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Les cimetières militaires de la Grande Guerre,
1914-1940
Antoine Prost*
En Les juillet
Lesrecherches
recherches
2010, on menées
menées
inaugurait par
par la encore
la Commonwealth
Commonwealth un cimetière War
War militaire
Graves
Graves Commission
Commission
de la Grande (CWGC)
(CWGC)Guerre.
sous la pression d'un instituteur australien, persuadé que tous les morts des combats
de Fromelles (Nord) n'avaient pas été retrouvés, avaient abouti deux ans plus tôt à la
découverte de 250 corps ensevelis par les Allemands, en arrière de leurs lignes, dans
huit tombes collectives. Et la CWGC construisit pour les inhumer, un nouveau
cimetière militaire1. (Voir cahier d'illustrations.)
Cet ultime cimetière - on n'en avait plus construit depuis cinquante ans - respecte
en tous points les principes des cimetières militaires britanniques définis quatre-vingt-
dix ans plus tôt, en janvier 1918, par X Imperial War Graves Commission (IWGC) deve-
nue depuis CWGC. Ce modèle britannique se différencie d'autres modèles, moins
aboutis, mais tout aussi stables puisqu'ils ont présidé à l'organisation des cimetières
militaires de la Seconde Guerre mondiale. Il y a là, à la fois, une universalité et des
particularités qui interrogent. Dans tous les pays belligérants, on trouve des cimetières
militaires parfaitement identifiables comme tels, et pourtant ceux de chaque nation
affirment une identité propre. Comment expliquer ce double constat ?
L'existence même des cimetières militaires nous semble évidente. Elle ne l'est pas. Ce
qui nous semble aller de soi est en fait une grande nouveauté. Un cimetière étant par
définition une réunion de tombes individuelles, parler de cimetière militaire, c'était
affirmer que tout soldat, quel que soit son grade, avait droit à une sépulture indivi-
duelle, alors qu'auparavant, seuls les officiers bénéficiaient de ce privilège, les soldats
étant inhumés anonymement dans des fosses communes. La reconnaissance du droit
de tout soldat à une sépulture individuelle consacre donc l'égalité fondamentale des
citoyens. C'est un principe démocratique, porté par la société moderne, la conscrip-
tion dans certains pays, et dans tous, par l'identification de l'armée à la nation en
armes. Il a été adopté pour la première fois par les États-Unis, pour les quarante et
i un cimetières de la guerre de Sécession, qui avait fait six cent vingt mille morts, mais
I il n'est pas certain que ce précédent ait été connu sur le vieux continent et qu'il ait
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servi d'exemple 2. Le règlement en vigueur dans l'armée française lors de l'entrée en
©
guerre, prescrivait encore des tombes collectives pour les simples soldats3.
1. J. Summers (ed.), Remembering Fromelles. A new cemetery for anew century , Maidenhead, CWGC
0
publishing, 2010.
8
2. Le roi George V, visitant les cimetières militaires britanniques en 1922, déclarait : « Never before
i in history have a people thus dedicated and maintained individual memorials to the fallen ». Cité par
1 G. Mosse, « National cemeteries and national revival. The cult of fallen soldiers in Germany », Journal
I
a
of contemporary history, 14-1, janvier 1979, p. 8.
4 3. L. Capdevila, D. Voldman, Nos morts. Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre , Paris,
■s
Payot, 2002, p. 77.
Antoine Prost, Les cimetières militaires de la Grande Guerre, 1914-1940, Le Mouvement Social, octobre-décembre 201 1.
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136 ■ Antoine Prost
Le règlement était en retard sur les mœurs, comme l'atteste le comportement des
soldats qui donnent des sépultures individuelles à leurs camarades chaque fois quils
le peuvent et s'efforcent de les identifier durablement. L'armée dut d'ailleurs revenir
rapidement sur ses prescriptions périmées4 et le Parlement l'affirma solennellement
par une loi du 29 décembre 1915 : « tout militaire mort pour la France a droit à
une sépulture perpétuelle aux frais de l'État ». Les cimetières militaires mettent en
œuvre ce principe à l'échelle des armées de 14-18, y compris pour les morts que les
contraintes du combat avaient fait inhumer dans des tombes collectives.
Ce choix a conduit les divers pays à développer un monument d'un type nou-
veau, facilement reconnaissable par ses tombes alignées comme un régiment passé
en revue : le cimetière militaire, qui marque certains paysages comme un sceau
sur une charte médiévale. Or ces monuments ne sont pas seulement voués à leur
fonction de sépulture des morts de la guerre. Ils obéissent à des contraintes admi-
nistratives ou diplomatiques ; ils répondent à des projets complexes, politiques ou
religieux ; ils prennent des formes architecturales tributaires de cultures nationales.
