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perspectives

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Sommaire
Vol. XII, n° 4, 1982

POSITIONS/CONTROVERSES
D e l'importance des mathématiques dans l'enseignement
Douglas A. Quadling 445
L'ordinateur à l'école Gilbert R. Austin et Sarah A. Lutterodt _ ^^iSß0r.

DOSSIER
; h
Apprendre et travailler (II) \
Réflexions sur l'éducation et le travail Andri Isaksson —47f~
L'éducation pour la transition Stephen Castles,
Patrick van Rensburg et Pete Richer 485
Enseignement et travail en Bulgarie Dimitar Tzvetkov 497
Production coopérative et enseignement technique au Pays basque
Carlos Órnelas 505
Éducation et travail productif en Guinée Amar a F of ana 515
Éducation et travail productif : la formule de B u n u m b u
Samuel J. Lebby et Jack Lutz 523
U n e expérience indienne d'apprentissage scolaire rémunéré
R. P. Singh 533
L e programme d'initiation au travail en Jamaïque
Zellynne D . Jennings-Wray et Veronica Elaine Teape 539

TENDANCES ET CAS
La presse à l'école : une expérience au Brésil Dymas Joseph 553

Revue de publications
Profil d'éducateurs : Maria Montessori. Comptes rendus 563
Livres reçus 581
Index du vol. XII 585

ISSN 0304-3045
POSITIONS

CONTROVERSES
D e l'importance
des mathématiques
dans l'enseignement
Douglas A . Quadling

L'examen des programmes scolaires fait nettement apparaître que


l'enseignement des mathématiques y occupe une place centrale dans
presque tous les pays.
A u niveau de l'enseignement primaire, les responsables sont géné-
ralement d'accord sur la nature des mathématiques à enseigner
— m ê m e s'ils utilisent des approches ou des calendriers différents —,
ce qui n'est guère surprenant si l'on considère la diversité des cultures
dans le m o n d e . E n revanche, le contenu des cours de mathématiques
varie considérablement dans l'enseignement secondaire. E n dépit du
caractère universel que l'on prête aux mathématiques, il n'est pas rare
de trouver des pays dans lesquels les programmes de mathématiques
au niveau secondaire n'ont pratiquement rien en c o m m u n . U n e telle
constatation nous amène nécessairement à nous demander si les mathé-
matiques ont véritablement l'importance qu'on leur attribue.
C e débat révélant souvent une grande confusion dans l'acception
du terme « mathématiques », nous commencerons par préciser notre
point de vue.

L e s mathématiques d e la vie courante

Il convient de faire la distinction entre trois types de mathématiques.


D'abord, les mathématiques de la vie courante, c'est-à-dire les mathé-
matiques dont nous avons besoin chaque jour dans notre vie profes-
sionnelle et pour profiter de nos loisirs. Certains parlent de « rudi-

Douglas A . Quadling (Royaume-Uni). Professeur de mathématiques au Cambridge


Institute of Education. Ancien président du Comité des mathématiques du Conseil des
écoles pour les programmes scolaires et les examens, et ancien président de l'Association
des mathématiques (1980/81).

Perspectives, vol. XII, n° 4, 1982


Douglas A. Quadling

ments » ou de « programme de base » ; mais ces termes supposent que


les besoins sont les m ê m e s pour tous, ce qui n'est pas le cas. Les
mathématiques nécessaires à la vie courante ne sont pas les m ê m e s en
ville et à la campagne. U n avocat n'a pas les m ê m e s besoins qu'une
maîtresse de maison (l'un et l'autre nieraient du reste avoir recours
aux mathématiques dans leurs activités) ; le photographe amateur
n'utilise pas les m ê m e s connaissances mathématiques que le foot-
balleur. Les mathématiques de la vie courante correspondent au style
de vie de chacun.
Pourtant, les mathématiques ont aussi des caractéristiques c o m -
munes pour tous. Premièrement, nous en avons toujours besoin dans
des situations qui exigent une réaction immédiate : pour payer u n
billet d'autobus, calculer l'angle de chute d'un arbre, estimer la date
d'achèvement d'un contrat, enfourner les plats au m o m e n t voulu,
choisir la durée d'exposition d'une photographie, se placer de façon
à contrer l'attaque des avants de l'équipe adverse. Deuxièmement,
ces calculs se font rarement crayon en main (ou m ê m e à l'aide d'une
calculatrice de poche). Troisièmement, ces opérations se font sans
que l'on ait conscience de faire des mathématiques. Tout cela prouve
bien que les mathématiques de la vie courante n'ont guère de rapport
avec l'enseignement classique des mathématiques. L e fait de sélec-
tionner un problème dans un manuel au cours d'une leçon de « mathé-
matiques », et d'en porter la solution dans u n cahier à u n m o m e n t
précis, n'a aucun rapport avec les mathématiques de la vie courante.
Certes, cela ne signifie pas que les professeurs de mathématiques
ne peuvent pas aider les enfants à acquérir les notions de mathéma-
tiques dont ils ont besoin. Mais il est illusoire de supposer que les
professeurs de mathématiques peuvent se charger seuls de cette
formation. Les professeurs des autres disciplines, les parents, les
frères et les sœurs aînés ont tous u n rôle à jouer. Dans ce sens, tous
les professeurs sont des professeurs de mathématiques. Pour l'essen-
tiel, les mathématiques de la vie courante s'acquièrent c o m m e la
plupart des autres connaissances qui nous sont indispensables, telles
que traverser une rue, lire une carte de géographie ou lire l'heure,
c'est-à-dire par l'expérience, grâce à l'aide d'un aîné qui se trouve là
au bon m o m e n t .

L e s mathématiques pratiques

Les programmes scolaires comportent essentiellement des mathéma-


tiques pratiques, des exercices les plus simples, tels que l'arithmétique
décimale, jusqu'aux techniques les plus poussées, telles que le calcul
D e l'importance des mathématiques dans l'enseignement

différentiel, qui permet de déterminer des valeurs maximales et mini-


males. Par mathématiques pratiques, on entend toutes les m a t h é m a -
tiques dont certains d'entre nous ont besoin pour mener à bien leurs
tâches professionnelles, au-delà de ce que nous s o m m e s convenus
d'appeler les « mathématiques de la vie courante ».
L'inconvénient est que les mathématiques appartenant à cette
catégorie sont pour l'essentiel liées à une profession. Chaque branche
des mathématiques n'est utilisée que par une minorité de personnes.
Ainsi, si les ingénieurs et les navigateurs doivent avoir des notions de
trigonométrie, les pharmaciens et les employés de banque, eux, n'en
ont nul besoin. Les statistiques sont indispensables aux économistes,
non aux électriciens. O r rares sont les enfants qui savent déjà à
l'école quel métier ils exerceront plus tard.
N o u s s o m m e s donc confrontés à u n problème de programmes sco-
laires : faut-il essayer d'enseigner toutes les disciplines mathématiques
dont tel ou tel élève pourrait avoir besoin ? Étant donné qu'un effectif
de trente ou quarante enfants représente de nombreuses possibilités
de carrières, ce serait le plus sûr m o y e n de surcharger les programmes.
Serait-il préférable de nous limiter à quelques thèmes généraux
— tels que les proportions, les propriétés de certainesfiguresg é o m é -
triques courantes, et l'application de formules — dont la majorité des
élèves devront avoir des notions? Si nous optons pour la seconde
solution, nous risquons de nous retrouver avec u n programme de
mathématiques assez restreint, d'autant que la plupart des employés
utilisent beaucoup moins les mathématiques dans leur vie profes-
sionnelle qu'on ne le croit généralement, ainsi que le révèle une étude
récemment réalisée au R o y a u m e - U n i 1 . E n conséquence, il faudrait
renforcer l'enseignement des mathématiques dans les programmes
de formation professionnelle spécialisée.
Certes, les mathématiques constituent aussi u n outil de base pour
les professions scientifiques, et cet argument a souvent été avancé
pour inclure certains sujets de mathématiques dans les programmes
scolaires. Mais, s'il est souhaitable que l'élaboration des programmes
de mathématiques se fasse dans une perspective interdisciplinaire, il
faut néanmoins se garder des excès. O n part généralement d u prin-
cipe que les élèves devraient d'abord apprendre les mathématiques,
pour les appliquer ensuite dans les cours de sciences. Mais, si cela
suppose u n apprentissage abstrait des mathématiques, hors d u
contexte qui pourrait leur donner u n sens, et avant l'acquisition des
notions élémentaires indispensables, les élèves risquent fort de ne
jamais maîtriser la matière ; or, u n échec en mathématiques peut avoir
des répercussions sur le cours de sciences. L'enseignement des
sciences dispensé dans les écoles dépend tellement des mathématiques
que cela peut constituer u n handicap pour beaucoup d'élèves.
Douglas A. Quadltng

Il faut aussi reconnaître que les mathématiques pratiques varient


avec le temps. U n très bon exemple nous est fourni par les loga-
rithmes, qui constituaient naguère une technique essentielle pour
ceux qui devaient effectuer des calculs compliqués ; à notre époque, où
la calculatrice de poche est à la portée de tous, cette technique est
devenue pratiquement obsolète.

L e s m a t h é m a t i q u e s des mathématiciens

Certains diront que, jusqu'à présent, il n'a pas encore été question
des mathématiques, car les « véritables » mathématiques consistent en
définitions, preuves et structures abstraites. L a plupart des pro-
grammes scolaires contiennent des éléments de ces mathématiques :
par exemple, les nombres premiers, les théorèmes de géométrie, les
ensembles. N o u s pourrions les appeler les mathématiques des mathé-
maticiens.
Il serait faux de faire trop nettement la distinction entre ces
mathématiques et celles dont il a été question précédemment. Certes,
le raisonnement logique a sa place dans l'enseignement des mathé-
matiques d'un point de vue utilitaire, car la force des mathématiques
réside avant tout dans les rapports entre phénomènes, de sorte que
l'on peut, en faisant appel à de vagues souvenirs, acquérir toute une
série de connaissances qui en découlent. Pour que les mathématiques
méritent la place qu'elles occupent dans les programmes scolaires, il
faut que leur enseignement mette en évidence la valeur de ces relations.
Les mathématiques des mathématiciens présentent aussi d'autres
aspects. Il suffit de penser au plaisir que les gens éprouvent à résoudre
des casse-tête mathématiques ou à participer à des jeux de structure
mathématique, ou encore à la satisfaction personnelle que l'on peut
retirer de calculs effectués sur des séries numériques (par exemple, en
additionnant 1 + 2 + 1, 1 + 2 + 3 + 2 + 1, 1 + 2 + 3 + 4 + 3
+ 2 + 1,... on obtient 4, 9,16..., soit une succession de carrés), avec
toutes les hypothèses que l'on peut faire sur l'évolution d u processus
et les explications que l'on peut en donner. Il y a aussi les m a t h é m a -
tiques que l'on fait « par jeu ». Les petits enfants s'amusent à compter
aussi loin que possible, en prolongeant le système de la numération :
... vingt-huit... vingt-neuf... vingt-dix (!)... vingt-onze (!)..., et n o m -
breux sont ceux qui s'étonnent que quatre couleurs suffisent pour
colorier une carte de géographie, quelle qu'en soit la complexité, ou
que les trois points marqués en gras sur la figure ci-contre soient
toujours en ligne droite quelles que soient les positions choisies sur
le cercle pour les six points marqués d'un rond blanc. Pourtant, de
D e l'importance des mathématiques dans l'enseignement 449

telles démonstrations font appel à des connaissances assez poussées en


mathématiques. O n est tenté de souhaiter que tous les enfants aient
la possibilité de pratiquer ce genre de mathématiques, tout en sachant
qu'elles ne suffisent pas à justifier la place de choix dont cette disci-
pline jouit actuellement dans les programmes scolaires.
O n prétend aussi que ce type de mathématiques « apprend à
réfléchir ». Mais les arguments avancés ne sont pas convaincants. Par
nature, les mathématiques ont u n champ d'application très restreint,
qui obéit à une logique très stricte ; en effet, les formes d u raisonne-
ment mathématique sont rarement généralisables. Certes, l'étude des
mathématiques donne l'habitude d'analyser la signification d'un
énoncé, d'établir des preuves, d'éliminer ce qui est sans rapport avec
le sujet, etc. Mais on pourrait dire la m ê m e chose à propos de l'étude
d'une langue, ou d'un roman, ou encore de l'analyse d'une situation
politique. Les mathématiques représentent peut-être le raisonnement
sous sa forme la plus pure, mais, du point de vue éducatif, cela peut
être considéré autant c o m m e une faiblesse que c o m m e une force.

U n p r o g r a m m e de mathématiques
o u u n p r o g r a m m e comportant des mathématiques ?

