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ÉTUDES
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Dostoïevski ou l’envers du droit
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Peggy LARRIEU
Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles
Aix-Marseille Université – Centre de droit économique d’Aix-Marseille
Résumé
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R.I.E.J., 2015.74 Dostoïevski ou l’envers du droit
5
même titre que Goethe et Shakespeare , dans la mesure où ils explorent
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l’être humain dans sa globalité, aussi bien dans ses méandres
psychologiques qu’à travers la société et l’histoire. Et Dostoïevski est de
ceux-là. En tant qu’écrivain prométhéen, il est capable de percevoir les
profondeurs de l’âme humaine, de penser l’être comme une totalité, un
paradoxe complexe et pétri de contradictions, capable de saisir le clair en
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même temps que l’obscur. Ses héros sont des victimes, des humiliés et des
offensés, susceptibles de devenir en un trait de temps des personnages
démoniaques, forts et orgueilleux, au-dessus de la morale commune. Ils
sont outrés jusqu’à la démesure, s’apparentent à des caricatures, des êtres
irréels, des figures de l’onirique. Leur drame n’est pas un drame possible
6
suivant les lois de la raison . Leur drame n’est concevable qu’en dehors de
ces lois, qu’en nous-mêmes. Leur drame est mythologique au sens où ces
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personnages représentent des archétypes , des symboles des conflits
psychologiques les plus universels.
Dans ces conditions, comment Dostoïevski pourrait-il faire l’objet
d’une lecture juridique, sachant que le droit a pour vocation de réguler les
rapports sociaux entre les individus, et non leur for intérieur ? Pire, comment
Dostoïevski pourrait-il intéresser le juriste, épris de juste mesure et de
rationalité, alors que toute la vie et l’œuvre de l’écrivain russe sont hors
norme ? Car, comme il l’a lui-même indiqué, « je n’ai jamais fait que pousser
à l’extrême, dans ma vie, ce que vous n’osiez pousser vous-mêmes qu’à
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moitié » . Il a parcouru toute la gamme du bien et du mal, en passant des
pires excès aux cimes sublimes du sacrifice. Qu’a-t-il donc de commun avec
l’homo rationalis juridique, lui qui n’a jamais vécu que dans l’amplitude,
l’excès, l’hybris ? Que peut-il nous apprendre sur le droit, et inversement, en
quoi une analyse juridique peut-elle apporter un nouvel éclairage sur son
œuvre ?
Cela étant, pour découvrir l’horizon complet des valeurs symboliques
d’une société, et notamment ses valeurs juridiques, il faut aussi dresser la
carte de ses transgressions, interroger les déviances, repérer les
9
phénomènes de rejet et de refus , et donc cheminer vers les confins. Bref, il
faut saisir l’envers pour comprendre l’en-droit. Dostoïevski, par son
excentricité, sa singularité, sa marginalité par rapport à l’univers ordonné et
stable du droit, peut justement nous éclairer sur le phénomène juridique et
sa rationalité. Il intéresse le juriste précisément parce que son existence et
5
F. OST, Shakespeare, La comédie de la loi, Paris, Michalon, 2012.
6
H. TROYAT, Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski, Paris, Fayard, 1990, p. 220.
7
C.G. JUNG, Les racines de la conscience, Paris, Buchet-Chastel, 1971, p. 21.
8
F. DOSTOÏEVSKI, Mémoires écrits dans un souterrain, Paris, éd. Bossard, 1926, p. 65.
9
M. DETIENNE, Dionysos mis à mort, Paris, Gallimard, 1998, p. 8.
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Peggy Larrieu R.I.E.J., 2015.74
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le bagne, le jeu, les soupçons de pédophilie, etc ... Et puis, il y a l’œuvre.
L’œuvre de Dostoïevski est le témoin fidèle de son destin, centré autour des
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grandes réalités de l’existence humaine : le bien et le mal . Inéluctablement
fasciné par le mal, l’écrivain a besoin de la révolte, de la négation, du doute.
Il a besoin de pousser l’idée du mal jusqu’à l’absurde, pour en révéler toute
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H. TROYAT, Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski, op. cit., supra n. 6.
11
P. EVDOKIMOFF, Dostoïevsky et le problème du mal, op. cit., supra n. 2, p. 20.
12
Encyclopédie Larousse, V. Dostoïevski.
13
J. VAN MEERBEECK, « Dostoïevski, entre loi du désir et désir de la loi », Rev. interdisciplinaire
d’études juridiques, 2004, n° 53, p. 29.
14
W. GOETHE, Faust I et II, Paris, Larousse, 2004, Cabinet d’étude, v. 110.
15
C. CRIGNON, Le mal, Paris, Flammarion, 2000 ; H.C. PUECH, En quête de la gnose, Paris,
Gallimard, 1978.
