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Le droit au contact, le droit du contact ? Cher Eyaoloowa, je fais ’hypothése ici que vous étes bien ce que vous prétendez étre ce qui ne veut pas dire que je crois tout ce que vous nous racontez. Vous allez certainement trouver ma démarche saugrenue, mais en écoutant récemment un cours de Gilles Deleuze sur Spinoza donné le 06/01/1981[-1], il m’est venu a l'esprit un exercice de pensée concernant le droit et la question extraterrestre si tant est que l'on puisse raisonner de cette facon, la diversité des civilisations du cosmos devant présentée une palette suffisamment large permettant d’adresser un nombre incalculable de possibilités et de réponses a cette question. J'ai axé cet exercice de pensée sur une problématique de droit « spatial » en trafiquant le texte de Deleuze (en italique les morceaux non modifiés) sur la question de la propriété et du vol selon une interprétation spinoziste. Je tiens a préciser que je ne suis en aucune facon juriste et que mes capacités dans ce domaine sont plutét limitées mais j'ai trouvé 'approche intéressante et de nature A mettre en lumiére peut- atre des questions venir, si pas d’avenir. Voila ce dont il s‘agit. J’extrapole ici la question de la propriété sur exemple cité par Deleuze en I’étendant A une question de propriété planétaire disons dans le systéme solaire. Une approche élargie demanderait a ce que l'on se questionne sur la notion de propriété elle méme et de sa pertinence dans le cosmos [1], cette derniare a velle un quelconque objet, et si c’est bien le cas, il faudrait étudier de fagon exhaustive les droits de propriété dans le cosmos pour voir quels sont les types de relations en jeu et quels rapports au monde ils s’inspirent (mais pour cela il faut maitriser le voyage interstellaire comme vous). Mais extrapolons 4 partir du cas classique de la cité abandonnée et de la fléche dans un contexte humain occidental fortement marqué par la culture grecque, un cas classique, quia fait jurisprudence dans I’antiquité et que nous étendrons au systéme solaire. Vous avez un corps céleste abandonné [2], disons Vesta et il y a deux nations qui courent astronautiquement parlant, vers cet astéroide. Elles courent, trés trés vite... Et ily a une nation qui va toucher I'astéroide en faisant poser le pied d’un de ses astronautes et l'autre, qui est juste derriére, envoie une sonde automatisée sur I’astéroide. Les deux événements se produisent en méme temps. Probléme juridique : qui est propriétaire ? Quel est le droit de propriété, 1a? Cest la propriété des choses non occupées [3]. Le droit d’occupation. Sur les choses non occupées, vous avez un droit de propriété par occupation. Qu’est ce qui va définir Yoccupation ? Premier cas, la jurisprudence dit : i] faut toucher l’astre physiquement par I'intermédiaire d’un de ses membres. Les empires se sont constitués en plantant des drapeaux sur des terres, qui sans doute étaient occupées mais on loubliait, et n’étaient pas occupées par les autres européens. On plantait son drapeau, c’était un acte de propriété par droit du premier occupant, comme on disait. Evidemment ¢a faisait probléme, mais. Bien, voila la question : le pied sur l’astéroide (ou tout membre sustenteur pour généraliser) abandonné instaure une relation. Cette relation est dés lors, conventionnellement, - vous voyez j'introduis l'idée qu'ily a des relations par convention, ce qui va étre trés important pour la suite... Il y a des relations naturelles et des relations conventionnelles. Le droit, le systéme du droit, décide par convention que ce rapport -qui est un rapport de contiguité : le pied (ou tout membre sustenteur) touche Vastéroide... Tandis que l'autre cas, la nation qui envoie une sonde, il n’y a pas rapport de contiguité. Il a un rapport de causalité. Elle a envoyé la sonde, et la sonde, elle, est en contiguité avec l'astéroide quand elle s'est posée dessus. Faire du droit et aimer faire du droit, c'est aimer des prablémes de ce genre... Qui est propriétaire ? Est-ce que le rapport sonde-Nation suffisait a induire par convention une relation de propriété ou pas ? Vous voyez, étre juge, c’est décider dans des cas comme ¢a... C’est_pas facile... Ou bien, est-ce que seule la relation de contact pied-astre induisait la relation conventionnelle de propriété ? Vous vayez que dans ces cas une relation naturelle est élue, une relation naturelle est choisie, pour signifier une relation conventionnelle : la propriété. Donc, c’est un trés beau probléme, le probléme de la propriété du point de vue d’une théorie des relations. Or je dis juste, voyez en quoi le probléme de la propriété, le probléme du vol, rentre_en plein dans le schéma de Spinoza : lorsque je vole je détruis le rapport de convention entre la chose et son propriétaire. Maintenant étendons cette question a la problématique du contact et de visiteurs extraterrestres. Une civilisation balbutiante émerge (la civilisation humaine dans sa diversité) en émettant dans le cosmos des signaux radioélectriques. Elle a accés depuis peu al’espace mais sa technologie