Par la conception des tombes, le dispositif, la scénographie, ces projets débordent
singulièrement le projet funéraire initial, d'autant qu'ils ont disposé de temps pour
s'affiner. En effet, les cimetières militaires ont été créés dans l'après-coup ; ils ne
prennent pas exactement la suite des sépultures de guerre ; ils ne sont pas le simple
prolongement ou l'extension des cimetières de fortune. Même si parfois leur projet
a été conçu et précisé pendant le conflit (comme pour l'Empire britannique avec
l'IWGC), ils ont été réalisés après la guerre, par le regroupement de tombes éparses
ou de cimetières improvisés. Ce regroupement a permis d'inventer une organisation
spatiale inédite, de créer un objet architectural qui soit davantage qu'un simple
alignement de tombes.
On s'en convaincra aisément en observant les cimetières édifiés pendant la guerre
même. Il est difficile aujourd'hui de se faire une idée de ceux que les Allemands
avaient construits en arrière du front et qui ont continué à être utilisés, car ils ont
été profondément remaniés par la suite. Mais il en subsiste un grand nombre à
l'arrière d'un front trop négligé, celui de Galicie. Après la percée du printemps
1915 entre Tarnów et Gorlice, le front s'étant stabilisé bien à l'est de la zone des
combats, l'armée autrichienne a relevé et inhumé les cadavres qui parsemaient le
champ de bataille. Une formation spéciale fut constituée, commandée par le major
Broch, qui construisit près de quatre cents cimetières pour enterrer quatre-vingt-
dix mille soldats de toutes nationalités 5, mais surtout autrichiens et hongrois. Une
salle fut d'ailleurs consacrée aux sépultures de soldats dans l'exposition sur la guerre ë
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organisée à Vienne en 1916. Broch fit appel à des architectes, des sculpteurs, des
artistes de toutes nationalités, et il était assez satisfait de son travail puisqu'il lui I
consacra une sorte d'inventaire6. Ce sont des cimetières de faibles dimensions : les ©
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4. Un arrêté du GQG du 22 février 1915 prévoit en principe des tombes individuelles mais évoque
longuement les sépultures collectives et l'emploi du chlorure de chaux. Voir M.-S. Bloquet- Lefèvre, 4a
_o
Les sépultures militaires sur le territoire national, 1914-1918, mémoire de maîtrise, université de Paris-IV,
1992, p. 64-65.
1
5. Total des sépultures par cimetière donné par Rudolf Broch et Hans Hauptmann, voir note 6.
1
<3
6. R. Broch et H. Hauptmann, Die westgalizischen Heldengräber aus den Jahren des Weltkrieges 1914- Ě
1915, Wien, Ges. für Graphische Industrie, 1916. Cet ouvrage a été réédité en polonais : Zachodniogalicyjskie a
groby bohaterów z lat wojny swiatowej 1914-1915, przeklad filologiczny Henryk Sznytka, opracowanie, wstçp I
i przypisy Jerzy Drogomir , Tarnów, Muzeum Okrçgowe w Tarnowie, 1996. 4
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Les cimetières militaires de la Grande Guerre, 1914-1940 ■ 137
plus grands abritent trois à quatre cents corps, les plus petits, une quarantaine.
Erigés au plus près des lieux des combats, souvent au sommet de collines ou au bord
des routes, généralement clos de murs, ce sont avant tout des lieux de recueillement.
Leur conception architecturale est très diverse, et grande est la variété des croix
tombales ou des stèles7. Ils répondent à un projet exclusivement funéraire, aussi ne
ressemblent-ils pas à des cimetières militaires.
Ljes Polonais s'efforcent aujourd'hui d'entretenir ces cimetières, une tâche que
compliquent et renchérissent leur nombre et leur petite taille. La différence est ici
sensible, avec les cimetières militaires d'après la guerre, qui ont été conçus dès le
départ comme destinés à durer toujours. « Ils seront soutenus et entretenus par la
richesse de cette grande nation et de son empire aussi longtemps que nous resterons
une nation et un empire », déclarait Churchill aux Communes8, tandis qu'en France,
la loi de finances du 31 juillet 1920 affirme, dans son article 105 : « Les cimetières
militaires créés ou à créer sur l'ancien front des armées, pour recevoir à titre perpétuel
les cendres des soldats morts pour la France pendant la guerre 1914-1918 sont décla-
rés propriété nationale et seront gardés et entretenus aux frais de la nation » 9.