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R.I.E.J., 2015.74 Dostoïevski ou l’envers du droit
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se trouve empêtré tout au long de son existence . Chaque instant de sa vie,
cette vie traversée de drames et d’aventures, chaque page de son œuvre,
expriment une lutte entre des passions ou des idées contradictoires. En lui,
cohabitent tous les contraires : la transgression et la servitude, l’orgueil et
l’obséquiosité, l’arrogance et l’humiliation, la colère et l’extrême douceur, la
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P. EVDOKIMOFF, Dostoïevsky et le problème du mal, Lyon, Ondes, 1958, p. 20.
17
H. TROYAT, Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski, op. cit., supra n. 6, p. 81.
18
R. GIRARD, Dostoïevski, du double à l’unité, Paris, Plon, 1963, p. 18.
19
C. BAUDELAIRE, Mon corps mis à nu, Journaux intimes, 1887, Paris, éd. Vox, 1945, I, 682.
20
C.G. JUNG, Psychologie et religion, Paris, Buchet-Chastel, 1996, p. 151.
21
HERACLITE, Fragments, Paris, Flammarion, 2004, n° 88.
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Peggy Larrieu R.I.E.J., 2015.74
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juste (1). Mais, à travers cette mise en relation du besoin de transgression et
de l’aspiration au juste, c’est une critique de la rationalité juridique
occidentale dans son ensemble qu’il nous offre (2).
1. Dostoïevski et la transgression
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Dictionnaire Larousse, V° Transgression.
23
M. FOUCAULT, Préface à la transgression, Paris, Lignes, 2012.
24
A. VIALA, Conditions et objet de la transgression : ce que l’étymologie nous enseigne, in La
transgression, (sous la dir. de J.-J. SUEUR), Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 347.
25
F. DOSTOÏEVSKI, L’idiot, Arles, Actes Sud, 1993, p. 85.
5
R.I.E.J., 2015.74 Dostoïevski ou l’envers du droit
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frappé par l’idée du crime en soi, passionnel ou crapuleux, et son attention
est entièrement accaparée par le comportement de ceux qui ont eu l’audace
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de le commettre, de ceux qui sont allés jusqu’à transgresser la loi . En
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réalité, son intérêt pour le crime est plus ancien . Alors que son père,
médecin, est en train de succomber, victime de la révolte de ses paysans,
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Dostoïevski, âgé de dix-huit ans, se révolte contre lui en le maudissant . Et
à l’idée de se sentir soulagé par cette mort dont il se croit le complice, il
éprouve une angoisse extrême et fait tout pour chasser de sa mémoire
l’ignoble souvenir. A partir de là, culpabilité et transgression resteront à
jamais unies dans l’esprit et l’œuvre de l’auteur.
Dans une perspective psychanalytique, Sigmund Freud s’est
intéressé à cette fascination pour le crime, considérant que celle-ci trahissait
la personnalité pathologique de son auteur : « Dostoïevski a d’abord traité
du criminel ordinaire, du criminel par intérêt personnel, puis du criminel
politique et religieux, avant de revenir à la fin de sa vie, au parricide et de
29
nous livrer ainsi, sa confession poétique » . Il est vrai que l’action, les idées
et la psychologie des personnages de ses grands romans, nés de l’immense
expérience que fut pour lui le bagne, s’organisent tous autour d’un crime. Le
premier de ces romans, Crime et châtiment, est tout entier consacré à
l’analyse d’un crime, commis pour s’éprouver, par un intellectuel
30
désœuvré . Ce roman-fleuve, écrit par Dostoïevski en 1866, dépeint le
meurtre prémédité d’une vieille prêteuse à gage par l’ancien étudiant
Raskolnikov et toutes les conséquences émotionnelles, physiques et
31
mentales sur le meurtrier paranoïaque. Dans L’Idiot , c’est la fatalité du
crime passionnel qui pèse comme une ombre dès les premières pages du
livre. Epris de compassion pour Nastassia Filippovna Barachkova, femme
déchue et repentie, le prince Mychkine ne pourra cependant pas empêcher
32 33
son assassinat par son amant, Rogojine . Dans Les Possédés , l’agitation
nihiliste aboutit au crime politique. Une petite ville de province se voit
confrontée au retour de Nicolas Stavroguine, homme fascinant à la beauté
glacée, personnage vide, sans but, ayant rejeté Dieu au profit de la liberté et
de l’inévitable chaos qui l’accompagne, chaos attisé par Piotr Stepanovitch
26
N. GOURFINKEL, Dostoïevski notre contemporain, Paris, Calmann-Lévy, 1961, p. 63 suiv.
27
D. ARBAN, Dostoïevski par lui-même, Paris, éd. du Seuil, 1966, p. 32 ; H. TROYAT, op. cit.,
supra n. 6, p. 12.
