Historia 2019 03

MARS 2019 - N°867 - ALL 7,20 € - BEL 6,70 € - ESP 6,70 € - GR 6,70 € - ITA 6,70 € / LUX 6,70 € - PORT/CONT
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Anciens numéros : Sophia Publications, BP 65,

24, chemin Latéral, 45390 Puiseaux. Tél. : 02 38 33 42 89. LE RETOUR
Président-directeur général et directeur de la publication :
Claude Perdriel.
Directeur général : Philippe Menat.
Directeur éditorial : Maurice Szafran.
DE L’ENFANT ROI
Directeur éditorial adjoint : Guillaume Malaurie.
P
Directeur délégué : Jean-Claude Rossignol.
RÉDACTION haraon superstar. Toutânkhamon, voilà un nom universel-

Rédacteur en chef : Éric Pincas (19 39). lement connu. La découverte de son tombeau dans la Val-
Rédacteur en chef adjoint chargé des Spéciaux :
Victor Battaggion (19 40). Assistante : Florence Jaccot (19 23). lée des Rois, par Howard Carter, le 4 novembre 1922, l’opu-
Secrétaires de rédaction : Alexis Charniguet (19 46) ; lence de son trésor et la fameuse malédiction qui l’entoura
Xavier Donzelli (19 45) ; Jean-Pierre Serieys (19 47).
Directeur artistique : Stéphane Ravaux (19 44).
contribuèrent à sa célébrité. Un phénomène ! Pourtant,
Rédacteur graphiste : Nicolas Cox (19 43). au-delà d’un cercle d’initiés à même de décrypter sa geste
Rédacteurs photo : Ghislaine Bras (19 42),
Anne-Laure Schneider (19 07), Raphaëlle Normand (stagiaire).
politique, militaire et religieuse, celle-ci demeure assez opaque pour la
Conception graphique : Dominique Pasquet. plupart d’entre nous. Normal, quand on sait que ses successeurs voyaient
Comité éditorial : Olivier Coquard, Patrice Gélinet,
Catherine Salles, Thierry Sarmant, Laurent Vissière.
en lui, comme en son père, Akhenaton, un « hérétique » qu’il fallait à tout
La rédaction est responsable des titres, intertitres, prix effacer des tablettes de l’Histoire. À voir la postérité du personnage,
textes de présentation, illustrations et légendes.
Responsable administratif et financier : Nathalie Tréhin (19 16) ;
ses ennemis royaux doivent s’étouffer avec leurs bandelettes !
comptabilité : Teddy Merle (19 18). Car, en ce printemps 2019, Toutânkhamon va de nouveau attirer la lumière,
Directeur des ventes et promotion :
Valéry-Sébastien Sourieau (19 11) ;
plus précisément son trésor, lequel revient en France pour la première fois
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Tél : 01 43 62 08 07 - Fax : 01 72 71 84 51. qui accompagnèrent ce souverain de la
Responsable marketing direct : Linda Pain (19 14).
Responsable de la gestion des abonnements : Isabelle Parez (19 12). XVIIIe dynastie dans son ultime voyage. LES ENNEMIS DE
Communication : Marianne Boulat (06 30 37 35 64). Reste à savoir si la frénésie sera la même TOUTÂNKHAMON ONT
Fabrication : Christophe Perrusson.
Activités numériques : Bertrand Clare (19 08). qu’en 1967 : 1,2 million de personnes
s’étaient alors précipitées au Petit Palais TENTÉ DE LE RAYER
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Mediaobs – 44, rue Notre-Dame-des-Victoires, 75002 Paris. – un record. Le général de Gaulle en per- DE L’HISTOIRE : PEINE
Fax : 01 44 88 97 79. sonne s’était alors exclamé le 9 mai : « Tout PERDUE, IL N’A JAMAIS
Directeur général : Corinne Rougé (01 44 88 93 70,
crouge@mediaobs.com). cela est incroyable, prodigieux ! »
Directeur commercial : Christian Stéfani (01 44 88 93 79, La magie devrait être une nouvelle fois au ÉTÉ AUSSI CÉLÈBRE !
cstefani@mediaobs.com).
Publicité littéraire : Pauline Duval (01 70 37 39 75, rendez-vous, car la fascination pour
pduval@mediaobs.com). www.mediaobs.com l’Égypte reste toujours vive en France. Pour preuve, comme l’observe
Impression : Elcograf Spa (Vérone - Italie)
Imprimé en Italie/Printed in Italy. Dépôt légal : mars 2019. Dominique Farout, conseiller scientifique de l’exposition, les étudiants se
© Sophia Publications. Commission paritaire : n° 0321 K 80413. remettent à remplir les amphithéâtres d’égyptologie après un sérieux trou
ISSN : 1270-0835. Historia est édité par la société Sophia Publications.
Ce numéro contient un encart abonnement Historia sur les exemplaires d’air consécutif aux révolutions du « printemps arabe » et au contexte
kiosque France, un encart abonnement Edigroup sur les exemplaires terroriste. À l’occasion de cette exposition événement, nous vous propo-
kiosque Suisse et Belgique, un encart Comptoir Numismatique sur les
exemplaires Abonnés, un encart Télé 7 Jours sur les exemplaires Abonnés.
sons un dossier complet pour faire le point sur les dernières recherches
historiques et scientifiques éclairant la vie et la mort de Toutânkhamon.
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Ainsi qu’un portfolio présentant les objets parmi les plus incontournables
de son trésor et leur signification. Pour, enfin, mieux faire connaissance
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3 - Historia n° 867 / Mars 2019

après Les Pilier s de la Terre
LE MONDE
D’AVANT BRÛLE,
LE MONDE
DE DEMAIN
VA NAÎTRE
DE SES CENDRES.
DISPONIBLE AU FORMAT POCHE

SOMMAIRE N° 867 / Mars 2019
8
MÉMENTO
MaRy Evans/RUE DEs aRchivEs
8 Le choix de la rédaction.
17 La chronique d’Emmanuel de Waresquiel
18
DOSSIER
TOUTÂNKHAMON, CET INCONNU
Focus sur le court règne du souverain égyptien,
dont le fabuleux trésor sera exposé à la Grande Halle
de la Villette (Paris, 19e) à partir du 23 mars.
Marc Gabolde
24 Entretien avec Dominique Farout
25 Suivez le guide dans la mystérieuse KV 62
Aude Gros de Beler
26 Quotidiens ou divins, des trésors uniques
Aude Gros de Beler
34 Le plus mystérieux des souverains
Marc Gabolde
40 Un être divin, d’une santé bien précaire
Bénédicte Lhoyer
42 Des conseillers qui lui veulent du bien
18
Renaud Pietri
FRancois GUEnET/DivERGEncE
CONTRIBUTEURS
DR
DR
DR
DR
MARC GABOLDE Égyptologue AUDE GROS DE BELER Égyptologue, BÉNÉDICTE LHOYER RENAUD PIETRI
spécialiste de la XVIIIe dynastie, il est elle est chargée de cours à la faculté Docteur en égyptologie à l’École Docteur en égyptologie, il est chargé
maître de conférences à l’université Vauban (Nîmes) et éditrice à Actes du Louvre, elle enseigne l’art de cours à l’École du Louvre.
Paul-Valéry - Montpellier. On lui doit Sud. Elle a notamment signé, égyptien et la méthodologie générale
un ouvrage de référence sur avec Jean-Claude Golvin, L’Égypte à l’Institut catholique.
Toutânkhamon (Pygmalion, 2015). retrouvée (Errance, 2005).

SOMMAIRE N° 867 / Mars 2019
46
RÉCITS
46 LES SABOTIERS SE FÂCHENT
Franck Ferrand
52 POUR ELLES, L’HABIT NE FAIT PLUS LE MOINE…
Virginie Girod
58 PIERRE LOTI, UN ASPIRANT ÉCRIVAIN
AU PAYS DES MOAIS
Xavier Donzelli
64 L’ALBUM DE L’HISTOIRE
Geronimo : de l’irréductible Apache à la bête de foire
72
CULTURE
72 EXPOS
Joëlle Chevé
46
76 L’ORIENT DE THÉODORE CHASSÉRIAU
cHrISTIAN KEmPF/rmN-GP
Élisabeth Couturier
78 ÉCRANS
Séries, sorties ciné, scène, jeux de rôle…
sans oublier les rendez-vous radio à podcaster.
82 LIVRES
90
La sélection polar, essai, BD et jeunesse.
90 VOYAGE
Les missions espagnoles de Californie
Gérard de Cortanze
94 GASTRONOMIE
64
cArOLm.HIGHSmITH/BuyENLArGE/GETTyImAGES
Un haricot de mouton sans haricots

LIBrAIry OF cONGrESS
Patrick Rambourg
96 MOTS CROISÉS
98 La chronique de Guillaume Malaurie
CONTRIBUTEURS
WITI dE TErA/OPALE/LEEmAGE/EdITIONS ALBIN mIcHEL
jErômE vErdIEr
dAvy AucLErT
BALTEL/SIPA
FRANK FERRAND VIRGINIE GIROD XAVIER DONZELLI GÉRARD DE CORTANZE Écrivain,

Historien et homme de radio, Biographe d’Agrippine la Jeune Secrétaire de rédaction à Historia, il auteur de quelque 80 livres traduits
auteur d’une quinzaine d’essais et spécialiste de l’Antiquité, elle nous fait partager son goût du voyage en 25 langues, il vient de publier
et romans historiques, il publie a notamment publié Les Femmes et de l’île de Pâques. Femme qui court (Albin Michel) sur
ce mois-ci Franck Ferrand raconte et le Sexe dans la Rome antique « la scandaleuse » Violette Morris.
(Perrin-Historia). (Tallandier, rééd. « Texto », 2017).

Mémento RUBRIQUE COORDONNÉE PAR VÉRONIQUE DUMAS
RIC
La Commune à la rescousse
Entre le référendum d’initiative citoyenne (RIC), le mandat impératif et la révocabilité
des élus, les Gilets jaunes puisent leurs idées dans la révolte parisienne de 1871.
BRÛLANT. Manifestation
sur les Champs-Élysées
le 24 novembre 2018, et le
Palais-Royal incendié par les
communards, le 24 mai 1871.
maRy Evans/RuE DEs aRChIvEs

KaRIm DahER/hans LuCas
M
ais d’où les Gilets teurs sans pouvoir l’inflé- son programme en fonc- fort ; il ne l’est que durant
jaunes tirent-ils chir ou le modifier. Sous tion d’une situation mou- l’élection des membres du
leur proposition peine d’être destitués. vante et évolutive. La Parlement ; sitôt qu’ils sont
de contrôle permanent des Le 18 mars 1871, la Garde sanction ou l’approbation élus, il est l’esclave, il n’est
élus, de leur révocabilité à nationale résume l’esprit du corps électoral se vérifie rien. » Dans l’esprit rous-
tout instant et du recours de cette règle avant l’élec- à la fin du mandat, lors de seauiste, la corruption
au référendum d’initiative tion des représentants pari- la réélection. guette toujours les repré-
citoyenne (RIC) ? siens : « Les membres de sentants du peuple. Et la
Il n’y a qu’un seul précé- l’assemblée municipale,
Effervescence différence d’opinion entre
dent dans toute l’histoire sans cesse contrôlés, sur- révolutionnaire élus est un facteur de divi-
de France. Un seul : la Com- veillés, discutés par l’opi- Les communards peuvent sion de l’unité de la souve-
mune de Paris, qui, au nion, sont révocables, convoquer Jean-Jacques raineté populaire.
cours de sa brève existence comptables et respon- Rousseau pour justifier Au-delà des débats philoso-
(du 18 mars au 7 mai 1871), sables. » Autrement dit, le leur refus du mandat repré- phiques, « c’est toujours
introduit le « mandat impé- « mandat impératif » s’op- sentatif : « Le peuple anglais dans les périodes de mou-
ratif », lequel contraint les pose au « mandat de repré- pense être libre, écrivait vements sociaux d’impor-
élus à respecter à la lettre sentation », lequel donne l’écrivain dans Du contrat tance et d’effervescence
le programme des élec- liberté à l’élu d’interpréter social (1762), il se trompe révolutionnaire que resur-

Messagerie Félicitations à notre chroniqueur Emmanuel de Waresquiel, spécialiste de l’Empire et de la Restauration,
biographe de Fouché et de Talleyrand, qui a reçu en janvier le prix des Deux-Magots pour son livre Le Temps
de s’en apercevoir (L’Iconoclaste), où l’on retrouve un certain nombre de ses billets parus dans notre magazine. X. D.
gissent les revendications aucune de nos républiques. LA CHRONIQUE DE

de démocratie directe, poli-
tique, économique et
Ce sont donc les dix com-
missions qui, après consul-
NOTA BENE
sociale, de mandat impéra- tation des organisations Retrouvez chaque mois dans nos colonnes
tif, de contrôle et de révo- syndicales et populaires, le billet de Benjamin Brillaud, vidéaste n° 1
cabilité permanente des font adopter par le conseil des chaînes d’histoire sur le Web,
mandatés », insiste Pierre- les différents décrets. À ainsi que sa vidéo sur www.historia.fr
D.R.
Henri Zaidman, qui a beau- charge pour les élus de ne
coup écrit sur le sujet.
En 1789, le mandat impé-
jamais déroger à ces déci-
sions préétablies. Mieux : la
LA RÉVOLTE DES CIPAYES
A
ratif est ainsi invoqué en Commune de Paris imagine u début du XVIIe siècle, la Compagnie
toutes lettres dans le cahier de confier les postes clés britannique des Indes orientales se
de doléances du tiers état de l’administration à des lance à la conquête de l’Inde en
du Poitou : « Il est essentiel citoyens élus par le peuple, établissant des comptoirs commerciaux à travers
que la province restreigne à donc responsables devant tout le pays. Cette entreprise possède deux
certains égards les pouvoirs lui, et révocables par lui. atouts de poids pour se développer dans la
de ses députés et qu’elle les région : le soutien de la reine Élisabeth Ire et une
mette par là dans l’heureuse
Le vote des élus armée lui servant de lance contre l’autochtone
impuissance de compro- verrouillé récalcitrant. Deux siècles plus tard, l’Inde est
mettre les droits de la Pour séduisant qu’il puisse pour une bonne partie sous la coupe de la
nation. » En 1793, le pré- paraître en période de crise compagnie, et 80 % de ses forces sont alors
sident de la Convention et de la représentation, le composées de troupes hindoues et musulmanes.
membre du premier Comité mandat impératif intégral Au milieu du XIXe siècle, ceux que l’on appelle
de salut public Jérôme peut se révéler cependant les cipayes protestent contre leur hiérarchie. En
Pétion de Villeneuve (1756- fort pervers. Il a ainsi per- cause, tout un tas de facteurs complexes, comme
1794) introduit l’idée du mis aux partis uniques de des réformes de leur statut, la suppression de la
référendum pour que « la l’Europe de l’après-guerre retraite ou l’obligation d’aller faire la guerre sur
sanction des lois puisse être de verrouiller toute liberté des territoires d’outre-mer, mais aussi la crainte
confiée au peuple ». de vote des élus. Ce fut le d’une conversion massive au christianisme – et
Ce qui est sûr, c’est que le cas en Union soviétique ou l’utilisation de graisse de porc (haram pour les
mouvement ouvrier pari- en Bulgarie. Et c’est tou- musulmans) et de bœuf (animal sacré pour les
sien, qui nourrit le senti- jours le cas en Corée du hindous) pour lubrifier les cartouches de leurs
ment d’avoir été trahi tant Nord, au Vietnam, en Chine armes, contenu dans des sachets qu’ils doivent
de fois par les élites bour- ainsi qu’à Cuba. Pour arracher avec les dents. En 1857, ces
geoises, tant en 1830 qu’en mémoire, l’article 27 de la protestations dégénèrent en révolte des cipayes.
1848, utilise en 1871 l’arme Constitution de la Ve Répu- Si ces derniers ne remportent pas la
du mandat impératif pour blique (1958) prohibe nom- victoire, la Couronne profite de
faire passer sans coup férir mément le mandat l’occasion pour bousculer la Compagnie
une législation sociale impératif : « Tout mandat et reprendre le contrôle de la région. Le
ambitieuse. D’autant plus impératif est nul. Le droit de début de la fin pour cette institution, qui
facilement que, dans l’as- vote des membres du Parle- sera dissoute moins de vingt ans plus
semblée du conseil de la ment est personnel. » Un tard, en 1874. Un paradoxe quand on sait
Commune de Paris, un argument de plus, aux yeux que c’est cette même armée composée
tiers des membres sont des des Gilets jaunes, pour pas- de cipayes qui avait permis à la
ouvriers. Soit un pourcen- ser à la VIe République ? Compagnie de s’implanter en Inde !
tage jamais atteint dans GUILLAUME MALAURIE

Mémento
Messagerie 15 mars – séminaire « Histoire et mode » : séance sur « La valeur culturelle de la mode parisienne, 1868-1947 »,
centre Mahler, Paris I (https ://calenda.org/522975) • Séminaire « La cérémonie publique dans la France contemporaine », séance
sur « Voyages en régions [et] à l’étranger : les rituels du chef de l’État », Maison de la recherche, Paris IV. OLIVIER COQUARD
TEMPS UNIVERSEL
Cent ans de pendules à l’heure

La Commission européenne doit statuer ce mois-ci sur l’abolition du changement d’heure
saisonnier dans l’Union. La fin d’un siècle d’une pratique controversée ?
A
vant d’avancer ou de LA QUERELLE
reculer sa montre, il DES MÉRIDIENS
a fallu déjà définir 1634 Louis XIII choisit l’île
une heure unique sur tout de Fer (aux Canaries) comme
l’Hexagone. Au XIXe siècle, méridien zéro.
les villes de province 1792 Le méridien de Paris
affichent une heure diffé- remplace celui de l’île de Fer.
rente de celle de Paris. 1851 Les Anglais placent le
L’extension du chemin de méridien zéro à Greenwich.
fer va rendre nécessaire 1884 Adoption de Greenwich
l’unification. En 1891, une comme référent universel.
loi fixe l’heure légale, qui
s’accompagne d’une har- la fin du changement sai-
monisation sur tout le sonnier. Mais si le passage
continent – signe d’un essor à l’heure d’été est sup-
des échanges internatio- primé, le retour à l’heure
naux. En pleine Entente de Greenwich est aban-
cordiale, la France se cale donné. Résultat, la France
alors sur le méridien de reste sur le méridien de
Greenwich, et l’heure offi- Berlin (GMT + 1)… Le
cielle est retardée de 9 min changement d’heure sai-
MUsée CarnavaLet/roger-vioLLet
et 21 s par rapport à celle sonnier fait sa réapparition

du méridien de Paris. en 1976 avec le premier
La Grande Guerre et ses choc pétrolier pour écono-
restrictions amènent l’An- miser l’énergie – comme en
gleterre et l’Allemagne à 1917. Critiqué pour ses
HORODATÉ Affiche de 1916, signée du ministre de l’Intérieur Louis Malvy,
instaurer le passage à annonçant le passage à l’heure d’été. • Musée Carnavalet, Paris. changements de rythme
l’heure d’été. Objectif : éco- biologique, sans grand
nomiser charbon et pétrole Avec la défaite de 1940, la cependant face à un casse- effet sur le plan énergé-
grâce à une heure d’enso- zone occupée est soumise tête, avec la zone libre res- tique, le changement sai-
leillement supplémentaire. aux exigences du Reich. tée à l’heure française. sonnier vit ses dernières
La France leur emboîte le C’est « l’heure allemande », Vichy, finalement, par une heures. Son abolition, pré-
pas en 1917, avant d’en qui est celle de l’Europe loi en 1941, s’aligne sur vue ce printemps, pourrait
fixer les conditions en centrale (une heure de plus l’heure allemande. À la cependant être ajournée
1923. Elle s’aligne sur par rapport à Greenwich et Libération, les autorités pour harmoniser les
Greenwich ; l’été, elle donc deux l’été). Les che- françaises entendent reve- fuseaux horaires en
ajoute une heure. mins de fer français font nir à l’ancienne heure et à Europe. CARL ADERHOLD

Confidentiel Un carton contenant les ossements d’un poilu a été déposé devant l’ossuaire de Douaumont, dans la
Meuse. Le squelette était accompagné d’une plaque militaire au nom d’Eugène Mérat, soldat effectivement inscrit au registre
des soldats morts pour la France. Une enquête a été lancée pour confirmer cette identité. MATHILDE SAMBRE
Il y a50 ans : premier

cinquante vol duvol
ans, le premier Concorde
du Concorde
26 m
d’envergure
92 ou 114 62 m
1976 2 179 km/h 2 Nombre de sièges de long
Année de sa mise Vitesse Nombre de passagers
en service compagnies à l’avoir
de croisière 358 m2
2003 exploité (Air France
Année de retrait et British Airways) 4 h 45 de voilure
Durée de vol
Paris-Rio
79 t 3 h 30
Masse à vide 15 000 Durée de vol
à 18 000 m Paris-New York 29 min 8 000 €
185 t Altitude Durée du premier vol Au milieu des
Masse maximale de croisière d’essai effectué en 1969 années 1990, il
au décollage au-dessus de Toulouse fallait débourser
3 200 m en moyenne
10 Distance de 30 000 francs
membres d’équipage décollage (4 570 €) pour
(deux pilotes, un mécanicien, un 70 t un aller-retour Paris-
chef de cabine, trois hôtesses 14 Poussée au New York. Un tarif qui n'a
et deux stewards) Nombre d’appareils décollage cessé d'augmenter jusqu'à la
à avoir volé (7 dans retraite du supersonique.
chaque compagnie) En 2001, le même trajet
coûtait au minimum
8 000 € et pouvait
20 t
Kérosène brûlé par heure de vol 119,4 décibels monter jusqu'à 9 300.
au décollage
450 l (le seuil moyen est
Kérosène brûlé par minute de 110 dB)
au décollage 420 000 €
INFORGRAPHIE HUGUES PIOLET

C’est la somme qu’a déboursée
un fan du supersonique pour acquérir
le nez de l’appareil en 2003 lors
2 440 m d’une vente aux enchères.
Distance d’atterrissage
INSOLITE
de Frédérick
Gersal ABRACADABRA !
DR
Cette formule magique a ses origines dans lettre, ainsi que le montre un texte en
la nuit des temps. Mais, une fois encore, les forme de triangle inversé (illustr.) qui
spécialistes sont divisés. Certains nous devait être porté autour du cou comme une
entraînent vers la philosophie ésotérique, amulette. Il est conseillé d’y ajouter un brin
d’autres vers la langue hébraïque, d’aucuns de lin, une pincée de corail et un soupçon
encore affirment qu’il s’agit d’une formule de graisse de lion… Qui croire ? La vérité,
de guérison. Un manuscrit du XIIe siècle, le décidément, est bien difficile à découvrir.
THE BRITISH LIBRARy BOARD
Liber medicinalis, prescrit comme remède à Pour paraphraser Jacques Chirac, laissons
la malaria la répétition du mot sur un mode donc encore courir le secret de cette
incantatoire en retirant chaque fois une « abracadabrantesque » formule. u

Mémento
Confidentiel Des résidus de lapis-lazuli ont été décelés dans la plaque dentaire d’une moniale enterrée au XIe
ou au XIIe siècle dans le complexe monastique de Dalheim, en Allemagne. La découverte de ce pigment rare, utilisé
pour l’enluminure, démontrerait l’existence de femmes copistes dans certaines communautés religieuses au Moyen Âge. M. S.
CITATION AZTÈQUE Le culte du dieu écorché

« Quand le gouvernement viole
les droits du peuple,
l’insurrection est, pour le peuple
et pour chaque portion
du peuple, le plus sacré des droits
et le plus indispensable
INAH/MELItoN tApIA/HANdout
des devoirs. »
Article 35 de la Constitution de l’an I (24 juin 1793), Ire République
La Constitution du 24 juin 1793 octroie la souveraineté au

peuple au détriment de l’exécutif (« La souveraineté réside dans TÊTE DURE. Un Xipe Totec (« seigneur
le peuple », art. 25). Elle garantit « le droit de manifester sa pen- écorché ») a été exhumé au Mexique
en janvier, de même que les vestiges
sée et ses opinions », celui de « s’assembler paisiblement » et « le
du lieu où ce dieu aztèque était vénéré.
libre exercice des cultes » (art. 7). Mais elle va plus loin encore,
en accordant aux citoyens le droit à l’insurrection, « le plus sacré
des droits et le plus indispensable des devoirs ». Ajournée pour
INAH/MELItoN tApIA/HANdout vIA REutERS

cause de guerre révolutionnaire, elle ne fut jamais appliquée.
Et les Constitutions qui lui succédèrent se sont bien gardées de
mentionner ce droit révolutionnaire. PAUL VOGEL
ROYAUME-UNI
Qui sera le prochain visage
Dans le panthéon des divinités aztèques, Xipe Totec occupe
sur le billet de 50 livres ? une place de choix : il est celui qui règne sur le renouveau
D
ans la patrie de tique Ada Lovelace ou la de la nature et sur les pluies fertiles. Si de nombreuses
Darwin, où seule- paléontologue Mary représentations de ce dieu vêtu d’une peau d’écorché – son
ment 16 % des Anning. Ou bien sur l’out- automutilation symbolise le fait de nourrir l’humanité –
achats se règlent en cash, sider Margaret Thatcher sont connues, l’archéologie n’avait encore jamais mis au
les espèces sont en voie – chimiste de son état. jour de lieu consacré à son culte. En janvier, l’Institut
de disparition. La Banque Qui que soit l’heureux national d’anthropologie et d’histoire du Mexique a
d’Angleterre émettra élu, l’hebdo The Econo- annoncé la découverte d’un temple dans la zone
pourtant dans quelques mist s’étonne du bien- archéologique de Ndachjian-Tehuacán (État de Puebla) qui
mois un nouveau billet de fondé de cette émission. correspond à la description que des sources documentaires
50 livres. Les Britan- Et, quitte à choisir un ont livrée des cérémonies sacrificielles rendant hommage à
niques, consultés pour visage pour un billet qui ce dieu. Parmi les vestiges du sous-sol pyramidal, daté entre
choisir une effigie (issue ne sera pas froissé par 1000 et 1260 apr. J.-C., ont été retrouvés deux autels sur
du monde des sciences), l’usage, pourquoi ne pas lesquels ont pu être exécutés et écorchés des captifs. Ils
ont avancé 989 noms. en imprimer d’autres ? Un sont précédés par des trous où auraient été placées les
Charles Darwin, Stephen billet de 84 livres en l’hon- peaux de sacrifiés que les prêtres avaient pour usage de
Hawking ou Alan Turing neur de George Orwell, revêtir. Deux crânes sculptés ainsi qu’une sculpture figurant
figurent dans la short list. un autre de 60 livres où le torse de Xipe Totec, aisément reconnaissable à son pagne
Les femmes misent sur la seraient déclinées les de plumes et à la peau d’écorché dont il est paré, ont
pionnière de l’informa- figures des Beatles… P. V. également été mis au jour. MARGOT BOUTGÈS

Mémento
Confidentiel Annoncé en 2013, le biopic de l’écrivain britannique J. R. R. Tolkien sortira en mai aux États-Unis.
Le long métrage explore les jeunes années du maître de l’heroic fantasy, incarné par Nicholas Hoult, évoquant sa naissance
en Afrique du Sud, et s’attarde sur son expérience traumatisante du front durant la Première Guerre mondiale. M. S.
TOP
Photo12/UllStEIn BIld
LE DALAÏ-LAMA
Le leader spirituel du bouddhisme
gAllICA/BnF FRAnCE, déPARtEmEnt EStAmPES Et PhotogRAPhIE, EI-13 (110)
tibétain fête ce mois-ci le 60e

anniversaire de son exil en Inde.
Le 17 mars 1959, Tenzin Gyatso,
menacé par les autorités chinoises,
entreprend sa périlleuse marche vers
l’autre versant de l’Himalaya. Né en
1935, le 14e dalaï-lama fut intronisé tembre 1911 :
en 1950, année où la Chine de Mao Saint-Quentin, 2 sep
sier s à che val, photographie
fit main basse sur le Tibet. Dans sa cuiras
Age nce Rol . BnF , département
« petite Lhassa » de Dharamsala, en de presse, tographie,
pes et de la Pho
Inde, il mène depuis soixante ans des Estam g
s:// c.b nf.f r/z3
EI-13, http
l’opposition pacifique à l’occupation
chinoise du plateau tibétain.
Coll. dAglI oRtI/SUPERStoCk/AURImAgES
LES PÉPITES DE LA BNF-GALLICA https://gallica.bnf.fr/
1911 : croisade contre « la vie chère »

FLOP
À
la fin du mois d’août 1911, les À Saint-Quentin (Aisne), les heurts
journaux titrent sur « la croisade conduisent au pillage du marché et des
des ménagères » et « les manifes- magasins environnants, des barricades
tations contre la cherté des vivres ». La sont élevées et des bagarres éclatent les
SIMON BOLIVAR fronde est vive dans le nord-est de la 30 et 31 août. Les gendarmes et soldats
Impossible, à Caracas, de briguer France, où les populations ouvrières – appelés en renfort reçoivent des projec-
le palais présidentiel de Miraflores après des décennies d’amélioration de tiles et sont insultés. Les autorités
sans se référer à Simon Bolivar,
libérateur de l’Amérique hispanique leur niveau de vie – pestent contre l’aug- envoient des troupes supplémentaires
au début du XIXe siècle. L’actuel mentation des produits alimentaires pour ramener le calme. Plusieurs mani-
président, Nicolas Maduro, (sucre, beurre, viande) et des loyers. Les festants sont interpellés ; rapidement
revendique la « poigne ferme »
de son illustre prédécesseur dans femmes, en particulier, manifestent leur jugés, ils sont condamnés à des peines de
la crise que traverse le pays. Et mécontentement. Elles défilent dans les prison. Un photographe de l’agence Rol a
son opposant, le « président par rues, chantent « l’Internationale du couvert cette émeute. La photo présentée
intérim » Juan Guaido, excipe
d’un article de la Constitution de beurre à 15 sous », conspuent les mar- ici date de début septembre. Le défilé de
la « république bolivarienne du chands. Dans plusieurs villes, elles sont l’armée souligne les dispositions prises
Venezuela » (instaurée par Hugo bientôt soutenues par les hommes et les par le gouvernement pour étouffer les
Chavez) pour revendiquer le pouvoir.
En cela, ils sont bien les fils spirituels syndicats. Les affrontements se multi- « révoltes contre la vie chère » des mani-
d’« El Libertador », qui a exercé les plient entre populations modestes et festants désormais absents de la scène.
pleins pouvoirs en 1814, 1816-1819, commerçants. Ces derniers exhortent AGNÈS SANDRAS, DÉPARTEMENT
1826 et 1828. Avant d’être chassé
pour ses visées tyranniques… parfois à la révolte contre les pouvoirs PHILOSOPHIE, HISTOIRE, SCIENCES
MANON DEVAQUET publics, jugés responsables de la crise. DE L’HOMME DE LA BNF