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4*
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© Il reste que les cimetières militaires des pays belligérants sont assez différents
© les uns des autres. On ne peut même pas dire qu'ils présentent tous des rangées de
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tombes alignées, car parfois - c'est le cas de nombreux cimetières allemands - les
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alignements ne se voient pas. L'Italie fasciste a même conçu des cimetières sans tom-
bes. Par delà les généralisations abusives, la visite révèle des particularités nationales
qui méritent attention. Quand divers pays sont confrontés au même moment au
même problème, l'histoire comparative prend tout son intérêt. Quel sens et quelles
raisons donner au fait que les divers pays n'ont pas tous enterré de la même façon
leurs morts de la guerre ?
Mais de quels morts du front s'agit-il ? Ces centaines de milliers de soldats tom-
bés au front ne forment pas en effet un groupe homogène. On peut sommairement
distinguer parmi eux deux grands ensembles : les tués et les disparus - les killed
in action et les missing des Britanniques - ou, pour le dire plus crûment, les corps
qui ont des noms et les noms qui n'ont pas de corps. Que les premiers relèvent du
cimetière militaire est évident, mais le projet monumental se limite-t-il à eux ou
englobe-t-il les seconds ?
Français et Allemands ont adopté une définition minimale : le cimetière accueille
les corps qui ont un nom, même si l'on rencontre parfois des tombes d'inconnus. Les
ossements anonymes, comme les restes épars, relèvent de l'ossuaire ou de la tombe
commune, tantôt associés aux cimetières, comme à Douaumont, tantôt intégrés.
On trouve par exemple au fond du cimetière de Notre-Dame de Lorette à Ablain-
Saint-Nazaire, près d'Arras, des fosses communes qui regroupent les restes de vingt
mille soldats non identifiés. Les tombes des camarades, les Kameradengraber des ë
3
Les Britanniques ont une conception beaucoup plus large. D'une part, ils inhu- @
ment anonymement les dépouilles qui conservent une forme à peu près humaine. 0
<N
bien conservés, 65 tombes portent un nom et 185 n'en portent pas. Mais le projet I
I
10. J. Summers, Remembered. The history of the Commonwealth War Graves Commission , London ; ì
New York, Merrell, 2007, p. 30. »
11. R. Chickering, The Great War and urban life in Germany. Freiburg, 1914-1918, Cambridge, I
.3
Cambridge University Press, 2007, p. 321.
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porté par l'IWGC va beaucoup plus loin car il concerne l'ensemble des tués et des
disparus. Il affronte donc une difficulté majeure : comment donner une sépulture à
un corps qui n'existe plus, à une dépouille que les obus ont dispersée ? Et pourtant,
il y avait là une injustice : pourquoi les morts dont on n'a pas retrouvé le corps
seraient-ils en outre privés de la tombe accordée à leurs camarades ? Ne fallait-il pas
que chaque famille ait une tombe où pleurer son mort ? Immédiatement au sortir de
la guerre, certains groupes qui organisaient les cimetières militaires en Italie avaient
imaginé de donner une apparence de tombe individuelle aux ossements épars et de
permettre aux familles des disparus de s'approprier une de ces tombes 12 . L'initiative
fut abandonnée. Dans le même esprit, le Premier ministre australien proposait,
au début de 1919, de créer des tombes vides auxquelles on donnerait le nom des
disparus pour que les familles puissent inscrire leur deuil en un lieu précis. Cette
suggestion n'a pas été retenue pour des raisons financières - il aurait fallu agrandir
du quart ou du tiers les cimetières militaires - et plus encore morales : la tombe vide
aurait constitué un mensonge qui aurait discrédité l'œuvre de l'IWGC et trompé les
familles qui lui accordaient leur confiance 13.
Cette pression pour que les noms des disparus soient préservés et honorés est
caractéristique du monde anglo-saxon. L'identité de l'individu, qu'atteste son nom,
compte davantage que ses restes matériels 14. L'IWGC a donc choisi non seulement
de donner une tombe à tous les soldats identifiés, ainsi qu'aux dépouilles non iden-
tifiées qui conservaient forme humaine, mais aussi de graver dans la pierre les noms
de tous les disparus : ce sont au sens propre les memorials. Certains font partie
intégrante des cimetières militaires : l'un des murs, plus solennel, accueille sur des
plaques les noms des missing de la bataille proche. Le memorial du plus grand cime-
tière britannique, celui deTyne Cot (Belgique), porte ainsi trente-quatre mille noms
de disparus. L'IWGC a surtout construit des monuments exclusivement voués à
porter ces listes de noms. Les plus célèbres sont la Menin Gate d'Ypres (cinquante-
cinq mille noms) et le monument de Thiepval (soixante-quatorze mille noms). Elle
projetait d'en ériger une douzaine en France, mais le nombre fut ramené à quatre, à
la demande des autorités françaises que cette multiplication inquiétait, ce qui ne les
empêcha pourtant pas d'accepter la construction de mémoriaux pour les disparus
canadiens et australiens 15.
