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Des

expériences
étonnantes
p. 50
1 Ces transmutations
qui défient les lois
Susciter des réactions nucléaires... à température ambiante?
De plus en plus d’expériences montrent aujourd’hui que le
pari de la fusion froide n’est peut-être pas si fou. Explications.
Est-ce une prouesse d’alchimiste? Un pour s’inscrire dans la grande tradi-
fantasme de savant médiéval ? Ou une tion du secret des alchimistes des temps
promesse de physicien abusé ? Un peu anciens, mais par nécessité: leurs
partout dans le monde, dans des labo- études ne sont pas facilement publiées
ratoires italiens, français, américains, dans les revues internationales “offi-
japonais ou russes, des chercheurs af- cielles”, dotées d’un comité de physi-
firment transmuter la matière à tem- ciens indépendants aptes à en évaluer
pérature ambiante. Avec une pincée la solidité scientifique. Les plus pres-
d’énergie, ils transforment allégrement tigieuses, Sature et Science, n’accep-
la nature des éléments chimiques: tant pas une ligne sur la question...
l’hydrogène devient hélium, le titane Ces revues ont en effet été échaudées
mue en aluminium... et le plomb se par... la “fusion froide”, cette fameuse
change en or ! Auraient-ils découvert la expérience qui, présentée en 1989
pierre philosophale, objet d’une fan- par Stanlev Pons et Martin Fleisch-
tastique quête ésotérique depuis des mann, a suscité une des plus grandes
millénaires? Qu’on ne se méprenne polémiques scientifiques de la fin du l’élément chimique (par exemple :
pas : il n’y a rien d’occulte dans ces re- XXe siècle ( voir p. 58). Les deux physi- 1 proton pour l’hydrogène, 2 pour l’hé-
cherches. Et si la centaine de chi- ciens américain et anglais affirmaient lium, 6 pour le carbone... ), le nombre
mistes et physiciens qui travaillent sur pouvoir transformer de l’hydrogène de neutrons définissant, lui, les diffé-
ce domaine le font souvent en marge en hélium dans une éprouvette avec, rents isotopes (comme le deutérium,
de leurs travaux officiels, ce n’est pas en prime, un dégagement de chaleur isotope de l’hydrogène, qui possède
propre à en faire une source d’énergie un neutron en plus du proton, voir
quasiment inépuisable... Après un “Jargon”). Ainsi, lorsqu’un noyau ato-
CONTEXTE engouement mémorable, cette pre- mique gagne (ou perd) un ou plusieurs
Quinze ans après Pons et Fleisch- mière présentation publique de trans- protons, il change de nature et voyage
mann, les velléités de réaliser des mutation à basse énergie fut violem- de case en case à travers le tableau des
transmutations nucléaires à basse ment rejetée par les physiciens. Et éléments de Mendeleïev. C’est ce que
température ne sont pas mortes. pour cause : la transmutation à basse l’on appelle une transmutation.
Bien au contraire. Alors que la poli-
température est une quasi-hérésie pour
tique énergétique mondiale est en
plein questionnement, que les cen- un physicien nucléaire ! PASSER D’UN MONDE À L’AUTRE
trales nucléaires n’ont toujours pas Pour comprendre, il faut se pencher Mais ces réactions nucléaires ne se
résolu leurs problèmes de déchets
radioactifs et que des budgets co- sur la nature des éléments chimiques, font pas en réalité aussi simplement
lossaux sont consacrés au déve- soigneusement recensés par le fameux que sur le papier. Car si la charge
loppement de la fusion chaude, des tableau de Mendeleïev établi par le électromagnétique du neutron est
expérimentateurs se démènent chimiste russe en 1869 et complété nulle, la charge du proton, elle, est po-
pour prouver qu’il existe une autre depuis. Chaque atome y est classé sui- sitive ; deux protons ont donc toujours
voie. A tel point que leurs travaux
commencent à trouver un écho... vant le nombre de protons que contient naturellement tendance à se repousser
son novau, qui définit la nature de lorsqu’on les rapproche. Cependant,

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Liquide

Solide

passer
d’un monde à l’autre, Gaz
Créé
de même qu’il en faut énormément artificiellement
lorsqu’ils sont pour gravir les flancs d’un volcan...
suffisamment proches, ils ne Pour faire une fusion nucléaire, c’est- Le tableau de
se repoussent plus : l’attraction liée à la à-dire fondre deux novaux en un seul,
Mendeleïev n’est
force nucléaire forte (une force fon- les physiciens utilisent par exemple des
plus aussi figé !
damentale qui domine à l’échelle du accélérateurs de particules, qui génè- Etabli en 1869 par Mendeleïev,
le tableau périodique des élé-
noyau ) prend alors le pas sur la répul- rent des chocs très violents entre des ments est aujourd’hui malmené
sion électromagnétique en mainte- noyaux dans le vide ou, plus souvent, par d’étonnantes expériences.
Des physiciens affirment pou-
nant les protons fermement collés recourent à de très hautes tempéra- voir réaliser des transmutations
entre eux - ce qui assure au passage tures, l’agitation des noyaux devenant à basse température, c’est-à-
dire passer sans peine d’un
notre confortable cohésion maté- si violente qu’ils arrivent alors à se élément à l’autre.
rielle... Toute la difficulté des trans- percuter. C’est ce qui se passe dans le
mutations consiste donc à franchir soleil ou dans les réacteurs expéri-
cette barrière énergétique (dite “bar- mentaux (comme le futur réacteur FUSION
rière coulombienne”) qui se dresse international Iter) chauffés à plusieurs
Proton
entre la répulsion électromagnétique centaines de millions de degrés. Pour
et l’attraction nucléaire. Neutron
ce qui est de la fission nucléaire, qui
Cette barrière coulombienne forme casse un noyau en plusieurs, on utilise
autour du noyau atomique un véri- rien de moins... qu’une centrale nu-
table cratère dont les flancs escarpés cléaire : dans son cœur, des novaux FISSION
marquent la frontière entre deux lourds (de l’uranium ) sont bombardés
mondes. Le monde nucléaire d’une de neutrons qui parviennent à briser le
part, à l’intérieur du cratère, tout au noyau. Dans tous les cas, telles des
fond du puits, où s’agite un magma de éruptions volcaniques, ces transmu-
protons et de neutrons, et le monde tations nécessitent une considérable Des éléments mutants
électromagnétique d’autre part, à l’ex- débauche d’énergie. D’où le pro- Il existe deux types de transmu-
blème: comment des réactions chi- tation normalement irréalisables
térieur du cratère, royaume des mo- à basse température : la fusion,
lécules et des réactions chimiques. Et miques du monde électromagnétique qui réunit deux noyaux (chacun
pourraient-elles être assez puis- ... composé de neutrons et de pro-
il faut énormément d’énergie pour tons), et la fission, qui en casse un.