28
H. TROYAT, Dostoïevski, op. cit., supra n. 6, p. 12.
29
S. FREUD, Préf. Les Frères Karamazov, Paris, Folio, 1991, p. 23.
30
F. DOSTOÏEVSKI, Crime et châtiment, Paris, Gallimard, 1956.
31
F. DOSTOÏEVSKI, L’idiot, op. cit., supra n. 25.
32
F. DOSTOÏEVSKI, L’idiot, op. cit., supra n. 25. t. II, p. 102.
33
F. DOSTOÏEVSKI, Les possédés, Paris, Les classiques de poche, 1977.
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Peggy Larrieu R.I.E.J., 2015.74
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personnages de ce roman obéissent aux lois propres de l’idée qui s’incarne
en eux. Tous ces personnages sont des possédés.
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Enfin, les Frères Karamazov seront hantés et perdus par la tentation
du parricide. Dans ce dernier roman, l’action est centrée autour du meurtre
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du père, Fiodor Pavlovitch Karamazov. Ses trois fils légitimes (Ivan, Dimitri
et Aliocha) portent tous d’une certaine manière la responsabilité morale d’un
crime qu’ils n’ont rien fait pour empêcher et qu’ils ont même suggéré à celui
qui n’a été que l’instrument du mal commis. Dans cette œuvre qui fut sa
dernière, Dostoïevski choisit de se faire l’avocat du diable et d’écrire une
35
« satanodicée » : le drame relate l’expérience et le scandale du mal. En se
rendant moralement coupables de parricide, les frères Karamazov atteignent
le point culminant de l’abjection. Le meurtre du père incarne évidemment le
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crime impardonnable, fustigé par la loi et la morale . Ethiquement
indéchiffrable, il est au-delà du bien et du mal. Celui qui le commet est un
monstre, un être qui doit être expulsé de l’univers ordonné. Ce crime
épouvantable est humainement inintelligible. Il viole non seulement les lois
des hommes mais aussi les lois de la nature, c’est-à-dire les règles qui
fondent l’ordre du monde.
Ainsi, dans chacun de ses principaux romans, Dostoïevski pose la
question taraudante du mal. En s’abandonnant au crime, ses personnages
sèment le chaos, le trouble, le désordre, et s’opposent au droit, qui est le
garant de l’ordre, de la tempérance et de la mesure. Ils se placent tous en
marge du droit, du côté de la transgression. En raison de cette hybris,
Dostoïevski s’inscrit dans un univers qui apparaît comme radicalement
séparé de celui, stable et ordonné, du droit. Le criminel, tel que l’écrivain
russe nous le présente, est é-norme, à savoir en dehors de la norme. Il est
37
obscène au sens propre du terme , c’est-à-dire qu’il se place hors de la
38
scène juridique . Il est immonde, autrement dit en marge du monde. Il est
abject, jeté en dehors de l’ordre : un exclu, un « objet chu » qui, comme le
présente Julia Kristeva, tire l’être en direction d’un domaine dans lequel tout
39
sens s’effondre . L’abject, l’horrible, le monstrueux, entraînent un retour de
l’être vers le règne de l’indifférencié.
34
F. DOSTOÏEVSKI, Les frères Karamazov, Paris, Folio, 1944.
35
C. CRIGNON, Le mal, op. cit., supra n. 15. p. 115.
36
F. MILLAUD, Le passage à l’acte, Issy-Les-Moulineaux, Elsevier Masson, 2009, p. 123.
37 e
A. ERNOUT et A. MEILLET, Dictionnaire étymologique de la langue latine, 4 éd., Paris,
Klincksieck, 1959, p. 456.
38
F. OST, Sade et la loi, Paris, Odile Jacob, 2005, p. 41.
39
J. KRISTEVA, Pouvoirs de l’horreur, Paris, éd. du Seuil, 1980, p. 25.
7
R.I.E.J., 2015.74 Dostoïevski ou l’envers du droit
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social. Elle lui est même familière. Car lorsqu’il découvre l’abject en lui-
même, il atteint la forme culminante de l’expérience humaine, à savoir
l’abjection de soi. Et, selon Freud, c’est précisément ce sentiment
d’abjection qui est à l’origine de la culture. Freud a fondé la naissance de
l’humanité sur un meurtre, le meurtre du père : « Un jour, les frères chassés
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se sont réunis, ont tué et mangé le père, ce qui a mis fin à l’existence de la
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horde paternelle » . A partir du parricide, est née la loi, issue de la volonté
des fils de se prémunir contre la barbarie, le chaos, en posant une frontière,
une limite. Dès lors, si l’abject s’apparente au chaos, à la barbarie, à
l’indifférencié, le droit, en revanche, apparaît comme le fondateur et le
garant d’un ordre, le garant de la limite et donc de la différenciation. Aussi,
suivant en cela les apports de la psychanalyse, le droit et le sentiment du
juste pourraient bien être issus de l’effroi ressenti face à l’abjection de soi et
à l’expérience du mal, souvent commis, parfois subi.
