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Casey Keyes

FR 191C : Surréalisme
M. Gasarian

Première Composition Écrite


Sujet 1

Dans son livre, Nadja, Breton raconte l’histoire brève d’un amour à la fois fugace et

formidable, toujours en mettant en exemple sa passion pour des idées surréalistes. La priorité

absolue chez Breton est de dévoiler la nature cachée de sa vraie identité qui lui rend différent des

autres. À ce propos, il se lie à Nadja, qui devient l’outil dont il se sert pour se découvrir et qui est

l’incarnation même de tout ce qu’il vénère du surréalisme. Nadja, qui ne vit sous aucune règle

traditionnelle, le jette dans un monde souvent tumultueux où le hasard règne et où Breton

commence à voir tout autrement à travers les yeux de cette femme énigmatique. Breton écrit à

propos de Nadja, dans Nadja (p 159) :

« Je n’ai peut-être pas été à la hauteur de ce qu’elle me proposait. Mais que me

proposait-elle ? N’importe. »

De quoi parle Breton ici ? Pourquoi introduit-il un tel sujet dont « la hauteur » nous fait penser

qu’il doit porter de l’importance, seulement pour s’enfouir dans l’indifférence immédiatement

après ? Qu’est-ce qu’il y a dans ce que lui propose Nadja qui lui fait se taire si subitement ? Que

lui propose Nadja ? Pour répondre à ces questions, nous analyserons en profondeur le rapport

entre Breton et Nadja. Dans un premier temps, nous nous appuierons sur le rôle qui joue

l’enchantement de Breton de l’énigme du surréalisme incarné que représente Nadja. Cependant,

nous verrons aussi comment la nature de leurs relations s’avère plus exploitante qu’inspirante et,

enfin, nous examinerons les limites de pensée chez Breton qui l’empêchent de saisir exactement

ce que Nadja lui propose.


Tout d’abord, nous mettrons en exemple les plusieurs façons dont Nadja charme Breton.

Cet homme, qui a l’habitude d’« [observer] sans le vouloir des visages » (p 71), semble s’ouvrir

les yeux à première vue de Nadja, qu’il décrit ainsi : « Je n’avais jamais vu de tels yeux… Que

peut-il bien passer de si extraordinaire dans ces yeux ? Que s’y mire-t-il à la fois obscurément de

détresse et lumineusement d’orgueil ? » (p 73) Ce contraste entre l’obscur et le lumineux, qu’ici

a lieu dans des traits physiques mais qui correspond à tout aspect de Nadja, intrigue Breton.

Nadja, comme Breton, se différencie de la foule des gens pressés qui ne se donnent pas la peine

de lever les yeux et observer le monde. Breton, tout en cherchant sa différenciation, est donc

attiré à la sienne.

Breton voit dans l’esprit de Nadja des éléments clés pour l’aider à se connaître. Sa

fascination par sa capacité d’enjamber le monde rêveur surréel et le monde réel se montre dans

cette phrase (p 104) : « Tant elle est pure, libre de tout lien terrestre, tant elle tient peu, mais

merveilleusement, à la vie. » Elle représente pour lui le miracle du surréalisme appliqué dans la

vraie vie, ce qu’il croyait d’être presque impossible avant de faire sa connaissance. En fait, nous

voyons dans le passage suivant (p 73) comment cette idée naît de leur première rencontre avant

même qu’ils se parlent : « Elle sourit, mais très mystérieusement, et, dirai-je, comme en

connaissance de cause. » Si les premières 70 pages du livre n’ont pas déjà renforcé l’étendue de

son amour du « cause », il le réaffirme en faisant de telles louanges de cette femme qui l’incarne.

Bref, nous apercevons que la fascination de Breton pour Nadja est explicitement liée aux

principes du surréalisme.

Remarquons que Nadja reconnaît la valeur de ce lien. Leur rapport assume une nature

quasi maître-élève, et elle s’y adapte. Avant d’avoir fait la connaissance de Breton, elle ne

dessinait pas. Bien qu’elle ne le dise pas, dessiner devient l’intermédiaire par laquelle elle
communique à Breton ses idées. Regardons cet exemple que Breton raconte (p 124) : « Elle veut

bien m’éclairer les quelques éléments de [son] dessin… à l’exception du masque rectangulaire

dont elle ne peut rien dire, sinon qu’il lui apparaît ainsi. » Nadja n’est pas toujours capable de se

faire comprendre, mais cet exemple nous montre qu’elle veut élever Breton à son niveau de

penser. Elle met constamment à l’épreuve la vue surréaliste prétendue qu’il a sur lui-même en lui

exposant sa créativité abstraite et les associations absurdes qu’elle fait. Par exemple, elle lui dit

(p 87) : « “Un jeu :… Ferme les yeux et dis quelque chose. N’importe… C’est même entièrement

de cette façon que je vis.” » Autrement dit, le surréalisme n’est pas pour elle un sujet qu’on

étudie et applique à la vie comme fait Breton. C’est déjà la seule façon dont elle vit. En réponse

à ce qu’elle lui dit, Breton nous pose cette question dans la note de bas de page (p 87) : « Ne

touche-t-on pas là au terme extrême de l’aspiration surréaliste, à sa plus forte idée limite ? »

Breton, comme un élève, analyse ce « jeu » du point de vue surréaliste, tandis que Nadja le joue

naturellement.

