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gals IST-CE QUUN PHENOMENE ? Een guise de prélitninaire, je voudrais m'expliquer brié¢vement sur la posi- tion qu'il me parait nécessaire de prendre A Pégard de Sain and Zeit, au § 7, 0b Heidegger entreprend une « définition » du phénoméne. Tout ce que dit Hei- degger dans ce paragraphe me semble ne se tenir que si la Seoblichkett, la con- erétude du phénoméne, est assimilable eo ipso Ala Sachlichkeit de Petre on du sens de létre, cest-a-dire de Tétre de Pétant, Cela signifie que si la « Sabe selbst» la chose elle-méme de la phénoménologic, est concevoir comme une res, au sens par exemple de la ree publica, alors la Sachiiehkeit a quelque chose A voir avec la « *#elitas », reatites en son sens le plus large. Dés lors, et c’est ce qui me parait étre le cas dans Sew sud Zeit, interrogation phénoménologique- ontologique semble circulairement liée a l'étant, et, a cette sorte d’étant-drre gu'est le Daset, Par la, il me semble que Heidegger manque tout sens qui ne serait pas sens d'étre, Par exemple, il y a des institutions symboliques, des sys- teres symmboliques, ot la question de létre ne s¢ pose pas. Et, en iait, on peut dite ride seus que c'est le cas de toutes les instirucions symboliques, & Pexception de celle de la philosophic, Poser la question de l'étre c’est entrer dans cette institution symbolique qui est celle de la philasophie, Or ce qui me patait devoir étre proposé dans le cadre de la phénoménologie, c'est denvisager la Suchlicbkei? comme concrétude phénoménologique qui n'est pas nécessairement celle de I’étant, ni celle de Pétant-étre. Et, en ce sens, peut- étre faudrait-il parler de concrérude proto- ou préontologique, de concrétude proprement phénoménologique, en tant que lambean apparent de la phéno- ménalité des phénomeénes. Et, dés lors, I'iporh? phénoménologique devrait étre, en ce sens, speck? de Pétre, ou tout au moins, puisqu’on sait que 'étre est nécessairement quelque chose de urés obscur, gponbé de l'étre de l’étant. A cet égard il me revient une citation de Marivaus, qui est citée par Mer- Jeau-Ponty dans sa préface f Sigwes, et est propre a nous mettre sur le chemin. « Notre vic cst moins chére que nous, que nos passions. A voir quelquefois ce qui sc passe dans notre instinet la-dessus, on dirait que, pour étre, il n’est pas nécessaire de vivre, et que ce n'est que par accident que nous vivens, mais que Ler Baits pbibeypiigact. n° 4/1998 436 Mare Richir est naturellement que nous sommes. » C'est un passage remarquable, on nous voyons effectivement Marivaux faire la difference entre l’étre et le vivre, On sait que c'est une des positions inconfortables du philosophe, que etre pris dune passion de Pétre, le plus souvent au détriment du vivre, du vivre tout simplement. Dans ce cadre, mais a rebours, Vaporie de la phénoméne- logie est toujours le non-philosophie, cette sorte de phénoménologie spon- ranée qui se déploie avec toutes ses illusions a méme le vivre, qui est, pour ainsi dire, innocent. TI n’y a done pas, A proprement parler, de phénoméne sans illusion du phénomeéne, aux deux sens du génitif, c'est-a-dire sans ce que J'appelle la « distorsion originaire » du phénomenc, ob précisément, et con- trairement A ce que dit Heidegger au § 7, le phénoméne n'est pas Grind. Exla difficulté de la phénoménologie est de tenis Ie «vrai », le phénoméne, et le «4 faux 9, Villusion du phénomeéne qui, en uit sens, appartient au phénoméne, dun seul et méme mouvement, dans une rigueur philosophique pour ainsi dire déplacée — puisqu’il ne s'agit plus dans la phénoménologie, principielle- ment, me semble-t-il, d'une recherche orientée par la vérité. En ce sens, la fai- blesse de Sefw wud Zeit est que, par un engagement radical du Dasein philoso- phant, le traité n’érudie pas suffisamment, phénoménologiquement, pour elles-rmémes, les