Plus d’infos sur : www.histoire.fr
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LA CURIOSITÉ EST
UN VILAIN DÉFAUT
LUNDI AU VENDREDI 14H-15H
SIDONIE BONNEC & THOMAS HUGUES
Entourés d’intervenants passionnés et
passionnants, Sidonie Bonnec et Thomas
Hugues répondent aux questions que l’on
se pose tous et à celles que l’on ne s’est
jamais posées !
PHOTO : NICOLAS GOUHIER POUR RTL
Mercredi 27 février
“Toutankhamon”
Vendredi 8 mars
“Femmes travesties de l’Histoire”
EN PARTENARIAT AVEC
La chronique D’EMMANUEL DE WARESQUIEL
Antoine MoreAu DusAult

LA SOCIÉTÉ PAR LES DEUX BOUTS
J
e note, à propos de la révolte des Gilets jaunes, et non dénuée d’intérêt. Après des années d’expériences po-
dans les discours de certains politiques qui ont litiques modérées et sociales-libérales – grosso modo de-
cherché à s’en emparer, un trait dominant de puis la Seconde Guerre mondiale –, nous sommes au-
notre histoire politique depuis 1789. Le renverse- jourd’hui en France, comme dans une bonne partie de
ment de souveraineté de juin 1789, le renverse- l’Europe, au moment où les extrêmes sont sur le point de
ment simultané de la société d’Ancien Régime, se toucher. L’expression n’est pas nouvelle, elle tenait déjà
fondée sur les ordres et l’inégalité de droit, au nom d’une lieu de légende à une caricature de 1815 représentant deux
nation une et indivisible, loin de créer de l’unité, a séparé personnages en train de se battre : d’un côté, un ultraroya-
durablement deux France antagonistes : l’une, favorable liste à bicorne et cocarde blanche ; de l’autre, un républi-
aux principes et aux intérêts nouveaux créés par la Révo- cain à bonnet phrygien. Le caricaturiste Charb, assassiné
lution ; l’autre qui, pour en avoir été la victime, s’y est fa- en 2015, dut s’en souvenir lorsqu’il dessina, deux cents ans
rouchement opposée. Ces deux mondes, plus tard, dans un esprit différent, profon-
qualifiés dans le vocabulaire de l’époque dément anticonfessionnel, un imam et un
d’« ancienne » et de « nouvelle France », prêtre intégriste en train de jouer à
ont eu leurs chevau-légers comme leurs touche-pipi. Dans les deux cas, la légende
hérauts d’armes, qui ont cherché à empê- APrÈs Des AnnÉes est la même : « Les extrêmes se touchent. »
cher toute forme de réconciliation entre L’expression, qui amuse certains ou scan-
D’eXPÉrienCes
elles. Ces deux France ne correspondent dalise d’autres, recouvre une réalité poli-
pas forcément à telle ou telle catégorie PolitiQues MoDÉrÉes tique française de plus en plus inquié-
sociale (riches et pauvres, nobles et bour- et soCiAles-liBÉrAles, tante, et c’est là que nous retrouvons nos
geois, bourgeois et paysans), mais tra- Gilets jaunes et ceux qui, aux deux bouts
nous soMMes
versent toute la société de part en part. de l’échiquier politique, s’en réclament ou
Ce qui les sépare, ce sont des différences AuJourD’Hui en FrAnCe les soutiennent. L’abandon silencieux, du
de perception par rapport aux héritages Au MoMent oÙ les côté de La France insoumise, de ses tra-
du passé, un univers mental, des intérêts ditions internationalistes rapproche ses
eXtrÊMes sont sur le
antagonistes, et surtout une idéologie. partisans de ceux de l’autre bord, ceux du
Ces deux France-là, on les connaît. En Point De se touCHer Rassemblement national de Marine
deux siècles, elles ont pris tour à tour les Le Pen. C’était un verrou de taille. Pour le
noms d’aristocrates et de jacobins, d’ultraroyalistes et de reste, presque tout les rapproche : une vision populiste de
républicains, d’ultramontains et d’adeptes de la laïcité la la souveraineté, la contestation de la démocratie parle-
plus stricte. Avec la consolidation de la République, dans mentaire pour un exercice direct de cette dernière, la
les premiers temps de la IIIe du nom, elles auraient dû se condamnation des puissances mondialisées de l’argent et
réconcilier et pourtant, à la lumière des événements ré- le combat pour une justice sociale et fiscale. L’un et l’autre
cents, force est de constater que nous en sommes encore bord représentent la même France, celle qui subit, celle
loin. Dans Nazisme et révolution (2011), l’historien Fa- des déclassés qui vit la fin de l’État-nation comme un im-
brice Bouthillon a brillamment montré, en conduisant une mense désordre. L’immigration reste encore la seule ques-
étude comparée entre les cas français et allemand, que, tion qui les sépare, mais on en vient à se demander si cette
des deux côtés du Rhin, nos deux pays, également à la frontière-là ne tombera pas un jour. En tout cas, les deux
recherche de leur unité et de leur légitimité politique, ont côtés ont un ennemi commun : le centre modéré, progres-
constamment oscillé entre deux pôles : l’alliance des siste, social-libéral et européen. « La société se ressemble
centres et celle des extrêmes – autrement dit, dans le cas parfaitement par les deux bouts. » Ce n’est pas moi qui
allemand, la république de Weimar et le national-socia- écris cela, mais Louis Sébastien Mercier dans son Tableau
lisme. La démonstration est un peu systématique, mais de Paris, et c’était en 1783. u

DOSSIER
TOUTÂNKHAMON

CET INCONNU Francois GUEnET/DivErGEncE
Pour la première fois, depuis 1967,

le trésor de Toutânkhamon revient
à Paris, à la Grande Halle de la
Villette. L’occasion de découvrir
les objets qui l’accompagnaient et
de s’interroger sur le règne
éphémère de ce jeune roi…
par Marc Gabolde
Trait d’union
Ânkhésenamon assiste son époux
Toutânkhamon lors d’une chasse
aux oiseaux. On la voit lui présenter
sa prochaine flèche. Cette scène
ornait la chapelle en bois doré abritant
une statue du roi (voir p. 33).

DOSSIER tOutÂnkHamOn
I
l est difficile de s’imaginer qu’en
janvier 1923, deux mois à
peine après la découverte de
son tombeau, Toutânkhamon
soit devenu « l’homme le plus
populaire de la Grande-Bre-
tagne », comme le signale L’Illustration,
le magazine français le plus lu à
l’époque. C’est d’autant plus remar-
quable qu’à ce moment-là la plupart
des trésors qui ont rendu célèbre le
pharaon par la suite n’ont pas encore
été trouvés : la chambre funéraire et la
salle du « trésor » sont toujours inac-
cessibles et la « malédiction » n’a encore
tué personne…
Le tombeau que Howard Carter dé-
couvre le 4 novembre 1922, et où il pé-
nètre en compagnie de lord Carnarvon,
de la fille de celui-ci et de l’ingénieur
Arthur Callender, le 23 novembre, est
le 62e découvert dans la Vallée des
Rois, et tous, ou presque, ont été pillés
dans l’Antiquité. Seuls deux tombeaux,
non royaux, ont été trouvés à peu près
intacts auparavant. C’est donc la pre-
mière fois que l’on ouvre, dans la né-
cropole royale, la tombe a priori
inviolée d’un pharaon.
À la mode, 3 400 ans

akg-images/ullstein bild
après sa mort !
À cette surprise pleine de promesses
– qui seront tenues – s’ajoutent d’autres
éléments propres à enflammer l’inté- Saut dans l’au-delà En somme, Toutânkhamon arrive au
Le vendredi 17 février
rêt : le mobilier est en excellent état de 1923, Howard Carter ouvre
bon moment en ce premier quart du
conservation au vu de son ancienneté les portes de la deuxième XXe siècle tout disposé à l’accueillir.
(près de 3 400 ans) et la modernité de chapelle en bois doré de la L’effet d’annonce passé, la ferveur du
ses formes s’accorde avec le goût et chambre funéraire. public ne va pas s’estomper et va
l’air du temps. Au moment même où croître sans discontinuité jusqu’à nos
l’Art nouveau s’épanouit en Europe, les jours. Le rôle de la presse et le hasard
délicats récipients de calcite ouvragés Nefertiti, dont le buste est exposé pour des circonstances sont essentiels dans
à motifs végétaux sortis de la sépulture la première fois à Berlin, après avoir cet essor. La mort subite de lord Car-
offrent un contrepoint étonnant au été dissimulé pendant plus de dix ans. narvon (le 5 avril 1923) vient à point
« style nouille ». La délicatesse de la sculpture et la nommé ouvrir l’ère de la « malédiction
Une autre coïncidence va alimenter la grâce de la reine vont conquérir le de Toutânkhamon », d’autant plus que
passion pour Toutânkhamon : le public monde, même si on ne sait pas encore, le contrat d’exclusivité accordé par
découvre à peine un an et demi plus à cette date, qu’elle est probablement Howard Carter au Times prive les jour-
tard, en 1924, la beauté intemporelle de la mère de Toutânkhamon. nalistes d’informations de première

Heritage images/Leemage
Inoubliables
Une momie dans un cercueil d’or
pur de 110 kg, et des milliers
d’objets – du boomerang au char de
guerre, du tube à khôl au lit à tête de
lion – sont retirés du tombeau.
d’entrées. Enfin, à l’aube du XXIe siècle,

les technologies de pointe vont prendre
le relais pour tenter de révéler les « se-
crets » de Toutânkhamon : examen au
scanner de sa momie avec étude anato-
mo-pathologique, extraction de son
ADN, auscultation au moyen de radars
akg-images/François guénet
géologiques des parois de son tom-

beau. Car Toutânkhamon reste mysté-
rieux. C’est, à proprement parler, un
célèbre inconnu : son ascendance reste
débattue, sa mort demeure inexpli-
main sur le tombeau lui-même et son expositions « Toutânkhamon » à cable et rien ou presque de son exis-
trésor. Aux reporters ostracisés, l’étranger qui vont raviver régulière- tence n’est connu. On est sûr qu’il est
quelques écrivains vont d’ailleurs prê- ment l’intérêt pour le roi et son trésor, né et certain qu’il est mort, dix-sept ou
ter main-forte : Marie Corelli, très ap- notamment la grande exposition de dix-huit ans plus tard. Mais c’est à peu
préciée de la reine Victoria, sir Arthur 1967 à Paris au Petit Palais. près tout ce que l’on sait de lui.
Conan Doyle, le créateur de Sherlock Ce relatif incognito, que seule la décou-
Holmes, et Agatha Christie. verte de sa tombe a partiellement es-
En 1925, la révélation du cercueil d’or
Vague d’égyptomanie tompé, est ancien et s’explique par
de 110 kilos, du masque d’or et des ex- Depuis l’expédition conduite en deux raisons principales. En premier
traordinaires bijoux de la momie jette Égypte par Bonaparte et les travaux de lieu, le règne de Toutânkhamon a été
un nouveau coup de projecteur sur la Champollion, la France entretient avec très court : neuf ans et quelques mois
figure du jeune roi. Sa réputation est les pharaons une passion singulière, et selon les estimations les plus récentes,
alors universelle ; il entre dans les dic- le retentissement de cet événement fut un instant au regard de la longue his-
tionnaires et n’en sortira plus. Après la tel que cette exposition conserve, en- toire de l’Égypte. Mais cette explication
Seconde Guerre mondiale, ce sont les core aujourd’hui, le record du nombre est en soi insuffisante. En effet, un

DOSSIER TOuTÂNKhAMON
de Toutânkhamon n’a pas été réalisée

Un nouveau mystère surgit lorsque pour lui. Si l’on ajoute le fait que la
les archéologues étudient les objets qui tombe de Toutânkhamon n’est, par son
plan, pas une tombe royale mais une
entouraient le défunt : certains ont tombe de noble rapidement aménagée
pour l’accueillir (lire page ci-contre),
été réalisés pour une reine inconnue ! la conclusion s’impose, inattendue : la
tombe de Toutânkhamon n’est pas la
tombe de Toutânkhamon et son trésor
n’est pas le sien…
autre souverain, Sethy Ier, quelques roi sur la panthère (voir p. 29) que l’un La part d’inconnu reste donc considé-
décennies plus tard (1294-1279 av. J.-C.), des délicats sarcophages miniatures rable. Aux mystères s’ajoutent, en
a régné à peine plus de neuf années et destinés aux viscères, ainsi que les outre, les ingrédients habituels d’un
pourtant, aussi bien à Thèbes (Karnak, bandes d’or qui couvraient l’emmaillo- excellent scénario : un fabuleux trésor,
temple funéraire de la rive gauche, tage de la momie ou encore le coffret des morts apparemment inexpliquées
tombe de la Vallée des Rois) qu’à Aby- hémicylindrique marqueté indiquent avec, en arrière-plan, l’essor et la chute
dos, son œuvre monumentale demeure que ceux-ci ont été confectionnés pour du premier monothéisme historique et
considérable. une reine pharaon dont l’identité est la plus belle femme de l’Antiquité.
En second lieu, Toutânkhamon fait encore incertaine. En somme, une part Comment Toutânkhamon pourrait-il
partie du groupe des quatre rois ayant non négligeable du mobilier funéraire donc ne pas fasciner ? u
régné entre Amenhotep III (1390-
1352 av. J.-C.) et Horemheb (1323-
1295 av. J.-C.), dont les noms ont été
supprimés des annales officielles à
l’époque ramesside [la XIXe dynastie,
qui règne de 1295 à 1069 av. J.-C.,
ndlr]. On a tenté d’abolir son souvenir
et ses monuments ont été très réguliè-
rement usurpés ou détruits. La plus
importante œuvre architecturale de
son règne, la grande colonnade du
temple de Louqsor, a été intégralement
confisquée au profit d’Horemheb – le
dernier pharaon de la XVIIIe dynastie –,
si bien que l’on doit scruter méticuleu-
sement les noms gravés pour distin-
guer quelques rares traces de celui du
commanditaire original sous les gra-
vures plus récentes.
Un pharaon peut
en cacher un autre
L’exposition de la Villette – qui se dé-
roulera du 23 mars au 15 septembre
2019 – est une occasion unique de rou-
vrir le dossier Toutânkhamon et de
Rue des ARchives/AGiP
prolonger les enquêtes. Parmi les

pièces présentées, plusieurs donnent
d’ailleurs quelques indices sur la véri-
table origine de son trésor. En effet, « Tut » Paris Le Petit Palais n’est pas assez grand pour accueillir le roi en 1967. C’est un record
aussi bien la figurine en bois doré du (1,2 million de visiteurs) et les fonds recueillis financeront le sauvetage du temple d’Abou-Simbel.

Affaire (pas si) classée
Dans la chambre funéraire richement
décorée, les chercheurs ont relevé
plusieurs indices laissant penser
que la préparation de la sépulture
RogeR-Viollet
s’est faite à la hâte…
Un tombeau trop petit pour un grand roi

Une sépulture étriquée, un successeur dans la chaîne montagneuse à l’ouest de la Vallée des Rois.
occupée par son successeur, le pharaon Aÿ – représenté
pressé… Y aurait-il anguille dans la tombe du jeune roi célébrant les rites. Âgé d’au
sous roche dans la Vallée des Rois ? moins une soixantaine d’années lors de son intronisation, il
pouvait supposer que son règne serait court. Cela pouvait
Par comparaison avec les grands hypogées [tombeaux sou- l’inciter à intervertir son tombeau avec celui de son jeune
terrains] qui l’entourent, la petite sépulture du jeune souve- prédécesseur. La proximité des thèmes décoratifs des deux
rain paraît inadaptée pour une utilisation royale. Pourquoi tombes royales semble plaider en faveur de cette théorie,
donc lui avoir réservé un tombeau (voir le plan, p. 24-25) même si certains égyptologues considèrent que les diffé-
aussi étriqué ? La tombe du jeune roi n’a pas la forme d’un rences iconographiques – pourtant bien ténues – indiquent
long couloir axial débouchant sur plusieurs salles. Seize deux périodes distinctes et que d’autres imaginent une pos-
marches aboutissent à un corridor donnant sur une anti- sible réinhumation à partir d’un lieu initial inconnu…
chambre aux parois nues. Sur le mur ouest, une petite ouver- Il est clair que la préparation du tombeau de Toutânkhamon
ture, scellée à l’origine, permet l’accès à l’annexe, la plus s’est effectuée à la hâte. La décoration des parois de la
petite pièce de l’ensemble. Le mur nord donne sur la chambre chambre funéraire fut achevée alors que les chapelles en
funéraire, la seule aux parois décorées de peintures. Une der- bois étaient déjà montées, laissant seulement un petit espace
nière petite pièce, le trésor, est accessible par une porte creu- pour les artisans. En effet, des projections de peinture sont
sée dans la paroi orientale. L’ensemble de la surface funéraire perceptibles en quelques endroits de la chapelle extérieure.
fait à peine 96 m2, d’où l’entassement du mobilier funéraire. De même, les traces d’humidité sur ces parois indiquent que
Le plan ressemble à celui des tombes « privées » de la vallée la tombe fut scellée alors que l’ensemble n’était pas encore
des Rois, notamment la KV 46 (Youya et Touya, beaux-pa- sec. Nous savons, grâce aux fleurs déposées lors des funé-
rents d’Amenhotep III) ou encore la mystérieuse KV 55, dans railles, qu’elles furent célébrées entre février et avril, par Aÿ,
laquelle fut retrouvée la dépouille d’Akhenaton. accompagné du directeur du trésor Maya et du général
Des hypothèses furent envisagées pour expliquer cet enter- Nakhtmin. Singulièrement, il ne s’y trouve aucune trace
rement royal dans un espace aussi exigu. Pour plusieurs d’Horemheb – général en chef des armées d’Akhenaton, de
chercheurs, la tombe d’origine de Toutânkhamon serait la Toutânkhamon et de Aÿ –, futur pharaon et dernier roi de la
WV 23, située dans la Vallée des Singes, un ouadi s’enfonçant XVIIIe dynastie… u BÉNÉDICTE LHOYER

DOSSIER TOUTÂNKHAMON
Suivez le guide
ENTRETIEN
la mystérieuse
Soixante-deuxième tombe trouvée
ENTRETIEN AVEC DOMINIQUE FAROUT * dans la Vallée des Rois, sur la
rive ouest de Louqsor – d’où son
« Gommé de l’Histoire…
appellation K[ings’] V[alley] 62 –,
elle renfermait plus de 5 000 objets.
en vain ! »
H. – La renaissance de pables : on sait qu’il est
Toutânkhamon tient-elle devenu pharaon très
du miracle ? jeune. Nous en avons la
D. F. – La tombe, restée preuve avec la présence
quasi inviolée jusqu’à sa d’un trône d’enfant. En-
découverte, a permis aux fin, sur certains objets,
archéologues de mettre au l’inscription « Aton » a été
jour un trésor du Nouvel remplacée par celle
Empire presque intégral. d’« Amon ». Ce sont là des
Cette tombe discrète n’était indicateurs précieux sur
certainement pas prévue la discorde religieuse qui
pour y enterrer un roi. Toutânkhamon a a bousculé la société égyptienne.
eric PiNcAs
été inhumé là parce que personne, sans Comment s’articule l’exposition ?

doute, ne s’attendait à ce qu’il dispa- Le visiteur découvre d’abord un film pré-
raisse si tôt. Ce roi, « entaché » d’ato- sentant Toutânkhamon, qui raconte
nisme (voir chronologie p. 34-35), était pourquoi il a été effacé des tablettes de
le représentant d’une période « héré- l’Histoire. Puis il fait connaissance avec
tique ». Un paradoxe, car c’est sous son Carter et lord Carnarvon. Ensuite, le
règne que le culte d’Amon a pourtant été voyage peut commencer. On découvre
rétabli ! Mais personne ne peut assurer d’abord quelques peintures du caveau et L’annexe
que ce fut sa décision – et c’est parce de l’antichambre ainsi que des objets en Malgré sa petite taille, cette salle
qu’on le considérait comme hérétique albâtre. Mais on n’est pas encore dans la est celle qui a livré le plus grand
nombre d’objets : elle contient
que son nom a été effacé des listes offi- profusion d’or. Les objets se révèlent au
environ 2 000 pièces, jetées à terre
cielles. Mais, contre toute attente, la dé- visiteur dans l’ordre où Carter les a lui- ou empilées par les pilleurs, parfois
couverte de sa tombe et de son trésor même découverts. Cela correspond en sur une hauteur de 2 m. Les objets
intact lui a permis de devenir l’un des tout point à la réalité archéologique. Au- regroupés sont hétéroclites, mais
souverains les plus célèbres de toute dessus des vitrines où les objets sont Carter estime que la pièce a
l’histoire de l’humanité ! exposés, des répliques en 3 D sont proje- initialement été conçue pour
Quels renseignements son trésor nous tées comme des hologrammes, avec des entreposer les onguents et les
provisions (vases de pierre, jarres
fournit-il sur son règne ? notices explicatives, minimalistes et per-
à vin, paniers pour la nourriture…),
Certains objets ont été offerts par Aÿ, cutantes. Le parcours se termine par les puis que l’on a finalement ajouté
son vizir, ou par Maya, son directeur du conséquences et l’impact de cette dé- du matériel qui, si la tombe avait
Trésor. En revanche, Horemheb, le géné- couverte, à la fois dans la communauté été plus spacieuse, aurait intégré
ral en chef des armées, n’y a déposé au- scientifique et pour le grand public. l’antichambre ou le trésor :
cun objet. Cela veut dire qu’il n’était pas u PROPOS RECUEILLIS PAR ÉRIC PINCAS mobilier funéraire, cannes, crosses,
présent au moment des funérailles. jeux, armes… (284 lots, Inv. Carter
337 à 620.)
Reste à savoir pourquoi. Était-il en ma-
nœuvres contre l’Empire hittite ? Son
www.illUsTrATiON-scieNTifiqUe.cOM
* Conseiller scientifique de l’exposition

absence révèle-t-elle une tension poli-
« Toutânkhamon », Grande Halle de la
tique ? Des chapitres précis de la vie de Villette (Paris), à partir du 23 mars 2019. Portes anciennement
Toutânkhamon sont également pal- Retrouvez la version longue de cet murées
entretien sur le site historia.fr

dans La chambre funéraire
Seule pièce décorée de la tombe, de
KV 62 scènes « brillamment colorées, mais

visiblement exécutées à la hâte », note
Carter, elle abrite les éléments qui
protègent la momie : quatre chapelles
en bois doré, emboîtées les unes dans
les autres, recouvrent un sarcophage
en pierre. Dans la cuve, un lit bas
supporte le poids de la momie et des
trois cercueils (le dernier, en or pur,
pèse à lui seul 110,4 kg) et des quelque
110 ornements répartis sur le corps de
Toutânkhamon : masque funéraire,
diadème, bracelets, colliers, bagues,
amulettes, ceintures, pectoraux…
(89 lots, Inv. Carter 172 à 260.)
Le trésor
Accessible par une porte basse non
murée percée dans la paroi orientale
de la chambre funéraire, cette salle
compte plus de 500 objets,
L’antichambre exclusivement funéraires. C’est là
Visitée et bouleversée à deux reprises
que reposent les plus belles pièces :
par les pilleurs de l’Antiquité, puis très
coffre-chapelle aux canopes
sommairement remise en ordre par les
contenant les viscères du roi, statue
gardiens de la nécropole, cette pièce a
d’Anubis posée sur un grand coffre
livré environ 700 objets, dont Carter
en bois doré muni de brancards,
compare le déblaiement «à faire une
coffres à bijoux, barques funéraires,
partie de jonchets géants » ! Le matériel
statuettes rituelles de
est sensiblement identique à celui qui
Toutânkhamon et de divinités
occupe la salle précédant la chambre
placées dans des naos en bois,
funéraire des grands hypogées royaux :
objets magiques… (76 lots,
chars démontés, lits funéraires en bois
Inv. Carter 261 à 336.)
doré à têtes de lion, de vache et
d’hippopotame, coffres, sièges, trônes,
naos, boîtes de victuailles, statues
protectrices gardant l’accès à la
chambre funéraire…
(156 lots, Inv. Carter 14 à 27 et 29 à 170.)
QUOTIDIENS
OU DIVINS, DES
TRÉSORS UNIQUES
Carter mettra six ans pour vider la sépulture de ses
ICONOGRAPHIE : LAbORATORIOROssO/VITERbO, ITALIE
5 398 objets entreposés. Voici quelques-unes des plus

belles pièces que vous découvrirez dans l’exposition
de la Villette, à partir du 23 mars.
par aude Gros de Beler
CANNE
GISANT DE Bois doré, faïence. L. 115 cm.
TOUTÂNKHAMON Inv. Carter 100a
Bois peint. L. 42,2, l. 12 cm.
Inv. Carter 331a Le tombeau de Toutânkhamon compte
130 cannes, crosses ou bâtons, tous
différents et façonnés dans des matériaux
Offert par Maya, le surintendant du Trésor,
divers : objets de cérémonie, armes de
le « serviteur utile à son maître », ce gisant
combat, bâtons pour tuer les serpents,
présente Toutânkhamon, allongé sur un
cannes de marche à mettre en relation
lit funéraire en forme de lion et veillé
avec l’infirmité du roi… Sur cet exemplaire,
par deux oiseaux qui étendent une aile
la poignée adopte la forme d’un captif
protectrice sur son corps momifié : à
asiatique, bras ramenés derrière le dos
droite, Horus à tête de faucon, fils d’Isis et
et poignets entravés. Aussi, lorsque
d’Osiris ; à gauche, le ba à tête d’homme,
le souverain serre la canne dans sa main,
l’« âme ». La statuette, façonnée dans
il empoigne symboliquement son ennemi,
une seule pièce de bois aux veines
le réduisant à l’impuissance.
ondulées avec lesquelles le sculpteur a
su admirablement jouer, reposait dans un
sarcophage noirci au bitume.

STATUETTE DU ROI
Or, verre, lin. H. 5,4 cm. Inv. Carter 320c
Trouvée à l’intérieur d’un lot extraordinaire de

plusieurs cercueils miniatures emboîtés les uns dans
les autres, cette figurine en or massif finement ciselée
présente un roi assis sur un socle, les genoux repliés
sur la poitrine, coiffé du khepresh [improprement
appelée « couronne de guerre »] et muni des sceptres
royaux. Si Carter pensait avoir identifié Amenhotep III,
il s’agit plus probablement de Toutânkhamon lui-
même. Une lourde chaîne d’or d’une cinquantaine
de centimètres permet de porter cette merveille
d’orfèvrerie en pendentif.
PENDENTIF AU NOM
DE TOUTÂNKHAMON
Or, pierres semi-précieuses. H. 9, l. 10,5 cm.
Inv. Carter 267a
Conçu comme un rébus, ce pendentif permet de

lire le nom de couronnement de Toutânkhamon,
Nebkheperourâ (« Rê est le seigneur des devenirs ») :
en bas, la demi-lune (neb) ; au-dessus, le scarabée
(kheper) et les trois traits du pluriel (kheperou) ; en
haut, le disque solaire Râ, que pousse le coléoptère
devant lui. Ce pectoral symbolise également la
renaissance du roi : celui-ci s’identifie au dieu solaire,
dont l’aspect matinal est représenté par le scarabée
Khepri, le soleil qui « vient à l’existence ».
ÉQUIPEMENT EXTERNE DE LA MOMIE

Or, verre, pierres semi-précieuses, argent, résine. Inv. Carter 256 b [1]
Une fois soulevé le couvercle en or massif du sarcophage intérieur, Carter découvre enfin
« une impressionnante momie, nette et soignée ». Outre le masque funéraire – le joyau
incontestable de cet équipement –, différentes pièces sont cousues sur les bandelettes de lin,
notamment une paire de mains en or tenant le fouet (nekhakha) et la crosse (heqa), symboles
de la royauté, et une chaîne à laquelle pend un scarabée de cœur gravé de la « Formule pour
le cœur en cornaline » (chapitre 29 b du Livre de la sortie au jour).

OISEAU BA
Or, verre. H. 12,5, l. 33 cm. Inv. Carter 256 b [2]
Également placé sur la momie du roi, cet oiseau à tête

humaine et aux ailes déployées figure le ba (l’« âme »
du défunt en quelque sorte). On dit qu’il quitte le
corps lorsque survient la mort pour errer à son gré.
Or, pour survivre dans l’au-delà, le chapitre 89 du
Livre de la sortie au jour insiste sur la nécessité
pour le mort d’être réuni à son ba : les paroles sont
à prononcer « sur un ba en or, incrusté de pierres
précieuses, placé au cou de l’homme », ce qu’illustre
cet objet cousu sur l’abdomen de Toutânkhamon.
STATUE PROTECTRICE
COIFFÉE DU NÉMÈS
Bois bitumé et doré, bronze, calcaire, obsidienne.
H. 175 cm. Inv. Carter 22
Placées de chaque côté de l’entrée de la chambre

funéraire, les deux statues protectrices montrent
le roi dans l’attitude de la marche apparente ;
armées d’une massue, elles semblent fustiger
quiconque menacerait de violer le tombeau.
Leur peau est peinte en noir, couleur associée
à la fertilité du Nil et à la résurrection.
Une inscription sur la statue coiffée
du némès identifie la statue au ka du roi,
force vitale survivant à la mort physique,
sorte de « double » qui lui permet de recevoir
les offrandes déposées à son intention.
MALLE À
TOUTÂNKHAMON BRANCARDS
DEBOUT SUR Bois d’ébène et de cèdre, ivoire,
UNE PANTHÈRE feuilles d’or, alliage de cuivre.
Bois doré, bronze, verre. L. 83, l. 60,5, h. 63,5 cm. Inv. Carter 32
H. 85,6 cm. Inv. Carter 289 b
Sobre, mais élégante, cette malle de voyage
Coiffé de la couronne blanche dispose de brancards destinés à faciliter son
de Haute-Égypte, le pharaon apparaît transport. Ainsi, une fois en place, il suffit de
dans l’attitude de la marche. Juché repousser les brancards sous le meuble, qui
sur le dos d’une panthère, symbole du devient alors un coffre d’intérieur. L’image de
monde souterrain, Toutânkhamon peut Toutânkhamon faisant une offrande à Osiris,
ainsi traverser en sûreté les régions les formules rituelles où les grandes divinités
de l’au-delà, peuplées de dangers, pour du panthéon (Thot, Geb, Horakhty, Ptah-Sokar-
renaître victorieux au petit matin. Osiris) offrent protection et bienfaits au roi et
L’or dont il est recouvert est associé à le contenu du coffre (vases, encens, plumes…)
ses qualités divines, puisque attestent le caractère funéraire de l’objet.
l’or est « la chair des dieux ». Ses
formes féminines suggèrent que la
statue était initialement destinée à une
femme, peut-être Nefertiti.

