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pentastellati sont attachés à la coalition. La discipline


des partis est assurée, l’accord sur les principaux sujets
En Italie, l’irrésistible ascension de Matteo
aussi.
Salvini
PAR ROMARIC GODIN
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 20 NOVEMBRE 2018

Matteo Salvini, vice-président du gouvernement italien et ministre de l'intérieur. © Reuters

Et puis, l’opinion publique continue de soutenir


Matteo Salvini, vice-président du gouvernement italien et ministre de l'intérieur. © Reuters fortement la majorité, davantage encore que lors des
Le gouvernement de coalition entre le Mouvement élections du 4 mars. « Ce soutien est incroyable, c’est
Cinq Étoiles et la Ligue ne devrait pas tomber avant les quelque chose qui n’est jamais arrivé », reconnaît
européennes du 26 mai 2019. En attendant, un homme Gianfranco Pasquino. Il est vrai que les deux électorats
fort semble s’imposer, Matteo Salvini. sont très complémentaires. C’est vrai sur le plan
Rome (Italie), de notre envoyé spécial.- La politique géographique, puisque la Ligue domine le vote au
italienne est pleine de surprises. Ainsi, si tout le monde Nord et le M5S au Sud. C’est vrai aussi sur les plans
à Rome convient que la coalition entre le Mouvement sociologique et culturel.
Cinq Étoiles (M5S) et la Ligue est « étrange », nul ne « La Ligue et le M5S ont le soutien d’électorats plus
s’attend en réalité à voir le gouvernement Conte, qui différents entre eux que similaires, non seulement sur
en est issu, tomber avant les élections européennes de le plan sociologique, mais surtout sur les attitudes et
mai prochain. Et peut-être même avant les prochaines les orientations politiques […], concernant la vision
élections législatives prévues en 2023. du monde, de la politique et des priorités », expliquent
Pourquoi, finalement, en serait-il autrement dès Gianluca Passarelli et Dario Tuorto, deux professeurs
lors que les deux alliés semblent avoir trouvé une de sciences politiques, dans un ouvrage récent (lire la
façon – parfois agitée – de vivre ensemble et de boîte noire).
s’entendre ? « Ils passent les lois qu’ils veulent passer, C’est le revers de la médaille du caractère baroque
leur majorité est solide », constate le politologue de l’alliance : si elle tient, elle profite d’un soutien
Gianfranco Pasquino, professeur émérite à l’université extrêmement large de la population. Or, elle tient parce
de Bologne. Certes, il existe bien quelques dissidents qu’elle se présente comme une « nouveauté », un
au sein du M5S, mais le chef de ce dernier et ministre « renouvellement » face au jeu politique traditionnel.
du travail Luigi Di Maio peut se permettre d’agiter Comme le soulignent les auteurs Gianluca Passarelli
la menace de l’expulsion tant le reste des élus et Dario Tuorto, le point commun entre les deux
électorats hétéroclites réside dans un sentiment
partagé de « malaise, d’inconfort et de difficultés
économiques », qui se traduit par un rejet du système
politique traditionnel. Ce rejet est le ciment de
l’alliance et ce n’est pas un hasard si les dirigeants des
deux partis ne cessent de parler de « changement ».

