doux, les trompettes se taisent, et comme la premiere fois dans l'adagio au
mot Amen les voix s’éteignent peu a peu sur le mot pacem!
‘Nous ne pouvons nous empécher de soubaiter que le maitre se fat moins
complu a rechercher dans la derniére phrase leffet par le contraste, mais
qu'il traite plutot le « Pleni sunt » sur le modéle du premier et magnifique
adagio, pour assurer Penti¢
ere cohérence de l'ensemble.
L'euvre ne présente ailleurs, avec toute sa richesse harmonique et
mélodique, aucune difficulté particuliére d’exécution ; elle procurera a
amateur de concert spirituel attiré par l'esprit naif et pieux qui y regne, un
plaisir qu'il n’oubliera pas de sit6t. Nous pensons que Peeuvre dans sa
\strumentation est faite pour le concert spirituel
et non pour ’église, car un certain nombre de choses, parmi lesquelles sans
doute les plus belles, perdraient leur effet dans un édifice trop grand et trop
haut. Bien que rien ne soit indiqué dans la partition, nous pensons que
Padagio doit étre exposé par trois voix solos puissantes, mais que le « pleni
sunt » etc. qui suit doit 'étre par un cheeur.
La gravure est propre et nette. La vignette de titre (un Christ en pri@re)
est également bien gravée, mais d'un dessin peu réussi car, sans parler du
visage sans caractére, les différentes parties du corps ne vont guére
ensemble ; elles paraissent avoir été empruntées a plusieurs personnes.
Sinfonie pour 2 violons, 2 violes, violoncelle et contre-violon, 2 flttes,
petite flite, 2 hautbois, 2 bassons, contrebasson, 2 cors, 2 trompettes,
timbales et trompes, composée et dédiée etc. par Louis van Beethoven &
Leipsic, chez Breitkopf et Hartel, Euvre 67. N° 5 des Sinfonies
Nous avons sous les yeux une des ceuvres les plus importantes de ce maitre
dont nul, sans doute, ne contestera la suprématie en matiére de musique
instrumentale. Nous sommes pénétrés de notre sujet, et personne ne pourra
nous en vouloir si, dépassant les limites de la critique proprement dite, nous
tentons d’exprimer par des mots les émotions que nous avons ressenties en
étudiant cette composition
Lorsqu’on parle de a musique comme d'un genre autonome, on ne
devrait jamais penser qu’a la musique instrumentale qui, méprisant toute
aide et toute intervention extérieure, exprime avec une pureté sans mélange
cette quintessence de lart qui n’appartient qu’a elle, ne se manifeste qu’en
elle, Elle est le plus romantique des arts — on pourrait presque affirmer
qu'elle seule est vraiment romantique. La lyre d’ Orphée ouvrit les portes de
Hades. La musique ouvre & homme un royaume inconnu totalement
étranger au monde sensible qui lentoure, et oi il se dépouille de tous les
sentiments qu’on peut nommer pour plonger dans l'indicible. Cette
profonde originalité a été gravement méconnue par les auteurs de musique
instrumentale qui ont essayé de peindre des sensations définissables, voire
des événements, traitant comme un art plastique le moins plastique de tous
les arts. Les symphonies de ce genre composées par Dittersdorf ', ainsi que
toutes ces récentes « Batailles des Trois Empereurs » *, ete. sont autant de
faux-pas ridicules qu'il convient de chatier par un oubli total. Dans la
musique vocale, ot la poésie suggére par des mots les mouvements de ime,
le sortiege de la musique opere comme cet élixir philosophal, dont quelques
gouttes transforment chaque breuvage en un nectar divin, Toute passion —
amour, haine, fureur, désespoir—représentée a Vopéra, la musique la revét
de Véclat d'une pourpre romantique, et méme les sentiments que nous
prouvons dans la vie nous la font quitter pour le royaume de Vinfini. Tel est
le pouvoir magique de la musique. Provoquant des effets toujours plus
puissants, il devrait briser toutes les chaines qui entravent les autres arts. Si
les compositeurs de génie ont porte la musique instrumentale aux sommets
actuels, ils ne Ie doivent pas seulement a la plus grande facilité des moyens
expression (instruments plus perfectionnés, virtuosité accrue des interpré-
tes), mais aussi a une intuition plus profonde et plus intime de l'essence
méme de leur art. Haydn et Mozart, les créateurs de la musique
instrumentale moderne, furent les premiers a nous la présenter dans toute sa
gloire, et il est un compositeur dont le regard plein d'amour a plongé au fond.