structures phénoménologiques de ce que l'on pourrait appe- ler la « quotidicnneté inauthentique » (onsigentticbe Allviglcbeeit), Bt cela, me semble-til, se retrouve aussi, quoique subtilement transposé, dans la philo- sophie heideggerienne ultéricure, et a travers ce qui peut paraitre de ce point de vue un systéme trés subtil de dénégations. Voila les raisons pour lesquelles, alors que jétais parti, en préparant cetexposé, sur Vidée de vous expliquer du plus prés possible, ce fameux § 7 de Sein und Zeit, je ne m’y suis pas tena. Caril me semble en revanche que, quelles que soient ses faiblesses Huser! soit plus appioprié puok uid t-du phénoméne », Et certes, pour cela, il faut retourner, me semble-t-il, dans le vif d'un manuserit. De toutes maniéres, les problémes sont formellement analogues chez Husser! et Heidegger: entre le dégagement des structures transcendan- rales de Pégoité et de ks phuriggoité, clest-A-dire de Fintersubjectivité trans- cendantale chez le premier, et le dégagement des structures existentiales du Dasein chez le second. Autrement dit, le probleme est celui du statut propre- ment phénoménologique de ces structures, de lenr concrétude phénoména- logique comme point d’ancrage de la construction philosophique. Le paint daboutisserent, @autte part, est, de toute maniére, trés voisin, puisqu'll y ya, chez Husserl comme chez Heidegger, de la temporalisation originaire comme phénoméne, et de Pancrage de V'ago-ipsr ou de Pipse du Dasein dans cette temporalisation. J'en viens 4 ce qui est objet principal de la stance d’aujourd’bui : Ia lee~ ture et Pinterprétation détaillée d'un texte (n° 31) de Husserl, tiré de Hlusser- liane XV dane du teoisiéme volume sur Vintersubjectivité, au ge. 1. Husseniiona XV, Zur Phanomsiodagis der Evtersubjelti 4929-1935, La Have, fd. 1, Kern, M. Nijhoff, 1973, a 31, § 8, p. 5 Dy est-ve quinn phénomine ? 437 Le titre du § 8 est: «Nouveau commencement: Ame et conscience transcendantale. La constitution de autre. Le probléme naif de la connais- sance et la motivation de la réduction transcendantale. » Je ne commenterai du texte que ce qui est désigné dans le titre du para- graphe par « Newan/ana», «nouveau commencement» — c'est un nouveau commencement par rapport A ce qui précéde dans le manuscrit, Husserl reprend toute la problématique qu'll a engagée dans ce texte n” 31, et ce sant il remet en mouvement la problématique de le phénoménologie trans- cendantale, de la réduction phéauménolagique avec toutes ses difficultés Mais ce qui me paraie riche dans ce texte c'est que les choses viennent dans leur mouvement, avec leurs difficultés paradoxales. Er c'est A propos de ce texte que je vais essayer de vous montrer ce que strictement, me semble-til, il faut entendre par phéaoméne dans la phénoménologic. « Tandis que, dans l’attinde naturelle, le monde est constamment pré- donné, présupposé, et que demense voile le tout de la vie constituante pour cette présupposition (tout auquel appartient aussi toute la vie antérieure impliquée dans le sens d’horizon du présent momentané, anticipée comme future, etc,), cette vie universelle est 4 présent entrée dans le champ du regard. » Tei, Hussez! nous parle dela réduction phénoménologique comme accés au phénoméne, La réduction phénoménologique ouvre acces 4 la vie trans- cendantale constituante, c’est-A-dire 4 tout ce qui est impliqué dans le sens horizon du présent momentané : rétention et protention, ressouvenir ct anticipation. Elle-méme, cette vie transcendantale constituante, est recau- verte, voilée, par la présupposition du monde. Cet accés eralement wentrée dans le regard», in den Blick érete) ne veut pas dire, quant a ce qui entre dans !e champ du regard, que la vie wanscendanrale, eesr-a.dire te flow des vécus comme cohésion temporelle sans concept, soit un Vaorkandensein, un étre-présent-en-face-de,.., donné