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Bernard Sichère
2000/1 n° 1 | pages 71 à 87
ISSN 0988-5226
ISBN 291417201X
Article disponible en ligne à l'adresse :
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SARTRE OU BATAILLE :
SUBJECTIVITÉ ET RÉVOLUTION
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confondante qu’elle ne cesse d’opérer au travers d’une multiplicité de
champs sans jamais renoncer soit a l’enquête savante, soit a l’écriture
d’une « expérience intérieure » à la première personne.
Des pensées contemporaines ? La réponse, ici, est moins simple.
Parce qu’il faudrait s’entendre sur ce qui permet de dire qu’un penseur
est « contemporain » de soi-même et de son époque et non pas d’une
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certaine manière « intempestif » au sens de Nietzsche, arrachant l’appa-
rence du présent d’actualité pour le mettre en perspective sur un autre
temps. Et parce qu’il semble, si cette idée d’intempestivité est acquise,
que chacun des deux eut sa manière à lui à la fois de coller à l’époque
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(Les Temps modernes pour l’un, Critique pour l’autre) et de prendre dis-
tance. De sorte que les circonstances les firent en effet se rencontrer plu-
sieurs fois (la réponse de Sartre à Bataille sur la mystique, leur étrange
duo lors de la Discussion sur le péché chez Marcel Moré, la riposte pas-
sionnée de Bataille au Saint-Genet de Sartre1, et cependant ces ren-
contres nous apparaissent à distance comme des rencontres manquées
ou, mieux, comme des rencontres de rêve, comme si chacun d’eux, en
vérité, poursuivait sa propre musique. C’est en dehors de ces rencontres
que je voudrais, dans une lecture croisée, revenir sur la manière dont
l’un et l’autre ont décidé d’aborder la question politique. J’entends par
là exactement la politique comme question, telle qu’elle se présentait
alors pour leur génération comme une question urgente, là où, de toute
évidence, pour nous, aujourd’hui, elle semble ne plus faire question,
effacée au champ médiatique des opinions et de la gestion empirique des
intérêts à court terme (si au moins l’époque actuelle pouvait réentendre
ce que Bataille appelle « économie générale » ! Et non pas la politique en
général comme question, comme si d’ailleurs la politique pouvait jamais
se prononcer en généralité, mais la politique en tant que politique révo-
1. Je me permets de renvoyer au texte que j’ai consacré à cet étrange trio Genet-Sartre-Bataille
sous le titre « Sartre et Genet : une scène » in « Témoins de Sartre », Les Temps modernes, n° 53I-
533, octobre-décembre I990.
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lutionnaire, celle-là même dont le récent effondrement du bloc sovié-
tique a fait conclure, d’une manière évidemment intéressée mais impru-
dente, qu’elle était définitivement périmée. Au point qu’il est possible de
dire que ce siècle ne se termine pas simplement sur l’horreur, sur un cer-
tain nombre de barbaries pesamment installées au cœur du monde, mais
également et peut-être plus profondément sur l’oubli, sur la violente
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décision de ne plus rien vouloir savoir de ce que fut cette aventure révo-
lutionnaire qui aura poussé des millions d’hommes à considérer un
temps leur propre mort comme secondaire. Précisons encore qu’il ne
s’agit pas d’envisager non plus la « politique révolutionnaire » comme
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un tout homogène déjà inscrit dans la réalité et auquel ces deux pensées
auraient eu affaire. Il s’agit plus précisément d’interroger, au cœur de
l’entreprise révolutionnaire, la dimension de la subjectivité, et d’interro-
ger du même coup l’insistance d’une très frappante césure, présente au
cœur de ces deux pensées, entre l’injonction politique et cette autre
injonction subjective que chacun d’eux entendit à sa façon et qui est
celle de l’art et de la littérature.