E n résumé, nous venons de voir que les mathématiques de la vie


courante sont importantes, mais que l'enseignement classique des
mathématiques ne contribue guère à les développer. Seuls quelques
élèves feront usage des mathématiques dans leur vie professionnelle,
mais leurs besoins dans ce domaine seront rarement les m ê m e s . Les
Douglas A. Quadling

mathématiques des mathématiciens peuvent procurer plaisir et satis-


faction, mais, quel que soit le talent des enseignants, certains élèves
restent insensibles à cette discipline.
Q u e penser de la place des mathématiques dans les programmes
scolaires ?
O n ne saurait contester l'importance des mathématiques sur le
plan intellectuel, ni le rôle essentiel qu'elles jouent dans les progrès
techniques. Ces raisons inciteront toujours une partie des élèves à
poursuivre l'étude des mathématiques. Certains sont stimulés par
l'espoir de faire carrière dans des domaines où la connaissance des
mathématiques est indispensable. D'autres éprouvent simplement d u
plaisir à faire des mathématiques, avec les difficultés et les réussites
que cet exercice comporte ; l'attrait des mathématiques est peut-être
d'autant plus fort qu'elles n'exigent pas de talent littéraire. Pour
toutes ces raisons, les mathématiques ont encore dans les écoles u n
avenir prometteur, à la hauteur de ce que fut leur passé pendant des
siècles.
Cependant, le développement général et récent de l'enseignement
pour tous — en particulier de l'enseignement secondaire pour tous —
fait surgir de nouveaux problèmes. Les mathématiques doivent-elles
occuper une place primordiale dans l'éducation de tous les enfants ?
Paradoxalement, le m o n d e dans lequel nous vivons tend à devenir
moins mathématique en m ê m e temps qu'il se définit de plus en plus
en termes mathématiques. O n exige moins de l'individu, à notre
époque, qu'au temps de nos parents ou de nos grands-parents. L e
conditionnement des biens de consommation est le plus souvent
normalisé. Pour faire le plein d'essence de sa voiture, nul besoin
de savoir compter les litres ou les gallons : la p o m p e indiquera auto-
matiquement le prix à payer. L e commerçant ne fait pas d'additions
pour calculer le montant des achats de ses clients : la calculatrice s'en
chargera. Les derniers modèles de calculatrices calculent aussi les
taxes, vérifient le niveau des stocks, et peuvent m ê m e enregistrer les
prix automatiquement. Finie la tâche ingrate des triangles à tracer
sur la carte pour le navigateur d'un pétrolier moderne : il suffit de
taper les données sur u n clavier, et l'ordinateur fait le reste, avec une
plus grande précision et beaucoup plus rapidement que l ' h o m m e .
Cette révolution technique a atteint des niveaux différents selon la
société considérée, mais partout elle ne cesse de gagner d u terrain.
D e nos jours, on n'a aucune raison d'imposer aux enfants les longs et
fastidieux exercices de multiplication, de division ou de fraction, ou
encore des calculs de prix compliqués. L'important est de savoir
quelle est l'opération à effectuer dans une situation donnée, et de
pouvoir en estimer approximativement le résultat. Enfin, en cas de
nécessité, il faut savoir utiliser la machine qui effectuera le calcul.
D e l'importance des mathématiques dans l'enseignement

Cependant, nombreuses sont les réalisations que le m o n d e moderne


ne connaîtrait pas sans les mathématiques. Si les bâtisseurs de temples,
de mosquées et de cathédrales, de ponts et de tunnels au xixe siècle,
ou les constructeurs des premiers aéronefs et vaisseaux métalliques
utilisèrent peu les mathématiques, la conception d'une tour moderne,
d'un avion à réaction géant ou d'une autoroute nécessite, en revanche,
toutes les ressources offertes par les ordinateurs modernes et les
modèles mathématiques les plus perfectionnés. Notre vie économique
aussi est maintenant contrôlée par les mathématiques, c o m m e le
prouvent les masses de données numériques figurant dans les articles
que la presse consacre au m o n d e des affaires et de l'industrie.
Il faut certainement veiller à ce que cette nouvelle orientation soit
prise en considération dans l'enseignement scolaire des m a t h é m a -
tiques. Dans de nombreux pays, le milieu enseignant s'intéresse déjà
de plus près aux applications des mathématiques, tendance dont il
faut se réjouir. Mais ne commettons pas l'erreur de faire accomplir à
l'écolier une partie d u chemin à parcourir pour obtenir u n doctorat
en aéronautique ou en informatique. Pour la plupart des enfants, il
s'agit non pas d'acquérir des techniques (hormis celles qui sont liées
à la vie de tous les jours), mais de voir c o m m e n t les mathématiques
peuvent nous aider à comprendre, à maîtriser et à améliorer le m o n d e
où nous vivons. Intéressons-nous donc non pas aux mathématiques
pratiques, mais à la pratique des mathématiques.
C o m m e n t transposer toutes ces idées dans la réalité en les appli-
quant aux programmes scolaires? Certainement pas en faisant une
série de conférences pour prôner l'importance des mathématiques
— pourtant, il serait utile de produire davantage de films et de pro-
grammes de télévision où des professionnels traiteraient de sujets
tels que la lutte contre les maladies, les combustibles de rempla-
cement, la planification urbaine ou l'aménagement des terres inondées,
en soulignant le rôle des mathématiques dans la solution de tous ces
problèmes. Mais, la plupart d u temps, les élèves ont besoin d'une
occupation active. S'il ne suffit pas de leur faire faire des opérations,
que doit-on prévoir?
D a n s certains pays, dont le R o y a u m e - U n i , des professeurs ont
de plus en plus recours aux travaux pratiques pour répondre à cette
question. Ces travaux visent à placer l'élève devant des problèmes qui
lui sont familiers et qu'il peut aborder rationnellement. Bien que leur
solution n'exige pas u n niveau de connaissances très élevé en mathé-
matiques, ils constituent une bonne illustration de la pratique des
mathématiques. O n trouvera ci-après quelques exemples qui donnent
une idée de la nature de ces travaux.
Problème de calcul. C e problème reproduit une situation qui se
présente dans une usine de composants électroniques. O n donne
Douglas A. Quadling

aux élèves une boîte de petits composants (un millier est u n bon
nombre ; l'école peut se procurer des pièces de rebut auprès d'une
firme locale) et on leur demande d'en déterminer la quantité. O n
peut, par exemple, peser l'ensemble et compter combien il y a de
pièces dans dix g r a m m e s ; pour que le calcul soit précis, il faut
tenir compte des variations dans la masse des composants et
choisir l'unité de pesage (faut-il préférer u n g r a m m e ou cinquante
g r a m m e s ?).
Conception d'une chaise. Il faut s'entendre sur la façon de décrire la
forme d u siège en question et régler u n problème statistique puisqu'il
s'agit de fabriquer u n produit standard, destiné à des utilisateurs de
toutes les tailles.
Construction d'un abat-jour. O n fournit aux élèves la carcasse en
métal sur laquelle ils doivent adapter u n abat-jour en papier de la
forme voulue, dans le modèle de leur choix. Pour ce faire, ils peuvent
soit prendre des mesures et faire des calculs, soit procéder de façon
empirique. Parmi les problèmes à régler, citons le choix d'un morceau
de papier qui ait à la fois la forme et la dimension voulues pour
découper le modèle choisi, le pliage du motif lorsque l'abat-jour est
ajusté à la carcasse.
A quelle vitesse roulez-vous à bicyclette ? Les élèves font une expé-
rience pour déterminer la vitesse de chacun à bicyclette et le temps
qui lui est nécessaire pour atteindre sa vitesse maximale. Pour ce
faire, ils doivent recourir à certaines techniques mathématiques, dont
la lecture et l'interprétation des tables de données numériques, la
mesure des pentes, la distinction entre la vitesse m o y e n n e et la
vitesse immédiate, l'imprécision des données due aux difficultés que
suscite l'utilisation d u chronomètre.
Installation de feux de signalisation pour un carrefour du quartier.
Il existe au moins u n endroit connu pour ses embouteillages dans
chaque ville, et le projet c o m m e n c e par une étude de la densité de la
circulation. Il faut notamment déterminer s'il convient d'installer
des flèches de dérivation permettant aux véhicules de tourner à
droite et à gauche, calculer la durée optimale des feux verts dans
toutes les directions.

Il est évident que, si l'on établit u n programme scolaire sur de telles


bases, les arguments avancés en faveur d'un programme m a t h é m a -
tique de contenu précis perdent toute leur valeur. Il est vain de
choisir u n sujet mathématique pour en chercher ensuite des appli-
cations dans la vie courante. Il faut, au contraire, identifier le pro-
blème et sélectionner ensuite les instruments mathématiques qui
permettront de le résoudre. Si les élèves n'ont pas les connaissances
nécessaires, ils devront les acquérir pour résoudre le problème qui
D e l'importance des mathématiques dans l'enseignement

leur est soumis ; en revanche, il ne servirait à rien de leur faire


effectuer des séries d'exercices interminables.
Cette démarche est-elle valable pour l'enseignement continu des
mathématiques, surtout quand les élèves n'ont pas d'autre moti-
vation ? Il est certain qu'à l'heure actuelle les enseignants qui suivent
cette voie sont peu nombreux, peut-être en raison de pressions exté-
rieures, telles que la contrainte des examens ; dans ce cas, il nous faut
mettre dans la balance la motivation accrue des élèves d u fait de leur
participation à de telles activités et les sacrifices à consentir sur le
plan de l'étendue d u programme. Il est possible aussi que les pro-
fesseurs n'aient pas suffisamment confiance en eux : la majorité
d'entre eux sont plus à l'aise quand ils travaillent avec des manuels
ou des fiches, car ils ont ainsi plus de chances de rester en terrain
connu. Mais, pour de nombreux élèves, le simple fait de coucher
un problème par écrit le rend artificiel et lui ôte son sens. C e facteur
a d'importantes répercussions sur la formation des enseignants. Si
nous estimons que, pour certains de nos élèves, le programme doit
être axé principalement sur la « pratique des mathématiques », il est
indispensable d'en tenir compte dans les programmes de formation
des futurs enseignants (et dans les programmes de formation en cours
d'emploi) en encourageant les étudiants à utiliser les mathématiques
pour e u x - m ê m e s dans le cadre d'une série de projets pratiques. Les
expériences réalisées au R o y a u m e - U n i ont prouvé que l'école normale
peut très bien servir de laboratoire de recherche et de développement
d'idées nouvelles pour les programmes scolaires.
Certaines activités entreprises dans cette optique ont mis en évi-
dence l'importance des projets correspondant à u n besoin bien défini
de l'école ou de la collectivité locale. Citons la méthode U S M E S aux
États-Unis d'Amérique (Using Science and Mathematics in the
Elementary School — utilisation des sciences et des mathématiques
dans l'enseignement d u premier degré) et les séminaires de perfec-
tionnement sur les « mathématiques dans les programmes scolaires »,
organisés dans le cadre de l'Open University — l'Université ouverte.
D'autres activités ont montré qu'il était important de disposer d'un
produit fini ou d'une politique bien définie pouvant être mise à
l'essai afin de mettre en évidence la valeur — et éventuellement les
limites — de l'approche mathématique.
Cela nous permet de pousser notre raisonnement encore plus loin :
tous les travaux pratiques cités ci-dessus permettent d'utiliser les
mathématiques, mais ce ne sont pas de simples « travaux mathé-
matiques ». Certains font appel à d'autres disciplines, telles que les
sciences, le dessin technique, etc. D'autres peuvent nécessiter l'inter-
vention d'organes extérieurs à l'école. Pourquoi alors placer ces tra-
vaux dans le cadre de cours intitulés « cours de mathématiques » ?
Douglas A . Quadling

U n e telle politique semble encore moins indiquée quand nous


examinons les programmes des dernières classes de l'enseignement
secondaire. E n effet, s'il peut être souhaitable, à u n certain niveau
de l'enseignement, de fragmenter le programme en disciplines dis-
tinctes pour mettre en valeur et exploiter les caractéristiques parti-
culières de chaque matière, en revanche, quand les enfants atteignent
l'âge de quatorze ou quinze ans, il est généralement bien préférable
d'insister sur la synthèse des différentes disciplines pour montrer
c o m m e n t elles s'intègrent les unes aux autres et nous aident ainsi à
comprendre le m o n d e : on ne subdivise pas la vie en sujets ! O r , les
mathématiques sont particulièrement visées par ce processus de
fragmentation, d u fait de la rigueur et d u symbolisme inhérents à
cette discipline.
Si 1' « arithmétique » occupe une place centrale dans l'enseignement,
c o m m e on le prétend souvent, ne devrait-on pas — c o m m e on le fait
pour les deux autres matières de base, la lecture et l'écriture —
l'intégrer complètement dans l'ensemble des programmes ? Peut-être
conviendrait-il de corriger le titre d u présent article, et de l'intituler
non pas « D e l'importance des mathématiques », mais plutôt « D e
l'importance des cours de mathématiques ».

