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ET ANTOINETTE MOLINIÉ
AVEC LE CONCOURS DE

Maque á transformation kwakiutl


(Musée de Vancouver). DANIELE DEHOUVE

NANTERRE

Société d'ethnologie

1
99 3
W A C H T E L , Nathan
A U R O R E B E C Q U E L I N *
1990 Le níour des ancitres. Les Indiens Urus de Boüvie, XX?-XVF siécle. Essai
d'hifloire regressive (Paris, Galiimard).
W O L F , Eric Temps du réát temps de I'oubli
y
1 9 8 2 Europe and the People Without Hislory (Bcrkcley/Los Angeles, University of
California Press).

<r Comment te porte votre mémoire ?


— IM plupart du tempt, elle retiemble a I'oubli. »
(J.-L. BORGES 1978, 15)

Mémoire et savoir.

L ' o b j e t de ce texte eft une reflexion sur l'exercice de la


m é m o i r e en relation avcc 1c temps chcz quelqucs groupes mayas
des Hautes Terres du Mexique. A partir de remarques sur les
temps grammaticaux d'une part, sur la signification de la forme de
la tradition órale d'autre part, les notions de temps linéaire et de
temps cyclique, appliquées aux Mayas, sont soumises á un examen
critique, qui voudrait montrer que, dans le syslémc social généralisé
des charges et par le truchement m é t a p h o r i q u e du cheminement ct
du végétal, temps linéaire et temps cyclique sont garants l'un de
l'autre, et que toute atteinte á l'un affecle l'autre.
P o u r aborder le t h é m e « m é m o i r e de la tradition », notre point
de d é p a r t sera simple : comment parle-t-on de la m é m o i r e en tzel-
tal et dans la langue maya la plus voisine, en tzotzil (1) ? Comment
se définit la tradition et qucls rapports entretient-elle avec la
m é m o i r e ? S i Ton peut se poser ees questions de f a c ó n relativement
direde, c'est que, dans ees langucs, les deux notions sont intime-
ment et explicitement liées.
« Se souvenir » se dit, en tzeltal, ca' na'-el : « savoir une
d e u x i é m e fois » (ca' significant « deux fois », comme dans ca' winik :
« deux fois un homme », pour compter « quarante »), aussi bien
que na'el seul ou encore s-hul-hon ta y-o'tan : « arriver dans son
cceur », et s-na'-non ta y-o'tan : « rappeler dans son cceur », ce qui
signifie : « p r é o e c u p é par un souvenir récurrent, constant ». E n
tzotzil moderne, on rencontre ees deux m é m e s expressions : na'ct
yul ta bol. L e s sens de na' sont ainsi décrits par Laughlin (1975) :

* Laboratoire d'ethnologic et de sociologie comparative ( U M R I 1 6 , C N R S ) , univ. de Paris x.

21
i ° savoir ; 2 ° se souvenir, regretter, sentir le manque de ; 3 calcu- 0

1. Morphologie des temps grammaticaux : le passé efl aux passés mais l'avenir
ler, prendre conscience de, penser ; 4 étre accoutumé. L e champ
0

n'efipos au futur.
de na' couvre done le champ du savoir et celui du rappel de ce
savoir — le souvenir — ainsi que le regret et 1'habitude (2) ; en Nous é v o q u e r o n s rapidement les formes dites de « passé » et
outre s'esquisse le sens de « pronoftic » (3). O n trouve de m é m e le les différentes manieres d'exprimer les é v é n e m e n t s du passé, puis
terme na' obil qui signifie « héritage », « regret » (d'un d é f u n t ) , et les formes dites de « futur » et les facons d'exprimer les é v é n e -
dans un diétíonnaire plus ancien (4) (Laughlin 1988) : « commemo- ments á venir.
ration », « m é m o i r e », mais aussi « indication ou indice pour devi- D a n s les descriptions des langucs mayas, en particulicr pour les
ner », comme l'exemple suivant le montre : Ha'j-na' 'qy te 'ok' obuk families des Hautes Terres du Mcxique et du Guatemala, le passé
chamane : « Je p r é s u m e que tu mourras demain. » Le terme é v o q u e eft le plus souvent associé á l'asped perfectif et s'oppose á un
done les dimensions de P a n a m n é s e et de la prévision, comme dans aspect imperfectif et / o u progressif de Paction en cours, les deux
le cas du guérisseur ou du pulsador, qui identifie la maladie grace á é t a n t m a r q u é s sur le prédicat verbal de facón relativement s y m é -
sa reconnaissance des s y m p t ó m e s , et plus encore grace á l'étiologie trique : m é m e place des morphemes, ou particules, en général
de la maladie et aux é v é n e m e n t s passés de la vie du malade, mais a n t é p o s é s au radical verbal et á son ou ses pronoms incorpores
aussi qui prévient Pavenir et prescrit ce qui peut d é t o u r n e r les mal- (au moins pour les transitifs á sujet crgatif), morpheme simple,
heurs q u ' ü « pré-voit », puisque na' peut aussi étre traduit par usage obligatoire, incompatibilité m o r p h o s é m a n t i q u e de Pun avec
« deviner jufte ». L a m é m o i r e eft aussi concue comme un mouve- Pautre (8). L a marque du passé eft différente selon que Paction
ment (huí) (5). Savoir et m é m o i r e sont des parcours, mais dans intéresse un a&ant ou plusieurs (intransitifs, ftatifs / t r a n s i t i f s ) .
deux directions possibles : celles qui sont pour nous le futur et le D a n s certaines langues mayas, il exifte plusieurs types de passé :
passé (6). Pour mieux dire, la m é m o i r e - s a v o i r eft prospective autant proche, lointain, révolu, résultatif, etc.
que retrospective, le verbe qui signifie « savoir » et « se souvenir »
E n revanche, le futur subit un traitement á part : par exemple,
se référant paradoxalement á Pavenir. Dans les deux fragments de
K a u f m a n (1990) Pinsére dans une catégorie grammaticale générale
glose sur la tradition qui sont d o n n é e s plus loin, la traduction
« temps-aspecVmode » avec une sous-catégorie appelée « poten-
de na' par « savoir » induirait une limitation abusive du sens. O n
tiel » dont le signifie eft celui d'un futur possible, probable ou
peut done p r é f é r e r traduire, afln de ne pas évacuer Pidée de
s u p p o s é . L a forme, en tzeltal, eft souvent discontinue ou bi-
m é m o i r e — m é m e si elle eft niée — : « nous avons oublié ce qui se
m o r p h é m a t i q u e (9), et il n'y a pas de particulc qui soit spécifique
passera, nous avons oublié si nous vivrons », ou encore « nous
du seul futur, en dehors des adverbes comme « demain » ou « plus
avons oublié (7) quand nous mourrons, et si nous pourrons accom-
tard ». L e s particules et radicaux verbaux servant á exprimer un
plir nos charges ». L a question se pose alors : comment et quand
p r o c é s qui doit se produire dans Pavenir sont la plupart du temps
le devenir peut-il faire partie du savoir et, a fortiori, de la m é m o i r e ?
affecres du suffixe -uk qui eft clairement, entre autres fonctions, un
Comment peut-on traiter de Pavenir comme d'un passé ?
modal atténuatif (associé aussi bien avec Passertion qu'avec la
Parler de la m é m o i r e et de son parcours, m é m e en dehors de negation). Par aillcurs to eft le second é l é m e n t de la marque
toute c o n s i d é r a t i o n t h é o r i q u e sur les rapports entre representations discontinue ya... to, dont la premiere partie eft le p r é s e n t imperfectif
linguiftique, conceptuelle et culturelle du temps, ne peut se faire ya, + / < ? : « jusqu'á maintenant » (peut-étre le m é m e que celui qui
sans donner d'abord une description et une évaluation, fussent- eft utilise comme déictique de spécification dans les expressions
elles sommaires, des outils grammaticaux et lexicaux de Pexpres- me... to, in... to et me... lum to dont le dernier composant indique
sion du passé et du futur. Péloigncment relatif) (10). E n f i n , une particule dubitative, wan,
s'accroche á presque toutes les catégories de P é n o n c é , et s'associe
volontiers avec Pexpression du futur. Pour signifier « j'irai p e u t - é t r e
demain » ou « je crois que j'irai demain », on dit ya wan s-boh-on

