Solutions

ACQUISITION DE DONNÉES

Attention
au filtre!
▼
Ces derniers temps ont vu fleurir sur le marché une offre
conséquente de cartes de numérisation, de boîtiers et de
systèmes d’acquisition en tous genres proposant une
conversion analogique-numérique sigma-delta. Cette tech-
nologie a en effet bien des attraits : haute résolution, filtrage
très sélectif, composants bon marché… Mais elle a aussi
quelques limites. Dans cet article Gould & Nicolet, spécialiste
en acquisition de données, pèse le pour et le contre en fonc-
tion des applications.

I
nitialement conçus pour les appli-
cations à faibles coûts dans le
domaine audio, les convertisseurs
sigma-delta offrent une haute réso-
lution numérique à un coût très faible
(dans un rapport de 30 à 80 par rapport à
d’autres technologies). Ils échantillonnent
le signal d’entrée à une vitesse très élevée
avec un comparateur 1 bit. Après filtrage
numérique sur un grand nombre d’échan-
tillons, la résolution initiale est considéra-
blement augmentée de 1 bits à 12, 16, 20
voire 24 bits. Ces convertisseurs offrent des
caractéristiques très attractives pour les
mesures dans le domaine fréquentiel, telles
que la vibration, l’acoustique et l’audio.
Pour d’autres domaines, dans lesquels
l’évolution temporelle du signal a son
importance, cette technologie est beaucoup
moins adaptée. En fonction de l’applica-
tion, il y a de réelles raisons techniques de
choisir la conversion sigma-delta ou de ne
pas la choisir.
La conversion sigma-delta pour
les “applications fréquentielles”
Les convertisseurs sigma-delta conviennent
bien pour les mesures dans le domaine fré-
quentiel lorsque l’on veut une réponse en
fréquence plate, sans atténuation. Le filtre
anti-repliement interne des convertisseurs
sigma-delta est en effet optimisé pour offrir
une réponse en fré-
quence très plate
Gould Nicolet
jusqu’à la fréquen-
ce de coupure du Certains systèmes d’acquisition de données sont désormais conçus pour permettre à la fois les mesures dans le domaine temporel
et dans le domaine fréquentiel.Ils intègrent un double étage de filtres/convertisseurs pour répondre aux deux types de mesures.
filtre : typiquement,
on observe moins de 0,01 dB de variation signaux utilisent désormais des convertis-
jusqu’à la fréquence de coupure. De plus, seurs sigma-delta offrant 20 à 24 bits de
ces filtres ont une pente si raide que la ban- résolution.
de passante peut être étendue sans problè-
me jusqu’à la fréquence de Nyquist. La fré- Prudence dans le domaine
quence de Nyquist correspond à la moitié temporel
de la valeur de la fréquence d’échantillon- S’ils sont performants pour réaliser des ana-
nage. Un signal dont la fréquence maxi- lyses dans le domaine fréquentiel, les conver-
male est supérieure à la fréquence de tisseurs sigma-delta sont pour la plupart dif-
Nyquist subira un phénomène de replie- ficilement acceptables dans les systèmes
ment de spectre (conséquence du théorè- d’acquisition d’usage
me de Shannon) et sera donc altéré.A titre général, où la fidélité de L’essentiel
d’exemple, un convertisseur sigma-delta la restitution de la forme  Les convertisseurs analo-
pourra typiquement offrir 45 kHz de ban- de l’onde dans le domai- gique-numérique sigma-
de passante pour une fréquence d’échan- ne temporel reste une delta sont de plus en plus
tillonnage de 100 kéch/s. Par ailleurs, les priorité absolue. Les répandus dans les systèmes
fréquences au-dessus de la fréquence de filtres anti-repliement à d’acquisition de données
coupure sont fortement rejetées, évitant pentes raides, inhérents  De par leur filtre anti-replie-
tout phénomène de repliement. aux convertisseurs sigma- ment à pente raide, ils
Autre avantage : dans les bandes passantes delta, présentent une
conviennent bien aux
mesures dans le domaine fré-
audio, une dynamique très élevée (jusqu’à importante non linéarité quentiel
120 dB) peut être obtenue grâce à des de phase dès que l’on  Ils sont cependant peu adap-
amplificateurs analogiques ayant fait l’ob- s’approche de la fré- tés aux mesures dans le
jet d’attentions toutes particulières dès leur quence de coupure du domaine temporel car ils
conception et à des convertisseurs très hau- filtre. Cette distorsion en introduisent des oscillations
“mensongères” sur les
te résolution de 24 bits. Pour toutes ces phase génère ce que nous formes d’onde des signaux
raisons, les analyseurs dynamiques de appelons le “phénomène

