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Mohamed Diriye ABDULLAHI PARLONS SOMALI Editions L'Harmattan 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique 75005 Paris OC) L'Harmattan INC 55, rue Saint Jacques Montréal (Qc) - Canada H2Y ‘tous les miens qui ont péri dans les et de l'aviation de l'armée du tyran, Siad D'abord ma soeur ainée, Shamis Diriye Abdullahi ; mon frére ainé, Sahardiid Diriye Abdullahi ; mon frére, écolier 4 I'époque, Musa Diriye Abdullahi ; mon beau-frére, Jama Hussein Ali. Enfin, je dédie cet ouvrage non seulement a tous ceux et celles qui sont tombés sous les balles et les obus 4 Hargeisa en 1988 mais a toutes les victimes de la guerre civile en Somalie. Eebahay naxariistii jano ha idin ka waraabiyo (Que vos Ames soient en paix). Cet ouvrage a été revu et saisi sur informatique par M. Michel REMOND et Pascal BOURGEOIS. © L’Harmattan, 1996 ISBN : 2-7384-4898-4 Table des matiéres Le peuple somali et son histoire Le peuple somali Les Somalis, qui sont-ils? Le vocable somali : son apparition et ses racines sémantico-historiques Un peuple qui n'a rien oublié, 4 son insu L'exotisme et les Somalis Les ethnies en Somalie Les clans pastoraux Les minorités linguistiques et ethniques L'histoire Lhistoire ancienne La période islamique La gloire des villes-Etats du 10e au 16e siécle La période coloniale Les objectifs des Européens La France et la Cte des Somalis Le nord aux Britanniques Sur la route des Romains L'€veil du nationalisme somalien et son héritage irrédentiste La lutte pour I'indépendance Les années de démocratie chaotique Les années de la dictature et de la guerre civile L'avenir, les clans et les Somaliens La géographie et le climat La topographie et le climat 11 12 12 14 1S: 15 16 16 18 26 a0 ao) 33 3a 36 36 aT an 38 39 40 42 SS 56 56 La végétation L'économie Liélevage L'agriculture Le réseau routier La langue somalie L'aire du somali Les dialectes du somali Le somali est-il une langue a tons? La situation linguistique du somali Les langues minoritaires en Somalie La grammaire L'écriture L'alphabet du somali Les voyelles Les semi-consonnes ou semi-voyelles Les consonnes Les changements phonétiques en somali L‘harmonie vocalique L’assimilation consonantique Les déterminants Les changements phonétiques touchant les déterminants Les articles définis Les déterminants démonstratifs Les déterminants interrogatifs Les déterminants possessifs Les déterminants possessifs réduits Les numéraux 57 60 60 61 63 65 66 67 68 70 72 73 714 16 76 716 71 19 Te 80 81 81 83 85 86 86 88 89 Le verbe Infinitif et forme invariable Verbes réguliers (postflexionnels) et verbes irréguliers (préflexionnels) Les verbes réguliers La dérivation des verbes par suffixation Résumé des changements affectant l'autopragmatique "o" Résumé des changements phonétiques affectant le transitionnel -aw Résumé des changements phonétiques affectant les verbes a suffixe lexicaux excluant l'accord Réduction des voyelles Liaccord L'accord et Je nombre dans le verbe Le temps, l'aspect et le mode Les verbes irréguliers Les formes verbales en somali L'impératif L'impératif affirmatif L'impératif négatif Le présent progressif Le passé progressif Le présent habituel Le passé habituel oe Le passé simple Me Le futur Le conditionnel L'optatif L'éventuel-interrogatif L'obligation et la volition 91 91 93 93 98 102 103 104 105 105 107 108 111 112 113 114 115 116 120 123 127 127 131 132 132, 137 139 Les formes des subordonnées Les formes réduites Les formes elliptiques Les participes L'exclamation Les mots exclamatifs Les pronoms Les pronoms personnels Les pronoms emphatiques Les pronoms sujets Les pronoms objets de la premiére série Les pronoms objets de la deuxiéme série Les pronoms "is" et "Ia" Les pronoms possessifs Les pronomes interrogatifs Les pronoms démonstratifs Les pronoms relatifs Les pronoms indéfinis Les adjectifs L'adjectif épithate L'adjectif attribut Le comparatif et le superlatif Substantif adjectif qualifié par "badan" Le nombre dans I'adjectif Les prépositions Les prépositions locatives Les prépositions déictiques Préposition plus verbe : les idiotismes Les fusions avec les prépositions Les noms Les classes des noms Le génitif et les substantifs Le vocatif et les substantifs La dérivation des noms Les noms dérivés d'adjectif Les noms dérivés d'un autre nom Les noms dérivés d'un verbe L'adverbe L'adverbe de temps L'adverbe de lieu L'adverbe de maniére L'adverbe de quantité L'adverbe interrogatif La coordination La coordination des noms et des compléments La coordination des propositions relatives La conjonction disjonctive L'opposition La conjonction de subordination "in" Autres conjonctions et locutions conjonctives Les propositions subordonnées Les propositions relatives La subordonnée complétive Concordance des temps dans les subordonnées Résumé des concordances des temps Les indicateurs de mode La phrase déclarative et ses indicateurs de mode Les indicateurs "baa", "ayaa" et "waxa" Distribution et fonctions des substantifs "baa", "ayaa" et "waxa" 175 176 179 179 180 180 180 181 185 185 186 187 188 189 190 190 192 194 194, 195 195 198 198 205 207 207 210 211 216 217 “Waxa" en phrase intransitive “Waxa" en phrase transitive “Baa-ayaa" en phrase intransitive "“Baa-ayaa" en phrase transitive Comment éviter l'ambiguité dans les phrases avec “waxa" et "baa-ayaa" L'accent mis sur le nom a l'aide des indicateurs “baa-ayaa" et "waxa" L' interrogation L'interrogation totale Linterrogation partielle Question elliptiques avec "ma L'interrogation dans les subordonnées La négation La négation totale La négation partielle La conversation courante Salutations La présentation Remerciements Excuses Adieux Déplacements et voyages Au marché, faire ses achats Hébergement et nourriture Le temps Quelques proverbes somalis La culture somalienne L'organisation sociale, le reer et le xeer La culture des sédentaires Lhabitation 255 Les danses et fétes traditionnelles 255 Chez les Somalis 256 Chez les pasteurs 256 Chez les citadins 257 Les noms de personnes 257 Quelques noms d'animaux domestiques 259 La famille 259 Les rites 260 La naissance 261 La circonsion 262 Le mariage 263 La polygamie et ce qu'il en reste 265 Les coutumes funébres 266 Les noms de parenté 268 La religion 270 Les confréries religieuses et le culte des saints 270 La culture panéthiopienne chez les Somalis 272 Les gestes C) 274 Les gestes insultants a éviter ig 275 Lexique 277 Lexique frangais-somali 279 Lexique somali-frangais 318 Bibliographie 367 KENYA ETHIOPIE FB orev ty Carte ethnique LE PEUPLE SOMALI ET SON HISTOIRE LE PEUPLE SOMALI O Les Somalis, qui sont-ils? Une définition s'impose : nous utiliserons le terme Somali pour indiquer l'ensemble des personnes qui parlent le somali ou les dialectes somalis en Somalie, et dans les régions limitrophes en Ethiopie, au Kenya et 4 Djibouti. Quand nous nous référons aux habitants de la Somalie, nous utiliserons le qualificatif somalien, Selon Ja nomenclature des ethnologues européens, les Somalis appartiennent aux peuples communément appelés couchitiques ou hamitiques - ces termes tirés de la Bible comprennent les anciens Egyptiens, les peuplades longeant le littoral de la Mer rouge a partir du Soudan moderne jusqu’en Erythrée, la grande majorité des Ethiopiens, les Djiboutiens et les Somaliens. I serait plus approprié d'employer pour ces populations un autre vocable comme par exemple éthiopique ou égypto-éthiopique, ceci pour des raisons géographiques et historiques évidentes. Qu'il soit dit aussi au passage, que les Somalis, ainsi que les autres peuples hamitiques ou éthiopiques, selon notre terme, ont beaucoup en commun avec les anciens Egyptiens. D'abord l'apparence physique, déja remarquée, en son temps, par le comte F. Volney dans son "Voyages en Syrie et en Egypte". Deuxiéme point, la langue : le somali comporte des similitudes tant au niveau du vocabulaire qu'au niveau de la grammaire avec l'ancien égyptien. A ce titre, il faut signaler que Ra ("‘dieu-soleil" en égyptien - se prononce rah) reste en langue somalie dans le terme qorrax (composé de gor : le cou et rah : soleil) ; ce qui veut dire le cou du dieu-soleil. Le Ka de l'égyptien (l'@me ; probablement kah) est également présent en somali et veut dire émanation ou radiation. Le Nil était hibo (écrit par les occidentaux comme hipo) qui voulait dire don divin ; justement en somali, le terme hibo veut dire bénédiction, cadeau des dieux. La désignation neter pour diverses divinités a son 2 paralléle dans le mot nidar, encore utilisé par les Somalis pourtant musulmans pour désigner une divinité justiciére. Nidar baa ku heli ; /e nidar te trouvera pour te punir, disent les Somalis. Le terme ba (probablement bah) désignait en égyptien non seulement ce qui s'en allait du corps d'un défunt - l'ame- mais toutes les particularités de quelqu'un ; en somali le méme mot bah désigne tout ce qui concerne I'dme et le caractére de quelqu'un ; la phrase bahdii baa laga qaaday (bah-le, particule indicatrice, on-d, arrachait) signifie que quelqu'un ne veut plus rien - qu'il n'a plus de bah - plus d'ame. En outre, la divinité de Ja lune ayah existe en somali sous la forme dayah : lune, et horus, le dieu-oiseau, si présent dans les tombes égyptiennes, éyoque cet oiseau que nous appelons huur, Je grand marabout, annonciateur de la mort selon les mythes somalis. Pour la grammaire, mentionnons l'utilisation de la particule d'interrogation ma, la formation des pluriels, et la particule indicatrice wa qui sont les mémes dans les deux langues. En ce qui concerne les similitudes culturelles entre les deux peuples citons, en dehors de I'habit et de la coiffure, l'art de rouler avec le doigt un baton lors des fétes ; la pratique d'éparpiller des grains de sorgho sautés aux alentours et a l'intérieur de la maison pour éloigner les esprits malins ou pour assouvir les divinités du foyer avec de I'encens ; la pratique de l'excision dite pharaonique ; la danse dite saar ou zaar dont Texistence en Egypte ancienne est signalée par la pierre de Rosette. En plus, Isis (la déesse) que les Egyptiens appelaient au situ et Osiris (le dieu) ne sont que les dieux couchitiques Ay Situ (parfois appelé abaayo sito) (mére Situ) et Aw Saar (pére Saar). A cet égard, il est intéressant de rappeler, ne serait-ce que briévement, que” les femmes somaliennes enceintes donnent toujours des offrandes 4 la déesse Ay Situ pour qu'elle facilite leur accouchement. Evidemment, ce ne sont 14 que quelques aspects parmi d'autres. 