TROMPETTE EN ARGENT À NOYAU EN BOIS

Argent, or, bois peint. L. 58,2 cm. Inv. Carter 175
La tombe a livré deux trompettes. Celle en argent, façonnée en forme de fleur de lotus, présente sur le pavillon
un décor finement ciselé où apparaissent Horakhty, Amon-Rê et Ptah, symbolisant le panthéon égyptien.
Le noyau en bois peint sert à protéger la trompette de toute déformation lorsque celle-ci n’est pas utilisée.
Lors d’une émission à la BBC en 1939, le musicien militaire Tappern essaya la trompette, préalablement munie
d’une embouchure moderne, mais il la brisa pendant la démonstration !
OUSHEBTI
Bois stuqué, doré et peint. H. 48 cm. Inv. Carter 318 a
Cette statuette appartient à un lot exceptionnel de

413 oushebtis (un travailleur par jour, un contremaître
par décade et un surveillant par mois), ces serviteurs
funéraires censés « répondre » à la place du défunt
lorsque celui-ci est appelé à participer aux tâches
agricoles que l’on se doit d’exécuter dans l’au-
delà pour assurer sa subsistance. Ce cadeau
du général Nakhtmin, l’un des plus beaux
oushebtis de la tombe, montre le roi coiffé
du khepresh (improprement appelé la
« couronne de guerre ») ceint de l’uræus
(l’œil de Rê transformé en cobra qui
protège le roi).
PETIT
SARCOPHAGE
AUX CANOPES
Or, lapis-lazuli, verre. L. 39 cm.
Inv. Carter 266 g (1)
Dans chacun des quatre réceptacles

du coffre aux canopes, un sarcophage
miniature en or massif abritait les
viscères momifiés du souverain (foie,
poumons, estomac et intestins) :
à l’image du deuxième cercueil
contenant la momie royale, le roi
est coiffé du némès surmonté des
symboles de la Haute et de la Basse-
Égypte (le vautour et le cobra), tandis
que ses mains enserrent les insignes
royaux. Cet exemplaire abritait le foie,
protégé par le génie gardien Amset à
tête d’homme et la déesse Isis.
CHEVET
Verre. H. 18,5, l. 28,1 cm. Inv. Carter 403 a
Les lits sont équipés d’appuie-têtes : un socle pour la stabilité, un support

vertical et une partie en demi-lune sur laquelle vient prendre place un
coussinet en lin où repose la tête. Dans la vie quotidienne, ils servent
d’oreillers, d’aspect peu confortable, qui isolent la tête du dormeur des
insectes rampants. Si l’on en croit le chapitre 166 du Livre de la sortie au
jour, ils jouent un rôle important dans l’au-delà : « Ta tête relevée regarde
l’horizon, lentement tu te relèves sur ton séant. »
COUVERCLE DE CANOPE
Calcite. H. 24 cm. Inv. Carter 266 d
Les viscères du défunt étaient contenus dans un « monument

inoubliable », selon Carter. Un dais protégeait une chapelle en bois
doré, enfermant elle-même un coffre en calcite drapé d’un suaire de lin.
Une fois ôté le couvercle apparurent quatre bouchons à tête humaine,
disposés en vis-à-vis et abritant de petits sarcophages. Ces visages,
particulièrement expressifs, ont les lèvres peintes en rouge et les traits
rehaussés de noir. Il semblerait que ces objets n’aient pas été conçus
pour Toutânkhamon, mais pour son prédécesseur, Ânkh(et)kheperourâ.

COLLIER
Or, argent, lapis-lazuli, turquoise, cornaline, calcite, verre.
L. 41, l. 11,5 cm. Inv. Carter 267 l et 267 j
Deux babouins entourent un scarabée en lapis-lazuli, tenant dans ses

pattes arrière le symbole de l’éternité (chen) et poussant avec ses pattes
avant un disque solaire : tous deux saluent le soleil levant, Khepri, comme
ils le font quotidiennement lorsque, au lever du jour, ils se tournent vers
l’est en poussant des cris. Le contrepoids est orné de Heh, le « génie des
millions d’années », qui assure la vie éternelle au roi ; accompagné des
symboles de la Haute et de la Basse-Égypte, il porte à bout de bras le chen.
VASE EN FORME
DE CLOCHE
Calcite. H. 58,5 cm. Inv. Carter 520
De multiples vases en calcite, parfois rehaussés de

peintures, ont été trouvés en divers endroits de la tombe.
S’ils sont destinés à recevoir huiles précieuses, produits de
beauté ou onguents (environ 350 l selon l’estimation de
Carter), dans la plupart des cas, le contenu a été dérobé
par les voleurs. Cet objet, au décor floral de bourgeons, de
pétales et de dessins géométriques, se caractérise par sa
grâce. Les inscriptions, dédiées à Toutânkhamon et à son
épouse Ânkhésenamon, appellent des vœux de vie éternelle.

PETIT NAOS DORÉ
Bois, feuilles d’or, argent. H. 50,5, l. 26,5, prof. 32 cm. Inv. Carter 108
Cette petite chapelle, prévue pour recevoir une statue du roi (sans doute emportée
par les pilleurs), est sans conteste l’un des objets les plus gracieux de la tombe. Composé
de 18 tableaux, son décor montre de façon touchante l’intimité du couple royal, garant de
l’équilibre cosmique. Les scènes de chasse (voir p. 18-19) et d’après-chasse alternent avec
des images où Ânkhésenamon prend soin de son époux : ici, elle le parfume ; là, elle lui noue
un collier autour du cou ; ailleurs, elle lui verse de l’eau ou lui tend une fleur de lotus.
BOUCLE
D’OREILLE À
TÊTE DE CANARD
Or, quartz, calcite, verre, faïence.
L. 10,9, l. 5,2 cm. Inv. Carter 269 a (1)
Ce bijou superbe, sans doute assez

lourd à porter, figure un rapace aux ailes
formant un cercle fermé au-dessus d’une
tête de canard en verre bleu translucide ;
les serres de l’oiseau tiennent le signe
chen, symbole de l’éternité. Selon Carter,
les traces d’usure indiquent que cette
boucle, élément d’une paire, a été portée
par Toutânkhamon enfant : en effet, ce
type de bijou ne se porte plus à l’âge
adulte, mais est généralement réservé
aux jeunes princes et aux princesses
avant la puberté.

LE PLUS MYSTÉRIEUX
DES SOUVERAINS
Tout le monde connaît son nom, et les égyptologues continuent
de découvrir de (rares) informations sur sa vie, son œuvre et sa mort.
par Marc Gabolde
Un règne bref dans une époque troublée En dehors de son tombeau, la docu-
mentation est en fin de compte assez
L
es inscriptions mentionnant Quelques vestiges découverts ap- fournie, mais l’éclat du trésor l’a sou-
Toutânkhamon sont avares de portent néanmoins des compléments vent éclipsée. Le règne de Toutânkh-
détails sur sa personne. Para- d’information. Les restes de deux fœ- amon (1336-1327 av. J.-C.) apparaît,
doxalement, la plupart des textes de tus féminins retrouvés dans le tom- tout compte fait, assez ambitieux et
son tombeau soit sont à caractère reli- beau assurent qu’il aurait dû être le plutôt productif.
gieux, soit relèvent de l’éloge habituel père de deux petites filles, et les très
du souverain et ne nous disent rien de nombreuses réserves alimentaires
lui – si ce n’est qu’il avait épousé nous en apprennent sur la table royale,
Un renouveau ?
Ânkhé senamon, la troisième fille son goût pour les vins sucrés et les Les témoignages sont discrets dans le
d’Akhenaton et de Nefertiti. Seuls deux viandes en conserve. Delta ; en revanche, la nécropole mem-
textes livrent des anecdotes sur sa vie : La quantité de cannes – plus de 100 – a phite a livré près d’une dizaine de
une canne en roseau qu’il a coupée de pu faire penser qu’il boitait, mais les tombes de contemporains de Tout-
sa propre main dans une roselière du très nombreuses sandales retrouvées ânkhamon d’une extraordinaire qualité
Delta, près de la future Pi-Ramsès, et ne montrent aucune usure dissymé- artistique, parmi lesquelles celles
un éventail, dont les plumes d’autruche trique ni disposition orthopédique par- d’Horemheb, le chef d’état-major qui
provenaient des trophées d’une chasse ticulière. Ce qui n’empêche pas qu’il ait finira sur le trône, de Maya, le ministre
royale à l’est d’Héliopolis. Pas un mot pu avoir une mobilité contrariée : il est des Finances et responsable de l’inhu-
pour nous renseigner sur son ascen- représenté en trois – et peut-être mation de Toutânkhamon, et d’Amene-
dance, son activité de bâtisseur, ses quatre – occasions assis pour tirer à minet, supérieur des orfèvres. À
campagnes miliaires éventuelles ou sa l’arc, une position bien peu naturelle Thèbes, on lui doit la merveilleuse dé-
mort prématurée. pour un archer. coration de la grande colonnade du
Grandeur et chute de la XVIIIe dynastie

v. 1550 v. 1397-1382 v. 1382 v. 1342 v. 1327
Début de la période baptisée Rois (les Amenhotep Amenhotep III succède à son Aton, le disque solaire, Âgé de 9 ans, Toutânkhaton
« Nouvel Empire » par les et les Thoutmosis) et reines père, Thoutmosis IV, et épouse devient la divinité dynastique, (« Image vivante d’Aton »)
historiens. La XVIIIe dynastie (Hatchepsout) assurent la Tiyi, la fille de deux Égyptiens qui voit peut-être là le moyen monte sur le trône.
s’empare du pouvoir pour stabilité de l’Égypte tout en de haut rang, Youya et Touya. d’affaiblir le clergé d’Amon, Il épouse sa demi-sœur
deux siècles. Elle unifie assurant son prestige auprès Après trente-huit ans de devenu très puissant dans Ânkhésenpaaton, fille
l’Égypte, et Amon, le dieu des peuples voisins. Le grand règne, son fils, Amenhotep IV, cette époque prospère : d’Akhenaton et de Nefertiti.
honoré dans la ville d’origine temple d’Amon, dieu dynas- monte sur le trône (1346). Amenhotep IV interdit le
des nouveaux rois, Thèbes tique, situé à Karnak, est sans Il est marié à Nefertiti, fille culte d’Amon et prend pour
(act. Louqsor), devient le cesse embelli. d’un dignitaire nommé Aÿ, qui nom Akhenaton (« Serviteur
souverain du panthéon. serait le frère de Tiyi. d’Aton »).

Restauration décrit, avec un peu d’exa
gération, l’état déplorable de l’Égypte
avant sa montée sur le trône et expose
son ambition de rétablir les cultes d’an
tan pour faire revenir la prospérité.
Ni meilleur ni pire
que les autres rois
« Or, lorsque Sa Majesté est apparue en
qualité de roi, les temples des dieux et
des déesses depuis Éléphantine
jusqu’au marais du Delta [étaient en
déliquescence et s’en] allaient à la
ruine. Leurs chapelles tombaient en
décrépitude, devenant des décombres
envahis de buissons. Leurs sanctuaires
étaient comme s’ils n’avaient jamais
existé et leurs temples étaient des che
mins piétonniers. Le pays traversait
une épreuve et les dieux se détour
naient de ce pays. Si l’on envoyait des
troupes au Djahy [marches septentrio
nales de l’Égypte] pour étendre les
AndreA Jemolo/leemAge
frontières de l’Égypte, elles n’avaient

aucun succès. Si l’on suppliait un dieu
pour demander quelque chose de son
ressort, il ne venait pas du tout. Si l’on
Un dieu, des problèmes ?
temple de Louqsor, quelques monu implorait une déesse pareillement, elle
En célébrant Aton, le disque solaire,
Amenophis IV – Akhenaton – ments à Karnak, réduits à des blocs ne venait pas non plus. Leur cœur
déclenche une crise religieuse, mais épars, et, sur la rive gauche surtout, la n’avait pas d’emprise sur leur corps
sans conséquences sur l’économie réfection de très nombreuses images et ce qui avait été fait les avait réduits
et le quotidien des Égyptiens. d’Amon, mutilées sous Akhenaton. à néant. Après que des jours eurent
En fait, l’initiative de la restauration passé sur cela, Sa Majesté apparut sur
des cultes traditionnels est imputable le trône paternel et gouverna les ri
au prédécesseur féminin de Tout vages d’Horus. » Les bouleversements
ânkhamon, mais elle fut conduite par que l’Égypte avait traversés avant le
ce dernier. Le texte de la stèle de la couronnement de Toutânkhamon
v. 1324 v. 1318 v. 1301 1922 apr. J.-C. 2019
Peu de temps après son Décès soudain de Toutânkh Avec les souverains de la L’archéologue Howard Carter Cinquante ans après « l’expo
intronisation, Toutânkh amon. Ne disposant pas de XIXe dynastie, le culte d’Amon (18741939) – qui fouille sition du siècle » de 1967,
aton change de nom et caveau prêt à l’accueillir, les renaît et prospère… à tel dans la Vallée des Rois depuis Toutânkhamon revient à Paris,
devient Toutânkhamon Égyptiens l’ensevelissent dans point que les grands prêtres 1917 – découvre la tombe de avant son installation, défini
(« Image vivante d’Amon ») : la tombe qui avait été prévue de son clergé finiront par Toutânkhamon. tive, dans le nouveau Grand
l’expérimentation religieuse pour accueillir Aÿ, conseiller régner brièvement sur une Musée égyptien, actuellement
d’Akhenaton est officielle de Toutânkhamon après avoir partie de l’Égypte, lors de la en construction au Caire, près
ment close… été celui d’Akhenaton. période dite des « Rois des pyramides de Gizeh.
prêtres » (XIe s.).

Au nord, les proches conseillers Toutânkhamon, Houÿ (TT 40), montre

en détail cette activité. Sur place, au
de Pharaon restaurent l’équilibre des forces Soudan, des vestiges au nom de Tou-
tânkhamon ont été retrouvés à Faras et
et continuent d’imposer leur autorité sur Aniba (300 km au sud de la frontière
méridionale de l’Égypte à Assouan), à
les riches terres au sud de la Haute-Égypte Kawa (300 km plus au sud) et même,
tout récemment, au Gebel Barkal, près
de la quatrième cataracte du Nil.
ont été des phénomènes marginaux les croyances traditionnelles, notam- Au nord de l’Égypte, dans l’espace sy-
sans grand effet sur la société égyp- ment sur l’au-delà. Hors des frontières ro-palestinien, après une déroute mili-
tienne. L’expérience monothéiste du naturelles de l’Égypte, l’une des ré- taire à Qadesh sous Akhenaton et une
père de Toutânkhamon n’a provoqué ni gions où l’activité sous Toutânkhamon alliance matrimoniale manquée avec
crise sociale ni crise économique. est la plus importante est, paradoxale- les Hittites, les Égyptiens réussissent,
Pour la paysannerie égyptienne, qui ment, la Nubie. sous les ordres d’Horemheb, encore
vivait dans la précarité d’une économie généralissime, à restaurer un équilibre
de subsistance, Toutânkhamon ne fut Une puissance des forces contre les Hittites, notam-
ni meilleur ni pire que ses prédéces-
seurs. Pour l’élite, attentive à rester
géopolitique majeure ment en s’alliant avec les Assyriens.
Mais il faudra attendre trente ans pour
dans la faveur du souverain, l’expé- Cette province, vassalisée et gérée par que les Égyptiens prennent leur re-
rience du culte exclusif du disque so- un vice-roi, est primordiale dans la me- vanche, avec la demi-victoire de Qa-
laire et de la restauration des pratiques sure où elle approvisionne l’Égypte en desh (1286), sous Ramsès II, et plus de
polythéistes a permis l’essor d’une pié- or frais, à raison d’environ 260 kilos cinquante ans pour qu’un traité et une
té plus personnelle, accompagnée chaque année. La tombe thébaine mer- alliance matrimoniale ne scellent une
néanmoins de doutes persistants sur veilleusement décorée du vice-roi sous paix durable. u
leeMAge.cOM
Or noir Déjà actif sous Akhénaton, Houÿ occupait les fonctions d’« intendant des pays du Sud ». Sa mission ? Superviser la perception des tributs,
notamment l’indispensable or venu d’Afrique. Sa tombe (la TT 40, à Thèbes-Ouest) conserve encore la trace de ses activités sur ses murs. Voici une
délégation nubienne chargée du métal précieux : la province versait ainsi annuellement pas moins de 260 kilos d’or au souverain égyptien.

Fred MArVAUX/reA
Péché de jeunesse Sur le trône

Une généalogie pleine de zones d’ombre d’or fabriqué pour le jeune pharaon
– encore nommé « Toutankhaton » –,
L
on voit Aton, dont les rayons,
es problèmes les plus irritants antérieure au règne d’Amenhotep IV terminés par des mains, font respirer
que soulève le court règne de – Akhenaton. Par déduction, ce dernier des croix de vie au couple royal.
Toutânkhamon sont essentiel roi a donc toutes les chances d’être son
lement des questions de personnes : père. Toutefois, dans des dédicaces
qui étaient les parents de Toutânkh gravées sur le temple nubien de Soleb et tout roi est nécessairement le « fils »
amon ? Qui est son mystérieux prédé et sur celui de Louqsor, Toutânkhamon du dieu honoré dans le sanctuaire.
cesseur ? S’y ajoutent quelques interro affirme que son père est Amenho Quant à Aÿ, il est qualifié de « père du
gations sur sa mort prématurée et les tep III. Tout aussi curieusement, sur dieu » dès le règne d’Akhenaton et a
éventuelles pièces cachées que renfer des blocs du mémorial construit par gardé cette qualité sous Toutânkh
merait encore sa tombe. son successeur, le roi Aÿ, ce dernier amon. Il était à peu près trois fois plus
Quelques textes, mutilés ou d’interpré appelle Toutânkhamon « son fils ». âgé que son prédécesseur, ce qui était
tation délicate, donnent des indica Deux pères supplémentaires pour un suffisant pour lui attribuer la paternité
tions sur l’ascendance de Toutânkh seul roi, c’est trop ! fictive de Toutânkhamon.
amon. Un bloc réemployé à Hermopolis Il faut donc faire confiance à l’inscrip
assure que Toutânkhamon (alors Tout tion qui date de l’époque où Tout
ankhaton) est bien un « fils du roi de sa
Dieu, le père et le fils ânkhamon était prince et envisager que
chair, son aimé », et une légende adja En réalité, il faut se méfier de ces ins son père soit Akhenaton. Comme ce
cente indique qu’il avait au moins une criptions qui n’ont pas la valeur d’un dernier fut considéré comme un roi
sœur (ou demisœur). Le module de la véritable état civil… Amenhotep III est indigne dès le règne de son fils, Tout
pierre montre que la gravure n’est pas une divinité à Louqsor comme à Soleb, ânkhamon dut, en quelque sorte,

renier son ascendance, d’où le si- posées : la reine Tiyi, la princesse Sata- sœur utérine d’Akhenaton. Toutefois,
lence délibéré des sources. Pour la mon, l’épouse secondaire d’Akhen- celle-ci n’aurait laissé aucune trace
mère de Toutânkhamon, les indica- aton, Kiya, la fille aînée d’Akhenaton, – ce qui n’est guère envisageable pour
tions textuelles sont encore moins Merytaton et, dernièrement, une sœur une personne qui aurait été à la fois
nombreuses. Toutefois, une inscription inconnue d’Akhenaton. fille de roi, sœur de roi, épouse de roi
dans la tombe royale d’Amarna lé- et mère de roi…
gende un enfant dans les bras de sa En fait, à la génération antérieure, il
nourrice, dans des scènes relatives aux
Cousins, cousines semble bien qu’Amenhotep III ait épou-
funérailles de la troisième fille d’Akhe- L’étude des prélèvements ADN effec- sé sa cousine germaine Tiyi. En effet,
naton et Nefertiti, Maketaton : le texte tués en 2008 a permis d’assurer que son Amenhotep III partage un tiers de son
ne préserve que « [ …] né / née de [la père est bien l’individu dont la momie, ADN avec son beau-père, Youya, ce qui
grande épouse royale ( …) Nefert]iti, réduite à l’état de squelette, se trouvait ne s’explique convenablement que si
vivante pour le temps et l’éternité ». dans la tombe 55 de la Vallée des Rois. son beau-père est aussi son oncle… Si,
Comme cet enfant ne peut pas être L’examen des inscriptions du cercueil, à la génération suivante, cette tradition
l’une des six filles de Nefertiti – non des vases canopes et des briques ma- s’est perpétuée et qu’Akhenaton a
seulement toutes sont nées à ce mo- giques indique qu’il s’agit d’Akhenaton, épousé sa cousine, alors l’ADN des
ment-là, mais trois sont déjà mortes –, bien que des estimations de l’âge au époux, faute de brassage génétique,
il est logique d’en faire un septième décès aient conclu hâtivement que les peut ressembler à celui d’un frère et
enfant de Nefertiti et, dans ce cas, restes étaient ceux d’un jeune homme d’une sœur. Cette solution a l’avantage
Toutânkhamon est le meilleur choix. d’à peine plus d’une vingtaine d’an- de s’accorder aussi bien avec les don-
D’autres candidates à la maternité de nées. Quant à la mère, les généticiens nées des généticiens qu’avec les
Toutânkhamon ont néanmoins été pro- ont conclu qu’il devait s’agir d’une sources textuelles. u
MArgAreTe B¸siNg/rMN-gP
Un arbre généalogique… touffu Ce bas-relief représente Akhenaton et trois de ses six filles. Toutânkhamon est bien son fils.
Tout se complique quand on sait que son épouse, Ânkhésenamon, est aussi la fille d’Akhenaton. Pour démêler ces étroites relations de parenté,
l’ADN se révèle, hélas, encore aujourd’hui d’un secours limité.

Retour sur un « cold case »
La mort du roi, une affaire classée ? Sûrement pas. Et ce sont les scientifiques
qui traquent désormais les causes du décès. PAR MARC GABOLDE
Fatale fracture ? Et sa sœur ?

La seule chose certaine sur le décès de Toutânkhamon est que le roi n’est pas Il est désormais certain que l’essentiel
mort de vieillesse ! Rien ne permet de dire qu’il a été assassiné. Toutânkhamon du mobilier funéraire de Toutânkhamon
était de constitution frêle et souffrait, semble-t-il, de paludisme (lire p. 40-41). a été réalisé pour une femme pharaon
La proposition la plus récente suppose une fracture à hauteur du genou, qui ayant régné avant lui. Même le fameux
aurait provoqué une infection osseuse puis une septicémie fatale. masque d’or porte les traces d’un
premier propriétaire. La plupart des
égyptologues anglo-saxons pensent
qu’il s’agit de Nefertiti – certains ont
même avancé que la tombe de
Toutânkhamon était la sienne et qu’elle
y reposait encore, dans une chambre
secrète. Les examens les plus récents
ont montré que cette hypothèse n’a
aucun fondement. Quant à l’identité
de ce roi féminin, quelques pièces du
mobilier, notamment des rondelles en
or, livrent encore son nom : Mérytaton,
fille aînée d’Akhenaton et de Nefertiti,
B.QUILICI/FOCUS/COSMOS
qui aurait donc écarté son petit frère à

la mort d’Akhenaton.
Le vrai visage de Toutânkhamon (ou pas…)

Toutânkhamon n’a pas échappé au faut accepter cette représentation un profil rigoureusement exact
recours, un peu systématique, à la « officielle » comme le véritable portrait d’Élisabeth II ! C’est le portrait de la
reconstitution du visage à partir de du roi. Nul ne s’embarrasse de savoir si souveraine et, au-delà, celui de la
l’ossature de la tête. Cette méthode, les timbres du Royaume-Uni présentent royauté elle-même… u
héritée des techniques de la médecine
légale et de la police scientifique, doit
être envisagée avec prudence : les trois
reconstitutions proposées, égyptienne,
américaine et française, ont montré des
physionomies d’adolescents égyptien,
nord-américain et européen…
Certes, les visages restitués partagent
des traits communs, mais rien ne
permet d’affirmer que ce sont là ceux
du jeune roi. Le magnifique mannequin
en bois retrouvé dans la tombe montre
un visage idéalisé de Toutânkhamon. Il
n’est peut-être pas ressemblant, mais le
NBCNewS
modelé est d’une telle délicatesse qu’il

mort de Toutânkhamon ne sont pas

déterminées – ce qui a pour consé
UN ÊTRE DIVIN,
quence la multiplication de théories
plus ou moins fantaisistes. Il faut at
tendre 1968 pour que les premières ra
D’UNE SANTÉ
diographies du corps soient effectuées
par l’équipe de R. G. Harrison de Liver
pool. Elles permettent d’écarter l’hypo
BIEN PRÉCAIRE
thèse d’une mort due à la tuberculose
– aucune lésion osseuse correspon
dante n’est constatée. Elles révèlent
aussi la présence d’une esquille dans la
Faire partie de la très haute société ne met pas, boîte crânienne, suggérant la possibili
té d’un meurtre. Cette théorie, mêlant
hélas, ses membres à l’abri des maladies et des tous les ingrédients d’un polar, dé
accidents. Même lorsqu’on est pharaon… clenche alors l’intérêt du public.
par Bénédicte Lhoyer

Presse pousse-au-crime
Hélas pour les tenants de la thèse de
Le 11 novembre 1925, Howard « pain de sucre ») et également rétro l’assassinat, les analyses au scanner de
Carter et son comité d’autopsie gnathe [mâchoire inférieure plus 2005 écartent définitivement cette
commencent l’étude de la momie courte que la supérieure ndlr]. Or ce théorie. Aucune trace de fracture du
royale… Trois ans ont été nécessaires physique ne ressemble pas à l’image du crâne ni aucun signe d’hémorragie évo
aux fouilleurs pour parvenir jusqu’au roi dans l’art atoniste, avec le crâne al quant un coup mortel n’ont été décelés
corps de Toutânkhamon, et leur excita longé vers l’arrière et le menton étiré par l’imagerie médicale. Dans la même
tion est à la hauteur de l’événement. vers l’avant. Il faut donc se méfier des veine, l’absence d’une partie des côtes
Avec d’infinies précautions, les codes iconographiques égyptiens… et du sternum a suggéré l’existence
couches détériorées du linceul sont Malgré ces résultats, les causes de la d’une plaie béante à la poitrine, occa
retirées jusqu’à découvrir les pieds
avant de remonter jusqu’au cou. Hélas,
le mauvais état général de la dépouille
1969
et le fait qu’elle soit collée à son sarco
phage par les résines d’embaumement
poussent l’équipe à prendre une déci
sion radicale : démembrer la momie
pour l’extraire et l’étudier plus facile
ment. Le 16 novembre, le masque d’or
collé au visage est retiré à l’aide de cou
teaux chauffés pour, enfin, révéler les
traits du monarque que nul n’a contem
plés depuis plus de trois mille ans.
Dépouillé de ses ornements, Toutânkh
amon apparaît alors sous un jour saisis
sant. Il s’agit d’un jeune homme à l’as
pect gracile, que la momification a
rendu encore plus chétif. Mesurant en
viron 1,67 mètres, il serait décédé avant
KEYSTONE-FRANCE
ses 20 ans, comme l’indiquent l’état

d’ossification des épiphyses ainsi que la
nonéruption des dents de sagesse. Ils Traque Des analyses, menées par Zaky Iskander (chapeau) et le dentiste Lake (à dr., avec des
constatent aussi que le roi était brachy lunettes), tentent de percer les causes de la mort du roi. Les recherches sont reprises avec des
céphale (un crâne ayant la forme d’un moyens modernes par Zahi Hawass (ci-contre, à g.) et l’équipe du Egyptian Mummy Project.

sionnée par un choc violent, consécutif
à un accident de char, la ruade d’un
Victime de paludisme, le souverain était
cheval ou encore une attaque d’hippo- affligé en outre d’un pied bot, d’une
potame – probablement inspirées par
les iconographies pharaoniques clas- élocution difficile due à un palais fendu,
siques. Cette lésion expliquerait la po-
sition des bras, non pas croisés sur la mais c’est une fracture qui va hâter sa mort
poitrine mais disposés l’un au-dessus
de l’autre sur le ventre, comme pour la
dissimuler. Nous savons aujourd’hui le diagnostic favori pour expliquer les Selon certains observateurs de l’équipe
qu’il n’en est rien, puisque les tissus de représentations de son père Akhen- de Zahi Hawass, réunie en 2010, des
rembourrage de la cage thoracique ont aton), l’épilepsie, le méningiome (une fractures peuvent s’observer sur la ro-
pris l’empreinte des ossements, et ces tumeur cérébrale), la drépanocytose tule et le tibia droit. Le pied gauche est
derniers sont tous présents. En re- (autre maladie génétique et héréditaire déformé par un pied bot, le droit est
vanche, nul ne sait où sont passés les des globules rouges). plat – des pathologies sans doute re-
os manquants ni à quel moment précis En revanche, la présence du parasite liées à la maladie de Kölher, une ano-
ceux-ci furent retirés. Plasmodium falciparum, responsable malie de croissance du pied touchant
Comme le fait judicieusement remar- d’une forme dangereuse de paludisme, majoritairement les garçons de 3 à
quer Marc Gabolde, la momie de ce roi, est bien avérée pour Toutânkhamon, 5 ans. On imagine alors que, debout,
décédé jeune et entré dans la légende, qui semble en avoir été plusieurs fois Toutânkhamon aurait eu le bassin pen-
a suscité nombre de théories dans le atteint depuis l’enfance. Il a donc pu ché sur le côté, qu’il boitait et qu’il ne
monde médical, et beaucoup ont cher- endurer des poussées de fièvre accom- pouvait manifestement pas se déplacer
ché, à travers lui, les preuves de l’exis- pagnées d’un état de faiblesse généra- sur de longues distances. À ce tableau
tence de maladies bien précises : une lisé – une image bien éloignée du sou- clinique déjà chargé s’ajoute une os-
sorte de « peste » (faisant écho à la pan- verain jeune et vigoureux dépeint sur téoarthrite ulcérante occasionnant de
démie qui frappa l’Égypte et le Proche- les objets de son trousseau funéraire. grandes souffrances, dont la nécrose
Orient au XIVe siècle av. J.-C.), le syn- En outre, son élocution était potentiel- de la phalange d’un orteil.
drome de Marfan (une maladie lement rendue difficile par la présence Les dernières études ont pointé un
génétique rare, qui demeura longtemps d’une fente palatine. nouvel élément : une fracture ouverte
de l’extrémité distale du fémur à la
jambe gauche qui se serait infectée,
2010 déclenchant une probable septicémie
ou une infection osseuse, mortelles
dans l’Antiquité. Cette fracture est an-
térieure à l’embaumement puisque des
résidus de produits résineux se sont
glissés dans la plaie. Toutânkhamon
s’est donc probablement brisé l’os, soit
à cause d’un accident (mais rien n’in-
dique l’implication d’un char) soit, vrai-
semblablement, par une fracture spon-
tanée due à une fragilité osseuse bien
attestée. Finalement, la cause de sa
mort résulte, comme souvent, de la
conjonction de plusieurs facteurs : une
constitution précaire, une santé décli-
nante et un probable événement trau-
matique ayant hâté le trépas. Une mort
logique pour ce jeune homme dont
NatioNal GeoGraphic creative
l’état de santé était pour le moins cri-

tique, à une époque où les conditions
de vie et la maladie permettaient rare-
ment de dépasser la quarantaine. u

DES CONSEILLERS QUI

LUI VEULENT DU BIEN
Aÿ, l’influent vizir, et Horemheb, le général victorieux, guettent avec
impatience le moment où mourra, malade et sans enfants, le jeune roi…
par renaud pietri
AisA/LeeMAge
Rite de passage Les murs

Après dix ans de règne mais sans constitué de milliers d’objets plus pré
de la chambre funéraire retracent
avoir atteint la vingtaine, Tout cieux les uns que les autres. Deux mois les rituels de la mise au tombeau : ici,
ânkhamon meurt, selon toute plus tard, Toutânkhamon est amené en les dignitaires tirent le catafalque
vraisemblance des suites d’une grande pompe jusqu’à sa dernière de déposé sur un traîneau mortuaire.
infection osseuse, ellemême meure, dans la Vallée des Rois. Là, de Le nom du pharaon défunt est inscrit
consécutive d’une fracture au vant les plus importants membres de la au-dessus de la momie.
genou. Si la santé fragile du jeune cour, le vizir Aÿ exécute les gestes du
homme, né avec un pied bot et porteur « rituel de l’ouverture de la bouche »
du paludisme, ne présageait pas un re sur la dépouille royale, rendant ainsi au comme le successeur légitime de Tout
cord de longévité, son décès est préma défunt l’usage de ses sens. Par cet acte ânkhamon, mort sans héritier naturel.
turé : la tombe du roi n’est pas terminée – qu’il fait représenter dans la tombe de Il écarte aussi du même coup un autre
et il faut en aménager une autre à la Toutânkhamon (illustr. page ci- prétendant au trône, dont la présence
hâte. Sa dépouille, confiée aux embau contre) –, et conformément à la tradi aux funérailles du jeune roi est d’ail
meurs, est momifiée, pendant qu’on tion pharaonique qui veut qu’un fils leurs incertaine : le généralissime
rassemble son mobilier funéraire, enterre son père, Aÿ se présente Horemheb, l’autre homme fort du

règne de Toutânkhamon. La mort de ce
dernier déclenche ainsi une ultime
crise politique, dans une Égypte déjà
éprouvée par la réforme d’Akhenaton
et ses conséquences, dont la longue et
prestigieuse XVIIIe dynastie ne se re-
mettra pas.
Un trône pour
deux prétendants
Aÿ et Horemheb se connaissent bien.
Ils ont eu chacun une brillante carrière
sous le règne d’Akhenaton, mais ils at-
teignent de plus hautes fonctions sous
celui de Toutânkhamon : Aÿ est nommé
vizir, alors qu’Horemheb devient géné-
ralissime. Le rôle précis de chacun est
difficile à déterminer, mais ils sont as-
surément parmi les plus importants
personnages du pays. Aÿ est le premier
conseiller de Toutânkhamon, alors
qu’Horemheb dirige les armées égyp-
tiennes : il y a fort à parier que, dans les
faits, les deux hommes se partagent le
pouvoir en gouvernant le pays au nom
akg-images / François guénet
du roi. Toutânkhamon est en effet

jeune et inexpérimenté, de surcroît in-
firme et malade ; il est l’héritier légi-
time, certes, mais comment pourrait-il
diriger efficacement l’Égypte ? Vie Aÿ (à dr.) porte la tenue des prêtres et une couronne. Successeur du pharaon, il préside
Après l’épisode traumatisant qu’a le rite de l’ouverture de la bouche qui permettra au roi de retrouver l’usage de ses sens.
connu le royaume sous Akhenaton,
l’heure est à la reconstruction. Il faut
restaurer les temples aussi bien que la
Le courtisan modèle devenu roi
puissance d’une Égypte menacée par Peu documenté, le bref règne d’Aÿ conclut une longue carrière dans
l’inexorable progression des Hittites, l’administration pharaonique, dont on retrouve la trace dans sa première
venus du cœur de l’Anatolie. Car le roi tombe à Amarna (en Moyenne-Égypte). Sur les parois de cette sépulture
Shouppilouliouma Ier a écrasé le Mitan- inachevée, le futur vizir de Toutânkhamon et son épouse, Tiyi, sont
ni – un royaume ennemi historique de représentés recevant l’or de la récompense des mains d’Akhenaton et de
la XVIIIe dynastie égyptienne –, re- Nefertiti, accompagnés de trois de leurs filles. Le couple royal rend ainsi
configurant la géopolitique au Proche hommage à l’un de ses plus fidèles serviteurs, dans la tombe duquel on
et au Moyen-Orient. L’alliance avec trouve également la seule copie du Grand Hymne à Aton, qu’aurait élaboré
l’Assyrie est plus importante que ja- Aÿ lui-même : ce texte poétique, célébrant le disque solaire, composé avec
mais, afin de gêner l’avancée hittite au soin, reste à ce jour le plus précieux document pour comprendre les enjeux
Levant et de maintenir sous contrôle théologiques de la réforme d’Akhenaton. Pourtant, quelques années après
égyptien les territoires situés au sud de la mort du pharaon hérétique, il semble bien qu’Aÿ se soit adapté aux
la trouée de Homs, en Syrie. Pour Aÿ et circonstances, encourageant Toutânkhamon à la restauration du culte
Horemheb, les opportunités sont donc traditionnel, avant d’y participer activement durant son propre règne.
nombreuses d’accroître leur pouvoir Située comme celle d’Amenhotep III dans la vallée de l’Ouest, non loin du
et leur influence à la cour, mais leur site principal de la vallée des Rois, la dernière demeure d’Aÿ (WV 23)
rivalité est contenue tant que Toutân- devenu pharaon constitue l’ultime accomplissement d’un courtisan. R. P.
khamon est en vie.