22 23
pajel. Une des marques é g a l e m e n t attribuée au futur est niwan, I I y a done une certaine disparité formelle et d'usage entre
comme dans pajel niwanya s-bohon : « c'est bien demain que je m'en l'expression du passé et celle du futur, et ceci n'esl apparemment
irai ». L a formule la plus courante en tzeltal dcmeure une forme au pas propre au tzeltal-tzotzil mais se rencontre á peu p r é s de la
présent á laquelle on ajoute Padverbc si le locuteur désire ajouter m é m e f a c ó n dans bien des langues mayas. E n itza (12) aussi, o n
une precision : ya s-bo-hon pahel : « je m'en irai demain », litt. « je trouve pour l'expression du futur l'impcrfcctif + adverbe, ou bien
m'en vais demain ». T o u t se passe comme si ce qui spécifierait le un morpheme de subjonctif, ou encore le verbe « allcr » (13). I I
temps futur en tant que tel était secondaire ou accessoire, et que faut á l'évidencc évaluer cet Índice et lui donner sens. Quant á
les marques en étaient fluctuantes et multifonctionnelles. I I est l'usage des formes, il peut varier, puisque J . Maxwell fait remarquer
frappant que l'expression du temps quant au passé, mais surtout au qu'en chuj, ce serait non pas au futur, mais á la narration des
futur, n'est pas obligatoire dans ees langues et qu'une particule du é v é n e m e n t s anciens — un des genres qu'elle distingue — qu'est
« non-maintenant » peut advenir et se traduire i n d i f f é r e m m e n t par attaché le mode dubitatif, dont il serait m é m e une des caracté-
un é n o n c é au passé ou au futur (role equivalent á celui du f r a n j á i s ristiques (Maxwell 1990, 459).
« tout á I'heure »). Haviland, dans sa description du tzotzil, men- B i e n des linguistes ou des logiciens ont déjá souligné que le
tionne que la particule 'os s'emploie isolément ou en combinaison futur est écartelé entre l'expression du temps et celle du mode,
pour indiquer un moment spécifique, qu'il s'établisse dans le passé et en patticulier du mode de ce qui n'est pas inscrit dans le
ou dans le futur : mi 'oy 'os manko ta k'in se traduit en f r a n j á i s par temps (14). C'est en quelque sorte une expression qui tient de la
« il y aura des mangues pendant la féte » ou bien « il y a eu des nature du temps (futur), du mode (irréel), et de la m o d a l i t é
mangues pendant la féte », et signifie « á un instant d o n n é qui n'est épistémique (on n'asscrte rien au sujet du non-réalisé) (15). L e u r
pas maintenant, i l y a des mangues », avec des particules comme to réflexion incite á s'interroger sur la nature v é r i t a b l e m e n t temporelle
(« quelque chose exislait avant, et existe encore jusqu'au moment du futur en maya.
indiqué », « encore ») et sa (« déjá ») (Haviland 1981, 25). E n tzeltal,
ja ñas ta k'in ay mango veut dire que c'est seulement pendant la féte 2. Entre temps et mode : le futur.
qu'il y a des mangues et se traduit selon les cas par « il y en a eu »
ou « il y en aura ». Cette anesthésie de la nécessité d'inclure un a L'enfant des cendres : " [...] Diles les
six modes qui son/ !
é n o n c é dans le temps est importante á considérer, bien que, lors- — L'optionnel, le diOatif le subodoratif,
qu'il s'agit d'un verbe d'existence — cas le plus fréquent d'abolition I'injon&f, l'inaüif, le dodicationnei Sépara-
tif en le mode de separation ; l'optionnel eíl
temporelle grammaticale — , l'énoncé soit normalement plus sus-
le mode de /'option. Sei^e temps sont quand
ceptible que d'autres de refléter des vérités générales a-temporelles. il en eíl encore temps : le présent lointain, le
futur avancé, l'inaOif présent, le disatüf
E n conclusion, trois ordres de faits (forme, usage, sens) mon- passé, le pita que présent, son projeítif passé,
le passé posiérieur, le pire que passé, le
trent que, en tout cas en tzeltal et en tzotzil, la formulation du
jámate possible, le futur achevé, le passé
procés au futur ( n ) est « á part » dans le paradigme verbal des terminé, le possible antérieur, le futur
verbes transitifs au moins : posiérieur, le plui que perdu, l'achevatif
l'aUentatif " [...}. »
— en face du p r é s e n t imperfectif (ya) et du passé perfc&if {la ou
( V . N O V A R I N A 1989, 19)
zéro), m o n o - r n o r p h é m a t i q u e s , le futur esl la plupart du temps une
forme complexe discontinue;
L ' h é t é r o g é n é i t é des constructions du futur par rapport aux
— l'expression en est rare et elle est souvent remplacée par la
autres temps-aspeets (perfectif /imperfectif et p r é s e n t / p a s s é ) , sa
forme du p r é s e n t imperfedif;
rareté d'emploi, son remplacemcnt dans les é n o n c é s quotidiens par
— le sens des formes eft bien plus souvent modal que strictement
les auxiliaires de type « aller » (subjectivisation du verbe de mouve-
temporel. Nous y reviendrons un peu plus loin pour tenter de
ment, selon la terminologie de Langacker, 1990) et son utilisation
comprendre cette asymétrie.

24 25
modale se conjoignent pour briser la ligne, commode á nos yeux, m é m e nom (Roys 1967, 183-184). Si Ton examine les textes, on
d'un temps continu représenté sur une ligne par les compositions s'apercoit que la forme la plus utilisée est celle signalée par
symétriques du passé et du futur de part et d'autre du present. A r z á p a l o : le suffixe en -om, qui est effectivement celui de la
O n pourrait p l u t ó t parler d'un axe « ramifié », comme celui du certitude, marquant un temps non contemporain de l'adle d ' é n o n -
f r a n j á i s tel que le décrit Martin ( i 981). Si Ton met en relation, en ciation mais non éloigné, sorte de prétérit-futur (futur au caracrere
effet, les formes et les sens de l'usage du « futur », on s'apercoit a-temporel du prétérit grec) ou de « futur absolu » si cette denomi-
qu'il y a en maya plus d'usages de type modal (volitif, conjectural, nation pouvait avoir un sens. Cette intime association du vrai futur
atténuatif, intentionnel, augural á indétermination temporelle) que et de son ineluctable accomplissement se retrouve dans le Rebina/
d'usages véritablement temporels. « T o u s ces emplois jouent plus Achi, qui en use particuliérement lorsqu'il s'agit de menaces et
ou moins sur la virtualité inhérente a l'époque future et se fondent d'annonces de représailles ( A . Breton, communication personnelle).
sur l'idée de possible, que par nature l'avenir emporte avec lui » S i l'usage linguistique maya survalorise le modal et le temps
(Martin 1981, 83). II souligne en contraste que l'emploi strictement ramifié, la mémoire-savoir, outre le fait qu'elle parcourt le temps
temporel du futur s'accorde avec une certitude absolue (cf. le futur dans les deux sens, vers le passé et vers l'avenir, balaye aussi des
des historiens : « il sortira vainqueur... »). possibles p l u t ó t qu'elle nc se fonde sur une chronologie, sauf dans
L'usage des futurs, du mode au temps, doit étre étudié de pres. la prediction, art des prétres. Nous nous trouvons alors en face
II serait en effet intéressant de confirmer ou d'infirmer une dispa- d'un paradoxe et d'unc question : d'une part, le futur striétement
rité d'expression entre la p r o p h é t i e , qui assurerait la repetition des chronologique, c'est-á-dire ressortissant au temps linéaire, est essen-
é v é n e m e n t s et done la certitude de leur occurrence future, et les tiellement utilisé dans des prophéties qui relévcnt conceptuellcment
usages modaux, plus propres aux aléas du quotidien projeté. Si le du temps eyelique ; le grammatical et le conceptuel se contredisant
futur est effe&ivement sous-tendu par un mouvement qui s'ache- au moins apparemment, il convient d'expliquer cette contradiction.
mine vers la certitude et s'il est vrai que « les saisies precoces D'autre part, le passé est-il atteint par cette inhabilité, puisqu'il est
sur ce mouvement fournissent les emplois " modaux " , les saisies en quelque sorte h o m o t h é t i q u c du futur ? D e fait, en ce qui
tardives, les emplois " temporels " » (Martin 1981, 83), alors dans concerne l'histoire, le Popo/ Vuh des Q u i c h é íntrique dans des récits
une culture qui sophislique le comput du temps et la reflexion sur au passé une grande quantité de dialogues rapportés au p r é s e n t
les présages (réves), les augures (naissances, régnes, cérémonies) et tout comme dans le récit quotidien, dans lequel, comme on l'a dit,
les narrations épiques (cycles de gestes oü les héros modernes suc- ce sont le p r é s e n t et les modalitcs aspeftuelles des actions qui sont
cédent aux rois dynastiqucs des périodes classiques), on pourrait essentiellement exprimées. E n dépit de formes plus intégrées
trouver au moins des s y m p t ó m e s grammatico-sémantiques de ce grammaticalcment, le passé — sa representation — est peut-étre
jeu. Jetons un bref regard sur les proprieties : plus vacillant et moins strictement chronologique qu'on ne le
suppose (18). C'est Pexamen de la transmission de la tradition qui
Prophecies played an important part in the lives of the Maya and occupied a nous donnera quelqucs repéres pour l'étude de ce p r o b l é m e .
prominent position in their literature. Foretelling the future was the profession of
a special branch of the priesthood, the members of which were called « chilans »
(the word means mouthpiece, spokesman or interpreter) and it was the chilans
who delivered to the people the response of the gods (Roys 1967, 182).