13 O Le vocable "somali" : son apparition et ses racines sémantico-historiques Ce mot n'a pas été catalogué au moment de son apparition, comme c'est souvent le cas pour les termes relatifs 4 des nations ou des pays. C'est pourquoi les diverses tentatives d'en trouver le sens primitif ne sont pas convaincantes : 1 le terme serait composé de deux mots somalis : soo (aller) et maal (traire). Somali viendrait de soumahé, un mot qui veut dire mécréant en pays amhara du haut plateau, chrétien copte de longue date. Je mot serait une transformation de samalé, ]'ancétre légendaire des clans pastoraux. La troisiéme hypothése semble étre de loin 1a meilleure. La plus vieille apparition de ce mot a été trouvée dans une chanson composée pour célébrer en 1415 les victoires du négus Yeshaq sur les musulmans du sultanat d'Ifat 4 Zeila, premiére puissance musulmane a s'opposer aux coptes. Les documents historiques ne font pas mention de la présence d'un peuple appelé somali avant le 1Se siécle. Aprés cette date, le mot est courant dans les écrits des voyageurs et des chroniqueurs. Mais la terre, elle, a été habitée depuis Lucy, cette ancétre de l'esp¢ce humaine, vieille de 3 500 000 ans, dont on a trouvé les vestiges au pays des Afars, en Ethiopie voisine. L'histoire des Couchitiques n'est pas bien connue mais il est a penser que depuis I'occupation de I'ancienne Egypte par les Asiatiques et méme avant, les Couchitiques nomades ont entrepris une migration millénaire vers le sud au fur et 4 mesure des invasions asiatiques et mais aussi du rythme de la désertification. O Un peuple qui n'a rien oublié, a son insu Toutes les religions, tendances et idéologies sont passées par ici, et chacune a laissé derriére elle des traces dans la culture les coutumes et la langue : il suffit de gratter les surfaces culturelles et linguistiques pour les redécouvrir. A commencer les liens avec les anciens Egyptiens, déjd mentionnés. Du judaisme, notons la caste des Yibir (de racine probablement hébraique - ibran qui se traduit en francais par hébreu) soupconnée de sorcellerie et du vol des nouveau-nés si on ne leur donne pas des samayo,(des gages) ; rappelons aussi l'existence du clan appelé reer Musé (gens de Moise). De plus on divise la société entre aji (gentil) et midgo (pas gentil et donc de basse caste) ; le passage du christianisme est marqué par la croix que certains habitants d'Au Barkhadle, une petite localité prés de Ja ville d'Hargeisa au nord, pourtant fervents musulmans , se peignent sur le front pour commémorer l'un des premiers wadaad (prétre) du pays - Cheikh Yussuf Al-Kownin. Cette pratique existe aujourd'hui chez les chrétiens coptes en Ethiopie. A ce propos, Burton raconte que, lors de son voyage chez les Somalis en 1854, certains Somalis marquaient par une croix les tombes de leurs défunts. Plus loin encore, la vieille religion des Perses est présente par le mot, neyruus, et le rite qui l'accompagne appelé dabshid (allumage du feu), fait pour marquer le commencement de la nouvelle année somalie. Quant au socialisme, il a laissé derritre lui des mots comme iskashato (coopérative), hantiwadaag (littéralement : partage des biens - socialisme), hantigoosad (biens-a part. - capitalisme) et burjuwaasi (bourgeois). Bref, ce coin du monde a brassé toutes les cultures des plus anciennes aux plus modernes. O L'exotisme et les Somalis De nos jours, c'est le privilége des auteurs et des journalistes occidentaux d'écrire 4 propos des autres peuples surtout non occidentaux. Malheureusement, souvent, et surtout dans les i 15 ouvrages de type populaire, la rigueur y fait défaut tant la tentation est grande de présenter quelque chose d'exotique aux lecteurs. On a tous lu de ces livres d'aventures ou d'évasion, qui ne sont, en fait, que des versions littéraires des B.D. En ce qui concerne les Somalis, on nous a souvent accusé d'avoir le tempérament trop guerrier, et d'étre portés a cultiver a la fois l'art de la poésie et celui de la razzia. Toutefois, il faut se rappeler que les guerres ont été toujours l'exception, que tout peuple aspire a la paix et qu'il n'existe nulle part un peuple qui voue sa vie 4 la guerre sauf dans les contes, bien sfir. On nous a accusés aussi d'avoir un sens plut6t aigu de la fatalité que certains attribuent a l'effet de l'écologie désertique qui rend, il faut le dire, 1a vie difficile et aléatoire, car I'absence d'une pluie peut étre catastrophique tant pour les humains que pour les bétes. Mais enfin, Ja fatalité n'est guére I'apanage des Somalis ou des musulmans, elle est méme prévue dans les polices d'assurance, c'est le cas de force majeure. OQ) Les ethnies en Somalie Les cahiers des voyageurs des 19e et 20e siécles sont pleins dhistoires de ces nomades fiers et farouches qui habitent les campagnes semi-désertiques du nord-est africain ; mais il n'y avait pas que des nomades : il y avait aussi des communautés de pécheurs-marins dont les nakhuudas, capitaines des sambouks ou doonis, sillonnaient I'Océan indien et la Mer rouge ; il y avait aussi des cultivateurs, et des gens de métiers traditionnels, des citadins des villes millénaires comme Zeila, Berbera dans le nord et Mogadiscio, Merca et Brava dans le sud. © Les clans pastoraux Une grande partie de la population d'origine nomade fait remonter sa descendance 4 un ancétre commun du nom de Samalé. Bien qu'une majorité des Samalés ait toujours mené une vie pastorale, il y a toujours eu des Samalés citadins et 16 sédentarisés ; il y a longtemps que des clans d'origine samalé se sont installés au sud, se sont sédentarisés et sont devenus des cultivateurs comme leurs hétes bantous. Ceux-la ne sont plus culturellement samalés. Les Samalés, qui vivent toujours principalement de I'élevage, se divisent en trois grandes confédérations : les Issacs, les Hawiyés, les Darods. Les Rahanweins constituent le plus grand clan d'origine samalé qui pratique l'agriculture. Mais qu'ils soient culturellement pasteurs ou cultivateurs, une grande majorité de la population est de descendance samalé. L'arbre généalogique des Samalés est souvent sujet de controverses et il n'y pas de consensus sur le nombre de ses branches et l'appartenance ou non de certains clans soit a la racine samalé soit 4 ses branches. La présentation que nous donnons ici ne compte que pour les principaux clans. Les Rahanweins, pourtant un grand clan, ne sont pas inclus dans l'arbre, non pas qu'ils ne soient pas d'origine samalé mais simplement parce que leur confédération se compose de sous-clans qui n'ont pas d'ascendance commune. Di'ailleurs, Rahanwein est composé de raxan (groupe) et weyn (grand). Les Issacs disent quiils se situent en dehors des Dirs et rattachent leur descendance a Ja branche Irir ou méme parfois a l'extérieur de la lignée samalé tandis que les autres les considérent d'abord comme des Dirs descendants de Samalés. Certains mettent les Darods a l'extérieur de la généalogie des Samalés, ce qui leur attribue une origine non samalé. Bien que les enfants des pasteurs aient pour premiére legon la mémorisation de l'arbre généalogique et que certains peuvent réciter sans hésitation le chapelet des prénoms de leurs péres jusqu'a 25 générations, la généalogie 4 base orale se rapproche plus d'une lignée légendaire que d'un registre paroissial. De plus, il est certain que la pratique d'embellissement du patronyme, comme c'est le cas en France pour les patronymes nobiliaires, n'est pas chose inconnue chez les Somalis et des clans se sont enrichis par I'adoption de généalogies soit existantes soit inventées de toutes piéces. L'arbre généalogique d'un Samalé est considéré avec le méme attachement émotif qu'un patronyme 17 noble en France ou la lignée des Ecossais et des tribus nomades de I'Arabie. Qolo, reer, ou qabiil (mot arabe qui veut dire clan) sont des mots qui indiquent n'importe quelle branche de I'arbre. Mais le mot jilib (littéralement : genou) ne se référe qu'a une sous-branche ou sous-clan. Les longues lignées sont appelées laan dheer (laan : branche ; dheer : longue), source de chauvinisme, et les courtes lignées sont appelées laan gaaban (courtes branches). A la campagne, un pasteur peut demander a un autre pasteur qu'il ne connait pas et qu'il rencontre sur son chemin : golo maad tahay? (Quel est votre clan?). Mais en ville, au sein surtout des élites, il est mal vu de dire cela, et on se contente des noms et des coordonnées de la personne ou de l'équivalence de la phrase : vous faites quoi dans la vie? maxaa ad ka shaqaysaa? Pourtant loin des villes, le renseignement sur l’origine clanique d'une personne sert avant tout a régler le probléme de I'identité de la personne un peu comme la carte diidentité ou I'adresse domiciliaire d'une personne en France. La logique derriére tout cela est de repérer les malfaiteurs qui s'infiltrent dans le territoire du clan, de protéger les voyageurs qui y transitent, et enfin de tisser des relations avec d'autres personnes qui habitent dans un autre coin de l'immense espace désertique. Du point de vue historique et social, le systéme du clan n'a rien de nuisible en lui-méme mais il devient une idéologie néfaste quand il est extrapolé a la politique par des démagogues peu scrupuleux a la recherche des votes ou du soutien populaire. © Les minorités linguistiques et ethniques Il est vrai que la Somalie est loin de la mosaique de peuples qu'est l'Ethiopie ; mais en méme temps, I'homogénéité, propagée avec une ferveur dogmatique d'abord par les nationalistes somalis et par le pouvoir central somalien depuis l'indépendance, n'a pas de fondement dans la réalité : la Somalie a sa propre mosaique de peuples, de langues et de cultures qui ont souvent souffert de l'effet centralisateur du nationalisme chauvin des 18 Samalés d'origine pastorale. Bref, on avait fini par croire que tous les Somaliens étaient d'origine pastorale et Samalé. Il est évident qu'on avait trop romancé les pasteurs chameliers, guerriers et poétes aux dépens de cultivateurs travailleurs et patients, de pécheurs-marins qui jadis 6écumaient les quatre coins de l'Océan indien, la Mer rouge et le Golfe arabo-persique, de gens de métiers différents fort compétents comme ces tisserands qui fabriquent manuellement des ‘tissus en coton, notamment l'allendi, dont la texture égale le fameux tissu kente de l'Afrique de l'Ouest, les travailleurs de métaux, de bois, de cuir qui ont fait les splendeurs des villes-Etats et des sultanats d'antan. = Les Rahanweins Les Rahanweins constituent la plus grande minorité ; ils habitent la grande région appelée Haute Juba mais également la majeure partie du sud-ouest somalien. Leur plus grande ville est Baidoa a quelque deux cents kilométres 4 l'ouest de Mogadiscio. Les Rahanweins sont aussi connus comme Digil et Mirifle, d'aprés leur division majeure en sous-clans, ou May, d'aprés leur langue. A Yorigine, les Rahanweins étaient des Samalés qui pratiquaient le nomadisme. Les premiers Rahanweins comprenaient des pasteurs de différents clans et sous-clans qui se sont regroupés pour les besoins de conquéte et la recherche de nouveaux paturages. Ils se sont installés dans la région interfluviale il y a probablement quatre siécles. Mais depuis, ils sont devenus cultivateurs sédentaires en adoptant la culture et le mode de vie des habitants originels. Mais quelles que soient leurs origines, les Rahanweins sont une minorité par le fait de leur langue, le may. Le may a été classé comme un dialecte du somali. Mais 4 tort. Bien sir, le somali a ses dialectes, mais le may n’‘en constitue pas un parce qu'il dépasse largement le seuil de compréhensibilité entre deux dialectes de méme origine. Il est vrai qu'on a affaire ici 4 un probléme subjectif tant cette question suscite des réponses différentes en fonction des connaissances, des personnes interrogées, du dialecte ou de la langue en question. Disons tout simplement que, pour un individu somali, qui n'a pas été exposé au may, cette langue lui paraft étrangére. 19 Le probléme se pose autrement pour les Rahanweins car ils sont exposés quotidiennement au somali commun par le biais des médias, notamment la radio, les journaux, le systéme éducatif et administratif. = Les Jidos Les Jidos sont une minorité probablement d'origine autre que samalé. Ils constituent aussi une minorité linguistique car leur Jangue est incompréhensible pour les Samalés et pour les Rahanweins au sein desquels ils habitent. Leur langue n'a pas été définitivement classée ; mais elle se rattacherait probablement au groupe des langues dites est-couchitiques. Is pratiquent l'agriculture. = Les Barawanis ou Amaranis Les Barawanis, appelés aussi Amaranis, sont un peuple qui habite pour I'essentiel, comme le laisse soupgonner leur nom, la ville cétiére de Barawé (Brava sur certaines cartes) située au sud de Merca, elle-méme située au sud de Mogadiscio. Ils sont a la fois une minorité ethnique et linguistique. Leurs origines ethniques sont controversées. La plupart des Somalis attribue leur descendance a des Portugais naufragés au 16e siécle. Mais il n'y a nulle source, méme faible, qui I'atteste - ni prénoms, ni coutumes, ni légendes populaires de forme ibérique ou latine. La vérité est 4 rechercher du cété des peuplades swahilies, aux origines bantoues, hamitiques, arabes et perses dont jadis les villes-Etats étaient situées tout au long des cétes est-africaines avant I'incursion des Portugais dans la région au 16e siécle. Les Barawanis parlent un dialecte swahili apparenté aux parlers swahilis des cétes kenyanes. Traditionnellement, ils sont actifs dans l'artisanat tel que la fabrication de chaussures, la confection de vétements, etc. mais aussi dans l'industrie de la péche, le petit commerce et les transports maritimes 4 bord des boutres traditionnels, les sambouks. 