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préhistorique de France
de Hevesy G. Sur une Ecriture océanienne paraissant d'origine néolithique (Conférence). In: Bulletin de la Société
préhistorique de France, tome 30, n°7-8, 1933. pp. 434-449 ;
doi : 10.3406/bspf.1933.12178
http://www.persee.fr/doc/bspf_0249-7638_1933_num_30_7_12178
■ьИ. i.
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est encore dieu ; ici c'est le taureau. L'intolérance absolue des Aryens
pour tous ceux qui n'étaient point de leur race, est connue ; à Mohenjo-
Daro au contraire, les crânes trouvés montrent déjà une population
composée d'au moins quatre races différentes.
Je pourrais poursuivre, mais je préfère attirer votre attention sur
deux points spéciaux. Des objets de provenance de l'Indus trouvés à
Sumer, d'une part, des métaux et des pierres trouvés à Mohenjo-Daro,
d'autre part, nous prouvent que les villes de l'Inde devaient
communiquer avec des régions très lointaines, que leur commerce devait
atteindre d'un côté la Mer Noire, de l'autre la Birmanie et même l'Asie
Centrale, ainsi que l'atteste le jade qu'on a trouvé.
Second point, plus important encore. On a l'impression qu'au point
de vue de son étendue, de sa superficie géographique, la civilisation
nouvellement découverte a du être supérieure à toutes celles que nous
avons connues avant elle.
D'abord, Mohenjo-Daro n'a pas eu d'enceinte fortifiée^ ce qui
laisserait supposer, qu'elle n'a pas été une ville frontière.
Ensuite, on a trouvé à Harappa, qui est presque aussi éloignée
d'elle, que l'est Paris des Pyrénées, exactement les mêmes objets.
Enfin, Sir John Mabshall m'a écrit il y a quelques semaines — sa
lettre est datée de fin avril — de Taxila, quil vient d'identifier des
douzaines d'emplacements, « scores of sites », qui attendent la pioche,
et qu'il suffira d'un peu d'argent et de quelque esprit d'entreprise pour
dévoiler « this most fascinating chapter of human history ».
Vous serez probablement aussi intéressés par ce que Sir John
.
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436 SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE
cette omission n'est pas due au hasard, elle donne à réfléchir; vous me
direz si nous sommes en droit de conclure que les gens de Mohenjo-
Daro y seraient venus d'une contrée où le lion n'existait pas, c'est-à-
dire de la direction de l'Est ?
L'écriture de la nouvelle civilisation a été étudiée de près par des
savants anglais, par le Pr Langdon, d'Oxford, et par le Dr Hunter, de
la même Uuiversité. Si ces savants n'ont pas réussi à la lire, ils ont pu
faire pourtant maintes constatations intéressantes.
Ainsi, ils ont pu s'assurer, que la direction de l'écriture était celle de
droite à gauche. Ensuite que dans beaucoup de cas elle était une
écriture « boustrophedon », c'est-à-dire que les figures des lignes
alternantes « regardaient » d'un côté opposé.
Cette dernière constatation me paraît particulièrement intéressante,
car, nous pouvons en conclure, je crois, que l'emploi de l'écriture dans
la région de I'Indus devait être très étendu et non pas limité aux
inscriptions sur cachets.
En effet, pourquoi a-t-on eu, dans l'antiquité, recours au
boustrophedon ; ou encore à cette autre méthode d'écrire, consistant à placer
les figures de chaque ligne en quelque sorte sur la tête, quitte à devoir
tourner la tablette en lisant ? C'était toujours pour pouvoir passer d'une
ligne à la suivante avec certitude.
Quand nous lisons, nous sommes assez entraînés pour sauter de la
fin d'une ligne au commencement de la suivante et ne nous trompons
que très rarement. Mais avec des hiéroglyphes non seulement
l'écriture, mais aussi la lecture, devait être évidemment moins aisée.
Donc, nous trouvons à Mobenjo-Daro du « boustrophedon ».
