs
Proton
entre la répulsion électromagnétique centaines de millions de degrés. Pour
et l’attraction nucléaire. Neutron
ce qui est de la fission nucléaire, qui
Cette barrière coulombienne forme casse un noyau en plusieurs, on utilise
autour du noyau atomique un véri- rien de moins... qu’une centrale nu-
table cratère dont les flancs escarpés cléaire : dans son cœur, des novaux FISSION
marquent la frontière entre deux lourds (de l’uranium ) sont bombardés
mondes. Le monde nucléaire d’une de neutrons qui parviennent à briser le
part, à l’intérieur du cratère, tout au noyau. Dans tous les cas, telles des
fond du puits, où s’agite un magma de éruptions volcaniques, ces transmu-
protons et de neutrons, et le monde tations nécessitent une considérable Des éléments mutants
électromagnétique d’autre part, à l’ex- débauche d’énergie. D’où le pro- Il existe deux types de transmu-
blème: comment des réactions chi- tation normalement irréalisables
térieur du cratère, royaume des mo- à basse température : la fusion,
lécules et des réactions chimiques. Et miques du monde électromagnétique qui réunit deux noyaux (chacun
pourraient-elles être assez puis- ... composé de neutrons et de pro-
il faut énormément d’énergie pour tons), et la fission, qui en casse un.
Les trois “miracles” de la fusion froide du deutérium proton et un neutron (voir infogra-
Contrairement à la fusion chaude, la fusion
froide bute sur trois faits inexpliqués : phie ci-contre). Le premier miracle ?
(1) Les deux noyaux de deutérium arrivent FUSION CHAUDE Les deux noyaux qui fusionnent pas-
à fusionner malgré la force qui les repousse.
(2) De l’hélium 4 est produit plutôt que
sent allègrement la terrible “barrière
de l’hélium 3 et du tritium. coulombienne” qui devrait norma-
(3) La formation de l’hélium 4 n’engendre lement les repousser loin l’un de
pas de rayons gamma.
Hélium 3 Neutron l’autre, les deux étant de charge po-
sitive. Deuxième miracle : cette fu-
Noyau de sion produit toujours un novau
deutérium
unique d’hélium 4, constitué de deux
protons et deux neutrons, alors qu’à
Tritium Proton
haute énergie, elle laisse presque tou-
jours un proton ou un neutron libre.
Rayons gamma Troisième miracle: quand de l’hé-
lium 4 est produit malgré tout en fu-
Noyau de
deutérium sion chaude ( une fois sur cent mille ),
FUSION FROIDE
Hélium 4 il s’accompagne de rayons gamma
d’une énergie bien déterminée
ENJEUX
^ L’agencement atomique régulier d’un cristal (ici, de nickel) pourrait abriter des Pour faire admettre la validi-
phénomènes quantiques qui expliqueraient les transmutations à basse énergie. té de leurs travaux, les cher-
cheurs en réactions nucléaires
(23,8 mégaélectronvolts), que l’on mentales. Mais pourquoi ne pas ima- à basse énergie doivent aujour-
ne détecte pas en fusion froide. En giner qu’un phénomène physique d’hui relever un sérieux défi :
leur temps, Pons et Fleischmann ne encore inconnu émerge au sein du les expliquer théoriquement.
Car si les “preuves expérimen-
purent expliquer ces mystères. cristal de palladium, démystifie les
tales” sont déterminantes pour
trois miracles et autorise vraiment faire accepter un phénomène,
LA SUPRACONDUCTIVITÉ À BASSE la fusion froide ? Car si fusion il y a, il est tout autant nécessaire
TEMPÉRATURE EN EXEMPLE il est logique de penser qu’elle est fort d’en trouver une explication
différente de celles qui se passent à dans le corpus des lois physi-
On leur a même reproché de ne pas
ques. Quitte à les modifier.
être morts pendant leur expérience l’intérieur des réacteurs nucléaires
C’est le propre d’une discipline
d’un bombardement de neutrons, dans lesquels un plasma est chauffé scientifique en pleine gesta-
ce qui aurait, pour le coup, con- à plusieurs centaines de millions de tion : il est indispensable que
vaincu les physiciens de l’existence degrés. Et ce, d’autant plus que le l’expérience et la théorie se
comportement collectif de ces pro- nourrissent l’une de l’autre.
de réactions nucléaires... La plupart Ce n’est qu’alors que pourront
de ces derniers considèrent donc que tons et neutrons au sein du cristal de
être envisagées des appli-
les transmutations ne sont que des palladium reste encore aujourd’hui cations concrètes.
illusions, dues à des erreurs expéri- largement mystérieux...