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16 | économie & entreprise MARDI 14 MAI 2019

Prix du meilleur jeune économiste 2019


Stefanie Stantcheva, 33 ans, professeure à l’université Harvard, est la lauréate de cette 20e édition

Stefanie Stantcheva, sur le campus d’Harvard, au mois de mai. BELINDA SONCINI POUR « LE MONDE »

DOSSIER Chacun de ces membres a des ap­


proches et des compétences diffé­
économistes. Parmi celles des lau­
réats, citons : les interdépendan­
Cette année, aussi une propension croissante à
situer les agents économiques au PALMARÈS

D
epuis sa création, le rentes, garantissant ainsi une ri­ ces entre la fiscalité et les inégali­ la sous- cœur de logiques de réseaux, sor­
Prix du meilleur chesse des débats. Mais une con­ tés, en lien avec l’acquisition du ca­ tes de médiation entre la micro et
jeune économiste, dé­ viction les rassemble : la nécessité pital humain ou l’innovation ; le
représentation la macroéconomie. On peut ce­ Les distinctions de 2019
cerné par Le Monde et d’offrir un espace de dialogue et rôle des syndicats et des formes des recherches pendant regretter une faible atten­ Les distinctions de 2019
le Cercle des économistes, vise à de confrontation d’idées entre les institutionnelles de dialogue so­ tion portée aux comparaisons in­ Prix du meilleur jeune écono-
distinguer, non seulement l’ex­ économistes et avec la société. cial et de négociation salariale
consacrées ternationales et aux innovations miste : Stefanie Stantcheva
cellence de la production acadé­ Cette année, pour l’attribution dans la croissance ; l’économie po­ à l’économie économiques ou sociétales qui se Nommés : Thomas Breda, Julia
mique des économistes français du Prix du meilleur jeune éco­ litique de l’information et des mé­ dessinent en Asie, en Chine… Cagé et Mathieu Couttenier
de moins de 41 ans, mais aussi nomiste 2019 et des trois nomina­ dias, couplée à la question du fi­
de l’entreprise Enfin, la sous­représentation
leur contribution au débat public tions, le jury a reçu 49 candidatu­ nancement de la démocratie ; en­ se confirme des recherches consacrées à l’éco­ Les lauréats de 2000 à 2018
en matière de politique économi­ res, contre 48 en 2018, 42 en 2017 fin, les relations entre les chocs nomie de l’entreprise se confirme, Bruno Amable
que ou de prise de décision parmi et 45 en 2016. Dix­huit d’entre eux économiques ou climatiques et les les économistes ayant tendance à et Agnès Bénassy-Quéré (2000)
les acteurs privés, en n’oubliant présentaient leur candidature guerres, les conflits pour l’appro­ tion, santé) ; les relations entre laisser ce terrain à la discipline Pierre Cahuc (2001)
pas les autres sciences sociales. pour la première fois. Dix candi­ priation des ressources naturelles, la démographie et la croissance ; sœur que sont les sciences de ges­ Philippe Martin
On retrouve donc, dans l’attribu­ dats sont affectés à l’étranger et, les rapports entre la médiatisation les conséquences de l’innovation tion. Aujourd’hui, il faut non seu­ et Thomas Piketty (2002)
tion de ce prix, la mission du Cer­ donc, 39 occupent des postes de de la violence attribuée aux étran­ sur la croissance potentielle… lement reconsidérer les stratégies Pierre-Cyrille Hautcœur (2003)
cle des économistes, qui est d’or­ professeur ou de chercheur en gers et la montée des populismes. Mais on découvre également des d’entreprise et les formes de la David Martimort (2004)
ganiser et de promouvoir un dé­ France. On dénombrait seule­ préoccupations très proches des concurrence, par exemple celle Esther Duflo
bat économique ouvert et accessi­ ment 13 femmes, mais la parité Proches des défis d’aujourd’hui défis d’aujourd’hui : le poids des qui s’opère sur les marchés multi­ et Elyès Jouini (2005)
ble à tous. Fondé en 1992, à est scrupuleusement respectée Dans les programmes de recher­ discriminations par genre, par faces ou en présence des géants du Thierry Mayer