20 = Les Bajunis Les Bajunis sont un peuple apparenté linguistiquement aux Barawanis, parce qu'ils parlent aussi un dialecte swahili, mais aussi ethniquement, parce que leurs origines sont aussi vari¢es. Certains ont cru voir dans leur culture des traits indonésiens. Mais il est bien connu que les peuples africains du littoral faisaient du commerce, avant I'arrivée des Portugais et des Européens dans la région, avec les pays asiatiques tels que I'Indonésie, la Malaisie, I'TInde et probablement avec la Chine indirectement. L'origine des Bajunis est swahilie, c'est-a-dire bantoue, comme leur langue. Jadis le pays bajuni était plus grand et couvrait toute la zone cétiére de la ville de Kismayou. Mais, avec l'incursion des Samalés, depuis que la Grande Bretagne eut cédé en 1925 a I'italie la région de Kismayou, leur territoire s'est réduit. Ils sont devenus, dans les années 60, minoritaires 4 Kismayou dont ils étaient les fondateurs, concentrés dans les minuscules jles bajunies et quelques villages cétiers. Depuis leur nombre a baissé d'une fagon considérable, d'abord par I'émigration vers les zones swahilophones du Kenya et ensuite par le déplacement forcé dans les années 70 vers~l'arritre-pays effectué par le gouvernement de Siad Barre, qui les soupgonnait de pratiquer la contrebande maritime. v7 Les Bajunis pratiquent traditionnellement les métiers de la mer tels que la péche artisanale et les transports maritimes ; jadis leur sambouks sillonnaient les mers de la région. = Les Bénadiris Les Bénadiris sont les habitants de la région cétitre dite Bénadir. Cela comprend la ville de Mogadiscio et les alentours jusqu'a la ville de Merca plus au sud. A Mogadiscio, les Bénadiris ne sont plus une majorité mais au contraire une petite minorité calée entre le centre ville et la mer ; leurs quartiers principaux sont Hamarweyne et Shangani. Les Bénadiris ont des origines bantoues, arabes et perses. Ils parlent cependant un dialecte somali, le bénadiri, parfois dit le somali du littoral. 21 Traditionnellement, ils pratiquent la péche, le commerce et divers métiers tels que la cordonnerie, la confection des vétements et la bijouterie, entre autres. ® Les Ougoshas Ougosha est un nom générique pour les peuples qui longent la tiviére Shabellé et le fleuve Juba. Ils sont d'origine bantoue. Ougosho veut dire gens du pays marécageux. Ils sont aussi connus comme les Baarfuuls, les cultivateurs de palmiers, parce qu'ils sont les seuls, souvent, 4 connaitre la culture des palmiers tels que les cocotiers. La majorité des Ougoshas parlent soit le may, soit le dialecte du somali appelé bénadiri selon leur localisation. Cependant une minorité d'entre eux parle un dialecte bantou qui n'est pas clairement identifié 4 l'une des langues bantoues. Les Ougosha sont des autochtones dans le sud ; par contre, tous Jes groupes d'origine samalé sont des descendants de nomades arrivés sur les lieux au cours des quatre derniers siécles. Sur ce point il est intéressant de rappeler qu'aucun des groupes d'origine samalé ne réclame avoir les tombes de leurs ancétres éponymes dans les régions fluviales. L'histoire orale des Ougoshas parle de l'existence d'un royaume puissant qui s‘appelait Shungwaya avant l'arrivée des peuples "aux minces doigts", comme ils appellent les Samalés ; ils parlent aussi de l'existence de deux ethnies dans la région - les Shash gaab (les petites gens - des pygmées ?) et les Shash dheer (les grandes gens). Traditionnellement, les Ougosha vivent de l'agriculture et de la péche, surtout fluviale. Mais aujourd'hui, 4 Mogadiscio et dans les autres villes du sud, ils pratiquent les métiers de la construction, la menuiserie et la mécanique. = Les Eiles Les Eiles sont aussi un peuple autochtone du sud-ouest de la Somalie ; ils sont probablement les plus anciens occupants de ces régions ; mais c'est un peuple en voie de disparition soit a cause des guerres civiles soit 4 cause de l'assimilation. Par 22 l'apparence, les Eiles présentent des similitudes avec les Bochimen de l'Afrique du sud. Eile veut dire propriétaire de chiens parce qu'ils poss¢dent des chiens qu'ils utilisent pour la chasse, une tradition inconnue chez les Samalés pasteurs, qui n'avaient pas besoin de chasser compte tenu de leurs nombreux troupeaux. Jadis, le peuple Eiles habitait une grande partie du sud-ouest ; mais aujourd'hui, on les trouve dans un espace réduit entre la ville de Baidoa et la ville de Burakaba, autour du Mont Eile. De nos jours, les Eiles qui immigrent dans les villes trouvent souvent des emplois dans les boucheries. Ils parlent la langue may ou un des dialectes somalis selon leur présence géographique. = Les castes Un syst@me de castes existait jadis chez les pasteurs et existe encore faiblement. Mais il faut signaler que ce systéme n'a rien a voir avec les castes de ]'Inde. II s'agit ici, comme d'ailleurs dans le Sahel, d'une hiérarchisation clanique qui s'approche plutét des pratiques moyendgeuses en Europe. Traditionnellement, chez les pasteurs, les clans étaient divisés en deux : les Gobs (littéralement : le haut de l'arbre) et le Guns (le bas de l'arbre). Les premiers constituaient la classe guerriére et les seconds la classe ouvriére dans la mesure oi ils travaillaient le métal, le cuir ou pratiquaient de menus travaux manuels. Généralement, les Guns avaient des contrats de protection avec un clan guerrier sans lui étre pourtant inféodés complétement. I s'agissait plut6t de relations de clientéle et de symbiose : le clan puissant garantissait la sécurité du clan gun, qui lui fournissait en retour des services rémunérés et, lors des guerres, des contingents armés. Précisons que cette coutume est en voie de disparition sous l'impact de I'urbanisation et de la scolarisation accrus. Les membres du groupe gob peuvent appartenir 4 tous les grands clans, tandis que les Guns, appartiennent 4 des clans samalés minoritaires, ce qui explique peut-étre l'origine de ce phénoméne. Il y a, bien sGr, d'autres clans minoritaires mais qui ne sont pas de la caste des Guns. EE La légende somalienne concernant les castes n'est guére différente de celle qui existe au Sahel. L'ancétre des Guns aurait été un noble gob qui, au cours d'une terrible sécheresse, dut manger de la charogne. Ses fréres lui imposérent, ainsi qu'a sa progéniture, de s'occuper des travaux manuels et de ne point se marier avec la progéniture de ceux qui ne se sont point souillés. Il est possible que cette pratique, comme nous l'avons déja signalé, ait été établie par le biais de conquétes - les ancétres des Guns furent vaincus par les ancétres des Gobs, et de ce rapport dinégalité naquit la légende citée plus haut. Il est 4 penser aussi que les clans guns pratiquaient une religion différente de celle de Ja majorité. Nous penchons pour cette hypothése parce que : 1) on soupgonne les clans guns de sorcellerie ; 2) ils pratiquent, en fait, un culte de la peur et de chamanisme sur les Gobs. Ainsi, dans la tradition, aprés toute naissance, surtout d'un garcon, et aprés tout mariage, il faut acquérir leur bénédiction en leur offrant un cadeau. Celui qui se présente pour Je cadeau est appelé caadoqaate (littéralement : percepteur de coutume). Loffrande est appelée samayo (same : le bien). En échange de ce cadeau, le caadoqaate délivre une amulette que l'enfant doit porter. I est intéressant de noter ici que les amulettes contre les malédictions s'appelaient déja, sous les anciens Egyptiens, sema. Une autre légende raconte que quand le prétre, Yussuf Al-Kownin, connu populairement comme Aw-Bardhale (le pére qui apporte la bénédiction), arriva pour convertir des fidéles & l'islam chez les Somalis dans le nord actuel, il dut affronter le prétre de la religion de I'époque (la légende ne dit pas de quelle religion qu'il s‘agissait) du nom de Bucur Bacayr (Bu'ur Ba'ayr). Celui-ci, pour en finir avec son concurrent, lui langa un défi pour déterminer qui d'entre eux avait plus de puissance magique. Il lui dit : "si vous avez vraiment des puissances magiques, entrez a lintérieur de cette montagne et puis sortez en." Aw-Barkhadle ne sachant pas quoi faire de mieux partit vers la montagne ; mais la montagne par la grace d'Allah lui ouvrit une porte dans son milieu ; il y entra et sortit de l'autre versant sain et sauf. A son retour, il demanda 4 Bucur Bacayr de relever le défi. La montagne lui ouvrit, 4 son tour, une porte dans son milieu puis 24 se renferma sur lui. Ainsi mourut Bucur Bacayr, et avec lui, la vieille religion. Ses adeptes se convertirent aussit6t 4 la nouvelle religion. Mais I'histoire ne se termine pas 14 : comme c'est la coutume chez les Somalis, les parents de Bucur Bacayr réclamérent le prix du sang pour sa perte. Aw-Bardhadle, heureux de sa bonne chance, leur demanda s'ils voulaient une compensation unique ou par versements égaux ; 4 quoi ils répondirent qu'ils se contenteraient d'une taxe sur chaque naissance et chaque mariage. Aw-Barkhadle le leur accorda. Ainsi, 4 la naissance d'un gargon et 4 chaque mariage, le caadoqaate, membre du clan des Yibirs, l'un des clans guns, se présente, chante la gloire du pére ou des mariés, sur quoi il doit étre amplement récompensé a défaut de s'attirer une malédiction. De cette belle légende, il ressort que les Yibirs étaient 4 une époque révolue soit un clan de prétres d'une religion disparue, soit un clan puissant qui aurait pu imposer des contraintes aux nouveaux immigrants. Les Yibirs appartiennent au clan appelé Reer Musé (famille de Moise). Rappelons aussi que le mot Yibir ressemble au mot Ibran (hébraique). Il se peut donc que les Reer Musé aient pratiqué jadis le judaisme, comme les Falashas du haut plateau éthiopien, 4 un moment oi le reste de 1a population avait déja adopté d'autres religions comme le christianisme et l'islam. Is l'auraient perdu parce que le littoral constituait précisément une porte d'entrée pour toutes les nouvelles tendances ; par contre les Falashas ont gardé leur foi gréce a leur isolement dans les hautes montagnes. Les Guns comprennent les clans suivants : 1 Les Midgans, dont les occupations sont traditionnellement diverses. 2 Les Toumals (littéralement : batteurs de fer), forgerons de métier. 3. Les Yibirs, qui pratiquent la médecine traditionnelle et jadis la chirurgie traditionnelle comprenant notamment la circoncision et des pratiques plus compliquées comme l'extraction délicate de morceaux d'os du crane aprés une fracture. 25 14es. av. J.-C. 2e s. av. J.-C. ler-Te s. Vers 570 10e-17e s. 1331 1415 l6e s. 1518 1800-1870 26 L'HISTOIRE Chronologie : Expéditions égyptiennes en Pount. Le judaisme fait son apparition en Ethiopie. Royaume d'Axoum. Le christianisme copte se répand remplagant le judaisme et les religions autochtones. Naissance du Prophéte Mahomet, défaite des axoumites, "gens de I'éléphant", en Arabie ; commencement du déclin d'Axoum. L'Islam commence a se répandre en terre éthiopienne 4 partir du littoral par les contacts pacifiques et commerciaux. Le sultanat musulman appelé Ifat, puis Aoudal 4 Zeila sur le littoral du nord. Les habitants des basses terres désertiques et du littoral sont en majorit€é musulmans. Ibn Batuta, le voyageur maghrébin, visite Zeila au nord, et Mogadiscio au sud. Le Négus Yeshagq, roi d'Abyssinie, envahit Ifat, défait les armées musulmanes, met a sac leur capitale, Zeila, et exécute le sultan, Sa'ad ad-Din. Premiére trace écrite du somali trouvée dans une chanson en I'honneur de la victoire du Négus Yeshagq sur les Somalis. Grande migration des pasteurs Samalés vers le sud. Les Ajuuraan contrdlent la majeure partie du littoral sud. Berbera et Zeila saccagés par les Portugais. Début du déclin des villes-Etats du littoral. Les yoyageurs européens, éclaireurs de T'occupation coloniale, sillonnent Ja région. l'Anglais Richard Burton débarque a Zeila en 1884 1896 1900-20 1921 Vers 1930 1935 1940 1941 1854 et se rend au sultanat de Harar. Le Francais G. Révoil débarque, plus a I'est et visite la vallée de Daroor. Partage de l'Afrique par les pouvoirs européens 4 Berlin. Les Européens arrachent, qui par la paix (Britanniques), qui par la répression (italiens) le littoral aux dépens de Menelik, empereur d'Ethiopie, déterminé a rassembler les peuples éthiopiques. Menelik II défait les armées italiennes 4 Adoua et suspend le réve italien de conquérir toute YEthiopie. Guerre dirigée par Mohamed Abdullah Hassanle, "le prétre fou" de l'arriére-pays, opposant les Somalis du littoral, plus ouverts sur le monde aux clans