Li-devant, qui existerait avant nous, apres nous, sans nous. Cela, c'est précisément ce qui se produit dans ce que j'appellerais, en référence 4 la Krisés, une subreption subjectiviste, qui est en fait, d'une certaine mantére, la subreption subjectiviste 4 l'euvee dans Hdeen..., I. Ici, i] faut se gatder de conclure. Un heideggerien classique @ qui je dirais cela répondrait : «Cela entre dans le champ du regard, donc e’est de la Hor bandenbeit, donc Husserl est victime de la métaphysique, puisque c'est un certain mode de l’étant, et dés lors il va étre repris par la phénoménologie transcendantale comme shedria, etc. » Husserl se justifie sur le fait que ce qui entre ainsi dans le champ du regard n'y est pas tombé tout fait, en ajoutant ceci: « Mais cela ne se produit pas comme dans la thématisation de ma vie de conscience dans Vattitude naturelle...», auttement dit, dans ce qu’on appelle classiquement l'intraspection. Done, « cela ne se produit pas comme dans la thématisation de ma vie de conscience dans lactitude naturelle, comme si, sur le sol du monde continuellement prédonné, auprés d’une cor- poréiré vivante (Leibloheeit) ct nature constamment prédonnées, je thémati- sais et dévoilais progressivement la vie de Pame objectivée dans le corps 438 Mare Richir vivant (Leib) comme conscience du monde humaine et comme connais- sance du monde». Cela veut dire que, pour Husserl, cette entrée dans le champ du regard n’est pas comme un devenir thématique de la vie de cons- cience dans attitude naturelle, dans une réflexion psychologique, of, sur le sol du monde continuellement prédonné, avec sa Lefbliehkeit et sa nature constamment prédonnées, il y aurait thématisation et dévailement de la vie de Hime, mais objectivéc, ct objectivee comme conscience du monde humaine, et aussi d’ailleurs comme connaissance humaine. Cela veut dire que la vie transcendantale constituante qui entre dans le champ du regard n’est pas la vie psychique. Et nous aurons loccasion de revenir la-dessus : c'est objet Pune difficulté avec laquelle Husserl s‘est débareu pendant des années, sinon pendant toute sa vie, et quia éré objet aussi de multiples con- tresens. La vie transcendantale constituante n’est donc pas la vie psychique — la poche étant pour ainsi dite le «résultat», la «sédimentation », ou ? cobjectivation », ou mieux, la « mondangisation » (Venettiching) de la vie transcendantale. Je poursuis : « Mais c’est d'un coup, dans une pleine univer salité, que la vie de conscience devient thématique, et que le devient le monde en général, ultimement, comme simple sens d’étre de cette vie.» «C'est d'un coup » : Cela désigne le coup de I'spoehd, du suspens, de larrét de Pattitude naturelle, qui est aussi P’arrét de ce que Husserl appelle, dans d'autres textes, notamment dans les Méditations cartésemnes, «Vauto- aperception mondanéisante » (termelilichends Selbstappergepsion). C'est de ce coup-ld que stouvrent et se thématisent — cela ne veut pas dire «sobjectivent » — Ia vie transcendantale de conscience plurle monde « itber- banpt», Cest-a-dire en général, ou «tout simplement», ou encore « absolu- ment». Le monde tout simplement; mais le monde comme quoi? On 4 a de Heidega: fi Hy Jintilise la foros + le monde comme simple senr d'dive (Seinssinm) de cette vi, Clest-A-dire que # monde (et nous voyons déja que c'est le monde comme phénoméne, ce fameux monde comme phénoméne dont Husserl parle tant et plus) esf ua sens d'étre, est de seas d'étre ce da rie sranscendantale constituante. Done, pour Husserl, le phénoméne proprement dit, c’est la vie transcen- dantale constituante comme constituante du monde, c’est-d-dire comme constituante du sens d’étre du monde. Cela signifie, en fait, que le phéno- méne est une sorte de tout, inchoatif ct enchevétré a l’infini, de vécus, o8 s’effectuent la constitution et la sédimentatian (les