Xavier Le Floch.
Le triathlon dans la peau
Récent vainqueur de l’Ironman de
Malaisie, Xavier Le Floch se
présentera tout à l’heure sur la
ligne de départ du Championnat
du monde de triathlon à Lorient, à
quelques encablures de sa ville de
cœur où il réside toujours, Gourin.
Portrait d’un homme bien sous
toutes les coutures, véritable
passionné du triple effort mais
qui n’a sans doute pas tout à fait
le palmarès qu’il mérite vu les
sacrifices qu’il a consentis depuis
l’âge de 20 ans.
Gourin. Capitale des Montagnes
noires, au beau milieu de la Breta-
gne. À quelques pavés de la belle
église Saint-Pierre et Saint-Paul, et
à quelques longueurs du Parc du
Manoir de Tronjoly où il s’entraîne
parfois, Xavier Le Floch nous reçoit
dans son modeste - mais chaleu-
reux - trois pièces. Sourire qui ne
semble jamais s’être décroché de
son visage, et tasse de café de rigu-
eur après une journée d’entraîne-
ment bien remplie, Xavier le pas-
sionné se réjouit à nouveau de
recevoir la presse, quelques minu-
tes à peine après être passé au
micro d’HitWest. « C’est bien, il
faut parler de l’événement : on
espère beaucoup de monde. Ce
serait le plus beau cadeau pour les
organisateurs, car préparer un
championnat du monde est un tra-
vail monstrueux ». Et, après un
léger coup d’œil à la fenêtre com-
me pour deviner le temps qu’il fera
le jour-j, il s’imagine déjà en haut
de l’affiche avec entre les mains le
trophée dont il a toujours rêvé.
« Dimanche (aujourd’hui, ndlr),
12 h 15… Si je gagne, je chiale.
C’est sûr ».
Un mental taillé
pour la compétition
Puis, toujours avec le même souri-
re, Xavier le sage redescend un
peu de son nuage, se contentant
déjà bien d’une de ses places dans
le trio de tête dont il est, à 34 ans,
malheureusement habitué. « Je
sais bien que je ne suis pas le favo-
ri. En plus, la distance me pénalise.
Mais je donnerai le tout pour le
tout : quitte à exploser, j’attaque-
rai. Un Championnat du monde
qui se déroule à deux pas de chez
moi… ».
Et puis, Xavier le sensible évoque
rapidement ses parents, ses pro-
ches et Céline, avec qui il partage,
depuis trois ans, son quotidien
pour le moins atypique. « J’aime-
rais tant gagner pour Céline… On
n’imagine pas tous les sacrifices
qu’elle a pu consentir. Tout com-
me mes parents, d’ailleurs : je leur
dois tout ». Une maman coiffeuse,
et un papa employé communal la
journée, pompier volontaire le soir
qui participe aux foulées locales
organisées par la caserne. Xavier,
fils de soldat, a le droit de partici-
per aux épreuves dominicales, sou-
vent accompagné par quelques
autres gosses du quartier. « C’est
là que j’ai eu le déclic », confie-t-il.
Quelques années plus tard, le rink-
hockey - « J’en ai fait pendant dix
ans » - lui façonne les lombaires,
lui parfait son rythme cardiaque, et
lui forge un mental taillé pour la
compétition de haut niveau. La
mode du rink passée, son vieux
copain de bourg Yvan Le Goff le
guide alors vers le triathlon. Et
pour sa grande première, à Perros-
Guirec, sur une distance découver-
te, le jeune Le Floch termine 6e.
C’était la première fois qu’il mon-
tait à vélo… Alors c’est décidé :
après une première licence à Quim-
per, de jolis titres régionaux et, sur-
tout, une première sélection natio-
nale, Xavier l’ambitieux, les bre-
vets d’Etat en poche, sera « triath-
lète professionnel ».
« Je ne m’appelle pas
Tanguy ! »
Comme un ado branché à sa guita-
re qui rêve de fouler les scènes
parisiennes, il doit avant tout
demander « l’autorisation » à ses
parents pour se lancer dans cette
folle aventure. « Heureusement, ils
m’ont très vite soutenu, et m’ont
même accordé de rester vivre chez
eux. Chez papa et maman, nourri,
logé, blanchi, je pouvais m’entraî-
ner sans contraintes financières ou
matérielles. Sans m’appeler pour
autant Tanguy », sourit-il, en rajou-
tant : « Cette situation a été essen-
tielle dans mon épanouissement :
ce n’est pas un sport qui rappor-
te ».
En effet. Malgré la bourse accor-
dée par son club, les primes de vic-
toire et les aides matérielles de ses
sponsors, Xavier le courageux a
bien du mal à joindre les deux
bouts, alors même qu’il s’affirme
rapidement comme un athlète
incontournable de la scène françai-
se et européenne.
