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FR 191C : Surréalisme
M. Gasarian
Dans son livre, Nadja, Breton raconte l’histoire brève d’un amour à la fois fugace et
formidable, toujours en mettant en exemple sa passion pour des idées surréalistes. La priorité
absolue chez Breton est de dévoiler la nature cachée de sa vraie identité qui lui rend différent des
autres. À ce propos, il se lie à Nadja, qui devient l’outil dont il se sert pour se découvrir et qui est
l’incarnation même de tout ce qu’il vénère du surréalisme. Nadja, qui ne vit sous aucune règle
commence à voir tout autrement à travers les yeux de cette femme énigmatique. Breton écrit à
proposait-elle ? N’importe. »
De quoi parle Breton ici ? Pourquoi introduit-il un tel sujet dont « la hauteur » nous fait penser
qu’il doit porter de l’importance, seulement pour s’enfouir dans l’indifférence immédiatement
après ? Qu’est-ce qu’il y a dans ce que lui propose Nadja qui lui fait se taire si subitement ? Que
lui propose Nadja ? Pour répondre à ces questions, nous analyserons en profondeur le rapport
entre Breton et Nadja. Dans un premier temps, nous nous appuierons sur le rôle qui joue
nous verrons aussi comment la nature de leurs relations s’avère plus exploitante qu’inspirante et,
enfin, nous examinerons les limites de pensée chez Breton qui l’empêchent de saisir exactement
Cet homme, qui a l’habitude d’« [observer] sans le vouloir des visages » (p 71), semble s’ouvrir
les yeux à première vue de Nadja, qu’il décrit ainsi : « Je n’avais jamais vu de tels yeux… Que
peut-il bien passer de si extraordinaire dans ces yeux ? Que s’y mire-t-il à la fois obscurément de
a lieu dans des traits physiques mais qui correspond à tout aspect de Nadja, intrigue Breton.
Nadja, comme Breton, se différencie de la foule des gens pressés qui ne se donnent pas la peine
de lever les yeux et observer le monde. Breton, tout en cherchant sa différenciation, est donc
attiré à la sienne.
Breton voit dans l’esprit de Nadja des éléments clés pour l’aider à se connaître. Sa
fascination par sa capacité d’enjamber le monde rêveur surréel et le monde réel se montre dans
cette phrase (p 104) : « Tant elle est pure, libre de tout lien terrestre, tant elle tient peu, mais
merveilleusement, à la vie. » Elle représente pour lui le miracle du surréalisme appliqué dans la
vraie vie, ce qu’il croyait d’être presque impossible avant de faire sa connaissance. En fait, nous
voyons dans le passage suivant (p 73) comment cette idée naît de leur première rencontre avant
même qu’ils se parlent : « Elle sourit, mais très mystérieusement, et, dirai-je, comme en
connaissance de cause. » Si les premières 70 pages du livre n’ont pas déjà renforcé l’étendue de
son amour du « cause », il le réaffirme en faisant de telles louanges de cette femme qui l’incarne.
Bref, nous apercevons que la fascination de Breton pour Nadja est explicitement liée aux
principes du surréalisme.
Remarquons que Nadja reconnaît la valeur de ce lien. Leur rapport assume une nature
quasi maître-élève, et elle s’y adapte. Avant d’avoir fait la connaissance de Breton, elle ne
dessinait pas. Bien qu’elle ne le dise pas, dessiner devient l’intermédiaire par laquelle elle
communique à Breton ses idées. Regardons cet exemple que Breton raconte (p 124) : « Elle veut
bien m’éclairer les quelques éléments de [son] dessin… à l’exception du masque rectangulaire
dont elle ne peut rien dire, sinon qu’il lui apparaît ainsi. » Nadja n’est pas toujours capable de se
faire comprendre, mais cet exemple nous montre qu’elle veut élever Breton à son niveau de
penser. Elle met constamment à l’épreuve la vue surréaliste prétendue qu’il a sur lui-même en lui
exposant sa créativité abstraite et les associations absurdes qu’elle fait. Par exemple, elle lui dit
(p 87) : « “Un jeu :… Ferme les yeux et dis quelque chose. N’importe… C’est même entièrement
de cette façon que je vis.” » Autrement dit, le surréalisme n’est pas pour elle un sujet qu’on
étudie et applique à la vie comme fait Breton. C’est déjà la seule façon dont elle vit. En réponse
à ce qu’elle lui dit, Breton nous pose cette question dans la note de bas de page (p 87) : « Ne
touche-t-on pas là au terme extrême de l’aspiration surréaliste, à sa plus forte idée limite ? »
Breton, comme un élève, analyse ce « jeu » du point de vue surréaliste, tandis que Nadja le joue
naturellement.