Mais d'autre part nous ne trouvons jamais plus de trois lignes sur
une face du sceau — on écrivait souvent sur les deux faces — c'est-
à-dire que te risque de se tromper en lisant n'existait pas.
Puisqu'il y a du boustrophedon quand même, c'est qu'on s'y était
fait la main, c'est-à-dire qu'il devait exister d'autres écrits, infiniment
plus longs, pour lesquels son emploi avait été indiqué.
Voici par exemple, un sceau trouvé à Harappa, où les figures de la
ligne du haut et de la ligne du bas sont renversées de 180° par rapport
de l'uz. à l'autre.
Le Pr Langdon a déjà publié le Corpus complet des inscriptions
trouvées à Mohenjo-Daro jusqu'en 1927.
M. Hunter m'écrit des Indes, où il se trouve, que le même Corpus
des signes de Harappa sera mis sous presse incessamment.
M. Hunter m'a fait aussi savoir, qu'il a établi depuis lors le Corpus
des inscriptions des sceaux trouvés, tant à Mohenjo-Daro qu'à Harappa,
entre 1927 et 1930. 11 y aurait là quelques signes inconnus jusqu'ici,
mais le tout, me dit-il, ne changerait pas beaucoup la liste des signes
connus jusqu'à présent.
Le résultat certainement le plus intéressant des recherches de savants
anglais est que l'écriture de Mohenjo-Daro et de Harappa représente un
système parfaitement établi ; c'est-à-dire que l'écriture n'est sans doute
plus une écriture simplement idéographique, mais tout au moins déjà
mi-syllabique.
Ils ont constaté que des tiges pouvaient se greffer aux signes, des
ourlets s'y ajouter, des accents circonflexes les couvrir, et d'autres
accents, sortes de points, les flanquer des deux côtés : bref ils ont trouvé
le témoignage de cet ensemble méthodique, qui est toujours, comme vous
le savez, un des traits les plus caractéristiques, les plus saillante de
tout ce qui est invention.
SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE : 437
Là-dessus, Mesdames et Messieurs, quittons l'Inde. Franchissons
les mers, transportons-nous à 20.000 kilomètres, justement aux
antipodes de Mohenjo-Daro.
Le savant évêque d'Océanie, le Père Jaussbn, avait demandé à son
clergé du Pacifique, de lui faire parvenir, pour ses collections de Tahiti,
tous les objets présentant un intérêt ethnographique.
C'est ainsi qu'il reçut un jour des cheveux d'indigènes. Le missionnaire
qui les lui avait envoyés, le Père Zumboum, exerçait son ministère, il y
a de cela soixante-dix ans environ, à l'Ile de Pâques. C'est un îlot aride
d'une étendue de 12.000 hectares seulement; et au surplus aussi distant,
dans l'immensité des océans, de toute terre, de toute autre habitation
humaine, comme par exemple, Paris des confins de l'Islande.
L'évéque Jaussen s'aperçut aussitôt que la tablette en bois dont son
missionnaire s'était servi pour y enrouler les cheveux, présentait
infiniment plus d'intérêt que tout le reste, car la tablette était couverte
d'une écriture hiéroglyphique»
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PLANCHE I.
£"n haut : Divers spécimens des sceaux de Mohenjo-Daro (d'après Sir John Marshall,
{Mohenjo-Daro and the Indus Civilization).
En bas : Un des « bois parlants » de l'Ile de Pâques : La tablette dite mamari, conservée
par les Frères de Picpus à Braine-le-Gomte. — On observera un certain nombre de
signes communs.
SOCIÉTÉ PnÉHISTORIQOB FRANÇAISE 439
Mais, hélas, nous n'en sommes, pour la presque totalité des figures,
qu'aux suppositions. Par contre, c'est ici qu'une constatation des plus
troublantes se place, et c'est d'avoir fait cette petite constatation qui me
vaut aujourd'hui le très grand honneur d'être appelé à vous présenter
ce modeste rapport.
