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Bourricaud François. Syndicalisme et politique : le cas péruvien. In: Sociologie du travail, 3ᵉ année n°4, Octobre-décembre
1961. Ouvriers et syndicats d'Amérique Latine. pp. 33-49;
doi : https://doi.org/10.3406/sotra.1961.1074
https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1961_num_3_4_1074
Syndicalisme et politique :
le cas péruvien
II
tenus ne nous ont laissé aucun doute : la réduction des effectifs ouvriers
a été systématiquement recherchée au moins depuis 1957, et nos inter¬
locuteurs affirment que les augmentations de production enregistrées
depuis cette date ont été atteintes avec des effectifs ouvriers stables ou
légèrement déclinants. Les raisons de cette politique sont au nombre de
deux : la compagnie s'est trouvée en face d'une pression syndicale de plus
en plus forte à partir de 1956 dans le moment même où les prix en dollars
du minerai baissaient fortement (plus de 20 %). La politique de la main-
d'œuvre a été commandée par trois règles : ne pas débaucher, ne pas
embaucher, « qualifier » autant que possible la main-d'œuvre déjà
employée. Le licenciement apparaissait très délicat ; non seulement les
ouvriers et leurs syndicats s'y seraient opposés, mais le gouvernement
péruvien, pour son compte, y aurait sûrement fait obstacle. Il ne restait
qu'à réduire l'embauche au minimum — et à user de la menace du licen¬
ciement, arme qui s'est d'ailleurs révélée efficace — pour faire face
aux demandes de hausse des salaires. Quant aux ouvriers qu'elle
gardait, la compagnie allait chercher à leur donner une meilleure
formation pour obtenir d'eux un meilleur rendement. C'est à partir
de 1957 que les solutions productivistes retiennent tout l'intérêt des
dirigeants de la société. Différents indices nous ont été fournis quant
à l'utilisation de nouvelles machines, aux dépenses en combustibles, en
graissage, à la durée de services des machines — qui permettent d'appré¬
cier l'amélioration des rendements, spécialement en ce qui concerne la
« Fonderie » de la Oroya. Mais, soulignons-le, ces améliorations ont pu
être réalisées sans gros investissements nets. En revanche, les programmes
de formation du personnel ont pris beaucoup d'importance. A partir de
1957, la Cerro de Pasco ouvre un « bureau de formation et de méthode »,
qui est d'ailleurs dirigé par un expert péruvien. Le résultat, c'est que
la rotation est maintenant très réduite et, en tout cas, a sensible
ment baissé depuis 1957. Bien entendu, il en va ainsi surtout dans les
ateliers mécaniques et à la fonderie, mais beaucoup moins dans l'exploi¬
tation minière proprement dite.
Face à cet effort de rationalisation, comment réagissent les ouvriers ?
Il faut d'abord souligner que les syndicats groupent actuellement la plus
grande partie des travailleurs. Le recrutement semble se faire sans peine
et sans contrainte ; pour les ouvriers, l'adhésion semble aller de soi. H
s'agit, en outre, d'un syndicalisme nettement revendicatif ; son origine
n'est pas à rechercher, comme c'est le cas très souvent en Amérique latine,
dans des initiatives « paternalistes », mais dans l'effort des ouvriers eux-
mêmes pour se défendre et s'organiser. Quant à la cohésion actuelle des
syndicats, elle prête à des appréciations variées ; les dirigeants que nous
avons rencontrés déclarent qu'ils ont « la situation bien en main », et
que la base est en accord complet avec leurs directives. L'organisa¬
tion très stricte — dans une large mesure dérivée des nécessités de l'ac¬
François Bourricaud
« serviteurs » se sont mis d'accord sur une hausse d'un peu moins de
15 %. Du côté ouvrier, on a insisté sur l'évolution des coûts de produc¬
tion favorable à la compagnie et sur l'évolution du coût de la vie défa¬
vorable à ses « serviteurs ». Les conseillers de la délégation ouvrière, pour
tirer tout le parti possible de cet argument chiffraient en dollars aussi
bien les coûts de production du minerai que les dépenses de la famille
du mineur établi à la Oroya. Or, le taux de change péruvien, pendant
les années 1958 et 1959, s'est rapidement dégradé ; le sol a baissé par rap¬
port au dollar de plus de 25 %. Aussi, tandis que l'entreprise voyait son
revenu en dollars augmenter puisque la hausse de ses coûts de produc¬
tion en soles était moindre que la baisse de la monnaie nationale, l'ouvrier
dont la rémunération avait monté dans une mesure inférieure à la dégra¬
dation du sol, voyait, quant à lui, baisser son revenu réel si l'on entend
par là son revenu exprimé en dollars. La compagnie rétorquait que
puisque le mineur de Cerro de Pasco jusqu'à nouvel ordre ne fait pas
son marché à New York, il est abusif, pour apprécier l'évolution de son
revenu réel, de traduire les prix à la consommation locale en monnaie
nord-américaine ; tandis que, poursuivaient les représentants de la com¬
lieu
pagnie,
en dollars.