12. G. Alegi, « Redipuglia, il cimitero perduto », Nuova storia contemporanea , 2001, n°4, p. 107-
©
116. Nous remercions très chaleureusement Pierre- Yves Manchon de ces informations.
0
<N
13. B. Scates, Return to Gallipoli. Walking the battlefields of the Great War, ; Cambridge, Cambridge
-O
University Press, 2006, p. 58-59.
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-o
14. T. W. Laqueur, « Memory and naming in the Great War », in John R. Gillis (ed.), Commemorations :
the politics of national identity, Princeton, Princeton University Press, 1994, p. 150-167.
1
s 15. P. Longworth, The Unending Vigil: A History of the Commonwealth War Graves Commission
1917-1967 [1st ed. 1967], Barnsley, Pen & Sword military, 2010, p. 100. Les principaux mémoriaux
sont, outre ceux déjà cités, ceux de Soissons, La Ferté-sous-Jouarre, pour les Britanniques, Delville Wood a.
ì
a
Longueval pour les Sud- Africains, Vimy pour les Canadiens, Beaumont-Hamel pour le Newfoundland,
Messines Ridge (Belgique) pour les Néo-Zélandais, Neuve-Chapelle pour les Indiens, Villers-Bretonneux
I pour les Australiens, Helles dans la presqu'île de Gallipoli, et quelques autres, comme X India Gate de
3 Lutyens à New-Delhi, dans des territoires alors sous contrôle britannique.
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140 m Antoine Prost
sèrent donc au retour des corps, que réclamaient des familles influentes. Les difficultés <N
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aux morts des tombes soigneusement entretenues et fleuries. Quand l'IWGC reçut sa
Charte, elle avait déjà enregistré cent cinquante mille tombes sur le front occidental et
1
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16. M.-T. Chabord, « Le livre ďor de la Première Guerre mondiale : un projet sans suite », Revue Í
historique de l'Armée, 1973-2, p. 76-82.
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Les cimetières militaires de la Grande Guerre, 1914-1940 ■ 141
envoyé dix-sept mille photos aux familles pour leur montrer qu elle avait bien enterré
celui qu elles pleuraient. C'est à elle que les proches s'adressaient pour obtenir des
informations sur le sort des disparus ou l'emplacement des tombes provisoires. Pour
leur permettre de s'approprier les tombes des leurs, l'IWGC prévoyait de réserver, au
pied des stèles qui marqueraient chacune d'elles, les headstones , la place de graver un
texte court (66 caractères ou espaces) proposé par les proches. En décembre 1918, sept
mille familles consultées lui avaient répondu sur ce point, et très peu avaient manifesté
une hostilité17. Pour expliquer ses projets, l'IWGC distribua largement en 1919 un
ouvrage écrit par Kipling, illustré de dessins de projets de cimetières et des stèles, les
headstones , de différentes religions 18. L'Australie, qui avait décidé de ne pas rapatrier les
corps de ses diggers , diffusa de même à soixante mille exemplaires un ouvrage illustré,
pour convaincre les familles que leurs morts seraient effectivement honorés 19.
Sans tout ce travail de réflexion et d'information entrepris avant même l'armis-
tice, l'IWGC n'aurait pu faire prévaloir l'inhumation de tous les morts de Grande-
Bretagne sur le continent. L'opposition enflait, ralliant des membres influents de
l'establishment comme Balfour, Lansdowne ou Robert Cecil ; ils appelaient à résister
à sa « tyrannie », exigeant non des headstonesy mais des croix sur les tombes et la liberté
pour les familles de reprendre les corps des leurs. La question devait nécessairement
venir devant le Parlement. Elle fut tranchée par un grand débat aux Communes, le
4 mai 1920, autour d'un amendement réduisant de cinq livres à titre symbolique
un crédit affecté à l'IWGC20. C'était en fait toute sa politique qui était en cause,
le principe des headstones comme la non-restitution des corps. Dans un climat de
grande émotion, la discussion, où Churchill, alors ministre de la Guerre, intervint
en dernier, se termina à l'avantage de l'IWGC dont les orientations ne furent plus
véritablement contestées.
Le contraste avec la France ne saurait être plus grand, à tous points de vue.