l’initiative de Jean­Hervé Lorenzi, dans le palmarès. che des autres candidats, on re­ appartenance sociale ou reli­ numérique ou de la banque, mais et Etienne Wasmer (2006)
le Cercle réunit 36 membres, pour Les travaux des candidats don­ trouve les thématiques tradition­ gieuse dans l’accès à l’emploi et, aussi reconfigurer les principes et David Thesmar (2007)
la plupart universitaires, qui ont nent un aperçu des thématiques nelles : les imperfections de la plus généralement, la question les instruments de régulation de Pierre-Olivier Gourinchas (2008)
exercé ou qui exercent des res­ de recherche dominantes au sein finance ; la question de l’accès lancinante des inégalités. la concurrence, tout particulière­ Yann Algan
ponsabilités privées ou publiques. de cette génération de jeunes sélectif aux biens publics (éduca­ On observe certaines tendances ment en Europe. Les économistes et Thomas Philippon (2009)
au renouvellement des démar­ doivent se saisir de tous ces sujets. Emmanuel Saez (2010)
ches. Avec le recours à des don­ L’ambition du Cercle des écono­ Xavier Gabaix (2011)
Un prix créé par « Le Monde » et le Cercle des économistes nées empiriques en très longue mistes est de réduire la distance Hippolyte d’Albis (2012)
période permettant d’analyser les qui sépare encore la connaissance Emmanuel Farhi (2013)
Le Prix du meilleur jeune économiste, créé en 2000 par Le Monde et le Cercle des économistes, vise ruptures de tendances et de économique, le monde politique Augustin Landier (2014)
à valoriser les travaux d’un économiste français ou affecté en France de moins de 41 ans. Pouvaient contextualiser les recommanda­ et les citoyens, notamment, du Pascaline Dupas (2015)
concourir tous les économistes issus du monde universitaire, en France ou à l’étranger, dont les travaux tions. Egalement avec l’extension 5 au 7 juillet prochain, à l’occasion Camille Landais (2016)
relèvent de l’économie appliquée et qui permettent de promouvoir le débat public. Les candidats des analyses vers des domaines re­ des Rencontres économiques Antoine Bozio (2017)
devaient adresser au Cercle des économistes, outre un CV détaillé, les cinq publications leur paraissant levant exclusivement, autrefois, d’Aix­en­Provence, dont la théma­ Gabriel Zucman (2018)
les plus représentatives de leur production scientifique, ainsi qu’une note de synthèse soulignant l’inté- de la science politique ou de la so­ tique, « Renouer avec la con­
rêt et l’originalité de leurs apports. Il s’agissait de distinguer non seulement l’excellence de la production ciologie : genèse des conflits mili­ fiance ! », recouvre la question
académique des jeunes économistes français, mais aussi leur contribution au débat public et à l’exper- taires, effets des perceptions de la bien actuelle de savoir comment,
tise économique. Sur cette base, les membres du Cercle des économistes ont évalué les dossiers, mobilité intergénérationnelle ou face à d’innombrables défis, il est
et le jury final, présidé par André Cartapanis et associant à parité les représentants du Cercle des éco- des caractéristiques socio­éco­ possible de retrouver une vision
nomistes et du journal Le Monde, a décerné les trois nominations et attribué le prix, remis par nomiques des immigrants sur le positive de l’avenir. 
Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, le 13 mai. consentement à l’impôt. On relève le cercle des économistes
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MARDI 14 MAI 2019 économie & entreprise | 17

Stefanie Stantcheva : « L’objectif de mes recherches


est d’améliorer la conception des politiques fiscales »
La jeune professeure à Harvard travaille sur les effets à long terme et les changements de comportement générés par les réformes de l’impôt

ENTRETIEN tiellement à partir de la collecte


de données historiques, par
à innover ou à entreprendre…
« J’ai toujours eu voyais aussi les SDF dans les rues
de cette ville pourtant riche
Professeure assistante à Har­
vard en 2016, à 30 ans, vous