I I y avait plusieurs sortes de prophéties : sur les jours, les


années, les katun (16) et le retour de kukulkan (17). Les plus inté-
ressantes pour notre propos sont celles qui portent sur les katun
parce qu'elles portent sur l'histoire : ce qui s'est passé dans un
certain katun doit se reproduire dans l'avenir pendant un katun du

26 2
7
T E M P S D U R E C I T , T E M P S D E L ' O U B L I

2. Que veut dire ce m o t ? E h bien, qu'année aprés année suivra la


Mémoire, oubli et tradition. méme célébration de la féte.
3. Que veut dire yokelal} E h bien... je ne... ils disent ce yokelal
ir IIy a mime des tnfants, et j'en ai ren- quand nous transmettons une jete.
to» tris, qui nenient savoir... pourqnoi nom 4. Nous ne savons pas ce qu'esl la tradition... nous sommes
nota souvenons du pos sé el non dufutur. »
(Cari S A C A N , in H A W K I N G 1989, 13)
comme les boutures dans les traces de nos ancétres.
5. N o u s ne savons pas ce que c'es~t, nous ne savons pas (nous
avons oublié) ce qu'il y a á l'intérieur de la parole de nos ancétres ;
Ce que nous avons rapidement e v o q u é pour les termes concer- nous autres, nous vivons dans la Jete, nous sommes la semence de dieu
nant la m é m o i r e et le savoir d'un cóté, les temps de l'autre, nous (ou des dicux), c'es~t 5a qu'il y a dans ce mot yokelal.
conduit á nous interroger sur la tradition, parce que les Tzeltal 6. Yokelal: je ne sais pas bien l'expliquer, nous ne savons pas si
associent tres é t r o i t e m e n t ces concepts ; cependant, de f a c ó n ce sera comme cela, mais c'est un mot qui se référe á la Jete, et á
surprenante á nos yeux, la tradition esl associée á la négation de la notre pérennité dans le monde (litt. « continuer á vivre »), accomplissant
m é m o i r e , c'est-á-dire á l'oubli, comme nous l'avons laissé entrevoir la jete de la m é m c facón que celle de nos ancétres ; nous sommes des-
lors d'une des définitions du verbe na'el. cendants de cette génération des dignitaires principales, nous avons été
Essayons de cerner de plus prés les termes concernant l'oubli, semés par le seigneur, c'cSt cela que veut dire ce mot : année aprés
exprimé, si Ton se rapporte aux gloses concernant la tradition, par année, il y aura la méme célébration de la jete.
l'expression négative : Yokelal? Ma j-na'-tik... : « L a tradition? Nous
ne savons pas... », « nous ne nous souvenons pas... » (19). I I y a, O n peut faire la lisie des mots clés utilisés dans ces définitions
en effet, une insolite et d é c o n c e r t a n t e association maintes fois ainsi que des termes qui leurs sont inévitablement appariés dans les
répétée entre le mot yokelal et la formule ma j-na'-tik : « nous avons discours rituels :
oublié », « nous ne savons pas ». E n disant « nous ne savons pas
DOMAINE INVENTAIRE 1 + INVENTAIRE 2 ( l l )
la tradition », ils disent en m é m c temps « nous ne savons pas ce
que sigmfie le mot « tradition », expression ancienne et utilisée agriculture semes, boutures, semences
seulemcnt dans les discours rituels, mais également « nous ne + graines, travail, charge
rituel fete, accomplir la féte, jour, transmettre la féte,
savons pas ce qu'itf la tradition (20), nous ne nous souvenons pas
seigneur
de la tradition ». + célébration de la féte, passer, dieu
E x a m i n o n s encore quelques définitions, en tenant compte de ce travail accomplir les charges (agricolcs ou rituellcs)
qui a été dit sur le temps. + ne pas trébucher, chemin, pied, main
temps année apres année, suivre
Les exemples sont conslitués par les gloses recueillies sur + ne pas interrompre, heure, année
yokelal, ensemble de termes auxquels nous ajouterons, dans un espace trace
deuxiéme inventaire, ceux qui leur sont appariés et forment + pied, pas, chemin, monde
couplets, triplets ou lisies, dans les pat'o'tan (21) (terme que nous maniere suivre, célébration identique
traduisons ici abruptement par « discours rituels »), lieu principal + coutume, ne pas s'interrompre
organisation sociale ancétres, descendants, généradon, principales
d'utilisation publique de ces notions — en dehors des explications
+ dignitaire, charge, fils
á qui veut comprendre ce que signific le mot, enfant ou nature humaine vivre
ethnolinguiste. + mourir, finir, ne pas comprendre, ne pas voir, ne
pas entendre, ne pas savoir (ne pas se souvenir)
1. Yokelal : c'esl quelque chose comme mieux vivre, parce que categories grammaticalcs futur, négation, aspeft cursif, perfeétif, maintenant,
nous ne savons pas (nous ne nous souvenons pas dc) quand nous autrefois, premiere personne du pluriel, troisiéme
allons mourir, et si nous pourrons accomplir toutes nos charges. personne du pluriel

28 2
9
Presque tous les termes s'utilisent dans plusieurs domaines, á décrire les événements de faible durée — événements séquentiels
imbriquant encore davantage les notions qu'ils supportent, par — tandis que le temps eyelique eSt un temps long : « The unedited
exemple : long-term record they have left is unequivocally cyclical » (Farriss
1985, 576). L a conception eyelique, représentant l'ordre du cosmos
suivrc : temps, espace, maniere en face de Palea de PhiStoire, sert de modele, au moins en partie,
charge : ritucl, agriculture, organisation sociale au syStéme politique fondé sur la rotation des charges (25), tandis
annce : temps, parenté, maniere que la linéarité des cursus, des généalogies et des transmissions
transmettre : ritucl, temps, maniere, etc.
lui eSt subordonnéc : « Linear time is incorporated into an all-
encompassing cyclical pattern » {ibid. 573). L a discussion du pro-
Actions, temps, espace, actcurs et buts sont ainsi, avec quelques bléme de la rotation des charges précoloniales ou coloniales et de
termes, renvoyés les uns aux autres et indéfiniment repliés sur eux- leur qualification — politique ou religieuse — ne peut pas étre
mémes, formant le noyau dur de la définition — au reSte, classique entreprise ici, et elle ne pourrait Pétre qu'avec Paide d'ethno-
— de la tradition : c'eSt le fait de réussir á parcourir le chemin du hiStoriens et d'anthropologues ; mais pour le sujet qui nous inté-
temps en portant les charges transmises par les ancétres et en les ressc, on peut insiSter sur quelques éléments de définition de ees
transmettant aux générations futures (23). Néanmoins, la tradition charges et sur un certain nombre de faits montrant comment clles
n'eSt pas un pur produit de la mémoirc du passé, elle eSt aussi s'articulent avec Pespacc-tcmps.
conceptualisée comme l'objct d'un oubli, une méconnaissance, une
Dans la société aduclle des Hautcs Terres du Chiapas au
ignorance devant le futur. II faut done á l'évidence considérer, füt-
moins, il semble qu'il n'y ait pratiquement personne qui n'ait une
ce briévement, Pespace-temps sur lequel s'inscrivent ees charges et
charge quelconque, quoique Pethnologie n'ait décrit le plus souvent
leur transmission.
que celles qui sont prcStigieuses, visibles et d'autorité. L'extrcme
prolifération de ces charges en temps de féte procede d'une atomi-
1. Efpace-temps des charges. sation extreme des taches ; la oü Pon ne voit d'abord qu'une
« charge de la table » (principal de mesa), par exemple, il y a en fait
Evoquons d'abord simplcment les deux principales representa- une multiplicité de petites charges qui forment une constellation :
tions du temps tel que nous nous le figurons. charges de fourniture de chacune des nourritures rituelles de ce
repas précis, charges de découpage — s'il s'agit de viande — et
La premiere conflatation qui s'imposc á propos du temps eft la coexistence de d'étapes de préparation, charges de distribution, etc. Le « chemin
deux conceptions différcntcs de eclui-ci. La premiere esl celle du temps linéaire des charges » n'eSt done pas reservé á quelques dignitaires, il eSt
qui s'écoulc irréversiblemcnt; elle cSl attachee á la noüon de vie et de mort et
pour tous une obligation, une preoccupation, un lieu de Strategies.
refte liée au sentiment profond d'une fuite inexorable, d'une « fleche du temps »
comme on l'appelle en physique. La seconde cSt complétemcnt difiéreme, c'est Parler des charges, c'eSt parler pour tous, leur inscription dans le
celle du temps eyelique, de Téteme! recommencement, liée au rctour des saisons, temps et Pespace étant Paffaire de chaqué vie, dans sa linéarité
des éphémérides célesles, au simple lever du soleil chaqué matin. Ces deux breve et unique ; mais Paction cSt communautaire, d'autant que
conceptions sont bien difíércntes, puisque la premiere indique un sens privilégié chacun peut utiliser des « remplacants » : il n'eSt pas rare, pendant
du temps, alors que fondamcntalcmcnt la seconde au contraire, oü les choses
les jours de fete, de voir défiler un grand nombre de subStituts
reviennent indéfiniment scmblables, voire identiques á ellcs-mémes, sous-cntend
qu'il n'cxiste dans ce cas ni passé ni avenir (Lochalc 1986, 65). sous les habits du porteur de charge. II s'agit d'un temps court,
porté par chacun et tous.
Le concept le plus immédiat, c'eSt le temps linéaire, mais la vie et L a profondeur généalogique n'eSt pas inexistente chez les Mayas
les rythmes d'a&ivité sont régis par le temps eyelique (24). modernes (26), quoiqu'clle soit peu visible et inégalement utilisée,
Nancy Farriss a montré de facón convaincante que les deux et la transmission revét done un sens concret dans le parcours du
syStémes coexistent chez les Mayas, mais que le temps linéaire sert temps. II existe encore des communautés quiché dans lesquelles on