Note
i. U n compte rendu de cette recherche a été publié dans un rapport intitulé « Mathematics
in employment 16-18 », publié par la School of Mathematics del 'Université de Bath.
L ordinateur à l'école
Gilbert R . Austin et Sarah A . Lutterodt

O n connaît depuis des années les étonnantes possibilités de l'ordi-


nateur et l'influence qu'elles purent avoir sur la vie de l ' h o m m e . O n a
déjà examiné et expérimenté ses possibilités d'application dans le
domaine de l'enseignement. Mais les ordinateurs étaient récemment
encore des appareils encombrants et coûteux ; leur utilisation dans
l'enseignement n'a gagné que lentement d u terrain puisqu'elle restait
limitée presque exclusivement aux institutions d'élite des pays les
plus riches d u m o n d e .
L'apparition de la microplaquette de silicium a changé radicalement
cette situation. Grande c o m m e u n ongle, une microplaquette — ou
« puce » — peut remplacer à elle seule plusieurs milliers de circuits
électroniques et ne coûte qu'une petite fraction de leur prix. L e
micro-ordinateur, qui contient u n petit n o m b r e de « puces », peut
remplir toutes les fonctions de l'ordinateur pour un prix bien moindre.
Alors qu'un ordinateur classique peut occuper plusieurs salles, le
micro-ordinateur est u n objet qu'on pose sur une table et dont les
dimensions sont déterminées par celles de son clavier, et non par
celles des circuits électroniques qu'il contient.
L'apparition de la microplaquette électronique et des techniques
qui lui sont associées a accéléré l'utilisation de l'ordinateur dans
tous les domaines de l'activité humaine, au point que la technologie
de l'ordinateur fait aujourd'hui partie intégrante de l'environnement
quotidien des pays industrialisés : o n la retrouve aux caisses des
magasins d'alimentation, dans les banques, les bibliothèques, les
bureaux. L'emploi d u micro-ordinateur devient m ê m e une chose
courante dans les foyers des classes moyennes.
E n devenant de plus en plus accessible, l'ordinateur a suscité u n

Gilbert R . Austin (États-Unis d'Amérique). Directeur du Center for Educational


Research and Development à l'Université du Maryland. A été assistant spécial au Minis-
tère américain de la santé, de l'éducation et des affaires sociales et directeur d'un projet sur
l'éducation de la petite enfance à l'OCDE, à Paris. A récemment terminé avec Herbert
Garber la mise au point d'une étude sur l'amélioration et le déclin des notes obtenues aux
examens nationaux.
Sarah Lutterodt (Royaume-Uni). A travaillé dans des universités du Zaïre et du
Ghana ; est actuellement Senior Research Associate au Center for Educational Research
and Development à l'Université du Maryland. Auteur de nombreux articles en rapport
avec son travail sur l'enseignement scientifique en Afrique ; coauteur d'un ouvrage récent
de V Unesco sur la formation des professeurs de physique.

Perspectives, vol. XII, n° 4 , 1981


Gilbert R . Austin et Sarah A . Lutterodt

intérêt considérable par les possibilités qu'il offre dans l'enseigne-


ment. Alors qu'en 1980 l'enseignement assisté par ordinateur était
déjà appliqué dans environ 54 % d'un échantillon national d'écoles
américaines, on estime1 que la proportion atteindra 74 % en 1985.
D a n s le Minnesota, u n groupe connu sous le n o m de Minnesota
Educational Computing Consortium a distribué jusqu'à mille huit
cents micro-ordinateurs Apple II dans les écoles. D a n s le Maryland,
une étude récente a révélé qu'il y a au moins u n micro-ordinateur
utilisé dans chaque subdivision administrative et que beaucoup de
subdivisions prévoient l'achat d'un à dix micro-ordinateurs par école.
D a n s les pays avancés autres que les États-Unis d'Amérique, on
assiste à une invasion analogue de l'ordinateur dans les écoles que les
nouvelles techniques rendent possible. Mais qu'en est-il dans les
pays moins avancés ? Quel peut être dans ces pays le rôle de l'ordi-
nateur dans l'enseignement au cours des années quatre-vingt ? Si
l'on considère les difficultés considérables que rencontre l'éducation
dans les pays en développement, il peut sembler déplacé de s'at-
tarder sur les avantages raffinés que pourrait apporter l'introduction
des micro-ordinateurs. Pourtant, les pays en développement ne
peuvent pas ne pas être touchés par les transformations des modes
de vie, de travail et d'éducation qui se produisent en dehors de leurs
frontières. M ê m e dans les économies à fort coefficient de main-
d'œuvre, la technologie de l'ordinateur peut devenir rapidement la
seule qui convienne pour certaines tâches. Il est probable que cette
technologie sera de plus en plus à la base des échanges internationaux
d'information. Pour les contacts avec leurs partenaires commerciaux,
leurs collègues scientifiques étrangers ou les organismes d'aide, les
pays en développement devront entrer dans l'ère de l'ordinateur.
Cet impératif a, pour l'enseignement, des conséquences qu'on ne
peut ignorer.
Bien que les questions puissent se poser de façon différente dans
les deux situations, le fait que l'ordinateur deviendra de plus en plus
accessible dans les années quatre-vingt offre des possibilités et pose
des problèmes dont les éducateurs des pays en développement c o m m e
des pays développés doivent nécessairement tenir compte.
L e présent article est consacré essentiellement à l'emploi de l'ordi-
nateur à l'école proprement dite. Il laisse de côté d'autres fonctions
importantes de l'ordinateur dans l'éducation, par exemple pour
l'administration ou la recherche. O n mentionnera en passant l'utili-
sation de l'ordinateur à d'autres niveaux de l'éducation et dans
d'autres contextes mais sans entrer dans le détail.
L'ordinateur à l'école

Utilisations d e l'ordinateur p o u r l'enseignement

O n peut faire une distinction très importante entre la situation,


où l'ordinateur est u n m o y e n d'enseignement et celle où il est lui-
m ê m e matière à enseignement. Ces deux situations seront examinées
séparément.

L'ORDINATEUR C O M M E M O Y E N D'ENSEIGNEMENT

Les sigles C A I (Computer Assisted Instruction) et C M I (Computer


M a n a g e d Instruction) sont couramment utilisés aux États-Unis
d'Amérique pour décrire deux fonctions différentes de l'ordinateur
dans l'enseignement. A u R o y a u m e - U n i , on emploie davantage le
sigle C A L (Computer Assisted Learning) pour désigner les deux
formes d'enseignement. Quel que soit le sigle employé, il existe en
fait plusieurs façons de mettre l'ordinateur au service de l'enseignant.
Certaines seront examinées, mais, ce type d'activité se généralisant
rapidement, on ne prétend pas en présenter ici une liste complète.
Dans le tutorial mode (travail dirigé), l'ordinateur est programmé
de façon à enseigner u n sujet donné au m o y e n d'une série de « cadres »
soigneusement préparés. L a méthode d'enseignement est la m ê m e que
celle des textes programmés, l'information et les idées étant réparties
en u n e succession d'étapes très progressives. Chaque étape est
présentée à l'élève sur u n écran cathodique et l'élève doit donner une
réponse qui déterminera le contenu du « cadre » suivant. S'il donne la
bonne réponse, il pourra passer rapidement à u n nouveau point
d'enseignement ; sinon, l'ordinateur lui reposera la m ê m e question
ou donnera une séquence d'enseignement qui corrigera son erreur
ou lui fournira le renseignement qui lui m a n q u e . L a séquence d'ensei-
gnement est donc modifiée en fonction des besoins de chaque élève.
Souvent, l'ordinateur peut aussi s'acquitter d'une fonction de
gestion ( C M I ) . Des tests diagnostiques peuvent être placés au début
de la séquence, l'élève étant alors dirigé, selon ses résultats, vers le
point d'entrée approprié. L'ordinateur peut garder en mémoire
les réponses de l'élève, ce qui permettra à l'enseignant de suivre ses
progrès ou de diagnostiquer les difficultés rencontrées par les élèves
d'un m ê m e groupe. O n pourra administrer u n test cumulatif pour
chaque unité d'instruction, de difficulté progressive, dont les résultats
sont mis en mémoire et pourront être retrouvés.
L e drill-and-practice mode (répétition et pratique) est analogue à
la méthode précédente. O n pose toutefois en hypothèse que l'élève
a déjà reçu un premier enseignement de la matière considérée. Il
Gilbert R . Austin et Sarah A . Lutterodt

s'agit alors de vérifier, par la répétition d u contenu ou des méca-


nismes, si les objectifs sont bien maîtrisés. Cette méthode est parti-
culièrement utile quand le sujet ou la matière exige l'acquisition
d'automatismes, c o m m e dans le cas des mathématiques o u des
langues. C o m m e la méthode précédente, la méthode de répétition
et d'exercices pratiques offre habituellement la possibilité d'embran-
chements visant à renforcer les automatismes que les élèves ont des
difficultés à acquérir et la possibilité d'introduire des matériels sup-
plémentaires pour répondre aux besoins propres à chacun d'eux.
D a n s les deux méthodes ci-dessus, l'ordinateur remplit essentiel-
lement des fonctions d'enseignement traditionnelles mais en permet-
tant, en plus, u n enseignement personnalisé dont l'élève fixe
lui-même le rythme et que complète une grande variété d'aides gra-
phiques. L a qualité de l'enseignement dépend naturellement de la
qualité des programmes, c'est-à-dire des logiciels disponibles. Mais,
m ê m e avec u n logiciel de haute qualité, le répertoire des réponses
que l'ordinateur peut donner aux questions de l'élève, si important
soit-il, ne peut approcher celui d'un professeur « vivant ». Il est
improbable que l'ordinateur puisse u n jour remplacer complètement
le professeur dans des situations d'enseignement scolaire traditionnel.
L a mesure dans laquelle ce remplacement peut se faire continue
d'ailleurs à faire l'objet de débats animés. Il n'en demeure pas moins
que, bien utilisé, l'ordinateur peut être un instrument très utile pour
l'enseignement. Il peut libérer le professeur de nombreuses tâches
monotones c o m m e la répétition d'exercices ou la notation des copies.
Il permet à l'élève qui a été absent pour une raison quelconque de
rattraper seul les cours qu'il a manques ; en m ê m e temps, il permet
d'offrir une variante d u cours magistral ou des matériels supplémen-
taires qui le compléteront. Il y a, en outre, des cas où il peut se prêter
à une utilisation particulière.
O n a constaté que l'enseignement programmé est particulièrement
efficace avec l'élève médiocrement doué. L'interaction entre cet
élève et l'ordinateur se fait en privé, de sorte que l'élève n'a plus à
craindre les moqueries de ses camarades ni la punition de son pro-
fesseur, ce qui lui donne davantage confiance en lui-même. E n outre,
le terminal de l'ordinateur constitue u n environnement qui est peut-
être plus stimulant pour l'élève que l'environnement scolaire habituel.
L'élève se sent plus motivé, et l'on a p u constater que des élèves qui,
dans une classe traditionnelle, n'ont qu'une capacité d'attention très
brève peuvent s'absorber des heures durant dans les tâches que leur
propose l'ordinateur.
D'autre part, lorsque l'on m a n q u e d'enseignants qualifiés, les possi-
bilités d'auto-apprentissage qu'offrent les ordinateurs sont très inté-
ressantes. L'armée de terre des États-Unis d'Amérique, par exemple,
L'ordinateur à l'école

a récemment c o m m a n d é la préparation d'un programme fonctionnel


C A I d'alphabétisation pour son personnel affecté à des postes éloignés.
Pour des raisons analogues, on a estimé que le C A I pourrait être u n
complément utile aux cours par correspondance si prisés en Afrique
parmi ceux qui n'ont pas réussi l'ascension difficile de la pyramide
de l'éducation formelle2.
L'enseignement assisté par ordinateur peut apporter une contri-
bution encore plus marquée et plus originale pour la simulation, les
jeux ou la solution de problèmes. Il peut, en effet, orienter les capacités
du maître dans des voies en grande partie nouvelles.
L'ordinateur est u n instrument exceptionnel pour simuler des
processus ou événements complexes, offrant ainsi une représentation
visuelle de modèles scientifiques qui, sans lui, resteraient enfermés
dans des équations mathématiques. Si l'on prend par exemple la
théorie cinétique des gaz, qui postule u n m o u v e m e n t rapide et
aléatoire des molécules d'un gaz ainsi que les collisions fréquentes
des molécules entre elles et avec les parois d u réceptacle, ces collisions
sont la cause d'un certain nombre de phénomènes mesurables. O n
peut observer ces phénomènes et énoncer les équations décrivant les
mouvements des molécules. Mais il était difficile jusqu'à présent de
fournir une simulation graphique adéquate qui aide l'élève à c o m -
prendre ces phénomènes. L a nature abstraite et théorique d u sujet
permettait difficilement d'enseigner la théorie aux enfants qui pensent
surtout en termes concrets. Avec l'ordinateur, on dispose désormais
d'un modèle visuel très parlant, qui correspond à la description
mathématique, d'où la possibilité d'enseigner cette théorie à des
élèves plus jeunes. L e modèle de l'ordinateur présente, en outre,
une souplesse dont n'avaient pas rêvé ceux qui ont essayé d'élaborer
des modèles mathématiques simples pour accompagner l'enseigne-
ment des sciences dans les années soixante. O n peut faire varier à
volonté les paramètres qui régissent le comportement des molécules
et observer les effets de ces variations. Les programmes de cette
nature peuvent être utilisés par les enseignants à desfinsde d é m o n s -
tration, mais les élèves peuvent aussi « jouer » avec eux sans aide.
Par leur interaction avec le modèle, en mettant à l'épreuve les possi-
bilités et les limitations, ils peuvent beaucoup apprendre, n o n seule-
ment sur ce modèle particulier, mais aussi sur les possibilités et les
limitations des modèles en général. L'utilisation de l'ordinateur pour
des activités de cette nature leur offre des occasions d'enrichir par
des méthodes entièrement nouvelles leur compréhension et d'aiguiser
leurs automatismes intellectuels par des méthodes sans précédent.
A l'autre extrémité de l'échelle scolaire, Papert3 décrit c o m m e n t
on peut enseigner à de très jeunes enfants à se servir d'un langage
très simple (Logo) pour résoudre des problèmes c o m m e celui qui
Gilbert R . Austin et Sarah A . Lutterodt