On s'était contenté de parer au plus pressé : l'achat des terrains, pour lequel la loi
du 29 décembre 1915 instituait une procédure simplifiée de déclaration d'utilité
publique. On avait prévu la nécessité de nombreux cimetières et pris pour cela les
arrêtés nécessaires pour en acheter les terrains, y compris ceux des cimetières alliés,
sur la base de 3 m2 par tombe en comptant les allées ; mais le service du Génie chargé
des sépultures militaires n'avait pas de véritable projet. Sa mission se bornait « à déli-
miter les cimetières, à les clôturer et à les mettre en état de recevoir les corps »21. On
attendit donc l'armistice pour y réfléchir, et l'on constitua dans ce but en novembre
1918 une Commission nationale des sépultures militaires. Elle se mit au travail et vit
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3
s'affronter les partisans de la restitution des corps aux familles qui le demandaient,
I comme Louis Barthou qui avait perdu un fils à la guerre, et d'autres, comme Paul
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J3 Doumer qui en avait perdu quatre et défendait au contraire l'inhumation de tous les
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-O 17. P. Longworth, The Unending Vigil..., op. cit., p. 44.
e
18. Imperial War Graves Commission, The Graves of the fallen , London, H. M. S. O., 1919. Ce petit
I
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0
livre de 18 pages est consultable en ligne sur le site de la Bibliothèque nationale australienne : http://
www.nla.gov.au/ apps/ doview/ nla.aus-vn478230 1 -p.pdf.
8
19. Where the Australians rest, Melbourne, Govt. Printer, 1920, 72 p. Voir B. Ziino, A Distant Grief.
1 Australians, War Graves and the Great War , Crawley, UWA Press, 2007, chap. 4.
20. Débat consultable sur internet : http://hansard.millbanksystems.com/commons/1920/may/04/
I
a
imperial-war-graves-commission.
21. Circulaire de Gallieni, alors ministre de la Guerre, 17 février 1916, Vincennes, SHD, 6 V 1 1239.
•3 Je remercie Laurent Veyssière de m' avoir facilité l'accès à ces documents.
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142 ■ Antoine Prost
23. Y. Pourcher, Les jours de guerre. La vie des Français au jour le jour entre 1914 et 1918 , Paris, Pion, _o
1
1994, donne à partir des archives judiciaires, p. 471-9, des exemples de procédures engagées contre les
auteurs de ces exhumations irrégulières.
_o
24. L'examen d'un projet de loi en ce sens est l'objet de la réunion déjà citée du 31 mai 1919 de la
Commission nationale des sépultures militaires. Elle l'approuve, mais parce que l'interdiction est seule-
§
-i
ment temporaire.
25. L'article 81 de la même loi fixe les modalités de subvention des monuments aux morts commu-
naux. Ces dispositions disjointes ne constituent pas une loi mémorielle. a
26. Reggio decreto 15/10/1920 n°l494, remplacé par le reggio decreto 16/06/1921 n°931, puis par í
la loi du 1 1 août 1921, n°1074. Informations aimablement communiquées par Pierre- Yves Manchon. 4
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Les cimetières militaires de la Grande Guerre, 1914-1940 ■ 143
la dépouille n'avait pas été inhumée pendant la guerre en Allemagne, sont restés en
territoire ennemi.
Ces contextes juridiques et moraux constituent l'une des premières raisons des
différences entre les cimetières militaires des différents pays. Mais il en est d'autres,
qui tiennent aux projets eux-mêmes et à leurs modalités de réalisation.
Un premier point mérite d'être immédiatement relevé : le statut des terrains sur
lesquels les cimetières militaires ont été regroupés. Si tous les soldats français sont
enterrés en France, à l'exception des blessés et des prisonniers morts en Allemagne,
on compte en France et en Belgique de nombreux cimetières allemands (cent quatre-
vingt-dix-huit, avec sept cent cinquante mille tombes), britanniques (mille huit cent
cinquante cimetières militaires ou carrés militaires dans des cimetières communaux,
pour trois cent vingt mille tombes et deux cent dix mille noms sur des memorials) ,
ou américains (six pour trente-quatre mille morts).
Quand il s'agit de cimetières alliés implantés en France ou en Belgique, leur sta-
tut foncier a été réglé de gré à gré. La France et la Belgique ont fait le nécessaire pour
acheter les terrains et les ont mis gratuitement à la disposition de leurs alliés. Dès la
guerre, l'IWGC a passé des conventions avec certaines municipalités pour disposer
de carrés militaires dans leurs cimetières. Elle a discuté avec des propriétaires et s'est
concertée avec les préfets quand le recours à l'expropriation pour cause d'utilité
publique s'avérait indispensable. La contribution de la France fut d'ailleurs en 1920
l'un des arguments des défenseurs de sa politique.
