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Portugal: le président de l’Eurogroupe
soupçonné de trafic d’influence
PAR PHILIPPE RIÈS
ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 5 FÉVRIER 2018
La justice portugaise s’est penchée sur les « faveurs »
– des places gratuites pour un clássico Benfica/
FC Porto – sollicitées par Mario Centeno, nouveau
président de l’Eurogroupe, auprès d’un président de
club de football traînant de nombreuses casseroles
judiciaires. Avant de classer rapidement l’affaire.
À peine installé dans ses nouvelles fonctions de
président de l’Eurogroupe, le ministre portugais des
finances, Mario Centeno, a fait l’objet d'une enquête
de la justice de son pays, qui le soupçonne de trafic
d’influence pour avoir sollicité auprès du président
d’un grand club de football des places en tribune
d’honneur pour lui-même et son fils, laissant ainsi
planer le doute, sinon sur son intégrité, du moins sur
son jugement et l’idée qu’il se fait de sa fonction.
En apparence anecdotique, l’affaire survient dans un
contexte d’affrontement entre des juges affirmant leur
indépendance et une classe politique régulièrement
éclaboussée par des affaires de corruption.
Ce n’était pas des places pour n’importe quel match,
mais un clássico opposant en avril 2017 le grand club
lisboète de Benfica à son rival du nord du pays, le
FC Porto. Mais ce n’était pas non plus n’importe quel
président de club qui était sollicité. Luis Felipe Vieira,
qui préside Sport Lisboa e Benfica, est un affairiste
sulfureux, dont la dette vis-à-vis de la Novo Banco,
la « bonne » banque fondée sur les décombres de
la Banco Espirito Santo (BES), se monte à quelque
400 millions d’euros, portés par son entreprise de
promotion immobilière. Incidemment, la faillite de la
BES pourrait laisser aux contribuables portugais, sur
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les intérêts desquels un ministre des finances est censé
veiller, une facture pouvant dépasser les cinq milliards
d’euros.
Antonio Costa, Luis Filipe Vieira et Mario Centeno
à l'Estadio da Luz © capture d'écran TV- Observador
Cela, le « Ronaldo de l’Ecofin » (surnom donné par
l’ancien ministre des finances allemand Wolfgang
Schäuble) ne pouvait l’ignorer quand il a utilisé
les services du ministère des finances, y compris
pour des échanges de courriels, afin de solliciter
des places gratuites pour assister à l’un des matchs
de football les plus courus de la saison, dans un
pays où la place accordée à ce jeu relève de la
pathologie collective. Le « cas Centeno », qui mijotait
depuis plusieurs semaines, a pris un tour spectaculaire
avec les perquisitions effectuées le 26 janvier par
les enquêteurs du Département des enquêtes et de
l’action publique (DIAP) de Lisbonne dans les locaux
mêmes du ministère des finances. Est visée, selon les
informations avancées par certains médias portugais,
une exonération fiscale accordée à une entreprise
immobilière appartenant aux enfants du président du
Benfica, Tiago et Sara, une semaine après que le
ministre des finances a sollicité l’invitation à assister
au match dans la tribune présidentielle de l’Estadio da
Luz, assis à côté de Luis Filipe Vieira.
Ce que le nouveau président de l’Eurogroupe ignorait
alors, mais qui ajoute au trouble provoqué par cette
affaire, c’est que Luis Filipe Vieira se trouve depuis
le 30 janvier au centre d’une nouvelle affaire de
corruption, blanchiment de capitaux et fraude fiscale,
dans laquelle sont également impliqués et mis en
examen deux juges de la cour d’appel de Lisbonne,
un vice-président du Benfica et une poignée d’avocats.
Baptisée « Opération Lex », l’enquête orchestrée par
l’Unité nationale de lutte contre la corruption (UNCC)
a donné lieu à 33 perquisitions, y compris au domicile
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et dans les bureaux du président de Benfica, et 12
mises en examen, confirmées le 31 janvier. Le juge
Rui Rangel, dont l’ex-femme Fatima Galante, juge
à la même cour d’appel de Lisbonne, est également
impliquée, est soupçonné d’avoir « vendu » à Luis
Felipe Vieira des interventions sur diverses procédures
judiciaires le concernant.
