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OUVERTURES

Irradiation chronique dans l’industrie


nucléaire : des effets nocifs avérés

●● Selon des données d’une cohorte d’environ Environ 300 000 travailleurs
300 000 travailleurs du nucléaire, des doses d’irra- de l’industrie nucléaire suivis pendant
diation considérées comme faibles mais répétées 27 ans
dans le temps exposent à un risque accru de leu-
cémies et de tumeurs cancéreuses solides. L’étude dite Inworks a analysé les risques de mort
par leucémies ou par tumeurs cancéreuses solides
chez des travailleurs de l’industrie nucléaire en
France, au Royaume-Uni et aux États-Unis d’Amé­

L
es rayonnements ionisants exposent à des rique (8,9).
effets nocifs à long terme tels que des cancers L’étude a été menée chez 308 297 personnes (dont
et des anomalies génétiques. La fréquence de 13 % de femmes) qui avaient travaillé dans l’indus­
survenue de ces effets augmente avec la dose re­ trie nucléaire au moins une année (8). Le suivi a
çue, mais ils n’ont pas de seuil connu d’apparition duré en moyenne 27 ans, avec une durée moyenne
(1,2). Quelques études montrent un lien entre irra­ d’exposition professionnelle de 15 ans (8,11).
diation à faibles doses et cancers, notamment des La dose individuelle moyenne d’irradiation,

SANTÉ ET TRAVAIL
leucémies (3à7). ­cumulée sur la durée de l’activité professionnelle,
Une étude dite Inworks, publiée en 2015, a appor­ a été estimée à environ 25 millisieverts (mSv) (mé­
té de nouveaux éléments qui précisent et quanti­ diane de 3,4 mSv), avec une moyenne annuelle de
fient ce lien (8,9). 1,7 mSv (12).
+ Lire l’encadré “C’est-à-dire ?” page 864.
Par comparaison, en France, les limites de doses
Irradiés japonais par la bombe atomique individuelles réglementaires pour le corps entier
et travailleurs de l’industrie nucléaire sont de 20 mSv par an pour les travailleurs expo­
sés, et de 1 mSv par an dans la population générale,
Les risques d’une irradiation à faibles doses répé­ non comptées les expositions médicales (1,13).
tées dans le temps ont d’abord été extrapolés à
partir des données de mortalité observées dans une 5 % des leucémies attribuables à une irradiation
cohorte d’environ 86 000 personnes ayant survécu professionnelle. À la fin du suivi de cette cohorte,
aux bombardements atomiques de Hiroshima et 66 632 travailleurs étaient morts (22 %), dont 814
Nagasaki en 1945, et enrôlées à partir d’octobre de lymphomes, 531 de leucémies (sauf leucémies
1950 dans l’étude appelée Life Span Study (4,8,10). lymphoïdes chroniques) et 293 de myélomes mul­
Cette cohorte est constituée surtout des victimes tiples (8).
les plus faiblement irradiées, les autres victimes Cumulée sur la durée de l’activité professionnelle,
étant mortes peu de temps après les bombarde­ la dose reçue au niveau de la moelle osseuse était
ments. Ces extrapolations, basées sur de multiples en moyenne d’environ 16 milligray (mGy) (médiane
hypothèses et modèles mathématiques, laissent 2,1 mGy). Environ 10 000 travailleurs (3 %) avaient
une large marge d’incertitude liée notamment au reçu entre 100 et 500 mGy, et 80 % avaient été ex­
fait que les victimes des bombardements ont été posés à moins de 20 mGy. Un peu plus de la moitié
exposées sur de brèves périodes (5,6,10). des travailleurs morts de leucémies avaient reçu
Au cours des années 2000, des études épidémio­ une dose cumulée inférieure à 5 mGy (8).
logiques ont évalué le risque de cancer lié aux ex­ L’analyse a montré que le risque relatif de mort
positions professionnelles externes à de faibles par leucémie augmentait linéairement avec la dose
doses de rayonnements ionisants. Selon une étude cumulée reçue, surtout le risque de mort par leu­
du suivi, en moyenne pendant 13 ans, d’environ cémie myéloïde chronique. Chaque dose de
400  000 travailleurs de l’industrie nucléaire dans 100  mGy a été associée à une augmentation
15  pays industrialisés, 1  % à 2  % des morts par ­d’environ 30 % du risque de mourir d’une leucémie
cancers pouvaient être attribuées à l’exposition des (8). Il n’a pas été montré d’augmentation statisti­
travailleurs aux rayonnements ionisants (7). Les quement significative du risque de mourir de lym­
leucémies lymphoïdes chroniques ont été exclues phome ou de myélome multiple en fonction de la
de ce compte, car elles ne sont pas considérées en dose cumulée reçue (8,11).
l’état actuel des connaissances comme radio-­ Selon l’Institut de radioprotection et de sûreté
induites (7,11). nucléaire (IRSN) français qui a participé à cette
étude, environ 5 % des morts par leucémies obser­
vées dans cette cohorte sont attribuables à l’expo­