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... santes pour provoquer des réac- comme s’ils se trouvaient trop serrés
tions nucléaires? Comment croire dans leur enceinte de palladium, les
qu’il soit possible de jongler avec les novaux de deutérium fusionnent
protons dans une simple éprouvette à entre eux pour former de l’hélium 4
température ambiante ? Comment ne (deux protons et deux neutrons ), tout
pas y voir les conséquences de biais ex- en dégageant de la chaleur. Et même
périmentaux passés inaperçus ? beaucoup de chaleur : davantage que
Et de fait, le chimiste allemand Frie- d’énergie dépensée en électricité!
drich Paneth, qui annonça en 1930 Oui, mais cette expérience avait un
avoir transformé pour la première fois défaut majeur: elle n’était pas systé-

Un peu partout, la course à l’expérience


alchimique indubitable est lancée
de l’hydrogène en hélium, dut-il se ré- matiquement reproductible. Les
tracter rapidement : la porosité des pa- équipes chargées de recommencer
rois de ses tubes en Pyrex suffisait en l’expérience n’obtinrent pas les ré-
réalité à expliquer ses résultats, l’hé- sultats annoncés. De plus, aucune
lium étant naturellement présent dans théorie ne pouvait expliquer com- cipline si controversée, et qui offrirait
l’air... Réalisée en 1989, l’expérience ment les noyaux de deutérium fran- aux physiciens un contrôle de la ma-
de Pons et Fleischmann était plus chissaient la barrière coulombienne tière et une maîtrise de l’énergie nu-
aboutie. Son principe? Comprimer au sein du palladium. Les tenants de cléaire inespérés...
du deutérium (isotope de l’hydro- l’orthodoxie nucléaire eurent donc-
gène) dans un morceau de métal po- beau jeu de la rejeter en bloc... LA RÉUSSITE ITALIENNE
reux, le palladium, grâce à une élec- Quinze ans plus tard, la donne a C’est l’ambition d’Antonella De
trolyse (voir “Jargon”): à l’aide d’un changé. Des chercheurs, souvent issus Ninno, qui travaille à l’Enea (Ente per
courant électrique généré entre une des plus prestigieuses institutions, ont le Nuove Tecnologie, l’Energia e l’Am-
cathode en palladium (chargée né- patiemment perfectionné leurs ex- biante ), le centre national de recherche
gativement) et une anode en titane périences de réactions nucléaires à nucléaire italien, installé à Frascati, à
(chargée positivement), ils obligent basse température. Leur but? En pro- côté de Rome. “Sous nous sommes
une solution contenant du deutérium duire une indubitable. Mettre au intéressés à la fusion froide dès 1989, par
à se décomposer. Le deutérium s’ag- point un dispositif qui démontrerait curiosité, juste après l’expérience de
glutine alors dans le palladium. sans biais possible l’existence de ces Pons et Fleischmann ”, raconte la phy-
Et, selon Pons et Fleischmann, à transmutations, qui ferait enfin entrer sicienne italienne. Qui tente dans un
partir d’une certaine concentration, dans le champ scientifique cette dis- premier temps de comprimer du gaz

UNE SCIENCE NAGUERE OCCULTE


Impossible de savoir si l’élixir de longue vie ou XVIIe siècle. L’alchimie
l’alchimie, issue des pro- transformé des métaux était par principe une
fondeurs des civilisations vils en métaux nobles à science occulte: les
indienne et chinoise, qui l’aide d’une toute puis- sombres sortilèges dont
a traversé l’Egypte an- sante “pierre philosopha- l'évocation est censée
cienne, la Grèce antique, le” ? Newton lui-même, transmuter le plomb en
la civilisation arabe et le qui cherchait par ce moy- or n’ont jamais eu voca-
Moyen Age chrétien a en à dévoiler une attrac- tion à être divulgués.
jamais réalisé ses fantas- tion universelle à l’échel- Une tradition du secret
mes. D’obscurs savants le microscopique, n’a ja- et de l’ésotérisme qui
ont-ils vraiment fabriqué mais publié ses travaux, n’est plus de mise pour
et la chimie a fini par im- les transmutations nu-
< Les alchimistes n’ont
jamais divulgué les résul- poser son approche ra- cléaires modernes à
tats de leurs travaux. tionnelle à la fin du basse énergie.

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< Il aura fallu deux ans à Antonella de
Ninno pour mettre au point, dans son
laboratoire de Frascati, un système
capable de détecter de la fusion froide.

v Soumise à une tension électrique,


une électrode en palladium parvient
à absorber suffisamment de deu-
térium pour le faire fusionner.

^ Pièce maîtresse du disposi-


tif, la cathode a la particularité
d’être quasi unidimensionnelle.
Elle court tel un fil sur un mince
carré de plastique.
dans du titane pour provoquer la fu-
sion. .. sans résultats probants. Il n’em-
pêche : elle persuade l’Enea en 1998 de
soutenir une expérience sur le palla-
dium, qui s’est terminée fin 2002.
Son principe est d’utiliser une ca-
thode en palladium dotée d’une géo-
métrie bien particulière, quasi unidi-
mensionnelle, c’est-à-dire réduite à un sures de chaleur, alors que mes précé-
très fin fil. D’après les estimations dentes études avaient été refusées faute JARGON
théoriques du physicien Giuliano de mesure de l’hélium 4, se décourage
la chercheuse, qui s’oriente désor- Electrolyse : procédé par
Preparata. de l’université de Milan,
lequel on applique une ten-
cette cathode, soumise à une tension mais vers des sujets plus convention- sion entre deux électrodes
électrique appropriée, permet au deu- nels. J’ai l’impression d’avoir fait tout - la cathode (négative) et
térium de s’y concentrer plus facile- ce que j’ai pu, sans être écoutée...” l’anode (positive) - plon-
ment. “Il nous a fallu deux années Au Conservatoire national des arts et gées dans une solution li-
métiers (Cnam),à Paris, Jacques Du- quide que l’on veut décom-
pour mettre au point un tel système poser. Le passage du cou-
particulièrement complexe, avoue An- four tente lui aussi de mettre au point
rant électrique dans le li-
tonella de Ninno, mais depuis, nos ré- l’indubitable expérience. Ancien di- quide sépare les molécules
sultats sont incontestables. ” L’équipe recteur des relations scientifiques de en ions positifs, qui vont mi-
de chercheurs a en effet montré très la compagnie pétrolière anglo-hol- grer vers l’anode, et en ions
landaise Shell (qui a participé au fi- négatifs, qui se dirigent vers
soigneusement qu’à partir d’une cer- la cathode.
taine concentration de deutérium nancement de ses recherches), cet
Isotope : les isotopes d’un
dans le palladium, on observe un ingénieur a été accueilli dans le la-
élément contiennent le
excès de chaleur et une production boratoire des sciences nucléaires du même nombre de protons
d’hélium vingt fois supérieure au Cnam pour se consacrer à des dé- positifs (6 protons pour le
charges électriques dans une tige de carbone), mais un nombre
“bruit de fond” lié aux contamina- de neutrons différents.
palladium baignant dans un gaz d’hy-
tions extérieures (voir infographie)... Ainsi, le carbone possède
drogène. Et lui aussi obtient des excès
Et pourtant, malgré la précision de ces 3 isotopes principaux: le
de chaleur et des transmutations: il carbone 12 (6 neutrons), le
résultats, les revues scientifiques sol-
observe de l’hélium, mais aussi des plus répandu, mais aussi le
licitées ont encore une fois refusé
éléments probablement issus de la carbone 13 (7 neutrons) et
toute publication. “On met aujour- le carbone 14 (8 neutrons).
fission du palladium, comme le ...
d’hui en doute la qualité de mes me-
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... fer ou le nickel. Mais la détection
de ces éléments restant délicate et fa-
La fusion
cilement sujette à caution, Jacques en éprouvette
Dufour veut encore améliorer ses me-
Les réactions de fusion froide s’ob-
sures calorimétriques. Pour mettre à tiennent par un simple passage de
jour un phénomène dont l’ampleur courant dans une solution d’eau lour-
de (électrolyse). Mais la mesure de ce
suffirait enfin à balaver les scepti- phénomène est complexe : le très fai-
cismes. “ Je suis intimement convaincu ble dégagement gazeux qui se produit
doit être isolé des contaminations ex-
qu il y a quelque chose, mais je com- térieures. Le dispositif est donc placé
prends que ce soit difficile à accepter, dans une enceinte sous vide, elle-même
maintenue à température constante
que ce soit trop tôt, tempère-t-il. J’es- par un caisson isotherme.
père obtenir dans les deux ans la preuve
irréfutable qui convaincra tous ! ”