Ainsi nous sommes amenés à souligner l’importance de l’échange d’idées qui se passe

entre Breton et Nadja. La plupart du temps, Breton n’arrive pas à comprendre entièrement la

signification de tout ce que Nadja dit et fait, mais il comprend l’importance d’être dans sa

présence. À ce propos, il dit, (p 104) « Je suis, tout en étant près d’elle, plus près des choses qui

sont près d’elle. » Il apprend donc mieux comment vivre le surréalisme à travers son exemple.

Ensuite, nous considérerons le côté malsain des rapports entre Nadja et Breton. D’abord,

il faut déterminer d’où il vient. Breton, de son côté, est consommé par son désir de dévoiler son

identité. Du coup, croyant dans le pouvoir absolu du hasard, il voit son aventure avec Nadja

comme une chose destinée pour lui aider à le faire. De plus, il se laisse être très facilement
influencé par l’enthousiasme de Nadja. Ceci est bien illustré dans ce que Breton écrit ici (pp

125-126) : « Comme [Nadja] me le fait constater… ce n’est pas elle qu’on regarde, … c’est

nous… “C’est si rare cette flamme dans les yeux que tu as, que j’ai. ” » Breton se nourrit de la

poésie et de la beauté de la manière dont elle exprime ses sentiments, particulièrement quand ils

sont liés à lui. Elle la flatte souvent avec sa capacité percutante d’associer des images aux idées.

Par exemple, elle lui explique que « La main de feu, c’est à ton sujet, tu sais, c’est toi » (p 117).

Il épuise donc le génie de Nadja afin d’acquérir l’inspiration de se voir d’une nouvelle

perspective. Elle est, tout simplement, son réflecteur humain. Il décrit, lui-même, son rapport

avec elle comme une poursuite (p 128) : « Poursuite de quoi, je ne sais, mais poursuite, pour

mettre ainsi en œuvre tous les artifices de la séduction mentale. » Ce n’est pas un mot paisible,

« poursuite ». Au contraire, il nous fait penser à l’acharnement, et non pas à l’amour.

Nadja, de son côté, aggrave la situation en vénérant presque religieusement Breton. Par

exemple, elle lui avoue que leur premier baiser « la laisse sous l’impression de quelque chose de

sacré » (p 109). Dans la même veine, Breton constate sans tort qu’« [I]l … est arrivé [à Nadja] de

me prendre pour un dieu, de croire que j’étais le soleil… rien à cet instant ne pouvait être à la

fois plus beau et plus tragique. » (p 130) C’est vrai que c’est tragique parce que, malgré la

volonté de Nadja de se donner entièrement à Breton, la tâche de le soutenir émotionnellement

nuit à la pureté de son esprit libre. Elle met toute son énergie dans son amour pour lui bien qu’il

soit évident qu’elle l’aime beaucoup plus qu’elle est aimée.

Nadja, ayant un esprit plus surréaliste que Breton, est par conséquent plus patiente. Elle

dit à ce propos (p 122) : « “Le temps est taquin parce qu’il faut que toute chose arrive à son

heure.” » Elle comprend qu’il ne faut pas forcer le hasard à produire. Du coup, elle se contente

de ne pas faire grand-chose quand elle passe du temps avec Breton. De l’autre côté, Breton
s’ennuie quand Nadja ne fait pas quelque chose d’intéressant ou d’énigmatique. Ceci se montre,

par exemple, quand il se plaint d’être obligé à écouter Nadja parler de ses malheurs (p 124) : « …

une fois de plus, je dois faire semblant de prendre connaissance de lettres de G… . » De plus, il

s’ennuie de temps en temps pendant qu’il se promène avec elle sans but dans les rues de Paris.

Contrairement à Nadja, il ne sait pas comment vivre au présent et comment laisser « arriver à son

heure » tout ce qui lui vient. Malgré son admiration pour l’aspect errant de la personnalité de

Nadja, nous voyons que ce n’est pas un aspect aussi inhérent à la sienne. Il n’est pas aussi

compatible avec elle qu’il s’imagine.