Entre belligérants, la question fut résolue par les traités de paix. Celui de
Versailles prescrivait, dans son article 225 : « Les Gouvernements alliés et associés et
le Gouvernement allemand feront respecter et entretenir les sépultures des soldats et
marins inhumés sur leurs territoires respectifs ». Il prévoyait la reconnaissance par les
gouvernements respectifs des commissions chargées « d'identifier, enregistrer, entre-
tenir ou élever des monuments convenables sur lesdites sépultures ». Mais le gouver-
nement allemand n'a pas constitué de commission de cette nature. Ce sont donc les
Français qui ont construit les cimetières allemands. Ils n'ont pas été généreux et leur
ont affecté des terrains relativement peu étendus, ce qui explique le grand nombre de
tombes allemandes collectives ou semi-collectives, bien que les morts aient leur nom.
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Le cas de la Turquie est très différent, car beaucoup de soldats alliés, anglais,
3
I français, mais plus encore australiens et néo-zélandais, étaient morts sur son terri-
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J toire. Gallipoli est une terre sacrée pour les soldats de X Australian and New Zealand
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Army Corps (ANZAC) et leurs familles ; inhumer leurs morts en territoire ennemi
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leur semblait impensable. Le traité de Sèvres (10 août 1920) a réglé la question en
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O donnant aux alliés la propriété pleine et entière des terrains qu'ils choisiraient pour
y leurs cimetières et leur memorials , ainsi que celle des voies d'accès (article 218), tout
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en maintenant la souveraineté de la Turquie sur ces terrains en ce qui concerne l'or-
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dre public ou la répression des exactions éventuelles. La Turquie s'engageait en outre
3
à acquérir ultérieurement les terrains qui apparaîtraient nécessaires, à permettre les
1
I visites, les exhumations éventuelles, etc. Les alliés s'engageaient en revanche à ne
»
I faire aucun autre usage, commercial ou à plus forte raison militaire ou naval, des
■3
territoires ainsi placés dans une situation d'extra-territorialité originale.
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144 m Antoine Prost
tir aux familles que ces tombes seraient aussi bien sinon mieux entretenues qu'elles
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et apaisées, qu'elles puissent se dire qu'elles avaient bien fait de laisser leur mort i
avec ses camarades, qu'il n'était pas oublié et que l'on s'occupait pieusement de sa
sépulture. Bref, il fallait faire beau.
I
Impérial, le projet de l'IWGC est donc aussi indissociablement architectural et
paysager. Ware fit appel dès 1917 à des architectes de premier plan, Edwin Lutyens,
1
>3
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Les cimetières militaires de la Grande Guerre, 1914-1940 ■ 145
Fabian Ware réussit le défi qu'il s'était lancé, en lui consacrant de gros moyens.
L'IWGC commanda les headstones à de nombreuses entreprises privées de Grande-
Bretagne mais se garda bien de confier à des sous-traitants la réalisation des cimetières.
En 1921, elle employait mille trois cent soixante-deux jardiniers28. Elle construisit
sur le continent six pépinières pour produire les fleurs et arbustes dont elle avait
besoin. Elle planta cent mille kilomètres de haies29. L'homogénéité du modèle de
cimetière britannique doit ainsi beaucoup à cette modalité de réalisation : les équipes
de l'IWGC ont acquis un savoir-faire et une expertise alors sans équivalent, qui font
la beauté de ces cimetières et leur donnent leur ambiance britannique. Pour ne pren-
dre qu'un exemple, à Tyne Cot, près d'Ypres, le plus grand cimetière britannique du
front occidental (près de douze mille tombes, dont plus de huit mille de soldats known
unto God , et trente-quatre mille noms gravés sur le memorial D, les fleurs d'espèces,
de couleur et de hauteur différentes qui ornent les tombes d'une même rangée sont
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S plantées symétriquement par rapport à l'allée centrale. (Voir cahier d'illustrations.)
I
Q Les États-Unis ont adopté une organisation voisine. Ils ont créé en 1919 une
© commission qui fut pérennisée en 1923 sous le nom & American Battle Monuments
0 Commission et appliqua des principes un peu différents. On y retrouve un memorial ,
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_o avec des noms de missing gravés sur un mur, mais les tombes sont ici marquées par
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des croix en marbre de Carrare ou par des étoiles de David. Conçus eux aussi pour
1
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27. En raison de ses dimensions, la stone of remembrance de Lutyens ne se trouve que dans les grands
š cimetières. C'est une sorte d'autel dressé sur trois marches portant l'inscription tirée par Kipling de
1 XEcclésiaste : « Their names liveth for evermore ». Le début de la citation est coupé parce qu'elle n'est pas
acceptable pour les Hindous.