DES TRANSMUTATIONS EN SÉRIE


1 L’électricité dissocie les molécules
Ces deux exemples ne sont pas iso- Dans la cellule, le courant électrique
lés : un peu partout dans le monde se casse les molécules d’eau lourde
(D2O). Les noyaux de deutérium (po-
multiplient de telles expériences dont sitifs) sont alors attirés par la cathode
les paramètres sont de mieux en mieux en palladium (négative) où ils partent
s’accumuler.
contrôlés. Le professeur Violante, qui
travaille à quelques pas du laboratoire
d’Antonella de Ninno, à l’Enea, a par
exemple étudié les problèmes de re-
productibilité de l’expérience de Pons
et Fleischmann. “ Nous avons compris
que la nature métallurgique du palla-
dium modifie sa capacité d’absorption,
explique-t-il. Nos premières manipu-
lations avaient bien fonctionné, mais
quand nous avons dû racheter du pal-
ladium pour continuer, plus rien ne se
passait... Nous avons donc étudié la dif-
fusion du deutérium dans le métal.”
Le physicien italien a également réalisé
l’électrolyse d’un film de nickel conte-
nant des traces de cuivre... pour cons-
tater que le rapport isotopique du
cuivre s’en trouve modifié. Selon ses
mesures, le cuivre 63 (qui contient
29 protons et 34 neutrons), se trans-
forme en partie, lors du processus, en
cuivre 65 (qui contient 36 neutrons), et
la transformation est quasi totale quand
on l’accompagne d’une excitation Noyau de deutérium
laser... Des expériences sur le palla- (1 proton+ 1 neutron)
dium sont aussi réalisées par Yoshiaki Interstice dans le
Arrata, à l’université d’Osaka. au Japon, cristal de palladium
ou par une équipe de la Royal Navy,
basée à San Diego, aux Etats-Unis.
Atomes de
palladium
En Russie, Leonid Ouroutskoïev, de
l’institut Kourtchatov à Moscou ...

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2 Le deutérium fusionne
Les noyaux de deutérium pénè-
trent dans les interstices du
cristal de palladium (A), où ils
s’accumulent (B) et finissent par
fusionner entre eux pour donner
un noyau d’hélium (C).

2004 > MAI > SCIENCE & VIE 55


A HAUTE ENERGIE AUSSI.
Les physiciens nuclé- réacteurs à fission ne en hélium. Le but?
aires sont aussi des des centrales nuclé- Produire de l’énergie,
alchimistes ! Même aires transforment fabriquer des bombes,
si leurs fioles et cor- l’uranium en noyaux explorer la nature in-
nues revêtent des plus petits comme le time de la matière...
formes hautement strontium, le césium, ou encore éradiquer
technologiques, ils l’iode 129; les réac- les déchets nucléai-
produisent couram- teurs à fission ther- res radioactifs. Une
ment des réactions monucléaires expéri- équipe germano-bri-
de transmutation. Les mentaux transmutent tannique a récem-
du deutérium et du ment obtenu des ré-
tritium en hélium et sultats en transfor-
les faisceaux laser du mant, à l’aide de ray-
type laser mégajoule ons gamma issus
(LMJ, en construction d’un dispositif laser,
à Bordeaux), concen- de l’iode 129 radioac-
trent sur une petite tif, qui vit en moyenne
capsule de matière 15,7 millions d’an-
assez d’énergie pour nées, en iode 128
initier des réactions qui se désintègre en
de fusion d’hydrogè- quelque 25 minutes!