Ainsi nous sommes amenés à souligner l’importance de l’échange d’idées qui se passe
entre Breton et Nadja. La plupart du temps, Breton n’arrive pas à comprendre entièrement la
signification de tout ce que Nadja dit et fait, mais il comprend l’importance d’être dans sa
présence. À ce propos, il dit, (p 104) « Je suis, tout en étant près d’elle, plus près des choses qui
sont près d’elle. » Il apprend donc mieux comment vivre le surréalisme à travers son exemple.
Ensuite, nous considérerons le côté malsain des rapports entre Nadja et Breton. D’abord,
il faut déterminer d’où il vient. Breton, de son côté, est consommé par son désir de dévoiler son
identité. Du coup, croyant dans le pouvoir absolu du hasard, il voit son aventure avec Nadja
comme une chose destinée pour lui aider à le faire. De plus, il se laisse être très facilement
influencé par l’enthousiasme de Nadja. Ceci est bien illustré dans ce que Breton écrit ici (pp
125-126) : « Comme [Nadja] me le fait constater… ce n’est pas elle qu’on regarde, … c’est
nous… “C’est si rare cette flamme dans les yeux que tu as, que j’ai. ” » Breton se nourrit de la
poésie et de la beauté de la manière dont elle exprime ses sentiments, particulièrement quand ils
sont liés à lui. Elle la flatte souvent avec sa capacité percutante d’associer des images aux idées.
Par exemple, elle lui explique que « La main de feu, c’est à ton sujet, tu sais, c’est toi » (p 117).
Il épuise donc le génie de Nadja afin d’acquérir l’inspiration de se voir d’une nouvelle
perspective. Elle est, tout simplement, son réflecteur humain. Il décrit, lui-même, son rapport
avec elle comme une poursuite (p 128) : « Poursuite de quoi, je ne sais, mais poursuite, pour
mettre ainsi en œuvre tous les artifices de la séduction mentale. » Ce n’est pas un mot paisible,
Nadja, de son côté, aggrave la situation en vénérant presque religieusement Breton. Par
exemple, elle lui avoue que leur premier baiser « la laisse sous l’impression de quelque chose de
sacré » (p 109). Dans la même veine, Breton constate sans tort qu’« [I]l … est arrivé [à Nadja] de
me prendre pour un dieu, de croire que j’étais le soleil… rien à cet instant ne pouvait être à la
fois plus beau et plus tragique. » (p 130) C’est vrai que c’est tragique parce que, malgré la
nuit à la pureté de son esprit libre. Elle met toute son énergie dans son amour pour lui bien qu’il
Nadja, ayant un esprit plus surréaliste que Breton, est par conséquent plus patiente. Elle
dit à ce propos (p 122) : « “Le temps est taquin parce qu’il faut que toute chose arrive à son
heure.” » Elle comprend qu’il ne faut pas forcer le hasard à produire. Du coup, elle se contente
de ne pas faire grand-chose quand elle passe du temps avec Breton. De l’autre côté, Breton
s’ennuie quand Nadja ne fait pas quelque chose d’intéressant ou d’énigmatique. Ceci se montre,
par exemple, quand il se plaint d’être obligé à écouter Nadja parler de ses malheurs (p 124) : « …
une fois de plus, je dois faire semblant de prendre connaissance de lettres de G… . » De plus, il
s’ennuie de temps en temps pendant qu’il se promène avec elle sans but dans les rues de Paris.
Contrairement à Nadja, il ne sait pas comment vivre au présent et comment laisser « arriver à son
heure » tout ce qui lui vient. Malgré son admiration pour l’aspect errant de la personnalité de
Nadja, nous voyons que ce n’est pas un aspect aussi inhérent à la sienne. Il n’est pas aussi
Enfin, nous examinerons les limites de pensée chez Breton qui l’empêchent de saisir
exactement ce que Nadja lui propose. Breton n’est pas aussi courageux que Nadja dans le sens
qu’il craint s’approcher de la frontière mentale fine entre la folie et « l’idée limite » de
l’aspiration surréaliste. En même temps, il comprend que ce n’est pas possible pour elle de
s’adapter à la réalité où il habite. Il l’explique ainsi (p 128) : « Qui étions-nous devant la réalité ?