de l'arritre-pays, plus sensibles aux préches du "prétre fou" contre linfidéle, le colon européen. De terribles guerres claniques sévissent pendant cette période. Défaite du "prétre fou" par les clans du littoral du nord. Forte émigration vers le sud des clans qui soutenaient le "“prétre fou", fuyant la vengeance des vainqueurs. Mort du “prétre fou" et fin des guerres claniques dans I'arriére-pays, calé entre la frontiére de l'empire éthiopien et la possession britannique au nord. Eveil du nationalisme somali dans le nord. LEthiopie est occupée par les armées de Mussolini. Les Italiens occupent le Somaliland britannique, mettant ainsi sous leur autorité toute la Corne de l'Afrique. Défaite des Italiens dans la Corne de l'Afrique ; les soldats d'origine somalie recrutés dans la Somalie italienne, les "bandos", pillent et tuent sur leur chemin de retour au sud non seulement 1960 1964 1967 1969 1974 - 1975 28 dans le nord du pays, mais également en Ethiopie. Fondation de la République de Somalie par Tunion de l'ex-Somaliland britannique et Tex-Somalie _italienne. La capitale est Mogadiscio, le Président : Aden Abdulle Osman. Naissance d'un fort mouvement irrédentiste visant 4 mettre tous les somalophones sous un seul Etat. Politique extérieure dominée par le courant irrédentiste et xénophobe. Premiére guerre avec l'Ethiopie sur la question de la frontiére. Changement de la politique extérieure d'une tendance belliqueuse et irrédentiste a une politique de détente et de coopération économique avec les voisins. Le couple Abdirashid Ali Sharmake (président) et Mohamed Ibrahim Egal (premier ministre) dirige le pays. Malgré une démocratie chaotique, l'économie de paix apporte une belle époque. Assassinat du président Sharmarke ; coup d'état du général Siad Barre le 21 octobre ; arrestation du premier ministre Egal ainsi que des membres de son gouvernement ; suspension du parlement, de la constitution, et du droit d'habeas corpus. La dictature clanique s'installe sous une couverture de socialisme égalitaire et fraternel. Retour fulgurant a l'irrédentisme. Alignement du pays sur l'URSS et le camp socialiste. L'usage du port de Berbera est cédé a la marine soviétique. Terrible sécheresse dans le centre et le nord-est ; des milliers de personnes meurent de la famine. Les efforts massifs des Somaliens et l'aide internationale permettent cependant d'éviter le pire. Des milliers de nomades sans cheptel sont 1977 1978 1981 1988 1989 déplacés vers le sud pour en faire des cultivateurs et des pécheurs. Deuxiéme guerre irrédentiste avec I'Ethiopie ; grand succés de I'armée somalienne sur l'armée éthiopienne affaiblie par la guerre civile en Erythrée. Siad Barre change de camp en rompant avec les Soviétiques, qui ont pris en charge le régime de Mengistu en Ethiopie. Défaite de l'armée somalienne en Ethiopie somalophone par les Ethiopiens épaulés par des contingents cubains et sud-yéménites sous Tencadrement de généraux _soviétiques. Commencement du durcissement du régime et accentuation de son caractére clanique. Fondation ‘du MNS (Mouvement National Somalien) et début de la résistance dans le nord, suivi par une terrible répression de la part du régime. Traité de paix entre Siad Barre et Mengistu visant 4 éliminer les mouvements que l'un et l'autre aidaient de part et d'autre de la frontiére. En mai, le MNS lance ses troupes contre les garnisons du régime dans tout le nord, prenant toutes les villes majeures a l'exception de la ville portuaire de Berbera, louée cette fois aux Américains. La contre-attaque du régime est terrible : les villes sont rasées par les bombardements intenses de I'aviation ; les civils sont tués a vue ; la population entitre du nord fuit vers la frontiére éthiopienne ; le bilan est lourd - plus de 50 000 morts en I'espace d'un mois. La rébellion atteint le sud en raison de la guerre au nord qui s'enlise et pour laquelle les jeunes du sud sont devenus une véritable chair 4 canon. L'étendue de I'autorité du gouvernement se réduit 2D 1991 1992 1993 30 peu a peu au périmétre de la capitale, Mogadiscio. Le 27 janvier, le palais présidentiel est pris d'assaut par la foule, 4 la maniére de la prise de la Bastille ; Siad Barre s'enfuit, 4 bord d'un char, en compagnie du reste de sa garde présidentielle, les terribles bérets rouges. Désaccords entre les Hawiyés, le clan qui avait chassé Siad Barre de Mogadiscio, sur le choix du président intérimaire, Ali Mahdi. La guerre urbaine éclate 4 Mogadiscio entre les partisans d'Ali Mahdi et le général Aidid. Entre temps, Siad Barre tente de reprendre la capitale sans succés a partir de son nouveau siége a Baidoa, a I'ouest de Mogadiscio. La famine sévit dans le sud, surtout dans la région de Baidoa, théatre d'affrontements sanglants entre les partisans de Siad Barre et la milice du général Aidid, venu a la rescousse de la milice des Rahanweins, cultivateurs natifs de Baidoa. Siad Barre est chassé hors de Somalie par les troupes du général Aidid. En décembre, début de l'intervention américaine en Somalie (opération "Rendre l'espoir") afin de venir en aide aux populations sinistrées. par la guerre civile et son cortége de famine ; les Marines débarquent & Mogadiscio ; importante participation frangaise en compagnie de plusieurs autres pays. En mai, l'opération "Rendre l'espoir" est terminée et la mission est transférée 4 I'ONU sous le nom d‘Onusom. Début de I'affrontement entre les troupes de l'Onusom et les partisans du général Aidid, qui contestent l'impartialité de I'Onusom, et surtout de ses dirigeants américains en Somalie. Le 3 octobre, affrontement sanglant entre les milices du général Aidid et les troupes américaines en Somalie, les Rangers ; bilan : 18 tués et plus de 70 blessés du c6té américain ; des centaines de morts et de blessés du cété somalien. 1995 Mars, fin de l'‘Onusom en Somalie pour cause d'échec de sa politique et absence de réconciliation entre les factions somaliennes. O L‘histoire ancienne Le territoire qui s'appelle aujourd'hui la Somalie, ou parfois la Péninsule des Somalis, n'a pas toujours porté ce nom. Au temps des anciens Egyptiens, on I'appelait le Pount, ce qui voulait dire "le pays des Dieux" parce que cette terre produisait cet encens béni par les dieux, et utilisé dans les rites égyptiens d'hier, comme aujourd'hui encore dans les cultes des trois grandes religions issues du Moyen-Orient, si proches de ce cOté de l'Afrique. Parmi les expéditions égyptiennes, figure celle envoyée par la reine Hatshepsout au 14e siécle avant J.-C.. L'histoire de cette expédition est racontée par une fresque du temple thébain de Deir-el-Bahari. I] est important de mentionner que les personnages qui figurent dans cette fresque, que ce soit du c6té égyptien ou du cété des gens du Pount, ont une ressemblance frappante avec le mode vestimentaire et la coiffure traditionnelle des pasteurs couchitiques'. Il faut préciser ici qu'il ne s'agit 1a que du littoral du Golfe d'Aden et de la Mer rouge. Les Grecs et les Romains sont a leur tour passés ici pour faire du commerce. Pour les Romains le pays s'appelait alors soit "le pays des aromates" (Le périple de la mer Erythrée, oeuvre anonyme) soit “Terra Incognita”. Ce n'est que plus tard avec l'apparition des Somalis que le pays sera connu sous le nom de son peuple. Entre ce lointain passé et ‘Nous utiliserons les termes Somali, et somali quand nous faisons référence soit a l'ensemble des somalophones qu'on trouve en Ethiopie, au Kenya, au Djibouti, et en Somalie soit 4 la langue du groupe élargi ; nous utiliserons les termes somalien et somalienne quand s'agit de 1a République de Somalie. 31 T'avénement de I'islam, ce pays faisait partie des royaumes qui se sont établis et éteints l'un aprés l'autre de Méroé, au Soudan actuel, 4 Axoum. Le royaume d'Axoum atteignit son apogée au Se siécle av. J.-C. et son autorité s'étendait de l'autre c6té de la Mer rouge en terre arabe. Il faut aussi mentionner ici la dynastie des Zagwés, hérititre d'Axoum. L'origine de Méroé et d'Axoum était couchitique et africaine, comme celle de l'Egypte ancienne d'ailleurs, contrairement aux hypothéses d'origines situées en dehors de l'Afrique. Enfin les Arabes ont connu cette contrée sous le nom de "pays des Berbéres", appellation dont porte toujours la trace la ville c6titre de Berbera sur le Golfe d'Aden. De tout temps, depuis les anciens Egyptiens jusqu'a notre ére, cette terre en bordure du grand plateau éthiopien a attiré les voyageurs et aventuriers de diverses origines. Parmi les plus célébres on trouve Ibn Battuta au 14e siécle, le Maghrébin qui est allé jusqu'a Mogadiscio dans le sud ; plus récemment, il faut mentionner Rimbaud, le Frangais, et Richard Burton, l'Anglais arabisant qui s'étonnait de ce que les Somalis croyaient que les moustiques étaient porteurs du paludisme alors qu'en Europe on savait bien que la cause de la maladie étaient les miasmes des marécages. Un fait a retenir, quoi que disent les nationalistes somaliens acharnés sur la spécificité des Somalis, I'histoire de l'Ethiopie comprend l'histoire de la Somalie et non le contraire ; en d'autres termes, les Somalis sont des Ethiopiens de foi musulmane mais Ethiopiens tout de méme a la maniére des Pakistanais qui sont Pakistanais mais aussi Indiens pour des raisons évidentes. La présence des Somalis est datée, de source écrite, du 1Se siécle. La question est de savoir, d'ot a surgi ce peuple nomadisant. Bien que certains auteurs croient maintenant que les Somalis ont di monter lentement du sud au nord, il est plus crédible que ce soit le contraire ; la preuve en est que les cétes africaines de la Mer rouge ont été occupées depuis au moins 5000 ans par des gens d'origine couchitique. L'origine des Somalis, au lointain passé, se confond done avec I'ethnie Afar-Saho qui habite aujourd'hui le littoral de la mer Rouge jusqu’aux confins du Soudan actuel ; mais au nord, le chapelet 32 des ethnies couchitiques continue jusqu’a l'Egypte moderne, jadis aussi occupée par des couchitiques nomades. Ceux-ci se sont ensuite sédentarisés au contact des groupes nilotiques dont les peuplades s'étendent encore aujourd'hui de l'Egypte moderne 4 l'Ouganda. Les deux groupes couchitiques et nilotiques auraient fondé I'Egypte ancienne ; d'ailleurs, l'un des premiers mythes égyptiens parle d'une rencontre avec un peuple nomade qui aurait conspiré pour prendre le pouvoir aux cultivateurs - il est a penser que ce peuple guerrier, aux membres élancés, 4 la peau brune, au nez affilé était issu des tribus couchitiques. O La période islamique Les cavaliers du Prophéte ne sont guére passés par ici, faute de moyens de transports maritimes en dépit de la proximité de la péninsule arabe. Conséquence de ce non-événement : les Somalis sont devenus musulmans au rythme des contacts quotidiens avec le littoral d'en face mais ils ont gardé leur langue et leurs coutumes anciennes. L'entrée de I'islam au pays des Somalis ne correspond pas a une date précise ; il s'est établi en douceur et non pas par des conquétes comme cela s'est passé en Egypte et en Afrique du Nord. Cependant, étant donné la proximité du pays avec la péninsule arabe, la présence de l'islam date du ler siécle de l'Hégire, c'est-a-dire du 7e siécle, et méme de I'époque du prophéte Mahomet lui-méme. Diailleurs, le Prophéte avait conseillé 4 ses disciples de chercher refuge chez les Axoumites du cété africain de la Mer rouge. Cependant, ce n'est qu'au 10e siécle que l'islam atteint une proportion importante des peuplades du littoral égalant la présence du christianisme, du judaisme et des cultes plus anciens. UC La gloire des villes-Etats du 10e au 16e sitcle Certains auteurs ont commis une grave erreur au détriment des Africains en affirmant que les villes du littoral avaient été 33 fondées par des Perses ou des Arabes. Rien n’étaye ces affirmations et ce sont des Africains, bantous et hamitiques qui ont fondé ces villes ; si les villes du sud avaient été des villes arabes, Ibn Batuta, le Maghrébin, n'aurait pas manqué de le préciser, lui qui avait voyagé du Mali jusqu'aux Iles Maldives dans l'Océan indien. Par contre, comme nous l'avons déja indiqué, il y avait, dans ces villes qui longeaient les c6tes est-africaines, des gens d'origine asiatique étant donné