B. …Vers l’aspiration au juste
Derrière cette fascination pour le crime, se dissimule, en effet, une
passion pour le juste. Comme l’affirmait Héraclite, « seul l’injuste peut savoir
41
ce qu’est l’injustice », et par conséquent le juste . Il existe une dualité
paradoxale, mais fondamentale, de la transgression. D’un côté, elle est
destructrice, animée d’une profonde violence, physique ou symbolique. D’un
autre côté, elle s’avère également créatrice de nouveaux systèmes de
valeurs. Précisément, tout le paradoxe de la transgression, c’est qu’elle est
42 43
hantée par la pureté . Dans sa Préface à la transgression , pour tenter de
qualifier les valeurs ou les bienfaits de la transgression, Michel Foucault use
de la métaphore de l’éclair dans la nuit, ce qui donne à son objet une
résonance profonde du côté du sublime. En d’autres termes, la
transgression s’inscrit dans registre du sublime. De fait, en même temps
qu’il s’intéresse aux prémisses de la transgression, qu’il analyse les
conditions et les étapes du passage à l’acte criminel, Dostoïevski est hanté
par un idéal de pureté, de justice et de sainteté. En cela, il est encore en
marge de l’univers juridique.
Dans chacune de ses œuvres, un renversement s’opère au terme
duquel le plus noir des forfaits est compensé par une juste rétribution et le
44
coupable lui-même tend à l’aveu libérateur . Le mal finit toujours par être
40
S. FREUD, Totem et tabou, Paris, Payot, 2001, p. 163.
41
HERACLITE, Fragments, op. cit., supra n. 21.
42
V. ESTELLON, « Eloge de la transgression », Champ psy, 2005/2, p. 149.
43
M. FOUCAULT, Préface à la transgression, op. cit., supra n. 23, p. 18.
44
B. BREEN, Dostoïevski, Dire la faute, Paris, Michalon, 2004.
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Peggy Larrieu R.I.E.J., 2015.74
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référence, Crime et châtiment , Dostoïevski met en scène un meurtrier qui,
en se rendant coupable d’un crime intellectualisé à outrance, en vient à se
perdre et se sacrifier lui-même pour renaître à nouveau, mais différemment,
racheté par le pardon et l’amour d’une âme simple. De nombreux
monologues intérieurs nous révèlent cette folie due à l’appréhension et la
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F. DOSTOÏEVSKI, Crime et châtiment, op. cit., supra n. 30.
46
F. OST, Le temps du droit, Paris, Odile Jacob, 1999, p. 136.
47
Cité par G. DOLE, « La qualification juridique de l’activité religieuse », Dr. social 1987, n° 4, p.
381.
48
H. TROYAT, op. cit., supra n. 6., p. 36.
49
F. DOSTOÏEVSKI, L’idiot, op. cit., supra n. 25.
50
F. DOSTOÏEVSKI, Les pauvres gens, Paris, Folio, 2005.
9
R.I.E.J., 2015.74 Dostoïevski ou l’envers du droit
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bouffonnerie, qui détruit la dignité et la solennité de son propre théâtre .
Mais, dans ces traits, on voit quelle tendresse, quelle compassion
Dostoïevski éprouve pour le paysan russe.
D’un bout à l’autre de son œuvre, transparaît l’amour qu’il éprouve
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pour le petit peuple russe, le moujik, et plus largement, pour l’homme faible,
accablé, qui a péché et en souffre jusqu’à la déchirure. Cette compassion
pour la souffrance du fragile et du faible, Dostoïevski l’éprouve pour
l’humanité tout entière. C’est la souffrance de Job, confronté au Dieu
52
menaçant de l’Ancien testament . Or, après Job, est-il encore possible
d’affirmer que la souffrance est la juste rétribution d’une faute commise ou le
53
résultat de notre ignorance ? Par rapport au scandale du mal, Dostoïevski
ne cherche ni justification métaphysique, ni rationalisation philosophique. Il
54
se positionne exclusivement dans l’ordre de la compassion . Et c’est
précisément la compassion pour la souffrance d’autrui qui rend caduque
toute réflexion rationnelle sur le mal, selon Ivan Karamazov, et qui permet
au narrateur du Songe d’un homme ridicule de ne pas sombrer dans
l’indifférence et le dégoût de l’existence.