Déjà repris de justice (condamné en 1993 à
une peine de prison pour un vol de camion, 9
ans plus tôt !), le président du Benfica est en
effet depuis plusieurs années l’objet des attentions
des policiers et magistrats instructeurs. Dans son
édition du 27 janvier, l’hebdomadaire Expresso,
complétant certaines informations révélées par son
concurrent Sabado, affirme que, pour les enquêteurs
de l’UNCC, les trois dossiers impliquant le Benfica
de Luis Filipe Vieira dessinent une vaste opération
de contrôle et de manipulation des instances du
football portugais allant jusqu’à l’achat d’arbitres et
au truquage de certains matchs. Pour l’avocat du club
lisboète, Joao Correia, « il y a une main derrière ces
attaques contre Benfica », qui serait victime d’une
« persécution ostensible ».
Union sacrée à Lisbonne pour sauver le
soldat Centeno
Dans la classe politique portugaise, à Lisbonne mais
aussi à Bruxelles, au Parlement européen, ce fut
l’union sacrée pour la défense du soldat Centeno,
dont l’accession à la présidence de l’Eurogroupe a
flatté l’orgueil national. Manfred Weber, le président
du groupe parlementaire du PPE au Parlement
européen, qui avait eu la mauvaise idée de suggérer
un débat en séance plénière sur les tribulations
footballistiques de Mario Centeno, s’est fait rabrouer
par les délégations portugaises (PSD et CDS) de son
groupe, mais aussi, bien sûr, les trois formations de
la coalition parlementaire soutenant le gouvernement
de Lisbonne (PS, PCP et Bloc de gauche), l’euro-
députée et ancienne candidate du Bloco aux élections
présidentielles Marisa Matias joignant sa voix au
chœur des indignés. En visite dans la capitale de l’UE,
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le premier ministre portugais, Antonio Costa, a assuré
que cette affaire, due à « une mauvaise information »
du PPE, était « classée ».
Le président de l’Eurogroupe a pu également compter
sur l’appui de certains éditorialistes influents, couvrant
le spectre politique de l’extrême gauche à la droite
libérale, montés au créneau sur le thème : on n’achète
pas un ministre des finances avec deux billets de
football. Et en tirant à boulets rouges sur le tabloïd
Correio da Manha dont les révélations « populistes »
dicteraient leur ordre de marche aux policiers et aux
magistrats instructeurs. Entre les lignes, la mise en
cause du président de l’Eurogroupe était assimilée à
une atteinte à la réputation du pays.
Pour certains d’entre eux, on les a connus mieux
inspirés, car le problème n’est évidemment la valeur
marchande de deux places « offertes » dans la tribune
présidentielle de l’Estadio da Luz. Même si elle
dépasserait « virtuellement » les 150 euros du plafond
fixé aux « cadeaux autorisés » par un code de conduite
adopté tout récemment par le gouvernement portugais,
à la suite du scandale provoqué par les voyages de trois
secrétaires d’État partis assister, à leur demande, à des
matchs de football de l’Euro 2016 en France, tous frais
payés par le groupe pétrolier portugais Galp. Fernando
Rocha Andrade, un des trois secrétaires d’État poussés
ensuite à la démission après sa mise en examen, était
le bras droit au ministère des finances d’un certain…
Mario Centeno. À l’époque, le PCP et le Bloco avaient
d’ailleurs qualifié le comportement de Rocha Andrade
de « critiquable » et « moralement répréhensible ».
La défense politique et éditoriale du président de
l’Eurogroupe avance également qu’il n’y aurait pas eu
de contrepartie aux faveurs consenties par Luis Filipe
Vieira, parce que l’exemption fiscale était due « de
droit » et relevait de la mairie de Lisbonne et non du
ministère des finances. C’est presque vrai. À ce détail
près que si l’exonération du paiement de cet impôt
immobilier local (IMI) dépend bien des mairies, sa
mise en œuvre est réalisée par les Finances et demande
souvent un délai considérable.