L'écriture de l'Ile de Pâques et celle de son antipode, la vallée de
l'Indue, appartiennent à la même souche, et vous allez en juger
immédiatement vous-mêmes.
J'assistais aux cours d'un des Professeurs du Collège de France,
M. Sylvain Lévi, lorsqu'il nous fît connaître la nouvelle civilisation de
Mohenjo Daro. Il avait insisté à ce moment sur les essais infructueux
faits pour rattacher son écriture à d'autres systèmes hiéroglyphiques.
Mais tous les termes de comparaison se plaçaient à l'Ouest. Л l'Est, il
y avait entre autres l'écriture de l'Ile de Pâques, moins étudiée. Je me
suis décidé à voir dece côté, je vous avoué sans conviction aucune, sans
aucun enthousiasme même : simplement par acquit de conscience. Je
n'avais chez moi que la photographie d'une tablette du British-Museum,
reproduite dans le livre de Mrs Rootledge. Mais là je trouvai
immédiatement un signe commun, trois cercles superposés, coupés par une
verticale. Ce n'était déjà pas un signe très simple, mais cela ne disait
pas beaucoup encore.
Je me souvenais très bien de ce qu'un des plus grands savants de
notre époque, M. Dussaud, avait rappelé à propos de la controverse
de Glozel : qu'en somme non seulement les mêmes signes, s"'s sont
simples, ne prouvent rien, mais encore qu'il est assez naturel que les
signes hiéroglyphiques, représentation des mêmes objets, se
ressemblent. Il était clair qu'on ne pouvait parler de la même souche pour cette
écriture, que si le nombre des mêmes signes était très grand, et de
plus, s'il y avait parmi eux des signes tout à fait compliqués.
Mesdames, Messieurs, vous allez voir que tel est bien le cas. Je vous
ferai grâce de vous prouver la concordance générale des deux
écritures ; par exemple de vous démontrer qu'ici et là ce sont les mêmes
éléments de modifications et de combinaisons qui régissent l'emploi des
signes: que ce sont les mêmes tiges qui se greffent aux signes, les
mêmes arrêts et ourlets qui s'y ajoutent, et qu'on peut voir jusqu'aux
mêmes accents circonflexes les couvrir parfois.
Il me suffira de m'en tenir aux signes seuls et de les comparer, et
vous pourrez constater non seulement de fortes analogies mais jusqu'à
des cas d'identité absolue.
Certes, les signes de l'Ile de Pâques forment quelque chose comme
une édition plus ancienne. Vous verrez que leur dessin est beaucoup
plus détaillé, beaucoup plus fin : on n'y trouve pas encore ce caractère
simplifié, ce souci de standardisation que Ion voit déjà à Mohenjo-
Daro, où on faisait de l'écriture un usage plus fréquent sans doute.
Mais permettez-moi de vous montrer quelques-unes des
comparaisons présentées par M. Pblliot à l'Institut, et, comme je viens de voue
le dire, vous pourrez j uger vous-mêmes ».
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Planche
de
Pâques.
Pâques
III.(Dans
—sontSignes
chaque
à droite.)
decolonne
l'écriture
les signes
de l'Indus
de l'Indus
comparée
sont à des
gauche,
signes
ceux
de de
l'Ilel'Ile
de
SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE
à-dire d'un bois qui ne croît pas dans l'Ile de Pâques. En l'état actuel
de la science on ne peut préciser s'il s'agit d'un Podocarpus Latifolia,
qui croît sous les tropiques, aux Molluques, à Celebes, en Amérique
Centrale même, ou encore d'un Podocarpus Ferruginea que l'on trouve
en Nouvelle-Zélande.
En tout cas, j'ai pu constater que le mot • miro » avec lequel les
indigènes de l'Ile de Pâques désignent leur arbre le plus important, le
Sophora, a en Nouvelle-Zélande, c'est-à-dire ea langue maori, le
nom du Podocarpus Ferruginea.
On a aussi émis l'hypothèse, qu'il s'agissait dans le cas des tablettes
de l'Ile de Pâques, de bois flottants apportés à l'île par des courants.