2. Alain Badiou, « Saisissement, dessaisie, fidélité » in Les Temps modernes, numéro cité.
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apportait de nouvelles exigences de pensée. La seconde de ces raisons
tient à la dimension du temps telle que Sartre décide d’en faire le pivot
d’une doctrine de la liberté si ouvertement opposée à la philosophie de
Heidegger : le temps de l’homme en fin de compte n’est jamais autre
chose que ce qui s’accorde à l’infinité de son projet et de son pouvoir
de rébellion, soit l’éternité même3.
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Cela dit, de quelle manière passe-t-on du « projet », comme struc-
ture a priori du sujet lancé vers son autre4, à la politique ? La publica-
tion posthume des Cahiers pour une morale démontre clairement que
la réponse n’allait pas de soi et que, dans un premier temps, la philo-
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du néant, et le discours de savoir externe que Sartre convoque dès qu’il
est question de dire la politique, à savoir le marxisme, un marxisme lit-
téralement « introuvable » dans les pages de L’Etre et le néant. On
peut même ajouter que ce décalage assez fabuleux sera maintenu tout
au long, jusqu’à la publication au moins en 64, de Critique de la raison
dialectique, seule tentative, au reste en partie avortée, non conclusive,
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de la part de Sartre pour repenser selon ses propres catégories ce que
le marxisme proposait. Quant au second décalage, non moins signifi-
catif, il concerne, dans la période contemporaine de la première
somme philosophique, la littérature. Il est en effet tout à fait frappant
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Cette tension pouvait-elle être soutenue très longtemps sans voir
Sartre trancher dans un sens ou dans l’autre, ou sans le voir taxer d’im-
posture ? Ce dernier mot parait fort, et pourtant c’est lui qui vient en
tête quand nous relisons aujourd’hui la charge très violente qu’en 1955,
dans Les Aventures de la dialectique, Merleau-Ponty, l’ami de longue
date, allait conduire contre la pensée sartrienne, contre la pensée poli-
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tique de Sartre notamment. Le style tendu et presque impitoyable du
texte laisse d’ailleurs deviner qu’il s’agissait également pour Merleau
d’une cassure biographique et d’un règlement de comptes avec soi-
même. Deux motifs dominent de bout en bout l’explication avec
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qu’il n’est personne, ou qu’il est un intellectuel qui s’aveugle lui-même
en même temps qu’il trompe son monde7. Et un intellectuel qui perd à
peu près sur tous les tableaux, puisqu’il a tous les tics dogmatiques des
intellectuels communistes sans avoir en même temps l’assise politique
et la crédibilité que leur confère leur appartenance au Parti. Si bien que
ces leçons qu’il administre à la cantonade et en son nom seul ne sau-
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raient finalement être entendues de personne : « la politique des philo-
sophes, c’est celle que personne ne fait », dira-t-il un peu plus tard avec
un humour froid8. Conclusion terrible, certes, mais peut-être également
féconde par son tranchant, si nous admettons que Merleau s’adressait
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7. Idem, p. 237 : « La sympathie est l’action de ceux qui sont partout et nulle part ».
8. Merleau-Ponty, Signes. Paris, Gallimard, 1960, p. 10.
9. Les Aventures de la dialectique, op cit, p. 279. Le bilan dressé dans Signes en 1950 est sans
appel : « L’appel à un avenir indéfini conserve la doctrine comme manière de penser et point
d’honneur au moment où elle est en difficulté comme manière de vivre […] l’attache marxiste de
la philosophie et de la politique s’est rompue » (p. 13).
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idées est aussi l’histoire de ces guerres passionnées entre les pensées.
Reste qu’on peut lire après coup la Critique de 1960 comme l’effet à
retardement assez évident de ce règlement de comptes philosophique
et politique auquel Sartre était le premier intéressé, et auquel le deuil
allait donner une dimension supplémentaire10. Tout au long, cette
grosse somme traduit au fond la volonté sartrienne d’opérer une syn-
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thèse, difficile sinon impossible, entre deux directions de pensée. La
première est antérieure et l’on voit que Sartre entendait ne pas céder
sur elle : sur la doctrine du sujet comme puissance de néantisation au
service d’une « éternité laïque » qui s’était appelée un temps avenir
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10. Cf. le portrait de Merleau-Ponty in Sartre, Questions IV. Paris, Gallimard, I964.