de leur ame : c'est Beethoven. Les ceuvres instrumentales de ces trois grands
maitres respirent un méme esprit romantique, né de la méme intime
expérience de Voriginalité de leur art : toutefois, le caractére de leurs
compositions est sensiblement différent. L’ame enjouée d'un enfant
sexprime dans les cuvres de Haydn. Ses symphonies nous conduisent dans
des bosquets verdoyant a perte de vue, peuplés d'une foule joyeuse et
bigarrée, Passe une farindole de garcons et de filles ; des enfants rieurs, &
Taguet derriére les arbres et les buissons de roses, se livrent une bataille de
fleurs. C'est une vie d'amour et de félicité, antéricure a la chute originelle,
parée d'une éternelle jeunesse, Nul chagrin, nulle souffrance si ce n’est le
désir suave et poignant qu’inspire Ia silhouette aimée qui flotte au loin,
rimbée par les ors du couchant, sans s'approcher ni disparaitre ; et aussi
longtemps qu’elle demeure, la nuit ne tombe pas, car elle-méme est le
couchant qui embrase les monts et les bois
Mozart nous conduit dans les abysses du monde invisible. La crainte nous
étreint, mais une crainte sans torture, qui est plutot la prescience de I'infini.
L'amour et la douleur résonnent en accents sublimes ; la nuit des esprits se
lve dans un reflet pourpre, et, saisis d'une indicible nostalgie, nous
poursuivons des ombres aimables qui nous font signe de les suivre, volant
parmi les nuages dans la danse éternelle des sphéres (par exemple dans la
symphonic en mi bémol majeur, connue sous le nom de « Chant du
Cygne »). La musique instrumentale de Beethoven nous ouvre elle aussi le
royaume de immense et de 'incommensurable. Des rais incandescents
1. Ditersdorf, Catt Ditters von (1739-1799), composaplusiurs symphonies descrptves : 1
combatiimento delle umane passion ; Sinfonia perodica et.
2. « Baualles des Trois Empereurs » : Hoffmann pense peut-éte &lasymphonie pour grand
orchestre initulée La Rauailed’Auseritz, de Loui-Emmanuel Jadin (1768-1853).zabrent sa nuit obscure ; nous apercevons des ombres titanesques qui
ondulent comme des vagues, resserrent autour de nous leur cercle et,
destructrices, ne nous laissent que la torture de cette nostalgie sans fin ot
tout 'élan joyeux qu’exprimaient & instant des accents d’allégresse, sombre
et s'anéantit ; nous ne vivons plus que dans cette douleur qui engloutit sans
tes détruire 'amour, Pespérance et la joie, et veut faire éclater notre poitrine
fen unissant toutes les passions dans un ‘ulti formidable — et nous sommes
des visionnaires émerveillés. Le gout romantique est rare, plus rare encore
fe talent romantique ; c'est sans doute pourquoi si peu de compositeurs
savent faire résonner cette lyre qui ouvre le royaume merveilleux de Vinfini.
Haydn a une conception romantique de Phumain dans la vie humaine ; il est
‘accessible au plus grand nombre. Mozart s'adresse a ce que lesprit méme de
Phomme contient de surhumain et de merveilleux. La musique de
Beethoven suscite le frisson, la crainte, ’épouvante, la douleur, et éveille
‘cette nostalgie infinie qui est "essence méme du romantisme. Beethoven est
lun compositeur purement romantique, et donc authentiquement musical
Crest peut-étre pour cela qu'il est moins a laise dans la musique vocale, qui
ne laisse aucune place au désir sans objet, mais se contente de transposer
dans le domaine de Tinfini les émotions exprimées par les mots, et c'est sans
doute aussi pour cette raison que sa musique instrumentale ne trouve que
rarement un écho dans le grand public. Ce méme public, qui ne pénetre pas
a profondeur de Beethoven, Iui concede une forte dose d'imay
ne voit le plus souvent dans ses ceuvres que les produits d'un génie qui, sans
se soucier de Ia forme ni de trier les idées, s'abandonne a sa fougue et & son
inspiration immédiate. Pourtant, il est pour la réflexion Mégal de Haydn et
de Mozart. Il ne confond pas sa subjectivité avec le royaume intérieur des
sons, et commande a celui-ci en souverain absolu. Certains, pour qui
esthétique est affaire de géométrie, ont déploré dans les pices de
Shakespeare un manque total d'unité véritable et de cohérence interne j il
faut un regard plus perspicace pour y voir un bel arbre, bourgeons et
feuilles, fleurs et fruits nés d’un germe unique. De méme, il faut pénétrer
fort avant dans Ia structure interne de la musique de Beethoven pour
discerner Ie soin extréme que le maitre apporte & Tagencement de ses
‘compositions. Ce soin est inséparable du vrai génie, et il est nourri par une
étude assidue. Le romantisme de la musique est gravé profondément dans le