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Qui alors prendrait le risque de faire tomber ce Étoiles Anna Macina, qui estime qu’il s’agit d’un
gouvernement et d’enterrer la possibilité d’une « engagement devant les électeurs » et « surtout, d’une
alternative au « système » ? « Si le gouvernement responsabilité institutionnelle ».
échoue, c’est l’alternative qui échoue et ce serait
donner raison aux partis traditionnels », avance
Marco Damilano, le directeur du journal L’Espresso.
S’est donc instaurée une forme d’équilibre de la terreur
où ni la Ligue, ni le M5S ne veulent apparaître comme
l’allié de fait d’un système rejeté par deux tiers des
Italiens.
Le Parlement européen. © Reuters
Aucune raison donc que le gouvernement tombe dans
l’immédiat. Et surtout pas sur la question européenne. Mais, en réalité, les deux alliés ne pensent qu’à ce
Le budget 2019 est en réalité le fruit d’une intense 26 mai qui peut modifier radicalement les équilibres
négociation interne. C’est un compromis, destiné internes à la coalition. Une source du M5S, qui
précisément à satisfaire les deux électorats : une souhaite rester anonyme, ne le cache pas : « Notre
amnistie fiscale pour la Ligue, un début de revenu objectif désormais, c’est d’obtenir le 26 mai une seule
citoyen pour le M5S. voix de plus que la Ligue. » L’inverse est également
La priorité des deux partis étant de maintenir vrai. « Matteo Salvini avait comme ambition, avant le
l’équilibre politique interne à la majorité, la pression 4 mars, d’arriver avec une voix d’avance sur le parti
européenne ne saurait faire bouger les lignes. C’est de Silvio Berlusconi, Forza Italia (FI), désormais, il
ce qu’a confirmé, le 14 novembre, le ministre veut, le 26 mai, arriver avec une voix d’avance sur le
des finances Giovanni Tria. « Ce que cherche la M5S », avance Marco Damilano.
coalition, c’est d’abord à gagner du temps sur ce D’un sorpasso (« dépassement », terme
dossier pour arriver aux européennes », estime Marco historiquement utilisé en Italie pour désigner l’espoir
Damilano. du parti communiste de dépasser la démocratie
D’un sorpasso à l’autre chrétienne) à l’autre, la Ligue pourrait devenir le
premier parti du pays.
Les mots sont lâchés : les élections européennes du
26 mai prochain. C’est l’échéance à laquelle tout le L'option est loin d’être inenvisageable : dans les
monde pense dans les palais romains, plus ou moins enquêtes d’opinion, la Ligue bondit, au détriment de
ouvertement. Certes, officiellement, tout le monde Forza Italia, et dépasse désormais, quoique de peu, le
est là pour cinq ans. « Dans le contrat de coalition, M5S. Dans le premier test électoral depuis le 4 mars,
nous nous sommes mis d’accord sur des objectifs à les élections régionales du Trentin-Haut-Adige, le 21
atteindre dans les cinq ans et il est dans l’intérêt octobre dernier, ont confirmé cette percée. Dans le
des deux partis de travailler cinq ans pour réaliser Trentin italophone, la Ligue a obtenu dix fois plus de
toutes nos promesses », explique la députée Cinq voix que Forza Italia et le double du Parti démocrate
dans une province jusqu’ici très ancrée à gauche. Dans
le Haut-Adige germanophone, il a obtenu 11 % des
voix, ce qui est un exploit réel dans cette région. Dans
les deux cas, le M5S a réalisé un score anecdotique.
Un tel scénario changerait entièrement les équilibres
au sein de la coalition. Car alors, Matteo Salvini,
fort de ce résultat, pourrait exiger de prendre la
direction du gouvernement. Au M5S, on reconnaît

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qu’une telle demande serait inacceptable car elle En face, le M5S, isolé en Europe, n’aura pas le
mettrait fin à l’équilibre revendiqué par le parti au même poids. Dès lors, le leader de la Ligue deviendra
sein de la coalition et que Luigi Di Maio s’efforce l’homme capable de défendre les intérêts italiens en
de mettre en avant auprès de la base. Ce serait Europe et s’imposera comme une évidence en cas de
l’acceptation d’une soumission qui mettrait en danger nouveau scrutin pour de nombreuses élections.
l’unité du mouvement. Les Pentastellati veulent tout
faire pour éviter cette option, et c’est pourquoi ils
veulent terminer devant la Ligue. S’ils y parviennent,
le gouvernement Conte pourrait survivre aux élections
européennes.
Matteo Salvini en position de force
Et si le sorpasso est réalisé ? En théorie, le
gouvernement Conte ne devrait pas survivre et de
nouvelles élections seraient sans doute convoquées.
Dans ce cas, Matteo Salvini sera en position
de force. « Son calcul, c’est que les forces
nationalistes sortiront renforcées des élections du
26 mai et qu’il obtiendra une stature d’envergure
européenne qui augmentera sa crédibilité», explique
Matteo Salvini, chef de la Ligue, devant son logo pendant la campagne de 2018. © Reuters
Salvatore Cannavò, vice-directeur du quotidien Il
Fatto Quotidiano. Mieux même, le dirigeant ligueur a joué finement les
concessions accordées au M5S sur le budget. Il a réduit
son exigence de flat tax et a accepté le revenu citoyen
qui est rejeté par une grande partie de la Ligue. En
cas d’explosion des taux italiens et de conflit avec les
marchés, Matteo Salvini pourra accuser les mesures
promues par les Cinq Étoiles et remettre en avant ses
mesures néolibérales comme un moyen d’apaiser l’ire
des investisseurs.
Car la Ligue peut aussi, par sa longue pratique
du pouvoir dans les régions septentrionales, se
prévaloir d’un certain pragmatisme. Il deviendra alors
incontournable parce que capable de canaliser la colère
des marchés et des électeurs. Il pourra se présenter
comme seul recours en mesure d’exclure les « fauteurs
de trouble » du M5S.
Enfin, Matteo Salvini est sur le point d’achever
d’avaler la majeure partie des électeurs du centre-droit
berlusconien. Le Cavaliere, vieilli et affaibli, n’est
plus en mesure de s’opposer au rouleau compresseur
de la Ligue. « Silvio Berlusconi avait réussi à
tuer politiquement tous ses dauphins potentiels, de
Gianfranco Fini à Angelino Alfano, mais Matteo