La question de sa succession se chaos qui menace perpétuellement le de mettre en scène ses exploits sur les
pose assez tôt, car non seulement le roi Double Pays, à l’intérieur des frontières parois de sa tombe à Saqqarah. Les di
est un adolescent de faible constitu comme en dehors. Aÿ a aussi un atout mensions et les décors de cette sépul
tion, mais il n’arrive pas à avoir d’en de taille : son épouse, Tiyi, a été la nour ture trahissent les ambitions du géné
fant, comme l’illustrent les deux petites rice de Nefertiti, les deux femmes étant ralissime, qui maintient cependant les
filles mortes avant terme momifiées et originaires de la région d’Akhmîm, une apparences et dit agir au nom de Tout
déposées dans sa tombe. Leur mère est ville à 130 kilomètres au nord de ânkhamon. Cette ambiguïté s’accentue
vraisemblablement l’épouse et sœur du Thèbes. Aÿ luimême vient d’Akhmîm, sous le règne d’Aÿ, auquel Horemheb
roi, Ânkhésenamon, qui n’a que et certaines hypothèses le rattachent à rechigne de rendre les honneurs dus à
quelques années de plus que son frère. la famille de Nefertiti. Quoi qu’il en soit, son rang. Le généralissime ronge son
Qui doit donc régner après Toutânkh il est proche, sinon membre, de la fa frein, mais si Aÿ règne, il est âgé et n’a
amon ? Ânkhésenamon peutelle ré mille royale par alliance, rattaché à une pas d’enfant…
gner seule et devenir une femme pha branche « akhmîmique » dont Tiyi, Le vizir devenu roi nomme toutefois
raon, imitant sa lointaine parente l’épouse d’Amenhotep III, mère d’Akhe généralissime un certain Nakhtmin, lui
Hatchepsout ou sa propre sœur aînée, naton (et grandmère de Toutânkha aussi originaire d’Akhmîm, lui donnant
Mérytaton, selon une hypothèse ré mon), serait la première représentante. un titre équivalent à celui d’Horemheb.
cente ? Difficile de l’imaginer, puisque Son rang et son sang en font donc un Qualifié parfois de « fils du roi », Nakht
l’une comme l’autre ont subi des cam candidat légitime au trône d’Horus. min a manifestement un lien de parenté
pagnes de martelage visant à les effacer avec Aÿ. Horemheb se voit ainsi oppo
de la mémoire collective. Toutânkh ser un nouveau rival. Aÿ meurt après
amon luimême – conseillé par Aÿ ou
Une lutte au sommet quatre ans de règne, ayant atteint la
Horemheb ? – est d’ailleurs respon Horemheb doit donc s’incliner à la soixantaine et, si le déroulé des événe
sable de la persécution de sa sœur mort de Toutânkhamon. Il a pourtant ments est incertain, Nakhtmin est écar
Mérytaton, apparemment considérée derrière lui un parcours exemplaire au té par Horemheb sans difficulté. Le gé
comme une usurpatrice. sein de l’armée, qu’il mène à la victoire néralissime peut enfin ceindre la double
Si Aÿ est celui qui exécute le rituel de à plusieurs reprises. Guerroyant à couronne, mettant un terme à la conti
l’ouverture de la bouche, c’est peutêtre l’étranger au nom du roi, il y joue aussi nuité dynastique. Revanchard,
qu’il a été officiellement désigné héri le rôle de diplomate et ne se prive pas Horemheb s’en prend aux images de
tier par Toutânkhamon. Le vieux cour Toutânkhamon et d’Aÿ, dont il usurpe
tisan est un haut dignitaire expérimen les monuments et qu’il assimile à Akhe
té ; en outre, il a l’oreille du jeune Clash Sous la XVIIIe dynastie, naton l’hérétique, les condamnant à
homme, auquel il peut suggérer un suc l’empire est menacé par les Hittites. l’oubli. Luimême sans enfant,
Mais ce sont les Ramessides – et le
cesseur, car l’Égypte ne peut être une Horemheb désigne un autre général
plus grand d’entre eux, Ramsès II
terre sans roi. Pharaon est nécessaire – qui les mettront au pas, lors de la
pour lui succéder, un certain Parames
tant sur les plans politique que religieux bataille de Qadesh, cinquante ans sou, qui changera son nom pour régner :
et idéologique : il doit repousser le après le règne de Toutânkhamon. l’ère des Ramsès peut commencer. u
bridgeMANiMAges.cOM

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CARTE BLANCHE À
BALTEL/SIPA
FRANCK FERRAND
Convergence des luttes

Née d’une crise économique, l’émeute
populaire enflamme plusieurs
provinces. Certains gentilhommes
se joignent alors au mouvement, par
hostilité à Mazarin. • Les Grandes Misères
de la guerre, « La revanche des paysans », par
Jacques Callot (1633), eau-forte (7,5 x 18,5 cm).
Les Sabotiers se
U
En 1658, dans la France « d’en bas », n malaise diffus et
en Sologne, des paysans se soulèvent contre persistant, entrete-
nant une colère
un régime de plus en plus éloigné de ses sourde envers des
préoccupations et qui multiplie les bévues élites coupées de la
réalité ; le sentiment
fiscales. « Toute ressemblance avec des de subir au quotidien les méfaits, notam-
personnes ou situations existantes… » ment fiscaux, d’un système injuste ; des
revendications disparates, parfois
contradictoires, masquant le rejet d’un
régime de plus en plus éloigné des gens ;

Christian Kempf/rmn-Gp
fâchent
victorieuses de Condé, elles ont de la
sorte affermi le trône et réinstallé l’Ita-
lien au pouvoir. Mais la noblesse locale,
plutôt fidèle aux frondeurs, n’en mûrit
pas moins sa vengeance : elle entretient
sur les bords de la Loire un climat de
enfin, une décision gouvernementale distingue le soulèvement parlementaire défiance larvée envers la cour et Paris.
mal annoncée, perçue comme provo- de la révolte princière –, alors que le Moins de deux ans plus tard, alors
catrice et mettant le feu à des poudres pouvoir royal, qui s’incarne pour un qu’une misère endémique tenaille les
qui n’attendaient, pour exploser, qu’une temps dans la figure étrangère de Maza- habitants de la Sologne – on les appelle
étincelle : la grande révolte de la rin, paraît bien fragile. alors Solonais, pas encore Solognots –,
Sologne, au tout début du règne de un simple couvreur du nom de Crochet
Louis XIV, entrée dans l’Histoire sous Déjà trop de taxes se dresse contre des collecteurs d’im-
le nom de « guerre des Sabotiers », fait pôt, entraînant une rétorsion dont fera
étrangement écho à celle d’aujourd’hui. En 1652, les armées du roi, commandées les frais, entre autres victimes, un
Elle voit le jour dans la suite immédiate par le transfuge Turenne, ont barré la innocent artisan de Romorantin. Sou-
de la Fronde – des Frondes, si l’on route de Paris à l’armée des Princes ; lèvement de la population en sa

RÉCIT LA RÉVOLTE DES SABOTIERS
LES « JACQUERIES » Conseil du roi, en juin, à interdire par- soi que, pour les insurgés, ce ne sont
DU XIVe SIÈCLE tout des réunions populaires qu’on là que des mots ; mais des mots appuyés,
1323-1328 Révolte des Karls, en Flandre devine sans peine vouées à l’émeute. dans les faits, par le déploiement sur
maritime, finalement matée par le roi Mais cette défense engendre justement place de troupes royales…
Philippe VI à Cassel, le 23 août 1328. ce qu’elle était censée empêcher :
1346 Soulèvement des serfs du Nivernais n’ayant plus aucun droit de se rassem- La carotte et le bâton
contre les tailles prélevées par les moines bler en ville, les mécontents vont se
de La Charité-sur-Loire. trouver repoussés plutôt vers les cam- Sévir d’un côté, négocier de l’autre :
1358 Grande Jacquerie d’Île-de-France, pagnes, où leurs agissements sont l’oncle du jeune Louis XIV, l’ineffable
de Normandie, de Champagne, d’Artois, incontrôlables. Gaston d’Orléans, est envoyé aux insur-
de Picardie, menée par Guillaume Carle Le Parlement de Paris, en dépit d’at- gés en tant que médiateur. Ce prince
ou Jacques Bonhomme – d’où son nom. taches frondeuses, doit se résoudre à rencontre ainsi Bonnesson, qui de son
1381-1384 Révolte des Tuchins dans tout le sévir. Un premier arrêt de cette cour côté tente de donner consistance aux
Languedoc, pour des raisons essentiellement enjoint aux rebelles de déposer les revendications diverses dont il est le
fiscales. armes, « sous peine d’être traités comme dépositaire : baisse de la taille – l’un
criminels de lèse-majesté » ; un second des impôts les plus impopulaires – ainsi
fait défense « de faire aucunes levées que liberté du cours des liards…
faveur, troubles, violences… Déjà de gens de guerre et recrues, et avec À Paris, Mazarin feint de comprendre
s’émeut toute une province ; or, ce n’est icelles tenir la campagne, sans avoir ces préoccupations, mais il ne concède
qu’un début. C’est l’affaire dite « des sur ce ordre exprès du roi ». Il va de rien ; peut-être a-t-il compris que, au-delà
liards » qui lance vraiment les hostilités.
De quoi s’agit-il ? D’une sorte d’impôt
indirect imaginé par Mazarin et ses
conseillers, et qui consiste à forcer
artificiellement, au profit du Trésor, le
cours d’une monnaie d’appoint en
cuivre – le liard, frappé notamment à
Meung. Le 23 mai 1658, une ordonnance
de police « fait défense à toutes per-
sonnes de faire refus des liards dans
le menu commerce », ce qui exaspère
le petit peuple. « Les paysans de Sologne
se sont si fort attroupés, note ainsi le
médecin Guy Patin le 29 mai, qu’ils sont
aujourd’hui une armée de sept mille
hommes. Une fois en marche, cette
armée s’augmente comme la renommée
dont parle le poète latin. Elle reçoit
dans ses rangs tous les mécontents des
paroisses qu’elle traverse. Ce désordre
irait bien loin s’ils avaient un chef de
remarque. »
Ce sera bientôt le cas. Les Sabotiers
vont se trouver pour chef un jeune
gentilhomme protestant, Gabriel de
Jaucourt, marquis de Bonnesson, frère
de frondeurs tués au feu. Sous sa hou-
lette, la révolte semble se structurer ;
de l’Orléanais, elle ne tarde d’ailleurs
pas à s’étendre à la Beauce et au Perche,
Akg-ImAgES
en direction de la Normandie. Elle

gagne aussi, plus timidement, le nord Travailler plus… Une réforme monétaire, imposée par Mazarin, se révèle rapidement n’être
du Poitou, amenant finalement le qu’un impôt indirect de plus. C’est l’affaire dite « des liards ». Elle mettra le feu aux poudres.

des plaintes formelles, la révolte a des Jupitérien Après les années de guerre
causes plus profondes, autrement péril- civile, la France ne peut se permettre un
leuses pour l’ordre établi : elle vise à retour à l’anarchie. Tel est le constat de
mettre en cause rien de moins que Louis XIV, qui noiera chaque révolte dans le
sang. • Louis XIV en Jupiter vainqueur de la Fronde,
l’équilibre des forces au sein du
toile attribuée à Charles Poerson le Père (v. 1652).
royaume ; ce sont les démunis qui se
dressent en vérité contre les nantis, ou
du moins ceux qui en font figure. Accé-
der aux conditions des rebelles, écrit
Louis Jarry – l’historien qui a étudié ce
mouvement –, aurait été « un acte de
faiblesse et un danger tout à la fois. En
traitant les Sabotiers comme des belli-
gérants, on aurait légitimé leur
révolte […]. Qui pouvait assurer que les
provinces voisines ne se prévaudraient
pas d’une telle impunité et que le sou-
lèvement, gagnant de proche en proche,
ne deviendrait pas général ? »
Aux yeux de la cour, du Parlement, de
Paris – autant dire du point de vue des
milieux privilégiés –, les paysans de
Sologne sont devenus en quelques
semaines un ennemi mortel. « Regardez-
les, ces croquants méchus, francs de
collier et braillards sous leurs haillons
fantômes, écrit le conteur Gérard Bou-
tet. Regardez-les : ils en valent la peine.
Regardez-les : armés jusques aux
chicots, avec leurs faux rouillées
emmanchées à revers, avec leurs jave-
loires émoussées, avec leurs broches
dérobées chez quelque châtelain
d’importance. » Le conteur solognot
leur oppose la violence froide des
troupes armées, au nom du jeune roi
Gerard Blot/rMN-GP
contre ces « méchants Sabotiers de

Sologne ». Des troupes au demeurant
plus actives aux beaux jours qu’à la
morte-saison : « Les patrouilles cessaient
tout l’hiver, écrit-il, ou du moins se Le Grand Siècle des soulèvements
faisaient plus rares dans l’arrière-pays.
La canaillerie profitait du répit pour se
de paysans
requinquer. […] On creusait des culs- Sous le règne de Louis XIV, les soulèvements les plus considérables,
de-loups, qui sont mi-tanières, mi-huttes, outre celui des Sabotiers, furent ceux qui agitèrent successivement le
et les Sabotiers s’enterraient là, au fond Boulonnais en 1661, Laval en 1662, l’Auvergne en 1663, le Béarn, la Bigorre
de leurs bauges, comme ces bêtes sau- et Bordeaux, ainsi que Bourges, en 1664 et 1665, Rennes et la Basse-
vages qui hibernent. » Bretagne en 1675… D’autres mouvements, plus partiels, eurent lieu à
Bonnesson s’en ira quémander, jusqu’en Lyon, ainsi que dans le Vivarais en 1670, à Tours, Périgueux, Le Mans, entre
Belgique, l’appui de Condé – en vain. autres cités… Leur point commun est d’avoir fait l’objet, sans exception,
Ses Sabotiers doivent se contenter de de répressions terribles. Aux yeux de Louis XIV et de ses ministres, dont
leurs moyens, limités par essence, de Colbert, c’était le prix à payer pour consolider l’État. F. F.
gueux en colère… Dans les villes,

RÉCIT LA RÉVOLTE DES SABOTIERS
des milices sont constituées contre

eux, afin de veiller à la sécurité bour-
geoise, tandis que s’organise la répres-
sion royale, sous les auspices du
lieutenant général de La Piloys et du
maréchal de Clérambault.
Une province ravagée

C’est le sort des insurrections que de
se confronter tôt ou tard à la force
légale : en l’occurrence, le choc a lieu
à Saint-Denis-sur-Loire, en amont de
Blois. Victoire sans quartier de l’ordre,
avec la répression qui l’accompagne à
coup sûr : corps d’insurgés accrochés
aux charrettes et traînés sur les routes,
prisonniers pendus à la croix des che-
mins… L’automne venu, le nouvel
intendant d’Orléans, François de For-
tia, nommé par le jeune Colbert – pas
encore ministre –, fera son affaire
d’étouffer à jamais la Sologne sous une
chape de plomb, déchaînant sur la
province d’infâmes dragonnades avec
leur cortège d’horreurs.
BRIDGEMAnIMAGES.cOM
GERARD BLOT/RMn-GP
Ainsi va dépérir une province entière,
persécutée, dépeuplée. Gabriel de Jau-
court, condamné à mort par contumace,
passe l’année 1659 en cavale. Il n’aura Duo de choc Envoyé en Sologne, Gaston d’Orléans (à g.) incarne la légitimité du pouvoir
pas de répit jusqu’à son arrestation le et refuse toute négociation avec la noblesse. Mazarin (à dr.) pourra célébrer la capture et
1er septembre. Il montera sur l’échafaud l’exécution du meneur de la révolte, Gabriel de Jaucourt de Bonnesson.
courant décembre, à Paris, place de la
Croix-du-Tailloir. « Il est mort en hugue- fort élevée […], escorté de 800 archers et là ne seront qu’une succession de
not et n’a jamais voulu entendre le à pied et à cheval. » Avec cette exécu- feux de paille, bien vite éteints. u
docteur de Sorbonne qui tâchait de le tion pour l’exemple s’achève l’insur-
Le 4 octobre 2018 – quelques semaines avant le déclen-
convertir, nous raconte Guy Patin. Il rection spontanée de ces petites gens, chement du mouvement des Gilets jaunes –, les éditions
n’a point voulu être bandé. Je pense cœur d’un royaume en crise ; les sou- Marivole, à Romorantin, faisaient paraître le premier volume
d’une saga romanesque de l’auteur vendômois René Bruneau
qu’il a été vu de tout Paris car il a été lèvements qui, dans la suite du règne intitulée La Guerre des Sabotiers. L’histoire se déroule juste-
amené de la Bastille dans une charrette de Louis XIV, ne cesseront d’éclater ici ment sur fond de révolte des paysans solognots, en 1658.
Jacques en gilets ou fièvre jaune ?

Alors que bien des mouvements insurrectionnels sont nés erreurs. » Au rapprochement du mouvement des Gilets
à Paris, celui des Gilets jaunes a vu le jour dans une France jaunes avec les jacqueries médiévales, et notamment avec
provinciale et périurbaine. De là à le qualifier de celle, fondatrice, de 1358, je préfère celui qu’on pourrait
« jacquerie », comme l’ont tant fait les médias, il y a un pas établir avec certaines fièvres populaires, marquées par la
que l’on ne saurait franchir trop vite. « Il semble que, sur le défiance du peuple envers les élites. Ainsi de la terrible
terme de “jacquerie”, employé à tort et à travers, guerre des Sabotiers – qui doit son nom aux sabots dont
remarquait Alain Decaux dès 1961, on ait commis bien des étaient chaussés les paysans d’alors. F. F.

Salon de l’agriculture,
la politique en campagne
© INA INFO
à (re)voir sur
RÉCIT FÉMINISME
Pour elles,
l’habit ne fait
plus le moine…
Pour exercer un métier ou, simplement, vivre libres, des femmes
ont choisi d’être hors la loi et de se faire passer – temporairement
ou pour une vie entière – pour des hommes. Médecins, pirates,
bourreaux… le sexe dit « faible » a montré sa force !
par Virginie girod
L
e 25 juillet 1865, au génie incontesté, mais son tempé- S’il faut se travestir pour réaliser ses
à Londres, Sophia rament impétueux lui vaut des ennemis rêves, elle le fera. Le prix de la liberté
Bishop est appe- et freine sa carrière – il a été remercié ne lui semble pas si cher. Les amis du
lée par le docteur de l’Académie royale de Londres pour peintre l’aident à falsifier des documents
McKinnon pour avoir fait l’apologie de la Révolution afin qu’elle puisse s’inscrire à l’univer-
la toilette funé- française. Résolument atypique, il ser- sité de médecine d’Édimbourg. Elle a
WEllcoME lIbrary, loNdoN/crEatIvE coMMoNS cc by 4.0

raire de son col- vira d’exemple à l’indocile Margareth. environ 20 ans lorsqu’elle en ressort
lègue, James Sa mort, en 1806, laisse un petit pécule titulaire d’un doctorat.
Barry, un éminent chirurgien de l’armée à Mary Ann, mais il n’y a guère de quoi James poursuit son cursus au Collège
anglaise. Cette solide mère de neuf vivre longtemps. royal de chirurgie de Londres. La voilà
enfants a tout vu. Des corps vieux, des chirurgienne – ou plutôt chirurgien.
jeunes, des beaux, des laids, mais là, Un honorable soldat Personne ne soupçonne son identité
elle tombe des nues. Elle sort hystérique
de la chambre funéraire. Si McKinnon
de Sa Majesté réelle. Elle la dissimule tant et si bien
qu’elle parvient à intégrer l’armée
n’achète pas son silence, elle révélera Trois années passent pendant lesquelles
tout à la presse ! Margareth, désormais adolescente,
À la fin du XVIIIe siècle, à Cork, en mûrit une étrange décision. Plutôt que
Duo La carrière du docteur Barry le
Irlande, Mary Ann Bulkley met au de se marier pour échapper à la misère,
conduit dans tout l’Empire britannique.
monde une fille prénommée Margareth. elle choisit de travailler. Elle veut être « Le » voici ici à la Jamaïque pris en
Quelques années plus tard, l’incarcé- médecin. Malheureusement, cette pro- photo (à g.), en compagnie de l’un de
ration pour dettes du père, Jeremiah, fession est interdite aux femmes. Qu’à ses serviteurs – preuve du traitement
jette la famille dans la précarité. Mary cela ne tienne ! Sans doute en hommage égalitariste que cette femme portait
Ann trouve refuge chez son frère à à son oncle, Margareth prend le nom sur ses patients ?
Londres. James Barry est un peintre de James Barry et se coupe les cheveux.

RÉCIT TRAVESTIES ET ÉMANCIPÉES
le 6 juillet 1813. Dès lors, sa vie sera occidentales. C’est sans doute là qu’elle
émaillée de voyages dans tous les fait la connaissance du major McKin
hôpitaux des colonies anglaises. non, lui aussi médecin militaire.
Entre 1815 et 1817, elle séjourne Ce dernier prend soin de sa
en Afrique du Sud. Là, elle santé et découvre que son
développe des concepts qui collègue est une femme. Par
lui seront chers pendant estime pour elle – et pour
toute sa vie. James est lui éviter un châtiment
convaincue que la salu pouvant aller jusqu’à la
brité des hôpitaux et les peine de mort –, il saura
soins apportés aux garder son secret.
malades sont les pierres En 1854, la guerre de
angulaires de leur gué Crimée. Les batailles
rison. Elle se montre et les conditions d’hy
extrêmement autori giène déplorables des
taire avec le personnel hôpitaux de campagne
et obtient des résultats font exploser le taux de
probants. Si certains mortalité. James veut y
l’admirent, d’autres la aller mais sa hiérarchie
jalousent. Ses ennemis se s’y oppose. Pendant
moquent de sa petite taille, qu’elle se débat avec l’ad
de ses mains délicates et de ministration, une autre
sa voix aiguë. Oui, James est femme prépare une mission
frêle. Elle l’explique aisément JAMES BARRY, humanitaire. Florence
par une naissance prématurée. Son HERMAPHRODITE ? Nightingale (18201910)
caractère, lui, est bien masculin. Elle n’a pas abandonné ses
se conduit en véritable brute avec ses Selon le docteur McKinnon, James jupons, mais incarne,
collègues – une rudesse censée lever Barry (ci-dessus) aurait pu être un her- à elle seule, l’infirme
les doutes sur sa féminité. maphrodite. Il semble évoquer cette pos- rie moderne. Elle
sibilité pour juguler le scandale d’une débarque à l’hôpital
femme ayant secrètement fait carrière
Une impératrice acharnement. de Scutari (un dis
MIChAEl du PREEz, By kINd PERMISSIoN of dR JAMES BARRy MuNNIk, QuEENSTowN, SouTh AfRICA.
dans l’armée. Certains historiens ont

de la césarienne Qu’ils soient cho
lériques, lépreux,
voulu en faire une figure de l’inter-
trict d’Istanbul) avec
37 infirmières.
sexualité, mais aucun argument
Son travail lui attire les bonnes grâces indigènes, blancs, sérieux n’accrédite cette Florence a les mêmes
du gouverneur du Cap, lord Charles soldats ou prisonniers, hypothèse. V. G. chevaux de bataille que
Somerset, qu’elle pousse à assainir le tous sont traités avec les Barry. Elle pousse les autori
réseau hydraulique de la ville pour mêmes égards. Sa manie de tés à mener des travaux d’assainis
garantir la meilleure santé de ses habi l’asepsie porte ses fruits. En 1826, James sement et obtient une baisse du taux
tants. Ses incursions couronnées de Barry réussit, au Cap, la première césa de létalité. En arrivant enfin à Scutari
succès dans l’urbanisme lui valent de rienne non mortelle pour la mère dans avec le grade de Deputy Inspector-
nouvelles hostilités, et de vilaines les colonies anglaises. Une prouesse. General of Hospitals, Barry découvre
rumeurs circulent à son sujet : Barry Au début des années, 1830, elle obtient que celle qu’on appelle la « Dame à la
et Somerset entretiendraient une rela le grade d’inspecteur général auprès lanterne » – parce qu’elle visite les
tion homosexuelle ! Certes, ils sont très des armées [un grade sans équivalent patients la nuit à la lueur d’une lampe
proches, mais rien ne prouve qu’ils sont français, entre lieutenantcolonel et à pétrole – règne en maîtresse incon
amants. Et s’ils le sont, il ne s’agit en colonel, ndlr]. Mais James est une testée à l’hôpital. Très vite, les deux
réalité que d’une relation entre un insoumise. Lorsqu’elle n’est pas d’ac femmes se volent dans les plumes. Sans
homme et une femme, fondée sur un cord avec sa hiérarchie, elle le crie haut doute se ressemblentelles trop pour
sentiment d’estime réciproque… et et fort, ce qui lui vaudra une rétrogra s’entendre…
quelques secrets. dation. Mais la qualité de son travail Après la Crimée, James reprend ses
Les années passent… James continue lui permet de vite retrouver ses galons. voyages. Elle continue de parcourir le
à servir la cause des malades avec En 1838, elle est en poste aux Indes monde sur le théâtre des conflits mili

McKinnon reste stoïque. James Barry
Le grand médecin de l’armée britannique est mort. Il n’y a plus de secret. Alors
est une femme… Et pour couronner que Barry est enterrée au cimetière de
Kensal Green, à Londres, les journaux
le tout, le ventre du défunt porte les traces font leurs choux gras du témoignage
de Bishop. En réponse, l’armée publie
caractéristiques d’une grossesse un démenti et place sous scellés tous
les documents qui lui sont relatifs pour
une durée de cent ans.
taires ou dans les colonies anglaises. la mise en bière. En déshabillant le Sa trajectoire est fascinante, et le renon-
À chaque fois, elle impose efficacement défunt, elle découvre que le grand cement à son genre pour embrasser
sa vision moderne de la médecine et médecin de l’armée James Barry est une vocation contre toutes les règles
de la chirurgie, fondée sur des règles une femme. Pour couronner le tout, sociales force le respect. Est-elle vrai-
d’hygiène draconiennes et une attention elle porte sur le ventre les vergetures ment tombée enceinte en s’autorisant
constante portée aux soins des patients, caractéristiques d’une grossesse ! une tocade ? Il faut croire que James
quel que soit leur statut. Bishop se jette sur McKinnon et l’accuse n’a pas révélé tous ses secrets… u
En 1864, âgée de plus de 70 ans, James d’être un mauvais médecin. Comment
prend sa retraite. Son vieil ami, le doc- a-t-il pu ne pas voir que Barry était une
Crêpage en Crimée James Barry se
NatioNal Portrait Gallery loNdoN
teur McKinnon, prend soin d’elle, mais femme ? Une mère en plus ! Le major
retrouve en Turquie lors de la guerre de Crimée.
des problèmes pulmonaires l’affai- lui répond qu’il le savait… comme Un conflit naîtra entre le travesti et une célèbre
blissent. Elle meurt le 25 juillet 1865 d’autres. Bishop, convaincue de tenir infirmière, elle aussi britannique mais en
de dysenterie. McKinnon appelle Sophia un scoop, menace de tout révéler à la jupons, Florence Nightingale, qui accueille
Bishop afin de préparer le corps pour presse si on n’achète pas son silence. (debout, au centre) des soldats blessés.