Enfin, nous examinerons les limites de pensée chez Breton qui l’empêchent de saisir

exactement ce que Nadja lui propose. Breton n’est pas aussi courageux que Nadja dans le sens

qu’il craint s’approcher de la frontière mentale fine entre la folie et « l’idée limite » de

l’aspiration surréaliste. En même temps, il comprend que ce n’est pas possible pour elle de

s’adapter à la réalité où il habite. Il l’explique ainsi (p 128) : « Qui étions-nous devant la réalité ?

… Sous quelle latitude pouvions-nous bien être, livrés ainsi à la fureur des symboles, en proie au

démon de l’analogie… ? » Il est évident dans le ton menaçant de ce passage qu’il sent un danger

dans la liberté extrême des pensées de Nadja, et les mots « livrés », « la fureur » et « en proie au

démon » nous communiquent la peur qu’il ressentit. Bien qu’il ne puisse pas aller aussi loin que

Nadja, il s’émerveille du fait qu’elle vit dans « un monde où les battements d’ailes d’espoir

immenses se distinguent à peine des autres bruits qui sont ceux de la terreur. » (p 130) Leurs vies

ne sont pas miscibles et, du coup, ils ne peuvent pas s’attacher l’un à l’autre.

Qu’est-ce que Nadja propose effectivement à Breton ? Nous pourrions constater qu’elle

veut simplement que Breton l’aime mais cela ne serait pas suffisant. Nous constatons plutôt que
la réponse consiste d’un mélange des idées suivantes : De se perdre, de se donner entièrement à

la vie errante, de couper les derniers fils qui l’attache à la réalité et, du coup, de se laisser tomber

dans la non-réalité avec elle. Bref, Nadja, qui tient « si peu mais merveilleusement à la vie », est

contente de n’y plus tenir, et elle veut que Breton s’engouffre dans l’inconnu avec elle.

L’incident dans l’automobile (note de bas de page, p 179) affirme que nos réponses doivent être

correctes. Breton le raconte ainsi : « [Nadja] voulait que nous n’existassions plus, sans doute à

tout jamais, que l’un pour l’autre… Quelle épreuve pour l’amour, en effet. » (p 179) En même

temps, il nous accorde que la tentation de connaître l’amour à la hauteur qu’elle lui propose

pendant cet incident est « terriblement saisissante ». (p 179) À la fin, il refuse et, du coup, il

laisse passer l’opportunité pour fonder un amour commun et profond entre eux.

Nous sommes ramenés à la réponse de Breton à sa propre question : « Mais que me

proposait-elle ? N’importe. Seul l’amour au sens où je l’entends – mais alors le mystérieux,

l’improbable, l’unique, le confondant et l’indubitable amour – tel enfin qu’il ne peut être qu’à

toute épreuve, eût pu permettre ici l’accomplissement du miracle. » (p 159) À l’avis de Breton, il

faut tout sacrifier afin de se soumettre à l’amour que désire Nadja, et il n’est pas prêt à le faire. Il

exprime ce même sentiment dans le passage suivant (p. 130) : « J’ai pris… Nadja pour un génie

libre, … un de ces esprits de l’air que … permettent momentanément de s’attacher, mais qu’il ne

saurait être question de se soumettre. » D’après lui, elle est faite pour être une source

d’inspiration temporaire, mais s’attacher à elle définitivement c’est risquer tomber fou.

Est-ce que Breton exprime de l’indifférence dans la citation dont nous parlons ? Nous

déclarons que, non, parce qu’il avoue éventuellement à profité trop de Nadja dans ce passage (pp

158-159) : « Tout ce qui fait qu’on peut vivre de la vie d’un être, sans jamais désirer obtenir de

lui plus que ce qu’il donne… de ma part n’existait pas non plus, n’avait jamais existé : ce n’était
que trop sûr. » Il ne s’admet pas facilement son tort, mais il exprime au moins un peu de

culpabilité ici. Il ne reconnaît pas, toutefois, la différence essentielle entre son cas et celui de

Nadja : Nadja se donne entièrement, tandis qu’il ne se donne à elle que partiellement. Cela veut

dire qu’en somme, Breton obtient beaucoup plus de Nadja que Nadja obtient de Breton.

En fin de compte, nous constatons que Nadja n’est que le « réflecteur humain » dont

Breton se sert pour répondre à la question, « Qui suis-je ? », mais qu’il n’est pas indifférent à la

manière dont il l’exploite. Au début, il constate son but d’écrire ce roman : « Je m’efforce, par

rapport aux autres hommes, de savoir en quoi consiste, sinon à quoi tient, ma différenciation. »

(p 11) C’est logique qu’il choisit Nadja comme sujet d’exploration et d’exploitation parce qu’elle

sait déjà comment répondre à la question : elle s’identifie comme étant « l’âme errante » (p 82).

Cependant, il finit par se rendre compte que, même si elle lui apprend beaucoup, il n’est pas en

effet à la hauteur de la tache hallucinante d’errer avec elle pour jamais.

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