consiste, par exemple, à tracer desfiguressimples. Utilisant u n petit


n o m b r e de c o m m a n d e s , l'enfant peut demander à l'ordinateur de
tracer des figures diverses. Il peut faire des expériences pour trouver
le résultat de différentes séquences d'ordres et essayer d'écrire des
programmes qui traceront unefigureou une série de figures de son
choix. C e faisant, il développera à la fois sa connaissance de la géo-
métrie et son aptitude à résoudre des problèmes.
Il est important que le travail qui consiste à résoudre par l'ordi-
nateur des problèmes particuliers conduise rapidement des enfants,
m ê m e très jeunes, à poser e u x - m ê m e s des problèmes et à en recher-
cher la solution. Les possibilités de stimulation et de développement
intellectuels qu'offrent ces utilisations de l'ordinateur sont manifes-
tement gigantesques.
Papert examine ensuite des projets à plus long terme, qui d e m a n -
dent à l'élève de résoudre une série de problèmes pour atteindre le but
qu'il recherche. Il cite, par exemple, le cas d'un élève de seconde qui
s'était mis à élaborer lui-même u n programme pour enseigner l'algèbre
à ses camarades. Il lui fallait pour cela produire des équations avec
des coefficients différents. Il avait accès à une fonction qui produisait
des nombres aléatoires de o à 9, mais voulait pouvoir utiliser des
coefficients plus grands. Il essaya d'abord d'ajouter deux nombres
pris au hasard. Cette méthode avait deux limitations : d'une part, le
coefficient maximal qu'il pouvait obtenir n'était encore que 18 ;
d'autre part, certains chiffres apparaissaient beaucoup plus souvent
que d'autres. E n recherchant u n e solution à ce problème, il a été
amené à en aborder d'autres et s'est trouvé finalement confronté à la
série de problèmes d'un programme de recherche en miniature.
L'utilisation de jeux éducatifs est une autre application importante
de l'ordinateur. Les jeux constituent pour les élèves des motivations
s'étendant à tout l'éventail de leur capacité scolaire, mais sans
conduire à une rivalité entre eux puisque la compétition est cette fois
entre e u x - m ê m e s et la machine. R o w b o t h a m 4 décrit le « jeu des
éléments », qui est u n excellent m o y e n d'enseigner la chimie élémen-
taire. Watson 5 , de son côté, décrit u n jeu qui consiste à localiser six
moulins à vent sur une île imaginaire. C o m p t e tenu des données
primaires que sont la direction d u vent et la situation d u terrain, le
joueur doit choisir u n endroit qui permet de réduire au m i n i m u m le
coût d u transport de la farine jusqu'à la boulangerie locale. L'ordi-
nateur évalue les sites choisis, les coûts obtenus et en informe l'élève.
E n jouant avec u n programme de cette nature et en essayant d ' a m é -
liorer ses localisations, l'élève peut beaucoup apprendre sur les divers
critères qui président au choix d'un site tout en s'initiant au pro-
cessus complexe qui consiste à décider des implantations industrielles.
L a fonction la plus importante de l'ordinateur en dehors de la
L'ordinateur à l'école

fonction enseignante proprement dite est probablement le traitement


des données et cette deuxième fonction peut aussi être utilisée dans
l'enseignement. D a n s l'enseignement des sciences, l'élève n'est pas
toujours en mesure de procéder lui-même aux expériences. E n exploi-
tant les données fournies par des laboratoires de recherche, il peut
apprendre c o m m e n t les utiliser pour essayer u n modèle théorique,
déterminer la valeur d'une constante, etc. L a capacité de traitement
des données des ordinateurs ouvre aussi de nouveaux horizons à
l'enseignement des concepts de la démographie et d'autres domaines
des sciences sociales, pour lesquels il est fait appel à de grandes
banques de données.
Il est évident que les possibilités d u C A I sont considérables. L a
méthode d'utilisation appropriée dépendra dans tous les cas des
élèves, de la matière et de l'enseignant.
O n peut arguer, par ailleurs, que l'utilisation d u C A I pour des
travaux dirigés ou des travaux de répétition et d'exercices pratiques
risque d'encourager le développement de pensées fortement conver-
gentes, voire une « paresse mentale »6. L a tâche de l'élève risque faci-
lement de se trouver réduite à chercher « ce que veut lui faire dire le
programmeur ». Mais l'ordinateur peut, au contraire, être u n très
puissant stimulant pour le développement des capacités intellectuelles
et le problème pour l'éducateur est d'en exploiter les possibilités sans
tomber dans ses pièges.
Certains ont prédit que l'introduction d u C A I sur une grande
échelle modifiera profondément le rôle d u maître c o m m e l'organi-
sation traditionnelle d u milieu éducatif. Libéré de ses nombreuses
tâches ennuyeuses et routinières, le maître pourra se consacrer
davantage à son véritable rôle, qui est de favoriser l'épanouissement
intellectuel de l'enfant. Quant à l'élève, il en viendra peut-être à tirer
l'essentiel de son instruction d'ensembles préprogrammés, soit à
l'école soit à la maison, en demandant surtout au maître des encoura-
gements et des directives, ainsi que son aide pour résoudre telle ou
telle difficulté que soulève le processus d'acquisition des connais-
sances. Ces prédictions se réaliseront ou n o n selon la qualité des
logiciels qui seront fournis et selon la façon dont les enseignants
seront introduits dans l'âge de l'ordinateur, et si la résistance intrin-
sèque et durable aux changements radicaux qui semble exister chez
les enseignants ne s'y oppose pas.
O n peut aussi affirmer que la manière dont les sujets seront for-
mulés pour pouvoir être mis sur ordinateur influera à son tour sur la
manière dont ils sont traditionnellement formulés par ailleurs, par
exemple dans les manuels. Il est de tradition, dans l'enseignement
des sciences, de représenter les lois d u m o u v e m e n t par u n certain
nombre d'équations, complétées par des courbes. Ces lois et ces
Gilbert R . Austin et Sarah A . Lutterodt

équations sont essentiellement statiques. Les élèves recherchent


habituellement la signification concrète des équations en remplaçant
les lettres par des temps et des distances et obtiennent ainsi des
valeurs de vitesse ou d'accélération, ou inversement. Pour chaque
série de variables, l'équation fournit une «réponse». L'élève n'acquiert
pas l'impression de changement continu par le jeu d'augmentations
infiniment petites des variables qui se produiraient dans une situation
réelle. Mais, quand ces lois du m o u v e m e n t sont présentées par l'ordi-
nateur, l'élève peut facilement observer la progression d u m o u v e -
ment. Cela étant, il est probable que le manuel devra présenter le
sujet d'une façon qui corresponde aux possibilités améliorées de
compréhension offertes par l'ordinateur.

L'ORDINATEUR, MATIÈRE D'ENSEIGNEMENT

L e rôle de plus en plus important de l'ordinateur dans tous les


domaines de l'activité humaine s'est traduit par une demande
toujours plus forte d'informaticiens aux niveaux universitaire et
technique. D a n s la mesure où les établissements d'enseignement
servent d'instruments de formation professionnelle, ils doivent offrir
un enseignement conçu en fonction de l'ordinateur, ce qui, en raison
du coût du matériel, s'est fait surtout jusqu'à présent dans le premier
cycle de l'enseignement supérieur et dans les universités. Mais, à
mesure que le coût de ce matériel diminuera, il n'est pas interdit
d'imaginer que cette forme d'enseignement finira par s'implanter
aussi dans l'enseignement secondaire et primaire. Cependant, c o m m e
cet aspect de l'utilisation de l'ordinateur dans l'enseignement ne
s'adresse qu'à u n n o m b r e relativement restreint d'élèves et c o m m e le
thème de la formation des spécialistes de l'ordinateur est extrême-
ment étendu, nous ne nous y attarderons pas davantage dans cet
article. O n peut soutenir que la nécessité d'une initiation à l'ordina-
teur d'une forte proportion de la population scolaire a beaucoup plus
d'importance pour l'ensemble du système éducatif.
D a n s sa communication d'ouverture à la troisième Conférence
mondiale sur l'informatique et l'éducation, qui s'est tenue à Lausanne
en 1981, le professeur Ershov 7 a prédit que, d'ici quelques années,
la programmation d'un ordinateur sera devenue c o m m e une seconde
alphabétisation et qu'il sera alors tout aussi indispensable de savoir
travailler avec u n ordinateur qu'il l'est aujourd'hui de savoir lire et
écrire. Les ordinateurs auront alors conduit à une nouvelle « har-
monie de l'esprit humain », qui « renforcera considérablement la
puissance intellectuelle de l'humanité ». Si ces prédictions se réalisent,
le problème qui se posera aux écoles à mesure que les ordinateurs
L'ordinateur à l'école

seront mis à leur disposition consistera d'abord à élaborer des pro-


g r a m m e s d'initiation à l'ordinateur.
Avec l'augmentation exponentielle de l'utilisation et de l'accessi-
bilité des ordinateurs, il s'est produit u n changement dans le sens
donné à l'alphabétisation informatique. Auparavant, elle consistait à
savoir ce que l'ordinateur pouvait faire, c o m m e n t il fonctionnait,
quelles en étaient les différentes utilisations. Aujourd'hui, cette forme
d'alphabétisation consiste plus c o m m u n é m e n t à « savoir c o m m e n t »
s'en servir.
D a n s une étude sur les cours d'initiation à l'emploi des ordinateurs
et sur les organisations qui s'y intéressent, Johnson et d'autres
auteurs8 ont dressé l'inventaire d'un grand n o m b r e d'objectifs qui
sont liés à cette initiation et les ont classés en six rubriques : matériel
(quincaillerie), programmes et algorithmes, logiciel et traitement des
données, applications, impacts, attitudes. Ces objectifs sont envisagés
c o m m e constituant une source où les enseignants peuvent puiser pour
constituer leur cours personnel d'initiation.
D a n s u n e communication récente, David M o u r s u n d , qui est
depuis longtemps l'un des grands spécialistes de l'utilisation de
l'ordinateur dans l'enseignement aux États-Unis d'Amérique, a pré-
senté une conception intéressante de l'initiation à l'emploi de l'ordi-
nateur. Pour lui, l'objectif de cette initiation doit être d'amener
l'élève de tout niveau à s'adresser tout naturellement à l'ordinateur
pour résoudre les problèmes qu'il rencontre dans ses études si
l'ordinateur lui offre u n m o y e n efficace de les résoudre. E n d'autres
termes, les étudiants devraient savoir quand et c o m m e n t utiliser
l'ordinateur en fonction de leur niveau intellectuel général.

L'ORDINATEUR ET SES UTILISATIONS


DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

D a n s les pays industrialisés, l'ordinateur pose à la fois d'énormes


problèmes et offre des chances immenses aux éducateurs. N o m -
breuses sont ses applications qui pourraient servir à améliorer l'ensei-
gnement, et nombreuses aussi les connaissances pratiques que les
enseignants doivent inculquer à leurs élèves pour leur apprendre à se
servir d'un ordinateur. E n outre, nous avons évoqué les changements
que l'introduction de l'ordinateur entraînera certainement dans l'orga-
nisation de l'enseignement scolaire, ainsi que dans le contexte de cet
enseignement. Jusqu'ici, nous nous s o m m e s intéressé essentielle-
ment aux pays où, malgré la période d'austérité relative qu'ils tra-
versent, l'enseignement est solidement établi et dispose de m o y e n s
financiers auxquels il peut faire appel. Mais pour beaucoup de ceux
Gilbert R . Austin et Sarah A . Lutterodt

qui habitent les pays en développement, tout cela aura semblé sans
doute bien ésotérique. Il n'en est pas moins vrai que la révolution de
l'ordinateur apportera aussi fatalement de nombreux changements
dans leurs méthodes d'enseignement, m ê m e si elle doit être plus
progressive que dans les pays industrialisés.
E n premier lieu, il importe de noter les grandes différences qui
existent entre les pays en développement e u x - m ê m e s en ce qui
concerne le développement de la technique de l'ordinateur. L a
troisième Conférence mondiale sur l'informatique et l'éducation
(Lausanne, 1981) a estimé que les pays en développement peuvent
se classer à cet égard en quatre ou cinq catégories, et le rôle de l'ordi-
nateur dans chacun d'eux dépendra probablement de la catégorie à
laquelle il appartient. E n Israël, u n programme relativement bien
structuré pour l'enseignement de l'informatique est déjà bien
implanté dans les écoles ; quelque douze mille élèves d u secondaire
y participent9. A H o n g K o n g , on s'intéresse activement aux possi-
bilités d'utilisation de l'ordinateur dans les écoles secondaires10 pour
l'enseignement des sciences. A u Koweït, l'Université a procédé à
certaines expériences sur l'utilisation de l'ordinateur pour les cours
d'initiation aux mathématiques 11 . E n Inde, le C A I est introduit
actuellement pour la formation dans u n certain nombre d'industries12.
Mais ce sont là des exemples relativement isolés, dont beaucoup n'ont
pas de rapport avec le système scolaire.
Il semble que, dans l'avenir immédiat, les pays en développement
doivent s'attacher avant tout à former assez de spécialistes pour
utiliser et entretenir les ordinateurs actuellement utilisés dans les
affaires ou l'industrie et dont le nombre augmentera probablement.
O n a p u le constater lors d'un colloque international qui s'est tenu
à Madras en janvier 1982 et qui a retenu l'attention d'un comité
international patronné par l'Unesco. C e travail sera probablement
confié à des institutions postsecondaires et à des écoles spécialisées.
L e besoin d'enseignement de l'informatique dans ce sens et les
mesures prises pour l'assurer seront évidemment différents dans des
pays c o m m e l'Inde, qui utilise déjà largement les ordinateurs, des
pays riches en pétrole mais pauvres en main-d'œuvre qualifiée et
des pays plus pauvres à tous égards et qui ne disposent actuellement
que d'installations rudimentaires.
Si l'enseignement élémentaire de l'informatique doit devenir aussi
important pour l ' h o m m e moderne que l'affirme Ershov, il va sans
dire qu'au fur et à mesure que les pays en développement entreront
dans l'ère de l'ordinateur par la maîtrise de ses techniques, ils éprou-
veront la nécessité d'assurer le développement d'un enseignement
élémentaire de l'informatique. Si l'informatique est à la base des
secteurs modernes de la vie économique d'un pays, il est assurément
L'ordinateur à l'école