‘eceur de Beethoven, et il 'exprime dans ses ceuvres avec un mélange sublime
de génie et de sang-froid. Jamais nous ne lavons ressenti plus vivement
quien étudiant Ia présente symphonic qui, dans une tension soutenue
jusqu’a la fin, révéle le romantisme de Beethoven plus qu’aucune autre de
ses @uvres et entraine irrésistiblement Pauditeur au royaume enchanté de
infin
Le premier allegro, 2/4, en ut mineur, s‘ouvre sur Pexposition de Vidée
principale, qui ne cessera de reparaitre ensuite sous de multiples formes. Un
point d'orgue dans la deuxiéme mesure, puis le theme se répete un ton
‘au-dessous ; un nouveau point d’orgue. Seules se font entendre les cordes et
les clarinettes. La tonalité n'est pas encore évidente ; Iauditeur pense & mi
bémol majeur. Le deuxiéme violon reprend le theme principal ; dans la
deuxitme mesure, la tonique ut, attaquée par les violoncelles et les bassons,
installe le morceau dans la tonalité d'ut mineur, cependant que les altos et
les premiers violons attaquent une série d’imitations ; enfin tes premiers
violons ajoutent au theme deux mesures qui, trois fois répétées (pour finir
avec Vorchestre tout entier) et terminées par un point d’orgue sur la
dominante, éveillent dans I’ime de Pauditeur Pattente de Vinconnu, du
mystére. Le début de I'Allegro jusqu'a cette pause détermine le caractére du
‘morceau tout entier ; nous le citons ici pour éclairer le lecteur
tego com Br A
Teicice
Fagot
coat in| = =
usin inc. fee
‘Tompaatpome 7
Apres ce point d’orgue, les violons et les altos imitent le theme initial sans
quitter accord de tonique, tandis que la basse esquisse de temps a autre une
figure qui rappelle le theme ; enfin un divertissement en crescendo
ininterrompu, qui stimule vivement la curiosité de lauditeur, conduit & un
tutti dont le theme présente le méme rythme que 'idée principale, et lui est
étroitement apparenté
7
L’accord de sixte sur la fondamentale ré prépare la modulation dans la
tonalité relative de mi bémol majeur, dans laquelle le cor imite & nouveau
les themes principaux.
Le premier violon expose maintenant un theme qui, quoique fort
mélodicux, reste fidéle au caractére de nostalgie inquidte et angoissée qui
s‘exprime dans le mouvement tout entier. Ile présente en alternance avec la
clarinette tandis que, toutes les trois mesures, la basse reprend cette
imitation du theme initial évoquée plus haut : ainsi, le deuxiéme théme se
trouve tissé avec art dans la trame de l'ensemble. Dans le développement
{qui suit, le premier violon et le violoncelle répétent cing fois une figure de
deux mesures dans le ton de mi bémol mineur, accompagnés par la montée
chromatique des basses ; un nouveau divertissement mene a la conclusion,
dans laquelle les vents reprennent le premier futtien mi bémol majeur, puis
Vorchestre entier conclut par cette imitation du théme pris _
a déja fait entendre plusicurs fois.
La deuxidme partie commence par une réexposition du theme principal
sous sa forme premiére, mais une tierce au-dessus, et joué par les clarinettes
cet les cors. Puis ce sont, en fa mineur, ut mineur et sol mineur, les mémes
passages que dans Ia premigre partie, avec un agencement et une
instrumentation différents ; enfin aprés un bref divertissement de deux
mesures, présenté en alternance par les violons et les vents tandis que les
violoncelles exécutent une figure en mouvement contraire accompagnée par
Ia montée des basses, orchestre entre tout entier
4 be ah te be fi
al que la basse
t
Ces accents soulagent brutalement le coeur angoissé et oppressé par de
formidables pressentiments, et, comme une silhouette amie qui, lumineuse,
traverse les nuages en éclairant la nuit, voici qu’entre un theme que le cor
avait fait qu'esquisser en mi bémol majeur a la mesure 58 de la premiére
partie. Les violons le présentent maintenant A octave, d'abord en sol
‘majeur, puis en ut majeur, tandis que les basses exécutent une figure
descendante qui rappelle un peu le tutti de ta mesure 44 de la premigre
partie:
Les vents avaient entonné ce théme en fa mineur, fortissimo, mais, au
bout de trois mesures, les cordes s'emparent des deux dernitres mesures.
Celles-ci sont alors prétexte a des imitations présentées en alternance par les
cordes et les vents cing fois encore. Apres cela, toujours alternativement et
diminuendo, les deux familles d'instruments plaquent des accords isolés
S|
Aprés l'accord de sixte : | nous aurions attendu une série
@'accords en sol bémol mineur, ton qui, si 'auteur voulait moduler en sol
majeur, pouvait étre confondu par enharmonie avec fa ditse mineur. Or