< Le laser mégajoule en construction à Bor-


deaux pourra transmuter l’hydrogène en hélium

... fait, lui. exploser des feuilles de ti-


tane dans l’eau à l’aide d’un fort cou-
rant électrique, pour constater l’appa-
rition d’aluminium, de silicium, de
calcium, de fer, de sodium... et d’un
rayonnement étrange qui apparaît au-
dessus du récipient. Délirant? L’insti-
tut de recherches nucléaires de ^ Jacques Dufour, du Cnam, cherche à amé-
liorer ses mesures de chaleur pour réaliser
Doubna a pourtant bel et bien con- une expérience de fusion froide indubitable.
firmé ces étranges résultats. Encore
plus fascinant : le même institut Kourt- < Lui aussi utilise du palladium qu’il met
chatov aurait tout simplement réussi à sous tension à l’aide de ces générateurs.
transmuter du plomb en or... preuve d’une grande inventivité lexi- pour des lanternes et voient des réac-
cale pour décrire leurs travaux: le tions nucléaires à basse énergie là où
MAIS QUI A DIT ALCHIMIE ? terme d“’alchimie” étant clairement à il n’y a que des phénomènes clas-
Bien que mythique, cette dernière proscrire et celui de “fusion froide” par siques explicables par quelque biais
prouesse n’a pas été approfondie ni pu- trop suspect depuis Pons et Fleisch- expérimental caché, des publications
bliée. D’abord parce qu’elle est sans in- mann, ils parlent plus volontiers de scientifiques sérieuses comme Physi-
térêt économique, le coût de cette CMNS (science nucléaire de la ma- cal Review Letters, Fusion Technology
transmutation se révélant en définitive tière condensée ), de LENR ( réactions ou Japanese Journal of Applied Physics
bien supérieur au prix du précieux nucléaires à basse énergie), ou en- Letters acceptent aujourd’hui de pu-
métal. Et surtout pour ne pas décré- core de CANR (réactions nucléaires blier quelques résultats. En intro-
dibiliser des recherches en quête de chimiquement assistées). duction à un rapport publié en 2002
respectabilité en provoquant la confu- Une lente quête de respectabilité par l’US Navy qui faisait le point sur
sion avec les travaux sulfureux d’un qui commence à payer. Même si la leurs dix années de recherches,
Nicolas Flamel ou d’un Joseph Bal- majeure partie de la communauté Franck Gordon, responsable du dé-
samo tout à coup ressuscités (yoir scientifique continue de penser que partement navigation et sciences ap-
p. 52)... Ces chercheurs font d’ailleurs ces physiciens prennent des vessies pliquées, écrivait même: “Nous sa-

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sujet reste tabou. Le Commissariat à IL EN P E N S E
l’énergie atomique (CEA), qui serait
le plus à même de travailler sur la fu- Jacques Foos
DIRECTEUR DU LABORATOIRE DES
sion froide, y est allergique. “C’est SCIENCES NUCLÉAIRES AU C N A M

contraire aux lois phvsiques”, affir-


ment en cœur les spécialistes de la fu-
sion thermonucléaire.

DES RÉTICENCES... OFFICIELLES


Sauf que, d’après nos informations,
quelques experts du Haut-Commissa-
riat à l’énergie s’intéressent tout de “Je suis aujourd’hui
même de très près aux expériences en convaincu que le
cours à l’étranger. Le discours officiel phénomène existe!”
n’en reste pas moins écrasant: “Per- J’ai accepté de soutenir des
recherches sur la fusion froi-
sonne ne conduit de telles recherches et
de au Cnam sans y croire
personne n’a d’avis à exprimer sur le do- vraiment, mais en pensant
maine.” Même silence chez E D F : démasquer l’artefact. Au-
comme s’il s’agissait d’une question jourd’hui, je suis convaincu
politique brûlante, on nous répond que le phénomène existe
“nous souhaitons garder le silence sur même si ce n’est pas de la
fusion classique. Ce n’est
cette question”... alors qu’un expert
pas avéré, car on ne détecte
est envoyé à toutes les conférences ! qu’un faible effet, qui reste
Jean-Paul Bibérian, professeur de toujours très près du “bruit
physique à l’université de Marseille, du fond”, c’est-à-dire du
qui, depuis de nombreuses années, fa- domaine d’incertitude. Mais
brique toutes sortes d’expériences on est systématiquement
au-dessus du bruit de fond,
avec enthousiasme, organisera, en
jamais en dessous. C’est
novembre, à Marseille, la prochaine bien qu’il se passe quelque
conférence internationale sur la fu- chose... J’aimerais pouvoir
vons que le phénomène de fusion froide sion froide où se rencontreront pour consacrer plus de moyens à
existe, à travers des observations répé- exposer leurs derniers travaux une ces recherches : avec seule-
tées de scientifiques du monde entier. Il centaine de chercheurs : Américains, ment 1 ou 2 millions d’eu-
ros, on pourrait régler l’af-
est temps que ce phénomène soit étudié Italiens, Japonais, Russes. Chinois...
faire en trois ou quatre ans !
pour que nous puissions retirer quelque et quelques Français. L’occasion pour
il suffirait d’adjoindre à
bénéfice que ce soit de cette nouvelle la communauté scientifique d’éva- Jacques Dufour, qui est très
donnée scientifique.” Encore plus luer objectivement le domaine? Il créatif, une équipe dédiée
marquant: le 20 mars dernier, l’heb- serait temps! Car si le phénomène aux mesures de chaleur
domadaire britannique New Scien- existe bel et bien, ses implications se- et une autre à la détection
d’éléments transmutés,
“C’est contraire aux lois physiques”, pour systématiquement va-
lider et reproduire ses ex-
persistent des spécialistes français périences. Avec une rigueur
extrême, indispensable dans
tist révélait qu’un rapport sur la fusion raient énormes (voir p. 64). Et y a-t-il un domaine aussi controver-
froide venait d’être commandé par plus beau défi que de saisir un phé- sé. Mais il est impossible de
le département de l’Energie (DOE) nomène qui se joue de la nature des trouver des budgets décents
pour ces recherches. Les
des Etats-Unis. Cet inventaire des re- éléments chimiques, qui permet de
scientifiques sont devenus
cherches menées ces quinze dernières pénétrer dans le volcan nucléaire avec frileux : ils n’osent plus rien
années pourrait être bouclé en jan- de simples éprouvettes et qui réalise à de peur de se tromper!
vier 2005, et déboucher sur des cré- peu de frais le fantasme ancestral de C’est vraiment dommage.
dits... En France, en revanche, le milliers de savants?