important que l'enseignement des rudiments de cette technique


c o m m e n c e à se répandre au-delà des rangs encore clairsemés des
professionnels. L e besoin s'en fera probablement sentir davantage
encore dans les pays qui sont suffisamment riches pour acheter le
matériel mais qui manquent de personnel spécialisé. O n peut ima-
giner que certaines écoles, financées de façon particulièrement
généreuse, deviendront des centres d'excellence dispensant l'ensei-
gnement de base de l'informatique à la petite élite qui les fréquentera
et qu'elles serviront de modèles que d'autres pourront suivre à
distance. Tout c o m m e la première alphabétisation, qui n'a gagné
que lentement les communautés les plus éloignées et les plus déshé-
ritées d u m o n d e , la diffusion de cette deuxième « alphabétisation »
sera sans doute u n processus long et progressif.
L a nécessité de l'ordinateur en tant qu'aide pédagogique pour les
pays en développement semble moins pressante. S'il est vrai que le
C A I présente d'énormes avantages en puissance pour l'enseignement,
ceux-ci ne peuvent se concrétiser que dans u n environnement
approprié et sous une direction compétente. U n e acquisition hâtive
d'un matériel au logiciel médiocre, inadapté aux besoins spécifiques
en matière d'éducation d'une société donnée, pourrait faire plus de
mal que de bien.
C e n'est pas là l'unique raison pour laquelle les éducateurs des
pays en développement doivent s'intéresser au rôle de l'ordinateur
dans l'enseignement. N o u s avons indiqué brièvement plus haut que,
loin d'être uniquement une pièce de plus dans l'arsenal des aides
techniques mises à la disposition des enseignants, il est fort probable
que l'ordinateur modifiera profondément les méthodes d'ensei-
gnement. Q u ' o n le veuille ou non, c'est u n fait que, dans la plupart
des pays d u m o n d e , l'organisation de l'enseignement et ses instru-
ments sont des articles d'importation. Les écoles dépendent dans
une large mesure des livres publiés à l'étranger et beaucoup de ceux
qui sont publiés dans le pays subissent souvent l'influence de leurs
homologues de l'ancienne métropole. Les maîtres, s'ils n'ont pas
eux-mêmes été formés à l'étranger, l'ont été le plus souvent par des
professeurs qui l'y ont été et qui ont subi l'influence des tendances
de l'enseignement dans les pays développés. Les changements que
les ordinateurs apportent à la philosophie de l'éducation dans les
pays développés ne manqueront certainement pas d'influer sur l'en-
seignement dans les pays en développement. Les éducateurs de ces
pays doivent donc se préparer soit à résister à ces changements, soit à
les accepter et à les modifier.
Gilbert R . Austin et Sarah A . Lutterodt

C o m m e n t utiliser l'ordinateur dans l'enseignement?

Après avoir considéré les énormes possibilités qu'offre l'ordinateur


dans l'éducation, il nous faut maintenant examiner la meilleure façon
de les traduire dans les faits. Les efforts qui ont été tentés pour
introduire des innovations techniques dans les écoles n'ont pas
toujours tenu leurs promesses. N o u s nous proposons maintenant,
en nous appuyant sur ces expériences, de définir des stratégies qui
pourraient être utilisées pour introduire l'ordinateur dans les écoles.

LEÇONS DE L'EXPÉRIENCE PASSÉE

E n passant en revue l'impact que les moyens et appareils techniques


ont eu sur les écoles, Tyler13 est arrivé à cette conclusion que les
innovations les plus réussies sont celles qui étaient relativement peu
coûteuses et faciles à appliquer. D'autres auteurs14 confirment cette
opinion, déclarant par exemple que les magnétophones à cassettes
ont été assimilés beaucoup plus vite par les écoles que les magnéto-
phones à bandes, beaucoup moins maniables. Les autres caracté-
ristiques des innovations réussies, telles que les a notées Tyler, sont
qu'elles ont la faveur des maîtres parce qu'elles se chargent à leur
place de tâches ennuyeuses ou désagréables, ou parce qu'ils reconnais-
sent qu'elles sont utiles pour résoudre des problèmes d'acquisition
des connaissances au niveau de l'élève. Les innovations bien acceptées
sont celles qui apparaissent aux maîtres c o m m e des aides, et non
c o m m e des machines destinées finalement à les remplacer. L e C A I
répondra plus ou moins à ces critères, selon la façon dont on saura
convaincre les enseignants de son utilité. L a fonction de gestion peut
apparaître d'abord plus attrayante que la fonction d'enseignement.
L a transformation d u contexte de l'enseignement par les ordinateurs
peut être considérée c o m m e trop menaçante par tous les enseignants,
à l'exception de ceux qui sont les plus doués et les plus ouverts sur
l'avenir.
D a n s les pays développés, l'incorporation du matériel informatique
dans le processus d'enseignement varie considérablement d'un
enseignant à u n autre et d'un établissement à u n autre. L à où le
matériel existe, il n'est pas toujours utilisé et, quand il l'est, c'est
trop souvent pour boucher des trous ou à d'autres fins, étrangères
au but recherché.
D a n s les pays en développement, les problèmes que pose l'utili-
sation d u matériel informatique sont légion. M ê m e quand le matériel
a été payé au départ par u n organisme donateur, la durée de vie utile
L'ordinateur à l'école

d u matériel dans l'institution bénéficiaire est souvent très brève.


A u x problèmes d'entretien et de réparation, qui sont prévisibles,
s'ajoutent ceux de l'encadrement et de la formation. L e fonction-
naire de l'assistance technique, par exemple, qui est souvent celui
qui réceptionne le matériel, peut se trouver en fin de contrat quand
le matériel arrive, ce qui ne lui laisse pas le temps de former des
homologues locaux à son utilisation. Trop souvent, on peut prévoir
que le matériel sera mal utilisé ou inutilisé. L e directeur d'établis-
sement, connaissant le risque d'une mauvaise utilisation d u matériel,
décidera par exemple de l'enfermer à clé dans u n placard et de ne le
prêter que si u n enseignant lui en fait spécialement la demande.
Mais les papiers et formalités à remplir pour obtenir le matériel et
avoir l'autorisation de l'utiliser en classe peuvent alors se révéler u n
obstacle redoutable pour l'enseignant en question. M ê m e dans des
universités, le processus qui consiste à faire à l'avance une d e m a n d e
écrite, puis à pourchasser des techniciens peu zélés pour être certain
que le matériel sera à l'endroit voulu au m o m e n t voulu, fait de l'utili-
sation d'un simple projecteur de diapositives une entreprise de
première grandeur. E n outre, u n matériel de cette nature exige la
plupart d u temps u n logiciel. L e projecteur en question exige des
diapositives ; d'autres exigent des films fixes ou en bobines, etc.
Q u a n d il n'y a pas de devises étrangères pour remplacer ces articles,
gageons que le matériel mourra de sa belle mort. L e Centre régional
d'enseignement des sciences et des mathématiques en Asie d u S u d -
Est rapporte que les cours consacrés à la formation en cours d'emploi
des enseignants ont encouragé l'utilisation d u projecteur par les
professeurs de sciences participants. L a formation en cours d'emploi
des enseignants est probablement, quel que soit le contexte, l'une
des clés d u succès des innovations.

QUELQUES PROBLÈMES

Étant donné les difficultés auxquelles se heurte toute innovation, la


nécessité de la planifier avec précision à l'avance s'impose à l'évidence.
Il n'est pas surprenant que la précipitation avec laquelle on introduit
l'ordinateur dans les écoles américaines et dans celles d'autres pays
pose déjà des problèmes auxquels il faut s'attaquer. L ' u n d'eux est
l'impréparation des enseignants. O n leur d e m a n d e d'appliquer une
technique à laquelle ils n'ont pas été e u x - m ê m e s formés dans leurs
études. E n revanche, beaucoup de leurs élèves peuvent la connaître
pour l'avoir rencontrée en dehors de l'école. Cela met l'enseignant
dans une position qui risque d'être embarrassante.
Gilbert R . Austin et Sarah A . Lutterodt

L'enthousiasme des administrateurs, des élèves et des parents (qui


s'exprime, par exemple, par l'intermédiaire des associations de
parents et de professeurs) est souvent grand et dépasse la capacité des
enseignants d'y répondre. Il est fréquent que l'école reçoive u n micro-
ordinateur avant que le corps professoral ait songé sérieusement à la
manière de s'en servir. O n risque alors d'assister avant tout à des
utilisations inadaptées qui sont insuffisamment réfléchies. O n verra,
par exemple, les élèves s'amuser avec l'ordinateur pendant l'heure
d u déjeuner, de façon mécanique, et non créative, pendant les heures
de classe.
L a difficulté de se procurer le logiciel approprié multiplie les risques
d'une utilisation inadaptée. Bien que le logiciel éducatif soit produit
en grande quantité, sa qualité est inégale. Les professeurs des dif-
férentes disciplines doivent pouvoir disposer d'un logiciel qui a déjà
fait l'objet d'un examen et d'une évaluation critiques. O n a estimé
qu'il faut environ quarante heures à u n e personne qualifiée pour
soumettre à u n examen critique u n seul p r o g r a m m e d'enseignement15.
Il est donc évident que l'enseignant n'aura pas le temps d'examiner
beaucoup de programmes avant de les utiliser. A u x États-Unis
d'Amérique, on voit se former des groupes dont le but est de fournir
aux enseignants u n service d'examen critique. C'est certainement là
une tendance qui mérite d'être encouragée.
L a gestion et la surveillance des ordinateurs existant dans une école
posent, elles aussi, une autre série de problèmes. U n e école comptant
des centaines d'élèves peut n'acheter que quelques ordinateurs ou
terminaux. C o m m e n t en organiser l'utilisation ? L a « départementa-
lisation » de beaucoup d'écoles secondaires fait qu'il est difficile de
passer d'un département à l'autre. D a n s la plupart des cas, le dépar-
tement des mathématiques est le premier auquel est confiée la garde
des ordinateurs et il peut être difficile, en pratique, de prêter les
ordinateurs à des utilisateurs qui n'appartiennent pas à ce dépar-
tement. M ê m e à l'intérieur d u département des mathématiques, il
peut être difficile de les répartir entre les professeurs et les classes,
et dans une m ê m e classe entre les élèves. D a n s la plupart des cas,
l'utilisation d u C A I n'admet qu'un élève à la fois par ordinateur. Celle
de deux ou trois terminaux dans une classe de vingt-cinq élèves ou
plus requiert une planification précise. L'endroit où installer des
ordinateurs et des terminaux à l'intérieur de l'école peut aussi poser
des problèmes. Si une salle est spécialement affectée aux terminaux,
la classe qui doit les utiliser est obligée de s'y rendre quand vient son
tour. Cela signifie qu'il faut prévoir, dans l'emploi d u temps, que
telle ou telle classe devra utiliser l'installation à telle ou telle heure,
ce qui limite les possibilités de partage et réduit inévitablement la
souplesse d'utilisation d u matériel.
L'ordinateur à l'école 469

L'attrait m ê m e de l'ordinateur pour les élèves, ainsi que son utili-


sation fréquente pour des jeux ou autres activités non éducatives, font
que le problème de surveillance se pose en termes très réels. Les
disques souples, sur lesquels les programmes d'ordinateur sont
« inscrits », peuvent très facilement être glissés dans u n e poche ou
dans u n sac. L e matériel risque d'être manié brutalement dans
l'excitation d u jeu. L a solution consiste à mettre le matériel sous
clé — d'où u n obstacle de plus pour les professeurs qui veulent
l'utiliser — ou bien obliger u n professeur ou u n assistant à être
constamment présent pour en surveiller l'utilisation.