30 3i
recite la liste des d é r u n t s qui constituent le lignage paternel (c'est le successif des charges communautaires, mourant et renaissant
day keeper qui en est le spécialiste). A Momostenango, on insiste sur comme la végétation, les figures des semailles et des rejets et
le lignage, comme en t é m o i g n e n t les rites pour planter-semer surgeons é t a n t celles qui expriment le cours des générations (27).
l'enfant d'une femme enceinte et en donner la nouvelle aux A B a c h a j ó n , entre la San Sebastián et le Carnaval, l'analogie se fait
ancétres du lignage (Tedlock 1982, 80), ou bien les « boites á grace á la m é t a p h o r e de la naissance du capitaine entrant issu de la
lignage » (mebil) autels explicitement liés au territoire lignagcr,
y grossesse du capitaine sortant. A n n é c aprés annéc se trace ainsi le
partiellement dupliqués au niveau du canton et de la ville : le chemin des ancétres (Carlsen and Prechtel 1991), infinies succes-
p r é t r e - c h a m a n e de L o s Cipreses brüle de l'encens, prie et fait des sions de grands-pércs-petits-fils (mam) réunis sous le terme géné-
y

offrandes aux ancétres qui étaient des leaders politiques et religieux rique de m é r e s - p e r e s (me'il-tat-il) dans les invocations, koftumbre,
de Momostenango pendant la période coloniale, en m é m e temps obra, s-tal-el (« son arrivée ») sont les expressions tzeltal de cette
qu'aux maires et aux dignitaires de la cité r é c e m m e n t d é c é d é s {ibid. fabrication du temps, et en tzotzil : pas-el tal-el (« arriver á faire,
y

82). A B a c h a j ó n , au debut du Carnaval, un parcours rituel traverse faire jusqu'au bout »), hec tal-el (« commencer á faire ») (28).
les cimeticres pendant que des discours aux ancétres sont pronon- Si les notions de temps linéaire et eyelique sont si générales, et
cés. I I s'agit done d'un temps de type linéaire plus long que celui si la végétation est le symbole quasi universe! de l'hélicoídc tempo-
des vies individuelles. rcl qui génére le m é m e ct le different — une existence nouvelle sur
L e cursus des charges se prolonge au-delá de la vie de chacun un modele p r é c é d e n t — , il reste á comprendre plus p r é c i s é m e n t
sur la famille — pendant le Carnaval de Bachajón par excmple, les comment se fait le passage de l'un á l'autre dans la pensée maya :
aides et les remplacants incluent des neveux et peut-étre m é m e des qucllcs sont les relations du linéaire et du eyelique, quelle est la
petits-fils. II s'étend efficacement sur les ancétres (ceux de qui Ton part de la m é t a p h o r e végétale, quellcs c o n s é q u e n c e s ces concep-
poursuit le travail et á qui l'on s'adresse entre autres dans les tions ont-ellcs sur la perception et l'intégration d'un é v é n e m e n t
pat'o'tarí) et les descendants (mais il n'cxiSte pas de travail précis sur comme ce que nous appelons la Conqucte ou ses suites, le Blanc,
l'« héritage » des charges en pays maya). Ces formes mises en place la Vierge, saint Louis ou Zapata ? E n d'autres termes, o ü va le
pour que soit cffectué le travail rituel dessinent encore un temps chemin du destín d'un homme, le chemin des charges sur lequel
important, celui des structures lignagéres et familiales, mais aussi un les vivants courent derriére les morts ? Vers quel avenir les morts
espace territorial. O n peut rappeler á cette occasion que le nom les précédent-ils ? Y a-t-il un d é b u t et une fin, ou bien cst-ce une
propre des tenants de certaines charges, les plus hautes, cst égale- étcrnclle répétition de soi-meme ? Comment les Tzeltal penscnt-ils
ment le nom du territoire dont ils ont la charge. O n cntend : ct disent-ils leur passé ct leur devenir (29)? Toutes questions aux-
« Ceci [geste balayant un espace de territoire], c'est Juan L ó p e z quellcs il faut s'attacher dans la mesure o ü la justification de ce
[nom du principa/] ». II s'agit bien d'un cspacc-tcmps socialise et cursus traditionnel cst l'objet, comme on l'a v u , d'unc forte d e n é -
partagé par la communaute, cciui-ci plus long encore que les prece- gation revélatrice d'angoissc : « nous avons oublic ».
dents. C'est la duréc de ce temps, utile á la communaute puisqu'il Revcnons un moment sur ect étrange oubli ct reprenons
définit son espace sociopolitique, mais qui dépasse l'intcrct généa- quclques faits connus rclatifs á la transmission des narrations, qui
logique, qui se d é t o u r n e de la linéarité pour se eyeliser par la typi- nous aideront á comprendre les relations savoir-mémoire-oubli-
sation du récit et de la m é m o i r e communautaire. Dans une société ignorance ainsi que leurs liens avec le passé ct le futur.
t o u r n é e vers le mais, ce sont les figures de la végétation — mort
et renaissance grace á un travail, une « charge » constante — qui 2. Luz transmission orales
ploient le temps linéaire en temps eyelique. L a m é t a p h o r e est bien
connue et elle cst peut-étre universelle ; sa spécificité chez les
L a tradition órale s'cnvisage non pas seulement comme un
Mayas vient de la permanence de son utilisation, p r é - et post-
contcnu mais aussi et surtout comme un ensemble de processus
coloniale. A n n é e aprés a n n é c , les hommes vivent dans le parcours
d'interprétation, de construction et de communication en action

3 2
33
contante, dont l'étude releve á la fois de l'analyse de codes et de de créativité introduite par l'oubli, dont tout observateur eSt
m o d é l e s inférentiels. T o u t comme la communication, la transmis- t é m o i n , eSt á premiere vue d'autant plus paradoxale que le texte de
sion órale d'une tradition ne peut étre envisagée comme un simple la chanson de geste occidentale montre oStensiblement u n e ^ a u -
transport d'informations (Sperber et Wilson 1989), surtout, dirions- ^yreté yerbale et une répétitiyité remarquables. O r ce sont les"
nous, s'il s'agit de penser le temps localement. Pour examiner les caracférTstíques m é m e s des discours rituels, paroles de la tradition
traces d'une transmission, il eSt intéressánt de se reporter á Pceuvre en pays maya. Cette interpretation éclaire les c o n s i d é r a t i o n s des
de Zumthor qui rcpcrc et décrit l'claboration de tcxtes m é d i é v a u x cnfants et pctits-enfants des ritualiStcs mayas contcmporains, á
occidentaux au fur et á mesure de leur transmission et, pour ce, en B a c h a j ó n , lesquels récitent des dizaincs de milliers de vers pendant
étudie les variantes écrites au cours des décennies et des siéclcs. les jours de Carnaval : « Ce n'eSt pas difficile á apprendre, d i s e n t í
L'écart m é t h o d o l o g i q u e eSt moins important qu'il ne semble, dans les adolescents, il y a peu de textes, c'eSt toujours la m é m e chose.; ¡
la mesure o ü l'écrit dont il s'agit peut étre c o n s i d e r é comme un Mais pourtant, il faut étre tres vieux et plein de connaissance pour
« frozen Speech » selon les mots heureux de Boyer (1990, 115). les dire. » L a tache eSt considérée comme plus que difficile :
D'autre part, certaines cara¿lériStiques formclles, et des plus impor- périlleusc. C'eSt que la difficulté ne vicnt pas du p r o b l é m c de
tantes, se retrouvcnt aussi bien dans la chanson de Roland que m é m o r i s a t i o n , mais de cette intervention de |a créativité, de la
dans les discours ritucls mayas. marque de l'individu qui doit « informer » cet é v é n e m e n t — qui
n'eSt pas esscntiellemcnt dc la « communication », mais du «^per-
Zumthor (1988) montre á l'ceuvre les opérations de selection
£ormatif » — c'eSt-á-dirc exhiber un certain nombre de contenus ^ 1
opérées au cours du temps sur les récits (« purification », « simpli-
invariants en m é m e temps qu'un certain nombre de messages ¡ «
fication », « mise á l'écart », « perte ») et en particulicr le rejet de
locaux (30). O n se reportera également á ce que Haviland (1987) )
1'exiStence temporelle, locale, anccdotique de la narration. I I donne
appelle « le discours rituel sans rituej » qui eSt une narration ou un
á voir que « réalité » et « fiction » sont, en Occident et jusqu'au
dialogue é m o t i o n n e l l e m c n t chargé, qui acquiert, au cours du récit,
X V siécle, un seul discours de la m é m o i r e , et décrit comment
e

des traits de rhétorique rituelle (31). Autrement dit, cette interven-


l'autorité poétique transcende celle des faits, validant une vérité-
tion du locuteur qui, en certaines circonStances, devient sujet par-
m o d é l e . Comme on l'a v u plus haut, Nancy Farriss, décrivant les
lant, ou auteur (32) du discours quotidien, de la conversation, eSt
deux conceptions du passé chez les Mayas, oppose la conception
également p r é s e n t e dans le discours rituel, si l'on dépasse l'idée
d'un temps lincairc hiStoriquc, de durée rclativement breve et
d'un discours Stéréotypé et communautaire et que l'on y prcte
portant sur le pouvoir politique, á un temps cyclique cosmique o ü ,
attention. Sperber et Wilson soulignent que, tandis que « les gram- '
évoqués dans une langue allusive et p o é t i q u e , souligne-t-elle,
maires neutralisent les differences entre des expériences dissem-
« events, whether political or natural (like drought and pestilence),
blables, la cognition et la m é m o i r e rajoutent des differences á des
lose much o f their specificity and become types of human cxpe-
expériences identiques » (1989, 32) : c'eSt sur ce mecanisme que se
j riencc » (Farriss 1985, 577). Uoubli cSt, dans cette configuration,
fonde la créativité individuelle. Ccci se rapproche de ce que les
I considere comme 1c moteur metric de la créativité, « l'un des
auteurs classiques dc l'analyse discursive amérindienne (Hymcs,
fondements dc toutc fiction aux niveaux dc I'imaginairc et du
Sherzer, Tedlock, Woodbury) s'accordent á remarquer comme
discours » (Zumthor, ibid. 110). M é m o i r e et^oubli sont ensemble
manifestation d'invention, et que Sherzer appelle ttrufluring, en
deux facteurs totalement positifs, et c'eSt l'oubli qui introduit
l'opposant á ftrutture :
souplesse, flexibílité, en un mot changement, par et dans la
performance individuelle qui articule ainsi m é m o i r e collective et
oubli individuel. L a fon&ion d'oubli se manifesté aux niveaux de Structuring is a process, the way in which narrators and other performers of
l'imaginaire par la généralisation, de la topique par la typisation, et discourse draw on the various resources available to them within their linguistic,
du langage par 1'abStraction permettant la construction d'un modele social and cultural tradition and create their own personal texts (Sherzer et
Woodbury 1987, 8).
á partir duquel se fait un travail continu d'élaboration. L a notion