S
tefanie Stantcheva, exemple sur l’innovation techni­ Mais peut­on, à partir de mo­ le goût des qu’est Paris… Qu’est­ce qui peut devenez professeure titulaire
33 ans, est professeure que aux Etat­Unis depuis 1850 ; dèles théoriques, déterminer expliquer tout ça ? Une fois passé de cette même université deux
d’économie à l’université ensuite, une analyse des détermi­ ce que serait une « fiscalité
mathématiques, mon bac scientifique, j’ai tout de ans après. C’est un délai très
Harvard (Etats­Unis). Elle nants des comportements et des optimale » en toute période non pas comme suite fait le choix des sciences court, et d’ailleurs cohérent
est également chercheuse asso­ opinions de tout un chacun vis­à­ et sous toute latitude ? économiques, et je suis partie avec la rapidité de votre
ciée au National Bureau of Econo­ vis de la fiscalité, à partir de don­ Non, car il y a des contraintes
une fin en soi, étudier à Cambridge. carrière et l’accumulation
mic Research, chercheuse au Cen­ nées issues de questionnaires en spécifiques à chaque pays, à mais comme de diplômes d’établissements
ter for Economic Policy Research ligne, d’enquêtes de terrain et chaque période. Par exemple, les Et pourquoi la fiscalité ? prestigieux. Avez­vous
et membre, en France, du Conseil d’expériences de laboratoire attentes et les perceptions vis­à­
discipline Parce que l’impôt est un instru­ une explication ?
d’analyse économique. Elle est di­ – car, dans ce domaine, il faut vis de la fiscalité sont différentes de l’intuition » ment économique extrêmement Non, pas vraiment… J’ai fait de
plômée de Cambridge, de l’Ecole construire les données. dans chaque pays. C’est le rôle du puissant. Un petit changement mon mieux. J’ai eu la chance de
polytechnique, de l’Ecole natio­ L’objectif de ces recherches est, politique d’agréger les préfé­ peut produire de grands effets, rencontrer des gens qui m’ont
nale de la statistique et de l’admi­ en croisant modèles théoriques rences et de déterminer les ob­ Pourquoi et comment positifs comme négatifs. Et puis, très bien conseillée. J’ai toujours
nistration économique, de l’Ecole et données inédites, d’améliorer jectifs d’équité sociale, ce ne sont vous êtes­vous intéressée j’ai fait deux grandes rencontres eu le goût des mathématiques,
d’économie de Paris, et titulaire la conception des politiques fis­ pas la théorie économique et les à l’économie ? au MIT : Esther Duflo, qui y était non pas comme une fin en soi,
d’un doctorat du Massachusetts cales. Il s’agit de tendre vers ce économistes qui peuvent le Je suis née en Bulgarie, mon mon mentor, m’a éveillée à tout même si ça peut être très « joli » à
Institute of Technology (MIT). qui serait une « fiscalité opti­ faire. Notre rôle est juste de père était ingénieur, et nous ce qui était nouvelles méthodes faire, mais comme outil, comme
male », une fiscalité qui à la fois montrer quels sont les coûts et avons séjourné en Allemagne de d’enquête et aller­retour entre discipline de l’intuition. Et le ni­
Vos travaux actuels portent maximise l’apport des impôts à les contraintes, pas de définir l’Est jusqu’à la chute du Mur. J’ai modèles théoriques et travail veau d’enseignement des ma­
sur la fiscalité, un domaine la société – l’investissement pu­ l’impôt optimal. fait l’essentiel de ma scolarité en empirique sur les comporte­ thématiques est très bon en
de recherche pourtant déjà blic dans les infrastructures et les Les économistes sont là pour France, mais je suis retournée ré­ ments et les préférences des ac­ France, on a su me donner le
largement balisé. Qu’avez­ services publics, la redistribution étudier et prédire les effets des gulièrement à l’Est pendant la teurs ; j’aurais pu faire, avec elle, goût d’en faire. Maintenant que
vous apporté de nouveau ? équitable des revenus – et mini­ différentes politiques et les évo­ période de transition ; je voyais, de l’économie du développe­ je suis professeure à mon tour, je
Deux angles jusqu’ici peu ex­ mise les coûts pour les acteurs lutions des comportements des pendant l’hyperinflation de la ment, mais j’ai croisé le chemin pense que le rôle de l’enseignant
plorés : tout d’abord, les effets à économiques, et donc l’impact agents économiques, en se ba­ fin des années 1990, en Bulgarie, d’Emmanuel Saez, alors profes­ est de donner à ses étudiants le
long terme des politiques fisca­ des changements de comporte­ sant sur des modèles et des don­ les gens se précipiter pour dé­ seur visitant au MIT, qui m’a ini­ goût de travailler dans la disci­
les, en matière d’innovation, ment des individus et des nées, parfois de façon créative. Et penser tout leur salaire ; j’ai vu tiée aux méthodes de construc­ pline qu’il enseigne. 
d’entrepreneuriat, de mobilité entreprises : délocalisation, éva­ ensuite d’en informer la société les inégalités incroyables entre tion de données à partir des propos recueillis par
sociale et professionnelle – essen­ sion ou exil fiscal, désincitation et les politiques. l’ouest et l’est de l’Allemagne ; je informations fiscales. antoine reverchon

