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ELEMENTS DE BIOGRAPHTE D’ EMMANUEL NUNES par Heélene Borel HELENE BOREL Elements de biographie d'Emmanuel Nunes u début des années 80, alors qu'il avait une qua- A rantaine d’années, Emmanuel prit un jour un taxi en sortant Pune répétition a Radio France. Tout en sexcusant de lui en parler, le chauffeur lui dit quil lui faisait penser A un enfant quil avait connu dans sa jeunesse, qui avait un peu les mémes problémes que lui pour marcher et pour parler : Cétait un enfant ues intelligent qui était obligé d’apporter sa machine a écrire quand il avait des contréles a passer a P’école. Bien qu iil parlat un frangais trés correct, Emmanuel a pergu une pointe d’accent ct lui a demandé d’ou il venait. « Je suis portugais. » « Moi aussi!» A brile- pourpoint, il s'est exclamé: « Vous étes Emmanuel ! Qui suis-je? » Cet homme avait été le chauffeur de son école quand il était enfant. Emmanuel Nunes est né 4 Lisbonne le 31 aotit 1941. Ila appris & lire avec ses parents, tout petit, puis il est entré 4 six ans 4 Pécole primaire, mais comme il avait des difficultés pour le graphisme et Pélocution, du fait d'une infirmité neuro-motrice, ses parents |’ont mis l’année suivante dans une école spécialisée pour enfants handicapés intellectuels et mentaux. C’était une école privée, installée dans un grand appartement, HELENE BOREL Eléments de biographte d’Emmanuel Nunes tenue par un couple formé aux méthodes pédago- giques nouvelles inspirées de Freinet et Montessori. La, Emmanuel était le seul enfant a étudier le pro- gtamme normal et il allait passer & l’extéricur les examens de l’enseignement public, avec succes. A doure ans, il reprend une scolarité normale et entre en troisitme année de collége, ce qui correspond en France & la classe de quacritme. A la fin de la cinquitme année, il a quinze ans, passe le BLE.PC., et doit choisir une orientation pour terminer les deux derniéres années de lycée. Sous l’influence paternelle, il opte pour la section scientifique et obtient le bacca- lauréat en juin 1958, cependant qu’en septembre il échoue 4 l’examen d’entrée A la faculté'de pharmacie. Tl vient d’avoir dix-sept ans. A Pannonce du résultat, son pére lui dit quil lui fait honte Pétre recalé aprés toutes les démarches administratives ct personnelles quil a da faire pour que son fils handicapé ait la pos- sibilité physique de passer ses examens. Par exemple, il avait fallu pendant des mois constituer d’énormes dossiers et contacter toutes sortes de sommités pour se voir enfin octroyer par piston un minimum de conditions matérielles, comme l’autorisation d’écrire avec une machine, et de continuer A travailler pendant la demi-heure de la pause pour avoir un peu plus de temps. Souvre alors une période noire et contflictuelle qui va durer trois ans. Emmanuel décide de repasser examen en juin, mais d’étudier seul 4 la maison pour épargner les frais de scolarité & son pére qui ne lui adresse plus la parole. Il reste sombre et dépressif 10 HELENE BOREL Elémenss de biographie d'Emmanuel Nunes et, en juin 1959, il échoue pour la seconde fois & Pentrée en pharmacie, puis, l'année suivante, il échoue pour la troisitme fois, en tentant Pentrée en faculté de médecine, en juin 1960. Pendant ces trois années sombres, Emmanuel commence & envisager d’étudier sérieusement la musi- que. Il n’est plus scolarisé et continue de travailler seul sans y parvenir vraiment. Cependant, aprés son deuxiéme échec, il s'inscrit 4 ! Académie de Musique. Ila dix-huit ans. En fait, jusque-la, il navait jamais eu Pidée pré- cise d'un meétier futur, mais il avait eu le désir d apprendre la musique. Petit, entre cing et huit ans, il tarabustait sa bonne pour quelle lui préte une série de casseroles qu'il classait, puis il tapait dessus et faisait beaucoup de vacarme avec jubilation. II dira plus tard ironiquement : « C’est l’action la plus liée au son dont je me souvienne avant de n7initier a la musique, ce qui ne m/a pas amené pour autant 4 adhérer a la musique concrete... » (Interview de Pedro Figueiredo dans la revue portugaise Arte Musical, janvier-avril 1999.) En grandissant, ce jeu a cessé, mais il a retrouvé plus tard un plaisir identique, pendant la période noire, au piano, ou il passait des heures & improviser, seul ou avec un ami. Enfant encore, il y avait en face de chez lui un marché couvert, avec une animation et un yacarme incroyables qu'il aimait regarder et écouter pendant de longs moments, depuis sa fenétre. Cette contemplation, selon lui « vide et sans but » I’a repris aussi plus tard dans les années noires. C'est vers lage de douze ans quEmmanuel a décidé d’apprendre it HELENE BOREL Etéments de biographie d'Emmanuel Nunes la musique, surtout le piano qui était & peu pres acc sible physiquement pour lui, car malgré ses mains maladroites, il pouvait produire du son et cétait metveilleux. Dans la classe, il y avait un piano, un copain savait un peu en jouer, et Emmanuel aimait & sessayer dessus. Ainsi, il a voulu un piano. Son pére a objecté qu'il ne pourrait jamais en jouer, mais sa mere a insisté en disant que Cétait tres important pour exercer ses mains et les rééduquer, alors il a accepté, et Emmanuel a eu son piano. Emmanuel a été élevé assez librement. Ses parents ne l’ont jamais freiné malgré son handicap, l’ont toujours laissé libre d’aller et venir, de jouer avec ses camarades. Ils lui faisaient confiance et le responsabili- saient tout 4 fait, l’acceptant tel qu'il était. Sa mére avait accepté linfirmité des le début, presque comme une chose naturelle, qui faisait partie de lui. Par ailleurs, ils navaient aucun intérét pour la culture, comme si cela nexistait pas, mais ils voulaient que leur fils fasse des études. Son pére n’avait lu que la Bible. Il était parti chercher fortune en Amérique & seize ans, fuyant la terre, le village et le moulin paternel. La-bas, il s’était converti au protestantisme par rébellion contre le catholicisme familial, était devenu prothésiste dentaire, revenant s installer comme dentiste 4 Lisbonne sept ans plus tard. Sa mére a tenu quelques années un magasin de mode. Elle lisait avec beaucoup d’intérét les revues de vulgarisation médicale et, plus tard, elle aimait lire les romans quEmmanuel lui prétait quand, vers l’4ge de quinze ans, aprés le B.E.PC., il a commencé a acheter des livres. Son pére lui a toujours volontiers 12

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