« L’an passé, par exemple, j’ai eu
une saison blanche, la faute à une
blessure. Donc, pas de prime. Je
n’ai pas pu économiser un centime
sur les douze mois ». Et quand il
touche les 8.500 dollars de prime
suite à sa victoire en Malaisie en
février dernier, son butin a fondu
comme neige au soleil une fois le
billet retour réglé et être passé au
bureau de change.
l Le Gourinois Xavier Le Floch (34 ans) a un rêve : remporter l’Ironman d’Hawaii. Mais, aujourd’hui, c’est le Championnat du monde qu’il dispute tout près
de chez lui. Motivé comme jamais. « J’attaquerai, annonce-t-il, quitte à exploser... » (Photo Patrick Tellier)
Pourtant, le double médaillé de dant neuf ans ! ». lequel il est monté une heure plus triathlète est quelque peu indigent
bronze aux Championnats du mon- tôt et qui relie Nantes à Brest au regard de ses sacrifices et du
de longue distance fut très tôt pla- L’homme de fer s’écrase en plein champ. De battre don de soi, il s’accompagne heu-
cé sur la liste des sportifs de haut Enfin, de toute façon, il était pres- son cœur s’est arrêté… Mais un reusement de quelques anecdotes
niveau, ce qui lui donnait alors le que écrit que le Breton allait devoir court instant seulement : on ne bri- exotiques. « En Malaisie, lors
droit de disposer d’un emploi du cravacher un peu plus que les se pas comme cela un homme de d’une course, je me suis arrêté
temps aménagé pour pouvoir s’en- autres. En 1996, il est atteint du fer qui n’a d’yeux que pour l’or. pour me soulager… D’un coup,
traîner correctement, en travaillant syndrome de Wolff Parkinson Whi- « Quand je suis arrivé aux urgen- quand j’ai levé la tête, il y avait
dans des établissements publics te, un trouble du rythme cardiaque ces, on m’a affirmé que le sport, une dizaine de singes autour de
comme à la SNCF. « Mais la Fédé qui lui provoque d’inquiétantes cri- c’était fini pour moi. Mais trois moi, qui voulait goûter mes barres
ne m’a pas vraiment aidé, et n’a ses de tachycardie. La première mois après, je me présentais à énergétiques… Un jour, en Boli-
jamais poussé mes dossiers de can- opération échoue, pas la seconde. l’Ironman d’Hawaii ». Et, paradoxa- vie, à plus de 4.000 mètres d’altitu-
didature. C’est fou : j’ai quand Sept ans plus tard, le bimoteur lement, cet accident lui permet de, j’ai croisé une grand-mère et
même représenté la France pen- d’une filiale d’Air France dans aujourd’hui de continuer son activi- sa famille, qui vivaient dans une
té d’athlète professionnel, via l’en- petite cabane, coupées de tout. Ça
veloppe accordée par la compa- remet pas mal de choses en pla-
gnie pour le préjudice moral et phy- ce ».
J’AIME sique subi. Aujourd’hui, à Lorient, le Gourinois
ne « chialera » peut-être pas. Ama-
- Les balades dans la nature avec Céline.
Prêt pour sa deuxième vie teur des choses simples de la vie,
- La franchise.
Connu et reconnu dans le monde athlète passionné qui rougit facile-
- Etre à l’heure aux rendez-vous.
du Tri, Xavier avoue bien sûr ne ment sous le compliment, il conti-
- Mener à bien mes projets personnels.
pas faire ça pour la notoriété. nuera cependant à regarder droit
- Quand la journée se déroule comme prévu.
D’ailleurs, chez lui, il n’y a quasi- devant lui. Papa le 25 décembre
- Les compétitions à l’étranger pour y découvrir des paysages et différen-
ment aucun signe ostentatoire de prochain - « ce sera un petit
tes cultures.
succès. Près d’une statue en bois Jésus ! » - Xavier le comblé a
de femme africaine cachée dans d’ailleurs déjà une belle idée pour
J’AIME PAS l’épaisse fumée d’un bâton d’en- sa reconversion.
cens largement consommé, une « Je me donne encore trois ou qua-
- Les gens qui polluent la planète. coupe de sept kilos est là pour tre ans pour aller au bout de mon
- Les gens qui ne sont pas ponctuels. nous remémorer son triomphe en rêve : gagner l’Ironman d’Hawaii.
- Les tricheurs. Malaisie. Après j’aimerais aider les sportifs,
- Le dopage. Coincé entre la « La sonnette » de physiquement et mentalement, en
- Les gens qui m’insultent à vélo ou qui me font un doigt d’honneur quand Robert Doisneau et un autre cadre apportant mon savoir-faire. Ce
je roule. plus coloré, un deuxième oscar rap- serait un beau métier ».
- Les gens qui roulent à 70 km/h alors que la vitesse est limitée à 90 km/h. pelle que Le Floch est avant tout Une nouvelle vie qui demandera
- Poireauter inutilement devant la caisse du supermarché. un champion, alors qu’un peu plus également beaucoup d’investisse-
- Me sentir fatigué. loin, une nouvelle figurine africai- ments. Mais il ne s’en fait pas pour
- Les imprévus de la journée. ne confirme son attachement pour ça : les efforts, il connaît.
- Avoir la gueule de bois le matin quand je me réveille. les voyages. Car si le palmarès du Pierre Bernard