ne lui permet pas d’aller au dela d’une exploration limitée du systéme solaire. Au fur et 4 mesure que la bulle d’émission s’étend, les proches voisins dotés de la technologie adhoc captent les signaux et identifient sa provenance. Ils décident d’envoyer un corps expéditionnaire pour se rendre compte de la situation sur place. Par le fruit du hasard et aussi parce que la galaxie grouille de vie [4], deux corps expéditionnaires émanant de civilisations différentes débarquent en méme temps dans les paragages du systéme solaire, un pose le pied sur la Terre en toute discrétion et construit une base souterraine, l'autre se contente d’observer la situation en orbite autour de la Terre. Mes questions sont donc les suivantes : - Le systéme solaire est-il considéré comme « propriété » de la (des) civilisations susceptibles de se développer sur une de ses planétes ou est-il considéré comme une zone de non « droit » pouvant faire l'objet d'une intrusion par une quelconque civilisation maitrisant le voyage intersidéral ? - Existe-t'il un code « galactique » définissant l'accés aux civilisations émergentes et fixant les modalités de contact et si oui commenta t'ill été établi, comment est-il partagé, qui I’'a défini et comment évolue-t'il ? - Dans l’exemple cité, quia la primauté du contact, ceux qui ont posé les pieds sur Terre ou ceux qui l’observent a distance, ou chacun intervient-il selon ses propres objectifs ? - Les civilisations émergentes comme la Terre sont-elles l'objet principal de la visite ou servent-elles simplement de « supports », de « média » pour établir des contacts avec d’autres civilisations maitrisant le voyage inter stellaire dans un cadre assurant une neutralité de facto? - Dans la mesure oti le contact compose de nouveaux rapports et selon une interprétation Spinoziste, c'est un bien. Mais se faisant, le contact ne décompose- t-il pas d'autres rapports ? Voila, cela fait un peu patchwork, mais terminons par ces mots de Robert Jaulin extraits de la « Paix Blanche, introduction a l’ethnocide » qui me semblent compléter cet exercise : Le probléme du devenir historique de I'univers, telle la vie d‘un astre, de sa naissance a sa mort, ou la création de matiére et sa « dispersion », fait jouer le temps « contre » les hommes en cela qu’il va d l’encontre d'un univers figé et mis en place avec lequel un pacte aurait pu étre signé. Lalliance de l'univers- Dieu et les hommes- assurait a ces derniers une éternité sous condition (jusques et y compris la fin de ’humanité si ces conditions n’étaient pas remplies), mais une éternité d’autant plus évidente que les conditions concerngient plutot les rapports individuels des hommes entre eux que leurs relations @ l’univers ou entre collectivités culturelles distinctes. Ces ordres prétés a Ia nature et associés a ces schémas avaient plus été le fait des modes de production et de savoir-faire-agriculture, artisabat, travaux d’ingénieurs...-que de ce schéma lui-méme. Mais ce schéma jouait si bien que I’univers s’en est trouvé, peu a peu, de plus en plus réduit a l'homme ; notre suzeraineté, notre « &tre », étaient affirmés en méme temps que son immobilité, sa passivité, sa domesticité, I’historicité, la « temporalité » incorporées @ lunivers, allaient contredire une vision qui fut d’eutant plus longue qu'elle s'adaptait 4 des particularités multiples. Liimplication en est la recherche d'une théorie nouvelle de la totalité. Sans doute «lOccident » est-il encore en-decd de I’élaboration d‘une telle théorie, mais l'on peut supposer que, d'ici un ou deux siécles, et peut-étre @ partir du tiers monde, une telle théorie aura vu le jour ; 4 moins que l'histoire humaine n’ait pris fin. Ces quelques réflexions, dont je dois une partie a Pierre Bernard, ne sont point, je crois, @ c6té de notre sujet, car « V'ethnocide » ne trouvera sa solution que dans le cadre d'une modification des rapports de l’Occident a la totalité, a l'univers. Nous avons fait porter sur la matiére, la nature, les hommes, les civilisations, les objets, et par le moyen de la découverte, de la connaissance, de « 'aventure », de ‘accumulation, etc, notre recherche d‘un autre que nous pouvions nier ou posséder. Notre « fortune », ces accumulations d’objets, notre savoir, ces illusions associées d des manipulations, font aussi partie de cette recherche d'un autre @ nier, mais ils sont une création de cet autre ; or, la présence de ces objets et de ce savoir accumulés n'est pas neutre, elle peut contredire notre propre existence, car elle participe de la négation qui les engendra. Nos relations au tiers monde sont non seulement un échec, eu égard 4 la volonté de subordination et a nos intentions ethnocidaires, mais elles portent aussi en elles- mémes un choc en retour ; ce choc ‘annonce, les Blancs l’éprouveront. Le moulinet de ia négation privilégie assurément le soi, et il faut donc toujours trouver un Autre ; or, a la limite, I’Autre est aussi soi-méme et le systéme ne tient que s‘il n'y. a pas de limite, ou si l'Autre rencontré se peut réduire @ soi.

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