Dans Les frères Karamazov, à travers les propos d’Ivan, ce sont les
idées de Dostoïevski qui s’expriment, ses doutes, sa propre expérience du
mal et de la souffrance, à la lumière desquels il sera capable d’exprimer une
foi dénuée de naïveté. Ivan pose le problème du mal à partir de la
55
souffrance des enfants . Il refuse toute justification métaphysique en termes
de faute précisément parce que la souffrance des enfants est l’obstacle qui
fait échouer toute tentative de justification rationnelle de l’existence du mal.
56
Elle est pour Dostoïevski le symbole même du scandale du mal . Dans Le
rêve d’un homme ridicule, il imagine un homme désabusé et devenu
57
indifférent à la vie, qui décide soudainement de se suicider . Sur le chemin
qui le mène à son appartement, il rencontre une petite fille en détresse qui le
supplie de venir aider sa mère mourante, mais il y renonce et chasse la
petite fille. De retour chez lui, tandis qu’il est prêt à mourir, il est rattrapé par
la culpabilité de ne pas avoir apporté son aide à la petite fille. En cela,
apparaît la fonction curative de la culpabilité, et son rôle dans le processus
51
R. GIRARD, Dostoïevski, du double à l’unité, op. cit., supra n. 18, p. 108.
52
C.G. JUNG, Réponse à Job, Paris, Buchet-Chastel, 1964, p. 23.
53
C. CRIGNON, Le mal, op. cit., supra n. 15, p. 16.
54
Ibidem, p. 113 suiv.
55
F. DOSTOÏEVSKI, Les frères Karamazov, op. cit., supra n. 34, Livre V, La rébellion.
56
C. CRIGNON, Le mal, op. cit., supra n. 15, p. 114.
57
F. DOSTOÏEVSKI, Le rêve d’un homme ridicule, Arles, Actes Sud, 1993.
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Peggy Larrieu R.I.E.J., 2015.74
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de civilisation . Car, la pitié que cet homme ressent, après avoir croisé la
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petite fille dans la rue, en l’amenant à ressentir de la compassion, constitue
la première étape vers la guérison.
Sans doute, la compassion selon Dostoïevski a-t-elle quelque chose
d’excessif. Aussi, on peut se demander si les personnages les plus purs de
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S. FREUD, Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1971 ; R. GORI, Faut-il renoncer à la liberté
pour être heureux ?, Paris, Les Liens qui libèrent, 2013, p. 23 ; T. REIK, Le besoin d’avouer,
Paris, Payot, 1997.
59
R. GIRARD, Dostoïevski, du double à l’unité, op. cit., supra n. 18, p. 88 ; adde R. GIRARD,
Mensonge romantique et vérité romanesque, Paris, Pluriel, 2010, p. 259 suiv.
60
A. GIDE, Dostoïevsky, Paris, Plon, 1923, p. 7.
61
F. DOSTOÏEVSKI, L’éternel mari, Arles, Actes sud, 1997.
62
R. GIRARD, Dostoïevski, du double à l’unité, op. cit., supra n. 18, p. 39.
63
F. DOSTOÏEVSKI, Le rêve d’un homme ridicule, Arles, Actes Sud, 1993.
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R.I.E.J., 2015.74 Dostoïevski ou l’envers du droit
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une même « logique de surabondance » . Cette logique de surabondance
est une logique du trop plein et de l’excès. Tous ses personnages sont
grotesques. Ils sont en marge de l’univers juridique dans lequel règne
l’homme prudent, avisé et mesuré. Par suite, au-delà de la transgression,
qui ne méconnaît nullement l’existence de la règle et de l’interdit,
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64
P. RICOEUR, « Le pardon peut-il guérir ? », Esprit, mars 1995, p. 82.
65
C. THIBIERGE, « Le droit souple, Réflexion sur les textures du droit », RTD civ. 2003, p. 599.
66
P. EVDOKIMOFF, Dostoïevsky et le problème du mal, op. cit., supra n. 2, p. 24.
67
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, Paris, Vrin, 1990, p. 106.
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Peggy Larrieu R.I.E.J., 2015.74
A. De la critique de l’utilitarisme…
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Pour le rationalisme contemporain, le maître-mot est celui de calcul,
exprimant la pesée des intérêts qui sied à l’homo juridicus. A partir du
principe d’utilité, Jérémy Bentham a prôné la supériorité du positivisme sur
68
la loi naturelle . Rationnel et pragmatique, l’utilitarisme a transformé la
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68
J. BENTHAM, Introduction aux principes de la morale et de la législation, 1789, chap. I.
69
A. CAILLE, Critique de la raison utilitaire, Manifeste du Mauss, Paris, éd. La Découverte, 2003,
p. 9 suiv.