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Toutefois, selon le quotidien Publico,l’enquête
judiciaire conclurait à une décision d’exemption
antérieure à la demande de places pour le clássico
Benfica-Porto émanant du cabinet de Mario Centeno.
Rappelons cependant que ce fut à l’initiative d’un
ancien ministre de la justice nommé… Antonio Costa
que la matérialisation d’une contrepartie n’est plus
indispensable pour caractériser une démarche de trafic
d’influence. Le cadeau accordé par Luis Filipe Vieira
au ministre des finances et à son fils a bien été évalué
par les enquêteurs à plus que les 150 euros acceptables,
mais serait justifié par les « raisons de sécurité » déjà
mises en avant par les défenseurs de Mario Centeno.
Ce qui est assez surprenant quand on sait que le
comportement général des supporteurs portugais n’a
pas grand-chose à voir avec celui des hooligans qui
se manifestent violemment ailleurs. Argument qui,
en tout état de cause, ne peut s’appliquer au fils du
ministre des finances.
Droit dans ses bottes, le même Costa, devenu premier
ministre, avait affirmé d’emblée que Mario Centeno
ne démissionnerait « en aucun cas » du gouvernement,
même s’il devait être mis en examen. Et il avait
qualifié l’enquête le visant de « ridicule »,une antienne
martelée par le chœur des éditorialistes ayant pignon
sur rue. Cette attaque du pouvoir exécutif contre
le pouvoir judiciaire ne doit rien au hasard. En
octobre prochain, le mandat du procureur général de la
République Joana Marques Vidal s’achève, la ministre
de la justice Francisca Van Dunem (entrée dans la
magistrature la même année que Marques Vidal)
ayant laissé entendre qu’il ne serait par renouvelé
puisqu’il serait « long et unique ». Ce qui est
faux, selon pratiquement tous les spécialistes de droit
constitutionnel consultés sur ce point. La vérité est que
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Marques Vidal a présidé à une activité vigoureuse peu
habituelle du ministère public afin de s’attaquer à une
corruption politique endémique, le cas emblématique
étant celui de l’ancien premier ministre socialiste
José Socrates, embastillé pendant neuf mois et en
attente de jugement pour corruption, fraude fiscale et
blanchiment de capitaux.
À côté des crimes imputés à celui dont Antonio
Costa fut le numéro deux, le dérapage reproché au
président de l’Eurogroupe peut apparaître comme une
broutille. Mais la passion du « beau jeu » n’excuse
pas tout, surtout au Portugal, où l’endogamie entre
la classe politique et le monde trouble du football
professionnel est hautement problématique. Comme
l’écrit jeudi dans Publico Joao Miguel Tavares à
propos des présidents des trois grandes chapelles du
foot portugais (Benfica, Sporting et FC Porto), « tout le
monde sait que Luis Filipe Vieira, Bruno de Carvalho
et [Jorge Nuno] Pinto da Costa sont des personnes
peu recommandables ». Tout le monde, sauf Mario
Centeno, semble-t-il. L’enquête qui l’a finalement
blanchi lui aura au moins appris quelque chose.
Boite noire
Cet article a été mis à jour le 3 février pour tenir
compte de la décision du ministère public, tard
vendredi 2 février, de classer le dossier concernant
Mario Centeno, avec une célérité d’ailleurs tout à fait
exceptionnelle. Cela n’excuse en rien la légèreté dont
a fait preuve le nouveau président de l’Eurogroupe en
sollicitant les faveurs de Luis Filipe Vieira. Compte
tenu de la mise en examen de ce dernier dans
«l’Opération Lex », on peut penser que Mario Centeno
paiera ses places pour le prochain clássico Benfica/FC
Porto… ou regardera le match à la télévision.
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