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2 “ Les physiciens
ne savent
pas tout”
L’expérience historique de
1989, c’est lui ! Avec son col-
lègue Stanley Pons, l’électro-
chimiste britannique Martin Le 23 mars 1989, Martin Fleisch-
Fleischmann avait lancé les mann, du laboratoire d’électrochi-
mie de l’université de Southampton,
recherches sur la fusion froi- en Grande-Bretagne, et Stanlev Pons,
de, suscitant le scepticisme de l’université d’Utah, aux Etats-Unis,
annoncent, lors d’une conférence de
de la communauté scienti- presse, avoir observé un phénomène
fique. Il revient aujourd’hui inédit et stupéfiant. C’est la très fa-
sur cette controverse. meuse expérience de la “fusion
froide”, qui fait soudain entrevoir la
possibilité d’une nouvelle et inépui-
sable source d’énergie. A l’époque,
RETOUR les deux scientifiques décident de pré-
SUR IMAGE
cipiter leur annonce, inquiets de se Science et Vie : Comment expliquez-
L’ANGLAIS MARTIN faire devancer. S’ensuivent deux mois vous que votre expérience ait été si
FLEISCHMANN ET de frénésie. De nombreux labora- mal accueillie?
L’AMÉRICAIN STANLEY
toires se lancent sur le sujet, la com- Martin Fleischmann: D’une part, je
PONS, électrochimistes,
collaboraient, en 1989, à pétition fait rage pour déposer des pense qu’il était beaucoup trop tôt, en
l’université d’Utah, sur des brevets, des crédits sont débloqués mars 1989, pour communiquer sur le
expériences d’électrolyse. dans de nombreux laboratoires de re- sujet. Nos travaux devaient se pour-
En utilisant des électrodes cherche, le cours du palladium suivre jusqu’en septembre 1990. An-
de platine et de palladium
plongées dans une solution
flambe... Certains laboratoires confir- noncer nos résultats à l’issue de ces
contenant de l’eau lourde, ment, d’autres ne parviennent pas à re- dix-huit mois supplémentaires nous
ils obtinrent un dégagement produire l’expérience et crient à la su- aurait permis de mieux contrôler la fu-
de chaleur prouvant, selon percherie. Le 6 juillet 1989, alors que sion froide, donc de l’exposer plus
eux, que ce simple procé-
la polémique remplit de nombreuses précisément, et de mieux explorer sa
dé pouvait générer à froid
des fusions nucléaires. pages dans les publications scienti- reproductibilité. D’autre part, les es-
fiques les plus prestigieuses, les re- prits étaient prédisposés à rejeter ce
cherches sont finalement enterrées phénomène. Les physiciens ont une
par John Maddox lui-même, le patron idée très fixe de ce qui est requis pour
de la toute-puissante revue Nature initier une réaction nucléaire. Pour
dont les avis ont valeur d’arrêt. eux, cela ne peut se faire qu’à de très
Convaincu qu’il s’agit d’une erreur hautes énergies. Ils ont donc tout sim-
scientifique, il écrit alors : “Il semble plement rejeté une possibilité qu’ils
que le temps est venu de renvoyer la fu- n’avaient pas envisagée. C’est une at-
sion froide au rang d’illusion de ces titude contraire à la démarche scien-
quatre derniers mois ”. Quinze ans tifique, qui doit rester ouverte aux im-
^ Pons et Fleischmann, en plus tard, Martin Fleischmann re- prévus ! Il faut dire qu’accepter cette
1989, devant leur expérience.
vient avec nous sur “l’affaire”. idée nécessite une bonne connais-

58 SCIENCE & VIE > MAI > 2004


sées chaque année. Mais il est difficile
de faire ces recherches officiellement,
alors que ce sont des expériences dé-
licates, que l’on ne peut pas faire dans
sa cuisine... Il faut un laboratoire suf-
fisamment équipé !

S&V : Qu’est ce que cette condamna-


tion sans appel signifie pour vous ?
M.F. : J’ai le sentiment que la science
traverse une crise. Que la science en
général est malade. Les gens consi-
dèrent que toute la vérité scientifique
est déjà révélée, ce qui est absurde.
On n’a pas encore d’idée précise de la
cosmologie, on ne comprend pas
vraiment la chimie, on ne comprend
pas la biologie, on n’a pas encore in-
tégrée la mécanique quantique. Mais
on fait pourtant comme si on savait
déjà tout, comme si on avait perdu
l’envie de comprendre...

S&V : Comment voyez-vous l’avenir


de la fusion froide ?
sance de la théorie quantique des S&V : Que s’est-il passé une fois que M.F. : Les expériences que les cher-
champs, c’est-à-dire la mécanique Nature a rejeté votre expérience ? cheurs ont réalisées jusqu’à présent,
quantique appliquée aux champs ( no- M.F.: La polémique a été telle que sont très bonnes, elles sont de plus en
tamment au champ électromagné- toutes les publications ont été rejetées, plus convaincantes. Mais ce qu’il fau-
tique), une discipline complexe qui les miennes comme nombre d’autres. drait au joud’hui pour remporter l’ad-
est très mal comprise des physiciens, Encore actuellement, le “boycott” hésion, c’est une expérience techno-
surtout quand elle s’applique à la ma- continue : le remarquable travail d’An- logique, une expérience de grande
tière solide. Ils sont persuadés que la tonnella De Ninno à l’Enea de Fras- échelle. Je n’ai jamais douté de la va-
physique quantique ne s’applique cati (voir p. 48) a été refusé sans au- lidité de ces résultats, et je suis per-
qu’aux particules isolées, alors que cune raison valable. C’est un rejet de suadé qu’un jour la preuve irréfu-
c’est bien plus général ! principe, incompréhensible de la part table du phénomène sera mise au
de scientifiques. Et c’est aussi le jour, accompagnée d’une bonne ex-
S&V : Etiez-vous guidés dans vos ex- meilleur moyen de condamner un plication théorique. Sûrement dira-t-
périences par une idée théorique ? domaine de recherche. Sans publi- on que nous avions eu une bonne in-
M.F. : Bien sur ! Ce n’était pas un ha- cation, personne ne peut avoir tuition, mais que nous ne savions pas
sard, nous n’avancions pas dans le connaissance des travaux, ni pour les vraiment ce que nous faisions...
vide. Nous n’avions pas exposé d’idée confirmer ni pour les infirmer, et
théorique parce qu’elle n’était pas l’échange avec le reste de la commu- S&V : Et votre avenir personnel ?
mûre, mais nous pensions qu’il était nauté scientifique ne fonctionne pas. M.F. : J’ai été soutenu et suivi, par une
possible que des réactions nucléaires Heureusement, il y a beaucoup de poignée de scientifiques, dès le début.
se produisent dans la matière conden- chercheurs dans le monde qui conti- Mais j’ai 77 ans aujourd’hui, et même
sée, par le biais de phénomènes quan- nuent de travailler sur le sujet comme si je continue à conseiller certains la-
tiques. Nous comptions sur un tel ils le peuvent, et qui ont créé leurs boratoires, comme celui de l'US
effet, même si nous n’étions pas propres moyens d’échanger les infor- Navy, je prends de moins en moins
convaincus que nous aurions des ré- mations, à travers, notamment, des part aux recherches. J’estime avoir
sultats aussi vite. conférences internationales organi- fait tout ce que j’ai pu ! I

2 0 0 4 > MAI > SCIENCE & VIE 59


3 vers un début
d’explication
théorique?
Si, pour la plupart des physiciens, les transmutations relèvent
du “miracle”, plusieurs hypothèses rivalisent pourtant aujour-
d’hui pour les expliquer scientifiquement. Une étape cruciale.