70
F. DOSTOÏEVSKI, Mémoires écrits dans un souterrain, op. cit., supra n. 8.
71
F. DOSTOÏEVSKI, L’idiot, op. cit., supra n. 25, p. 253 suiv.
13
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Epantchine, auquel on voudrait la marier ; ni le sombre Rogojine, qui étale
d’un même élan colérique son désir et sa fortune ; ni même le candide
prince Mychkine, qui lui offre généreusement sa main, qu’elle refuse. Un tel
droit au caprice, à la fantaisie, s’écarte radicalement de la morale utilitariste
qui régit le droit occidental.
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Peggy Larrieu R.I.E.J., 2015.74
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l’humanité ne devient proprement humaine qu’au-delà de l’instrumentalité .
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La vie humaine est irréductible aux processus de production et de
81
conservation . Autrement dit pour Bataille, il existe en l’homme un besoin
non finalisé, non intéressé, qui le conduit au sacrifice, à la perte, à la
dépense, qu’elle passe par la destruction ou l’autodestruction. Et cette « part
82
maudite » est réfractaire au principe de réalité . De la même façon, comme
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80
A. CAILLE, Critique de la raison utilitaire, Manifeste du Mauss, Paris, éd. La Découverte, 2003,
p. 11.
81
S. FREUD, Au-delà du principe de plaisir, Paris, PUF, 2010.
82
G. BATAILLE, La mutilation sacrificielle et l’oreille coupée de Van Gogh, Paris, Allia, 2006, p.
19.
83
F. DOSTOÏEVSKI, Mémoires écrits dans un souterrain, op. cit., supra n. 8, p. 69.
84
F. DOSTOÏEVSKI, Les frères Karamazov, op. cit., supra n. 34.
85
G. BATAILLE, Théorie de la religion, Paris, Gallimard, 1973, p. 56.
86
Ibidem, p. 58.
87
R. GIRARD, Dostoïevski, du double à l’unité, op. cit., supra n. 18, p. 48.
15
R.I.E.J., 2015.74 Dostoïevski ou l’envers du droit
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Dans son essai sur La souveraineté, Georges Bataille ambitionne de
libérer l’homme de ses servitudes, de l’asservissante attente des fins et de
la réalisation de leurs promesses. Et, on l’a vu, cette libération passe par la
perte, le sacrifice. Car, comme il l’a écrit, « Personne n’est un instant
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souverain qui ne (se) perde » . De la même façon, pour Nietzsche, « il est
des pertes qui confèrent à l’âme une sublimité où elle s’abstient de se
89
lamenter et s’en va en silence, comme sous de hauts cyprès noirs » .
Quant aux psychanalystes, ils estiment aussi que le sujet se constitue par la
90
perte de l’objet . Précisément, dans Crime et châtiment, Dostoïevski met en
scène un meurtrier qui, après avoir commis un crime gratuit, purement
intellectuel, finit par se rendre à la police, alors qu’elle n’a aucune preuve
contre lui…Un meurtrier qui, après avoir commis un acte gratuit, finit par se
91
sacrifier, ce qui va lui permettre de redevenir humain . Et il est vrai qu’à la
lecture de ses œuvres, et en revenant sur son existence, on s’aperçoit que
le sacrifice est un fil conducteur, une constante de sa pensée. Une telle
option est radicalement étrangère à la rationalité juridique qui repose sur le
modèle économique du choix rationnel.
En s’évadant du monde des causes et des finalités, du monde de
l’utilitarisme, du monde des déterminismes, l’être humain manifeste son
libre-arbitre. Si l’on se réfère à la classification brahmanique des buts de
92
l’homme, l’action humaine peut poursuivre quatre objectifs : le premier est
le plaisir (kama), notamment sexuel. Le second est l’intérêt (artha), lequel
est subdivisible en intérêts économiques, intérêts de pouvoir et intérêts de
prestige. Le troisième est l’observation du devoir (dharma), qui incombe à
chacun en fonction de la place qu’il occupe au sein de la société. Le
quatrième but est la libération (moksa), c’est-à-dire la libération de
l’obligation d’avoir des buts. Autrement dit, si la première série d’objectifs est
régie par le principe de plaisir, la seconde par le principe de réalité, la
troisième par la distinction du bien et du mal, la quatrième est régie par le
besoin de liberté. Dès lors, la liberté consiste à se libérer de tous les autres
buts et de toutes les finalités. En cela, on se rapproche de la conception de
Schopenhauer, pour lequel la liberté ne s’exerce qu’à l’encontre de la
93
volonté et donc de la nécessité de poursuivre des objectifs.
88
G. BATAILLE, La souveraineté, Paris, Lignes, 2012, p. 5.
89
F. NIETZSCHE, Aurore, Paris, Robert Laffont, 1993, n° 570.
90
J.-R. FREYMANN, Eloge de la perte, Perte d’objets, formation du sujet, Préf. R. GORI, Paris,
Erès, 2006, p. 26.