11. Cette éternité est celle de la totalisation définie par Sartre comme « une tâche infinie » (Cri-
tique de la raison dialectique, I, op cit, p. 733) et pensable uniquement sous la rubrique de l’évé-
nement. Sur ce dernier point, cf. la réappropriation par Sartre de la parole de l’Évangile
appliquée à sa philosophie de l’histoire : « l’événement vient comme un voleur ».
12. C’est tout le sens de ce que Sartre appelle désormais « inertie ». (cf. dans Critique… I, op cit,
p. 200, la définition de la matérialité comme « moteur passif de l’histoire »).
13. Idem, p. 25 : « Le marxisme s’est arrêté ».
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idéal et projet révolutionnaires. La seconde évidence est la nécessité
pour Sartre d’inventer, au-delà de cet existentialisme dont il semble
en partie faire son deuil14, une nouvelle doctrine du sujet qui ne renie
pas les données essentielles de l’ancienne (l’homme comme projet
infini et puissance illimitée de rébellion), mais qui l’articule au
champ matériel et collectif de l’histoire – dès lors que l’« homme his-
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torique » est la référence première, que « le monde est dehors », et
que « c’est l’individu qui est dans la culture et dans le langage15 ». Sur
le premier point, il est possible de demeurer sceptique sur la capacité
réelle de Sartre, avec les catégories qui sont alors les siennes, à rendre
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14. Idem, p. 111 : « À partir du jour où la recherche marxiste prendra la dimension humaine […]
l’existentialisme n’aura plus de raison d’être ».
15. Idem, p. 75.
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personnalisation et d’incarnation d’une puissance collective capables
de donner à un groupe un caractère presque organique. Mais il semble
l’employer également dans un sens plus fondamental, antérieur à
l’institution, et renouer alors à la fois avec son propre anarchisme16 et
avec la pensée rousseauiste de la liberté radicale et de la souveraineté
populaire. Par exemple quand il déclare que « la souveraineté en elle-
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même ne constitue pas un problème et ne réclame aucun fondement »
et que « l’homme est souverain17 ». Par ailleurs l’usage fait par Sartre de
l’idée de fraternité-terreur, associée ou non a la notion de « groupe en
fusion », désigne l’insistance dans sa pensée d’une définition de la sub-
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16. J.-P. Sartre, Situations X. Paris, Gallimard, I976, p. 155 : « Ensuite, j’ai découvert par la phi-
losophie l’être anarchiste qui est en moi ».
17. Critique… I, op cit, p. 588. P 563 : « Par souveraineté, en effet, j’entends le pouvoir pratique
absolu de l’organisme dialectique ». Le tout au fond est de savoir dans quelle mesure on peut
parler d’un « groupe souverain » (cf. p. 628, p. 735). Toutes différences maintenues, Sartre n’a
peut-être jamais été aussi proche des interrogations de Bataille.
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autre18, une politique capable d’articuler autrement le Je du sujet-pro-
jet voué à l’infini de sa réclamation rebelle, le Il du mouvement acé-
phale de l’histoire objectivée, et le Nous de l’insurrection militante (de
ce qu’on eût appelé alors la « classe-sujet » pour l’opposer aux déter-
minations factuelles de l’« être de classe »).
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Que les interrogations de Sartre aient un écho dans les textes de
Bataille est l’évidence : comment aurait-il pu en être autrement dès lors
qu’ils affrontent la même tension historique, les mêmes lignes de frac-
ture, et qu’ils sont tous les deux placés devant la nécessité de repenser à
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18. Il faudrait citer ici toutes les pages de la Critique de la raison dialectique qui concernent l’in-
surrection, le groupe en fusion, le serment et la « fraternité », terme totalement inédit chez
Sartre. Le groupe révolutionnaire est le modèle du « groupe souverain » en ce qu’il condense
sous une forme chimiquement pure la définition sartrienne de la liberté comme rébellion trans-
versale à l’histoire : « le caractère essentiel du groupe en fusion, c’est la brusque résurrection de la
liberté » (op cit, p. 425).