habitus, etc). Mais tout de vécus en droit non préalablement découpés, donc non préalablement objectivés ou préabjectivés par lattirude naturelle. Et, en fait, d'une certaine maniére, c’est ce que Husserl ajoute' dans le texte que jc lis maintenant : « Je n'ai pas d’avance le corps vivant érant, le monde environnant (Limaeit) étant, ma vie de conscience comme annexe empitique du corps vivant; en un mot, je n’ai pas d’avance le monde étant, et, en hui, dans le cadre formel de sa 1. Hiuscentiave XV, p. 549, 1 24 sey E Qutestce qu'un pbénoméne 2 439 spatio-temporalité, ma vie de conscience corporellement localisée, mais jai le monde comme phénomene, la vic universelle de conscience comme ce en quoi il est sens d’étre, » Léditeur indique une note marginale de Husserl ; « Mais fax die dy monde samme phénomine...) le monde en épaché, le monde comme phénomene, et, par cette épocha, In vie universelle de conscience comme theme absolu, comme ce en quoi il est sens d’étre. » Ce qu’ajoute donc Husserl, c'est que, en régime d'speché, je n'ai pas d'abord préalablement le corps, le Leib, Unwell, ma vie de conscience comme annexe empirique du Le {supposant qu'il faut que jfaic un Leib pour que, en lui, il y ait une vie de conscience, et qu'il y ait une conscience qui soit quelque part dans ma téte, qui ne soit pas en train de se balader frimporte of), Done, en régime d’gporbé, je n'ai pas cela, Cela, c’est ma conviction naive de lattirude naturelle, of j'ai d’abord le monde étant, et, localisé spatio-temporellement en lui, un Let comme un lieu particulier et un temps particulier de l’espace-temps du monde, et, en lui, dans ce Leth, ma vie de conscience. Mais ce que j'ai, c'est la vie de conscience universelle comme ce en quai le monde comme phénoméne est sens d’étre, done cette vie de conscience universelle est une sorte de « ce en got», une sorte de lieu ait se constitue et se déploie le monde comme sens d’étre, Cela ne veut pas dire non plus ipso facto que ce lieu soit en intériorité. Done, plus précisément, le phénoméne est la vie universelle de conscience af le monde est sens d'étre. Le phénoméne, on peut ’appeler ~ puisque cest un lieu of le monde est sens d’étre — et je lappelle personnellement, phénoméne non pas dv monde, comme on traduit généralement, mais phénoméne de mande. La question est cependant la suivante: y a-t-il, dans la vie universelle de le conscience, quelque chase qni ne soir pas sens Patra 2 Mast tev bléme, puisqu’il y a une distinction : « ce ev quoi» le monde comme phéno- méne est sens d'étre. Y a-t-il dans le «en quoi » quelque chose qui ne partici- petait pas de, ou qui ne constituerait pas, « sens d’étre ? Done, y a-t-il quelque chose dans cette vie wniverselle de conscience qui ne soit pas de monde ? Qui déborde ce qui est # monde, done qui soit, en ce sens, hors monde? I y a bien, dans le cogity husserlien, quelque chose qui se détache comme sens d’étre du sw, et qui n'est pas identique au sens d’étre du monde, sans que le premier soit fondement du second. Cette non-identité cependant formelle est difficile A penser, puisque, pour Husserl, ce qui fait le sens d’étre et le sens d’étre du monde, c‘est cc qu'il appelle, comme vous le savez, |’ Urdoxa, la doxe originaite, qui est le lieu of vit le sens d’étre. Done en fait, contrairement aux apparences, nous voyons que nous sommes, non pas sans doute dans une position identique, mais trés proche de celle de Heidegger, puisque ce qui tient, d’une certaine maniéte, la vie de conscience universclle, c'est d’étre le tenant de deux sens d’étre enchevétrés. Cette fameuse identification ou ce couplage de la Sachiicheeif ct du sens d’éere, dont je parlais a propos de Heidegger, se produit en effet assez massivement chez Husser] tout aussi bien. Et nous voyons que Ie sens d’étre fai en ques le pro-

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