RÉCIT TRAVESTIES ET ÉMANCIPÉES
Elles ont bluffé leur monde

XVIIe-XVIIIe siècles
La piraterie ?
Une affaire
de femmes !
Mary Read
et Anne Bonny
Mary Read, fille d’un capitaine anglais
disparu en mer, prend très tôt l’habitude
BRITISh LIBRARy/AuRIMAgES
de se travestir en homme pour travail-
ler. Elle rejoint la piraterie à la première
occasion, sous le nom de Willy, et se
lie d’amitié avec Anne Bonny, la com-
pagne – elle aussi habillée en homme – Jolies Rogers Légendes (beaucoup) et histoire (un peu) se mêlent inextricablement dans
du pirate Jack Rackham. Redoutable, les vies d’Anne, l’Irlandaise (à g.), et de Mary, l’Anglaise. Seule certitude ? Leur courage…
Mary dévoilerait sa poitrine aux
hommes qu’elle s’apprête à achever en se laissent arrêter, Mary et Anne com- Mary meurt peu après de maladie et
combat singulier pour leur infliger battent le sabre à la main et sont les Anne est graciée. Rendant visite à
l’humiliation d’être vaincus par une dernières à se rendre. Rackham en prison, la pirate lui aurait
femme. En 1720, l’équipage de Rackham Condamnées à la pendaison, elles susurré : « Si vous vous étiez battu
est attaqué par l’armée du gouverneur obtiennent un ajournement de leur comme un homme, vous n’auriez pas
de la Jamaïque. Alors que les pirates peine en prétextant être enceintes. à mourir comme un chien. » u
IVe siècle av. J.-C.

Agnodice, un gynécologue qui affole les foules
À Athènes, les femmes préfèrent endurer mille maux aristocrate s’habille en homme et suit les cours du médecin
plutôt que d’appeler un médecin… Leur pudeur a plus de Hérophile sous le pseudonyme masculin de Miltiade.
prix que leur vie. Bouleversée par cette détresse, Agnodice Les patientes se bousculent bientôt pour consulter le
rêve de faire médecine mais, en tant que femme, elle n’en nouveau gynécologue, qui leur a fait part de son secret et
a pas le droit. Avec la complicité de son père, la jeune jouit de leur confiance. Jaloux, ses confrères la traînent
devant l’Aréopage, le tribunal athénien, l’accusant
d’abuser de ses clientes. Pour prouver son innocence,
Agnodice révèle son identité devant une assistance
médusée. Elle mérite la peine de mort pour sa
transgression. Mais les Athéniennes menacent de se
suicider par solidarité si elle est exécutée. Le tribunal cède
à la pression. Agnodice
Savoir Jusqu’au procès
gIANNI DAgLI ORTI/AuRIMAgES
d’Agnodice, l’art de guérir

continuera à exercer son métier
est interdit aux femmes. et les femmes auront désormais
• Esculape soignant une le droit d’étudier la médecine…
malade (Ve s. av. J.-C.). enfin, la gynécologie ! u

Lee/Leemage/Bridgeman images
Outillée La « question préalable », infligée à un prisonnier avant son exécution, art dans lequel excellait Marguerite, sera abolie en 1780.
XVIIIe siècle
Marguerite Le Paistour,
un bourreau à vous faire perdre la tête
Marguerite voit le jour à Cancale, le la mort sont marginalisés et redoutés, est arrêtée pour recel. Elle a
2 août 1720. Sa mère, décédée mais gagnent bien leur vie. Marguerite vraisemblablement été dénoncée par
prématurément, cède sa place à une se passionne pour son nouveau métier. sa bonne, qui voulait se venger d’avoir
marâtre maltraitante. À 20 ans, Elle aime lire la terreur dans les yeux été éconduite par celle qu’elle croyait
Marguerite trouve le courage de fuir et des condamnés, surtout dans ceux des être son maître. Forcée de révéler son
s’habille en garçon pour être libre de se femmes, sur lesquelles elle projette la identité lors de son incarcération,
déplacer à sa guise. Car si elle était haine de sa marâtre. Comme elle Marguerite confie l’histoire de sa vie au
arrêtée en tant que femme, elle serait excelle, elle occupe, dès 1747, la père Jean-Baptiste Richard, grâce à qui
aussitôt reconduite chez sa belle-mère. fonction d’exécuteur des hautes ses tribulations n’ont pas sombré dans
Désormais, elle s’appelle Henri. Brisée œuvres de Lyon. La petite fille battue l’oubli. Marguerite est confiante. Elle
par son enfance, Marguerite porte en est devenue un homme craint et sait qu’elle sera graciée car elle a été
elle une rage inextinguible. Après respecté. Mais Marguerite a un un bourreau exemplaire… et elle est
maintes aventures, on lui propose un tropisme irrépressible pour les une femme. Sortie de prison, elle se
poste d’apprenti bourreau pour la intrigues. Elle s’acoquine avec une mariera avec un ancien codétenu et
sortir de sa misère. Ces travailleurs de bande de voleurs et, en janvier 1749, retournera vivre à Cancale… u V. G.

RÉCIT VOYAGE
Pierre Loti
Un aspirant écrivain au
pays des moais
En 1872, jeune marin de 21 ans, le futur homme de lettres,
qui s’appelle encore Julien Viaud, fait une escale sur l’île de
Pâques. Une découverte décisive dans sa vie et sa carrière.
par Xavier Donzelli
Q
ue représentent quatre
jours sur une île loin-
taine au regard de
quarante années de
carrière dans la
marine, dont dix-sept
passées à sillonner
les mers du globe ? A priori, pas grand-
chose. Pourtant, au soir de sa vie, c’est
ce bref séjour sur l’île de Pâques, du 3
au 7 janvier 1872, et les quelques objets
qu’il en a rapportés, que Pierre Loti
voudra sauver de l’oubli. Son biographe
Alain Quella-Villéger raconte la scène :
« Dans les “dernières volontés” remises
à son secrétaire, Gaston Mauberger,
Pierre Loti, qui se soucie peu que l’on
conserve après sa mort l’essentiel des
richesses accumulées dans son extraor-
dinaire maison de Rochefort, fait une
exception remarquable : “Sur la com-
mode, il est des objets très curieux, qui
viennent de l’île de Pâques et auxquels
je tiens un peu.” » Et le biographe de
s’interroger : « Pourquoi, aux portes de
la mort, l’écrivain-voyageur revient-il
sur ces rares journées de janvier 1872 ? »
L’île de Pâques !… Ce « finistère du
Pacifique » (Maurice Leenhardt) isolé
à plus de deux mille kilomètres des
premières terres habitées ; le pays des
moais, ces statues anthropomorphes
ROGER ViOllEt
de plusieurs tonnes, sculptées dans le

tuf (une roche volcanique), au visage

Art MediA/Print ColleCtor/Getty iMAGes
oblong, à la moue boudeuse ou rêveuse, Rite L’aspirant Julien Viaud reçoit La Flore compte à son bord 400 mate-
qui tournent le dos à la mer et veillent la mission de rendre compte par lots, dont l’aspirant de 1re classe Julien
sur les vivants… Colonisée au XIIe siècle le dessin de l’expédition sur l’île. Viaud, 21 ans, originaire de Rochefort
Ci-dessus, fête religieuse aux pieds
par les Polynésiens, qui la nommèrent et natif du Capricorne – le futur Pierre
des moais. À g., portrait de l’artiste
« Rapa Nui », l’île resta ignorée des atlas en jeune homme (1872).
Loti, qui vit là son baptême du Pacifique.
européens jusqu’à ce jour de Pâques Julien a pris goût à la mer et aux
de 1722 où le Hollandais Jakob Rogge- voyages grâce au récit que lui en a faits
veen la découvrit. Suivirent notamment, son frère aîné, Gustave, chirurgien de
dans son sillage, les illustres James Le 3 janvier 1872, La Flore est l’un marine, mort en 1865, en mer, à bord
Cook (1774) puis Lapérouse (1786). Au d’entre eux. Cette frégate commandée de l’Alphée, le bateau qui le rapatriait
XIXe siècle, cette « grande solitude au par le contre-amiral de Lapelin, arrive de Poulo Condor, en Indochine, où il
milieu de l’océan », chantée par Loti, en vue de l’île, pour une courte escale avait contracté la dysenterie… Le
n’est déjà plus ; Pâques est devenu un sur la route de Tahiti, avec cet ordre contre-amiral Lapelin, qui a repéré le
hub maritime pour les baleiniers du de mission : étudier l’hydrographie et coup de crayon de son jeune aspirant,
Pacifique : entre 1789 et 1865, « au moins en rapporter une statue (simple affaire lui a confié la mission de « prendre un
une cinquantaine de navires font escale de rivalité avec les Anglais, qui, quatre dessin exact » des opérations, destiné
sur Rapa Nui », rappelle Michel Orliac, ans plus tôt, ont pris un moai, qui depuis au service hydrographique et océano-
chargé de recherche au CNRS. fait la fierté du British Museum…). graphique du ministère de la Marine.

RÉCIT PIERRE LOTI À L’ÎLE DE PÂQUES
OCÉAN
PA C I F I Q U E
Volcan Baie de
Terevaka Lapérouse
507 m
HUIT SIÈCLES D’OCCUPATION

1200 Premières traces de présence humaine ÎLE DE PÂQUES
avérée sur l’île de Pâques (Rapa Nui), (RAPA NUI)
colonisée par des navigateurs océaniens. Volcan Volcan
Rano- Puakatike
1722 Le navigateur hollandais Jacob Raraku
Roggeveen découvre l’île le jour de Pâques
et lui donne ce nom. Baie
de Cook
1862-1863 La moitié des Pascuans (soit
environ 1 200 personnes) sont déportés au
Pérou pour y travailler dans les latifundias. AMÉRIQUE
DU SUD
3 800 km
1868 Le capitaine français Jean-Baptiste
ÎLE DE
Dutrou-Bornier s’autoproclame maître de l’île. PÂQUES
Hanga- CHILI
Il sera assassiné en 1877.
Piko
1888 Pâques devient possession chilienne. Emplacements des moais
CARTOGRAPHIE HUGUES PIOLET
1967 Première liaison aérienne (entre le Volcan

Rano-Kau Mouillages et explorations :
Chili et Rapa Nui). Pierre Loti (1872)
Jacob Roggeveen (1722) James Cook (1774)
1995 Le parc national de Rapa Nui est incrit
Felipe González (1770) Lapérouse (1786)
sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. 3 km
C’est à ce titre que Julien prend Danois » (le seul Européen resté sur Plus tard, de retour dans sa cabine de
place, ce 3 janvier 1872, à 16 heures, l’île après le départ des missionnaires La Flore, Julien remise ses mines de
dans la chaloupe qui s’ancre à l’ouest français, en 1871), « qui espère prochai- plomb et se jette sur son journal pour
de l’île, dans la baie de Cook, sous les nement se faire nommer roi »… écrire à chaud le récit de sa première
youyous des Pascuans. Julien, fidèle à sa mission, sort son bloc journée à terre. Sa plume court d’un trait
C’est une île désolée qui s’offre d’abord à dessin et griffonne… « Ses dessins, sur le papier, sans la moindre rature,
à son regard, « un amas de explique Claude Martin, étirant les mots, comme pour ne pas
cratères rougeâtres, auteur d’une étude cri- briser le fil du récit. Ainsi, tous les soirs,
LE MANUSCRIT DE
dépourvus de toute RAPA NUI tique de Pierre Loti, l’aspirant de 1re classe s’appliquera à
végétation ». Julien procèdent moins rédiger le compte rendu de ses journées
Viaud, qui s’est En mai 1872, Julien écrit à sa sœur, Ma- d’une intention et à noter ses impressions de voyage.
documenté sur rie : « Je t’envoie une caisse contenant des artistique que Le jour, à terre, sur Rapa Nui ; le soir,
sa destination dessins de l’île de Pâques pour que tu les documentaire. » en mer, retranscrivant ce qui deviendra
(comme il le fasses passer à un journal. » Il la charge de ré- Mais l’acte de le manuscrit de Rapa Nui (14 feuillets
fera pour tous diger l’article du reportage et lui confie son dessiner crée recto verso, rédigés d’une écriture souple
ses voyages), manuscrit. Curieux comme, après avoir si bien une connivence et nerveuse, à l’encre violette). Dans ce
rapporte que la documenté son voyage, Julien Viaud se dés- immédiate avec rapport à l’écrit et au dessin, à autrui et
intéresse soudain de le rédiger… Marie
population a été les habitants, tout à l’inconnu, s’esquisse déjà le modus
s’acquitte de la tâche ; l’article, signé
massacrée et en maintenant dans operandi du futur écrivain, révélé en
Julien Viaud, paraît dans L’Illus
réduite en esclavage tration en août. X. D. le rapport à l’autre 1876 par son récit Aziyadé.
par des négriers péru- une attention et une dis- Le lendemain, 4 janvier : matinée froide,
viens. Les Pascuans, dans tance respectueuses. Julien ciel tourmenté. Julien retrouve Pétéro,
leur candeur sauvage, lui apparaissent parvient de la sorte à instaurer « un l’un des animateurs de la veille, « per-
comme « les derniers débris de leur dialogue avec les paysages, les êtres, ché comme un oiseau de mer sur la
race mystérieuse » ; il se croit tombé les mœurs et les monuments ». Ce pre- pointe d’un rocher ». Celui-ci le guide
« au milieu d’un peuple de fantômes », mier pas sur l’île s’achève avec la pro- jusqu’à la case d’un vieux chef, où son
d’autant que s’avance vers lui un « vieux messe de retrouvailles, tôt le lendemain. talent est mis à contribution : Julien doit

portraiturer toute l’assemblée, ainsi
que les idoles – « ce qui fut fort long »,
précise l’intéressé. Échanges, troc de
case en case… Après quoi, Julien va
dormir « sur une natte dans la case du
vieux chef – pendant qu’Atamou
[l]’évente avec un chasse-mouches en
plumes noires ». Il fait déjà partie des
habitués. Plus tard, il croise le com-
mandant Lamotte. Épaté par ce que son
aspirant a glané çà et là, celui-ci lui
demande, « vu l’intimité qui semble
régner entre les indigènes et [lui], de
lui procurer une idole comme la [s]
ienne ». En moins de vingt-quatre
heures, Julien s’est fait un nom – et
une place au carré des officiers.
Un « reporter d’images »
aux premières loges
Le 5 janvier, au matin, au milieu des
visages familiers de Pétéro, d’Atamou,
d’Iveritaï et de « quelques naturels de
figure inconnue », Julien explore l’île
en quête d’une coiffe de plumes. Il
baragouine déjà quelques phrases. Dans
la maison du « vieux Danois », il note,
Musee RochefoRt
espiègle, les « petites manies gra-

cieuses » de son épouse et tombe sur
le journal de cet autre visiteur européen. Hiéroglyphes L’écriture rongorongo de l’île de Pâques émerveille le marin, qui reproduit
Intrigué, il s’attarde sur ces pages où certains caractères afin qu’ils soient étudiés. Leur mystère, à ce jour, n’a toujours pas été percé.
ce naufragé ressasse, en anglais, « ses
impressions de solitude, ses difficultés
avec les naturels, toutes les circons-
tances de sa vie singulière » – senti- De l’eau douce pour les moais
ments qui font écho aux feuillets de
son journal noircis sur La Flore. Il livre La nouvelle, révélée début janvier dans le Guardian, a fait grand bruit : le
aussi un portrait d’une jeune fille nom- mystère de l’emplacement des moais enfin révélé ! Le quotidien anglais
mée Ouaritaï (illustr. p. 62) , beau reprenant les conclusions de l’équipe du chercheur Carl Lipo, de l’université
comme une sanguine et qui sera publié Binghamton (New York), expliquait que les statues auraient été élevées aux
par L’Illustration en août 1872. endroits de l’île où sourd de l’eau douce. Hypothèse ambitieuse, qui ne fait
Le soir, changement de décor et d’atmos- pas l’unanimité parmi les spécialistes de l’île… D’abord parce que tout le
phère : c’est l’enlèvement de la statue. sous-sol de Rapa Nui est traversé d’eau souterraine. Ensuite parce que les
Une « corvée de 100 hommes » et les trois principales réserves d’eau douce (dans le cratère des volcans) ne sont
clairons sont de sortie, ce qui provoque pas agrémentées de plateformes à statues. Interrogé à ce sujet, Nicolas
l’affolement des naturels. Julien se Cauwe, conservateur Préhistoire et Océanie des musées royaux d’Art et
retrouve aux premières loges, par sa d’Histoire de Bruxelles, qui a dirigé de nombreux chantiers de fouilles sur
fonction (« prendre un dessin exact » Pâques, rappelle que cette étude ne prend en compte que la partie est de
des opérations) et par sa position l’île, délaissant ses parties ouest et nord-ouest, là où les autels à statues se
d’intermédiaire auprès des Pascuans. dressent sur des falaises de 150 à 170 m de hauteur, ce qui les prive de facto
Prenant à cœur son rôle de « reporter d’un accès à l’eau douce. Bref, beaucoup de bruit pour rien… X. D.
d’images », il note tout. Ce qu’il voit

RÉCIT PIERRE LOTI À L’ÎLE DE PÂQUES
Totems Environ 900 moais parsèment
MUSEE ROchEfORT (3)

Rapa Nui. Fasciné, Julien Viaud réalise
de nombreux croquis et études de ces
grandes statues de tuf.
Sa cabine reconstituée le terrifie : le « massacre » de la statue,

la tête coupée, les « sauvages » rendus
fous « gambadant » sur les moais… Il
En 1981, le Muséum de Toulouse acquiert des objets pascuans ayant appartenu à
avoue que son trait « est impuissant à
Pierre Loti, dont le manuscrit original de Rapa Nui et deux dessins de l’intérieur de
sa cabine sur La Flore exécutés par lui en 1872. Un siècle et demi plus tard, grâce à
rendre l’aspect fantastique » de la scène.
ces croquis, l’équipe du Muséum a reconstitué cette cabine, à l’identique, du Plus tard, sur La Flore, l’amiral le convie
mobilier aux objets qui la décoraient, pour la présenter dans l’exposition. Deux à prendre part à l’expédition du lende-
compagnons du devoir, Mathias Garcia et Maxence Girault, ont recréé l’armoire, la main, sur l’autre versant de l’île, à la
commode-secrétaire et la console présentes sur les dessins. La préparatrice et découverte du volcan Rano-Raraku,
taxidermiste Marie-Françoise Carillo a, pour sa part, reproduit les objets pascuans. sanctuaire et carrière des moais. Dans
À partir de photos existantes son journal, Julien repasse le fil de sa
ou, à défaut, en s’inspirant journée ; l’attitude d’un vieux chef au
d’objets similaires, elle a visage empli de tristesse – le seul qui
d’abord sculpté les ébauches
avait « gardé le respect des choses
dans de la mousse, puis moulé
sacrées » – le hante.
les pièces définitives en
polyuréthane. Pour donner
6 janvier. Cinq marins accompagnent
l’illusion du bois et de la Julien : « Lamotte, l’abbé, le médecin en
patine du temps, elle a utilisé chef, un lieutenant de vaisseau » – et
des pigments mêlés à de la un certain Guibert, « enseigne », que le
gomme en laque. En tout, plus jeune aspirant a dans le nez ; il le traite
de 60 éléments entrent dans le de « croûton » (faiseur de « croûtes »),
décor du fac-similé de La Flore. mais peut-être le voit-il aussi comme
Un labeur précis qui a un rival : « il projette des croquis pour
nécessité des milliers d’heures L’Illustration ainsi qu’un très grand
de travail. X. D.
MUSEUM DE TOULOUSE
nombre de peintures à l’huile ». Une

Minutie Les compagnons du devoir longue marche sépare la troupe du
redonnent vie aux meubles de Loti. cratère de Rano-Raraku. En chemin,

Hauteur de vues Esquisse du volcan
Rano-Kau. Retenu par L’Illustration, le
17 août 1872, ce dessin sera le premier
publié par l’aspirant de marine.
Grâce Julien Viaud excelle aussi dans

l’art du portrait, comme en témoigne
ce visage de la jeune Pascuane Ouaritaï.
Les points et traits sur son front et son
menton correspondent à des tatouages.
Julien photographie dans sa mémoire Le vieux chef lui cède une effigie en BIBLIOGRAPHIE
ces « plaines désolées » couvertes d’une bois, contre « une belle redingote d’ami-
herbe « rude, à tiges ligneuses », ces ral qu’il endosse sur-le-champ ». Rapa Nui. L’île musées Fenaille,
vallées dépourvues d’arbres puis sou- Au petit jour, La Flore s’éloigne pour de Pâques de Pierre Champollion et du
dain égayées par les mimosas et les de bon à l’horizon. Elle atteint Tahiti le Loti (Les Cahiers Muséum de Toulouse
de la girafe, 2009 (coéd. Actes Sud,
mûriers à papier. Il médite sur ces « ter- 29 janvier, après une escale aux Mar-
15 euros). 35 euros).
rasses autrefois chargées de statues » quises, à Nuku-Hiva, du 19 au 24. À
et ces « colosses aujourd’hui renversés ». Papeete, Julien a rendez-vous avec son Fac-similé et L’île, son histoire, sa
retranscription du faune et sa flore, ses
frère disparu, Gustave, qui a vécu là-bas
manuscrit de visiteurs illustres…
Quand Pierre Loti perce trois ans, avec une vahiné, Tarahu (que
l’écrivain. Introduction
sous Julien Viaud Julien retrouvera), dont il eut des enfants
(qu’il ne retrouvera pas). Des suivantes
de son biographe
Alain Quella-Villéger.
Parvenu au sommet du cratère, Julien de la reine tahitienne Pomaré baptisent
immortalise le paysage fantastique qui Julien Viaud « Roti » (devenu par alté-
s’offre à lui : « Nous avons le cratère au- ration « Loti »), du nom du laurier-rose,
dessus de nos têtes, à nos pieds ces ou de la rose, ou de la couleur rose. Un
plaines désertes plantées de statues, que patronyme qu’avec Le Roman d’un
peu d’Européens ont contemplées – et spahi, en 1881, l’écrivain adopte comme
pour horizon, l’océan Pacifique. » Le soir, pseudonyme. Pierre Loti
alors que La Flore doit lever l’ancre et Julien Viaud ne reverra jamais Rapa dessinateur
que Julien a fait des adieux poignants Nui… Mais dans sa cabine de La Flore, (éd. Bleu autour, 2010,
à ses amis, l’amiral le fait appeler pour il voyage en compagnie des objets qu’il 34,50 euros).
lui demander de négocier une idole pour a échangés sur l’île – une idole, une coiffe Un autre regard sur
lui. Crânement, Julien lui certifie qu’il de plumes, une pagaie, un pectoral –, l’écrivain-voyageur,
L’Île de Pâques, qui a dessiné toute
l’aura demain à l’aube. À 4 heures, il ceux-là même dont, vieux loup de mer, catalogue de sa vie les contrées
embarque une dernière fois pour Rapa il se souviendra, avec l’émotion des l’exposition des qu’il a visitées.
Nui, « dans la baleinière de l’amiral ». premières fois, à l’article de sa mort. u

L’album de l’Histoire avec
ColleCtion Sirot-Angel/Klervi le Collen

GERONIMO : DE L’IRRÉDUCTIBLE
APACHE À LA BÊTE DE FOIRE
Mort il y a cent dix ans, il a nargué et combattu
Américains et Mexicains, avant de terminer
ses jours en liberté surveillée, dans une réserve,
dont il ne sortait que pour être exhibé.
M
ars 1851 : des troupes Signe de ses pouvoirs surnaturels, il « Le pire Indien
mexicaines attaquent
un camp apache peuplé
fait preuve d’une intuition étonnante
lors du jeu du chat et de la souris qui
ayant jamais vécu »
Les raids faisaient partie du mode
de femmes et d’enfants. s’installe alors entre sa bande et les de vie apache. Ils relevaient autant de
À leur retour de la ville militaires américains et mexicains. la nécessité économique que de l’acte
de Janos (dans le nord du Mexique), En 1876, les Chiricahuas sont transférés de guerre. Abondamment relayés dans
où ils s’étaient rendus pour commercer, de force dans la réserve de San Carlos, la presse, les méfaits de Geronimo
les Indiens découvrent le massacre. en Arizona. Mais cet espace réduit ne (à dr.) ont semé la peur parmi les
Parmi les morts, la mère, la femme et convient pas au semi-nomadisme des colons. Cette psychose faisait peser
une forte pression sur l’armée, afin
les trois enfants de Goyaalé. Apaches, et ce, d’autant plus qu’ils sont
qu’elle mette un terme aux violences
Au cours des raids vengeurs qui suivent, contraints de cohabiter avec des tribus du « pire Indien ayant jamais vécu ».
« Celui qui bâille » prendra le surnom ennemies. Geronimo, suivi de fidèles, Il est toutefois difficile d’estimer
de Geronimo (de « Jérôme », le saint s’échappe à trois reprises de San Carlos. le nombre de victimes à imputer au
que les Mexicains invoquent pour leur Ils narguent les autorités des deux côtés célèbre Apache, notamment car son
protection). Né en 1829, il avait jusque- de la frontière, jusqu’à ce que les Amé- groupe (en haut) sévissait des deux
là mené une vie ordinaire. Contraire- ricains les acculent en 1886. Geronimo côtés de la frontière avec le Mexique.
ment à l’idée reçue, il ne sera jamais restera loin de sa terre natale jusqu’à
chef de sa tribu, les Chiricahuas. Mais sa mort, en 1909, à Fort Sill (Oklahoma),
liBrAirY oF CongreSS
c’est un homme respecté, tant pour sa ne quittant le camp militaire que pour
ruse que pour ses dons de chaman. se produire dans des foires.

L’album de l’Histoire
Traqués,
les Chiricahuas
résistent
Grâce à leur connaissance du terrain
et des techniques de survie, les
hommes de Geronimo ont longtemps
échappé aux troupes américaines.
En 1886, le général George Crook
les poursuit jusque dans leur bas-
tion, la Sierra Madre, au Mexique.
Il négocie avec Geronimo sa reddi-
tion (ci-contre), sous l’œil du pho-
Fly/library oF Congress/Corbis/VCg Via getty images

tographe C. S. Fly, qui immortalise
aussi la bande (ci-dessous). La veille
du jour convenu pour la capitulation
des Chiricahuas, un soldat venu leur
vendre de l’alcool les met en garde :
ils seront tués. Ils décident alors
de ne pas tenir parole. Un camouflet
qui coûtera sa place à Crook.