que la premiére vocation de ces villes était le commerce ; mais ces derniers étaient peu nombreux et jouissaient d'un droit de protection chez les peuples au sein desquels ils se trouvaient. En ce qui concerne la Somalie, les habitants du pays n’étaient pas tous des pasteurs. Méme chez les Samalés, il y a toujours eu des citadins, des marins, et des gens de métiers. Les habitants de Zeila, au coeur du pays Samalé sur le littoral du nord, étaient des marins connus dans tous les ports du bassin de 1'Océan indien. En somme, I'art de naviguer sur les mers était bien déyeloppé chez les Samalés comme en témoigne I'Anglais Richard Burton qui voyagea au siécle dernier d'Aden 4 Zeila, 4 bord d'un voilier somali de haute mer avec équipage somali . Rappelons aussi que l'une des plus vieilles légendes de Zeila parle d'une fille morte aprés avoir sauté d'un étage parce que son amoureux de marin s'était attardé 4 Bombay en Inde pendant des mois. La légende date du 12e siécle. Bref, la tradition maritime est millénaire chez, les Somalis. Avant l'arrivée des Portugais d'abord et d'autres Européens ensuite, le commerce avec les pays de l'Océan indien fleurissait. Les sambouks et autres boutres remontaient et descendaient avec les moussons. De I'Asie, on importait du riz, de la soie etc., et on y exportait en échange de l'ivoire, du beurre raffiné, des plumes d'autruches, et surtout de I'encens. Limam Ahmad Gragne, sultan d'Audal a Zeila, pour venger la défaite qu’ avait infligé le Négus Yeshaq, roi copte, aux musulmans de ce sultanat en 1415, partit a I'assaut du haut plateau éthiopien en 1531, avec des troupes composées essentiellement de pasteurs samalés ; il avait aussi 4 son service des artificiers arabes et turcs. En face de lui, les armées coptes et 34 animistes, sans armes a feu, n'avaient aucune chance et en l'espace de quelques batailles toutes remportées, il conquit l'Ethiopie du haut plateau, Mais gouverner le haut pays avec des troupes du bas pays désertique s'avéra tache difficile et graduellement les armées musulmanes se replitrent sur leurs bases littorales et la vie reprit peu 4 peu son rythme habituel en terre chrétienne et paienne. A partir du 16e sidcle, les Portugais arrivérent dans la région et commencérent a saccager l'une aprés I'autre les villes-Etats du littoral. Ces activités déstabilistrent les réseaux de commerce entre l'Afrique, I'Asie et la péninsule arabe. Mais les Portugais ne réussirent pas a s'établir pour autant sur les cétes somalies tellement la résistance des habitants était farouche. Incapables de vaincre au combat les habitants sur terre, les Portugais se livraient 4 des bombardements a partir de leurs canonniéres et a des pirateries en haute mer. Commenga alors une période de déclin économique de la région qui dura jusqu'au début du 19e siécle quand les sultans de Zanzibar réussirent 4 déloger les Portugais de leurs comptoirs de fortune sur les cOtes swahilies plus au sud. Il faut mentionner que les Portugais n'ont laissé aucune trace derriére eux sur les cétes de I'actuelle Somalie : il n'y a aujourd'hui aucune survivance de leur passage sauf les tuines des maisons qu'ils ont détruites 4 coups de canon ; la seule légende qui peut attester leur présence est racontée dans la ville de Merca au sud et dit que des hommes a visages pfles sont descendus d'un bateau pour détruire la ville de Merca mais que le regard d'un homme pieux les transforma en pierres. C'est peu pour un peuple qui a pourtant une longue mémoire. O La période coloniale Aprés le passage des "explorateurs-espions" du 19e siécle, la ruée vers l'Afrique commenca. Mais au beau milieu de cet assaut sur l'Afrique, qui se termina par le partage de l'Afrique 4 Berlin en 1884, l'empereur Menelik, fin savant des stratégies européennes de I'époque, réussit 4 rassembler, comme I'avaient fait jadis les rois d'Axoum, les peuples qu'il appela peuple 35 éthiopien qu'ils fussent chrétiens, musulmans ou animistes. Son succés se maintint sur le haut plateau éthiopien, mais les puissances européennes s'appropriérent tout le littoral de la Mer rouge jusqu'a l'Océan indien. Entre temps, Menelik livra bataille aux Italiens et les battit 4 Adoua en 1896 ; mais il fallait accepter la réalité de la présence européenne sur la Corne de l'Afrique, il entreprit alors de signer des traités avec les puissances européennes afin que les frontiéres soient établies entre le reste de I'Ethiopie et les nouvelles colonies européennes. © Les objectifs des Européens Les Britanniques cherchaient surtout a s'assurer une escale pour ravitailler leurs bateaux a destination des Indes, et 4 alimenter en viande leur garnison d'Aden. Donc, leurs intéréts étaient stratégiques. Les Frangais, quant a eux, avaient des intéréts stratégiques semblables 4 ceux des Britanniques, sur le chemin de l'Indochine frangaise, mais en plus ils s'intéressaient a faire le commerce avec I'Ethiopie, ce qui les conduisit & entreprendre le fameux chemin de fer franco-éthiopien. Enfin, les Italiens se cherchaient une colonie comme tous les pouvoirs européens de l'époque et jetrent leur dévolu sur la Somalie. © La France et la Céte des Somalis En 1862, la France acquit d'abord le port d'Obock en pays Afar ; puis étendit son protectorat en pays Somali avec I'acquisition de Djibouti, un bout de terre inhabité jusque-la, 4 défaut d'avoir la ville millénaire de Zeila, qui, elle, tomba aux mains des Britanniques. Ainsi naquit ce qui sera appelé, a tort, La Céte Frangaise des Somalis, puisque l'ethnie Afar, comprise dans le nouveau territoire, est distincte de l'ethnie somalie, bien que toutes deux partagent les mémes origines lointaines. Djibouti, comme on appelle aujourd'hui la république issue de cette colonisation frangaise est 4 moitié somalie. ° Lenord aux Britanniques Au nord, les Britanniques signérent une série d'ententes avec les clans dans le but d'y établir leur protectorat - le British Protectorate of Somaliland. A \a différence de l'entrée forcée des Italiens au sud, l'arrivée britannique au nord fut pacifique et se passa sans difficultés majeures non seulement a cause des accords avec les autochtones mais aussi parce que la politique britannique différait de celle des Italiens au sud : les Britanniques laissérent une partie de I'administration du territoire aux soins des autorités locales - c'était la politique appelée communément "“I'administration indirecte". Evidemment, les Britanniques ne voulaient pas trop s'immiscer dans les affaires intérieures du Somaliland : les premiers objectifs étaient de s'assurer une escale sur Ja route des Indes ; en dehors de cela, leurs intéréts étaient trés limités - ils ne voyaient ni des mines d'or comme en Afrique australe ni des champs verdoyants aptes a T'installation de colons britanniques comme au Kenya et au Zimbabwe. ° Sur la route des Romains Les Italiens, occupés par l'unification de leur Etat, entrérent tardivement dans le jeu de la colonisation en Afrique. Ils s'aventurérent progressivement dans le Bénadir et les c6tes de l'Océan indien. A coups de négociations et de répression sanglante, tellement la résistance des clans Hawiyée était tenace, ils prirent toute la longueur des c6tes du sud, a l'exception du pays Juba et de la ville de Kismayou plus au sud prise par les Britanniques, et ils fondérent en 1905 la Somalia avec Mogadiscio pour capitale. Aujourd'hui, les traces italiennes sont trés perceptibles au sud dans la langue, surtout le vocabulaire technique, I'architecture et méme dans la culture. A Mogadiscio, l'architecture italienne de type massif et mussolinien est visible dans les édifices publics et dans les villas cossues. On trouve aussi au beau milieu de Mogadiscio des constructions dédiées 4 la conquéte italienne : le 37 plus célébre de ces monuments est celui dédié 4 Umberto de Savoie, roi d'Ttalie et fondateur de la colonie Somalia Italiana. En ce qui concerne la langue italienne, l'influence est présente non seulement par des mots empruntés mais aussi par des noms de_ lieux : Cinema Equatore, I'H6tel Croce del Sud, la rue Via Roma, etc. O L'éveil du nationalisme somalien et son héritage irrédentiste La Corne de l'Afrique n'a pas connu d'Etats au sens européen du terme. Seuls existaient divers royaumes, villes-Etats et sultanats musulmans dont les plus connus étaient Zeila, et Harar au nord et Mogadiscio au sud, et beaucoup d'autres semblables a l'intérieur du haut plateau éthiopien ; le nationalisme somali est non seulement l'enfant du colonialisme mais il est tributaire du nationalisme européen du 19e et du début du 20e siécle. Le mouvement nationaliste s'est cristallisé autour de la langue et de la religion. Bien que cette poussée nationaliste, normale l'époque en Afrique et en Asie, ait eu un réle libérateur aboutissant a I'indépendance et 4 1'unification du sud et du nord, elle a vite dérapé, une fois l'indépendance atteinte, vers un irrédentisme virulent et militant visant les autres peuples africains en Ethiopie et au Kenya. Par la suite, le probléme d'unification de I'ethnie des Samalés (en particulier du clan Darod), dispersé entre la Somalie, le Kenya et l'Ethiopie, deviendra par moments un probléme obsessionnel, et méme le projet numéro un de I'Etat aux dépens de l'économie et de la coopération régionale. Aprés deux guerres irrédentistes et une guerre civile avec tentatives de génocide envers les clans antigouvernementaux, le nationalisme unificateur somali échoua 14 od Je mouvement avait débuté dans les années 30 - au nord, a Hargeisa, quasiment détruit par I'aviation et par I'artillerie lourde de l'armée gouvernementale, devenue entre temps, d'abord une armée sudiste, puis une armée clanique 4 forte composante Darod. 38 La lutte pour I'indépendance Au nord, au milieu des années 30, alors que le sud croupissait sous un régime fasciste qui ne tolérait pas le moindre réveil nationaliste, est né un mouvement, consacré a l'indépendance et 4 l'éventuelle réunification des Somalis. Ce mouvement, d'abord limité aux villes, connaitra une popularité fulgurante dans les années cinquante sous le nom de SNL (Somali National League); c'est sous son leadership, incarné par Mohamed Ibrahim Egal, que le nord accéda a I'indépendance le 26 juin 1960. Plus au sud, aprés la défaite de I'Italie et l'occupation de la Somalia Italiana par les troupes anglaises, les Britanniques, soucieux de s'approprier aussi ce territoire calé entre le British East Africa et le British Somaliland, donnérent le feu vert 4 leur service de renseignements pour former un parti politique qui étendrait son influence chez les Somalis restés loyaux I'Italie, les pro-talyan (pro-italiens), comme on les appelait. Mais la création du nouveau parti, formé en 1943, deviendra inutile quand la question de la tutelle de I'ex.