55
34
i t M l ' i D U REC1T, TEMPS D E L ' O U B L I

E n fait, dit Zumthor, la p a u v r e t é verbale eft le symptome d'une


_grande_puissance allusive. Quant á ía répétition, loin d'avoir pour Synerétúme, temps eyelique, temps linéaire-j
unique fon&ion de « chauffer les paroles et le cceur », comme o n le
dit trop uniment, elle eft clairement paraphraftique et permet done <r On ne peut que souligner [...] ct bel et
difficile encbaínemenl, [...] qui revile bien la
la progression du sens au cours des discours et également au cours projontk imbrication des deux definitions du
des rituels successifs (3 3). « L e Style formulaire (l'oubli) permet, par temps, l'une reflitant l'irrtvtrsibiliti, le
Jrottement, la mort, et l'autrt l'éternel recom-
opposition au rappel du « déjá su » (place de la m é m o i r e ) la recrea- mencement et la flationnariti, et l'on saúit
tion d'un savoir » (1988, n o ) . L o i n d'etre le « bouclage » d'un alors I'extraordinaire diffuulti de difinir le
texte qu'on tremblerait de perdre. la répémion_paraphrasliajje et la premier temps que l'on doit inlroduirt: celui
qui se répete ou celui qui fuit. o
fonttion allusive sont les deux indices d'une tradition « bien trans- ( G . LOCHAK 1986, 75)
mise ». L'immutabilité de la répétition ne saurait rendre compte de
la créativité qui s'exerce dans la tradition. Les p r o c é d é s de ferme- D e V o s (1980) décrit comment, au Chiapas, des Indiens de la
ture que Pon attribue á la forme eyelique, de retour permanent, p é r i o d e coloniale survivent sous le masque de figures rituelles dans
sont au contraire les m é c a n i s m e s d'un modele dynamique et le Carnaval. I I montre que la connaissance de l'hiftoire eft trans-
ouvert. mise de g é n é r a t i o n en génération, non pas dans des formes écrites,
Cette p r o b l é m a t i q u e nous incite á travailler á partir de la mais dans la représentation annuelle d'un drame qui permet aux
m é m o i r e et de l'oubli, non plus en f o n í l i o n d'une hiftoire que Indiens de p e r p é t u e r une figure hiftorique sous les traits d'un roi
nous jugeons « réellc » (séledtion chronologique ct fa&uelle, au indien immortel (il s'agit de Juan L ó p e z , chef de la rébellion de
demeurant jamáis percuc comme telle par les acleurs : Canek, le 1712). L e s traditions orales, outre leurs leélures ftruélurales ou
héros indien, fascinait les métis parce qu'il avait repris le nom du hiftoriques, se p r é t e n t á une lecture qu'il appelle « ethnique ». A
dernier roi itza, tandis que les propres Mayas du Y u c a t á n n'y Momoftenango, le nain esprit des montagnes, gardien des animaux,
'prétaient pas la moindre attention), mais en fonftion des méca- qui, sous la fon&ion de porteur de l'année, était le h é r o s culturel
nismes m é m e s de la transmission telle qu'elle eft représentée dans initiateur des traditions, porte une hache de pierre qui lui sert
¡ees cultures. D e plus, transmission de quoi ? L a encore, il faut á produire les éclairs et les pulsations du sang du chamanc. I I
affiner nos positions en différenciant soigneusement, au sein de la eft représenté dans la danse de la C o n q u é t e comme refusant
tradition, les récits, les rituels, les rumeurs, l'implicite et Pexplicite, le bapteme. Contrairement aux deux autres personnages dont le
afín de ne pas ficelcr un paquet hétérogénc o ü l'on se sert en premier accepte tandis que le second refuse mais en meurt, il
meme temps de documents épigraphiques, iconographiques ou s'enfuit et survit dans la forct o ü sa hache continue d'éveiller le
architcéluraux précoloniaux, de ehroniques cspagnolcs, d'écrits ct sang des devins en y provoquant des mouvcments diagnoftiques
d'élicitations indigenes (34), de traditions orales contemporaines (Tedlock 1982, 49).
ou de morceaux de rites, tout cela aux fins de reconstruiré un
V . Bricker, de son cóté, cherche á mettre en relation ees rituels
« état de tradition ». D e s précautions élémentaires s'imposent pour
et ees drames ethniques avec une vision de l'hiftoire ; pour ce faire,
traiter de chacun de ees domaines, qui mettent en jeu des procédés
elle examine les traces de la c o m m é m o r a t i o n de la révolte tzeltal
différents, d e f t i n é s á créer s i m u l t a n é m e n t le temps avec la tradition.
de 1712 dans les rites du Carnaval de Chenalho. Les représenta-
tions qu'elle rencontre, nous dit-elle, montrent un empilement des
faits sur un modele, essentiellement celui de l'antagonisme (35),
c h a q u é é v é n e m e n t venant s'écraser dans le moule p r é p a r é de
l'« affrontement », qui le recoit et le forme, preuve á ses yeux de la
conception eyelique du temps chez les Mayas (36). Cette m é m e
accumulation eft au contraire, pour B . Tedlock, preuve que les

36 37
TEMPS D U R E C I T , TEMPS D E L O U B L I

T z u t u j i l ont une conception du temps linéairc, qui tient compte du superficielle se condense en formes, e'est-a-dire en categories, ou
passé et y accumule les presents successifs, et c'esl la répétition qui taxa, dans l'hisloire profonde — et nous retrouvons ici le s c h é m a
prend en charge la cyclicité. L'idée générale de Bricker sur l'articu- en ceuvre dans la fabrication des discours rituels. Pour comprendre
lation de ees deux conceptions esl clairement expriméc : la vision de l'hisloire des Indiens, poursuit-il, il faut se demandcr
quelles images les personnages évoquent pour eux, les contradictions
Les Mayas pensaient que l'hisloire ctait répetitive, que les ¿véncments d'un cycle venant de ce que les roles rituels masqucnt plusieurs actours
se répéteraient dans tous les cycles suivants comme ils se répétaicnt depuis des
hisloriques de conflits ethniqucs. C'esl en quelque sorte une théoric
temps immémoriaux. Le calcndricr pouvait alors étre utilisé pour prédire des évé-
nements dans le futur (au cours des cycles suivants) et les gens n'avaicnt pas la des róíes, incompatible avec une lecture directo de l'immanence
maitrisc de leur deslince (...) Qu'un événcment predit pour un futur ka/un 8 ahau historique. L'hisloire vue par les Mayas esl comme dégagée de
arrive ou non, les Mayas s'en souvcnaient comme s'étant produit pendant le toute référcnce c e n t r é e sur l'hisloire des Mayas. O n retrouve ici
katun afin de rcmplir les rtquiiit de leur vue eyelique de l'hisloire (Bricker 1981, 7). (un peu vertigineusement quand la chose esl e x p r i m é e de f a j o n si
schématique) une caractérislique des d o n n é e s spatio-temporelles
E l l e constate que maintcnant les Mayas n'ont plus ees cycles, en e x p r i m é e s dans les usages de la langue. E n effet, l'analyse cognitive
particulier celui de 256 ans, mais qu'ils ont gardé des cycles « natu- de í'espacc chez les Tzeltal (Levinson 1991, 17) montre que ceux-ci
rels » comme le cycle de vie, le cycle agricole ou le cycle annuel disposent préférentiellement d'un sysléme absolu de r é f é r e n c e
des fétes. (Mais, dira-t-on, quelle culture ne possede pas peu ou spatiale, contrairement á ce que nous pratiquons, c'esl-á-dire á
prou ees representations élémentaires du temps eyelique ?) notre sysléme e g o c e n t r é relatif : « Strong tendencies to avoid ego-
Farriss, dans cet effort continu pour réconcilier histoire et centric spatial discriminations and even relative descriptions o f one
ethnohisloire, insisto sur le fait que la différence entre les object, with r é s p e d to another, and to describe objects according to
Espagnols et les Mayas quant á la conception du temps, vient their isolated disposition in space » (Levinson 1991). I I existo done
d'une opposition concernant la p r é é m i n e n c e d'un temps sur l'autre, une tendance á d é c e n t r e r la description spatiale par rapport á un
les Espagnols subordonnant le temps eyelique au temps linéaire et point de r é f é r e n c e e g o c e n t r é . L a localisation des objets se fait,
les Mayas ayant une vision inverse, comme on Ta b r i é v e m e n t é v o - selon la dichotomie traditionnelle, de f a j o n intrinséque (description
q u é plus haut. A des yeux indiens, pas plus qu'une dynaslie n'avait de la position et disposition de l'objct dans l'espace), p l u t ó t que
pu dominer le monde maya (ou au moins une partie, comme cela oslensiblement ou dans un espace relatif. Position c o h é r e n t e avec
se dessinait á la période classique), les Espagnols n'étaient inslallés une vision du temps fixé principalement sur la hauteur et le sens
pour toujours ; la C o n q u é t c n'avait pas rompu la p r é é m i n e n c e du de la marche du soleil, dont les mouvcments sont indissociables de
eyelique parce que le temps linéaire long (espagnol) ne pouvait l'inscription lumineuse sur le territoire, et non sur le « / zéro » de
durer : le régne indicn reviendrait. E l l e aboutit á la m é m e figure l'inslant d ' é n o n c i a t i o n , fút-il fictif. Dans la théorie des temps de
que Bricker, affirmant que l'hisloire esl rcformulée selon le s c h é m a Comrie (1990, 6 ) , c'cft le sysléme « absolu » qui comporte un point
p r o p h é t i q u e qui fournit un modele pour conjugucr le passé comme de r é f é r e n c e , lequcl fait d é f a u t dans le sysléme relatif. D a n s le
¡'avenir, « making history f r o m prophecy » (Farriss 1985, 582) (37), domaine des róíes, si l'on poursuit la m é t a p h o r e conceptuellc
créant, selon 1'expression d'Edmonson, « an ancient future ». spatiale, chacun se définit plus par une position que par une rela-
tion. Ce qui esl á la charge de la relation se trouve dans les
Ochiai, en discutant la these de Bricker, insisto sur le fait que
variantes — narratives ou rituefles — induites par les circonslances
dans ees types de cycles (longs et moins longs) téléscopage et pro-
que nous appelons, nous, hisloriques.
phéties n'ont peut-étre pas la m é m e fonction. Mais, surtout, il se
demande ce qui fait que les Indiens voient leur temps sous forme
C'esl dans ce contexte á la fois slructurellement précis et
de cycles. « A l l the heroes are, at the same time, any one o f them.
conslamment renouvelé que s'offre la tradition órale pour raconter,
What do the Indians try to communicate by this rhetoric ? »
dialoguer, et effectuer. Comment commencer á expliquer la trame
(Ochiai 1989, 257). C'esl que, dit-il, Pexpérience dans l'hisloire
de cette histoire de saint Louis racontée á Jilotepcc, si l'on ne peut