le minerai se vend sur des marchés où tous les règlements ont
salariés
Les mécanismes
par des manipulations
monétaires et leurs
plus effets
ou moins
sur le
adroites
niveaudu
de taux
vie des
de mineurs
change.
III
à rappeler à leurs adhérents que des problèmes plus larges que les
dications ou récriminations locales doivent recevoir priorité. Dès
syndicat est organisé, même s'il l'est de l'extérieur, les problème
rieurs sont perçus par les ouvriers comme les plus urgents. Ce ca
« corporatif » de leurs revendications est particulièrement sensib
une demande qui fut portée l'année dernière devant le syndicat
tavio. Les ouvriers souhaitaient que l'entreprise s'engageât par une
explicite du contrat collectif, non seulement à recruter par prio
fils des travailleurs qu'elle employait déjà, mais s'obligeât en outr
garantir un emploi. Bien entendu, cette revendication fut écarté
peine puisqu'elle
liberté du travail. Mais
contrevenait
cette demande
à des embarrassait
dispositions légales
au moinstouch
aut
syndicats que les patrons ; née sur place et bien qu'elle exprimâ
bien le souci des ouvriers pour leur sécurité personnelle et familial
initiative a été accueillie avec beaucoup de réserve, sinon de f
par les dirigeants syndicaux qui en apercevaient clairement les d
à l'échelle régionale ou même nationale. Ils étaient amenés par le
mation politique à poser leurs revendications dans le cadre d'un
tique d'ensemble et étaient plus sensibles aux conséquences derniè
revendications partielles et locales.
Une culture liée comme celle du sucre au marché internatio
dépendant de techniques de production extrêmement modernes e
probablement deux séries de conséquences sociales. Elle fait sur
îlots de haute productivité, des unités de production remarquab
organisées, capables non seulement de rémunérer le capital enga
des taux de profit élevés, mais encore de fournir à une main-d
pour ainsi dire privilégiée un niveau de vie croissant. Cette exp
surprendra, choquera peut-être ; il nous faut donc l'expliquer et
tifier. Commençons par cette remarque : le salaire journalier est
dans la région de Chicama de ce qu'il est dans la région de Gh
Pourtant, les conditions techniques sont à peu près identiques d
deux cas. Mais une différence saute aux yeux : dans le premier ca
avons affaire à une organisation syndicale très efficace et très com
dans le second cas, les patrons ont jusqu'ici empêché la création
dicats. En outre, la mécanisation et la technification sont beaucou
poussées, nous semble-t-il, dans le premier cas que dans le second
Cartavio qui vient d'acheter la première cortadora. Casa Grande
à engager prochainement la même dépense, alors que cette hy
ne semble pas avoir été jusqu'ici considérée sérieusement dans auc
fundos de Chiclayo sur lesquels nous avons quelques renseign
Bref, le développement du syndicat, son agressivité semblent
obligé les entreprises à une politique « productiviste » ; et pour d
leurs profits menacés par. les revendications de leurs salariés, il
que les entreprises soumises à la plus forte pression syndicale ai
Syndicalisme et politique : le cas péruvien.
FRANÇOIS BOURRICAUD
Université de Bordeaux