Fly/library oF Congress/Corbis/VCg Via getty images
Geronimo (ici devant le cheval) est une figure

ambivalente dans le camp amérindien. Respecté
par ses hommes,il est aussi accusé d’avoir nourri
la guerre en poursuivant sans relâche les raids


Gatewood,
l’artisan de la reddition
Le remplaçant de Crook, le général Nelson A. Miles (ci-
dessous, à droite de Geronimo), commence par déployer des
troupes fédérales, avant de faire appel au lieutenant Charles
Gatewood (ci-contre). Commandant des éclaireurs apaches
de l’armée, celui-ci est expert des traditions apaches et il
parle leur langue. Geronimo est pourchassé inlassablement.
Face aux recrues indiennes, il perd tout avantage tactique.
Ses hommes et lui se rendent le 4 septembre 1886. Ils seront
déportés (à g.), d’abord au Texas, puis en Floride.
DR
CORBIS VIA GETTY IMAGES
NATIONAl ANThROpOlOGICAl ARChIVES/SMIThSONIAN INSTITuTION

Vaincu, moqué
et exhibé
En 1894, Geronimo est envoyé
au camp militaire de Fort Sill
(Oklahoma). Il reçoit un lopin
de terre, où il cultive des
pastèques, et se convertit au
christianisme. À partir de 1898,
il participe à des foires, où les
foules se pressent pour voir
l’« Indien sanguinaire ». Il pose
dans des mises en scène telles
que celle ci-dessous, prise lors
de l’Exposition universelle de
1904. Ces images offrent une
vision folklorique des Amérin-
diens, mais elles permettent
aussi à Geronimo de gagner
CORBIS VIA GETTY IMAGES

de l’argent… Il décède en
mars 1909, à l’âge de 80 ans,
des suites d’une pneumonie.
ChARlES CARpEnTER/FIEld MuSEuM lIBRARY/GETTY IMAGES

Ex os
72. Expos
78. Écrans
82. Livres
90. Voyage
PAR JOËLLE CHEVÉ
94. Gastronomie
LA PROMESSE DE L’AUBE
1937, l’insouciance et les
premiers moments de liberté.
Cliché (intitulé En route vers
l’auberge de jeunesse) de
Pierre Jamet.
JAmET
ALLONS Z’ENFANTS
DE LA « GÉNÉRATION 1940 »
 Marqués par le souvenir de 14-18, ces jeunes Français se trouvent
plongés dans l’horreur de la Seconde Guerre mondiale, à l’heure des choix.
«
M
a petite classe d’âge que rien ne des- Génération 40. gnages d’une vivifiante
maman tinait à de tels sacrifices et Les jeunes et la guerre insolence et fraîcheur : celle-
chérie, qui croyait, après le carnage CENTRE D’HISTOIRE ci qui se cache pour ne pas
mon tout de la Grande Guerre, à un DE LA RÉSISTANCE chanter Maréchal, nous
petit frère adoré, mon petit avenir radieux. ET DE LA DÉPORTATION, LYON, voilà !, celui-là qui juge « inu-
papa aimé, je vais mourir ! » Accueilli par une scénogra- jusqu’au 26 mai. tiles et stupides » les chan-
La lettre d’adieu de Guy phie dynamique, à l’image tiers de jeunesse qui se
Môquet, 17 ans, avant son d’une jeunesse dont la bicy- transforment en service
exécution par les Allemands clette fut la grande conquête, nir de 14-18, et qui, selon les civique obligatoire, cet autre
en octobre 1941, est au le visiteur est immergé dans milieux ou les idéologies, qui tente de supporter la vie
centre de cette exposition si un monde qui, plus qu’aucun cultive un idéal et découvre « idiote » que lui a imposée
riche et émouvante. Elle autre, lui paraît proche, pré- l’autonomie au travers des le STO, ou encore cette der-
témoigne du tribut payé par cisément parce qu’il s’agit de loisirs, du scoutisme, du nière qui se demande de quoi
la jeunesse pendant l’Occu- la jeunesse, la sienne, celle syndicalisme… se mêle le cardinal Gerlier
pation. Mais elle est aussi le de ses parents, enfants ou La modernité des tenues, des lorsqu’il condamne la danse
symbole de l’engagement, petits-enfants. Une « généra- coiffures et des relations comme « une insulte à la
sous toutes ses formes – la tion 40 » pourtant très diffé- entre garçons et filles est souffrance et à la douleur ».
Résistance comme la Révo- rente de celles qui l’ont frappante, sur les photogra- Dans les villes, les étudiants,
lution nationale –, d’une suivie, élevée dans le souve- phies comme dans les témoi- qui ne représentent que 3 %

Histoire vivante
PAR ÉRIC TEYSSIER
de leur classe d’âge, déve- collaborateurs, tel ce Marcel

loppent une contre-culture Déprès, au sourire éclatant,
qui défie l’ordre moral membre du PPF, condamné
imposé par Vichy. Propor- par la cour martiale de Lyon
tionnellement au reste de la en 1944 et qui ne trouve rien
population, les jeunes ont à dire pour sa défense… Et,
plus souvent pris parti, et tout au long du parcours, en
nombre d’entre eux entrent fil rouge, le magnifique
Miss Jane
dans la Résistance. témoignage d’Hélène Berr
Affiches de propagande, (1921-1945), étudiante juive
tracts, journaux, documents parisienne, qui tint, au jour LA FAYETTE,
et objets divers ponctuent la
traversée de cet univers
le jour, un journal d’espé-
rance radieuse puis de déses-
NOUS (RE)VOILÀ
C
adolescent à l’épreuve de poir noir, où ne brillait plus hargé d’études en ingénierie, le « major
l’insoutenable, de l’irrépa- que l’étoile qui la conduisit William Flynn » vit dans les Pays de la
rable. Résistants et parfois dans l’enfer d’Auschwitz. u Loire. Depuis 1992, il collectionne le
militaria de tous les belligérants de la Seconde
Guerre mondiale et, de cette expérience, est né
en 2014 un groupe original de reconstitution, le
« Groupe Lafayette », consacré à la guerre de
l’Indépendance (1775-1783). Très soucieux du
détail, ses soldats manœuvrent d’après le manuel
du général von Steuben – Prussien rallié à la
cause des Insurgents, qui rédige, dès 1779, le
premier règlement militaire de l’armée des États-
Unis. Ce thème est abordé sans parti pris, car le
major et ses hommes revêtent avec le même
plaisir l’habit rouge des Britanniques. Pour cette
jeune association, la participation au retour de la
frégate Hermione à Rochefort en 2015 a
constitué un grand moment. Pour William, « la
reconstitution contribue à la préservation de
notre patrimoine historique. Elle permet d’offrir
au plus grand nombre une sorte de tableau vivant
ouvert sur le passé. Elle est amenée à s’étoffer et
à perdurer ». Elle connaît d’ailleurs un nouveau
souffle grâce à l’arrivée de nombreux jeunes
passionnés, encore plus pointilleux sur le respect
du détail historique que les anciens. On pourrait
penser que tout cela suffit à occuper les loisirs
d’un seul homme, mais le major a d’autres cordes
à son arc. Il aborde aussi la reconstitution
de la guerre franco-indienne, l’US Navy dans le
Pacifique ou le fantassin américain de 1917.
PieRRe VeRRieR
Le « Groupe Lafayette » est sur tous les fronts ! u

Pour en savoir plus, voir les pages Facebook : « Groupe Lafayette »
GRIMACE Ordre moral imposé par Vichy, travail obligatoire instauré & « William Flynn ».
en Allemagne, rafles, l’entrée dans le monde adulte se révèle tragique…

Expos
DanIEL MaRTIn/MUSEUM DE ToULoUSE
ET AUSSI
Foujita
Œuvres d’une vie
(1886-1968)
Maison de la culture du Japon,
Paris, jusqu’au 16 mars.
n
Femmes fatales.
Femmes puissantes
dans le monde
Gemeentemuseum, La Haye
(Hollande), jusqu’au 24 mars.
SE
ULoU
n
DE To
Fendre l’air. Art du

SEUM
bambou au Japon
In/MU
Musée du Quai-Branly, Paris,

L MaRT
jusqu’au 7 avril.
DanIE
Quoi de neuf
au Moyen-Âge ?
Pont du Gard, jusqu’au 28 avril.
n
Pierre Bonnard.
La couleur
de la mémoire
Tate Modern, Londres
MUSEE DE ToULoUSE
(Angleterre), jusqu’au 6 mai.
n
Il était plusieurs
fois. Ève, Noé,
BANETTE L’officier Julien Viau – futur Pierre Loti – croque sa cabine lors
du voyage qui le mène vers l’île et ses trésors (comme ce pectoral et cette pagaie).
Moïse et beaucoup
d’autres
Musée de la Réforme, Genève
L’ÎLE DE PÂQUES RESSUSCITÉE

(Suisse), jusqu’au 9 mai.
n
Klèrotèrion.
Le tirage au sort
 Abandonnez les fantasmes, dépoussiérez les idées reçues à Athènes
et entrez dans la réalité scientifique de la « Grande Rapa ». dans l’Antiquité
Musée Adolf-Michaelis,
Strasbourg, jusqu’au 11 mai.
L
n
’île de Pâques, perdue au milieu monde » mais la « Grande Rapa ». Reconsti- Arts d’Afrique.
du Pacifique, a vécu sans aucun tution, d’après ses dessins, de la cabine de La donation Ewa
contact extérieur pendant plus de Pierre Loti sur La Flore, pièces exception- et Yves Develon
sept cents ans. Elle est découverte nelles provenant des collections des surréa- Musée des Confluences, Lyon,
jusqu’au 12 mai.
le jour de Pâques 1722 par un navigateur listes André Breton et Tristan Tzara, et des
n
hollandais puis visitée par James Cook et Musées d’art royaux de Bruxelles illustrent Tomber sur un os.
Lapérouse. Une densité incroyable de statues une culture vieille de plus de cinq mille ans. Quand les
de pierre gigantesques, des sculptures de Vivant à moitié nu dans des cabanes de paille, archéologues font
bois aux formes uniques et une écriture, le ce peuple de grands marins a édifié une parler les morts
Archéa-Roissy Pays de France,
rongorongo, indéchiffrable ! Autant d’énigmes société complexe, méprisant l’accumulation
jusqu’au 19 mai.
qui nourrissent rêves et fantasmes dans le des richesses, divinisant le talent des artistes, n
sillage de Pierre Loti (lire l’article p. 58-63), et s’en remettant aux ancêtres pour la gestion Graver pour le roi.
qui en revint comme illuminé. du monde. Tout un programme pour l’avenir Collections
Aujourd’hui, les scientifiques ont dissipé ces de nos sociétés… u du Louvre
Musée du Louvre, Paris,
mystères, tout en rendant hommage à l’ori- n Île de Pâques, le nombril du monde,
jusqu’au 20 mai.
ginalité de Rapa Nui, qui ne signifie pas, muséum d’Histoire naturelle, Toulouse (31), jusqu’au 30 juin. n
comme le veut la légende, « Nombril du Rens. : 05 67 73 84 84 et www.museum.toulouse.fr

Gustave Courbet, trait pour trait…
 En ouverture du bicentenaire sera le maître de la couleur de son
de la naissance de Gustave Courbet, siècle. Le réalisme cru de nombre de
une exposition, dans sa ville natale, ses toiles, L’Enterrement à Ornans, Les
propose d’analyser la part la plus Casseurs de pierre, L’Origine du monde
méconnue de son œuvre : le dessin. – exposé pour la première fois en 1995
Autoportraits dès l’âge de 14 ans, au musée d’Orsay, et qui fait encore
portraits de ses sœurs, Zélie, Juliette, scandale –, a fait hurler les adeptes de
figures d’amis, de bourgeois, d’amants l’académisme, du classicisme et du
dans la campagne (ci-contre), études romantisme réunis. En sera-t-il de
de nus, paysages… Dès l’enfance, même pour ses dessins, dont
il dessine et perfectionne son trait à l’authenticité, notamment ceux du
Ornans puis à Besançon, auprès de fonds Reverdy, fait polémique ? Sans
deux maîtres, anciens élèves de David. doute au grand plaisir posthume de
Autour d’un corpus d’une quarantaine celui qui disait : « J’ai toujours vécu
Musée Gustave COuRbet, ORnans
de dessins provenant de l’ancienne grâce au bruit que je faisais »… u

collection du peintre et graveur n Courbet dessinateur, musée départemental Courbet,
genevois Émile Chambon, on découvre Ornans (25), jusqu’au 29 avril. Rens. : 03 81 86 22 88 et
le génie en noir et blanc de celui qui https://musee-courbet.doubs.fr
Quel chantier ! Vivre d'amour et de peintures

Un chantier n’est pas que  Pour le 350e anniversaire de la mort de Rembrandt, le Fries Museum a choisi
la réalisation d’un projet d’illustrer, au travers du couple qu’il a formé avec sa femme bien-aimée, Saskia Van
dans un espace chaotique Uylenburgh, les grands mariages au temps du Siècle d’or hollandais. 23 œuvres du
– « Quel chantier ! » –, maître, dont les portraits de Saskia, célèbrent les joies de la conjugalité et de la mater-
encombré, bruyant, voire nité. Portraits de couples, bijoux… célèbrent l’amour, la fidélité et les fêtes et banquets
dangereux. Plans, qui accompagnaient les noces de ce
photographies, films, temps. Celles de Jelle Eraert Van Pipen-
maquettes et témoignages poy et Jel Van Liauckema ont donné
de grands constructeurs lieu à un véritable « reportage », grâce
révèlent ses implications aux portraits et archives conservés.
techniques, politiques et Les tableaux, notamment ceux de
artistiques. Vaincre la Jacobsz et Abraham Van den Tempel,
pesanteur, franchir consacrent la réussite de ces unions.
l’infranchissable, défier Mais la mort est là, qui guette ses proies.
la nature, les « grands Seul un enfant survit et Saskia s’éteint
travaux » sont des lieux de à 29 ans, après huit ans de mariage. Vient
pouvoir et de compétition, le temps pour Rembrandt des amours
mais aussi des foyers de ancillaires et, malgré la gloire, celui des
FRies MuseuM, LeeuwaRden/COLLeCtiOn ROyaL FRisian sOCiety
prouesses et de fierté, à dettes et des arrangements misérables :

l’image de ces ouvriers en 1662, pour payer l’enterrement de sa
du peintre Fernand Léger domestique et maîtresse, Hendrickje, il
MuseuMsLandsCHaFt Hessen KasseL
dominant le monde sur vendra la tombe de Saskia… u

leurs échafaudages. u n Rembrandt et Saskia, l’art d’aimer au Siècle d’or,
n L’art du chantier. Construire Fries Museum, Leeuwarden (Hollande), jusqu’au 17 mars.
et démolir du XVIe au XXIe siècle, cité Rens. : 058 255 55 00
de l’architecture et du Patrimoine (Paris), et www.friesmuseum.nl
jusqu’au 11 mars. Rens. : 01 58 51 52 00 ŒUVRE AU NOIR L’épouse bien-aimée de
et www.citedelarchitecture.fr Rembrandt, célébrée, pleurée et bientôt oubliée.

Expos
LES MIRAGES MÉDITERRANÉENS

DE THÉODORE CHASSÉRIAU
Inspiré par Ingres et Delacroix, ses maîtres, le jeune peintre a bouleversé
la palette du romantisme en puisant aux sources de l’Orient.
par Élisabeth Couturier
V
ers 1850, la pein- l’Algérie, le souffle de l’His- Une démonstration remar-
ture orientaliste toire porte les peintres vers quablement menée avec
connaît une de nouveaux horizons : ils l’exposition « L’Orient des
vogue immense accompagnent les armées, peintres », au musée Marmot-
en France. Elle propose un participent aux relevés topo- tan à Paris. Et, parmi les
exotisme conforme aux fan- graphiques et secondent les artistes présentés, l’œuvre
tasmes du public : odalisques scientifiques dans leurs de Théodore Chassériau
offertes au regard du spec- observations. illustre ce basculement.
tateur, palais dignes des Et, très vite, l’Orient devient Élève d’Ingres (1780-1867),
Mille et Une Nuits, jardins pour eux synonyme d’aven- L’Orient des peintres, dont il vénère la technique,
luxuriants, cavaliers en tures et de renaissance. Sa du rêve à la lumière il est attiré par la fougue de
tenues d’apparat… lumière et ses couleurs MUSÉE MARMOTTAN Delacroix (1798-1863). Aussi,
Le XVIII e siècle avait ses agissent en profondeur sur du 9 mars au 21 juillet lorsque, en 1846, le calife de
turqueries, le XIX e siècle leur palette, sur les thèmes Constantine, dont il a peint
développe un orientalisme abordés ou sur les harmonies le portrait, l’invite en Algérie,
MICHEL URTADO/RMN-GP
mêlant projections d’un ail- colorées audacieuses. Cette versement esthétique, pas- l’artiste, encouragé par ses
leurs rêvé et témoignages mode que l’on sait éphémère, sant par les impressionnistes amis Théophile Gautier,
réinterprétés. Car, dès les voire anecdotique, introduit, jusqu’à la peinture moderne Gérard de Nerval et Maxime
campagnes napoléoniennes, pourtant, chez les meilleurs et l’apparition des premiers du Camp, ne se fait pas prier,
et jusqu’à la colonisation de d’entre eux, un lent boule- tableaux abstraits. trop heureux de se rendre
sur les traces de l’auteur de
Femmes d’Alger dans leur
appartement, un de ses
UNE VIE FUGACE POUR tableaux préférés, présenté
UNE ŒUVRE MONUMENTALE au Salon de 1834.

Il dessine tout ce qu’il voit et
Né en 1819, il fait preuve d’une vocation artistique précoce et se concentre sur le portrait
entre aux Beaux-Arts de Paris à 12 ans, dans l’atelier d’Ingres. en pied. Ce voyage accélère
Chassériau fréquente alors les meilleurs artistes et écrivains sa mue : il joue les contrastes
bRIDGEMANIMAGES.COM
de sa génération, comme Théophile Gauthier, qui soutient de tons, privilégie les scènes
sa carrière dès sa première participation au Salon, en 1836. en mouvement, et relâche sa
Son succès déclenche de nombreuses commandes et lui assure touche pour donner plus de
un certain confort matériel. En 1840, il séjourne en Italie. Les retrouvailles avec Ingres, alors sensualité à sa peinture. Il
directeur de la villa Médicis, se passent mal : le maître honnit le frémissement coloré de ses réalise, alors, la parfaite syn-
figures. Son attrait pour les couleurs, les formes mobiles, et un certain sentimentalisme thèse entre Ingres et
s’affirmeront de toile en toile. Et le voyage que Chassériau effectue en Algérie, en 1846, le Delacroix, entre les tenants
pousse dans ce sens. La critique y voit alors l’influence de Delacroix, même si l’artiste rend du modèle antique et les
régulièrement hommage à Ingres. Il meurt en 1856, à 37 ans, au faîte de sa gloire. É. C. romantiques qui placent l’émo-
tion aux avant-postes. u

2
4
5
DANSEUSES MAROCAINES. LA DANSE AUX MOUCHOIRS (1849),

Paris, musée du Louvre.
Les femmes. Elles portent La danse. Ce thème permet à

1 un costume typique de Constantine,
3 Chassériau de suggérer le mouvement
réservé aux femmes maures et aux Juives. par la torsion des corps et le rythme des
Invité à se rendre Il est reconnaissable à la ligne verticale qui mouchoirs que l’on agite. Cette danse
en Algérie, le jeune coupe le vêtement en deux parties vivement consiste à avancer l’une vers l’autre en
colorées. Ces notes de couleur attirent le sautillant, puis à se croiser, en tenant à la
peintre découvre regard et détachent les danseuses du fond, main des mouchoirs que l’on fait voltiger.
de nouvelles plus neutre. Une manière pour Chassériau de L’architecture. Les peintres
harmonies focaliser notre regard sur son sujet.
4 orientalistes ont particulièrement
de couleurs Le décor. C’est une école visitée puis apprécié et reproduit l’art des mosaïques et
2 dessinée ultérieurement par le peintre. leurs motifs géométriques, qui font partie
et une sensibilité Mais, dans le souci d’équilibrer sa composition, intégrante de l’architecture mauresque.
exacerbée Chassériau réalise un collage entre deux La tenue des hommes.
au mouvement. endroits différents. Un procédé fréquent chez
5 Ils portent un turban et un burnous,
les orientalistes, qui peignent leurs tableaux cape traditionnelle pourvue d’un
en atelier à leur retour de voyage. Une large capuchon. Cet habit, très populaire au
apparence de réalité, un demi-mensonge ! Maghreb, est tissé en une seule pièce.

Écrans
DEUX SOUVERAINES À LA LUTTE
POUR LE MÊME TRÔNE
 XVIe siècle : dans un royaume britannique déchiré entre catholiques
et protestants, Marie Stuart dispute la couronne à Élisabeth Ire.
LIAM DANIEL/FOcUS FEATURES
LIAM DANIEL/FOcUS FEATURE

DUALITÉ. Grimée, l’Australienne Margot Robbie (à g.) incarne une reine d’Angleterre déterminée à abattre sa rivale écossaise (Saoirse Ronan).
À
contre-courant envoyée en France pour résiste à John Knox, person-
des derniers parfaire son éducation. Le nage menaçant à la tête de
films mettant en 10 juillet 1559, elle devient l’Église protestante, horrifié
scène le règne reine de France, un an après à l’idée qu’une femme puisse
d’Élisabeth Ire, la réalisatrice son mariage avec le dauphin, régner. Au-delà des consé-
britannique Josie Rourke François II. Veuve à 18 ans, quences politiques immé-
construit son scénario sur la elle regagne l’Écosse en diates, le retour de Marie
puissance, le charisme, la bateau afin de récupérer le Stuart est pour Élisabeth Ire
beauté et l’ingéniosité de trône qui lui revient. une provocation personnelle,
Marie Stuart face à son des- Marie Stuart, reine d’Écosse puisqu’elle pourrait se marier
tin tragique. Le film s’ouvre Portrait pointilleux DRAME DE JOSIE ROURKE avant elle et offrir un héritier
et s’achève sur sa décapita- Le scénario débute par le 125 min, sortie le 27 février au trône d’Angleterre.
tion. Née le 8 décembre 1542, débarquement de la jeune Si la fiction permet de faire
elle n’a que 6 jours quand elle femme épuisée sur une plage quelques entorses aux faits
hérite du trône d’Écosse à agitée d’Écosse. Elle est en Angleterre. Elle s’oppose historiques, elle a le mérite
la mort de son père, le roi belle, jeune et déterminée. avec autorité à son frère de dresser un portrait poin-
Jacques V. Le pouvoir est Pour les catholiques, elle illégitime, James Stuart, tilleux et sensible de ces
confié à des régents. Fille de représente l’espoir du réta- comte de Moray, meneur de deux femmes à la vie affec-
Marie de Guise, elle est blissement de la foi romaine la faction protestante. Elle tive tumultueuse, contraintes

Jeu de rôle
PAR VIRGINIE GIROD
de ne jamais accorder leur du film : « Marie a toujours

confiance, et surtout pas aux soutenu, comme Élisabeth
hommes, qui, pour la plupart, à quelques reprises, que, si
les trahissent. Deux héroïnes, elles avaient eu une conver-
obsédées l’une par l’autre, sation en tête à tête, elles
Sandrine Schwoehrer
qui se rencontrent en auraient réussi à surmonter
cachette au cours d’une leurs différends. »
scène aussi puissante que Un peu long, le film est sou-
cruelle, élaborée à partir des tenu par deux actrices for-
courriers qu’elles se sont midables : Margot Robbie, LE JEU DE LA POLITIQUE
échangés, alors que Marie
Stuart est emprisonnée en
ravissante et austère au
début et qui n’hésite pas
INTERNATIONALE
A
Angleterre. Il n’existe aucune ensuite à s’enlaidir pour vec un titre comme Harem Son Saat,
preuve d’un tel rendez-vous incarner le visage variolé de ce jeu de rôle grandeur nature (GN)
– il est plus probable que les la reine d’Angleterre, et semble inspiré par les rêveries orien-
reines ne se connaissaient Saoirse Ronan, nommée talisantes de Pierre Loti. Il ne faut pas
qu’au travers des portraits plusieurs fois aux Oscars, qui s’y fier. Le scénario, très politique, repose sur de
peints. Selon l’historien John joue une flamboyante Marie solides rouages diplomatiques entre l’Europe et
Guy, sollicité pour l’écriture Stuart. YETTY HAGENDORF l’Empire ottoman à la veille de la Grande Guerre.
Si les personnages sont fictifs, les intrigues s’appuient
sur des faits réels. Pendant deux jours, le sultan
CINÉMA d’un royaume enclavé en Turquie reçoit des délé-
L’amour au temps des Khmers gations française, allemande et anglaise pour affaires.
Parallèlement, des rebelles slaves œuvrent dans
l’ombre pour faire triompher leur droit souverain
à disposer d’eux-mêmes, et tant pis s’il faut verser
le sang pour y parvenir. Les tensions d’un conflit
généralisé sont en germe, et les choix des joueurs
impacteront autant leur destinée que l’Histoire.
Dans ce jeu au réalisme soigné, les femmes occi-
dentales sont reçues au harem, conformément à la
bienséance en 1913. Cet univers feutré est le théâtre
d’un choc des cultures violent. Les joueuses expé-
dr
 17 avril 1975 : les Khmers rouges ont pris le pouvoir. Les rimentent le sentiment de claustration, les rivalités
étrangers sont priés de regagner leur ambassade, et un et les solidarités inhérentes à un système oppressif.
million de Cambodgiens errent sur les routes. Parmi eux, Par des guerres d’influence auprès de leurs époux,
Chou, une jeune mère, et son époux, Khuon, séparés de leur fils ou frères, elles se découvrent dépositaires de
fils, Sovanh, âgé de 4 ans. Assignés dans un camp de travail, pouvoirs dont les joueurs incarnant des eunuques
ils sont à la merci de leurs geôliers et contraints de ruser sont souvent les agents. L’immersion est magnifiée
pour survivre… Avec beaucoup de délicatesse, le réalisateur par une mécanique de jeu bilingue : l’anglais figure
raconte ici le destin de sa mère, sa détermination et les le turc ; et le français, la langue internationale.
souffrances qu’elle a endurées pour le retrouver. Sobre mais D’abord organisé en France puis en République
puissant, le film dévoile des paysages paisibles, soulignés tchèque, Harem Son Saat est une leçon d’histoire
par des couleurs profondes. Le dessin, soigné et émouvant, magistrale et une aventure humaine hors norme.
contraste avec l’oppression qu’ont vécue les Cambodgiens. Le jeu de rôle grandeur nature est une activité associative à but non lucratif.
Tout public, Funan est un devoir de mémoire pour les 1,7 à Pour plus d’informations sur ce jeu et son association d’hébergement :
http://www.asso-role.fr/haremlarp-en/
2 millions de victimes des Khmers rouges. Y. H.
n Funan, de denis do (voix de Bérénice Bejo et Louis Garrel), 84 min, sortie le 6 mars.

Écrans
CINÉMA TÉLÉVISION
Enquête contre l’oubli Planespotting avec Ewan McGregor
fournissant les armes, a  On connaissait Ewan McGregor acteur et réalisateur.
lui été éliminé alors qu’il Mais pas le fana d’aviation et de la RAF. Passion partagée avec
s’apprêtait à indiquer le son frère Colin, pilote de chasse pendant vingt ans et
lieu du drame. Les aujourd’hui instructeur. Dans leur trilogie, ils revisitent les
recherches reprendront 100 ans de la RAF, avec témoignages d’anciens pilotes et mises
dans les années 1980, en situation. Ils analysent l’évolution des avions, des premières
avant de s’arrêter… machines de guerre de 1914 au puissant Typhoon, appareil de
Le réalisateur israélien, chasse moderne. Ils font revivre les combats entre le Spitfire et
petit-fils de survivants de le Messerschmitt 109 et volent à bord du bombardier Lancaster,
la Shoah, reprend les fer de lance des batailles au-dessus de l’Allemagne nazie. Le
investigations en signant tout avec humour, mais aussi émotion, comme pour l’évocation,
un thriller historique avec des survivants, du bombardement de Hambourg par la
fondé sur de poignants RAF, qui fit 42 000 morts. LENA ROSE
 Consacré au massacre témoignages. « Mon père n 100 ans de RAF, de Harvey Lilley (trois épisodes) – « Ewan McGregor : mission “Royal
de Rechnitz, en Autriche ne pouvait ou ne voulait Air Force” », le15 mars à 20 h 55 ; « Mission “bataille d’Angleterre” », le 22 à 20 h 55 ;
– où, en mars 1945, pas partager avec moi « Mission “Lancaster” », le 29 à 20 h 55. Sur Planète +, Enquête d’histoire.
200 corps auraient été son expérience des
jetés dans une fosse camps. J’ai grandi dans
commune –, le film est un vide émotionnel et
une laborieuse enquête existentiel. » Sa
contre le refoulement et démarche, qui
le déni. Les recherches s’apparente à une quête
sur Rechnitz ont débuté personnelle, souligne
juste après la guerre, l’impact de l’Histoire sur
mais les deux témoins notre quotidien. Y. H.
d’alors ont disparu. Le n Les Témoins de Lendsdorf, drame
premier, un Juif, a été d’Amichai Greenberg, avec Ori Pfeffer,
FREDDiECLAiRE
assassiné. Le second, qui Hagit Dasberg-Shamul, Emmanuel
participa au carnage en Cohn, 94 min, sortie le 13 mars.
LES RENDEZ-VOUS AVEC L’HISTOIRE

Goldar Meir, Entre le seigneur, les serviteurs ou L’Énigme de la tombe L’Énigme de La Belle
Première ministre les prisonniers, comment vivait-on celte Princesse
MARDI 5 MARS 23 h 30 dans un château fort ? Et comment SAMEDI 23 MARS 20 h 50 SAMEDI 30 MARS 20 h 50
De Sagi Bornstein, Udi Nir et faire la part des choses entre D’Alexis de Favitski (Fr., 2016, De David Murdock (É.-U., 2011,
Shani Rozaness (All., R.-U., l’Histoire et les légendes ? 86 min). 52 min).
Israël, 2018, 52 min). n Enquête sur la civilisation celtique Ce portrait, apparu dans une
Première – et seule femme – à avoir Orient-Express, le à partir d’une tombe princière vente chez Christie’s, fut présenté
été à la tête d’Israël, de 1969 à voyage d’une légende découverte en Champagne en 2014. d’abord comme une huile du XIXe.
1974, en plein conflit israélo-arabe. SAMEDI 16 MARS 20 h 50 n n
n De Louis-Pascal Couvelaire Hécatombe Le Mystère
Les Châteaux (Fr., 2018, 90 min). au Néolithique de La Joconde
du Moyen Âge Trains des rois et des passagers SAMEDI 23 MARS 22 h 15 SAMEDI 30 MARS 21 h 40
SAMEDI 2 MARS 20 h 50 légendaires, il a fourni au voyage De Gabriele Wengler De Ian Leese (R.-U., 2015, 52 min).
De Martin Becker et Sabine Bier ses lettres de noblesse… Une À la manière d’un polar, retour sur Documentaire mené par l’historien
(2018, 2 x 52 min). archéologie ferroviaire de l’épopée. la disparation de nos ancêtres… de l’art Andrew Graham-Dixon.

RADIO DOCUMENTAIRE
Politiques et agriculteurs : cinquante ans d’amour vache
À PODCASTER
PAR PAUL-FRANÇOIS TRIOUX
Jean-Baptiste
Drouet, héros de
Varennes en 1791
29 min
KeysTone FRAnCe, D. simon, sTePhAne, e. BAuDeT-mPA/GAmmA-RAPho
(France Inter)
https://www.franceinter.fr/
emissions/la-marche-de-l-histoire/
la-marche-de-l-histoire-08-
janvier-2019
n
À l’écoute de Radio
Vichy, 1941-1942
30 min
(France Inter)
https://www.franceinter.fr/
emissions/la-marche-de-l-histoire/la-
marche-de-l-histoire-04-janvier-2019  « C’est physique, le Salon de Coty. Réalisé comme une pièce de théâtre en
n l’agriculture »… La plus grande ferme de quatre actes, et raconté par François Morel,
L’Odyssée tragique France est aussi l’arène d’un combat de coqs, le film de Delphine Prunault fait défiler dans
du paquebot Saint si l’on en juge par la manière dont les les allées du Salon plus de cinquante ans de
Louis
politiques en parlent dans ce film. C’est Ve République, de De Gaulle à Macron, en
2 x 52 min
(France Inter) surtout un passage obligé. Comme le s’attardant sur Jacques Chirac, champion
https://www.franceinter.fr/ souligne Édouard Lynch, historien de la toutes catégories avec quarante années à
emissions/affaires-sensibles/ ruralité et conseiller du film : « C’est une serrer les mains et flatter les bêtes. C’est
affaires-sensibles-07-janvier-2019
étape qui vient en quelque sorte adouber la aussi l’occasion de réviser un demi-siècle de
n
Reims, cathédrale fonction présidentielle. » Et une coutume petites victoires et de grands échecs de la
bombardée ancrée dans la tradition républicaine. Créé politique agricole. L. R.
59 min en 1964 par le ministre de l’Agriculture du n Salon de l’agriculture : la politique en campagne,
(France Culture) général de Gaulle, Edgard Pisani, le Salon de film documentaire écrit et réalisé par Delphine Prunault,
https://www.franceculture.fr/
l’agriculture a succédé au Concours général 52 min. Diffusé sur France 5 le 24 février, à 22 h 40, dans le cadre
emissions/concordance-des-
temps/reims-une-cathedrale-et- agricole, qui reçut Vincent Auriol et René de la programmation « La case du siècle ».
tant-de-memoire
n
Portrait d’une THÉÂTRE

reine : Jeanne de
France Une allégorie de la Grèce à l’agonie
35 min
(Les Nuits de France culture)  La Liberté ou la Mort oblige, le soulèvement est
https://www.franceculture.fr/ est le premier volet d’une suggéré ; quatre acteurs
emissions/les-nuits-de-france-
trilogie sur la guerre (1821- campent de nombreux per-
culture/portrait-dune-reine-de-
france-jeanne-de-france-1ere- 1929) qui libéra la Grèce des sonnages. Anissa Daaou met
diffusion-02091973-0 Ottomans. Politiques et mili- l’accent sur le débat démo-
n taires grecs se déchirent, des cratique, qui se poursuit avec
Les Guerres emprunts sont faits à des taux le public et interroge notre
de l’Opium
CéCiLiA GALLi
23 min
d’usure auprès de banques capacité à s’engager.
(Radio Canada) anglaises. La France, le ÉVELYNE SELLÉS-FISCHER
https://ici.radio-canada. Royaume-Uni et la Russie Ce volet aborde le début de n La Liberté ou la Mort, texte et mise
ca/premiere/emissions/ forcent les Ottomans à recon- l’insurrection, les similitudes en scène d’Anissa Daaou, Théâtre
aujourd-hui-l-histoire/
naître l’indépendance de la avec aujourd’hui (ingérence de la Reine-Blanche, jusqu’au 16 mars,
episodes/422026/audio-fil-du-
mardi-11-decembre-2018 Grèce, qui, endettée, se sou- étrangère, dépendance finan- les mardis, jeudis, samedis à 19 heures.
met à Othon Ier de Bavière… cière). Économie de moyens Rens. : 01 40 05 06 96.