Les chimistes m'assurent que l'on pourrait décider, aujourd'hui encore,
s'il s'agissait de bois ayant séjourné dans l'eau de mer. Seulement
pour cette analyse quelques millimètres cubes des tablettes ne
suffiraient plus et, bien entendu, aucun musée ne veut sacrifier les siennes.
11 y a encore une raison qui nous fait supposer que les bois ont été
importés, et c'est la tradition des indigènes.
Plus d'un de vous, Mesdames et Messieurs, qui savez par.expérience
à quel point la valeur historique de la tradition est faible, puisque vous
avez souvent vu, de vos yeux, altérer, dénaturer des faits, rien qu'à
vingt ans de distance, plus d'un de vous hochera la tête quand je vous
dirai qu'on a reconstitué presque toute l'histoire des Polynésiens grâce
à leurs traditions.
Mais, chez ce peuple, la véracité de la tradition est unique.
Base même de sa religion, de sou rite, on allait dans quelques ties,
jusqu'à punir de mort celui qui osait l'altérer.
Le souvenir des grands faits des ancêtres, ainsi que leurs
généalogies : des généalogies orales remontant parfois à plus de cent
générations, c'est-à-dire à plus de 3.000 ans, étaient pour les Polynésiens ce
qu'ils connaissaient de plus sacré.
L'enseignement de fa tradition se faisait dans des écoles
spéciales, et toujours de la façon la plus solennelle. Les Européens ont
procédé à des recoupements entre des généalogies d îles éloignées ;
c'est ainsi que l'on a eu la preuve qu'elle» avaient été conservées aussi
pieusement qu'exactement.
Ce sont ces Polynésiens, dont nous connaissons aujourd'hui assez
bien les migrations — puisque nous pouvons les retracer avec
certitude jusqu'en Indonésie — c'est ce peuple de marins colonisateurs,,
qui a apporté une écriture dans l'Ile de Pâques.
Car si la tradition des insulaires dit que leur chef Hotu-Matuàj
arrivé dans l'île avec deux grands bateaux et trois cents guerriers
ainsi que leurs familles, il y a peut-être 900 ans, y aurait apporté
67 tablettes inscrites avec lui — et pas une de plus ou de moins — il
y a de grandes chances que cela soit vrai, c'est-à-dire que l'écriture
des tablettes n'ait pas vu le jour dans l'île même, mais qu'elle y ait été
importée.
Reste à savoir d'où ces tablettes ont été importées? 11 n'est peut-
être pas très téméraire d'en marquer la trace dès maintenant, jusqu'en
Nouvelle-Zélande. Les habitants de l'Ile de Pâques seraient venus de
Tile de Rarotonga, mais celle-ci aurait été colonisée par des Néo-
Zélandais. Certains détails des rites et coutumes et « last but not least »
certaines particularités linguistiques, ont toujours fait supposer que
les indigènes de l'Ile de Pâques s'apparentaient étroitement aux Néo-
Zélandais.
444 SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE
Mais laissons pour le moment la question des tablettes, et passons
à celle des relations entre les deux écritures. A première vue, étant
donné le décalage dans le temps et l'espace, rien ne paraît plus
improbable que l'hypothèse de relations directes entre les Indes et l'Océa-
nie.
Comment donc expliquer ce que nous venons de voir au sujet de la
similitude des écritures?
L'explication nous a été déjà donnée, semble-t-il, par un
pressentiment de Sir John Marshall. Celui-ci, en rendant compte dans son
livre sur Mobenjo-Daro, des différents essais faits pour ramener son
écriture à d'autres écritures anciennes, nous met en garde contre ces
rapprochements. Par contre, il pense que si les écritures de la
Méditerranée et de TOuest de F Asie, comme la Sumérienne, l'Egyptienne,
la Hittite, la Cretoise, la Proto-Elamite et, naturellement celle de
rindus, ont évolué séparément, ne serait-ce que par suite de la
différence des langues, elles doivent cependant remonter toutes à une même
et unique source.
