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Tout le monde dans la salle se rassemble autour du ring. Le gong retentit et Adrien
Lacombe commence à sautiller autour du majordome. Il frappe Mister Kent aux flancs,
puis il lui décroche une droite à la tempe. Le majordome encaisse sans fléchir.
— T’es une vraie limace, le nargue le Marseillais. T’arriveras jamais à me toucher.
Mais il est surpris par un coup aussi vif que soudain : une droite de Mister Kent qui
l’envoie directement au tapis. KO !
Larry et Agatha félicitent leur champion, et les spectateurs applaudissent le combat
le plus rapide de l’histoire. L’entraîneur est obligé de traîner Adrien Lacombe dans les
vestiaires.
En revenant à lui, le boxeur accepte aussitôt de raconter sa soirée au Jules Verne.
— Je dînais avec mon manager. On fêtait la tournée que
je vais faire en Amérique du Sud. J’ai rencontré le
diplomate dans l’ascenseur. Il s’est moqué de ma tenue et
m’a traité de touriste.
— Donc vous le connaissiez, et vous ne l’aimiez pas
beaucoup ! s’exclame Larry.
— Je lui aurais donné une bonne leçon, mais mon
manager m’en a empêché. Et je n’ai plus adressé la parole à
ce monsieur.
— C’est bien ce que je pensais, soupire Agatha.
Elle le remercie, lui serre la main et se dirige vers la
sortie.
— Une fausse piste… soupire Mister Kent.
Larry n’est pas du tout d’accord.
— C’est lui, c’est forcément lui ! Il a une rose rouge tatouée dans le cou, et la
dispute dans l’ascenseur, c’est un mobile ça !
— Tu penses vraiment qu’il est du genre à utiliser le poison pour régler une
dispute ? réplique Agatha. À ce propos, j’ai ouvert une des petites cases de ma
mémoire et je me suis souvenue que, selon l’encyclopédie des poisons, une seule
substance provoque un effet d’évanouissement, et donne la mort quelques heures plus
tard : la strychnine.
— Qu’est-ce que c’est ? demande Larry.
— C’est un poison pour souris, répond Mister Kent.
— Bien, maintenant on file, annonce Agatha. Notre prochaine étape, c’est l’Hôtel
Cœur Amoureux, où j’espère trouver notre rose rouge.
Sur l’avenue des Champs-Élysées, les piétons pressent le pas, serrés sous leurs
parapluies. Larry est obligé de regarder sous ses lunettes pour voir où il met les pieds
et éviter de glisser.
— Tu crois que l’assassin aura encore des traces de poison sur lui ? demande-t-il.
L’air est tellement froid en cette fin d’après-midi parisienne que son souffle forme
des petits nuages de buée.
— Je ne pense pas, répond Agatha. Il a pu garder de la strychnine dans un tiroir ou
une cachette quelconque. C’est une substance très commune, mais pour notre enquête,
cela deviendrait une preuve irréfutable…
Ils aperçoivent enfin, à droite de l’Arc de Triomphe, la façade de l’Hôtel Cœur
Amoureux, qui accueille les couples en voyage de noces. Ils mettent au point un plan
d’attaque : Agatha et Mister Kent mèneront les interrogatoires, pendant que Larry
cherchera discrètement la strychnine.
Agatha s’approche du comptoir décoré de cœurs et, très poliment, s’adresse à
l’hôtesse vêtue d’un costume couleur dragée.
— Nous cherchons John Radcliff et Marlène Dupont, s’il vous plaît.
— Vous êtes des amis des futurs mariés ? roucoule la réceptionniste. Je les appelle
immédiatement.
— Nous voudrions leur faire la surprise, ment Agatha.
— Oh ! Alors c’est la chambre 104, au premier étage.
Une minute plus tard, ils frappent à la porte de la
chambre.
— Marlène ? demande une voix pleine d’espoir. Je
savais que tu finirais par revenir, mon amour.
La porte s’ouvre sur un homme jeune aux cheveux
clairs, dans un costume de luxe complètement froissé. Il
les observe d’un air déçu.
— Qui êtes-vous ?
— Nous travaillons pour une agence de détectives
privés, répond Agatha. Nous voudrions vous parler
quelques instants, si cela ne vous dérange pas.
— Il est arrivé quelque chose à Marlène ?
— Cela n’a rien à voir avec Marlène, le rassure
Agatha.
Le dossier a appris aux trois amis que John Radcliff
est un brillant avocat de New York. Sa jolie fiancée,
Marlène Dupont, dirige un atelier de chapeaux sur
mesure à Paris. Ils se sont rencontrés dans la capitale
française, six mois plus tôt.
— J’imagine que c’est au sujet de ce meurtre. On ne
parle que de ça sur toutes les télévisions du monde…
Larry essaie d’attirer l’attention de sa cousine. Il lui
montre une rose rouge posée sur la table de nuit, à côté
d’une petite boîte carrée marquée du sigle d’un grand
bijoutier parisien. L’homme se laisse tomber sur un petit
canapé.
— Monsieur Radcliff, demande doucement Agatha.
Qu’est-ce qui s’est passé hier soir au Jules Verne ?
L’avocat se masse les tempes.
— Tout était parfait… Marlène avait réservé une table pour fêter mon retour à Paris.
Elle était belle, on regardait les lumières de la ville en se tenant la main…
— Vous l’avez demandée en mariage, dit doucement Agatha en pensant à la boîte sur
la table de nuit, parfaite pour une bague de fiançailles.