91
F. DOSTOÏEVSKI, Crime et châtiment, op. cit., supra n. 30.
92
A. CAILLE, Critique de la raison utilitaire, op. cit., supra n. 69, p. 93.
93
A. SCHOPENHAUER, Le monde comme volonté et comme représentation, Paris, PUF, 2004.
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Peggy Larrieu R.I.E.J., 2015.74
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monde du sacré, permet de sauvegarder la possibilité du libre-arbitre . Et,
c’est précisément par cette irréductibilité au monde réel, profane, que la
perte, en tant que sacrifice, permet au sujet d’accéder à la liberté. La liberté
est liée à l’acte gratuit, comme en atteste la traduction du terme anglais :
« free », qui signifie liberté mais aussi gratuité. Aussi, pour Dostoïevski,
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seuls les actes gratuits, les vains sacrifices et les œuvres improductives
réservent une marge de satisfaction en ce monde. « Le caprice le plus
absurde est préférable à tout au monde …car il nous conserve l’essentiel et
le plus cher, c’est-à-dire notre personnalité, notre individualité …et notre
95
liberté » . Il est méritoire d’introduire ici-bas un reflet des splendeurs divines
en initiant un geste inutile, vain et absurde, mais qui tire sa force de ce qu’il
n’a d’autre justification que lui-même, que la nécessité d’obéir au besoin
créateur, indépendamment de toute finalité et uniquement pour la « grâce »
du mouvement. Car, « la chose importante de la vie c’est sa découverte
perpétuelle et continue et non pas un résultat acquis une fois pour
96
toutes » .
Tout particulièrement, dans la pensée de l’écrivain, c’est le mal qui est
97
le moyen pour l’homme d’accéder à la liberté . « Le criminologue se tait
devant ce mystère qu’éclaire Dostoïevski : le libre-arbitre tranchant le nœud
98
des fatalités » . En s’abandonnant au crime, les hommes souterrains se
placent en marge de l’univers juridique, dans lequel règnent l’ordre, la
tempérance et la mesure. Par la transgression de l’interdit, le rejet de la
limite juridique, la perpétration du crime abject, ils effectuent un retour vers
99
le monde de l’indifférencié, et donc vers le monde de l’indéterminé . Alors,
est-ce à dire que par la transgression de l’interdit juridique, ils cherchent à
échapper à l’emprise de leurs déterminismes ? Sans doute… Car, l’homme
100
est terriblement attaché à son libre-arbitre …Il est vrai que de nos jours, la
101
philosophie déterministe , selon laquelle la volonté libre est une illusion,
94
Cf. le discours de Kirilov, pour qui l’accomplissement ultime de la liberté est le suicide, F.
DOSTOÏEVSKI, Les possédés, Paris, Les classiques de poche, 1977, p. 514.
95
F. DOSTOÏEVSKI, Mémoires écrits dans un souterrain, op. cit., supra n. 8, p. 57-58.
96
F. DOSTOÏEVSKI, L’idiot, op. cit., supra n. 25.
97
S. GUTWIRTH, « Une petite réflexion sur l’importance de la flibusterie épistémologique des
littéraires, Dostoïevski, la criminologie, les sciences, le droit et la littérature », in Lettres et lois:
le droit au miroir de la littérature, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 2001, p. 305.
98
J.-M. VARRAUT, « Dostoïevski et le crime », Les cahiers de la nuit surveillée, Dostoïevski,
Paris, Verdier, 1983, p. 82.
99
J. KRISTEVA, Pouvoirs de l’horreur, Paris, éd. du Seuil, 1980 ; F. OST, Sade et la loi, op. cit.,
supra n. 38, p. 41.
100
F. DOSTOÏEVSKI, Mémoires écrits dans un souterrain, op. cit., supra n. 8.
101
B. SPINOZA, Ethique, Paris, Gallimard, 1954, p. 418 : « Un homme ivre aussi croit dire
d’après un libre décret de l’esprit ce que, revenu à son état normal, il voudrait avoir tu ».
17
R.I.E.J., 2015.74 Dostoïevski ou l’envers du droit
102
semble trouver une caution dans les avancées des neurosciences . La
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psychanalyse elle-même s’est initialement inscrite dans une perspective
déterministe. Un déterminisme strict est, par exemple, pleinement assumé
103
par Freud , avec l’importance accordée à l’instance psychique qu’est
104
l’inconscient, et son influence sur nos états mentaux conscients .
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102
G.-M. EDELMAN, Biologie de la conscience, Paris, Odile Jacob, 2008 ; G. EDELMAN et G.