POUR UNE STRATÉGIE EFFICACE

L'expérience acquise avec les innovations techniques antérieures, en


m ê m e temps que les travaux de recherche auxquels a donné lieu
l'introduction de ces innovations et d'autres dans les écoles, peuvent
faciliter la mise au point d'une stratégie pour l'introduction des
ordinateurs dans les écoles.
Fullan et Pomfret 16 fournissent u n cadre utile pour l'examen des
facteurs qui facilitent incontestablement le succès de la mise en
œuvre des innovations. Ceux-ci comprennent les caractéristiques de
l'innovation, celles de l'unité qui les adopte et celles des stratégies
d'innovation employées. O n examinera ici certains facteurs propres à
chacune de ces catégories en se plaçant du point de vue des problèmes
que pose l'introduction de l'ordinateur dans les écoles.
Les innovations sont plus faciles à mettre en œuvre si elles sont
exposées et expliquées d'une façon qui soit explicite sans être pour
autant trop complexe. L e mot « explicite » signifie ici que les expli-
cations fournies le sont de façon claire pour l'utilisateur potentiel,
qui jugera lui-même d u degré de complexité. O r l'innovation que
constitue l'emploi des ordinateurs dans l'enseignement est, à l'heure
actuelle, pratiquement dépourvue de l'une et de l'autre de ces
qualités. Elle porte essentiellement sur u n instrument particulier
— l'ordinateur — mais celui-ci se prête à une multitude d'utilisations
qui donnent lieu elles-mêmes actuellement à une multitude de
programmes d'expérimentation. Il n'existe pas de consensus sur
les types d'emploi les plus appropriés d u C A I , de m ê m e qu'il
existe fort peu de précédents et très peu de recommandations,
par exemple, sur la meilleure façon de répartir u n petit n o m b r e de
micro-ordinateurs dans une école.
Pour donner une image plus nette de l'innovation, il faudrait peut-
être d'abord que ceux qui utilisent actuellement avec succès des
ordinateurs partagent leurs idées, leurs expériences et, ensuite, que
Gilbert R . Austin et Sarah A . Lutterodt

des chercheurs extraient l'essentiel de ces expériences pour en tirer


des directives claires que d'autres pourraient suivre. Ces directives,
qui porteraient sur les aspects pratiques et les procédures à suivre,
ne seraient aucunement obligatoires. Elles auraient pour seul but de
présenter u n e séquence de procédés déjà éprouvés, que d'autres
pourraient adopter jusqu'à ce qu'ils soient assez sûrs d ' e u x - m ê m e s
pour entreprendre des expériences adaptées à leurs besoins propres.
Fullan et Pomfret affirment que les innovations ont d'autant plus
de chances de réussir que l'organisation de l'unité qui les adopte, en
l'espèce l'école, est plus saine et que le climat général y est plus
favorable à l'innovation. N o u s avons déjà observé que, aux États-
Unis d'Amérique d u moins, l'utilisation de l'ordinateur dans l'ensei-
gnement ne m a n q u e de partisans ni dans les écoles, ni dans les
familles, ni chez les élèves ou les administrateurs. O n y constate au
contraire u n regain d'intérêt et d'enthousiasme qui pourrait aider
l'innovation à prendre racine. D a n s les pays où u n tel soutien fait
défaut, on devrait s'attacher à diffuser dans le public des informations
sur les possibilités offertes par l'ordinateur.
L e fait qu'un climat favorable est nécessaire sur le plan de l'orga-
nisation conduit à la conclusion que, pour le choix des écoles où
l'on veut essayer le C A I , il faudrait d'abord retenir celles qui fonc-
tionnent déjà bien. Si l'on s'en rapporte à ce qui a été fait dans le
passé pour désigner les écoles qui peuvent servir d'exemple 17 , on
constate que celles qui réussissent le mieux se caractérisent géné-
ralement par la qualité de leurs professeurs, se sont fixé des objectifs
nettement définis et attendent beaucoup de leurs élèves. Elles seront
probablement aussi celles qui absorberont le mieux les tensions
causées par l'innovation et serviront aussi de modèles dans ce
nouveau domaine.
U n e innovation doit une large part de son succès aux stratégies
utilisées pour l'introduire. Fullan et Pomfret considèrent qu'elles
comportent quatre éléments importants qu'on examinera ici succes-
sivement : la formation en cours d'emploi, la participation, les
mécanismes d'information remontante (rétroaction) et le soutien.
N o u s avons déjà observé que, m ê m e dans les pays hautement
industrialisés, le personnel enseignant m a n q u e de connaissances sur
les ordinateurs. Pour que les enseignants sachent bien utiliser les
ordinateurs, il faut u n effort massif de formation en cours d'emploi.
D a n s cette formation doit entrer l'apprentissage de connaissances
sur les ordinateurs, sur la façon de les programmer et, ce qui est
important, sur la meilleure manière de les utiliser dans le cadre
scolaire. L e début d u présent article a suffisamment montré que ce
dernier élément — c o m m e n t utiliser les ordinateurs dans le cadre
scolaire — en est encore au stade embryonnaire. D e s professeurs
L'ordinateur à l'école

différents, dans des écoles différentes et des pays différents essaient


des méthodes différentes, de sorte que la formation en cours d'emploi
ne peut actuellement faire mieux que de montrer aux professeurs
des modèles qui semblent réussir dans des situations comparables à
la leur. Il est important que ces connaissances soient partagées équita-
blement au sein de la c o m m u n a u t é internationale de l'enseignement.
Cela conduit à évoquer u n autre élément d'une bonne stratégie :
la participation. C'est quand ceux qui sont chargés d'appliquer
l'innovation participent effectivement aux décisions qui lui sont
associées que l'innovation réussit le mieux. L'idéal serait que les
professeurs participent d'une façon ou d'une autre aux décisions
administratives qui concernent l'achat des ordinateurs et leur déploie-
ment dans les écoles, car les ordinateurs achetés pour répondre à u n
besoin précis ont plus de chances d'être bien utilisés. O n a aussi
constaté que les innovations qui réussissent le mieux sont celles
dans lesquelles se produit u n processus d' « adaptation réciproque » :
l'innovation s'adapte à l'utilisateur et l'utilisateur s'adapte à l'inno-
vation. Puisque, dans le cas de l'utilisation des ordinateurs, l'inno-
vation elle-même n'est pas clairement définie (ou explicitée), il est
important que le professeur se considère c o m m e activement associé
à la recherche des moyens d'utiliser au mieux l'ordinateur dans son
école.
Les stratégies de l'innovation doivent aussi prévoir 1' « informa-
tion remontante ». Surtout au début de l'introduction de l'ordinateur
dans une école ou u n groupe d'écoles, il faudrait mettre en place des
mécanismes qui permettent de suivre les progrès de l'innovation et de
recommander éventuellement des modifications et des améliorations.
L e quatrième élément d'une stratégie efficace de l'innovation est
la recherche de niveaux suffisants de soutien. D a n s le cas de l'ordi-
nateur, ce soutien doit avoir des aspects multiples. O n a déjà évoqué
la nécessité d ' u n logiciel approprié et d'une évaluation fiable. Les
professeurs doivent, d'autre part, pouvoir s'adresser à quelqu'un
qui soit capable de les aider dans les tâches techniques de program-
mation ou d'utilisation d u logiciel. Sans doute, la majorité des ensei-
gnants ne deviendront-ils pas des experts informaticiens, mais il
faut qu'ils puissent avoir recours à de tels experts. Il faut aussi, évi-
d e m m e n t , faire le nécessaire pour assurer c o m m e il convient l'entretien
du matériel et pour qu'il y ait u n soutien logistique approprié. Il faut
enfin mettre les terminaux au b o n m o m e n t à la disposition de ceux
qui en ont besoin et charger quelqu'un d'assurer cette répartition
sans que celle-ci soulève de difficultés. O n ne peut pas demander à
u n professeur de mathématiques, par exemple, de se charger de cela
en plus de son travail.
Toute stratégie de l'innovation doit enfin comporter u n système
472 Gilbert R . Austin et Sarah A . Lutterodt

adéquat de motivations. Pour que le professeur apprenne à utiliser


l'ordinateur, il faut qu'il soit motivé. L a motivation peut être finan-
cière ; elle peut aussi consister à réduire ses heures de travail pour
qu'il assiste aux séances de formation. C e u x qui seront devenus des
informaticiens compétents se verront offrir des avantages financiers
substantiels afin qu'ils se consacrent à l'enseignement au lieu d'aller
dans l'industrie.

QUELQUES STRATÉGIES POSSIBLES


POUR LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

D a n s les pays développés, la révolution de l'ordinateur dans les écoles


est déjà en bonne voie et les stratégies que nous avons esquissées
dans les pages qui précèdent pour une introduction efficace de
l'ordinateur dans les écoles représentent des objectifs réalisables.
Des travaux portant sur la formation en cours d'emploi des profes-
seurs et sur l'élaboration et l'évaluation d u logiciel sont en cours.
Il faut actuellement faire u n effort plus énergique et élaborer des
stratégies d'ensemble.
D a n s les pays en développement, où l'introduction de l'ordinateur
à l'école n'est encore qu'à l'état de projet, on éprouvera de grandes
difficultés m ê m e pour commencer à remplir ces conditions. L a plu-
part de ces pays manquent en effet cruellement de ressources aussi
bien matérielles qu'humaines. Les professeurs connaissant tant soit
peu l'informatique risquent fort de ne pas rester dans l'enseignement.
L e logiciel dont ces pays disposent n'a guère de chances de convenir
aux différentes cultures et aux différents contextes géographiques
et l'on n'a m ê m e pas encore abordé les problèmes de l'adaptation.
E n outre, le niveau général de la population, y compris les enseignants,
est tel que les chances de trouver u n soutien d u milieu pour cette
innovation, ou encore u n intérêt ou u n engagement de la part des
enseignants, sont extrêmement réduites.
Il serait vain, dans ces conditions, d'encourager une introduction
immédiate o u généralisée de l'ordinateur. Mais si, c o m m e on peut le
supposer, la situation est différente dans quelques années, peut-être
faut-il s'y préparer dès maintenant. O n pourrait lancer des projets
pilotes dans u n très petit n o m b r e d'institutions d ' u n m ê m e pays
ou m ê m e d'une région, pour mettre à l'épreuve des méthodes et
adapter des idées et des logiciels importés de l'étranger. L e choix
de ces institutions pilotes devrait probablement se faire en fonc-
tion de la présence de personnes ayant fait preuve d'un intérêt
marqué pour le rôle de l'ordinateur dans l'enseignement. Ces centres
devraient rester attentifs à l'évolution qui se produit ailleurs, afin
L'ordinateur à l'école

d'adopter, au besoin, ceux des modèles étrangers d'utilisation des


ordinateurs qui peuvent s'appliquer aux conditions de leurs propres
pays. C e u x qui sont à l'avant-garde de la philosophie de l'éducation
doivent réfléchir à ses implications immédiates et lointaines. L e s
décideurs devraient penser à l'importance qui s'attache à l'ensei-
gnement des rudiments de l'informatique pour la population de
leur pays. L e risque est grand de voir ceux qui travaillent dans les
pays en développement tellement absorbés par des problèmes quoti-
diens insolubles qu'ils n'auront ni le temps ni le désir de réfléchir à la
situation d'ensemble ou aux tendances à long terme. D e s voyages
d'études effectués dans les pays développés par des fonctionnaires
occupant des postes clés dans des pays en développement, pour y
observer des situations modèles, pourraient contribuer à sensibiliser
les responsables de l'éducation à ce qui se fait ailleurs et aux applica-
tions qu'il est possible d'en tirer dans leur pays. Inversement, des
experts internationaux pourraient être invités pour de brèves visites
dans les pays en développement pour expliquer les immenses possi-
bilités que l'ordinateur ouvre à l'enseignement.
E n réfléchissant au n o m b r e des calculatrices de poche et à la
rapidité avec laquelle elles se multiplient dans le m o n d e entier, on
peut déjà se faire une idée de l'avenir de l'ordinateur. Il n'est guère
douteux que les progrès techniques continueront d'en faire baisser le
prix, en m ê m e temps qu'ils en augmenteront la durabilité et la
complexité. Tôt ou tard, les ordinateurs deviendront une chose aussi
courante et aussi accessible que les calculatrices o u m ê m e les postes
à transistors. O n les verra m ê m e dans les villages éloignés et les bidon-
villes des pays en développement. Il n'est donc pas trop tôt pour
que les responsables politiques commencent à se préparer à cette
tâche que l'avenir leur imposera : définir les objectifs, attribuer les
ressources et élaborer des stratégies. •

Références
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technology, vol. X X I , n° 3,1981, p. 7-18.
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C A L », dans : R . L E W I S et E . D . T A G G (dir. publ.), Computers in education, Preprints
3rd World Conference on Computer Education (troisième Conférence mondiale sur
l'informatique et l'éducation), North Holland, 1981.
3. S. P A P E R T , « Teaching children thinking », dans : R . P . T A Y L O R (dir. publ.), The computer
in the school: tutor, tool and tutee. N e w York, Teacher's College Press, 1980.
4. S. RowBOTHAM, « Using a microcomputer », School science review, vol. LXIII, 1981,
p. 70-77-
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E . D . T A G G , op. cit.
Gilbert R. Austin et Sarah A. Lutterodt

6. A . E R S H O V , « Programming, the second literacy », dans : R . L E W I S et E . D . T A G G , op. cit.


7. Ibid.
8. D . C . J O H N S O N , R . E . A N D E R S O N , T . P. H A N S E N et D . L . K L A S E N , « Computer liter-
acy—what is it? », The mathematics teacher, vol. LXXIII, 1980, p. 91-96.
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op. cit.
10. D . S. T U N G , « The potential uses of computers in Hong Kong secondary schools », Hong
Kong science teacher's journal, vol. IX, n° 1, 1980, p. 11-15.
11. R . L . IBRAHIM, « Computer assisted instruction in Kuwait », dans : R . L E W I S et E . D . T A G G ,
op. cit.
12. T . M A D H A V A N et S. A C H U T H A N , « Training programs—Indian Institute of Management »,
dans : International Symposium on Education in Informatics, Madras, Computer Society of
India, 1982.
13. R . W . T Y L E R , « Utilization of technological media, devices and systems in the schools »,
Educational technology, vol. X X , n° I, 1980, p. 11-15.
14. D . W . A L L E N et L . N . M C C U L L O U G H , « Education and technology. The changing bases »,
Educational technology, vol. X X , 1980, p. 47-53.
15. G . T . G L E A S O N , op. cit.
16. M . F U L L A N et A . P O M F R E T , «Research on curriculum and instruction implementation »,
Review of educational research, vol. X L V I I , 1977, p. 335-397.
17. G . R . A U S T I N , « Exemplary schools and their identification », Nev> directions for testing
and measurement, vol. X , 1981, p. 31-48.
Apprendre
et travailler
Réflexions sur l'éducation
et le travail
Andri Isaksson