LES  NOMMÉS  PARLENT  DE  LEURS  TRAVAUX

« Les médias, la démocratie « Délégués discriminés, « Les causes des guerres


et le prix d’un vote » dialogue social entravé » civiles africaines »
Comment en êtes­vous venue Vous êtes nominé au Prix du meilleur Vos travaux portent sur les déterminants
à l’économie ? jeune économiste 2019 pour l’ensemble économiques des violences politiques
Très jeune, j’étais fascinée par la figure de l’in­ de vos travaux. En quoi s’inscrivent­ils et des guerres civiles contemporaines,
tellectuelle engagée et j’ai intégré l’Ecole nor­ dans l’actualité ? un sujet peu traité par les économistes.
male supérieure en lettres, philosophie et La France a engagé avec la loi El Khomri de Quels sont vos résultats principaux ?
sciences sociales. L’économie m’a rapidement 2016 puis les ordonnances Pénicaud de 2017 Nous avons croisé les données extrême­
séduite par les questions qu’elle posait, par son une profonde refonte du marché du travail, ment précises de géolocalisation des
aspect interdisciplinaire et son rapport direct accordant plus de poids au dialogue social au conflits armés en Afrique entre 1997 et 2010
avec le politique. C’est la raison pour laquelle je Julia Cagé niveau de l’entreprise, par rapport à la branche Thomas Breda avec la géolocalisation des exploitations mi­ Mathieu Couttenier
me suis intéressée à la démocratie et à l’un de 35 ans  et au code du travail. Les thèmes de la négocia­ 36 ans nières et avec la variation sur la même pé­ 35 ans
ses vecteurs principaux, les médias. Ma thèse Assistante professeure  tion collective sont au cœur de mes travaux, Economiste du travail.  riode des prix mondiaux des ressources mi­ Chercheur à l’Ecole normale 
de doctorat a étudié l’effet de la concurrence à Sciences Po Paris qui traitent plus largement des inégalités sur Chercheur au CNRS nières d’une part, des produits et intrants supérieure
entre les journaux sur la qualité de l’informa­ le marché du travail, du rôle des institutions et agricoles d’autre part. Nous avons pu dé­
tion. Elle a montré que la multiplication des ti­ des normes sociales : normes de genre (fem­ montrer que le doublement des prix des mi­
tres, ajoutée à la concurrence de la publicité télévisée, a fragilisé la profes­ mes­hommes), règles de représentation du personnel et fiscalité du tra­ nerais intervenu sur la période explique un accroissement de 25 % de
sion et, paradoxalement, homogénéisé l’information. vail. La représentation des salariés avait jusqu’alors été très peu étudiée la violence armée dans les régions concernées.
par les économistes. Mes travaux sur la carrière des délégués et leur place De même, la baisse des prix agricoles de certains produits d’exporta­
Est­ce cela qui vous a amenée à étudier le financement dans les entreprises ont mis en évidence la discrimination des représen­ tion, le café par exemple, cause un choc de revenus qui facilite le rallie­
des partis politiques ? tants syndicaux, rémunérés 10 % de moins que les autres salariés, et ses ment des populations touchées aux groupes armés qui offrent des reve­
En travaillant sur les médias, je me suis interrogée sur l’influence de conséquences sur le dialogue social. On constate dans les entreprises que nus supérieurs, d’ailleurs souvent tirés… des ressources minières. Enfin,
certains individus fortunés, et le monde des partis me paraissait plus plus la situation est conflictuelle, plus les syndicats sont actifs, et plus la dans des régions où l’essentiel du revenu local provient de l’agriculture,