Concocter en laboratoire des trans- se transformer en hélium à tempéra-


mutations nucléaires à basses éner- ture ambiante. Une question cruciale
gies ? Si le pari semble tenter de plus pour donner une légitimité scienti-
en plus de scientifiques malgré l’af- fique à des phénomènes qui laissent
freuse réputation qui s’attache à ce encore largement perplexes. Mais est-
genre de recherches, une chose est il seulement possible d’intégrer dans
sûre : les “nouveaux alchimistes” vont le corpus théorique ce que la plupart
bien devoir expliquer un jour par des physiciens, sceptiques, ne se pri-
quelle “magie” ces réactions se pro- vent pas d’appeler des “miracles” ?
duisent. Même si leurs résultats sont Trois miracles, même, si l’on re-
de plus en plus probants (voir ar- prend l’expérience de fusion froide “à
ticle 1), il leur faudra, par exemple, la Pons et Fleichmann” du deuté-
détailler comment de l’hydrogène in- rium, un élément apparenté à l’hy-
séré dans un cristal de palladium peut drogène dont le noyau comprend un

Les trois “miracles” de la fusion froide du deutérium proton et un neutron (voir infogra-
Contrairement à la fusion chaude, la fusion
froide bute sur trois faits inexpliqués : phie ci-contre). Le premier miracle ?
(1) Les deux noyaux de deutérium arrivent FUSION CHAUDE Les deux noyaux qui fusionnent pas-
à fusionner malgré la force qui les repousse.
(2) De l’hélium 4 est produit plutôt que
sent allègrement la terrible “barrière
de l’hélium 3 et du tritium. coulombienne” qui devrait norma-
(3) La formation de l’hélium 4 n’engendre lement les repousser loin l’un de
pas de rayons gamma.
Hélium 3 Neutron l’autre, les deux étant de charge po-
sitive. Deuxième miracle : cette fu-
Noyau de sion produit toujours un novau
deutérium
unique d’hélium 4, constitué de deux
protons et deux neutrons, alors qu’à
Tritium Proton
haute énergie, elle laisse presque tou-
jours un proton ou un neutron libre.
Rayons gamma Troisième miracle: quand de l’hé-
lium 4 est produit malgré tout en fu-
Noyau de
deutérium sion chaude ( une fois sur cent mille ),
FUSION FROIDE
Hélium 4 il s’accompagne de rayons gamma
d’une énergie bien déterminée

60 SCIENCE & VIE > MAI > 2 0 0 4


Certes, grâce à la mécanique quan-
tique, les physiciens ont de très bons
modèles de l’atome, de l’interaction
électromagnétique entre ses électrons
et son noyau, des forces nucléaires
qui agitent protons et neutrons à l’in-
térieur du noyau et même des règles
qui régissent les quarks, constituants
élémentaires de ces protons et neu-
trons. Mais ils ont plus de mal à mo-
déliser les échelles supérieures, en
particulier lorsque des milliards
d’atomes s’organisent en réseau cris-
tallin pour former des solides. N’y a-t-
il donc pas la place dans cette pratique
de la “matière condensée” encore mal
maîtrisée pour un phénomène en-
core inexpliqué sur lequel reposerait la
fusion froide ? Il suffit pourtant de se
rappeler la difficulté des physiciens
pour interpréter la perte brutale et
complète de résistance électrique dans
certains matériaux ultra-froids obser-
vée expérimentalement dès 1911. S’ils
durent attendre 1950 pour expliquer
cette “supraconductivité à basse tem-
pérature” à partir des équations quan-
tiques et comprendre comment ce
phénomène collectif émerge dans
certains solides, ils cherchent en- ...

ENJEUX

^ L’agencement atomique régulier d’un cristal (ici, de nickel) pourrait abriter des Pour faire admettre la validi-
phénomènes quantiques qui expliqueraient les transmutations à basse énergie. té de leurs travaux, les cher-
cheurs en réactions nucléaires
(23,8 mégaélectronvolts), que l’on mentales. Mais pourquoi ne pas ima- à basse énergie doivent aujour-
ne détecte pas en fusion froide. En giner qu’un phénomène physique d’hui relever un sérieux défi :
leur temps, Pons et Fleischmann ne encore inconnu émerge au sein du les expliquer théoriquement.
Car si les “preuves expérimen-
purent expliquer ces mystères. cristal de palladium, démystifie les
tales” sont déterminantes pour
trois miracles et autorise vraiment faire accepter un phénomène,
LA SUPRACONDUCTIVITÉ À BASSE la fusion froide ? Car si fusion il y a, il est tout autant nécessaire
TEMPÉRATURE EN EXEMPLE il est logique de penser qu’elle est fort d’en trouver une explication
différente de celles qui se passent à dans le corpus des lois physi-
On leur a même reproché de ne pas
ques. Quitte à les modifier.
être morts pendant leur expérience l’intérieur des réacteurs nucléaires
C’est le propre d’une discipline
d’un bombardement de neutrons, dans lesquels un plasma est chauffé scientifique en pleine gesta-
ce qui aurait, pour le coup, con- à plusieurs centaines de millions de tion : il est indispensable que
vaincu les physiciens de l’existence degrés. Et ce, d’autant plus que le l’expérience et la théorie se
comportement collectif de ces pro- nourrissent l’une de l’autre.
de réactions nucléaires... La plupart Ce n’est qu’alors que pourront
de ces derniers considèrent donc que tons et neutrons au sein du cristal de
être envisagées des appli-
les transmutations ne sont que des palladium reste encore aujourd’hui cations concrètes.
illusions, dues à des erreurs expéri- largement mystérieux...

2 0 0 4 > M A I > SCIENCE & VIE 61


^ Les transmutations peinent à trouver une explication théorique... comme la supra-
... core l’interprétation théorique de conductivité, dont personne ne conteste pourtant qu’elle peut faire léviter des aimants.
la “supraconductivité à haute tempé-
rature” mise en évidence en 1986... tions quantiques qui régissent les négatifs pourrait ici suffisamment di-
En tous les cas, ce ne sont pas les atomes de palladium du cristal pour- minuer la répulsion entre les novaux
idées qui manquent pour justifier la raient en effet laisser émerger un (et donc la hauteur de la barrière
fusion froide. Même si aucune ne étrange comportement : tous les élec- coulombienne du premier miracle)
s’est, pour l’instant, imposée, de trons des atomes de ce cristal pour- pour autoriser la fusion.
nombreuses pistes ont été explorées. raient se mettre à vibrer à l’unisson,
Une des plus réputées est celle de jusqu’à ne plus former qu’une seule et UNE BIEN ÉTRANGE PARTICULE...
Giuliano Preparata, un physicien ita- même onde de matière. Les noyaux De plus, le processus se passant plus
lien de l’université de Milan, qui a tra- de deutérium qui s’accumulent dans lentement que dans un plasma, les
vaillé sur la question jusqu’à sa mort les interstices du cristal ne se com- noyaux de deutérium auraient le
en 2000, avec Antonella De Ninno de porteraient alors plus comme des in- temps de mettre en commun tous
l’Enea (voir article 1). Selon cette dividus isolés, mais vibreraient eux leurs protons et neutrons au lieu de se
thèse, que soutient aujourd’hui aussi aussi en cohérence pour ne former à scinder violemment. D’où la produc-
tion “miraculeuse” d’hélium 4. Enfin,
Le nombre de théories n’indique-t-il pas dans ces milieux condensés, l’éner-
gie de la fusion serait dépensée dans la
qu’une science est en train de naître? matière sous forme de vibration du
Martin Fleischmann, il faut en passer leur tour qu’une seule onde. Une cristal ( et donc de chaleur ) plutôt que
par la très complexe théorie quan- théorie qui doit encore être dévelop- par l’émission de ravons gamma...
tique des champs, qui conçoit les in- pée pour englober les transmutations Cependant, si certains proposent
teractions elles-mêmes en termes de des autres éléments chimiques, plus des versions proches de celle de Pre-
particules. Sous certaines conditions complexes, mais qui semble d’ores et parata, liée à des phénomènes de
(en présence d’un champ électro- déjà capable d’expliquer les trois mi- cohérence, comme Peter Hagelstein,
magnétique notamment), les équa- racles. De fait, le bain d’électrons physicien au Massachusetts Institute