J8 39
se défaire d'une certaine idee de la fidélité hiftorique et de la sépa- LINGUISTIQUE CONCEPTUEL
ration entre linéarité — chronologie — et cyclicité — replication ?
II n'eft que de l'écouter : saint Louis, que sa peau brun f o n c é avait « futur » linéaire temps linéaire
fait d é t e f t e r puis chasser par ses fréres jusqu'au Guatemala, était >v « discours rituels de
\ / transmission des charges »
porteur d'une cloche dans laquelle il donna un coup de pied pour
la faire bouger du lieu o ü il s'était reposé et dont elle ne voulait « modal » ramifié s A temps eyelique
plus partir (la marque de son orteil se voit encore sur la cloche « prédictions »
d'Izalco). Aprés de longs services dans Parmée sans qu'on c o n n ú t
son rang, il se flanea á sainte Catherine Mita (38), et on le voit á la S i l'on s'attache á l'cxemple du rituel de passation des charges
nuit t o m b é e , parfois, allant lui rendre visite. C'eft bien pour cela lors des fétes de B a c h a j ó n coíncidant avec le Carnaval, ce qui se
que la cofradía fait sortir la Statue de San Luis lors de la Sainte- rapproche le plus d'une définition de la tradition est la description
Catherine (Smith-Stark 1976, 82-87). Si Ton s'en ticnt á notre du temps creé par l'accomplisscmcnt du parcours des charges
hiftoire et si on les oblige á s'y teñir, les outils de la créativité assumées (c'eft-á-dire « transportées ») puis confiées á des succes-
deviennent des instruments des ténébres, l'oubli inftaurateur de seurs. Ce temps a la cara&ériftique linéaire des deftins individuéis,
n o u v e a u t é devient expression d'erreurs et d'anxiété. Si Ton en fait corrigée en « longueur » par l'appropriation familiale ou lignagére
un mythe d'origine de la bosse d'une cloche, c'eft peu. I I eft vrai- de cursus, et en « extension » par la c o o p é r a t i o n transverse aux
semblable qu'elle eft les deux, mais surtout bien d'autres choses, générations qui lie des families entre cllcs.
qui parlent des Blancs, de la religion, des méres des collines et des
Par le moyen de la m é t a p h o r e végétale, l'imagc du temps
parcours du monde, entre certains interlocuteurs et en certains
eyelique s'il en eft, cette conception linéaire, liée á la participation
temps et lieux, tissant sur le temps eyelique un message linéaire,
interrompue des individus, est ployée en une conception du temps
l'un prenant son sens par rapport á l'autre. D e m é m e , la finalité
eyelique interminable, au moyen des figures de la renaissance
que l'on impose rapidement aux rituels, venant de la supposition
planifiée et « d é m o n t r é e » par un accouchement symbolique á la
ingénue qu'ils sont la pour reproduire la société, sauvegarder
fois humain et végétal. L a succession des générations donne ainsi
l'identité du groupe, p e r p é t u e r la m é m o i r e de la tradition et du
consiftance á un role en dchors de celui qui le remplit, et le rem-
passé (39), ne rend pas compte des multiples formes syncrétiques
placement c o o p é r a t i f issu d'une .Structure d'entraide familiale et
qu'ils produisent.
communautaire consolide cette transparence de la personne au
O n a vu qu'un chiasme se dessine entre les produits de la profit de la permanence opaque du role social. L a linéarité sert
double opposition : linéaire /eyelique, linguiftique /conceptuel. L e done á fabriquer du eyelique.
p r o b l é m e n'eft pas en efTct de montrer la différence et / o u la L a figure en miroir du rituel cft celle du pat'o'tan qui use moins
hiérarchie des temps linéaire et eyelique : on vient de conftater, de la répétition comme outil de retour et de cyclicité que comme
dans cette derniére partie d'excmples, l'inopportunité de s'en teñir outil de créativité, aidé en cela par l'oubli et la paraphrase, entre
á ees concepts qui ne parviennent pas á eux seuls á rendre plus autres, dont nous avons schématisé les fonctions. D e facón plus
facile le traitement d'hiftoires comme celle de saint Louis ou de générale, si dans les sociétés de tradition órale, l'oubli eft la
rituels comme celui du Carnaval. Le futur linguiftique eft attaché á condition de la créativité, mais cet exercice coutumier s'accomplit
la cyclicité du retour des unités de temps et á la prediction, tandis maintenant dans un temps linéaire i m p o s é par la m o d e r n i t é , dans
que la conception chronologique d'un temps, si court soit-il — par lequel la prévisibilité eft c h a q u é fois prise en d é f a u t — qu'on
exemple á l'écheíle d'une vie humainc — , eft i m m é d i a t e m e n t asso- songe aux pressions é c o n o m i q u e s qui induisent les Indiens á
ciée á l'espace de la tradition, lequel eft é m i n e m m e n t modal dans produire telle ou telle culture, qui, arrivée á maturité, n'eft déjá
la formulation linguiftique d'un de ses lieux de predilection : le plus dans les projets mondiaux ou aux pressions idéologiques,
discours rituel (40). plus subreptices et corrosives — au contraire de ce á quoi les