vertueux avec son système de plafonnement des dons et d’interdiction condition des représentants syndicaux est mauvaise. les événements climatiques et l’évolution de la productivité agricole, due
du financement par les entreprises. En creusant le sujet, je me suis autant à la fertilité naturelle qu’aux prix des intrants (engrais,
rendu compte qu’il était très peu documenté. J’ai donc plongé dans les Comment l’expliquez­vous ? pesticides…), sont aussi un facteur déterminant du niveau de violence
données publiques pour déterminer combien chacun donne en fonc­ C’est le produit d’un cercle vicieux : les employeurs trouvent un inté­ politique. Limiter la volatilité de prix internationaux des minerais ou des
tion de ses revenus. Au final, le don moyen, cotisation comprise, des rêt stratégique à stigmatiser ceux qui sont le moins enclins aux produits agricoles semble donc être un moyen de limiter la violence poli­
50 % de la population la moins aisée était de 120 euros par personne, compromis, ne serait­ce que parce que la négociation est coûteuse. tique. Nous avons ainsi pu montrer que le niveau de responsabilité so­
quand dans le 0,01 % des plus riches donnait chacun 5 245 euros. Cette Mais cette discrimination avérée entraîne des effets de désaffection des ciale et éthique des entreprises minières internationales qui acceptaient
situation m’est apparue d’autant plus injuste que ces derniers ne paient salariés, qui ne veulent pas se mettre en difficulté en rejoignant un de se soumettre à plus de transparence et de coopération avec les ONG
qu’un tiers de ce montant, compte tenu de la réduction d’impôt. De syndicat. Ainsi, 35 % des salariés déclarent éviter de se syndiquer par était corrélé avec des niveaux de conflits légèrement inférieurs.
facto, les préférences politiques des plus riches sont subventionnées peur des représailles. En conséquence, seuls des profils singuliers sont
par le reste des contribuables. prêts à s’engager : des salariés très militants, ou particulièrement atta­ Mais les causes des conflits ne sont­elles pas un objet
chés à la défense de l’intérêt général, qui ne sont finalement pas tou­ de recherche en sciences politiques plutôt qu’en économie ?
Mais y a­t­il un lien direct entre l’argent donné aux campagnes jours très représentatifs des autres salariés. Mes travaux établissent Certes, mais en utilisant l’économétrie pour analyser l’évolution des
et le succès électoral ? ainsi qu’avant de vouloir donner plus de poids à la négociation d’entre­ prix sous l’angle des chocs qui impactent les revenus des populations
Ce n’est, bien sûr, pas le seul facteur, mais il est important et a été lar­ prise, il faut d’abord renforcer la valeur et la légitimité des représen­ locales et des groupes armés, on dispose d’une mesure précise des dé­
gement démontré aux Etats­Unis. Pour notre part, nous avons étudié tants auprès des employeurs et des autres salariés. Ce n’est pas vrai­ terminants des conflits. Plus jeune, passionné par l’actualité interna­
avec Yasmine Bekkouche l’ensemble des élections législatives françai­ ment ce qu’a fait la refonte El Khomri­Pénicaud. tionale, je dévorais les journaux ; j’étais très bon en histoire­géographie
ses depuis 1993 et des municipales depuis 1995. La corrélation est très et, disons, moins bon en maths.
forte, restait à démontrer la causalité qui permettrait de dire que, en éli­ Comment avez­vous été amené à vous intéresser aux inégalités ? Admis à l’ENS Cachan, j’ai fait un master à Paris­I et à l’Ecole d’éco­