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Salvini a su contourner l’obstacle en évitant de se pentastellati », explique-t-il, en voulant comme preuve


présenter comme le successeur du Cavaliere et en le refus du M5S, dès 2013, de chercher une alliance
l’ignorant la plupart du temps », résume Marco avec les démocrates. Pour lui, le but était d’abord
Damilano. de construire une hégémonie à gauche pour « porter
Il a pu ainsi rallier les déçus du système politique, le débat italien ailleurs, au-delà du clivage droite-
dominé depuis 1994 par l’entrepreneur milanais, tout gauche ». Or, ce mouvement ne pouvait se faire qu’en
en ne s’aliénant pas ses électeurs. Mais une fois Forza partenariat avec un parti rejetant également de son
Italia surpassée et Matteo Salvini au gouvernement, ce côté le « système », précisément celui qui, en 2018, a
dernier est devenu le choix naturel des électeurs du conquis l’hégémonie à droite, la Ligue.
centre-droit. D’autant qu’il utilise le Viminal, siège du
ministère de l’intérieur italien, comme un formidable
instrument de propagande antimigrants qui lui permet
de s’implanter dans un Sud encore extrêmement
réticent, jusqu’au 4 mars, au vote ligueur. D’où le bond
de la Ligue dans les sondages et la marginalisation des
berlusconiens.
Devenu l’incontournable leader du centre-droit, Les unes du magazine "L'Espresso", en
Matteo Salvini pourrait alors espérer obtenir, en grande partie consacrées à Matteo Salvini. © DR

coalition avec FI et les néofascistes de Fratelli d’Italia, Si cette analyse est juste, alors, comme le dit
les 40 % nécessaires à l’obtention d’une majorité à Angelo Mastandrea, « la coalition M5S-Ligue est née
la Chambre. Pour Marco Damilano, c’est sa première pour durer ». D’autant plus que, selon Gianfranco
ambition : « La majorité actuelle est transitoire pour Pasquino, cette logique peut aussi s’appliquer au
Salvini, il a pris un bus qui le mène du dépassement mouvement ligueur. « S’allier avec Berlusconi serait
de Berlusconi vers le palais Chigi », le siège de la s’allier avec le système », juge-t-il.
présidence du Conseil. Et comme on vient de le dire, la stratégie de Matteo
Le maintien possible de l’alliance M5S-Ligue Salvini consiste à marginaliser le centre-droit en s’en
Mais en politique italienne, rien n’est jamais tenant éloigné. De plus, l’actuelle majorité permet de
sûr. La chute du gouvernement ne signifie pas s’appuyer sur une très large partie de la population. En
automatiquement la fin de la coalition actuelle. amenant le M5S à soutenir sa politique, il neutralise les
« Personne ne sait aujourd’hui si un sorpasso de oppositions venant de plusieurs secteurs de la société.
la Ligue sur le M5S débouchera sur de nouvelles Dès lors, la poursuite de l’alliance avec le M5S serait
élections ou un nouveau pacte », reconnaît Salvatore également logique.
Cannavò. Et si, en cas de nouvelles élections, Matteo À cela s’ajoutent d’autres éléments plus terre à terre.
Salvini n’obtient pas de majorité de centre-droit, il Si le M5S retourne dans l’opposition, Luigi Di Maio
pourrait choisir de renouveler l’alliance avec le M5S, verra sa carrière politique se terminer, puisque les
cette fois en position de force. règles du mouvement veulent qu’on ne puisse dépasser
Mais on ne peut non plus exclure un renouvellement deux mandats. Après son poste de député, de 2013 à
de l’alliance, avec ou sans élections, même en cas de 2018, le portefeuille du travail et du développement
victoire de la Ligue le 26 mai. sera donc son dernier. Il devra ensuite revenir à la base,
comme le veut la philosophie de ce mouvement. La
Pour le journaliste du quotidien de gauche Il Manifesto
règle est difficilement modifiable, dans la mesure où
Angelo Mastandrea, l’actuelle majorité entre M5S et
elle marquerait trop évidemment la « normalisation »
la Ligue « n’est pas une majorité de hasard ». « Elle
du M5S.
a été préparée depuis longtemps par les dirigeants

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Luigi Di Maio ne peut donc rester au pouvoir que tant lui qui aura les clés de l’avenir politique du pays
que durera l’actuelle coalition et ce pourrait être un et pourra choisir de poursuivre cette coalition avec
important soutien à cette alliance, y compris après le sa base sociale large, de revenir à une logique de
26 mai. Le processus de formation de compromis avec centre-droit ou de tenter d’obtenir seul une majorité.
la Ligue, largement soutenu par la direction actuelle du Une chose est certaine : les ors du palais Chigi lui
Mouvement Cinq Étoiles au nom d’une politique du semblent promis. Comme le résume Marco Damilano :
« mieux que rien », pourrait alors préparer en réalité le « Régulièrement, l’Italie se cherche un homme fort et
maintien de la coalition actuelle au-delà des élections nous sommes dans un tel moment aujourd’hui. »
européennes. Boite noire
Le 26 mai est d’ores et déjà une date clé pour l’avenir Les citations de Gianluca Passarelli et Dario Tuorto
de l’actuelle coalition et quel que soit le scénario sont issues de leur ouvrage La Lega di Salvini, Il
que l’on peut élaborer aujourd’hui, un seul vainqueur Mulino, 2018.
devrait sortir de ce scrutin : Matteo Salvini. C’est

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