L a revue Prescrire • Novembre 2016 • Tome 36 N° 397 • Page 863


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sition professionnelle externe aux rayonnements Raison de plus pour comptabiliser minutieuse­
ionisants (11). ment les doses d’irradiation délivrées et les limiter
Ces résultats sur la relation dose-effet sont simi­ au maximum, y compris dans la population géné­
laires à ceux observés chez les survivants exposés rale où les expositions aux rayonnements ioni­
aux bombes atomiques de 1945 (8,11). sants, hors irradiations d’origine naturelle, sont en
moyenne surtout liées aux examens médicaux (1).
Augmentation du risque de mourir d’un cancer. ©Prescrire
D’autres résultats de cette cohorte ont porté sur le
risque de tumeur cancéreuse solide, toutes locali­
sations confondues (9). L’étude a comporté deux
analyses, dont l’une après exclusion des cancers a- Parmi les travailleurs les plus exposés, les salariés d’en-
du poumon afin de prendre en compte un biais treprises extérieures auxquels l’industrie nucléaire fait
potentiel lié au tabagisme (9,14). appel pour sous-traiter certains travaux de maintenance
occupent une place à part, dans la mesure où le suivi de
17 957 travailleurs de la cohorte sont morts d’une leur exposition n’a pas été toujours rigoureux (réf. 15).
tumeur cancéreuse solide (9). Chaque dose de
100 mGy (dose estimée au niveau du côlon) a été
associée à une augmentation d’environ 5  % du
risque de mourir d’une tumeur cancéreuse solide.
L’estimation du risque a été similaire après exclu­ Extraits de la veille documentaire Prescrire
sion des cancers du poumon (9,14). 1- Prescrire Rédaction “Maîtriser et surveiller l’irradiation liée à l’ima-
Les résultats ont montré que le risque de mourir gerie médicale” Rev Prescrire 2014 ; 34 (365) : 220-223.
d’un cancer hors leucémie augmentait linéairement 2- Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des
accidents du travail et des maladies professionnelles “Les rayonne-
avec la dose cumulée reçue (9,14). ments ionisants. ED 5027” Le point des connaissances sur… 2e éd.,
Les auteurs de cette étude ont estimé que environ 2011 : 5 pages.
3- Prescrire Rédaction “Scanners dans l’enfance : risques de cancers”
1 % des morts par cancers hors leucémies obser­ Rev Prescrire 2014 ; 34 (371) : 689.
vées dans cette cohorte sont attribuables à l’expo­ 4- Ozasa K et coll. “Studies of the mortality of atomic bomb survivors,
sition professionnelle externe aux rayonnements Report 14, 1950-2003 : an overview of cancer and noncancer diseases”
Radiat Res 2012 ; 177 (3) : 229-243.
ionisants (9,14).
5- “Report of the United Nations scientific committee on the effects
of atomic radiation 2010” mai 2011 : 106 pages.
6- Laurier D et Hill C “Risque de cancer lié aux radiations ionisantes”
Rev Prat 2013 ; 63 (8) : 1126-1132.
 En pratique  Mesurer et limiter l’exposition
7- Cardis E et coll. “Risk of cancer after low doses of ionising radiation :
retrospective cohort study in 15 countries” BMJ 2005 : 331 : 77.
Dans le monde, des centaines de milliers de per­ 8- Leuraud K et coll. “Ionising radiation and risk of death from leukae-
sonnes ont un travail qui les expose aux rayonne­ mia and lymphoma in radiation-monitored workers (INWORKS) : an
international cohort study” Lancet Haematol 2015 ; 2 (7) : e276-e281
ments ionisants. L’étude dite Inworks confirme la + appendix : 7 pages.
nocivité des doses d’irradiation faibles et étalées dans 9- Richardson DB et coll. “Risk of cancer from occupational exposure
to ionising radiation : retrospective cohort study of workers in France,
le temps. L’ensemble de ces données est préoccupant the United Kingdom, and the United States (INWORKS)” BMJ 2015 ;
pour la santé des travailleurs les plus exposés (a). 351 : h5359, 8 pages.
10- Prescrire Rédaction “Les effets indésirables des mammographies
de dépistage des cancers du sein” Rev Prescrire 2006 ; 26 (271) :
269-275 + (272) : II de couv.
11- Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire “Publication des