-Somalia italiana sera confiée 4 'Onu et que I'Italie reviendra dans son fief en 1950 pour y rester encore dix ans, sous l'Administrazione Fiduciaria Italiana della Somalia, jusqu’a I'indépendance. Le SYL (Somali Youth League) dirigea le sud vers l'indépendance le premier juillet 1960. Le méme jour, les deux assemblées législatives, en session commune, déclarent l'Acte de l'union entre le sud et le nord. L'union était le résultat de la fiévre nationaliste mais, mal préparée, elle aboutit 4 un pays avec deux systémes administratifs, deux monnaies, deux tarifs douaniers, deux langues officielles, deux systémes éducatifs et judiciaires, etc. L'intégration des deux régions fut fort douloureuse. O Les années de démocratie chaotique Pendant les premiéres années de la nouvelle république les nordistes étaient quasiment absents du gouvernement ; marginalisé, le SNL, le parti du nord, se groupa dans une nouvelle association, le SNC, sous la direction de l'ancien chef du gouvernement somali, I. M. Egal, et fit figure d'opposition loyale. Mogadiscio, éloigné de quelques 2000 kilométres par route d'Hargeisa, jadis capitale du Somaliland, deviendra le centre du pouvoir et I'iitalien la langue d'accession aux postes administratifs, avantage non négligeable quand I'Etat est le premier employeur du pays. Dans l'armée nouvellement créée, qui comprenait la gendarmerie du sud, I'armée territoriale du Somaliland, forte de 2000 hommes et un noyau d'officiers biens formés dans les colléges militaires britanniques comme Sandhurst et Mons, les choses n’allérent pas mieux. Les jeunes officiers nordistes se sont trouvés sous le commandement des anciens officiers de la gendarmerie du sud, peu éduqués en sciences militaires, mais qui avaient profité d'une promotion fort généreuse juste avant l'indépendance. Naturellement, ils réclamérent une rectification et une évaluation des diplémes mais en vain : les vieux de I'ex-gendarmerie, y compris Siad Barre qui se trouvera 4 la téte de l'armée en 1965, l'emportérent. Suite 4 cela, un groupe d'officiers nordistes tenta un coup d'état dans le nord en 1961, a peine un an aprés I'indépendance, afin d'annuler l'union avec le sud. Mais, la rébellion sera matée dans le sang. Autre événement important de cette premitre année, la constitution qui devait juridiquement consacrer I'Acte de l'union fut rejetée 4 une forte majorité dans le nord. Mais on fit comme si rien ne s'était passé malgré le mécontentement général de la population du nord. Excepté ce coup d'état manqué dans le nord et la guerre avec YEthiopie en 1964, pendant les premiéres années de l'indépendance, il n'y eut pas de crises majeures. Les nordistes se se firent a l'union tant bien que mal. Is réussirent peu a peu a entrer dans les allées du pouvoir 4 Mogadiscio. Le leader charismatique de l'indépendance nordiste, I.M. Egal, réussit, en 40 1967, a battre les sudistes dans leurs jeux d'alliance stratégique & base politico-clanique au sein du parti dominant, le SYL: il devint, la méme année, le premier nordiste qui accéda au poste de premier ministre de la république. D'un autre c6té, on peut mentionner la multiplication des partis claniques qui provoqua I'écoeurement des esprits libéraux de l'époque. Comme partout, la population finit par croire que tous les politiciens étaient corrompus. Et surtout les élections législatives de 1969 ne firent qu'accroitre le fossé entre le commun des mortels et les politiciens. Peu aprés ces élections controversées, le Président Sharmarké fut assassiné par un de ses gardes du corps a cause d'irrégularités électorales pratiquées par son parti, le SYL. Ce parti avait remporté les élections de 1969, comme toutes les précédentes, au prix de fraudes électorales. On assista alors au sein du parti dominant a une folle course pour la magistrature supréme du pays, tous coups bas permis. Bref, la classe politique était déboussolée et la société en désarroi profond. Il ne pouvait se présenter de meilleur moment pour l'armée et ses conseillers soviétiques de signer un coup d'état. Siad Barre, le chef en titre de l'armée, n'a pas eu lui-méme l'idée du coup d'état, au contraire de ce qu'on a laissé entendre par la suite ; contacté par des officiers entreprenants, il ne se préta a leurs incitations que difficilement ; mais une fois rassuré par les officiers responsables sur le terrain que le projet était viable, il lui suffit de se souvenir que le Premier Ministre, M. Egal, qui avait fréquenté les bancs de I'Université de Londres, I'avait non seulement humilié publiquement pour son manque de dipl6me mais avait aussi préparé un projet de loi pour le mettre a la retraite, en d'autres mots pour le limoger. Il accepta, donc, de faire figure de chef 4 c6té des promoteurs du coup d'état, avec 4 leur téte le général Ainanshe. Quand le coup se concrétisa le 21 octobre 1969, le comité des officiers présenta Siad Barre au public comme leur chef. En privé, les officiers putschistes ne voyaient en Siad Barre qu'un chef de transition qui ne serait 1a que le temps de se mettre d'accord sur un personnage plus compétent. Ce qu'ils ne savaient pas, c’était que derriére le personnage rustique de Siad Barre se cachait un esprit doué d'un 41 remarquable talent pour semer la méfiance entre amis et la haine entre fréres. Le coup d'état réussit sans effusion de sang, les putschistes procédérent a l'arrestation des membres du gouvernement, y compris le Premier ministre, I. M. Egal ; le parlement et la constitution furent suspendus ; le comité révolutionnaire supréme, comme devait s'appeler le groupe d'officiers putschistes a l'instar des autres soldats putschistes a travers le tiers monde, régna par simple décret et sans consultation aucune de qui que ce soit. Siad Barre, en vertu de son titre de chef de l'armée, fut nommé par le "Comité révolutionnaire supréme" président de la république désormais démocratique, 14 aussi a l'instar des régimes militaro-gauchistes de I'époque. Malheureusement, la population ébahie par la propagande des putschistes, pleine de mots comme justice, fraternité, et progrés, des mots dépourvus de leur sens habituel en sortant de la bouche des politiciens de l'époque, déferla en masses enthousiasmées partout a travers le pays pour accueillir la junte, ce qui équivalait a signer les lettres de légitimité du gouvernement putschiste sans gages aucuns. O Les années de la dictature et de la guerre civile Pendant les deux premiéres années, les deux années glorieuses, le régime, se vouant au socialisme populiste et jouissant d'un soutien populaire seulement égal 4 celui du gouvernement juste aprés l'indépendance, se langa dans des programmes sociaux et économiques sous le leitmotiv d'autosuffisance alimentaire, et on enregistra des progres réels dans la production des céréales. A la méme €6poque, le régime résolut le probléme épineux de l'alphabet pour la langue somalie, ce qui augmenta encore sa cote de popularité. Multipliant les gestes égalisateurs dans une société déja égalitaire par l'absence de classe bourgeoise, le régime déclara, a l'instar de la Commune de Paris, que tout le monde devait s'appeler désormais Jaalle, cifoyen, sans distinction de sexe. Mais a peine les deux premiéres années terminées, un changement de cap se dessina : le renforcement de l'emprise du régime sur la population. On vit alors a la création du NSS (National Secret Service), un organisme qui s'avéra ne rien envier 4 la Gestapo d'Hitler, et dont la cruauté alla en croissant avec les années - la seule mention de son sigle suffisait 4 faire frissonner de peur les Somaliens ; ensuite, une milice populaire les Guulwadayaal (les pionniers de la révolution) fut mise en place ; recrutant ses membres parmi les jeunes illettrés du milieu urbain et les criminels de droit commun, ces milices aux pieds nus étaient présentes dans tous les quartiers et connaissaient les habitants de chaque maison par leur prénom. Elles devinrent un outil efficace pour la surveillance des masses populaires, et permirent ainsi aux agents du NSS de poursuivre les ennemis plus éduqués, et donc plus sournois, chez les élites et les fonctionnaires. Ensuite, suivit une épuration clanique de la fonction publique et de l'armée pour que les assises claniques du régime soient solides et a I'abri de tout renversement. La clé de voiite du "siadisme", comme on appela désormais son idéologie, qui n'en était pas vraiment une, fut mise en place en 1976 avec la formation du parti unique composé d'une majorité de membres de son clan mélangé a des personnages jugés de tempérament obéissant. Des idées fraternelles et égalitaires au clanisme ambiant, le chemin parcouru n‘avait pas vraiment été long. Mais ceux qui ont connu Siad Barre dans sa jeunesse de nomade et sa carriére de sbire sous les Italiens ne se sont guére étonnés : il n'était pas, disaient-ils, normal ; tout jeune, il avait été témoin du meurtre de son pére par un clan rival’, le fait l'aurait marqué a jamais. Par la suite, il aurait développé des habitudes assez sadiques : n'était-il pas le bourreau en chef d'un poste de police ' Probablement des Issacs puisque, né vers 1910, Siad Barre aurait eu dix ans en 1921, l'année oi les Issacs du nord chassérent les Darods, partisans du “prétre fou", Mohamed Abdulla Hassan, jusqu'aux confins de la riviére Shabellé ; et justement la famille de Siad campait aux alentours de Kalafé sur la riviére Shabellé en Ethiopie de lest, od il est né. Cela expliquerait pourquoi il aimait tant s'acharner sur ce clan qui avait conduit a la perte de son pouvoir. Siad Barre lui-méme connaissait, sans doute, le clan auquel appartenait les assassins de son pére, mais il le cachait. 43 dans les années quarante? A I'évidence, Siad Barre appréciait beaucoup le culte de la personnalité que cultivaient ses partisans, et il trouvait aussi un plaisir malsain a faire peur et a intimider tous ses collaborateurs, méme ses plus ardents partisans. Désormais il fallait l'appeler Macalinka, lenseignant, lui qui pourtant n'avait pas fréquenté les bancs de I'école, et était méme le dernier des recrues, au dire des ses compagnons d'armes, pendant les cours de formation spéciale a I'intention des policiers analphabétes ou peu scolarisés. Le terme Macalinka a probablement été emprunté au surnom, ma'allimu, de Julius Nyerere, qui, lui, mérite d'étre qualifié d'enseignant ; on l'affubla aussi d'autres titres Eloquents comme Aabaha aqoonta (le pére de l'éducation). Loin d'étre le rédempteur qu'espérait le peuple somalien en 1969 aux prises avec une classe politique corrompue, en rupture avec les masses, il se révéla plus étre Tenfant monstre dont avait accouché, dans la légende africaine, Ja femme qui demandait sans cesse 4 Dieu de lui donner un fils. En 1977, face au fléchissement de sa cote de popularité et encouragé sans doute par le désordre chez le voisin éthiopien embourbé dans des guerres civiles sur plusieurs fronts en Erythrée, Siad Barre lanca I'armée sur les régions 4 majorité somalie en Ethiopie de l'est. La victoire fut facile et la cote présidentielle remonta au plus haut. Mais la contre-attaque éthiopienne, avec l'appui des Soviétiques et de leurs alliés, Cubains en téte, fut un désastre pour l'armée somalienne et la défaite fut amére ; au plan économique les maigres ressources du pays ont été englouties par le tourbillon de la guerre ; au plan humain les morts et les disparus se sont comptés par milliers. Le résultat le plus dévastateur a été I'afflux de milliers de réfugiés éthiopiens d'origine somalie, qui ont peut-étre eu peur d'étre l'objet de représailles ethniques - ce qui ne s'est jamais produit, ou qui ont cru a la propagande du régime de Siad Barre dont le but était de semer la peur de la vengeance dans la population somalophone éthiopienne alors qu'elle s‘apprétait 4 recevoir l'aide internationale aux sinistrés de guerre. Le calvaire du peuple somalien aurait pu s'arréter 14 tellement le régime était affaibli par la guerre et le changement d'alliance 44 opéré par les Soviétiques ; malheureusement, les Etats-Unis, aprés avoir perdu leurs bases en Ethiopie, entrérent dans le jeu de la politique somalienne mais du c6té du régime aux dépens des démocrates qui commengaient a croire que I'heure était venue de se débarrasser du tyran. Le moral remonté par l'aide des Etats-Unis, Siad Barre ne se géna pas pour montrer du doigt les démocrates incarnés par le trés populaire Ministre des affaires extérieures, Omar Arte Ghaleb, et l'opposition clandestine. Face 4 l'opposition croissante, Siad Barre entreprit alors un raffermissement du régime sans précédent qui s'appuyait sur deux régles fort simples : 1) se débarrasser des personnes portées a poser des questions sur ses ordres 2) mater dans le sang toute manifestation populaire. Ainsi, faute d'issue pour une opposition légale et démocratique, il ne restait que la voie armée. Ce qui se fit en 1981 avec I'établissement du premier mouvement denvergure, le MNS, mouvement national somali. Le MNS recruta ses guérilleros en masse chez les Issacs des régions septentrionales sur lesquels la répression du régime s'abattait le plus lourdement. Les forces du régime dont le gros des troupes se composait notamment des Darods, le clan du président, ripostérent de plus en plus en tirant aveuglement sur la population civile du nord, tandis que les guérilleros étaient présents dans les montagnes et sur les c6tes aux sables brilants de ce territoire. Ainsi d'un seul coup et par ironie de sort, le régime qui vantait lI'homogénéité ethnique, religieuse et linguistique des Somaliens avait désormais pour ennemi non plus l'Ethiopie voisine mais ses citoyens du nord. La guerre civile Jancée dans le nord dura des années 1981 4 1988, les maquisards nordistes