2 200800 855108
| [Hebdomadaire
T.M. : 744 846
LM. : 2738 000
MERCREDI 9 AOUT 2006
Hommage a I'historien Pierre Vidal-Naquet
Spécialiste de la Gréce ancienne, il se passionnait aussi pour la justice et la vérité.
L’Antique et l’authentique
Pour Pierre VidalNNaquet, histoire r’étaitpas
seulement une passion scientifique, mais un
mode d'appartenance au monde. I état fait
dTistoire ; chaque instant de sa vie présente
se rattachait par mille liens étrots & humus
pais du passé. D’ol cet apparent paradoxe
ui faisat de (ul un intellectuel passionné-
‘ment engagé dans les combats de son 6po-
que, mais, en méme temps, un homme qui
ardalt ses distances avectout ce qui powait
ressembler «esprit du temps +, auxmodes
MA lire, notamment
Mythe et tragédie en Gréce anclenne,
avec Jean-Pierre Vernant,
2 tomes, 6d. La Découverte.
Reéfiexions sur le génocide, 6d. 10/18.
Les Juits, 1a mémoire et le présent,
‘deux tomes, éd. du Seuil, col. Points.
Les Assassins de la mémoire,
4. du Seull, coll, Points. Mémoires,
2 tomes, éd. du Seull/La Découverte._
cultures. I n’étalt contemporain quien
retrait, méme au coeur des combats les plus
urs :+ Je dirais de moi que je suis un homme
passionné qui s’engage, doublé d'un histo-
rien qutle survelie de prés, enfin qui devralt
le sureiller de prés. »
Des deux volumes de ses Mémoires,
qu'il publiés en 1995 et 1998, Pierre Vidal-
Naquet consacraitintégralité du premier &
sa jeunesse, & sa famille, et 2 ses parents,
Margot et Lucien, déportés et assassinés &
‘Auschwitz, Cest la, dans cette longue lignée
de Juifs patriots, le plus souvent agnostiques,
avocats, médecins, industriels, quilla puisé
ses valeurs ~quiétalent aussi celles dela répu-
‘blique émancipatrice ~, la rigoureuse et labo-
rieuse passion de la justice, de la vert, et le
sentiment de eur frags face aux impostures,
‘aux manipulations et la barbarie.
‘Son engagement dans étude de histoire
etnotamment dans celle dela ctégrecque,
dont fut. avec son ami Jean-Pierre Vernant,
Tun des spécialistes les plus novateurs ~ ne
155305530 |
Télérama
se séparait donc pas de ses autres combats
our la vérité. Quil s'agisse dela guerre dA
Bérie, de la dénonclation de la torture, des
falsifications négationnistes, de histor ta
‘ique des relations israélo-palestiniennes,
ou, plus récemment encore, des bombar-
dements israéliens au Liban, Pierre Vidal-
Naquet ne se contentat jamais de déclara
tions de principe, encore moins de 'étalage
de bons sentiments. Ce qui faisait sa force,
son audience et la détestation qu'll provo-
qualt chez ses adversaires, 'était la recher
che et analyse des fats et des discours, la
mise en pitces des tromperies, bref, le travail
de le vérté, Cola lui valalt une réputation
injustifiée de procureur. Il avait souvent le
sentimenteontraire, celui d'étre 'avocat des
causes perdues.
West arrivé pourtant qu'il se trompe.
‘Comme en 1992, dans cette afaire Tangorre,
tn violour en série, de innocence duquel i!
se convainguit un moment. Ce fut pour lul
une nowvelle legon, amére, surla valeur des
‘6citshistoriques. Une invitation & aller plus
loin encore dans cette lie quéte de ia ver,
8 laquelle notre Epoque ui semblait étre
devenue trop indifférente
Pierre Vidal Naquet a écrit des centaines
Cantcles, de déciarations et de protestations
qui pesent certes aujourd'hui d'un poids
moindre que son ceuvre dheligniste, histo
lon de la mémoire jive ou des dérves dela
raison d'Etat. Pourtant, beaucoup de ses
livres polémiques restent des modBles. On
les relira comme on lit toujours ceux qu'il
‘onsidéralt commesses modes, Vitor Hugo,
Jean Jaures. On oubliera les négationnistes,
pas la maniére dont il mit au jour leur pe.
versité patnologique. De méme, sion se sou-
vient & peine du pauvre complot fabriqué
contre la mémoire de Jean Moulin (taxé
d'avolr 6t6 un agent de Moscou..), la legon
de déontoogie historique que VidalNaquet
Inflgea & coux de ses chers collegues emba-
qués dans fopération restera dans bien des
mémoires. Et cela compense peutétre le
‘grand ouvrage surle monde hellénistique, si
souvent envisagé, que VidalNaquet,disparu
brutalementa rage de 76 ans, n’aura jamais
euletemps c'écrire@ Petre Lepape