MESURES 760 - DECEMBRE 2003 41

Solutions
de Gibbs”, qui se traduit par un “preshoot”
ou un “overshoot” (dépassement en fran-
çais) de 8 à 22 % en réponse impulsionnel-
le. Lorsque l’on attaque un convertisseur sig-
ma-delta avec un signal carré, celui-ci peut
typiquement ressembler après numérisation
et reconstitution à la lettre capitale H. Pour les
mesures dans le domaine temporel, un filtre
de type Bessel sera préféré afin d’éviter ce
type de distorsion.
Un lecteur avisé remarquera que les fiches
techniques des sigma-delta se polarisent
avant tout sur les résultats dans le domai-
ne fréquentiel. En général, “l’overshoot”
n’est pas précisé mais il est souvent fait
référence à un “temps d’établissement”.
Ceci décrit le temps nécessaire, corres-
pondant habituellement à 40-70 points
ou échantillons avant et après une impul-
sion, avant que le signal “s’équilibre” pour
obtenir une amplitude correcte.Aussi, dans
le domaine temporel, ceci amène à igno-
rer une centaine d’échantillons, voire plus,
autour de certaines parties correspondant
souvent aux centres d’intérêts primordiaux
des signaux !
En test et mesure, pour la plupart des ins-
truments d’utilisation générale ou pour Figure du haut :réponse impulsionnelle d’un sigma-delta.Le pic d’amplitude est amplifié d’environ 20 %.
Figure du bas :réponse impulsionnelle d’un filtre Bessel.Le pic d’amplitude est précis.
les systèmes d’acquisition de données où
la forme de l’onde est importante, les
convertisseurs sigma-delta ne devraient dépend de la fréquence d’échantillon- plitude des pics de signal sera suréva-
pas être utilisés. Un utilisateur vérifiant nage. Aussi, le même signal échan- luée. Sur un signal transitoire à large
la qualité de signaux TTL pourra être sur- tillonné à deux fréquences d’échan- bande réelle comme un signal en balis-
pris de trouver un dépassement, visuali- tillonnage différentes présentera un tique, il est impossible de connaître de
sant un signal de -1 à +6 V au lieu d’une déphasage temporel ! Par ailleurs, com- combien le pic d’amplitude et l’évolu-
amplitude “idéale” de 0 à 5 V. S’il ignore me nous avons vu précédemment, l’am- tion temporelle ont été affectés. Une fois
que ce dépassement est imputable au
convertisseur sigma-delta, il pourra
monopoliser des ingénieurs à résoudre
un problème inexistant. De la même
manière, un ingénieur en mécanique
mesurant des pics de pression, ou un
ingénieur électrique mesurant des cou- Un signal carré de 5V enregistré par
un convertisseur sigma-delta montre
rants transitoires, pourra trouver des pics
un pic erroné à 6V.
déformés pouvant dépasser de L’allure de la forme d’onde ressemble
quelques % à plus de 20 % la valeur réel- à la lettre majuscule H
le du pic comme celle du front de mon-
tée. Le pourcentage de la déformation est
fonction de la rapidité du front de mon-
tée. Plus le front de montée est rapide,
plus l’erreur sur le pic sera importante.
Ces erreurs ne peuvent être corrigées par
aucun traitement après acquisition. Zoom sur le front de montée.
Le signal présente
Une des raisons supplémentaires de ne
des oscillations “mensongères”.
pas utiliser la conversion sigma-delta
pour les applications dans le domaine
temporel, en particulier en chronomé-
trie, est un décalage temporel non
constant entre les voies. En effet, avec
ces convertisseurs, la réponse en phase