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agissements des individus peuvent être pensés. N’ayant jamais cru à ce
qu’il appellera parfois non sans ironie le « Cogito sartrien », il ne confère
donc jamais, y compris dans L’Expérience intérieure, au « je » le statut
d’un réel insécable et premier. Sa fréquentation de la sociologie ne signi-
fie pas du tout que Bataille adhérerait à l’empirisme ou à l’objectivisme
des sociologues, mais qu’il est juste à ses yeux de partir du jeu premier
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des forces sociales qui incluent le sujet en tant qu’elles sont à la fois de
l’ordre d’un IL (elles précèdent toute conscience et toute décision) et de
l’ordre d’un NOUS possible, dès lors que des hommes peuvent se
concerter pour inaugurer une forme nouvelle de l’être-ensemble. La
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psychologie des foules est donc utile parce qu’elle permet de décrire ces
mouvements irruptifs où le sujet n’est pas libre mais captif (Sartre les
retrouvera dans la Critique), et d’envisager parallèlement tel mode de
contestation singulière par lequel un sujet se séparant de ces formes pas-
sives libère activement sa chance, qu’il s’agisse d’un sujet révolutionnaire
ouvert à la chance d’un sursaut collectif, ou d’un sujet qui communique
par l’écriture la singularité de son « expérience intérieure ».
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est ce dont se modifie radicalement l’expérience de Bataille, et que sa
prise en compte va d’emblée retentir sur sa pensée et du lien social et de
la politique19. Il y a au départ, dans une solitude assez frappante au
regard du champ philosophique de l’époque, une ontologie chez
Bataille qui n’est pas du tout celle de Sartre puisqu’elle présuppose en
somme, comme L’Expérience intérieure va le dire explicitement, que le
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sujet soit un pli de l’être, un pli qui peut le moment venu se déplier
pour s’ouvrir à la continuité risquée d’un être dont la pensée sans doute
lui vient de Nietzsche, mais modifiée en profondeur par sa propre pen-
sée de l’expérience érotique. Cette ouverture est ce que Bataille appelle
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C’est sur cette base, non sur celle de la seule doctrine de la lutte ou
de la guerre des classes, que Bataille va se trouver conduit, jusque dans
les années cinquante, à prendre position en faveur de ce qu’il nomme
communisme, et dont on doit comprendre qu’il signifie pour lui une
possibilité historique sans précédent en regard de ce qu’il nomme égale-
ment « communauté » et « souveraineté ». Le texte qui le dit le mieux,
et qui le déploie le plus loin, est sans doute ce manuscrit resté inédit et
publié à titre posthume, celui de La Souveraineté, rédigé probablement
en 53-54, et qui devait constituer la dernière partie de La Part maudite.
Texte décisif en ce que le mot « communisme » y demeure une référence
indépassable, en ce que pourtant Bataille, comme Sartre six ans plus
tard, y est fort clair sur ce qui lui apparaît, dans l’entreprise soviétique
comme un reniement profond. La souveraineté de Bataille n’est pas
vraiment celle de Sartre, puisqu’elle suppose cette ontologie de l’être-
continuité-dépense sur laquelle il n’est pas question de céder. Elle
rejoint pourtant en partie celle de Sartre dans les analyses historiques
19. Au sens où Lacan a pu dire que « la jouissance est ce dont se modifie l’expérience sadienne »
(Écrits. Paris, Seuil, I966, p. 771).