Livres
HITLER DANS LES PETITS PAPIERS
DES JOURNALISTES
 Éric Branca livre une brillante étude critique des interviews que le leader nazi
a accordées à des journalistes crédules ou partisans. Édifiant.
par Denis Lefebvre
Les Entretiens oubliés

d’Hitler, 1923-1940
D’ÉRIC BRANCA
(Perrin, 301 p., 22 euros)
C
bRIDgEmANImAgES.cOm
omment, lisant ces
entretiens accor-
dés par Hitler à la
presse internatio- OPÉRATION SÉDUCTION. Entre 1923 et 1940, le chancelier (ici en 1934) a donné 30 entretiens à la presse étrangère.
nale entre 1923 et 1940, ne
pas se retrouver plongé dans droite, au lectorat déjà Grande Guerre convertis au aussi le sort qui lui a été
un abîme de réflexion ?… Ce convaincu : Hitler s’ouvre à pacifisme et qui placent la réservé à l’issue de la guerre.
livre nous aide à comprendre des publications tournées réconciliation avec l’Alle- Au fil des interviews, on
au plus près le fonctionne- vers le grand public, enten- magne au premier rang de mesure que les journalistes
ment du Führer, les messages dant ainsi, comme l’écrit Éric leurs préoccupations. » de toutes nationalités
qu’il fait passer selon ses Branca, « élargir ses parts de L’auteur a retenu 16 entre- abdiquent tout esprit cri-
interlocuteurs, ses men- marché plutôt que de culti- tiens sur les 30 accordés par tique, évitent de poser des
songes recueillis par des ver son pré carré ». Hitler à des journalistes questions gênantes. Mais il
plumes complaisantes. On étrangers. Chacun d’entre y a plus : certains d’entre eux
mesure que sa stratégie de Les sympathies de eux est reproduit in extenso font montre de sympathie –
communication en dehors L’Intransigeant et précédé d’un texte de pré- prudent euphémisme – pour
de l’Allemagne est orches- Il sélectionne aussi ses inter- sentation le resituant dans l’hitlérisme. Sollicitant en
trée avec soin. Inutile, et locuteurs : dans le cas des le contexte du moment. 1937 un entretien, une jour-
même contre-productif pour Français, il accorde ses ana- Chaque journaliste bénéficie naliste de L’Intransigeant
lui, d’accorder des entretiens lyses de préférence à « des en fin de volume d’une notice envoie à l’ambassade d’Alle-
à des journaux d’extrême anciens combattants de la biographique, qui précise magne, à Paris, ces lignes qui

laissent pantois : « Les ques- aucune distance avec Hitler, 1925. Un livre à la destinée Kampf attaque avec violence
tions seraient ce que le chan- ne l’interrompent jamais et étonnante, au moins pour la la France, et la presse ne
celier désirerait qu’elles prennent, comme l’écrit l’au- France. Dans des termes très rend pratiquement pas
soient […] j’ai beaucoup de teur, « pour argent comptant précis, avec son style à l’em- compte de cette affaire.
sympathie pour la nouvelle ce qu’il leur assène ». porte-pièce, Hitler ne cache Désormais, le public français
Allemagne […] je suis anti- pas qu’il veut en finir avec n’aura droit qu’à des versions
sémite-née. » La trouble affaire notre pays : « L’ennemi mor- expurgées du livre, et Hitler,
Elle et ses confrères se de Mein Kampf tel, l’ennemi impitoyable du dans ses interviews, multi-
laissent manipuler, conduire Le summum est atteint par peuple allemand est et reste pliera les déclarations favo-
là où Hitler veut aller, il ment Abel Bonnard, en mai 1937. la France. » Devenu chef de rables à la France : dans leurs
comme il l’entend pour Entend-il poser des questions l’Allemagne, il s’oppose à la interviews ultérieures, les
endormir les opinions au chancelier ? Non ! Il écrit publication en France du journalistes ne reviendront
publiques, et les textes ici qu’il n’en a aucune à lui adres- texte d’origine, car il faut dis- jamais sur Mein Kampf
reproduits sont ceux d’un ser : « Je voulais voir de quoi, simuler ses intentions aux – affaire classée !
grand communicant, d’un de lui-même, le Führer me Français ; il intente un pro- Ce livre d’Éric Branca offre
manipulateur. Il trompe tout parlerait. » Comment s’éton- cès à l’éditeur Fernand Sor- le récit d’un double aveugle-
le monde, mais la différence ner après cela que ce dernier lot, qui a bravé en 1934 l’in- ment : celui des journalistes,
entre les journalistes étran- puisse dérouler ses propos terdit avec le soutien de la pourtant chargés de rensei-
gers et français est criante : lénifiants et rassurants… Ligue internationale contre gner, d’informer, mais peut-
s’il ment aux journalistes Éric Branca consacre aussi, l’antisémitisme, pour qui ce être aussi celui des popu-
anglais, bien sûr, au moins dans sa présentation géné- texte devait être connu dans lations des différents pays,
ceux-ci posent les questions rale, de longs développe- son intégralité. Sorlot perd qui majoritairement rece-
qui gênent ; les Français, eux, ments à l’affaire de Mein ce procès, mais, surtout, peu vaient avec ces textes ce
n’osent même pas soumettre Kampf (« Mon combat »), le de personnes se mobilisent qu’elles voulaient entendre.
ce type de requêtes. Ils n’ont livre-programme paru en en sa faveur, alors que Mein À lire, à conserver.
Les spoliations d’« œuvres juives » comme toile de fond

YYY Ce livre devrait intéresser ou bienveillants, ainsi que des personnalités lumineuses,
autant les historiens d’art que les telle Rose Valland, gravitant autour d’un marché stimulé par
passionnés de la Seconde Guerre l’afflux de milliers d’œuvres spoliées ou vendues à vil prix
mondiale. En prenant pour point de par des familles en fuite. La question de la circulation des
départ la découverte, en 2012, de œuvres et celles des stratégies d’exil et de mise en sécurité
1 258 œuvres amassées par le galeriste de leurs biens adoptées par les marchands sont synthétisées
allemand Hildebrand Gurlitt, l’auteur en quelques chapitres, tout comme le sont les enjeux
revient sur le marché de l’art sous de l’« aryanisation » des galeries et la récupération,
l’Occupation dans une synthèse après-guerre, de leurs biens par leur propriétaire.
efficace, tirée d’une thèse de doctorat Le peu d’empressement manifesté par une partie de
aux références abondantes, notamment en ce qui concerne l’administration pour restituer le produit de ces pillages,
les archives d’artistes ou de galeries parisiennes. Le de même que l’impunité des marchands d’art les plus
répertoire des protagonistes sera un outil précieux pour compromis, fait réfléchir aux notions de spoliation et de
les historiens futurs, tout comme les inventaires des œuvres restitution, qui ont défrayé la chronique ces derniers mois.
confisquées de la galerie Paul Rosenberg et les annexes Les drames associés à ces œuvres font désormais partie de
consacrés à l’évolution des prix et aux ventes aux enchères leur histoire ; certaines, confiées à des musées, attendent
de « biens israélites ». On croise dans cet ouvrage des toujours de retrouver leur propriétaire. CHARLES-ÉLOI VIAL
marchands avides, des nazis esthètes, des conservateurs n Le Marché de l’art sous l’Occupation, d’Emmanuelle Polack
peu scrupuleux, des fonctionnaires de Vichy trop zélés (Tallandier, 304 p., 22,50 euros).

Bio et essai
LES HISTOIRES DANS L’HISTOIRE DU CONTEUR

FRANCK FERRAND
 Ses chroniques parues dans Historia sont rassemblées dans ce volume.
Un recueil de concordance des temps qui évite l’écueil de la compilation.
C
omment dire l’His- musées et où l’on retrouve l’affaire Georgi Markov, qui
toire ? La question toujours un détail qui avait conclut ce volume (un intel-
est débattue échappé. Cette profondeur lectuel bulgare empoisonné
depuis plus d’un temporelle, Franck Ferrand en 1978 à Londres par les
siècle. Le Collège de France l’explore toujours avec la services secrets de son pays
et l’Académie française ne même passion. De Guil- à l’aide d’un parapluie de la
sont pas toujours d’accord. laume le « Bâtard », qui même origine), en rappelle
Et ne parlons pas de tous devient le « Conquérant », à une autre : l’empoisonne-
ceux qui, pour faire corres- Hastings, aux barbouzes du ment, en 2018, toujours en
pondre leur clé, s’acharnent FSB, l’organisme qui a suc- Grande-Bretagne, de l’an-
à changer la serrure. Franck cédé au KGB, il déroule sa cien officier russe des ren-
Ferrand a trouvé la solution. chronologie personnelle où seignements Sergueï Skripal
Il se contente de la raconter. l’on croise Marie Stuart, et de sa fille par une subs-
Un peu de mise en scène, l’impératrice Eugénie, le Franck Ferrand raconte tance neurotoxique.
bien sûr, plutôt qu’une mise dernier samouraï, Lawrence (Perrin-Historia, Dans son approche de l’His-
en abyme, mais il faut le goût d’Arabie ou Gandhi. 320 p., 19 euros) toire, Franck Ferrand a choi-
du récit pour se faire pas- si Schopenhauer plutôt que
seur. Surtout quand on se Savoir-faire et Joyce. Il préfère raconter le
revendique comme lui un faire-savoir Aux subtiles Choses vues de long rêve de l’humanité plu-
généraliste, même si le Ces chroniques parues dans Victor Hugo, dans lesquelles tôt que le cauchemar dont
Grand Siècle demeure sa Historia montrent leur il décrit la révolution de 1848 on cherche à s’éveiller,
période d’élection. cohérence, dans leur écri- à la manière d’un journaliste, même si les séquences rete-
Chez lui, le contexte s’ap- ture, dans leur manière d’ap- mais d’un journaliste qui fait nues sont souvent tragiques.
pelle la toile de fond. Quant préhender le passé pour lui du Hugo tout de même, l’his- Et si l’Histoire se répète par-
à l’analyse, elle se dissout donner le goût de l’aventure torien doit se contenter de fois, lui évite les répétitions.
dans le décor. Franck et de la curiosité. Il s’agit « choses sues ». Les présen- « Le grand ennemi du vulga-
Ferrand ne cherche pas à de savoir où l’on va, de ne ter pour les rendre vivantes risateur, c’est la compila-
bloquer le temps, comme jamais déborder son sujet n’est pas facile. Il faut du tion », dit-il. L’auteur de
les insurgés qui tiraient sur en voulant trop combler les savoir-faire autant que du François I er, un roi de
les horloges au premier jour lacunes. « L’histoire vraie du faire-savoir, exagérer le trait chimères (Flammarion,
de la révolution de juil- passé passe en un éclair », quelquefois pour marquer un 2014) n’hésite pas à ferrail-
let 1830. Il le laisse se dérou- notait Walter Benjamin. caractère, jouer de la com- ler sur le terrain polémique,
ler. Avec lui, les situations C’est bien c’est éclair-là qu’il paraison entre le Cartouche mais il est d’abord un
s’enchaînent dans un savant s’agit de saisir, dans la lance de la Régence et celui incar- conteur qui puise son inspi-
mélange d’Histoire et d’his- de Montgomery qui traverse né avec panache par Jean- ration chez Lenotre, Erlan-
toriettes chères à Tallemant l’œil d’Henri II, au moment Paul Belmondo. ger ou Decaux. À sa manière,
des Réaux, en gardant le où Damiens se rend compte Cette concordance des il illustre bien l’esprit et la
souci du repère. que la journée sera rude temps traduit une curiosité lettre d’un magazine qui fête
Car l’Histoire est aussi une après l’attentat contre qui baguenaude de la fronde ses 110 ans et fait la part
affaire de dates, qu’on revi- Louis XV ou lorsque Nico- d’Étienne Marcel à celle de belle aux histoires dans
site un peu comme des las II signe son abdication. la Commune de Paris. Ainsi, l’Histoire. LAURENT LEMIRE

Des clichés littéraires Les sœurs Veil dans la tourmente
YYY En 2013, près de 2 000 YY La Seconde Guerre mondiale
plaques de verre photogra- venue, la famille Jacob n’a pas réagi
phiques ont été découvertes au carcan qui se resserrait, soudée,
dans un lycée parisien. Pris aimant la vie, mais inconsciente du
à la Belle Époque, ces clichés danger : la mère, le père, le fils, Jean,
venaient à l’appui de confé- et les trois sœurs, Milou, Denise
rences destinées à présenter et Simone, la benjamine. « La suite
le vaste monde, ses popula- est une tragédie », écrit Dominique
tions et ses paysages, de la Bretagne à la Chine… Une Missika dans ce livre poignant
cinquantaine de photos accompagnées d’extraits d’œuvres et d’une grande sensibilité :
littéraires – essais, récits de voyage… – invitent à une arrestation, camps, décès des
flânerie esthétique, historique et onirique. On songe, parents et du fils. Au fil des pages, on se plonge dans
immanquablement, au constat brossé par Stefan Zweig : l’horreur indicible, mais il y a, ici, plus qu’un récit des années
« Le XIXe siècle […] était sincèrement convaincu d’être de guerre : les trois sœurs (l’une est devenue Simone Veil,
sur la voie qui menait en droite ligne et infailliblement bien sûr) ont dû vivre, se reconstruire, ou le tenter, sans
au «meilleur des mondes» […]. Aujourd’hui, nous savons doute « jamais revenues de l’enfer », et rêvant de redevenir
définitivement que ce monde de la sécurité fut un châ- les petites filles se jetant dans les bras de leur maman au
teau de rêve. Et pourtant, mes parents y ont vécu comme retour du lycée. D. L.
dans un château de pierre. » ALEXIS PERLOUIT n Les Inséparables, de Dominique Missika (Seuil, 255 p., 19 euros).
n Résonances photographiques : tout autour d’aujourd’hui, textes et
photographies réunis par Sonia Bledniak (PU Paris-Sorbonne, 128 p., 23 euros).
Un Condé incandescent
La muse barrée des cabarets YY Louis Henri Joseph, duc de Bour-
bon, avait tout pour devenir un héros
YY Chignon haut perché, jupons de roman. Ses origines royales et ses
bouillonnants et bottines trépidantes, illustres ancêtres, dont le Grand
Louise Weber, dite la Goulue, fut la Condé. Sa jeunesse fastueuse entre
reine du cancan et l’icône gouailleuse Chantilly, le Palais-Bourbon et Ver-
des nuits canailles de la Belle Époque. sailles et entre chasses, batailles,
Mais elle fut aussi, révélée dans ce duels, libertinages et douceur de vivre
petit livre nourri de son journal et des du Siècle des lumières. Puis la Révo-
confidences de ses proches, une lution, l’émigration, l’exil, tout ce qu’il
dompteuse de fauves et, pour finir, faut de malheurs et d’errances pour
une marchande de pain d’épices ! Un destin à la Zola atteindre au sublime romantique. Il ne fut cependant pour
illustré par Toulouse-Lautrec et Renoir ! JOËLLE CHEVÉ la postérité que le fils de son père, le prince de Condé, chef
n La Goulue. Reine du Moulin Rouge, de Maryline Martin de l’armée émigrée, et que le père de son fils, le duc d’En-
(éditions du Rocher, 209 p., 17,90 euros). ghien, assassiné par Bonaparte. Et le jouet consentant et
cynique d’une courtisane, Sophie Dawes, devenue baronne
de Feuchères. Fut-elle sa meurtrière en 1832 ? Le mystère
MEILLEURES VENTES demeure. Mais même sa mort, par pendaison à l’espagno-
lette d’une fenêtre, est inaboutie. Il fut en somme un espoir
Bio et essai en tout, ce que laisse entendre, au-delà d’une empathie cer-
taine, cette vivante et sensible biographie qui comble une
1. Sapiens : une brève histoire de l’humanité
DE YUVAL NOAH HARARI (Albin Michel) lacune historiographique. Reste son héritage, notamment
le château de Chantilly, qu’il releva pour le transmettre à
2. Idiss DE ROBERT BADINTER (Fayard) son petit-neveu et filleul, le duc d’Aumale, qui en fit un joyau
3. Romanesque : la folle aventure de à la gloire des Condé et des Orléans ! J. C.
la langue française DE LORÀNT DEUTSCH (Michel Lafon) n Le Dernier des Condé. La vie romanesque d’un prince de France, d’Emmanuel
Maury (Tallandier, 384 p., 22,50 euros).

Roman et polar
Tabula rasa à Kaboul

LE GOÛT AMER
 Tout le monde se souvient de
Syngué Sabour, Pierre de patience, DES ANNÉES NOIRES
qui avait reçu en 2008 le prix
Goncourt. Si l’action de ce nouveau  Triste destin que celui de Rosa,
roman se concentre en une seule condamnée à tester les plats que l’on
journée, le 11 mars 2011, date à la
laquelle les talibans détruisent les présente au Führer. Une histoire vraie.
deux bouddhas de Bamiyan, c’est
À
pour mieux raconter une histoire qui l’automne 1943,
hante Atiq Rahimi, écrivain franco-afghan. Celle de la folie Hitler, compre-
des hommes. Celle qui s’abat sur Tom, alors que, « déguisé nant qu’il est en
par force en citoyen français », il revient à Kaboul. Celle train de perdre
qui réduit au silence Yüsef, porteur d’eau, honni par les la guerre, se réfugie dans sa
tenants de la terreur islamiste. Un livre lumineux construit Wolfsschanze, sa tristement
sur les ténèbres. GÉRARD DE CORTANZE célèbre « tanière du Loup ».
n Les Porteurs d’eau, d’Atiq Rahimi (POL, 288 p., 19,50 euros). Située en Mazurie, région
boisée du nord-est de la
Pologne, celle-ci constitue
Le cercle de la poétesse disparue un mausolée indestructible.
Plafonds de huit mètres
 Il fallait une poétesse qui pos- d’épaisseur, murs larges de
sédât le souffle d’une romancière pour sept, enceinte truffée de La goûteuse d’Hitler
raconter la vie de Marina Tsvétaïeva. mines, elle est tout à la fois DE ROSELLA POSTORINO.
Vénus Ghoury-Gatha réunit ces deux le quartier général du chef TRADUIT DE L’ITALIEN PAR
qualités. Thématique littéraire excen- du IIIe Reich et le blockhaus DOMINIQUE VITTOZ
trique, amours houleuses (elle eut pour abritant la fameuse machine (Albin Michel, 399 pp, 22 euros)
amants Mandelstam, Pasternak, Rilke Enigma. 2 000 esclaves ont
et, pour amantes, Sophia Parnok ou travaillé à sa construction.
Sonia Holliday), Marina avait tout pour Y vivent : 1 200 SS et 300 offi- que l’Europe en guerre meurt
déplaire à Staline. En exergue du livre, on lit ceci : « Et ciers. En somme, ici, rien ne de faim, ces femmes meurent
si tes dérives n’étaient que quête éperdue du bonheur peut atteindre le Führer. À de trop manger et de la peur
jamais saisi ? » Vers de Marina, qui résonnent avec cette moins… à moins que la mort de goûter le plat qui contien-
interrogation de Diderot : « Sommes-nous faits pour ne vienne des cuisines. C’est dra la dose létale de poison.
attendre toujours le bonheur ? » Marina se pendit le 31 août cela : la nourriture empoison- Sans oublier évidemment la
1941. Un livre couleur de tristesse. G. C. née ! Que faire ? Les nazis, nécessité de succomber aux
n Marina Tsvétaïéva, mourir à Elabouga, de Vénus Khoury-Gatha on le sait, n’étaient pas à avances des officiers SS.
(Mercure de France, 208 p., 15,50 euros). cours d’idées. Pourquoi alors À l’arrivée de l’Armée rouge,
ne pas réquisitionner, dans en janvier 1945, toutes les
les villages voisins, des goûteuses furent exécutées,
MEILLEURES VENTES femmes qui goûteraient les
mets proposés chaque jour
sauf une : Margot Wölk,
morte avant que la roman-
Roman et polar au chef nazi ? cière ne puisse la rencontrer,
Ainsi, suivons-nous la vie de et qui a inspiré le personnage
1. La Goûteuse d’Hitler
DE ROSELLA POSTORINO (Albin Michel) Rosa Sauer, une jeune fille de Rosa Sauer. Car cette his-
originaire de Berlin, dont le toire folle est une histoire
2. L’Été des quatre rois mari soldat est porté dispa- vraie. Rosella Postorino en
DE CAMILLE PASCAL (Plon)
ru. Les femmes qui com- fait un roman terrible : celui
3. Grace posent cet étrange bataillon d’une femme ordinaire
DE PAUL LYNCH (Albin Michel) se jalousent, se détestent, devant faire face à une situa-
s’entraident parfois. Alors tion extraordinaire. G. C.

VALOIS
T H I E R RY G L O R I S • J A I M E C A L D E R O N • F E L I D E U S
LA GUERRE DE CENT ANS EST TERMINÉE,

MAIS LES JEUX DE POUVOIR CONTINUENT
© 2019, GROUPE DELCOURT
• 2 TOMES EN LIBRAIRIE •
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BD et jeunesse
Dans la peau de
son pire ennemi
 La série de L’Aigle
à deux têtes part d’un
postulat fantastique
original : parce que leurs
avions ont été foudroyés,
un pilote allemand et un
L’ALGÉRIE AU CŒUR ET À VIF Américain échangent leur
esprit. Ils se rendent
 Les prémices de la guerre, vus sans clichés bientôt compte qu’ils sont
victimes d’un envoûtement.
ni caricature. Une BD intelligente et salutaire. La guerre continue, et ils se
retrouvent donc chacun
A
lger, Toussaint 1954 : série d’at- chichement. Le sentiment qui domine dans dans le mauvais camp. Si le
tentats contre les Français. la communauté musulmane, c’est l’injus- nazi reste un fanatique que
Bien que limitées, ces opéra- tice, car les Arabes sont considérés comme rien ne change, l’Américain
tions marquent le début de la des citoyens de seconde zone. Mais la reven- se montre plus sensible aux
guerre d’Algérie… Dans la lignée des Mys- dication politique doit-elle passer par les souffrances des civils
tères de la République, Philippe Richelle armes ?… Depuis les prodigieux Carnets allemands. Deux albums
consacre à ce conflit atroce une nouvelle d’Orient de Jacques Ferrandez, aucune réalisés en parallèle
série, en évitant de tomber dans les clichés grande série BD n’avait raconté les dernières illustrent les étapes que les
et la caricature partisane. Il s’attache à années de l’Algérie française, et le premier deux hommes franchissent
pour se retrouver. L. V.
mettre en scène une foule de personnages album d’une guerre française s’avère des
– Arabes francophiles, ou pas, petits Blancs, plus prometteurs. LAURENT VISSIÈRE n Eagle/Adler. L’aigle à deux têtes
gros colons – qui, pour la plupart, vivent n Algérie, une guerre française (t. 1 : « Derniers beaux (t. 3 : « Le choix du moi »), de P. Buendia
tant bien que mal ensemble, et souvent jours »), de P. Richelle et A. Buscaglia (Glénat, 80 p., 15,50 euros). et D. Andrieu (Zéphyr, 48 p., 14 euros).
ET AUSSI
Nymphéas noirs Cuba, 1961. La baie des L’Ange de Budapest

Dans le village de Giverny, un meurtre a été cochons (Rendez-vous avec X) Qu’est-ce qui peut bien amener en Hongrie
commis et, malgré tous leurs efforts, les policiers Arrêtée en 2015, l’émission à succès de Patrick John Angel, un entrepreneur américain, riche,
sont incapables de lever le voile sur une profonde Pesnot connaît une seconde vie grâce à la BD. puissant et, a priori, sans histoire ? « L’ange »
histoire d’amour et de jalousie qui traverse le Le premier volume de la série illustre l’invasion vient en fait exorciser de vieux démons, qui
siècle. Brillante adaptation du roman de Michel de Cuba – le plus formidable fiasco de la CIA. remontent à une lointaine époque où il portait
Bussi, tout l’album baigne dans le monde de Présentation intéressante et bien menée. Le soi- un autre nom et où, dans les rues de Budapest,
Claude Monet, mais un monde qui s’est peu à disant ex-agent M. X a été doté d’un chapeau il luttait contre les chars soviétiques. Juste
peu assombri jusqu’à rendre noires ces fleurs de mou, d’un imper (comme tout espion qui se avant l’effondrement du bloc de l’Est, certains
lumière que sont les nymphéas. L. V. respecte) et d’un étrange costume mauve dans comptes demandent à être réglés ! L. V.
de Michel Bussi, Fred Duval et Didier le style du Joker. L. V. d’Attila Futaki et Gabor Tallai (Glénat,
Cassegrain (Dupuis, 144 p., 28,95 euros). de Dobbs et Mr Fab (Glénat, 64 p., 14,95 euros). 56 p., 14,95 euros).

Le tour de France en 80 cases
YYY Du big bang à Louis XIV, le
premier tome de cette « Histoire de
l’histoire de France » en bulles, même
s’il franchit les siècles à toute allure,
vaut le détour. Mine de rien, derrière
le clin d’œil humoristique, se cache un
livre sérieux et documenté où les plus
de 8 ans apprendront plein de choses
intéressantes, sur la guerre de Cent Ans, l’art d’attaquer
un château fort avec catapulte et bélier, ou sur la
Renaissance et la cour d’Henri II. Histoire de prendre
goût à l’Histoire sans en avoir l’air. VÉRONIQUE DUMAS
n Histoire de l’histoire de France, dessins de Thierry Laudrain, couleurs de David
Lunven (Bamboo éditions, 48 p., 10,95 euros).
À la conquête du continent blanc

YYY L’Antarctique, la « terre des
manchots, des phoques et des
baleines », « une île grande comme
deux fois l’Europe »…Sa conquête
fut l’enjeu d’une compétition
féroce, au début du XXe siècle,
entre trois explorateurs de
légende : Shackleton, Scott et
Amundsen. Les lecteurs de 7 ans et plus apprendront,
dans ce beau livre illustré, animé de rabats et volets,
l’épopée héroïque de l’exploration du continent de
glace, de 1520 (année du franchissement du détroit de
Magellan) aux années 1950, avec l’expédition de
Fuchs-Hillary. V. D.
n Antarctique. Expéditions en terre inconnue, de Giulia Vetri, traduit de
l’italien par Camille Giordani-Caffet (DLMJ, 52 p., 18 euros).
Âge de pierre et têtes de bois

YY Petit Sapiens dessine sur les murs
de sa grotte et raconte son quotidien,
entre les disputes avec sa sœur, la chasse
au mammouth et les journées passées à
chercher Mémé qui fait des fugues. En
six histoires pleines de tendresse, Ronan
Badel imagine comment vit une famille
de chasseurs-cueilleurs qui commence à se sédentariser.
Pour découvrir le plaisir de la lecture de bd et faire ses
premiers pas en préhistoire… À partir de 8 ans. V. D.
n Petit Sapiens. La vie de famille, de Ronan Badel
(Père Castor, 64 p., 7,50 euros).