42 MESURES 760 - DECEMBRE 2003


-3 dB est à 250 kHz
-3 dB est à 400 kHz
Courbe du haut en rouge :réponse typique d’un filtre raide tel que celui associé à un convertisseur sigma-delta,qui permet d’étendre la
bande en fréquence.La fréquence de coupure à -3 dB est à 400 kHz.
Courbe du bas en vert :courbe typique d’un filtre Bessel avec dégradation progressive vers les hautes fréquences.La fréquence de coupure à
-3 dB est à 250 kHz.
enregistré, aucun traitement ne pourra
reconstruire le signal.
Ces effets dans le domaine temporel
dépendent de l’allure du signal et de la
fréquence d’échantillonnage ; ils obligent
à toujours utiliser un filtre à pente “dou-
ce” pour les mesures de transitoires et les
applications dans le domaine temporel
où l’utilisateur souhaite faire des mesures
sur des pics et des fronts de montée.
Le phénomène de Gibbs
Josiah Willard Gibbs (1839-1903),
physicien américain, fut amené à
constater la “mauvaise” convergence
des séries et transformée de Fourier
au voisinage d’un point de disconti-
nuité. Ce phénomène dû à l’absence
de convergence uniforme est appelé
phénomène de Gibbs. Selon Pierre-
Louis Corrieu, professeur au lycée
technique de Dieppe, « la règle géné-
rale est que toute discontinuité du
spectre ou de ses dérivés entraîne l’ap-
parition d’ondulations sur la réponse
temporelle. Inversement, toute disconti-
nuité dans le domaine temporel induit
des oscillations dans le domaine fré-
quentiel. Dans le cas du filtrage, ce phé-
nomène apparaît lorsque la réponse
fréquentielle du filtre ou ses dérivés pré-
sentent une discontinuité : tous les
filtres à pente raide de type Tchebychev
MESURES 760 - DECEMBRE 2003
Pour toutes ces raisons, tous les systèmes
d’acquisition de données Nicolet destinés à
l’analyse temporelle intègrent un filtre anti-
repliement de type Bessel en amont du
convertisseur analogique-numérique (en
général de type “à approximations succes-
sives”). Cette approche préserve la fidélité
de la réponse impulsionnelle au détriment
d’une légère atténuation en haute fréquence.
Ainsi, pour une bande passante donnée,
ou Butterworth présentent une rupture
abrupte aux alentours de la fréquence
de coupure pour couper les hautes fré-
quences (en l’occurrence c’est la discon-
tinuité de la dérivé). La réponse tempo-
relle du signal avec ce type de filtre
présentera donc des oscillations infi-
nies. » C’est également le cas des
filtres anti-repliement des convertis-
seurs sigma-delta.
« Le phénomène de Gibbs est tout à fait
général dans les transferts énergétiques
ondulatoires : on en trouve un exemple
dans le phénomène de diffraction en
optique (franges d’ondulations d’ampli-
tude optique au bord d’un obstacle
abrupt) et plus généralement, ceci est
une traduction du principe d’incertitu-
de, bien connu en mécanique ondula-
toire », explique M. Corrieu.
Solutions
une cadence d’échantillonnage supérieu-
re est nécessaire pour éviter le phénomè-
ne de repliement avec un filtre Bessel. Heu-
reusement, les composants à fréquence de
numérisation élevée et à capacité de
mémoire étendue sont devenus aujour-
d’hui relativement bon marché de telle
sorte que cet inconvénient peut facilement
être surmonté.
A chaque filtre son application
On l’aura compris, en analyse du signal,
le choix du type de filtre est essentiel. Les
filtres anti-repliement raides, tels ceux uti-
lisés avec les convertisseurs sigma-delta,
sont très intéressants pour les mesures dans
le domaine fréquentiel, tandis que les
filtres beaucoup plus “doux”, comme les
filtres de type Bessel, sont largement pré-
férables pour des mesures précises dans le
domaine temporel. De fait, le filtre anti-
repliement est la première différence maté-
rielle entre un analyseur FFT et un enre-
gistreur dans le domaine temporel.
L’utilisateur de ce type d’instrument doit
considérer ces différences avec précaution
et décider quelle solution est la mieux
adaptée à son application. Pour cette rai-
son, les constructeurs proposent séparé-
ment des systèmes d’acquisition de don-
nées et des analyseurs FFT. De toute
évidence, pour l’utilisateur, ceci représen-
te un surcoût matériel et le contraint pour
analyser ses courbes à utiliser deux ins-
truments différents.
Pourtant, aujourd’hui il n’y a aucun obs-
tacle qui empêche d’inclure ces possibili-
tés dans un même système. Les tout nou-
veaux systèmes d’acquisition Nicolet
baptisés Genesis et Liberty proposent le
choix entre l’optimisation pour le domai-
ne temporel et l’optimisation pour le
domaine fréquentiel. Ils intègrent les deux
types de filtre et offre une commutation
par logiciel pour passer de l’analyse tem-
porelle à l’analyse fréquentielle et inver-
sement. De plus, des cadences décimales
de type 100 000 éch/s passent à
102 400 éch/s pour l’analyse fréquentiel-
le afin d’obtenir des valeurs exactes, aus-
si bien dans le domaine temporel que fré-
quentiel.
Gary Schneider
Gould & Nicolet
Gould & Nicolet
BP 221
91942 Courtaboeuf Cedex
Tel.: 01 64 86 45 45 - Fax: 01 64 86 45 46
info@gould-nicolet.fr
43