« Les principes qui sont à leur base », dit-il, « sont les mêmes, et
il y a toute vraisemblance (every likelihood) que toutes sont dérivées
d'une source commune, qui remonte probablement loin en arrière,
jusque dans les temps néolithiques ».
Cette écriture néolithique, cet ancêtre de toutes les écritures, ne
l'aurions-nous donc pas devant nous dans celle des tablettes de l'Ile de
Pâques, celte île dont toute la culture, au moment de sa découverte,
était néolithique 'encore ?
Permettez-moi de vous avouer que j'ai peine à croire qu'il en soit
autrement.
Où est née cette première écriture ? Et où devons-nous chercher la
patrie d'origine de cette civilisation néolithique, déjà très développée
sans doute, à qui revient son invention?
Dans l'Est de l'Asie, quelque part en Extrême-Orient, dans des pays
chauds en bordure de l'Océan ? En ce moment, nous ne saurions encore
le dire. Mais les tablettes sont désormais là pour témoigner qu'elle a dû
exister. En tout cas, on a déjà relié jusqu'ici par deux voies le fin fond
du Pacifique à t'Est de l'Asie. De la première, de la voie linguistique,
Î'e ne puis dire, hélas! que le plus grand mal. 11 y a sans doute des
iens linguistiques entre ces deux points du globe, mais les filiations
que nous croyons exister aujourd'hui — ainsi la famille ausirique de
langues, établie par le Père Schmidt, et notamment la famille austro-
asiatique de Schmidt, ainsi que je l'ai expliqué à la Société Asiatique à
Paris — me paraissent inexistantes. Je compte du reste m'étendre sur
ce point au IIIe Congrès International des Linguistes, en septembre
prochain, à Rome. Je proposerai à ce dernier dans ma communication
a Une fausse famille linguistique » qu'on ne se serve plus des termes
a austritjue )> et « austro-asiatique », puisqu'ils ne définissent
actuellement rien et sont par là même des plus dangereux.
Plus réels, plus sérieux, et donc plus heureux sont les liens que
vous, archéologues, avez établis entre le Pacifique et l'Asie Australe.
Et comment ne le seraient-ils pas, puisqu'ils s'attachent à des objets
palpables, et qu'au surplus vous vous faites un plaisir de vous intéresser
aux travaux de vos confrères et de les contrôler, tandis que les linguistes
excellent à se soustraire à de semblables contrôles, en invoquant chaque
fois qu'il ne s'agit nullement de leur spécialité.
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Les fouilles mémorables de M. Mansdy et de M11* Colani en Indo-
Chine et au Tonkin, ensuite les travaux d'un savant hollandais M. van
Callenfels, et tout dernièrement ceux d'un savant autrichien, le
Baron Heine-Geldern, professeur à l'Université de Vienne, ont déjà
reconduit les Mélanésiens dans ces parages et jusqu'aux frontières de
la Chine d'aujourd'hui.
Dire Mélanésiens n'est pas encore dire Polynésiens. Mais peut-être
réussirons-nous aussi à retracer un jour la migration asiatique de cette
race merveilleuse, de ces marins sans égaux qui, au temps où nos ancêtres
ne faisaient que louvoyer le long des côtes, mille années avant 1ère
chrétienne, sillonnaient déjà la haute mer, et qui au vie siècle de notre
ère pénétraient jusqu'à l'Antarctique, trouvaient le chemin d'aller et
retour entre des Ilots distants de plusieurs milliers de kilomètres, qu'ils
atteignaient avec des flottes entières, amenant avec eux femmes,
enfants, animaux domestiques, et jusqu'aux plantes utiles des terres
cultivées, et se révélant ainsi les plus grands colonisateurs de tous les
temps.