62 SCIENCE & VIE > MAI > 2 0 0 4


chercheurs du Cnam pensent que la DES MUONS
présence de ces hydrex au sein du POUR LA FUSION
cristal déclenche les réactions nu-
Depuis les prédictions de
cléaires et résout les trois miracles. deux grands physiciens
Dans un tout autre registre, le phy- russes, Andreï Sakharov et
sicien français Georges Lochak, an- llia Frank, dans les an-
cien collaborateur du prix Nobel nées 40, on sait que la fu-
Louis de Broglie, croit, lui, en sa sion nucléaire est bel et
bien possible à température
théorie des “monopôles magnétiques
ambiante... Mais dans un
légers”, une théorie née au début contexte très particulier :
des années 80 à partir de l’étude de quand les électrons des
l’équation de Dirac, l’équation quan- atomes sont remplacés
tique de base pour décrire l’électron. par des muons, des parti-
cules élémentaires néga-
OBSERVATIONS CONFIRMÉES tives possédant exactement
les mêmes caractéristiques
Selon Georges Lochak, cette équa- que l’électron, mais pesant
tion laisse en effet entrevoir l’exis- 200 fois plus lourd. Du fait
tence d’une nouvelle particule, qui de cette masse, le muon
serait au magnétisme ce qu’est gravite beaucoup plus près
l’électron pour l’électricité, une du noyau que l’électron, ce
qui rend ce noyau moins ré-
étrange particule magnétique à un
pulsif : la charge négative
seul pôle, un pôle nord unique ou
du muon compense celle,
un pôle sud unique. “ Un monopôle positive, du noyau jusqu’à
magnétique qui pénètre dans un une petite distance d’ap-
novau pourrait le déséquilibrer et le proche. Vu de loin, l’atome
of Technology (MIT), d’autres s’en faire transmuter”, avance-t-il... ressemble donc à un neu-
tron et la fusion avec un
écartent complètement. Une piste Si cette idée n’a guère trouvé
autre atome peut alors se
très différente propose, par exemple, d’écho en France, elle intéresse en faire facilement. Un procédé
que les électrons restent attachés à revanche fortement le physicien Leo- inexploitable en pratique
leur noyau lors du processus de fu- nid Ouroutskoïev, qui travaille sur les car la production de muons
sion, et v participent même active- transmutations à basse énergie à l’ins- demeure très complexe et
ment, comme ce que l’on observe en titut Kourtchatov de Moscou. En coûteuse. D’autant que ces
faisant exploser des feuilles de titane particules ne vivent pas plus
“fusion muonique” (voir encadré ci-
de 10-6 seconde...
contre). C’est l’idée de Jacques Du- dans l’eau pour les transmuter, il a
four et Jacques Foos, du C n a m . décelé des traces étranges sur les
Selon eux, à l’intérieur d’un solide et émulsions photographiques qui pour-
en présence d’un champ électroma- raient correspondre à ces fameux
gnétique intense, l’électron, qui est monopôles ! Des observations qui
normalement en orbite à 0,05 na- semblent confirmées lors de toutes
nomètre autour du noyau d’hvdro- récentes expériences réalisées à l’uni-
gène, se rapproche considérable- versité de Kazan, en Russie, au début
ment de celui-ci, formant ce qu’ils du mois de mars dernier...
appellent un “hydrex”, un atome Reste que de nombreuses autres in-
d’hydrogène “rétréci”. Pour une par- terprétations existent, si diverses qu’il
ticule un peu lointaine, cette pro- est impossible de les recenser de
miscuité entre le noyau positif et façon exhaustive. Bien sûr, la plu-
l’électron négatif fait ressembler l’hy- part se révéleront inévitablement sté-
drex à un neutron, ce qui diminuerait riles. Mais cette disparité de théories
largement la barrière coulom- n’est-elle pas l’indice d’une science
bienne... Sans spéculer sur ce qui se en genèse ? Au bout du compte, l’ex-
passe précisément à petite échelle, les périence tranchera. I

2004 > MAI > SCIENCE & VIE 63


4 La poule
aux œufs
d’or?
Dans la nature, certains phé-
nomènes inexpliqués pour-
raient en fait impliquer des
réactions nucléaires à basse
énergie. Une hypothèse qui
ouvre de belles perspectives...
à condition d’être vérifiée!

Et pourtant elles pondent ! C’était le paillet-


constat étonné d’un tout jeune ob- tes bril-
servateur, jouant les Galilée de basse- lantes de
cour au début du XXe siècle : malgré silicate que
l’absence de calcaire dans le sol gra- l’on trouve dans
nitique de sa ferme bretonne natale, le sable sont com
les poules que nourrissait sa mère posées principalement
pondaient des œufs dotés de coquilles de silicium. Or, les poules se
normales, constituées à partir de cal- jettent dessus (“avec une volupté
cium. Tourmenté par cette épineuse certaine”, précise-t-il) et se remettent
question dès son plus jeune âge, Louis à pondre des œufs normaux dès le Reste que, dans le cas de la poule, les
Kervran devint biologiste et fit un lendemain. Preuve, selon lui, que les spécialistes modernes de la question
tabac dans les années 60 avec ses volailles arrivent à transmuter le sili- sont pour le moins sceptiques. Voire
livres sur les transmutations biolo- cium en calcium. franchement amusés. Car son méta-
bolisme calcique ne fait aujourd’hui
Tout est parti de l’idée que les poules plus guère de mystère. Il a donné lieu

transmuteraient le silicium en calcium à de nombreuses études, étant donné


l’intérêt économique certain à bien
giques. Selon lui, la poule bretonne Kervran est aujourd’hui cité en exem- maîtriser la solidité de la coque des
serait en réalité un... véritable réac- ple par des chercheurs convaincus que quelque 850 milliards d’œufs pro-
teur nucléaire ! Expériences à l’ap- les réactions nucléaires à basse énergie duits chaque année.
pui, Louis Kervran prétend en effet sont à même d’expliquer certains mys-
que, une fois enfermés dans un pou- tères de la nature : “Si, comme on le voit EXIT LES DÉCHETS RADIOACTIFS?
lailler au sol battu d’argile et privés de en fusion froide, des phénomènes nu- En fait, la volaille stocke pendant la
calcium pendant quelques jours, ces cléaires peuvent survenir à basse énergie, journée le calcium issu de son ali-
gallinacés pondent des œufs à co- pourquoi des transmutations ne se pro- mentation dans ses os, pour puiser
quille molle... jusqu’à ce qu’on leur duiraient-elles pas au sein des orga- ensuite dans cette réserve transitoire
donne du mica à picorer. Ces petites nismes vivants ? ”, s’interrogent-ils. pendant la nuit et fabriquer la co-