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146 ■ Antoine Prost
des visiteurs qui viennent de loin, ils comprennent une chapelle ouverte à tous les
cultes et un bâtiment pour le superintendant américain responsable du cimetière,
où les visiteurs sont accueillis et éventuellement hébergés pour la nuit. Le traitement
paysager n est pas fleuri, mais il est généreux, les tombes formant un immense tapis
de gazon, occupant chacune quatre mètres carrés. Les cimetières américains sont
donc beaucoup plus vastes que les français ou les britanniques. Ainsi le plus grand
d'entre eux, celui de Romagne, occupe cinquante-trois hectares pour quatorze mille
deux cent quarante-six tombes, alors que le plus grand cimetière français, celui de
Notre-Dame de Lorette, occupe vingt-sept hectares pour plus de vingt mille tombes
individuelles, vingt mille soldats reposant dans des tombes collectives et celui de
Douaumont moins de quinze hectares pour seize mille tombes. Cette conception
très architecturée et très monumentale, ďun style néo-classique traditionnel, visait
à faire valoir la participation américaine à la Grande Guerre que des cimetières plus
nombreux et plus intimes auraient rendue moins visible. Ces cimetières sont les
États-Unis mêmes, présents sur le vieux continent30.
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Les cimetières militaires français sont d'une superficie moindre en moyenne que -O
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les cimetières britanniques et américains, tandis que les tombes y sont généralement $
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plus nombreuses, comme les comparaisons faites plus haut entre Notre-Dame de _o
0
qui a le plus concentré les tombes des morts de la guerre : deux cent soixante-cinq 1
1
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30. R. T. Robin, Enclaves of America, the rhetoric of American political architecture abroad 1900-1965, I
Princeton, Princeton University Press, 1992, p. 58-62. 3
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Les cimetières militaires de la Grande Guerre, 1914-1940 ■ 147
nécropoles nationales pour sept cent trente mille corps identifiés ou non. Neuf d'en-
tre elles comptent plus de sept mille tombes individuelles, soit au total quatre-vingt-
quinze tombes, auxquelles il faut ajouter plus de soixante-dix mille morts en ossuaire
ou tombe collective, pour une superficie totale de près de quatre-vingts hectares.
C'est le résultat de modalités de construction très administratives. Ces cimetières
ont été réalisés à l'économie par le ministère des Pensions, sur les terrains acquis par
le Génie31. Ici, pas d'architecte, mais des normes réglementaires strictes : trois mètres
carrés par tombe, y compris les allées, pas plus de quatre-vingt-dix centimètres entre
les rangées de tombes, pas d'arbre à moins de deux mètres ni de haie à moins de
cinquante centimètres des limites du cimetière. Initialement, aucun fleurissement
n'était prévu. La circulaire du 24 février 1 927 interdit toute ornementation particu-
lière. En raison sans doute de la complexité des circuits administratifs, les plans-types
ont été définis en 1928 seulement32. La sobriété et l'uniformisation s'imposent. Une
loi du 1 1 juillet 1931 dégage un crédit de cinquante millions pour l'aménagement et
l'embellissement des cimetières militaires, ce qui témoigne d'une prise de conscience
tardive des limites de l'ascétisme républicain. Elle conduit au remplacement des croix
de bois, prescrites en 1925, par des croix en béton armé33. Mais les seuls édifices
construits sont fonctionnels : une resserre à outils, un monument porte-couronnes
composé d'un mur en forme de stèle avec une croix centrale34. La symbolique des
cimetières militaires français est des plus pauvres : elle se réduit au mât central où
flotte le drapeau tricolore.
Leur originalité réside dans le traitement des appartenances religieuses. La
République laïque ne pouvait édifier de croix du souvenir ni de chapelle. Pourtant,
dans un certain nombre de grands cimetières, on trouve en position centrale ou domi-
nante une chapelle catholique, comme à Notre-Dame de Lorette, à Douaumont avec
l'Ossuaire, à Dormans et au Vieil-Armand. Ces édifices ont été réalisés par des comi-
tés réunissant autour de l'évêque du lieu, un général et des notables. L'administration
leur a donné l'autorisation et le terrain nécessaires, mais ils ont choisi les architectes
et, pour financer les travaux, ont organisé des souscriptions publiques et mobilisé
des mécènes35. Quant au marquage des tombes, si les croix latines l'emportent de
très loin, trois modèles de stèles ont été adoptés respectivement pour les israélites, les
musulmans et les athées. La France est le seul pays qui ait ainsi officiellement prévu
qu'un mort de la guerre puisse n'avoir aucune religion. Les rites propres aux différen-
tes religions, notamment quant à l'orientation des corps, ont été respectés 36.
En Italie, la guerre n'avait pas fait l'objet d'un consensus. Le Bureau central pour
I les soins et les honneurs aux morts à la guerre, créé en 1920 au sein du ministère de
à la Guerre, s'efforça de respecter l'exceptionnalité et la réalité concrète de la guerre.
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31. Service de l'état-civil, des successions et sépultures militaires et des primes de démobilisation. Le
JJ chef de ce service est un sous-intendant militaire en décembre 1920. CAC 20040041, art. 1.