Déjà le Baron Heine Geldbrn vient de m'écrire qu'il a trouvé des
relations certaines entre la culture indigène de la Nouvelle-Zélande, d'où
semblent provenir précisément les habitants de l'Ile de Pâques, et le
Néolithique de la Chine du Nord.
péremptoirement
Le Professeur
l'absurdité
Schirokogoroff,
d'un ouralo-altaien
qui vient
commun,
de démontrer
m'écrit si
en date du
18 Avril de Pékin : « Comme expérience, j'ai montré vos caractères,
с après en avoir expliqué l'origine, aux Chinois familiers avec l'an-
« cienne écriture chinoise ; ils les ont reconnus comme « chinois » et
с les ont nommés en chinois. C'est pour le moins très curieux et peut-
« être significatif ; j'espère les montrer aux Chinois tout à fait compé-
« tents ».
Tout ceci est évidemment fort vague encore, de même que sont très
vagues certaines petites constatations que j'ai pu faire moi-même dans
ce domaine, constatations tellement peu approfondies encore, que je
préfère ne pas vous en parler pour le moment. Mais peut-être le jour
n'est-il pas très éloigné, où nos connaissances sur la préhistoire de cette
partie du globe s'élargiront singulièrement. De même que nous savons
qu'aujourd'hui le commerce entre les deux rives du Pacifique est plus
intense qu'entre celles de l'Atlantique, de même il se pourrait que le
mouvement d'immigration civilisatrice ait été plus fort dans le Sud-Est
de l'Asie que dans sa partie Ouest ; ainsi on oublie trop souvent que
à la fin du Paléolithique et au début du Néolithique il existe un mélange
de races en Indo-Chine comme peut-être nulle part ailleurs à cette
époque.
Enfin, je voudrais vous montrer encore un exemple qui, s'il n'a en
soi rien d'absolument probant, me semble trop curieux pour le laisser
de côté. J'ai attiré votre attention apropos de la dernière tablette de
l'Ile de Pâques, sur une façon de représenter l'homme de profil. C'est
la bouche qui est surtout marquée sur le visage, et les pieds sont
tournés Tun vers l'autre. Il est vraiment surprenant, qu'on ait pu trouver sur
une vieille relique de l'art Kmer, présentée à une conférence brillante,
que notre cher Président a fait sur un voyage en Indo-Chine, la même
représentation de l'homme.
Une autre forme, analogue à un des objets que Ton voit dans Г In do-
Chine antique, est celle de Гаге sur lès tablettes. Les Polynésiens ne
la connaissaient pas — tout comme à Mohenjo-Daro — ou très peu ; je
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ne l'ai retrouvée en tout et pour tout que deux fois. Mais là, sa forme,
avec les deux bouts recourbés et le centre un peu saillant, est la
même.
Je pense qu'en poursuivant les études on trouvera bien d'autres
analogies encore et que, de même qu'il y a dix ans personne ne
soupçonnait la civilisation de l'Indus,de même les années avenir pourraient
nous dévoiler toute une civilisation néolithique très développée dans
l'Est de l'Asie.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs.
Au début du modeste exposé que je termine, j'ai rappelé avec quelle
prudence il nous fallait opérer. Aussi n'ai-je émis jusqu'à présent
qu'une seule et unique conclusion : à savoir que les deux écritures,
celle de l'Indus et celle de l'Océanie appartiennent à la même souche.
Tout le reste, je ne l'ai considéré que comme des probabilités, des
éventualités, des possibilités ; ce n'est, en quelque sorte qu'un cadre
que j'ai essayé de vous tracer.
Pourtant, Mesdames et Messieurs, on peut arriver à une deuxième-
conclusion encore, et même à une conclusion tout à fait nette.
Vous avez pu constater à quel point des possessions françaises, le
Tonkin, rindo-Chine sont en jeu dans ces nouveaux problèmes; vous
avez pu voir, comment les liens culturaux qui pourraient unir le Рась
fiqueet l'Inde, convergent tous vers ces territoires.
Déjà la Préhistoire est née, plus qu'une autre science, sur le sol
français. Plus tard ce sont encore des savants français qui ont pris la part
du lion dans la reconnaissance des grandes civilisations de la
Méditerranée et de l'Ouest de l'Asie.