portant des coups de plus en plus durs 4 l'armée. Pendant ce temps, le gouverneur militaire, ex-garde du corps devenu le beau-fils de Siad Barre, le Gén. Mohamed Said Hirsi, (nom de guerre général Morgan, surnommé le boucher d'Hargeisa), manifestait sa rage par des fusillades de civils et l'exposition des cadavres de présumés guérilleros, en réalité de malheureux nomades capturés aux alentours, en plein centre ville d'Hargeisa ou dans d'autres villes du nord. 45 Mais les événements allaient prendre une tournure plus tragique en 1988 ; cette année-la, le régime, pour régler une fois pour toutes le compte de l'opposition nordiste scella un accord avec lennemi d'hier, le régime de Mengistu en Ethiopie. Il était prévu d'arréter le soutien éthiopien au MNS et de fermer la frontiére commune pour couper les guérilleros de leurs bases arriére. A ce moment-Ia, les leaders du MNS, craignant d’étre pris au piége, décidérent de prendre les devants dans la guerre et de jouer leur va-tout dans le nord. Le 27 mai 1988, les insurgés prirent la ville de Burao, deuxiéme ville du nord, et le premier juin, ils se Jancérent I'assaut d'Hargeisa, la capitale du nord, et deuxiéme ville de Somalie. Leur succés fut foudroyant et ils balayérent les garnisons gouvernementales. L'inévitable contre-attaque du régime ne fut pas dirigée contre les forces de la guérilla mais contre la population des villes, voire contre toute la population du nord. L'armée du régime utilisa tout son armement contre des objectifs civils inoffensifs. Les avions de l'armée décollérent de I'aéroport d'Hargeisa pour décharger leur cargaison meurtriére sur la ville ; l'artillerie positionnée stratégiquement au sommet des montagnes entourant la ville pilonna intensivement le centre ville. (Pour plus de détails sur le comportement des gouvernementaux a I'époque, voir Somalia : A Government at War With Its Own People : Testimonies About the Killings and the Conflict in the North (Témoignages sur les tueries et le conflit au nord - Africa Watch, Janvier 1990, Londres.) Le bilan de ce génocide planifié a été chiffré, pour le premier mois du conflit, 8 plus de 50 000 morts et des milliers de blessés ; les rescapés, cest-d-dire la quasi-totalité de Ja population du nord, s'enfuirent 4 pied vers Ethiopie sous le mitraillage et le bombardement des avions pilotés souvent par des mercenaires sud-africains touchant plus de 2000 dollars par raid effectué. Fin 1988, les forces du régime, au prix de massacres affreux et d'un dépeuplement total du nord, arrivérent 4 reprendre les villes, sans toutefois avoir pu déloger les guérilleros de leurs bases dans les montagnes et la campagne. II est évident que sans l'aide de l'extérieur, principalement des Etats-Unis, de I'Italie et de 46 l'Arabie Saoudite, le régime se serait effondré a ]'époque, laissant les Somaliens se doter d'un gouvernement digne de ce nom ; mais hélas, la logique de la guerre froide I'emportant, I'administration Reagan-Bush de I'époque fit comme si rien de grave ne s‘était passé et la fourniture des munitions et des armements continua, au grand dam des membres du congrés américain décu du régime Barre. C'est a la lumiére de cette coopération étroite avec le régime déchu qu'il faut comprendre la réticence avec laquelle les Somaliens de Mogadiscio ont accueilli les Marines américains lors de I'intervention de 1992-1993. Peu a peu, Ja guerre civile toucha tout le pays, surtout aprés l'établissement d'un deuxiéme front par les maquisards du CSU, Congrés de la Somalie Unifiée, qui recruta ses combattants principalement dans les rangs des Hawiyés, le clan dont le territoire comprend Mogadiscio, la capitale du pays. A la fin de 1990, le régime ne tenait que la ville de Mogadiscio, ce qui incita certains 4 surnommer, par ironie, Siad Barre, le maire de Mogadiscio. Et comme a Hargeisa, l'artillerie des forces du régime envoya ses volées a l'aveuglette sur la capitale, suivant le méme plan de destruction maximum, et Siad Barre de dire : "si je dois aller en enfer, tout le monde doit me suivre." Le 27 janvier, un soir du vendredi au samedi, le peuple, endeuillé par deux mois de pilonnage a I'arme lourde venant de Ja colline sur laquelle se perche le palais présidentiel, donna I'assaut final , 4 la maniére de la prise de Ja Bastille ; avant I'aube naissante, Siad Barre s'enfuit vers le sud 4 bord d'un char. Il aurait dit quelques années auparavant qu'il avait conquis le pouvoir par les armes et qu'il ne le lacherait que devant la force. Mots prophétiques lourds de conséquences malheureuses. L'aube qui s'ouvrit sur Mogadiscio le 28 janvier 1991, n'aboutit pas 4 un retour au calme et a la fin de la guerre civile, comme on s'y attendait. Le lendemain, Ali Mahdi, un des barons du CSU, branche de Mogadiscio, était nommé président intérimaire dans un acte unilatéral hatif ; les réactions de rejet de la part des autres mouvements ayant combattu le tyran ne se firent pas attendre : le MNS d'abord mais aussi le MPS, mouvement animé par Omar Jess, un ex-colonel de l'armée qui avait rompu ses 47 relations avec le tyran en quittant en 1989 sa place du commandant de la 26e garnison cantonnée 4 Hargeisa. Mais méme au sein du CSU victorieux, les opinions ne concordaient pas non plus sur le choix d'Ali Mahdi. Le général Aidid, qui avait coordonné le gros des opérations pour mener a la défaite des troupes du régime Barre, ne voyait pas d'un bon oeil d'étre mis au rancart. Les deux hommes, chacun s'appuyant maintenant sur une milice recrutée dans son propre sous-clan des Hawiyés (Haber Gedir pour Aidid et Abgal pour Ali Mahdi) se Jancérent en septembre 1991 dans une guerre urbaine sanglante. Entre temps, les leaders du MNS, devant ce qui se passait a Mogadiscio, convoquérent une conférence du peuple du nord a laquelle assistérent en Etats généraux les représentants de chaque communauté du nord ; I'assemblée aprés avoir délibéré sur l'avenir du nord pendant un mois fit deux proclamations : d'abord, I'acte d'union de 1960 fut jugé caduc en vertu de la non approbation du plébiscite constitutionnel de 1961 ; ensuite, le nord fut déclaré indépendant de toute tutelle du sud en renouant avec son appellation ancienne mais éphémére d'Etat de "Somaliland", car il ne s'était écoulé que cing jours entre l'indépendance de la Grande-Bretagne et l'union avec la Somalie du 26 juin 1960 au ler juillet 1960. Tandis que les fréres Hawiyés ennemis, comme devaient s'appeler désormais Ali Mahdi et son rival, le général Aidid, se livraient une féroce bataille 4 Mogadiscio, Siad Barre et ses troupes dirigées par le Boucher d'Hargeisa, le général Morgan, s'installérent tranquillement au pays des Rahanweins, peuple sédentaire et peu porté a la guerre, a la différence des clans de traditions pastorales. Exactions, viols, massacres par villages entiers, confiscation du bétail et pillages des stocks de sorgho, leur denrée de base, furent leur lot comme cela fut le lot auparavant de Ja population du nord ; bref l'armée du tyran, qui diailleurs prit résidence en toute quiétude dans son palais de villégiature 4 Baidoa, dut étre ravitaillée et logée a leur frais a coup de rapines et de tueries tandis que le général Morgan guettait I'heure opportune pour reprendre Mogadiscio. Mais entre-temps, fidéle 4 ses tendances sanguinaires, ce dernier 48 élabora un nouveau plan génocide, mais celui-la dirigé contre les Rahanweins et Jes autres communautés sédentaires des régions fluviales ; ainsi dans une deuxiéme "Lettre de la mort", il écrivit : “nous devons assainir les régions entre les deux fleuves (Juba et Shabelle) pour que la zone devienne sire pour notre peuple". (Voir Secret Document Reveals Siad Barre Aides' Tactical Plan to Retake Somalia, The Estimate, vol. 1V, no 7, mars 27 - avril 9, 1992 ; et Richard Greenfield, Siyad's Plan to Seize Power Frustrated, New African, juin, 1992, p.18.) Les Rahanweins pour se débarrasser de cette armée rangonneuse et génocide cherchérent de l'aide chez le général Aidid, dont les forces arrivérent finalement 4 déloger Siad Barre non seulement du pays des Rahanweins mais du territoire somalien en avril 1992 - il se réfugia au Kenya oi il demeura avant de s'exiler définitivement au Nigeria oi il rendit I'éme en janvier 1995. Ainsi s'acheva la vie d'un fils de nomade, né aux alentours de Kalafé, dans la région désertique de l'est de l'Ethiopie, venu chercher un emploi dans 1a Somalie Italienne, et qui fut 4 tour a tour policier de brousse, bourreau de la police fasciste, rangonneur, et protecteur des maisons closes d'un quartier de Mogadiscio, lieutenant de police, général de l'armée, chef de l'armée somalienne, socialiste sans en connaitre les fondements idéologiques, président 4 vie, nationaliste avoué et claniste inavoué. En fait, on ne connaitra jamais les mobiles de Siad Barre - lui qui avait hérité d'un pays pauvre mais stable, doté de structures fonctionnelles, ne laissa rien derritre lui. Dans histoire somalienne un seul homme, qui de surcroit était pour lui un modéle d'héroisme, a fait couler tant de sang, si on fait abstraction des différences dévastatrices entre les mitrailleuses, Jes chars, I'artillerie lourde et les avions de combat d'un cété et le sabre et I'arquebuse de l'autre - cet homme s'appelait Mohamed Abdulle Hassan : pendant prés de 21 ans, le méme nombre d'années qu’ l'actif de Siad Barre d'ailleurs, il avait mis 4 feu et a sang l'arriére-pays situé entre le territoire de l'ex-Somaliland britannique et l'Ethiopie. Comparaison étonnante - Mohamed Abdullahi Hassan, qui lui aussi exigea que l'on s'adressAt a lui par le mot Sayid (‘“maftre" 49 en arabe), était né dans le désert d'Harargé en Ethiopie et aurait vécu des moments douloureux tout jeune comme orphelin de guerre inter-clanique, exactement comme Siad Barre. Désormais, Idi Amin Dada et Jean-Bedel Bokassa, qu'on qualifiait de honte de l'Afrique, font bien meilleure figure que lui. Mais enfin, Siad Barre n'a pas ses semblables en Afrique d'aujourd'hui - Pol Pot au Cambodge peut-étre le concurrencerait au palmarés des leaders sanguinaires ; ajoutons aussi a ce titre Hitler, d'ailleurs les Somaliens n'appellent-ils pas Siad Barre le Hitler noir ? En renfermant cette parenthése, il faut mentionner que pendant les deux années de seigneurie de Siad Barre 4 Baidoa, les paysans rahanweins ont été exposés aux supplices d'une armée vaincue et sans solde ; les pillages des stocks et la destruction des récoltes aboutirent 4 une rupture fatale de I'équilibre fragile entre les récoltes et les stocks des graminées ; les bakaar (silo souterrain chez les Rahanweins) vidés, il n'y avait plus de quoi manger dans les villages ; les villageois prirent alors la route conduisant vers Baidoa. Mais une fois arrivés 4 Baidoa, libérés 4 ce moment de Siad Barre par les troupes conjointes de général Aidid et des milices rahanweins, ils étaient déja fatalement déshydratés et émaciés. La famine fut terrible et les images de ces paysans mort-vivants errant 4 Baidoa firent le tour du monde. Les organisations humanitaires se précipitérent, MSF (Médecins sans frontiére) et la Croix Rouge Internationale en téte ; l'ONU, jusqu'alors presque indifférente sous Pérez de Cuelar, s'agita sous l'Egyptien Boutros Boutros-Ghali ; avec les mots désormais célébres, "la guerre de l'homme riche", il accusa l'Occident d'avoir négligé de porter secours aux populations sinistrées par la guerre civile et son cortége de famine en Somalie. Alors que la famine paraissait maitrisée grace a l'acharnement des ONG somaliennes et occidentales, le président Bush des Etats-Unis, vainqueur de 1'Iraq et héros en titre de la guerre du Golfe, décida d'envoyer les Marines en Somalie, pour régler le probléme de l'insécurité 4 laquelle était exposés les organismes caritatifs. Etant donné les antécédents des Etats-Unis dans la région, nombreux étaient les Somaliens qui ne croyaient pas 4 50 cette intervention - les Somaliens ne se seraient-ils pas débarrassés de Siad Barre depuis longtemps, si ce dernier n'avait pas regu J'appui financier et militaire des Etats-Unis ? Quels qu'aient été les mobiles de I'administration américaine, stratégiques ou humanitaires, toujours est-il que les Marines ont débarqué chez les Somaliens en décembre 1992 ; certes bien