Voyage
CAROL M. HIGHSMItH/BuyENLARGE/GEtty IMAGES

1
LES MISSIONS ESPAGNOLES DE CALIFORNIE

De la frontière mexicaine à San Francisco s’égrainent, tel un collier de perles
singulières, 21 édifices sacrés érigés au XVIIIe siècle par les franciscains.
par Gérard de Cortanze
D
ès lors qu’elle fer. Leur arme secrète : la mativement le tracé du bâtiments d’origine que les
pose le pied sur mission. À l’origine, une Camino Real, que les bons corridors des quartiers du
la terre d’Amé- fragile construction de bois, pères effectuaient à dos de père Altamira.
rique, l’Espagne défendue par un fort et mulet, tantôt la Pacific Nous ne pouvons nous arrê-
met au point une méthode entourée d’un village peuplé Highway One, qui longe les ter, malgré leur intérêt, dans
infaillible de conquête : écra- d’Indiens. De 1769 à 1823, falaises à pic. toutes les missions. Celle de
ser la résistance indigène par 21 missions seront ainsi San Rafael Arcángel, aux
l’épée puis pacifier la région ouvertes le long de la côte. Entre les séismes et portes de San Francisco, a
par l’évangélisation. Envoyés Fray Junípero Serra, maître les sueurs froides été reconstruite, comme
officiels de Charles III (1716- d’œuvre du projet, construi- La première partie de notre beaucoup d’autres, après le
1788), des moines francis- sit la première de ses six itinéraire a pour centre San tremblement de terre de
cains s’établissent tout le missions à San Diego de Francisco, plus exactement 1812. Celle de San José est
long des 1 000 kilomètres de Alcalá, non loin de la fron- le vaste panorama de la Napa à quelques encablures du
côtes qui séparent San Diego tière mexicaine, avant de Valley, région si chère à Jack champ d’éoliennes de Liver-
de Sonoma. Leur but premier remonter vers San Francisco. London… C’est là que le père more. En plein centre de San
n’est pas de convertir les Nous avons choisi d’entre- José Altimira fonda en 1823 Francisco et considérée
indigènes, mais de les rendre prendre ce périple dans le la mission San Francisco comme son plus vieil édifice,
autonomes en leur apportant sens inverse, du nord au sud, Solano. Dernière des 21 mis- la mission Dolores (ancien-
les techniques d’élevage, en empruntant tantôt la sions californiennes, restau- nement San Francisco de
d’agriculture et du travail du Route 101, qui suit approxi- rée, elle ne conserve des Asís) reste l’un des rares

cartograPHie HugueS Piolet
N 101
San Francisco Solano
de Sonoma (1823)
San Rafael Arcángel (1817)
San Francisco de Asís (1776) San
Francisco
San José
Santa Clara (1777) (1797)
San
José
Santa Cruz (1791)
San Carlos
Borromeo (1770) San Juan
101 Bautista (1797)
Nuestra Señora
de la Soledad (1791)
San Antonio de Padua
(1771)
Steve Hamblin/alamy Stock PHoto/HemiS.fr

1
San Miguel Arcángel (1797)
San Luís Obispo

(1772)
La Purísima CALIFORNIE
2 Concepción
(1787)
Santa Inés (1804) Bakersfield
Santa Barbara (1786)
San Buenaventura (1782)

101
San Fernando Rey (1797)

Los Angeles
San Gabriel Arcángel
(1771)
carol m. HigHSmitH/miSSion San Juan caPiStrano
San Juan Capistrano (1776)

5
San Luís Rey (1798)
San Juan caPiStrano miSSion PreSS
San Diego de Alcalá (1769)

San Diego
OCÉAN ÉT
AT
PACIFIQUE ME S-U
50 km XIQ NIS
3 4 UE
SÉCULAIRES. Santa Barbara (1 et 2), fondée par les franciscains au cœur du pays des Indiens Chumash, est la seule mission à avoir toujours été occupée par
des religieux depuis sa création, en 1786. San Juan Capistrano (3 et 4) voit le jour en 1776, avec pour objectif d’évangéliser les Indiens Acjachemen, en les
convertissant au mode de vie, à la culture – et à l’agriculture – hispaniques. La mission, déclinant à compter du séisme de 1812, qui la détruisit en partie, doit être
vendue en 1845, avant qu’Abraham Lincoln ne la restitue au culte catholique en 1865, quinze ans après que la Californie est devenue le 31e État des États-Unis.
édifices à avoir résisté aux Au terme de cette première Mais avant, nous ne pouvons Real. Sur la grand-place, un
nombreux tremblements de partie du périple, la mission pas ne pas prendre sur notre sismographe enregistre les
terre qui ébranlèrent la Santa Cruz. Fondée en 1791, gauche la Route 129, qui mouvements de l’écorce
région. Construite par le père cette 12e mission, détruite à conduit à la mission San Juan terrestre. Enfin, son église
Serra, elle possède un beau plusieurs reprises, vaut sur- Bautista. Édifiée en 1797, elle est la seule à posséder trois
plafond peint par les Indiens tout par sa position, domi- est le plus grand des établis- nefs. Les cinéphiles l’identi-
Ohlones, un retable baroque nant la magnifique Monterey sements qui servirent de fieront sans difficulté : c’est
et une fosse commune, où Bay et la Route 1. C’est cette support à la colonisation là que Scottie (James
furent enterrés 5 000 Indiens dernière qu’il faut emprunter espagnole. Le long du cime- Stewart) conduit la belle
morts de la rougeole entre pour atteindre San Luís tière qui la borde, on peut Madeleine (Kim Novak) dans
1804 et 1826. Obispo de Tolosa. voir des traces du Camino Sueurs froides…

Voyage
TOL
O BAL
AG
U TR
Revenons à la Route 1. /A L
L’ESSOR DE LA PÊCHE,
BU
M/
AT
Les cinq missions qui se G
- IM
AG
LE DÉCLIN DES TRIBUS suivent, en un collier
T
S
de perles, longent
une côte longue de
La première est celle du récit d’un incroyable 150 kilomètres.
voyage. En 1524, les Espagnols apportent un certain Jalonnée de bel-
fruit qu’ils commencent par cultiver en Amérique védères, litanie
centrale. Passant au Mexique, ils confient aux interrompue de
religieux la mission de l’y planter. Ces derniers ont virages, elle
donc dans leur besace le christianisme, mais aussi culmine en un
le fameux fruit jusqu’alors inconnu dans cette nom qui porte
région : la pêche. Réservée dans un premier temps au rêve : Big Sur.
à la seule consommation des moines, elle voit son Grèves cachées
sort changer quand la ruée vers l’or de 1849 par les falaises,
déclenche une explosion démographique. à-pics plongeant à
L’approvisionnement en pêches venues de l’est ne la verticale dans
suffit plus. C’est le moment pour son homologue l’océan, c’est tout l’uni-
californienne de prendre son essor. Dans ce climat vers de Tropique du cancer
propice, les variétés prospèrent, et une industrie qui nous revient en mémoire.
s’installe durablement. La plus importante est San
Seconde histoire. Missionnée en 1880 par le Carlos Borromeo de Carmelo de Padua et San Miguel
commissaire aux Affaires indiennes pour visiter (1770), qui fit office de centre Arcángel. Cette dernière
les missions, recenser leur emplacement et l’état administratif des missions (1797), détruite par un incen-
des diverses tribus, Helen Hunt Jackson constate de la Californie du Nord. Le die puis reconstruite, abrite
la situation lamentable dans laquelle se trouvent père Serra y vécut, y mourut, un musée dédié à la vie
ces dernières depuis que les États-Unis ont pris y repose. Assister en ses monacale. Les moines, qui y
le contrôle de la région, après la guerre américano- murs à une messe procure vivaient en autarcie, plan-
mexicaine de 1846-1848. Son rapport adressé au une émotion rare. Dans la tèrent des vignes pour obte-
gouvernement ne débouchant sur rien, elle décide boutique-musée attenante : nir du vin de messe. Plus de
de dénoncer cet état de fait dans un livre qui ferait ex-voto, artisanat local, 30 wineries recouvrent main-
écho à La Case de l’oncle Tom, de son amie Harriet flacons d’« Immaculate tenant les collines environ-
Beecher Stowe (1811-1896). Publié en 1884, waters made with pure nantes. Enfin, dernière
Ramona connaît un succès immédiat et foudroyant, Lourdes Grotto water »… mission de notre troisième
et constitue un témoignage fondamental sur les Les trois autres missions ont étape : San Luís Obispo de
missions indiennes de Californie. G. C. pour noms Nuestra Señora Tolosa. Édifiée dans une des
de la Soledad, San Antonio vallées des Santa Lucia Mou-
VOTRE SÉJOUR
périple, sera sauf exception hôtels des grandes chaînes : à Morro Bay, et le Pacific à
Partir automatique. Un conseil : Westin, Hilton, Sheraton, Monterey.
La durée du vol direct Paris- réserver un GPS. Sur route, Marriott, Ramada, Hyatt,
San Francisco est d’environ la vitesse est limitée à Holyday Inn, ou préférer Se reStaurer
11 h 40. Le décalage 55 miles (90 km/h), mais les motels : Best Western, La Californie offre une
horaire est de + 9 heures. peut varier à tous moments. Quality Inn, Motel 6, grande variété de cuisines,
DR
À l’aéroport, préparez-vous Travelodge… On peut venues du monde entier

Hôtel Ascot, à Morro Bay.
à faire la queue aux heures également descendre dans et à tous les prix : italienne,
de pointe aux guichets des Se loger les auberges historiques individuels dotés d’une française, japonaise,
services d’immigration et de Le long de ces 1000 km, (contactez le California cuisine (Bed-and-Breakfast indienne, thaïe, etc. La
douane. La voiture (forfait que l’idéal serait de Historic Country Inns), voire California). Deux exemples cuisine californienne est
souscrit avant le départ), parcourir en deux semaines, les bed and breakfast, qui pour rayonner entre la US- succulente, métissée, légère.
indispensable pour ce on peut choisir parmi les proposent des bungalows 101 et la US-1 : l’hôtel Ascot Les petits-déjeuners offrent

son temps par Elizabeth l’endroit même où la ville a
Taylor. Avant Lompoc, été fondée, a inspiré le
40 kilomètres au sud de peintre Ferdinand Deppe,
Santa Maria, la 11e mission : auquel on doit, en 1832, une
La Purísima Concepción. toile considérée comme la
Dans un cadre pastoral, elle première représentation
appelle à la quiétude et au d’une mission : elle montre
souvenir du « Fléau de Capis- le couvent et son église
trano » : Don Diego de la entourés d’habitations
Vega, c’est-à-dire Zorro. indiennes.
Située au cœur de la Santa Los Angeles dépassé, se
Ynez Valley, l’une des plus dressent, en bordure du golf
intéressantes régions viti- de Santa Catalina, trois mis-
coles de la Californie, s’élève sions. La première, San Juan
la mission Santa Barbara, Capistrano, est le dernier
surnommée la « Reine des bâtiment où prêcha le père
DR
CHEMIN DE CROIX. Fray Junípero Serra (ci-contre : 1713-1784) a établi à lui seul six missions ». Une fois les fortes Serra. L’église y épouse la
des 21 missions franciscaines de Californie. Sa 4e, San Gabriel Arcángel (ci-dessus, brumes du matin dissipées, forme d’une croix latine.
peinte par l’Allemand Ferdinand Deppe en 1832), près de Los Angeles, se distingue
par le nombre record de baptêmes qui y furent prononcés : environ 25 000 entre sa on découvre cette 10e mis- Vient ensuite la mission San
fondation et 1834, ce qui en fait la mission la plus prolifique en la matière. sion, fondée en 1786, oasis Luís Rey de Francia, non loin
de calme et de recueillement des plages d’Oceanside.
tains, c’est la 5e mission du Lors de notre quatrième et sise sur les hauteurs, d’où Nommée ainsi en l’honneur
père Serra, qui sert toujours dernière étape, nous arrive- elle domine l’océan. Autour de Saint Louis, elle est aussi
d’église paroissiale. On y rons aux portes du Mexique. d’un bassin central, entouré un des plus beaux vestiges
trouve un joli musée, où sont À droite, de larges plages de de palmiers bicentenaires, de ce passé hispanique. Le
exposés des objets et des sable et l’océan, paradis des Santa Barbara déploie son plus vieux poivrier de Cali-
parures fabriqués par les surfeurs. À gauche, des parcs plan carré. Elle est la seule fornie, importé en 1830, y
Indiens Chumash. Pour naturels, collines boisées où mission à avoir toujours été déploie ses lianes persis-
l’anecdote : des courses de grimpent des sentiers de occupée par des religieux, tantes en forme de cœur…
taureaux et des combats randonnée. Entre les deux : et ce, jusqu’à aujourd’hui. San Diego de Alcalá marque
d’ours et de chiens étaient les missions, entre les la fin de notre périple. C’est
organisés sur la place face Routes 1 et 101. En premier, Un poivrier de 1830 là que tout a commencé
à l’église. Au nord-est de la Santa Inés, la 19e, fondée en Continuons notre route. San quand, le 16 juillet 1769, fray
mission, le Motel Inn. Datant 1804, restaurée par le magnat Buenaventura et San Fer- Junípero Serra célébra une
de 1925, de style « mission », de la presse William R. nando Rey de España sont messe solennelle. Cernée par
il se vante d’être le premier Hearst, située non loin de Los les deux dernières missions les autoroutes et le tissu
motel de l’Histoire. Olivos, village fréquenté en avant Los Angeles. La pre- urbain, la mission rappelle
mière (1782) entourée, à sa qu’en ses murs le padre Luís
construction, de vastes pâtu- Jayme, premier martyr chré-
rages et de magnifiques jar- tien de l’État, fut massacré
dins, est aujourd’hui ceinte en 1775 par les Indiens.
un choix d’œufs au bacon, avec une sauce au poivre. de maisons au passé victo- San Diego touche Tijuana,
de saucisses, de muffins, Quelques incontournables : rien. La seconde, à la jonc- première ville mexicaine.
de pancakes, de gaufres. Le la pizza californienne, la tion de l’US-5 et de l’US-405, Orson Welles y tourna La
service n’étant jamais compris, salad in tortilla, les cocktails se dresse à la pointe nord de Soif du mal. De l’autre côté
le pourboire varie entre de crevettes et de crabes,
15 et 20 % du prix net. On et les fruits frais servis en la vallée. Ses bâtiments, de la frontière, la vaste zone
appréciera la cuisine mexicaine salades ou nappés d’un transformés en musée, désertique de la Baja Cali-
(à base de haricots, de riz sirop. En accompagnement, donnent une idée de ce que fornia, les cactus candé-
et de tortillas), les légumes de nombreux vins (chers), devait être la vie quotidienne labres, le Pacifique – qui
grillées à la méditerranéenne, dont certains excellents : rosé dans une mission. devient la mer de Cortéz.
le lobster and vegetables, les californien, Napa chardonnay,
succulentes pâtes aux clams, cabernet-sauvignon, pinot noir, San Gabriel Arcángel, dans Un autre monde. Une autre
l’ahi tuna (thon cru) préparé merlot… G. C. le centre de Los Angeles, à histoire… u

Gastronomie
UN HARICOT DE MOUTON SANS HARICOTS
Voici une recette « bien de chez nous », apparemment simple, mais dont
l’intitulé induira en erreur le cuisinier peu versé dans l’ancien français.
PAR PATRICK RAMBOURG
I
l est des mets dont
l’appellation est trom-
peuse. C’est le cas du
haricot de mouton, un
plat qui existe depuis le
Moyen Âge, mais dont la
recette, selon les époques,
réserve bien des surprises.
Dans celle du Mesnagier de
Paris (1393), qui s’intitule
« hericot de mouton », la
viande est coupée en petits
morceaux, portée à ébullition,
frite dans du saindoux avec
des oignons émincés, délayée
dans du bouillon de bœuf, et
mise à cuire avec du macis colorée sur un gril, découpée cot », ou « héricot » en ancien Avec le Grand Siècle, la
[tégument de la noix de en morceaux, puis mise en français (du verbe « harico- recette s’enrichit de navets,
muscade, ndlr], du persil, de pot avec des oignons, des ter » ou « harigoter »), signifie telle la « poitrine de mouton
l’hysope [un arbre aroma- épices (gingembre, cannelle, « coupé en morceaux ». en aricot » du Cuisinier
tique] et de la sauge. Dans clous de girofle, graines de L’intitulé de la préparation se françois (1651), classée dans
celle du Viandier de 1486, qui paradis) et du verjus. Dans réfère à une technique de les « entrées qui peuvent se
se nomme « pour haricoq », ces deux, aucun haricot, et découpage et non au légume faire dans les armées ou en
la poitrine de mouton est pour cause ! Le mot « hari- que nous connaissons. la campagne » : les raves sont
coupées « en deux ou autre-
ment », empotées avec la
NOM DE NOMS ! viande à moitié cuite, du
bouillon, un peu de lard
Qu’en est-il des haricots ? (v. 1583-1584) du peintre dans l’ancien Mexique.
passé avec de la farine, un
Ceux que nous connaissons, Annibal Carrache. Si dans Transmis par les Espagnols,
et qui se sont imposés nombre de pays européens le terme aurait été mal oignon haché, un filet de
dans le haricot de mouton, l’ancien nom a été utilisé compris des Français vinaigre et un bouquet. Les
nous viennent d’Amérique. pour nommer le légume et serait alors devenu épices médiévales ont dis-
Selon Jean-Louis Flandrin, venant du Nouveau Monde « haricot », probablement paru, et la recette intègre les
ils ont remplacé le haricot (fagiolo, en italien, fasola, par confusion avec le plat.
nouveautés de l’époque (roux
D.R.
antique et médiéval – que en polonais, etc.), en France Cela a dû se produire dans

l’on appelait « phasol » (à part les mots « fayot » disent que c’est le plat le courant du XVIIe siècle, et bouquet garni).
ou « phaséol », espèce et « flageolet »), il prend, qui lui aurait donné son car Le Cuisinier roial et Dès lors, le mot « haricot »
voisine du dolique blanc à un beau jour, le nom de nom, d’autres pensent que bourgeois évoque les impliquera la présence de
œil noir qui remplit le bol « haricot » sans que l’on le mot dérive d’ayacotl, « légumes qu’on nomme navets dans la préparation
du Mangeur de haricots sache pourquoi. Certains qui désignait ce légume Haricots ». P. R.
culinaire : pour le Diction-

Le vin PAR GÉRARD MUTEAUD
naire de l’Académie fran- comme une prise de faim.

çaise (1694), c’est une Ces platées de bœuf reposant
« espèce de ragoût fait ordi- sur des lits épais de choux,
nairement avec du mouton ces haricots de mouton
et des navets ». Mais il peut emplissant la petite et mas-
aussi être de poisson ou de sive assiette, ces triangles de
volatile, à l’exemple du « bro- brie, ces verres pleins, lui
J-M EMPORTES/ONLYFRANCE.FR
chet en haricot aux navets » communiquaient des frin-
et de la « macreuse en hari- gales […]. » Le plat s’invitait
cot », du Cuisinier roial et aussi à la table de George
bourgeois (1691) de François Sand, à Nohant, accommodé
Massialot. de pommes de terre. Une voie
Guide. Chapo
d’eau2ouvre
lignesleimpérati
chemin
Il faut attendre le XXe siècle aux vignobles
vementt du Beaujolais
plam rem iliqistrum!
Distingué bourgeois pour voir les haricots s’impo-
Si le haricot de mouton est ser dans la recette. Celle En 1642, l’ouverture du
1600_Encadré.Texte (style
canal
imb.)
de Briare
Paruptasdevait
ea aut
avoir
aut
aristocratique et bourgeois d’Auguste Escoffier, en 1903, delisrépercussion
une imi, sitiunditdécisive
voluptatiam
sur le ullit
développement
la sum et quidu
dans les traités médiévaux, utilise de la poitrine, du col- beat.
vignoble du Mâconnais, mais aussi sur celui du
militaire et campagnard pour let et de l’épaule de mouton, Solo verescit,
Beaujolais. En nat
élargissant
mo blautjusqu’au
iusandeversant
maximdeeosla
l’écuyer de cuisine La des lardons, des petits quiatatur
Saône les limites
aut pores
de l’aire
a nonsequ
d’approvisionnement
issequi doluptatio de isi
Varenne, il est « dans le goût oignons, de l’ail et des hari- autemcette
Paris, numnouvelle voie de navigation fluviale allait
bourgeois » ou « distingué » cots blancs. La Cuisine stimuler la production locale, considérée à cette
pour La Cuisinière bour- moderne illustrée (1927), époque comme de piètre qualité comparée à celle du
geoise (1753) de Menon – la rédigée « par une réunion de Mâconnais. En témoigne un procès que les échevins
première recette se prépa- professionnels », suggère de Mâcon intentèrent en 1625 à ceux de Villefranche-
rant avec l’épaule de mouton, l’emploi de côtelettes dans sur-Saône, accusés de produire des vins « grandement
la seconde avec le carré. la préparation du plat et nuisibles » au corps humain, le « climat [terroir] de ce
Le plat se fait aussi plus donne le choix entre les fla- pays » ne permettant pas d’y cultiver d’autre vigne
populaire, notamment au geolets et les haricots blancs. que de « gamey […] qui est une espèce de raisin
XIXe siècle, au moment où Je sais cuisiner (1932), le [dont l’usage est interdit en maints endroits],
l’on y ajoute des pommes de célèbre livre de Ginette spécialement au comté de Bourgogne pour estre de
terre et des petits oignons. Mathiot – toujours édité –, sa nature grandement corrosif ». Il n’empêche qu’au
Jules Gouffé en propose une conseille l’emploi de haricots cours des siècles suivants bouchons lyonnais et
recette dans Le Livre de ou de fèves. Les haricots bistrots parisiens prennent vite l’habitude de fêter le
cuisine (1867) dans la partie paraissent désormais faire vin nouveau à grand renfort de tonneaux de
consacrée à « la cuisine des partie de la recette. Mais la beaujolais. L’image désastreuse ayant collé à la peau
ménages ». Certains, comme situation peut encore être du beaujolais prend donc ses racines dans la nuit des
le comte de Courchamps, en confuse, puisque le Larousse temps. Mais depuis une dizaine d’années,
font un « ragoût plébéien », gastronomique de 1938 voit l’appellation s’est débarrassée de sa mauvaise
propos repris par Alexandre le haricot de mouton réputation, et les amateurs reconnaissent les qualités
Dumas dans son Grand Dic- « comme un ragoût de mou- de ses différents crus communaux (brouilly, côte-de-
tionnaire de cuisine (1873). ton aux pommes de terre et brouilly, chénas, chiroubles, fleurie, juliénas morgon,
La littérature s’en empare [qui] n’a rien de commun moulin-à-vent, régnié, saint-amour), aujourd’hui
également. Dans À vau-l’eau avec le ragoût de mouton aux célébrés pour la qualité de leur jus croquant et
(1882) de Joris-Karl Huys- haricots blancs » ; et, pour gourmand, mais aussi pour leur capacité à vieillir.
mans, M. Folantin admirait l’édition de 1967, il peut être N’en déplaise aux échevins de Mâcon, les meilleurs
« l’inébranlable appétit des « un ragoût aux navets, aux d’entre eux soutiennent sans faillir la comparaison
cochers attablés chez des pommes de terre comme aux avec le pinot noir de Bourgogne.
mastroquets et il prenait haricots secs »…

Mots croisés PAR PASCAL WION
en partenariat avec www.cruciverbiste.club
HORIZONTALEMENT : A. Personnage en illustra-

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
tion. L’opéra Norma de Puccini y fut créé en
1831. Au Nebraska ou en Normandie. – B. Chef A n n
des Suèves qui tenta de s’installer dans l’est de la
Gaule entre 75 et 58 av. J.-C. mais fut repoussé
B n n
par César. Île du Pacifique qui fut le théâtre d’une
C n n
sanglante bataille en 1945. Vox populi. – C. En-
ceinte d’un châtelain. Reine de Madagascar.
D n n n
– D. Mine de sel. Manifestation de mineurs. Il fut
E n n n
président de la République française de 1913 à F n n
1920. Pas forcé dans l’Histoire. – E. Héroïne de
Polanski. Messagère des dieux de l’Olympe. Pas-
G n n
sé dans le milieu. Ancienne rivale d’Athènes. – F.
H n
Princesse troyenne qu’Héraclès offrit à son com-
pagnon Télamon. Grand d’Amérique. – G. Place
I n n n
de la concorde. Peuple gaulois de la région de
J n n
Poitiers. – H. Médecin français qui devint le K n n n
chirurgien personnel de Napoléon III. Ville du
Hainaut. Siège de Rocamadour. – I. Héroïne
L n n
douce. Un des avatars de Vishnou. Passage de la
M n n n
BRIDgEMAN IMAgES
Berezina. – J. Pays de Caroline. Fut battu par N n n n n n
Saint Louis. Astronaute américain qui fut le pre-
mier à effectuer un vol orbital (1921-2016).
O n n n
– K. Titre d’un célèbre opéra de Puccini. Maré-
Campanie. Ville d’eaux. Forme d’avoir. – O. Jones roulas des cordages. Lettres d’Amérique ou de
chal d’Empire qui fut fait duc d’Auerstaedt et
au cinéma ou une étoile parmi tant d’autres. Était Russie. – 14. Pseudonyme de Romain Gary. Lieu
prince d’Eckmühl. Île de Robinson. Interjection.
soumis à la gabelle sous l’Ancien Régime. Fleuve de combats acharnés qui ont été relatés en 1921
– L. Roi du cycle breton. Place parisienne qui doit
de Sibérie. Homme politique soviétique dont par Maurice Genevoix dans le livre du même
son nom au spectacle équestre que Louis XIV y
l’assassinat en 1934 marqua le début des grandes nom (Les …). L’ytterbium des chimistes. – 15.
organisa en juin 1662 à l’occasion de la naissance
purges staliniennes. Caïmans aux Antilles. Ont leur boulevard à Paris.
de son fils Louis de France (Place du …). Roi de
– 16. Palindrome d’Éthiopie. Grotte du Lot où
Juda. – M. Éclaira les pensées de Toutânkh-
VERTICALEMENT : 1. Bataille de l’Antiquité qui fut l’on peut admirer de très nombreuses peintures
amon. Sicambres, Suèves et Alamans. Amiral
remportée par le personnage en illustration. Les rupestres préhistoriques. – 17. Architecte fran-
vainqueur qui n’a pas eu le temps de savourer sa
premiers colons mormons s’y installèrent en çais qui réalisa (entre autres) le château de Mai-
victoire. – N. Grands à l’Opéra. Capitale de la
1847. – 2. Père de l’Église qui fut évêque de Lyon. sons-Laffitte (1598-1666). Bosco lui fit porter la
Peintre belge (1860-1949). Les quatre saisons. culotte. Spécialité de Marie de France. – 18. Il fut
– 3. Ville portuaire de Chypre. Reine des Belges le premier président de la IVe République. Ancien
SUDOKU morte dans un accident de voiture en 1935. émirat arabe. – 19. Facho à droite. Anatomiste
– 4. Signe des temps. Moïse y aurait reçu les Dix danois qui découvrit le canal parotidien qui porte
Le 10 septembre de cette année-là Commandements. Fleuve d’Afrique qui se jette son nom (1638-1686). Volcan actif du Japon.
commence le siège de La Rochelle par les dans le lac Tchad. – 5. Terrible fut son règne ! – 20. Géant de la mythologie grecque qui fut
troupes du roi de France. Ville du Pas-de-Calais qui fut le siège d’une cé- étouffé par Héraclès. Mineur soviétique dont le
lèbre affaire pénale d’abus sexuel sur mineurs. nom fut largement exploité par la propagande
3 1 2 8 9 Sections nazies. – 6. Vieux bronze. Organisation stalinienne (1906-1977). u
internationale qui ne saurait s’opposer à la mon-
2 6 1 7 dialisation. Leurs agents étaient bien renseignés.
SOLUTION DU No 866
6 3 5 – 7. Service qui a précédé la DGSI. Le maréchal A
1
F
2
R
3
A N C O I
4 5 6 7 8
S
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13 14 15
P Hn E R A T O
16 17 18 19 20
8 9 1 Pétain lui succéda à la présidence du Conseil le

16 juin 1940. Antichambre des cabinets. – 8. Per-
B
C
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B E E n S
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9 3 1 sonnage de Spielberg. Grecque à la tête de pira-
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nK R I S H
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R YnO L T E N
4 8 9 2 6 3 tes. Spécialité créole. – 9. Dieu d’amour. Lu- F
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G R A nMn
X A N T H O S
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cienne et Gisèle sur scène. – 10. Xénarthre en
5 9 6 Amérique. Faite de vive voix. – 11. Petit-fils de
H
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C I AnM A L
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9 6 5 7 3 Pompée qui inspira Corneille. Archange.
J n R A n N O E
K T R U M A N n A N A G N
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3 2 8 9 – 12. Sigle d’un système de stations radar mon- L R E P U n C E
M U n L S D n S
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T J O U
V An I
R S n L I nU R
n I S EnA S A
tées sur des avions ou des hélicoptères. Cin- N M A I E n S A E nX E R E Sn E M SnG
SOLUTION DU N° 866 : 1873. quante nuances de gris, par exemple. – 13. En- O P R E S B O U R Gn Y E M E Nn A E D E

La chronique DE GUILLAUME MALAURIE
DR
LES EXILS ÉTERNELS
DU GOULAG
I
l aura fallu tendre beaucoup l’oreille en 2018 pour aujourd’hui éteintes. En Russie, l’association Mémorial
savoir que l’on commémorait l’année anniversaire est muselée par Poutine, aucun grand film n’a jamais
d’Alexandre Soljenitsyne. Un double anniversaire à raconté le goulag aux jeunes générations et les historiens
bien y regarder : celui de sa naissance, en 1918, mais sont à la peine tant les archives restent sous contrôle.
aussi celui de sa mort, en 2008. L’anniversaire de Alors il faut lire L’Exil éternel, d’Angela Rohr, cette très
l’Homme-livre, celui des trois tomes belle Autrichienne qui connut Freud,
de L’Archipel du Goulag, qui déchique- fréquenta les dadaïstes, Brecht et qui a
tait les rouages des carnages totalitaires rejoint l’URSS dans les années 1930.
soviétiques. Ce monde de l’envers des Déportée comme espionne allemande en
promesses radieuses, qui commence UNE CHAPE DE PLOMB 1941, elle s’improvise médecin des goulags
avec Lénine et s’achève un peu après la SEMBLE TOUJOURS avec, pour toute pharmacie, un « flacon
mort de Staline en 1953. d’ammoniaque, une seringue et de l’huile
On aurait pu attendre un peu plus d’un PLANER SUR L’ENFER DES de camphre ». À sa libération en 1957,
pays où, lors du procès Kravchenko à CAMPS SOVIETS. ANGELA Angela écrira ce texte sec, pointilliste,
Paris, en 1949, un avocat français lâcha ROHR BRISE CE SILENCE. sans emphase. Sans même une larme. Elle
cette réplique hallucinante, après le refusera de le faire publier de son vivant.
témoignage d’une déportée décrivant Un grand texte sorti peu à peu du néant
son camp perdu dans la taïga : « Il n’y a pas de mur ? Ce et publié aujourd’hui par Les Arènes. Tout pue le non-sens
n’est donc pas un camp au sens français du terme ! ». Au dans cette peinture : les visages terreux, les innombrables
sens français du terme, le « totalitarisme communiste » mouroirs, l’innocence coupable, ces « tentatives d’anéan-
fut longtemps un oxymore. Sait-on d’ailleurs que, malgré tissement de peuples entiers », ce déni du bien ou du mal,
les efforts de Claude Durand (l’éditeur de Soljenitsyne), ces imprévisibles sursauts des âmes et les messages sans
auprès de Mitterrand, il ne fut jamais possible d’obtenir retour. Ces cadavres que les zeks dissimulent dans les
une Légion d’honneur pour le dissident. Les mémoires cargaisons de bois sibériens exportés en Occident. Dans
concentrationnaires du monde dit « progressiste » semblent l’espoir insensé d’un accusé de réception. u
Le mois prochain, dans votre numéro
Dossier : ROME : COMMENT MEURT UNE RÉPUBLIQUE
Récits : L’ opération Peter Pan
Avril 1969 : De Gaulle s’en va
Et notre guide expos, livres, écrans et voyage.
98 - Historia n° 000 / Mois 2016

En kiosque à partir du 21 mars 2019
ENTREZ DANS L’HISTOIRE !
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MARS 2019 - N°867 - ALL 7,20 € - BEL 6,70 € - ESP 6,70 € - GR 6,70 € - ITA 6,70 € / LUX 6,70 € - PORT/CONT

M 05067 - 867S - F: 5,70 E - RD

MUTUELLE SANTÉ - PRÉVOYANCE

Anciens numéros : Sophia Publications, BP 65,

RÉDACTION haraon superstar. Toutânkhamon, voilà un nom universel-

POUR CONTACTER LA RÉDACTION, adressez votre courrier électronique à redaction@historia.fr

3 - Historia n° 867 / Mars 2019

DISPONIBLE AU FORMAT POCHE

5 - Historia n° 867 / Mars 2019

Un haricot de mouton sans haricots

FRANK FERRAND VIRGINIE GIROD XAVIER DONZELLI GÉRARD DE CORTANZE Écrivain,

6 - Historia n° 867 / Mars 2019

maRy Evans/RuE DEs aRChIvEs

8 - Historia n° 867 / Mars 2019

gissent les revendications aucune de nos républiques. LA CHRONIQUE DE

9 - Historia n° 867 / Mars 2019

Cent ans de pendules à l’heure

et 21 s par rapport à celle sonnier fait sa réapparition

10 - Historia n° 867 / Mars 2019

Il y a50 ans : premier

INFORGRAPHIE HUGUES PIOLET

11 - Historia n° 867 / Mars 2019

CITATION AZTÈQUE Le culte du dieu écorché

La Constitution du 24 juin 1793 octroie la souveraineté au

INAH/MELItoN tApIA/HANdout vIA REutERS

12 - Historia n° 867 / Mars 2019

tibétain fête ce mois-ci le 60e

LES PÉPITES DE LA BNF-GALLICA https://gallica.bnf.fr/

1911 : croisade contre « la vie chère »

14 - Historia n° 867 / Mars 2019

Antoine MoreAu DusAult

17 - Historia n° 867 / Mars 2019

18 - Historia n° 867 / Mars 2019

Pour la première fois, depuis 1967,

19 - Historia n° 867 / Mars 2019

À la mode, 3 400 ans

20 - Historia n° 867 / Mars 2019

d’entrées. Enfin, à l’aube du XXIe siècle,

géologiques des parois de son tom-

21 - Historia n° 867 / Mars 2019

de Toutânkhamon n’a pas été réalisée

prolonger les enquêtes. Parmi les

22 - Historia n° 867 / Mars 2019

Un tombeau trop petit pour un grand roi

23 - Historia n° 867 / Mars 2019

été inhumé là parce que personne, sans Comment s’articule l’exposition ?

* Conseiller scientifique de l’exposition

24 - Historia n° 867 / Mars 2019

KV 62 scènes « brillamment colorées, mais

5 398 objets entreposés. Voici quelques-unes des plus

26 - Historia n° 867 / Mars 2019

Trouvée à l’intérieur d’un lot extraordinaire de

Conçu comme un rébus, ce pendentif permet de

ÉQUIPEMENT EXTERNE DE LA MOMIE

27 - Historia n° 867 / Mars 2019

Également placé sur la momie du roi, cet oiseau à tête

Placées de chaque côté de l’entrée de la chambre

29 - Historia n° 867 / Mars 2019

TROMPETTE EN ARGENT À NOYAU EN BOIS

Cette statuette appartient à un lot exceptionnel de

Dans chacun des quatre réceptacles

Les lits sont équipés d’appuie-têtes : un socle pour la stabilité, un support

Les viscères du défunt étaient contenus dans un « monument

31 - Historia n° 867 / Mars 2019