— C’était l’occasion idéale. Je lui avais offert une rose rouge en gage de mon
amour, et puis je lui ai montré la bague… Elle n’arrêtait pas de regarder autour d’elle,
comme si elle était gênée. Elle m’a dit que c’était trop tôt pour parler mariage. Et puis
elle s’est levée, elle pleurait, et elle est partie en courant. Elle était tellement
bouleversée qu’elle a bousculé un serveur et plusieurs clients.
— Mais ce n’est pas fini, reprend Agatha. Pour un motif que j’ignore encore, au lieu
de partir, Marlène s’est cachée dans les toilettes et a observé la salle. Je pense que tout
avait été préparé avec minutie : la réservation au Jules Verne, l’alibi que lui fournissait
John Radcliff sans savoir qu’il avait été utilisé, les horaires des déplacements de M.
Prochnov.
Elle s’interrompt un instant et se frotte le bout du nez.
— La seule chose qui m’échappe encore, c’est le mobile.
— Et moi, ce qui m’échappe, c’est pourquoi nous allons boulevard Lannes.
— Parce que Marlène doit se cacher dans son magasin, là où personne n’ira la
chercher. C’est dimanche, la boutique est fermée.
— Qu’est-ce que tout cela a à voir avec l’ambassade de Russie ? demande Mister
Kent.
— Je ne sais pas, mais c’est une étrange coïncidence que le magasin soit juste en
face. À mon avis, elle surveillait M. Prochnov pour observer ses habitudes et frapper
au bon moment.
— Alors le mobile du meurtre pourrait avoir un lien avec le milieu de l’espionnage,
suggère Mister Kent.
Agatha pousse un petit cri de victoire.
— Mister Kent, vous êtes génial ! Larry, tu peux entrer dans les archives de
l’ambassade avec ton EyeNet ?
— Bien sûr ! C’est l’EyeNet de l’agent UM60. Il peut faire des miracles, répond
Larry en tapant furieusement sur le clavier de son engin. Qu’est-ce que je cherche ?
Ils entrent « Marlène Dupont » mais ne trouvent rien. Agatha a soudain une idée :
— Essaie « rose rouge ».
Larry entre fébrilement les deux mots dans le moteur de recherche. Au même
moment, les portes du métro s’ouvrent. Ils sont arrivés à destination. Dans la station
déserte, ils s’arrêtent un instant sur le quai balayé par un courant d’air glacial.
— Rien pour « rose rouge », se lamente Larry.
— Zut ! Si nous ne trouvons pas le lien entre Marlène et la victime, nous n’avons pas
de mobile.
Mister Kent reste muet comme une carpe, Larry se gratte la tête et Agatha se frotte le
nez. Watson, dans son sac, commence à s’impatienter.
— À moins que… reprend Agatha. Mais oui ! Bien sûr ! Sur le message, M.
Prochnov parlait anglais, mais d’habitude il parlait russe !
— Euh… Je ne comprends pas… répond Larry.
— Larry, comment on écrit « rose rouge » en cyrillique ?
Larry active le programme de traduction. Les deux mots apparaissent alors sur
l’écran, dans l’étrange alphabet russe.
— Monsieur, je vous conseille de copier ces mots dans le moteur de recherche de
l’ambassade, intervient Mister Kent, qui a saisi le raisonnement de sa jeune maîtresse.
— Incroyable ! laisse échapper le jeune détective en lisant ce qui apparaît sur
l’écran. « Derrière ce nom de code se cache un espion célèbre disparu dans les années
1980 pour des raisons mystérieuses. Son nom était Sergei Ivanov. Il a opéré à Paris
pendant la guerre froide, et il avait fondé une famille ici. Mais il a été éloigné par son
supérieur… »
— Vasiliy Prochnov ! conclut Agatha.
Larry la fixe, tremblant.
— Tu veux savoir le plus bizarre ?
— Je le sais déjà, mon cher cousin, dit-elle en prenant la direction de la sortie.
Sergei était le père de Marlène Ivanova Dupont !
Les trois détectives filent sur le boulevard Lannes. Il est neuf heures du soir et ils ont
parcouru Paris de long en large.
— On a un plan ? demande Larry, à bout de souffle.
— D’abord on trouve Marlène, et ensuite on avise, répond Agatha.
— J’adore l’improvisation, ironise Mister Kent.
Soudain, le majordome s’arrête devant un rideau de fer.
— C’est là ! s’exclame-t-il. Comment entrer ?
Agatha observe les lieux à la recherche d’une solution.
— On dirait que le magasin possède trois issues… l’entrée principale, la porte de
derrière et le trou qui mène à la cave, au sous-sol.
À cet instant, Watson parvient à s’échapper et à se glisser entre le trottoir et le
soupirail.
— Watson ! Reviens !
Il ne leur reste plus qu’à le suivre ! Mister Kent trouve une barre de fer avec laquelle
ils font levier pour soulever le soupirail, et Larry se glisse dans l’étroit passage.
Agatha le rejoint. Mister Kent est obligé de les attendre à la porte de derrière.
Larry et Agatha se retrouvent alors dans le noir le plus complet, excepté la faible
lueur qui vient de la surface. Ils se dirigent à petits pas vers l’escalier et montent au
rez-de-chaussée. Agatha ouvre la porte et s’avance à pas feutrés dans la boutique. Elle
possède une petite fenêtre par laquelle brille une lueur argentée. Derrière le comptoir,
des étagères couvertes de chapeaux.
— C’est fini Marlène ! lance Agatha. Sortez de votre cachette, nous sommes
détectives privés !
Larry entend alors des pas derrière lui. Il se retourne juste à temps pour se jeter à
terre en entraînant Agatha dans sa chute. Il s’en est fallu d’un cheveu qu’ils soient
frappés par une longue aiguille tenue par une jeune fille aux cheveux blonds.