64 SCIENCE & VIE > MAI > 2 0 0 4


^ Lors de fouilles archéologi- veaux éléments (chrome, fer, cobalt, Pour Vladimir Vysotskii, physicien à
ques, les datations au carbone 14
donnent parfois lieu à des aber- nickel, cuivre, zinc, argent, plomb, l’université de Kiev, en Ukraine, la
rations... que des transmutations etc.) aux dépens du potassium, du transmutation naturelle est même
naturelles pourraient élucider !
calcium, du magnésium, du sodium et une piste technologique sérieuse pour
< Les coquilles d’œuf procèdent- du soufre présents dans leur milieu de la décontamination nucléaire : il pré-
elles d’une “alchimie nucléaire”?
Louis Kervran le pensait... culture d’origine... Il a par ailleurs tend avoir démontré la possibilité
observé, au cours d’autres expériences, d’utiliser les transmutations dans les
quille. Des stocks suffisants pour pal- que la teneur en mercure du blé dé- cultures microbiologiques pour éli-
lier des carences de plusieurs jours, croît de moitié pendant sa germina- miner les déchets nucléaires haute-
voire de plusieurs semaines... Bref, la tion. Et ce n’est rien à côté de celle de ment radioactifs ! Le problème, c’est
poule a beau produire chaque année l’avoine qui diminue d’un facteur 20 ! qu’il est difficile de se faire une idée
l’équivalent de son propre poids en co- objective sur la validité de ces expé-
quilles, il n’y aurait là aucune “alchi- riences. Et cela le restera tant que le
mie nucléaire”. N’en déplaise aux sujet ne sera pas sérieusement étu-
aficionados de Louis Kervran... dié par la communauté scientifique.
Mais, selon Jean-Paul Bibérian, Cette alchimie natu-
maître de conférences à l’université de relle permettrait ...
Marseille, il existe aujourd’hui des
expériences de transmutations à l’in-
térieur du vivant beaucoup plus pro-
< La composition
bantes. Le physicien a ainsi cultivé isotopique anor-
des bactéries marines et soutient que male des météori-
tes suscite des
celles-ci produisent jusqu’à 18 nou- interrogations.

2 0 0 4 > MAI > SCIENCE & VIE 65


> Le nucléaire
à fusion chaude mérite-t-il pas d’être étudié plus pro-
reste toutefois
loin d’être fondément? D’autant que tous les spé-
détrôné... cialistes de la fusion froide tombent
d’accord sur une chose : la possibilité
d’en faire une source d’énergie.
A l’heure où de nombreux pays s’al-
lient pour construire le plus gros réac-
teur expérimental à fusion chaude,
baptisé Iter, énorme machine dont la
construction, évaluée à près de 5 mil-
liards d’euros, devrait durer dix ans,
les spécialistes de la fusion froide en-
tendent faire valoir leur droit à étudier
ce phénomène au grand jour. Des bre-
vets sont régulièrement déposés par
des laboratoires de recherche ou par
des physiciens indépendants en quête
de l’invention qui pourrait révolution-
ner la politique énergétique mondiale !
Car la possibilité de récupérer sous
forme de chaleur l’énorme énergie
draient-ils nucléaire qui assure la cohésion des
... pour-
pas à ces fa- noyaux, à peu de frais et sans déchets
tant d’ex-
meuses réactions polluants, serait sans conteste la véri-
pliquer nom
nucléaires à basse énergie? table poule aux œufs d’or...
bre de mystères, plus profonds
que celui de l’œuf et de la poule. L’exis- Autre exemple de question sans ré-
tence de transmutations dans l’atmo- ponse : la datation au carbone 14, qui
sphère justifierait, par exemple, la dis- utilise la composition isotopique du
tribution anormale des isotopes de carbone, donne lieu à des polémiques,
l’oxygène (atomes d’oxygène compor- comme lors de l’évaluation de l’âge des EN SAVOIR PLUS
tant un nombre différent de neutrons peintures rupestres de la grotte Chau-
http://www.lenr-canr.org
dans leurs noyaux) observée dans la vet. Encore un coup des transmuta- Le site web en anglais re-
couche d’ozone. Cela éclairerait aussi tions naturelles qui perturberaient le censant toutes les recher-
certaines données de cosmochimie nombre d’atomes de carbone 14 ? ches sur les transmuta-
encore obscures, comme les différen- La majorité des physiciens - même à tions nucléaires à basse
énergie.
ces entre les compositions isotopiques l’intérieur de la petite communauté
http://www.spawar.navy.
mil/sti/publications/pubs
Au bout de la fusion froide, il y a peut- /tr/1862/tr1862-vol1 .pdf

être une fantastique source d énergie ! Le rapport de l’US Navy


sur plus de dix années de
recherches consacrées à
relevées sur des météorites et celles pratiquant les réactions nucléaires à la fusion froide.
relevées sur Terre : ces morceaux de basse énergie -, ne croient pas en ces xie conférence interna-
matières venus de l’espace produisent recherches. “Les transmutations à tionale sur la science
des données qui ne correspondent pas basse énergie nécessitent des conditions nucléaire dans la matière
très particulières, qu’on ne trouve pas condensée, du 31 octobre
aux connaissances actuelles sur la nu-
au 5 novembre 2004 à Mar-
cléosynthèse, la science de la formation spontanément dans la nature, souligne seille. Site web en anglais :
des novaux atomiques dans l’Univers. Jacques Foos, physicien au Conserva- www.iccf11.org
Les physiciens parlent même à ce pro- toire national des arts et métiers. No- “A la découverte de trans-
pos de FUN pour Fractionation and tamment des champs électromagné- mutations biologiques”,
tiques suffisamment puissants. ” Mais, de Louis Kervran, aux édi-
unknown nuclear effects. Ces “effets nu-
tions Le Courrier du livre.
cléaires inconnus” ne correspon- vu son pouvoir explicatif, le sujet ne

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