minant les autres causes, un euro supplémentaire accroît les chances Les travaux économiques portent soit sur l’efficacité soit sur les iné­ nomie de Paris ; j’y ai rencontré Thierry Mayer, qui a été mon directeur
d’élection. Pour cela, nous nous sommes penchées sur le choc provo­ galités. Le monde évolue vers davantage d’inégalités. Lorsque, après des de thèse, et Farid Toubal, qui m’ont convaincu que les mathématiques
qué par l’interdiction des dons des entreprises aux partis, avant les élec­ études de mathématiques à l’Ecole normale supérieure, j’ai décidé de font de l’économie un outil de recherche intellectuelle particulière­
tions de 1997. Un certain nombre de candidats de droite n’étaient pas faire de l’économie, c’était pour être dans le concret, au plus près des ment rigoureux. Mais il est vrai que j’ai plus d’appétence pour la
préparés à ce changement brutal et ont donc manqué de moyens. Ce gens, pour essayer de réaliser quelque chose d’utile, par un travail qui collecte et le traitement des données, afin de distinguer les causalités
phénomène explique en partie la victoire de la gauche à ce scrutin. No­ soit racontable. L’évaluation de la réforme de 2008 que nous avons ef­ des corrélations, que pour la construction ou l’application de modèles
tre recherche a chiffré le prix d’une voix supplémentaire à 32 euros. fectuée avec Philippe Askenazy en est un bon exemple. En remplaçant théoriques. Et mes meilleures notes de master n’étaient pas en
Cela a fait l’objet d’un article scientifique et a donné un chapitre à mon la désignation du délégué syndical par un seuil minimum de 10 % des mathématiques… Comme quoi on peut faire de l’économie sans être
livre (Le Prix de la démocratie, Fayard, 2018). voix pour pouvoir représenter les salariés, cette réforme a introduit forcément un crack en maths !
une vraie démocratie électorale dans l’entreprise, qui a très fortement
Pourquoi passer de la recherche au livre ? renforcé la légitimité des délégués auprès des employeurs. C’est ce qu’a Vous avez aussi travaillé sur d’autres sujets, toujours liés
Parce que cela permet de lancer le sujet dans le débat public et de mis au jour notre évaluation de la réforme. Du côté des salariés, cette à la violence cependant…
pousser des propositions. Comme celle de l’instauration de bons pour même recherche a aussi établi un regain de confiance et de satisfaction Dans une autre étude, réalisée en Suisse, nous avons pu montrer que,
l’égalité démocratique qui permettrait à chaque citoyen d’allouer une envers les syndicats et mesuré une forte hausse du taux de syndicalisa­ parmi la population des demandeurs d’asile, ceux qui avaient vécu di­
somme, la même pour tout le monde, au parti de son choix. Je serai tion dans les entreprises observées. L’enjeu est important dans un des rectement des conflits armés avaient des comportements plus violents
d’ailleurs cette semaine à Chicago pour défendre cette idée également pays les plus mal classés au monde pour sa coopération entre salariés et que leurs compatriotes qui y avaient échappé, mais aussi que ce diffé­
dans le domaine du financement des médias. Comme on choisit un employeurs. De telles évaluations d’impact chiffrées auraient sans rentiel disparaissait dans les cantons qui mènent une politique volon­
parti, on pourrait choisir le média que l’on souhaiterait financer.  doute été très utiles avant les réformes El Khomri et Pénicaud.  tariste d’insertion des demandeurs d’asile dans l’emploi. 
propos recueillis par philippe escande propos recueillis par anne rodier propos recueillis par a. r.

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