C’est-à-dire ? premiers résultats de l’étude épidémiologique INWORKS sur le risque


de leucémie et de lymphome chez les travailleurs de l’industrie
nucléaire exposés de façon chronique à de faibles doses de rayonne-
ments ionisants” 23 juin 2015 : 4 pages.
Gray et sievert : unités d’irradiation 12- Thierry-Chef I et coll. “Dose estimation for a study of nuclear
workers in France, the United Kingdom and the United States of
Le gray (Gy) est l’unité internationale de mesure d’une dose America  : methods for the International Nuclear Workers Study
(INWORKS)” Radiat Res 2015 ; 183 (6) : 632-642.
absorbée de rayonnements ionisants. Il correspond à une
13- Gauron C et coll. “Les rayonnements ionisants. Paysage institu-
quantité d’énergie de 1 joule (J) absorbée par unité de tionnel et réglementation applicable” Institut national de recherche et
masse d’un kilogramme (1 Gy = 1 J/kg). de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies
Mais pour une même dose absorbée, les effets biolo­ professionnelles, 3e éd., août 2014 : 93 pages.
giques diffèrent selon la nature des rayonnements (rayons 14- Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire “Publication de
nouveaux résultats de l’étude épidémiologique INWORKS sur le
X, neutrons, protons, etc.) et l’organe irradié. Pour les be­ risque de cancer chez les travailleurs de l’industrie nucléaire exposés
soins de la radioprotection, on définit une grandeur appelée de façon chronique à de faibles doses de rayonnements ionisants”
“dose efficace”, exprimée en sievert (Sv) dans le système 21 octobre 2015 : 4 pages.
international, qui prend en compte le type de rayonnement 15- Desbordes JP “Rayonnements ionisants. Les précaires du
nucléaire ont leur dose” Santé Travail 2011 ; (75) : 6-8.
incident et l’organe exposé. Ainsi, en radiothérapie par
exemple, les doses sont calculées en sievert.
©Prescrire

 Sources  Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des


accidents du travail et des maladies professionnelles “Les rayonnements
ionisants. ED 5027” Le point des connaissances sur… 2e éd., 2011 : 5 pages.
• Prescrire Rédaction “Les unités de mesure en radiologie” Rev Prescrire
1994 ; 14 (140) : 288.

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