étaient très en avance sur leur temps (les plus


Historique éminents, en Europe, sont sans doute Comenius
—' 1592-1670 — et Rousseau — 1712-1778),
L'idée de relier l'éducation au travail n'est il fallut attendre le xixe siècle pour que, dans
pas nouvelle. L'éducation sous toutes ses formes la pratique, l'éducation fût de façon signi-
mais surtout, bien sûr, celle que les enfants ficative de nouveau reliée, au moins en partie,
recevaient de leurs parents, remplissait à l'ori- aux activités quotidiennes et aux besoins de la
gine une fonction pratique : elle concernait collectivité.
les activités quotidiennes et la satisfaction des Bien qu'elles n'aient jamais été largement
besoins fondamentaux 1 . appliquées, les idées de Rousseau ont exercé
Cette façon dont on concevait l'éducation au sur la théorie de l'éducation une influence
départ semble aller de soi, mais elle a ensuite assez grande pour que nous nous y arrêtions.
progressivement disparu avec le développe- D e u x idées qui sont exprimées dans son ou-
ment de l'école. E n Occident, le changement vrage célèbre, Emile, ou qu'on peut en déduire,
s'est fait en partie sous l'influence d u style se rapportent particulièrement à notre sujet :
de vie des anciens Grecs et de la philosophie à) le travail manuel développe les capacités
grecque. A partir d u V e siècle avant notre ère, intellectuelles de l'enfant ; b) tous les adoles-
à mesure qu'en Grèce l'éducation prenait, en cents, sans exception, devraient apprendre u n
théorie et en pratique, une forme plus systé- métier manuel.
matique, l'accès à l'école devint, conformément Cependant, le mouvement qui, au xixe siècle,
à u n système de classes rigide, le privilège rattacha l'éducation au travail prit naissance
de ceux qui ne travaillaient pas. E n grec, dans la société, et non à l'école. C'est la révo-
le m o t skholê signifiait à l'origine « loisirs ». lution industrielle qui, « jointe aux idées natu-
Cependant, c'est principalement sous l'influence ralistes et démocratiques, a complètement
des grandes religions que, dans le m o n d e de changé le rôle d u travail dans l'éducation »2.
façon générale, l'éducation a été séparée d u Avant la révolution industrielle, les pro-
travail. grammes scolaires ne faisaient généralement
Malgré les exhortations et les avertissements aucune place à l'enseignement professionnel,
de certains pédagogues et philosophes qui car le rigide système de classes traditionnel
associait l'école aux classes supérieures et le
travail aux classes inférieures. D a n s la Grèce
antique, le travail était m ê m e considéré c o m m e
A n d r i Isaksson (Islande). Professeur de sciences de une occupation propre aux esclaves.
l'éducation à l'Université d'Islande, à Reykjavik. Ac-
tuellement, il est membre du Secrétariat de V Unesco,
L'apprentissage ne relevait pas de l'école
où il est conseiller régional responsable du programme de et n'avait pas lieu à l'école. L e jeune apprenti
coopération en matière de recherche et de développement entrait au service d'un maître qui devait lui
de l'innovation éducative dans le Sud-Est européen apprendre les secrets d u métier, la lecture,
(CODIESEE). l'écriture et la bonne conduite.

Perspectives, vol.
I. XII, n° 4,1982
478 Andri Isaksson

La révolution industrielle changea tout cela. travail, selon lui, « doit être u n aspect culturel
Elle « fit passer la production de la maison à plutôt que technique du programme d'études
l'usine et de l'artisanat au machinisme ». L e ordinaires ». D e w e y pensait que « la culture
nouveau patron capitaliste ne se sentait pas d'un peuple reçoit sa coloration en grande
obligé de s'occuper de l'éducation des jeunes partie de la manière dont il subvient à son
travailleurs sans expérience, ni m ê m e de leur existence. C'est pourquoi le travail doit consti-
formation professionnelle, sauf en ce qui con- tuer l'un des principaux axes de l'enseignement.
cernait la petite partie du processus de produc- Mais il doit jouer ce rôle c o m m e élément de la
tion que chaque travailleur devait connaître. culture générale plutôt que c o m m e simple
« L'enseignement professionnel ne relevait plus m o y e n de formation professionnelle. Il doit
de la production, le producteur n'en était faire corps avec l'enseignement théorique tra-
donc plus responsable. O n dut, pour la pre- ditionnel »3.
mière fois, se tourner vers l'école et lui confier Il nous faut également parler ici de K e r -
cet orphelin pour qu'elle l'insère dans ses schensteiner (1854-1932), pédagogue allemand
programmes. » E n outre, à cause de la complexité contemporain et admirateur de D e w e y . K e r -
des nouveaux procédés de production, la for- schensteiner raisonnait ainsi : puisque tous les
mation professionnelle devint à l'école une enfants et tous les adolescents devront travailler
matière officielle. à l'âge adulte et que la plupart exerceront u n
A u début du xixe siècle eurent lieu plusieurs métier manuel, la préoccupation essentielle
expériences remarquables, qui avaient pour devrait être, dans toutes les écoles, de leur
but d'insérer le travail dans l'éducation. A apprendre à travailler et surtout de leur ap-
titre d'exemple, on peut citer, parmi les moins prendre le travail manuel. C'est pourquoi l'école
connues, celle de Fellenberg (1771-1844). C e devrait être une Arbeitsschule (« école de tra-
pédagogue suisse créa dans sa propriété, à la vail »). L'école aura pour objectif principal
campagne, une école de commerce et d'agri- de former des citoyens responsables. Par le
culture, qui suffisait à ses besoins matériels et travail, l'élève y apprendra à coopérer, à tenir
où les travaux utiles occupaient une place compte des besoins d'autrui, à se maîtriser
importante. Cette expérience fut considérée et à s'appliquer au détail d'une tâche pour en
c o m m e une grande réussite. remplir les exigences. Ainsi l'altruisme rem-
4
N o m b r e de ces intéressantes expériences pé- placera graduellement l'égoïsme .
dagogiques effectuées au xixe siècle reconnais- Les efforts qui visent actuellement à donner
saient une valeur au travail et à l'apprentissage une place au travail dans les programmes sco-
en tant que tels, et non pas seulement en laires datent des années i960 et se sont beau-
raison de leur utilité. coup accrus dans les années 1970. Ils s'expli-
L e pédagogue allemand Fröbel (1782-1852), quent par plusieurs raisons. L'une d'elles est
fondateur d u premier jardin d'enfants, fut à un grand souci d'égalité et de démocratie en
cet égard un pionnier. Pour lui, « de m ê m e éducation qui, lorsqu'il s'est traduit dans les
que le jeu est la forme que prend naturelle- faits, a généralement conduit à des réformes du
ment l'activité spontanée de l'enfant, de m ê m e , système scolaire visant à unifier l'enseignement,
à u n âge plus avancé, le travail est une forme surtout au niveau secondaire. L'une des inci-
tout aussi naturelle de l'activité humaine ». dences de ces réformes a été l'intégration de
Fröbel écrit dans son Éducation de l'homme : l'enseignement général et de l'enseignement
« Les leçons qui nous viennent du travail et professionnel, à des degrés variables suivant
de la vie sont de loin celles que nous retenons les pays, les systèmes scolaires et les établis-
et que nous comprenons le mieux. » sements. U n e deuxième raison est le désir de
Plus que tout autre, le philosophe américain rapprocher l'école de la collectivité qui l'en-
D e w e y (1859-1952) a donné à l'idée de travail toure ou de la société dans son ensemble.
e
« une forme et u n contenu d u xx siècle » : le Pour cela, il a fallu notamment que l'enseigne-
Réflexions sur l'éducation et le travail 479

ment scolaire prenne en considération les pro- sujet au cours de réunions internationales qui
blèmes pratiques des gens, surtout ceux qui se se sont tenues récemment à l'initiative de
posent dans le domaine d u travail. U n e troi- l'Unesco ou avec son concours5. C o m m e nous
sième raison, enfin, concerne plus directement ne pouvons étudier ici qu'un très petit nombre
les transformations d u marché d u travail : il de cas, nous avons essayé de choisir des
a fallu orienter u n grand nombre de jeunes exemples faciles à comparer et à contraster,
gens vers les industries ou les activités en compte tenu des traditions, des situations poli-
expansion (ou, inversement, les détourner des tiques et des conditions socio-économiques plus
secteurs qui ne pouvaient plus absorber de ou moins différentes auxquelles ils se rattachent.
main-d'œuvre) et donc leur donner les capa- A u x États-Unis, l'enseignement coopératif
cités requises par cette orientation tout en leur {cooperative education) et le travail des étu-
laissant la possibilité de poursuivre leurs études. diants, notamment l'été, représentent deux
Dans la plupart des pays où l'on a fait une types de relation entre le travail et l'éducation.
place au travail dans l'enseignement scolaire, L'enseignement coopératif est dispensé par
il y a derrière cette évolution u n ensemble de un certain n o m b r e de collèges universitaires
facteurs interdépendants d'ordre social et poli- du premier et d u deuxième cycle, surtout dans
tique. Bien que les résultats obtenus dans le les quartiers pauvres des villes. C o m m e dans
cadre des principaux efforts soient remarqua- les autres établissements de l'enseignement
blement convergents, chaque pays a évidem- supérieur, les élèves de ces collèges choisissent
ment cherché à résoudre les problèmes et à une matière principale et diverses autres m a -
satisfaire les besoins qui lui étaient propres. tières générales ou spécialisées. Ils travaillent
D u point de vue de l'histoire de l'éducation, dans le m ê m e temps, durant plusieurs périodes
donner une place au travail dans l'enseigne- déterminées allant jusqu'à six mois, pour diffé-
ment scolaire signifie s'efforcer de réduire la rentes entreprises avec lesquelles le collège a
prédominance, confinant au monopole, dont passé u n contrat à cet effet. Ils y apprennent
jouissaient traditionnellement certaines m a - sur le tas les connaissances qui sont fonda-
tières théoriques de l'enseignement, afin que mentales dans le genre de travail qu'ils font.
cet enseignement soit davantage en rapport Pour noter les élèves, le collège tient compte à la
avec la société. L e principal m o y e n d'y parvenir fois de leurs résultats scolaires et de leur
est d'associer par u n compromis, d'une part, expérience dans le travail.
un enseignement général qui n'est plus néces-
L e travail des étudiants (notamment l'été)
sairement divisé en cycles de matières corres-
représente un type de relation entre le travail et
pondant à des disciplines déterminées et, d'au-
l'éducation qui est beaucoup plus répandu aux
tre part, u n enseignement d u travail o u u n e
États-Unis et qui caractérise mieux leur contexte
formation pratique qui, bien que la prédomi-
historique et social. Les étudiants travaillent
nance de l'enseignement général s'en trouve
souvent pendant les grandes vacances (et par-
réduite, coexiste avec lui dans une relation
fois aussi à temps partiel pendant l'année uni-
d'interdépendance et d'intégration plus o u
versitaire). D e s étudiants de toutes les condi-
moins étroite.
tions sociales travaillent l'été bien que cela ne
soit une nécessité que pour les plus pauvres.
O n travaille l'été pour gagner de l'argent, mais
Tendances et expériences cette expérience n'en est pas moins éducative.
C'est une expérience directe et, m ê m e si l'étu-
N o u s étudierons maintenant des tendances et diant n'en reçoit pas de formation poussée, elle
des expériences nouvelles dans le domaine de suffit généralement à lui donner u n aperçu des
l'interaction entre le travail et l'éducation, en relations qui caractérisent le m o n d e d u travail
nous référant surtout à des rapports et à d'au- et de la production, notamment de l'aspect
tres documents de travail présentés sur ce social de ces relations. Il est important de re-
48O Andri Isaksson