équipés en matiére de guerre moderne, mais mal préparés sur les autres plans, surtout culturels et politiques. Devait-on désarmer tout le pays comme le recommandait le Secrétaire général de T'ONU, Boutros Boutros-Ghali ? Quelle politique devait adopter l'envoyé spécial des Etats-Unis face aux divers leaders somaliens? Fallait-il ou pas traiter tous les leaders somaliens comme des seigneurs de guerre répugnants et sans légitimité? Ne devait-on pas au moins distinguer les leaders de l'insurrection populaire et le boucher du régime, revenu du Kenya avec armes et munitions trouvées auprés de Daniel Arap Moi, grand ami du tyran ? Fallait-il ou pas établir des tribunaux pour crimes de guerre semblables 4 ceux que les USA préconisaient pour l'ex-Yougoslavie ? Fallait-il ou non sensibiliser les membres des forces internationales 4 la culture du pays afin qu'ils s'y retrouvent un peu dans l'environnement culturel ? Toutes ces questions et d'autres n'ont pas été éclairées, ni avant le commencement de l'opération "Rendre l'espoir" ni aprés. Bref, le simplisme avec lequel I'intervention avait commencé était digne d'une aventure de Tintin. Malheureusement, il ne s'agissait pas d'une bande dessinée et les erreurs et les bavures ne tardérent pas a s'accumuler. Les choses se déroulérent pourtant assez bien pendant le premier mois - pas d'opposition hostile au début du débarquement ni aprés, grace a l'envoyé spécial de Washington, Robert Oakley ; ancien ambassadeur des Etats-Unis a Mogadiscio, qui avait su nouer des rapports de travail avec les leaders des milices et assista méme a un accord mettant fin aux hostilités entre les fréres ennemis, le général Aidid et le président autoproclamé, Ali Mahdi, accord qui supprimait la "ligne verte" scindant la ville en deux zones. Mais a cause d'un manque de politique cohérente visant a désarmer l'ensemble du territoire, comme le réclamait 4 haute 51 voix le Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali, et d'un plan pour reconnaitre la primauté des leaders issus de ‘insurrection populaire, ce que réclamait le général Aidid et son allié, le colonel Jess, la méfiance d'abord puis I'hostilité remplacérent les premiers sentiments d'accueil. Les manifestations contre les forces internationales s'organisérent 4 Mogadiscio aprés qu'il eut été clair que les Américain n'érigeraient pas de tribunal pour juger les crimes de guerre commis par les membres du régime déchu et qu’en outre il leur arrivait de soutenir des partisans du tyran déchu. II n’en fallait pas plus pour que les Somaliens se souviennent que c'était bien Washington qui avait maintenu Siad Barre pendant une décennie et les mobiles de leur intervention apparaissaient de plus en plus douteux. Les Américains transférérent la responsabilité de leur intervention 4 'ONU en mai 1993, sous le nom d'ONUSOM. Cette organisation avait pour mission de ramener la paix en Somalie et d'aider 4 la formation d'un gouvernement central. L'amiral américain Jonathan Howe, pratiquement sans expérience des conditions intérieures du pays, fut nommé envoyé spécial de I'ONU en Somalie. Commenga alors une autre guerre urbaine meurtriére, non pas, cette fois, entre les groupes somaliens mais entre les troupes de I'ONU et les milices d'Aidid. Cette guerre est devenue officielle quand le Conseil de sécurité adopta hativement la résolution 837, a la suite d'un accrochage entre troupes pakistanaises et partisans d'Aidid dans lequel périrent 23 Pakistanais et des dizaines de Somaliens, le 5 juin 1993. La résolution, certes, ne disait pas que le général Aidid était responsable du drame mais la teneur du texte le désignait implicitement. La riposte de l'‘ONUSOM, sous le commandement américain - les Américains étaient aux commandes de l'opération bien que depuis le 3 mai la mission dut étre onusienne - arriva le 11 juin faisant des centaines de morts et de blessés chez les Somaliens, et détruisant les infrastructures déja 4 moitié endommagées par Ja guerre civile. Curieusement, de Ja scéne ensanglantée du 11 juin, les Somaliens ne retiendront ni le nombre de leurs morts et de leurs blessés ni 52 les nombreux batiments et résidences rasés mais la destruction de Radio Mogadiscio qui abritait la bibliothéque audiovisuelle dans laquelle se trouvait I‘héritage oral - chansons, poémes, témoignages historiques et piéces de théatre, recueillis depuis les années 50. Bref, un patrimoine irremplagable pour un peuple de culture orale fut détruit ce jour-1a. A leur tour, les Somaliens partisans du général, entre temps devenu clandestin dans son fief aprés que le dirigeant de I'ONUSOM, I'amiral Howe, surnommé “animal Howe" par les Somaliens, friands de petits noms, mit sa téte a prix, ne tardérent pas a frapper dur les cibles de l'ONUSOM. Parmi les bavures américano-onusiennes, on compte le massacre perpétré le 12 juillet dans le but de capturer le général Aidid qu'on croyait trouver dans une villa ot se tenait une importante assemblée qui apparemment étudiait des solutions pacifiques au conflit entre les forces américano-onusiennes et la faction d'Aidid. Parmi les morts, on compta quelque 300 Somaliens, en majorité des chefs traditionnels, des intellectuels et des religieux. Au lieu de ramener la paix et d'aider la Somalie a se doter d'un gouvernement, la mission américano-onusienne (les Américains avaient leurs propres troupes sous le commandement des officiers américains ; c'était surtout le cas des fameux Rangers, les troupes d'élite envoyées en Somalie pour traquer et capturer le général Aidid) semblait s'enliser dans la guerre, les cieux de Mogadiscio, encombrés d'hélicopttres Cobra et bombardiers américains, ressemblaient de plus en plus aux cieux, jadis, de Saigon , et l'on commengait 4 comparer la situation a Mogadiscio avec la guerre du Vietnam. Bien que l'envergure ait été moindre, les bavures n'en étaient pas moins meurtriéres : tirs sur des manifestants non armés comme I'ont fait les troupes pakistanaises le 13 juin, bombardement et pilonnage a l'aveuglette, volée de roquettes sur des objectifs civils, mitraillage du haut des hélicoptéres sur la foule, tout y passa. Les organismes humanitaires, encore MSF en téte et quelques pays, I'Italie, la France et méme le Vatican, essayérent de convaincre I'amiral Howe, le Secrétaire général de ONU, Boutros Boutros-Ghali, - entre temps devenu l'ennemi juré du 53 général Aidid depuis que les partisans de ce dernier avaient perturbé sa visite historique 4 Mogadiscio en janvier 1993 - et l'administration américaine de cesser l'offensive contre les milices d'Aidid : rien n'y fit. Pourtant, l'homme que l'on essayait d'éliminer de la scéne politique somalienne ne cessait de dire qu'il était ouvert au dialogue sans condition aprés chaque accrochage meurtrier entre ses partisans et les troupes américano-onusiennes. Malgré l'arrogance due aux moyens matériels, aux troupes nombreuses (18 000 hommes), et la naiveté selon laquelle les problémes peuvent étre plus facilement résolus militairement en Afrique qu'en ex-Yougoslavie, la chasse au général ne se ralentit pas jusqu'au 3 octobre 1993, jour ot les pertes chez les soldats américains, les Rangers, se sont soldées par 18 morts et 70 blessés. L'émoi aux Etats-Unis fut tel que l'administration américaine de Bill Clinton décida de mettre un terme a la participation américaine dans les forces de l'ONUSOM malgré les cris d'abandon du Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali, qui, lui, tenait 4 une présence continue et accrue de I'ONU en Somalie. Le retrait des troupes américaines fut suivi par une suspension de Ja mission de I'ONUSOM et le retrait des troupes internationalés en mars 1995, mettant fin a I'intervention américano-onusienne pour motif de non avancement des pourparlers de réconciliation somalo-somalienne. L'échec de la mission était di avant tout a l'incompréhension culturelle et au manque de respect a I'égard des leaders somaliens. Bref, les Somaliens se sentaient insultés par manque de consultation ; il n'en fallait pas plus pour qu'ils se fient 4 leur vieille doctrine selon laquelle : reg cadaab ayaa ay ciil ka doorteen - du feu des armes, mais pas de honte. C'est ce qui s'est passé effectivement 4 Mogadiscio 4 I'insu de I'ONUSOM, qui n‘avait méme pas embauché de spécialistes de la communication interculturelle. O L'avenir, les clans et les Somaliens Les journalistes ont souligné l'existence des clans en Somalie ; certes, il y ales clans, mais ce n'est pas parce qu'il y a des clans qu'il y eut la guerre civile : les clans existaient déja a I'époque des régimes civils. Tout a commencé avec Siad Barre, qui en s'appuyant sur des assises claniques, et en profitant de l'appui logistique, notamment des Etats-Unis, entreprit une répression tyrannique visant certains clans. Le résultat était prévisible une fois que les autres se furent organisés. On a dit aussi que le Somali était réfractaire 4 I'hégémonie de l'Etat sur l'individu et qu'en fait les Somalis ont l'anarchisme dans l'ame. N'est-ce pas que les Somalis ont eux-mémes un dicton : "chaque Somali est son propre sultan"? Mais on oublie 1a aussi les cris que les Somaliens lancent pour un retour a l'ordre civil. A quand donc le jour ot les Somaliens feront taire les armes afin que chacun puisse cultiver son jardin sous un régime qui se charge de l'ordre public, et qui fasse régner une justice équitable. Selon les Somaliens, seul Allah, l'omniscient, sait s'il y aura demain une deuxiéme république ou deux Somalies bien distinctes - Somalia et Somaliland. Mais une chose est claire : l'époque est désormais finie des grands pasteurs qui parcouraient le pays 4 pied, 4 dos de dromadaire ou a cheval a la recherche de nouveaux paturages et qui ne se sustentaient que d'une poignée de dattes et d'une gorgée d'eau. Désormais les Somaliens, y compris ceux d'origine pastorale, ont développé un godt pour les plaisirs de la vie matérielle - "the good things of life" comme disent les Américains ; et rien que pour combler leurs besoins matériels, ils ont envie de rebatir vite les fondements de I'Etat brisé. C'est pourquoi le mot avenir, ce mot porteur d'espérance, ne manque pas dans le vocabulaire des Somaliens en cette fin de siécle, bien qu'en ce moment, le pays soit embourbé encore dans Ja guerre civile qui perdure ici et 14 d'une fagon tragique. LA GEOGRAPHIE ET LE CLIMAT QO) Topographie et climat Dans le nord, la topographie de la région est constituée de trois régions : le littoral, la région montagneuse, et le plateau en bas des montagnes. Le Littoral appelé Guban : /e brilé, est une région chaude au sable brilant. En été (juin et juillet), la température peut atteindre 45 degrés et pendant cette période, les habitants disent que les serpents ne chassent que sous la lumiére de la lune mais I'humidité y est faible, ce qui augmente la résistance des personnes a la chaleur. La région montagneuse est constituée par la chaine dite Golis, extension du haut plateau éthiopien. Dans cette région, I'altitude atteint souvent 1800 métres et méme plus par endroits ; donc le climat n'y est pas particulitrement chaud méme en été, Par contre, les températures y sont fratches en hiver (décembre et janvier) et par endroits comme a Erigabo, l'eau laissée a l'extérieur et 4 découvert peut geler pendant la nuit. En fait, quoique rare, la gréle, appelée ici dhagaxyaale (littéralement : pluie de pierres), ravage de temps a autre les récoltes. Il faut prévoir des vétements d'une épaisseur conyenable si on visite ces régions et tout particuli¢rement si l'on projette des séjours a la campagne. La troisiéme région est I'Ogo, en bas du Golis vers le sud en direction de I'Bthiopie. Cette région, qui déborde au-dela de la frontiére en Ethiopie, est une succession de plaines herbeuses et de bosquets. C'est la contrée de I'élevage par excellence. Par contre, les points d'eau n'y sont pas nombreux. Traditionnellement, les pasteurs pratiquaient la transhumance entre ces trois régions ; en saison de pluie, les nomades du littoral montaient vers la région montagneuse tandis que ceux qui s'y trouvaient se déplagaient vers l'Ogo, mieux dotée en eau a cette période ; le mouvement inverse se produisait lors de la 56

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