40 41
• u»4* ncui, icmn uc 1 UUDLI

Mayas pouvaicnt associer l'avenir, c'eft-á-dire un certain degré de des charges, ou pour mieux dire, celui des maitres de la terre et du
sécurité. E n lieu de certitudes, leur sont imparties imprévisibilité et monde et celui des meres et peres ancétres :
angoisse.
Des modifications conceptuelles de type cognitif sont á l'ceuvre [...] ma la j-lajin-ta-tik te koftumbre [...] nous n'avons pas interrompu la coutume
dans le contad, aujourd'hui comme hier, imposant la prééminence [hispanisme]
ma ¡a j-lajin-ta-tik te antiwo nous n'avons pas interrompu la tradition
d'un temps linéaire modernc, avec previsions, calculs et invention
[hispanisme]
exogéne (différente de la crcativité interne) qui fait naitre un ma ba la sutp'in-ik te koñumbre nous n'avons pas transforme la coutume
profond sentiment d'impuissance. La vision du futur étant modi- [litt. rctourné]
fiée, la vision du passé en es"t á son tour transformed. L a concep- bic me k-ic'-oj-tik hil-el ainsi l'avons-nous recue pour la garder
tion cyclique ne consislait pas á tourmenter les événements pour bic me j-4'ajk-oj-tik hil-el [...] ainsi l'avons-nous perpétuée pour la garder [...]
les faire ressembler au modele, comme on Pexprime un peu rapide-
ment parfois, et se traduisait linguiStiquement par la linearisation La conception, inconsciente de l'hiftoire maya, dont des bribes
du seul vrai futur qu'ils concevaient : la prophétie ; elle était le sont révélées par l'examen de quelques traits de la langue et de la
palladium de la linéaritc. Mais dans une conception hisloriquc flxu&urc narrative, semble indiquer l'inanité d'une opposition tradi-
linéaire qui eSt imposée aux Indiens, le non-souvenir, autrefois tion /modernité. E n revanche, elle éclaire peut-ctre la longue
l créateur, e$t désormais considéré par eux-mémes comme seulement fissure ouverte par la réticence á comprendre que, par certains
/ mutilant et destruéteur; l'oubli bienfaisant cede aux pathologies cótés, 1'hiStoire narrée maya eSt une hiftoire dans Jaquellc les héros
mnésiques; la mémoire de la tradition, si polyphonique mais main- sont plus semblablcs á nos héros épiques ancicns, recréés successi-
tenant compa&ée — concentration des rituels, masquage des roles, vement et différemment par des embrayeurs « de leur hiStoire »,
ambivalence des effets du rite —, inciterait á ne plus voir en elle pour régler les problcmes du jour — de la décennie, du siécle —
que les configur^oj}s_.du_désespoir et de ce qu'on appelait la vains, périmés, oubliés un moment aprés. Les tracer, les écrire, en
f «^éculturation ». L a mémoire s'inscrit dans un sysléme qui n'esl faire « de 1'HiStoire », c'eSt vouloir enfermer avec le vent l'odeur de
pas plus qu'autrefois une representation linéaire d'un passé et chaqué saison, c'eSt étirer en un fil ftupide les temps si admirable-
d'un futur, mais veut désormais y prétendre. Pourtant, l'une des ment concertés par la « reunion des sages » mayas évoqués dans le
préoccupations inscrites au cceur des discours rituels á l'occasion Popo/ Vuh : on ne peut les traiter qu'avec infiniment de précau-
du passage des charges esl traduite dans cette formule : « Nous tions. Dans cette fissure s'engouffrent pour en juger depuis cinq
n'avons rien rctourné, nous avons continué ». Ce retournement, cents ans et pour un meme enfer les bonnes volontcs de l'Hi&oirc
c'eSt, á leur entendement, celui de la tradition, c'es"t-á-dire sa perte. et les calculs idéologiques de chaqué époque : on aura reconnu la
Retourner, ce scrait regarder un passé qui ne serait plus leur futur, figure de I'Occident.
ce serait céder á la tentation, grande pourtant, de contempler á sa
place un avenir totalement hasardeux, le visage d'Eurydice la tenta-
trice, celle qui fait mourir dans les barrios des grandes villes, quand
on a vendu sa terre et quitté le regard de son principa/. Si, parmi les
milliers de vers des discours rituels recueillis en quelques saisons
de travail de terrain, il fallait en donner cinq pour illuátrer ce
théme de la mémoire de la tradition maya, la parole serait aux
Tzeltal eux-mémes, forcant la main du témoin pour lui faire écrire
ees vers maintes fois repris et répétés dans les discours rituels du
Carnaval que le vent emporte au soir du vendredi, lorsque dans la
clairiére se rencontrent violemment le groupe des sauvages et celui

42 43
(18) O n connait bien la description aussi ct surtout « la parole adaptée á la
NOTES dc Gossen, qui fait date ct établit une référcncc ». E n d'autrcs termes : « nous
continuité ordonnéc depuis le genre ne savons pas la tradition » exprime
qu'il appelle, en traducción des termes en méme temps : « nous ne savons pas
(1) Le tzeltal et le tzotzil appartien- s'ajoute une marque de « non encore chamula, pure words jusqu'au langage ce que veut dire le mot » et « nous ne
nent á la branche tzeltal-tzotzil dc la réalisé », ya ... to. ordinaire. Les « vrais récits » sont divi- savons pas ce qu'cit, cn quoi consiste,
famille maya ct sont des langues tres (10) Pajel to ya s-boh-on-nil : « j'irai sés cn « anciens » {true ancient narratives, la chose ».
proches Tune de l'autrc. demain » (et pas maintenant). qui racontent le temps des trois pre- (21) J'ai montré aillcurs (Bccquclin
(2) Ya j-na'ya j-man : « j'ai Pintcn- (11) On s'aStreindra á n'employer mieres créations) ct « récents » (qui Monod 1987) que les termes apparics
tion d'acheter » ; ya j-na' s-we'-el lenek : « futur » que pour les temps gramma- contiennent la quatrieme creation) formaicnt des constellations rclativc-
« j'ai appris á manger des haricots », ticaux, ct « avenir » pour le temps (1974, 51). Mais s'agit-il seulement ou ment Strides, sur lesquelles on peut
« j'ai accoutumé dc... » (on me Ta conceptucl. essenticllement dc chronologic ? prendre appui pour dévclopper Pana-
appris et je m'en souviens). (12) Valentina Vapnarsky, communi- (19) Yokelal, « la tradition » : qucl- lyse d'un concept.
(3) « Se souvenir » implique un cation personnelle. ques définitions en tzeltal. (22) ConStitué par les termes les plus
« deja su » (la*-) ct « savoir » eSt anté- (i 3) E n yucatéque, il y aurait 3 séries a) Ay yan k'op ya y-al-ik : yokelal ; ja fréquemment appariés aux termes utili-
rieur á « se souvenir » ; mais on décrit de passé — proche, indécis, lointain. I-ci-(i)k-e, pero ja nis... ja nis-am ta ses dans les définitions, dans un cer-
toujours les Mayas comme tenants dc Mais la forme indiquant Paspedt con- pat'o 'tan-e. tain nombre dc discours de passation
la conception scion laqucllc, dans Icurs temporain du moment dc Pénonciation « II y a un mot qu'ils disent : " tradi- dc charges du Carnaval.
termes, « savoir » cst surtout « se sou- peut renvoyer á un peu avant ou á un tion ", discnt-ils, mais seulement... dans (23) L'ctymologic dc yokelal pourrait
venir de ce qu'ont cffecrué les anec- peu aprés. Dc méme, ce qui marque les discours ritucls. » ctre y-ok-el-al, dont le lexeme central
tres » et marcher sur leurs traces. C'eSt Paspect lointain peut signifier lointain b) Bin /'in-am yokelal wan-a-e ? serait -ok- le pied.
ce paradoxe que l'on s'attachcra á dans le passé ou dans le futur, selon — pwes, ma ... ja te ya y-al : te bit'il te (24) Dc facón tres générale, les
comprendre. I I faut noter qu'il eSt qu'il est associé avec le complétif yokelal ya j-k'ai-es-tik te k'in. Mayas des Hautes Tcrres concoivent, á
difficile dc définir si ca eSt cumulatif ou (passé) ou non (futur). Le yucatéque « Qu'eít-ce que 5a voudrait dire / propos dc la linéarité, que la face ou le
récapitulatif. moderne ne présente plus la marque Qu'est-ce que 5a scrait, " tradition " ? devant du corps cSt lié au futur, et le
(4) Laughlin l'attribuc á la fin du aspccto-temporelle du futur non con- — E h bien, pas... 9a, ils le disent : dos au passé. L'hommc voit devant lui
x v i sicele ou au début du xvn .
e e
temporain et non éloigné en -om du c'eSt quand nous transmettons la fetc » le visage de son day-keeper, qui eSt eclui
(5) Haviland (1991) définit Pauxiliai- yucatéque colonial, utilisé pour Passer- (litt. féte-soleil-jour). de son dcStin. E n quiché, par excmplc,
re de mouvement yul comme signifiant tion des prophéties : pecn-om u-paí/pecn- c) Yokelal : ma s-k-il-tik bin-a bit'il i, le dcStin d'un individu se dit u-wách
« arriver ici, retourncr ici », c'eSt-á-dire om u-ypot: « retumbarán los instrumen- t'in-e, ma j-na'-tik bin-a hic i'c'-bil ta k'op uk'ij : « la face de son jour » (Tedlock
comme un auxiliairc dc mouvement tos musicales, retumbarán las sonajas » y-u'un-ik; te jayeb kuí-ul-tik-e la k'in-al-e, 1982, 2) ct les mouvcmcnts du sang
déictiqucmcnt ancré. (Arzápalo s.d.). te jayeb publin-em-o-lik-e tay-ok san te me'- sur la partic antéricurc du corps sont
(6) E n tzeltal, ya j-na' s'-bul pajel : (14) Si l'on se reporte á Particle de il tat-il-e, jayeb te s-4'un-oj-o-tik san te k- concus comme des presages conecr-
« je suis au courant dc son arrivéc Desclés (1989) sur Pimparfait du fran- aj(a)u>-al-tik dyos-e; ja hic ya y-i'c'ik jac'-el nant un evéncment, une action ou un
demain » ; ya j-na' te ya í-cam-at pajel : jáis, on verra également qu'il existe tal ta k'op awi. état dans le présent ou le futur (1'eSt,
« je prédis que tu mourras demain » pour ce temps du passé une dispersion « L a tradition : nous ne voyons pas ce Paubc, la naissance, la vie) tandis que
peut se dire, mais on concoit mal dc surprenante des emplois : treize valeurs que c'cst, nous ne nous souvenons pas ceux qui portent sur le dos, Partiere
profércr une tcllc phrase. ct une centaine de regles d'interpréta- de ce qui eft recu (des ancétres); nous ou les cpaulcs, portent sur le passé
(7) U y a égalcment un terme tion. tous qui vivons dans le monde, qui (PoucSt, la mort). Dans ees conditions,
« perdre » pour signifier « oublier » ; (15) On se référera au passage de vivons de la féte, qui avons éte plantés la tradition ainsi prise au pied de la
ici c'cst ma j-na'-tik qui eSt employe. Comrie sur le futur, qui insiste sur la dans les pas des anectres, nous som- lettrc aboutit á Pimage d'un espace
(8) Ya j-we': « je mange (d'habitudc, différence entre « a clear prediction mes ce que séme le seigneur dicu ; parcouru oü Pavenir consiste á suivre
en ce moment, toujours, etc.) / la j- about some future State of affairs » et c'cít ce qui cst exprimé ct nous vient un passé qui marcherait á rcculons á
we'... : « j'ai fini de manger... »,ya x-tal- « a reference to alternative worlds » dans la parole (en méme temps que mesure qu'on avance en le regardant;
on : « j'arrive » / tal-on : « je suis ([1985] 1990, 44). dans ce mot). » c'eSt prévoir ce qui eSt advenu, en par-
arrivé ». (16) Période de temps dc 20 fois 360 (20) De méme que ba'4'il k'op veut ticulier dans les fétes.
(9) Par cxemple, la marque du jours dans un des calcndricrs mayas. dire « la parole vraie », qualificatif (25) « This system seems to have
temps-aspect impcrfeétif á laquclle (17) Le serpent á plumes. ontologique et non temporaire, mais functioned during the poSt-classic and