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32. A. Biraben, Les cimetières militaires en France. Architecture et paysage, Paris, L'Harmattan, 2005 ;
1
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Y. le Maner, « Les caractéristiques nationales des nécropoles », http://www.cheminsdememoire-nor-
-o
0 dpasdecalais.fr.
8 33. M.-S. Bloquet-Lefèvre, Les sépultures militaires sur le territoire national, 1914-1918, op. cit.
34. Plans dans les archives de Vincennes, SHD, 4 Vt 304-3. Ce carton contient également les plans-
types des tombes collectives comme celles qu'on peut voir à N.-D. de Lorette.
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35. Sur les quatorze millions qu'a coûtés l'Ossuaire de Douaumont, deux seulement ont été apportés
1 par l'État pour permettre son achèvement.
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36. Voir supra l'article de Juliette Nunez.
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148 ■ Antoine Prost
En témoigne le choix de conserver le plus souvent possible les petits cimetières et les
tombes créées dans la précipitation de la guerre ou l'emploi, pour les décorations, de
matériels de guerre : pinces, barbelés, casques et obus retrouvés lors des opérations
de récupération des corps. Ainsi le cimetière évoquait-il sans aseptisation la réalité
des combats 37.
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37. G. Alegi, « Redipuglia, il cimitero perduto », art. cité, et M. Isnenghi, « La mémoire assujettie ¿
au régime », dans M. Isnenghi (dir.) L'Italie par elle-même. Lieux de mémoire italiens de 1848 à nos jours,
Paris, ENS Rue d'Ulm, 2006, p. 327-328, lère éd. en italien, I luoghi della memoria , 1996. Je remercie
Pierre- Yves Manchon de m' avoir signalé ces travaux. J
38. M. Isnenghi, op. cit., p. 329.
39. Ibid. , p. 329. 1
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40. Je remercie Rose Malloy, doctorante de l'université de Yale, pour m' avo ir fourni ces indications í
et le texte de l'accord entre la Belgique et l'Allemagne. ■s
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Les cimetières militaires de la Grande Guerre, 1914-1940 ■ 149
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héroïque42. Ce projet était utopique, mais les cimetières allemands se caractérisent
J aujourd'hui par leur caractère boisé, alors que dans les années vingt, en France du
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moins, les arbres y étaient rares. Cela leur donne une ambiance sombre, assez impres-
sionnante. (Voir cahier d'illustrations.)
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41. W. Lange, Deutsche Heldenhaine> Leipzig, Weber, 1915 ; S. Goebel, The Great War and medie-
0
val memory, War, remembrance and Medievalism in Britain and Germany, 1914-1940 , Cambridge,
Cambridge University Press, 2007, p. 75 sq.
42. G. Brands, « From World War I cemeteries to the Nazi 'forteresses of the Dead': Architecture,
1
a
Heroic landscape, and the Quest for National Identity in Germany », in J. Wolschke-Bulmahn (ed.),
Ia Places of Commemoration. Search far Identity and Landscape Design, Washington, Dumbarton Oaks Research
Library and Collection, 2001, p. 215-256.
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150 ■ Antoine Prost
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été marqué par le fascisme, qui lui aussi n'a pas lésiné sur les moyens pour célébrer
de façon grandiose la nation. Le projet allemand s'est construit laborieusement au
fil des années, en raison du statut diminué du pays vaincu et de la difficulté à
commémorer des soldats morts en vain, avec la volonté ďincarner une identité
nationale héroïque.
Dans tous les cas, cependant, force est de souligner un fait majeur : alors que nous
nous apprêtons à commémorer le centenaire de 1914, tous ces cimetières restent des
lieux entretenus et visités. Certains attirent encore des foules lors des anniversaires.
Chaque année, le 1er juillet, jour anniversaire de la bataille de la Somme, des milliers
de Britanniques se regroupent à Thiepval, sans que des officiels ne se mobilisent
pour la commémoration. Les visiteurs sont moins nombreux en France, mais il est
rare que les grands cimetières soient déserts, et des associations y conduisent cha-
que année pour se recueillir des cars entiers, sans compter les écoliers, collégiens et
lycéens qu'y amènent leurs professeurs. Ce sont des espacçs sacrés, où Ton parle à
voix basse sans quii soit besoin de le prescrire. Ces sanctuaires de la mort de masse
sont aussi les lieux d'une mémoire vivante. C'était le plus grand hommage que l'on
pouvait rendre à un tel sacrifice.
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i ses de fonctionnement. La mise en œuvre fut longue et difficile. Voir P. Longworth, The Unending
^3
Vigil..., op. cit. y p. 138 sq.
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