… Sous quelle latitude pouvions-nous bien être, livrés ainsi à la fureur des symboles, en proie au
démon de l’analogie… ? » Il est évident dans le ton menaçant de ce passage qu’il sent un danger
dans la liberté extrême des pensées de Nadja, et les mots « livrés », « la fureur » et « en proie au
démon » nous communiquent la peur qu’il ressentit. Bien qu’il ne puisse pas aller aussi loin que
Nadja, il s’émerveille du fait qu’elle vit dans « un monde où les battements d’ailes d’espoir
immenses se distinguent à peine des autres bruits qui sont ceux de la terreur. » (p 130) Leurs vies
ne sont pas miscibles et, du coup, ils ne peuvent pas s’attacher l’un à l’autre.
Qu’est-ce que Nadja propose effectivement à Breton ? Nous pourrions constater qu’elle
veut simplement que Breton l’aime mais cela ne serait pas suffisant. Nous constatons plutôt que
la réponse consiste d’un mélange des idées suivantes : De se perdre, de se donner entièrement à
la vie errante, de couper les derniers fils qui l’attache à la réalité et, du coup, de se laisser tomber
dans la non-réalité avec elle. Bref, Nadja, qui tient « si peu mais merveilleusement à la vie », est
contente de n’y plus tenir, et elle veut que Breton s’engouffre dans l’inconnu avec elle.
L’incident dans l’automobile (note de bas de page, p 179) affirme que nos réponses doivent être
correctes. Breton le raconte ainsi : « [Nadja] voulait que nous n’existassions plus, sans doute à
tout jamais, que l’un pour l’autre… Quelle épreuve pour l’amour, en effet. » (p 179) En même
temps, il nous accorde que la tentation de connaître l’amour à la hauteur qu’elle lui propose
pendant cet incident est « terriblement saisissante ». (p 179) À la fin, il refuse et, du coup, il
laisse passer l’opportunité pour fonder un amour commun et profond entre eux.
l’improbable, l’unique, le confondant et l’indubitable amour – tel enfin qu’il ne peut être qu’à
toute épreuve, eût pu permettre ici l’accomplissement du miracle. » (p 159) À l’avis de Breton, il
faut tout sacrifier afin de se soumettre à l’amour que désire Nadja, et il n’est pas prêt à le faire. Il
exprime ce même sentiment dans le passage suivant (p. 130) : « J’ai pris… Nadja pour un génie
libre, … un de ces esprits de l’air que … permettent momentanément de s’attacher, mais qu’il ne
saurait être question de se soumettre. » D’après lui, elle est faite pour être une source
d’inspiration temporaire, mais s’attacher à elle définitivement c’est risquer tomber fou.
Est-ce que Breton exprime de l’indifférence dans la citation dont nous parlons ? Nous
déclarons que, non, parce qu’il avoue éventuellement à profité trop de Nadja dans ce passage (pp
158-159) : « Tout ce qui fait qu’on peut vivre de la vie d’un être, sans jamais désirer obtenir de
lui plus que ce qu’il donne… de ma part n’existait pas non plus, n’avait jamais existé : ce n’était
que trop sûr. » Il ne s’admet pas facilement son tort, mais il exprime au moins un peu de
culpabilité ici. Il ne reconnaît pas, toutefois, la différence essentielle entre son cas et celui de
Nadja : Nadja se donne entièrement, tandis qu’il ne se donne à elle que partiellement. Cela veut
dire qu’en somme, Breton obtient beaucoup plus de Nadja que Nadja obtient de Breton.
En fin de compte, nous constatons que Nadja n’est que le « réflecteur humain » dont
Breton se sert pour répondre à la question, « Qui suis-je ? », mais qu’il n’est pas indifférent à la
manière dont il l’exploite. Au début, il constate son but d’écrire ce roman : « Je m’efforce, par
rapport aux autres hommes, de savoir en quoi consiste, sinon à quoi tient, ma différenciation. »
(p 11) C’est logique qu’il choisit Nadja comme sujet d’exploration et d’exploitation parce qu’elle
sait déjà comment répondre à la question : elle s’identifie comme étant « l’âme errante » (p 82).
Cependant, il finit par se rendre compte que, même si elle lui apprend beaucoup, il n’est pas en