44 45
i c i v u - a uv K t O l , TEMPS D E L O U B L I

conceptualisent ainsi : par cxemple, le (40) L e s f o r m e s les plus u t i l i s é e s


colonial periods at several levels o f have become canonized as ritual lan-
circuit rituel dc 13 jours des chamanes sont des formes de doutc, d ' é v c n t u a -
political organization. Within each guage are closely related to the emo-
dc MomoStcnango, qu'ils appcilcnt « Ic lité, dc negation, dc potcnticl, etc.,
community, municipal authority ro- tion-imbued repetitive speech patterns
scmcr-plantcr dc la villc ct son instal- avee les morphemes s p é c i f i q u e s qui y
tated among the territorial divisions, which occur in the i n f o r m a l genres
lation » f T c d l o c k 1982, 82). sont affectcs.
and presumably their principal lin- and even in the marginal genres »
eages, o n a f o u r year cycle. A m o n g (1974, 248).
ruling f a m i l i e s , the twenty year katun (32) J'adopte ici les definitions dc
period regulated succession [...) » D u c r o t au chapitrc v i n (1984).
(Farriss 1985, J 7 7 ) . (35) Sur la construction d u sens
(26) « H e [the day-keeper] speaks d i - grace aux mccanismes paraphraSliqucs, B1BLIOGRAPHIE
rectly to the D a y L o r d 8 batz', as well cf. B c c q u c l i n M o n o d 1987.
as to all the deceased members o f his (34) H a n k s (1986) a bien m o n t r é , á ARZÁPALO, Ramón M .
patrilincage w h o were presented at this travers l'analyse d'un certain nombre s.d. Tiempo físico y tiempo gramatical en maya ( U N A M , M é x i c o , C e n t r o dc E s t u d i o s
particular hearth... T h e ritual is c o m - de documents coloniaux, c o m b i c n le Maya).
pleted by a singer w h o recites elegant but, par cxemplc celui de la d é l i m i t a -
B E C Q U E L I N M O N O D , Aurore
quiche prayers, the latin liturgy and a tion e t / o u de la revendication tcrrito-
1987 L e tour du monde en quclqucs couplets : le parallclismc dans la tradition
long lift o f all the k n o w n deceased and rialc, ct le deSlinatairc, par excmple le
ó r a l e maya, in Kalevala el tradition órale du monde (Paris, E d i t i o n s du C N R S ) , < ^
living day-keepers within the teacher's roi d'Espagne, pouvaicnt induirc des
467-488 [Colloqucs internationaux du C:NRS].
patrilineage [...} » ( T e d l o c k 1982, 66). formes linguiStiques et rhétoriques
(27) Rappelons que dans le syStemc s p é c i f i q u e s , qu'il ne faudrait pas inter- B E S S O N , Mircille
bachajontcco mam d é n o t e á la fois le preter sans situer dc f a c o n extrcme- 1991 Proccssus attcntionncls ct m n é s i q u e s : approchc clcctrophysiologiquc
grand-perc ct le petit-fils. ment precise le « genre » auquel les chez l ' h o m m c , Annales de la Fondation Fyssen, 5-6 (Paris, E d i t i o n s dc
(28) L'autrc termc pour « coutume » r é d a c t e u r s dc ees documents vculent r i n t c r l i g n c ) , 13-23.
cSt /'un-bal, « grainc qu'on plante », qui les amlier. B L A C K , J o h n B . and Gordon H. BOWER
vicnt du vcrbe t'un-el: « planter ». t'un- (35) « E t h n i c conflict is characterized 1979 E p i s o d e s as c h u n k s in narrative memory. Journal of Verbal Learning and
bal k'op cSt une parole o u un discours by w a r f a r e , death, rape, soldiers, wea- Verbal behavior, 18, 309-318.
qualifié c o m m c « poussant de la racinc pons, fireworks, and the d i v i s i o n o f B O R C E S , Jorge L u i s
des a n c é t r e s ». « S c i o n la tradition » se people into two groups, the conque- 1978 \J livre de sable (Paris, G a l l i m a r d ) .
dit la s-tal-el ta s-lik-el, traduit par rors and the conquered » ( B r i c k c r B O Y E R , Pascal
Laughlin : « f r o m the arrival, f r o m the 1981, 8).
1990 Tradition at Truth and Communication. A cognitive description o f traditional
beginning ». (36) ... qui provoque un tclcscopagc
discourse (Cambridge, Cambridge University Press).
(29) N o u s diStingucrons toujours le du temps, alors que c'cSt le mythe de B R I C K E R , V i c t o r i a R.
« futur » c o m m c temps o u mode, pacification qui provoque cette distor- 1981 The Indian Chrifl, the Indian King (AuStin, University o f T e x a s Press).
expression scmantiquc grammatical s i ó n chez Ies Ladinos.
C A R U S E N , R o b e r t S. and Martin P R E C M T E I .
ou lexicalc en languc, de P« avenir », (37) N a n c y Farriss prend bien soin
1991 T h e flowering of the dead : A n interpretation o f H i g h l a n d Maya culture,
concept u n i v c r s e l , projection d'une dc nuanccr cette affirmation, montrant
image que nous nous appliquons á en détail d'une part qu'il s'agit d'un Man, 26 (1), 23-4*-
découvrir. modele d ' é v é n c m c n t s , ce qu'cllc ap- C A R O N , Jean
(30) T o u t c f o i s , il y a continuitc entre pellc u n a r c h é t y p e h i s t ó r i c o - m y t h i q u e , 1983 LtS regulations du discours. PsycholinguiStique ct pragmatiquc d u langage
la narration et le discours rituel et il et non pas d'une reproduction d ' é v é - (Paris, Presses univcrsitaircs dc F r a n c e ) .
ne faut pas survaloriser la f r o n t i é r c nements ; que d'autre part, c o m m c C O M R I E , Bernard
entre les genres. T é m o i n ce sermon en tout modele, i l pouvait é t r e actualisé
prose r e c o m p o s é sous une f o r m e tar- 1198 5] 1990 Tense (Cambridge, Cambridge University Press). <~
pour des motifs, dans des circons-
DENHIÉRE, Guy
dive en discours rituel avee des paires tances et avec des interpolations
ct des repetitions ct r e t r o u v é par diflerentes. 197j M é m o i r c scmantiquc, conccptucllc ou lexicalc?, Engages, 40, 4 ' - 7 J -
Brickcr. (38) Saintc patronne de Mita, village DE VOS, Jan
(31.) G o s s c n l'avait deja signalé v o i s i n dc San L u i s Jilotcpec. 1980 IM paz de dios y del rey. L a conquista dc la selva lacandona 1522-1821
« E v e n the linguistic formulas that (39) Parfois les gens c u x - m c m c s le ( T u x t l a G u t i é r r e z , G o b i e r n o del Estado dc Chiapas) [Ceiba, to).

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genre humain]. suscite le rire, car la culture écrite es~t garante du maintien de la
signification savante des termes.
C'est. dans un tout autre contexte que prennent place les
exégéses produites par les Indiens aétuels du Mexique. Le matériel
á expliquer ne leur eft pas fourni par une quelconque culture
savante, mais bien par leur propre environnement culturel et
linguislique. Au coeur de sociétés régionales dans lesquelles
l'histoire, partout présente, legue des coutumes et des mots dont le
sens premier tombe dans l'oubli, les Indiens ne cessent de produire
de nouvelles explications, de creer du sens la oü il n'y a plus
qu'incompréhension. Rien ne contrarié cette aftivité inventive car,
dans les régions, au niveau local, personne ne détient d'autre
exégése fondée sur des sources écrites. E t cependant, anthro-
pologues et hiStoriens ont á leur disposition les traces écrites
concernant le vocabulaire aussi bien que l'organisation sociale et
rituelle légués par cinq siécles d'une hiftoire au contad de
l'Europe. Les chercheurs sont done en mesure de fournir une
explication fondée sur l'origine historique, aujourd'hui oubliée, de
coutumes ou de termes encore vivants. Ainsi peut apparaitre le
décalage entre une exégése locale et une exégése « savante ».
Un exemple simple et tres courant de ce phénoméne e5t offert
par la toponymie. Au Mexique, les noms de lieu appartiennent sou-
vent á la langue náhuatl. Cependant, nombreux sont ceux dont la

* Laboratoirc d'cthnologie ct dc sociologie comparative (UMR I 16, CNRS), univ. dc Paris x.

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