Etant donné que l'Indo Chine parait bien le lieu désigné pour la
continuation des recherches, j'en arrive à la deuxième conclusion, que vous
trouverez toute naturelle :1a Préhistoire n'a pas seulement été, mais elle
restera, ou, pour être plus précis, il y a toutes chances qu'elle reste
encore, la science française par excellence. »
A la suite de cette très intéressante conférence plusieurs de nos
Collègues ont demandé des renseignement à M . G. de Hevesy :
M» A. Vayson de Pradenne déclare prendre la parole pour
répondre au désir exprimé par le conférencier « Chacun de nous,
dit-il, a compris l'intérêt capital que présente la question traitée
par M. de Hévesy; chacun a pu admirer la belle clarté avec laquelle
il l'a exposée, et la sagesse de ses paroles faisant appel à la prudence
scientifique.
L'auteur des rapprochements si surprenants et si gros de
conséquences entre les écritures de l'Inde ancienne et de l'Ile de Pâques
nous convie avec une aimable insistance à discuter, à poser des
questions, à formuler les objections qui peuvent nous apparaître.
« Je ne suis pas épigraphiste et la sagesse commande de ne point
parler des sujets que l'on ignore. Cependant dans les domaines les
plus spéciaux, il y a toujours des parties qui peuvent être abordées
avec le seul seas critique dérivé de la méthode scientifique générale.
Les épigraphistes ont été amenés à considérer que, pour avoir une
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comparaison valable, il fallait montrer non seulement l'identité du
signe mis en cause, mais aussi celle du sens ou du son qui y est
attaché. A défaut d'une telle preuve on pourra encore conclure à la
parenté de deux écritures si on montre que la grande majorité des
signes et spécialement la majorité des signes compliqués se retrou?
vent dans les deux, quels que soient le sens ou les sons qui s'y
attachent.
« Pour éclairer tout à fait la question et convaincre les sceptiques,
il faudrait donc aller au-delà des rapprochements que nous venons
de voir, quelque suggestifs qu'ils paraissent déjà, et dresser
systématiquement un Сог/jus des signes de l'île de Pâques et un Corpus
des signes de l'Indus, d'après la même méthode, en groupant ces
figurations par famille de sujets ou de formes. Puis montrer, famille
par famille, les identités ou analogies qu'on peut constater et prouver
que par leur nombre et leur étroitesse elles échappent à 1 hypothèse
d'une rencontre fortuite. Bien entendu dans ce travail de
rapprochement les menus détails des accents et des modifications auxquels les
signes paraissent soumis seront pris en considération comme ayant
la plus grande importance.
« Ce qui frappe le plus dans cette découverte c'est la différence -
d'âge entre les signes de l'Indus remontant à plus de 4.000 ans et
ceux de l'Ile de Pâques qui paraissent dater de siècles récents. On
considère comme un fait constant en épigraphie l'évolution de la
forme des signes. Mais toute 1 épigraphie que l'on connaît se
rapporte à des peuples qui ont évolué de façon générale dans leur façon
de vivre. Les Polynésiens au contraire étaient restés à l'industrie et
sans doute à leurs coutumes néolithiques; Ayant fait preuve en cela
d'un conservatisme inconnu ailleurs n'auraient-il pas pu aussi
conserver sans changement pendant des siècles ou des millénaires ce
qui ailleurs changeait toujours, l'écriture? Au surplus il est loin d'y
avoir entre l'écriture de l'Indus et celle de l'Ile de Pâques l'identité
absolue qui set ait extraordinaire. »
M. G. Poisson fait remarquer que M. de Hevesy a indiqué,
comme populations antérieures aux Aryas dans l'Inde, celles du
groupe Munda. Il convient cependant d'en distinguer les Dravidiens, .
malgré leur mélange avec des éléments Mundas; ils s'en distinguent
par leur langue, et par leurs caractères physiques rappelant souvent
les races blanches. Si les Dravidiens, refoulés par les Aryas, ne se
voient plus actuellement dans le bassin de l'Indus, on a retrouvé
dans le Béloutchistan un groupe parlant très nettement une langue
dravidienne, les Brahouis. Les Dravidiens ont donc dû occuper la
vallée de L'Indus avant l'arrivée des Aryas vers 2000 avant notre
ère, et il est probable que ce sont eux qui développèrent vers 2 500 la
civilisation de Mohenjo-Daro.