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qui concernent non la souveraineté « en soi » (qui n’est jamais donnée)
mais les modes effectifs de composition entre existence souveraine et
existence servile, étant entendu que l’une comme l’autre ne sont expéri-
mentables qu’en termes de subjectivation (« s’il est un élément que nous
saisissons du dedans, c’est bien la souveraineté ») : « Dans la souveraineté
traditionnelle un seul homme en principe a le bénéfice du sujet, mais cela
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ne signifie pas seulement que la masse travaille alors qu’il consomme une
grande part des produits de son travail : cela suppose encore que la masse
voit dans le souverain le sujet dont elle est l’objet20 ».
Reste., comme conclusion non conclusive, comme ouverture qui ne
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20. G. Bataille, La souveraineté. Œuvres complètes, t. VIII. Paris, Gallimard, I976, p. 285.
21. Idem, p. 298.
22. Idem, p. 306.
84
tionnaire », il est juste d’en tirer la conséquence que « la volonté souve-
raine du communisme est l’homme, mais c’est l’homme qui, pour mieux
produire, a renoncé à la souveraineté.23 »
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posée en introduction, quel bilan tirer, chez Bataille comme chez
Sartre, de l’écart manifeste mais en partie silencieux entre le registre
politique de la subjectivité révolutionnaire et celui de l’art et de la litté-
rature, de ce que Bataille appelle encore dans les années 50 « l’art sou-
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conduit seulement pour son propre compte, dès lors qu’un écrivain
n’écrit pas pour lui mais pour tous ceux, infinis, qui pourront répondre
à son appel ? Et comment donc penser la relation de cet appel à l’appel
révolutionnaire politique ?
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amers du bilan, de la fête qui s’éloigne et de l’âge qui vient. Dans les
derniers chapitres de La Souveraineté, d’une manière frappante et
elliptique, ce ne sont pas deux termes qui sont convoqués mais trois :
la politique révolutionnaire, le monde de l’art… et la pensée de
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Nietzsche, dont on sait quelle foudre elle fut pour le jeune Bataille
d’Acéphale. Que veut dire en somme, ici, ne pas céder, ni sur le com-
munisme ni sur l’exigence littéraire et artistique ni sur l’appel de
Nietzsche ? D’une part le communisme demeure ce qui a ouvert l’ho-
rizon de la subjectivité nouvelle de sorte que nous pouvons à notre
tour tirer la conséquence que Bataille voulut tirer, même si elle va au
rebours de l’opinion commune : le bilan du siècle ne peut pas être
autre chose que le bilan du communisme, un bilan tiré à la lumière de
son appel, puisque le communisme est « le problème qui se pose, de la
base, à chacun de nous, qu’il l’accueille ou qu’il la refuse : il lui pose une
question de vie ou de mort25 ». Ensuite, le nom de Nietzsche désigne
une position subjective hétérogène à la fois à la servitude philoso-
phique et à la servitude politique, une position qui n’appartient pas au
passé mais qui désigne un possible à venir : « Je suis libre de croire ou
de dire de la pensée de Nietzsche qu’en vérité elle n’importe pas moins,
ou qu’elle importe plus, que le communisme26 ». Enfin l’art demeure
une vérité paradoxale pour notre temps et en fonction de l’histoire
dont il hérite : lesté par les servitudes du passé (des définitions anté-
rieures, limitées, de la souveraineté), il annonce en même temps là où
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la revendication politique a échoué, la possibilité, promise et trahie par
la politique communiste, d’une souveraineté libérée à la fois du jeu
inégalitaire antérieur et du souci politique de l’utilité. Les artistes du
siècle dernier n’ont pas compris que leur vérité était hétérogène au
monde social alors existant : « Qui parle au nom d’un art souverain se
place en dehors d’un domaine réel, sur lequel il n’a pas de prise, contre
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lequel il est sans droits27 ». Mais d’autre part, cet art est annonciateur de
formes inédites de souveraineté supposant la non différence entre les
hommes et la disparition des césures antérieures : « L’art souverain
signifie en effet, de la manière la plus exacte, l’accès à la subjectivité
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