TONONI, Comment la matière devient conscience, Paris, Odile Jacob, 2000 ; J.-P. CHANGEUX,
L’Homme neuronal, Paris, Fayard, 1985 ; Du vrai, du beau, du bien, Une nouvelle approche
neuronale, Paris, Odile Jacob, 2010.
103
S. FREUD, Psychopathologie de la vie quotidienne, Paris, Payot, 2001, p. 301 suiv.
104
F. ANSERMET et P. MAGISTRETTI, « Quel inconscient ? », in Neurosciences et psychanalyse,
Paris, Odile Jacob, 2010, p. 195.
105
Comp. R. GIRARD, Mensonge romantique et vérité romanesque, Paris, Fayard Pluriel, 2011,
p. 280.
106
R. CHAR, Dans l’atelier du poète, Paris, Gallimard, 1996, p. 469.
107
M. ELTCHANINOFF, « Coupable devant tous et pour tout, Justice et culpabilité chez
Dostoïevski », Etudes, 2011, p. 77.
108
F. DOSTOÏEVSKI, Le rêve d’un homme ridicule, op. cit., supra n. 1.
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des sociétés occidentales, et qu’elle a progressivement évacué en les
ridiculisant toutes les valeurs spirituelles, la lecture de Dostoïevski mérite
toute notre attention. A une époque comme la nôtre, où les mythes, fictions,
et autres métarécits sont déconsidérés, assimilés à une pensée
préscientifique, il faut bien admettre que ce sont peut-être ces métarécits qui
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donnent du sens , et qui fondent la valeur instituante du droit .
Pour l’écrivain, seule la pensée tragique peut mener à la libération. De
la même façon, selon Emile Cioran, il n’existe que deux attitudes
111
fondamentales envers la vie : la naïve et l’héroïque . La première,
essentiellement optimiste, manifeste une adaptation au réel. Elle exprime le
point de vue occidental. La vie est dépouillée de tout sens tragique. Le seul
désespoir qui est reconnu est celui qui succède à un espoir excessif de
connaître la réussite. La seconde attitude est désespérée, tragique. Elle est
celle des Russes, orientaux en cela, qui sont résignés à l’idée que le monde
et la condition humaine ne sont pas parfaits par essence. L’homme est
prisonnier et victime de ses contradictions internes, de ses déchirements.
Déchirements qui, inévitablement, inéluctablement, le conduisent vers
l’échec. Dans ce combat avec lui-même, l’homme ne peut que se perdre.
Quelle que soit l’issue du conflit, il est fatalement destiné à s’autodétruire.
Cette lutte sans merci qu’il se livre est tragique. Ceci est lié à une attitude
envers la vie, propre aux russes, qui est la conséquence de leur
positionnement géographique écartelé entre l’Orient et l’Occident. Il existe
dans cette culture slave un profond courant de pessimisme naturel : la partie
est considérée comme perdue d’avance. Tôt ou tard, l’individu est voué à
l’échec car, même s’il parvient à franchir les nombreux obstacles semés sur
sa route, il sera finalement vaincu par la vieillesse, la maladie et la mort.
Qu’importe ! L’échec est esthétique parce qu’il est dramatique, tragique,
grandiose. Les Russes sont fascinés par les situations extrêmes. Leur
appréciation de la beauté est liée au malheur humain. Ils y découvrent une
qualité pathétique et par là même, esthétique. C’est cette posture tragique
qui prévaut dans tous les romans de Dostoïevski. Aucun de ses
personnages ne reculera devant son destin, devant l’inévitable. Ni
Raskolnikov, ni Rogojine ne se déroberont devant le crime. Dimitri
Karamazov ne cherchera à aucun moment à esquiver la condamnation pour
parricide. Quant à Kirilov, il accomplira son suicide métaphysique malgré sa
volonté inconsciente de vivre.
109
R. GORI, De quoi la psychanalyse est-elle le nom ?, Démocratie et subjectivité, Paris,
Denoël, 2010.
110
F. OST, Le temps du droit, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 180 suiv.
111
E.-M. CIORAN, Sur les cimes du désespoir, Paris, L’Herne, 1990, p. 53.
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R.I.E.J., 2015.74 Dostoïevski ou l’envers du droit
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souterrains ont affirmé leur indépendance et leur liberté totale en
transgressant l’ordre établi pour accéder à des régions supérieures. Certes,
aucun d’entre eux n’a atteint son but. Ils ont tous fini par se suicider, par être
assassinés, ou encore exilés en Sibérie pour expier et se repentir de leurs
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forfaits . L’aventure du héros de Dostoïevski a toujours le même sens : elle
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S. GUTWIRTH, « Une petite réflexion sur l’importance de la flibusterie épistémologique des
littéraires, Dostoïevski, la criminologie, les sciences, le droit et la littérature », op. cit., supra n.
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