448 SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE
On a souvent rapproché les langues des Dravidiens et des
Suraériens, en les rattachant au groupe Ouralo-altaïque, ou finno-ougrien.
On faisait venir les Sumériens d'une région montagneuse du Nord.
Les fouilles récentes d'Ouret de Kish ont bien démontré qu'ils étaient
des immigrants, superposés d'un peuple apparenté aux Susiens.
Mais les découvertes de la vallée de l'Indus ont fait croire qu'ils
auraient pu venir de l'Inde par la voie maritime. La chronologie
s'oppose à cette opinion et il semble préférable de faire venir les
Sumériens comme les Dravidiens du centre de l'Asie avec des
civilisations apparentées.
D'autre part les Polynésiens se distinguent des autres peuples
Océaniens par certains caractères « européens », et Deniker les
rapproche des Aïnos qui appartiennent à la race blanche. Le Dr Mon-
tandon a montré l'influence du type aïno chez les anciennes
populations du Nord-Est de l'Asie, et l'on peut poursuivre le
rapprochement jusqu'au Nord de l'Europe. La découverte récente du Sinan*
thropus a donné une base à ces rapprochements en permettant de
reconnaître, avec Osborn, dans le Nord-Eát de l'Asie, un centre
génétique de race blanche, qu'on peut opposer au centre de race
noire indiqué dans le Sud par le Pithecanthropus On peut admettre
que de ces deux centres sont partis des courants migratoires qui se
sont entrecroisés, et ce seraient des courants de ce genre, venus du
Nord, qui auraient porté dans le Sud les ancêtres des Sumériens, des
Dravidiens et des Polynésiens, avec certains usages communs,
parmi lesquels une écriture primitive.
M. Jean Tandonnet dit: « Pendant mon dernier séjour en Extrême-
Orient, j'ai eu l'occasion de constater par moi-même, l'existence dans
la Chine du Nord de villages entiers de populations blanches, à
caractères ethnologiques, les rapprochant nettement des Européens,
signalées d'ailleurs à plusieurs reprises par certains Missionnaires.
Cette remarque venant à l'appui de l'opinion émise par notre
eminent Collègue, semblerait indiquer que le Chinois autochtone est
blanc et que le Chinois jaune est le produit d'un métissage.
Mme Harper Kelley demande si les signes des tablettes de l'Ile de
Pâques ont été gravés à l'aide d'un outil en métal et s'il ne serait pas
possible, dans l'affirmative, de les dater approximativement.
A propos de la question posée par Mme Kelley, M. Vayson de
Pradenne explique qu'il s'est occupé depuis longtemps de chercher
à distinguer les objets de bois ou d'os travaillés avec des pierres de
ceux travaillés au m tta
II est arrivé à une conclusion, conforme d'ailleurs à ce que l'on
constate, en bien des domaines de l'expertise ; dans certains cas on
dislingue nettement des traces de travail avec des outils en pierre :
SOGléTÉ ÍRŽHISTOBHJDE PRJSNÇAISE '419
dans d'autres on distingue des traces attribuables an métal seul:
souvent il ne subsiste aucune trace caractéristique de l'un ou l'autre
procédé.
Pour ee^uř esfe des tablettes de П1е- de- Pâqties, M. "Vayson db Pra -
dense a remarqué que certaines étaient dřvisées en méplats bien nets
quoique peu accusés : mais ce travail ne lui permet pas de conclure
à l'emploi du métal d'autant plus qu'à L'Ile de Pâques comme dans
d'autres îles d'Océanie, on disposait d'une excellente matière
tranchante : l'obsidienne.