marquer qu'il s'agit d'une expérience indivi- vail des élèves tient compte des besoins de
duelle et n o n pas collective, qui fait appel à l'entreprise en main-d'œuvre qualifiée. L e tra-
l'initiative personnelle et permet des contacts vail des élèves est ici obligatoire et collectif.
directs. Il fait partie d u programme de l'enseignement
Les exemples de la Yougoslavie, de la Rou- secondaire et est lié au système de production
manie, de la Hongrie et de la Bulgarie peuvent national.
servir à illustrer les tendances qui caractérisent E n Inde, le système d'enseignement tradition-
les rapports d u travail avec l'éducation dans les nel a été remplacé à l'époque coloniale par u n
pays socialistes de l'Europe de l'Est et d u Sud- système scolaire provenant d'un pays lointain
Est. D a n s ces quatre pays, on est en train de et produit par une culture étrangère, qui a
préparer et, dans certains cas, d'appliquer une entraîné la formation d'un petit groupe de gens
réforme des systèmes d'enseignement. U n des instruits qui ne voulaient pas s'abaisser à tra-
principaux objectifs est de rapprocher l'école vailler de leurs mains et qui ne le permettaient
de la vie et, par conséquent, d u m o n d e d u tra-
pas à leurs enfants. L'immense majorité des
vail avec ses multiples facettes. Il faut pour celahabitants, les véritables producteurs de la ri-
unifier l'enseignement scolaire et lui donner u n chesse sociale, n'avaient pas accès à l'école, aux
caractère polytechnique et polyvalent. U n en- formes supérieures de la culture ni aux loisirs.
seignement polytechnique est un « enseignement Gandhi réagit avec vigueur et persévérance
général comportant une initiation aux principes contre cette situation. Il voulut insuffler une vie
essentiels qui sont à la base des processus de nouvelle au système d'enseignement en le m o d e -
production et au maniement des instruments les lant sur le système traditionnel des corpora-
plus simples intervenant dans ces processus »6. tions ; le travail manuel aurait ainsi fait partie
Il faut remarquer qu'en ce sens « enseignement de la vie et d u système de valeurs de tous les
polytechnique » ne signifie pas « formation pro- citoyens. Gandhi espérait jeter de cette façon
fessionnelle ». C'est u n principe de ces réformes les bases de la justice et de l'égalité sociales,
scolaires que tous les types d'écoles, à tous les libérer ses compatriotes de l'exploitation et
niveaux, doivent être polytechniques. Ainsi, en mettre fin aux dualismes et aux distinctions qui
vertu de ce principe, tous les établissements affaiblissent le lien social, c o m m e ceux qui op-
d'enseignement secondaire devront, dans le ca- posent le savoir à l'action ou le travail aux
dre d'un enseignement polytechnique, donner loisirs. Cependant, pour diverses raisons, le
à tous leurs élèves une préparation au travail programme de Gandhi n'a pas produit les
aussi bien qu'un enseignement général qui leur résultats qu'il en attendait.
permette de poursuivre leurs études.
Depuis quinze ans, différentes commissions
D a n s ces pays, les élèves de l'enseignement gouvernementales travaillent à l'énoncé des
secondaire peuvent faire l'expérience d u travail grandes lignes d'une réforme de l'éducation en
en particulier grâce à u n système qui associe Inde. Elles ont proposé qu'aux niveaux pri-
chaque établissement de cet enseignement à maire et secondaire l'enseignement soit étroite-
une ou à plusieurs entreprises7. U n contrat ment lié au travail ou aux activités au service des
bilatéral définit les rapports de l'école avec collectivités. Les programmes de l'enseigne-
l'entreprise, leurs obligations réciproques, les ment secondaire (dont la durée est de dix ans)
tâches que l'école devra accomplir et le plan font très souvent une place au travail dans les
de production qu'elle devra suivre, décrit le domaines de la santé, de l'alimentation, du loge-
matériel dont elle a besoin pour cela, les outils ment, de l'habillement, de la culture et des
que l'entreprise m e t à sa disposition, l'assis- loisirs, ainsi qu'à l'animation socioculturelle et
tance spécialisée nécessaire, les ateliers à cons- au travail dans les services sociaux. Cela marque
truire, etc. Les ingénieurs et les contremaîtres un progrès, mais beaucoup reste à faire8.
de l'entreprise apportent en permanence une E n Afrique également, des systèmes d'ensei-
aide technique à l'école. L'organisation d u tra- gnement, des pratiques et des idéologies venus
Réflexions sur l'éducation et le travail 481

de l'étranger ont miné pendant la période colo-


niale les bases de l'éducation traditionnelle, Discussion
avec les m ê m e s conséquences qu'en Inde. A u -
jourd'hui, plus de vingt ans après la proclama- L a tendance actuelle qui consiste à faire de
tion de l'indépendance, on discute encore dans l'interaction entre le travail et l'enseignement
de nombreux pays d'Afrique sur la façon de la base de toute politique en matière d'éduca-
réformer les systèmes d'enseignement légués tion semble étroitement liée à la crise écono-
par les puissances coloniales. L a politique offi- mique mondiale. L e ralentissement de la crois-
cielle de plusieurs pays est de lier l'éducation sance économique, la crise de l'énergie, le
et le travail, mais, c o m m e dans de nombreux chômage et l'évolution prévisible des prix sur
autres pays et régions d u m o n d e , l'application le marché mondial, en particulier de ceux des
de ce principe soulève souvent des difficultés. matières premières, risquent de poser des pro-
A u Nigeria, où existe une telle politique, une blèmes considérables et m ê m e de provoquer de
expérience intéressante est en cours à l'African violents conflits. Lorsque l'avenir est, c c m m e
Church Comprehensive High School d'Ikere aujourd'hui, incertain et inquiétant, en est i m -
Ekiti, dans l'État d'Ondo. Cet établissement patient de trouver des solutions. Celles qu'on
d'enseignement secondaire général et technique, nous propose aujourd'hui se présentent bien
fondé en 1969, comprenait en 1980 cinq sec- souvent c c m m e des panacées.
tions : lettres, sciences, agriculture, technologie N o u s n'avons plus besoin de démontrer ou
et commerce ; il accueillait mille six cents élèves d'illustrer la valeur pédagogique et l'utilité so-
et employait quatre-vingts professeurs. ciale d'une interaction entre le travail et l'ensei-
L'enseignement et le travail y sont liés à tous gnement. O n pourrait m ê m e croire qu'elles
les niveaux. O n demande aux élèves d'apporter sont évidentes. Mais en réalité, c o m m e il arrive
leurs outils à l'école et d'y montrer leur habileté généralement dans les cas de ce genre, elles
à s'en servir. L e travail qui se fait à l'école dépendent de la façon dont on conçoit l'interac-
profite ainsi de toute la créativité des élèves. tion et encore plus de la façon dent on la met
Des associations regroupant les professeurs en pratique. Il nous faut donc éclaircir u n cer-
et les élèves organisent d'importantes activités tain nombre de points, particulièrement les
de formation et de production. Chaque m e m b r e aspects socio-économique et politique de la
de ces associations qui s'inspirent de la tradi- question.
tion africaine apprend, enseigne et travaille tour Rappelons d'abord que le fait de lier l'ensei-
à tour. Les activités de production ont pour gnement et le travail ne crée pas par lui-même
but de former les élèves, de payer les dépenses de nouveaux emplois (sauf peut-être peur les
et de procurer des revenus à l'école afin qu'elle quelques personnes chargées de la formation
puisse subvenir à ses besoins financiers. des élèves) et que, par conséquent, il n'apporte
L ' u n des principaux objectifs de l'établisse- par lui-même aucune solution au problème du
ment est d'enseigner aux élèves une saine m o - chômage. Cependant, quand le principe de
rale du travail. Cela n'a pas lieu seulement l'interaction fait partie d'une politique globale
durant l'année scolaire ; pendant les vacances, et cohérente dans le demaine de l'emploi et,
on place les élèves chez des artisans pour qu'ils plus généralement, dans le demaine économi-
continuent à développer leurs capacités et ac- que, et quand il est appliqué convenablement,
quièrent de nouvelles compétences. Ils ne peu- il peut, si la situation n'est pas trop défavorable
vent être éduqués et recevoir une formation qui par ailleurs, constituer l'un des éléments contri-
fasse appel à leur créativité que si des travail- buant à renverser la tendance sccic-éccncmique
leurs, qui se heurtent en permanence aux à laquelle se rattache le chômage.
m ê m e s problèmes et difficultés qu'eux, prennent L e problème de l'interaction présente u n
une part égale à cette formation9. autre aspect, encore plus important : celui de
la justice sociale. Qui souhaite lier l'enseigne-
482 Andri Isaksson

ment et le travail ? O n ne peut répondre concrè- O n peut enfin chercher des solutions de re-
tement à cette question sans faire référence à lachange. C'est ce qu'on a toujours fait. L'histoire
situation sociale et politique des différents pays.
montre que la recherche de telles solutions a
Certains aspects de cette situation seront abor- été la cause lointaine de la plupart des progrès
dés plus loin. Mais nous pouvons rappeler dès en matière d'éducation, surtout : a) quand
maintenant que, de façon générale, la principale l'école, sous sa forme nouvelle, apportait une
fonction de l'éducation et des systèmes d'ensei- meilleure et une plus juste solution d'ordre
gnement a toujours été de reproduire une struc- social et pédagogique aux problèmes dont la
ture socioculturelle. Quelle structure ? Essen- société avait conscience ; b) quand elle était en
tiellement celle qui, dans une société donnée, m ê m e temps le lieu d'une expérience qui se
maintient les rapports de pouvoir et de produc- prêtait à la réflexion des profanes autant que
tion, celle qui assure le statu quo. Q u a n d , dans
des spécialistes.
n'importe quelle société, ceux qui détiennent Beaucoup de gens de bonne volonté ont cher-
le pouvoir préconisent avec enthousiasme une ché et cherchent des solutions de rechange dans
interaction travail/enseignement et prétendent le domaine de l'interaction entre le travail et
résoudre ainsi les problèmes de l'éducation, il l'enseignement. O n peut citer, pour s'en tenir
est vraisemblable que c'est avant tout parce à un très petit nombre d'expériences en cours,
qu'ils voient dans le principe de l'interaction l'école d'Ikere Ekiti, au Nigeria, que nous avons
(lequel peut certes être favorable à d'autres mentionnée plus haut, les « brigades » de
individus, par exemple en facilitant leur ascen- Serowe, au Botswana, et les écoles Tvind, au
sion sociale) l'un des moyens les plus sûrs de Danemark. Toutes ces écoles expérimentales
réduire une tension dont les conséquences sont ont connu u n succès remarquable. Toutes ont
imprévisibles. connu aussi de graves difficultés, parfois des
Pour essayer de limiter cette fonction de re- difficultés presque insurmontables. Cela n'a
production que remplissent actuellement les rien d'étonnant, car la nature de l'expérience
systèmes d'enseignement, il faut mener u n que les élèves font d u travail productif est
combat politique en faveur de l'école unique, déterminée par le type de relations sociales qui
car le principe de l'école unique est celui qui prédomine dans leur pays. O n ne peut appliquer
peut le mieux établir l'égalité et la démocratie avec succès u n programme de rechange sans
dans le domaine de l'éducation. U n grand pro- lutter en m ê m e temps pour la suppression
10
de ce
grès dans ce sens a été accompli lorsqu'on a type dominant de relations sociales .
supprimé, au niveau secondaire, la distinction
entre les établissements d'enseignement général
et les établissements d'enseignement profession- Dernières remarques
nel. L a suite logique est de faire en sorte que
tous les élèves — et non pas seulement une O n cherche actuellement, dans de nombreux
partie d'entre eux, o u m ê m e la majorité — pays, les moyens de réaliser ce dont l'humanité
soient initiés au travail manuel dans le cadre de rêve depuis très longtemps : une éducation har-
leurs études. monieuse dans laquelle l'enseignement scolaire
Pour éviter d'être trompé par les réformes ne serait plus coupé des activités et des obliga-
scolaires, on doit aussi exiger que ceux qui les tions quotidiennes des individus ni des besoins
proposent en expliquent les objectifs de façon de la collectivité. Les sociétés anciennes et les
claire pour tout le m o n d e . Toutes sortes de sociétés traditionnelles se sont efforcées d'at-
choses peuvent se cacher derrière des objectifs teindre cette harmonie. Leurs efforts sont en-
vagues, surtout quand ils sont exprimés par de suite peu à peu tombés dans l'oubli, principale-
belles phrases en faveur de la justice, de la ment à cause de l'influence que les grandes
grandeur nationale o u d'autres valeurs c o m - religions mondiales ont eue sur l'éducation.
munes. Depuis trois ou quatre siècles, la recherche a
Réflexions sur l'éducation et le travail 483

repris par intermittence ; on n'a pas obtenu aux spécialistes et au public éclairé de mieux
d'abord beaucoup de résultats pratiques, mais, connaître les conceptions qui sont en jeu, les
depuis le xixe siècle, il y a eu dans certains cas politiques qui sont formulées dans les différents
individuels de remarquables réussites. L a ten- pays, les expériences qui y sont entreprises et
dance actuelle semble indiquer que les sociétés les résultats qu'elles ont produits. Les réunions
modernes, dans les pays en développement internationales (en particulier les conférences
c o m m e dans les pays développés, ressentent de régionales) et les publications internationales
plus en plus le besoin d'une telle harmonie. sont à cet égard de précieux moyens d'infor-
Bien que la tendance actuelle à établir une mation.
plus grande interaction entre le travail et l'en- Il faut que dans chaque pays les citoyens,
seignement soit étroitement liée à la crise qui sont pour la plupart opposés à l'élitisme,
économique mondiale, et quelles que soient les mènent en permanence u n combat politique en
chances de trouver une solution à cette crise, faveur de l'école unique et d'une éducation
il est probable que cette tendance va durer appropriée aux besoins des collectivités et de la
encore longtemps. Elle semble due à tant de nation. Ils doivent participer davantage au tra-
facteurs sociaux, économiques et politiques qu'il vail et à l'administration des établissements
est difficile d'imaginer quels changements d'or- scolaires, exiger que les objectifs en matière
dre social ou idéologique pourraient la renver- d'éducation soient clairement définis, et encou-
ser dans un avenir prévisible. Elle serait proba- rager et défendre les expériences qui ont lieu
blement modifiée dans une société où Pélitisme dans les écoles aux niveaux local et régional.
s'affirmerait davantage et deviendrait plus ou- L a coopération des enseignants et des autres
vert et plus marqué. Mais il est peu vraisem- personnels de l'éducation est à cet égard néces-
blable qu'une telle évolution se produise. Il y a saire. Leur tâche consiste principalement à
des situations sociales qui se perpétuent mieux concevoir, à expérimenter et à améliorer conti-
dans l'ombre. nuellement les stratégies, les méthodes, les tech-
N o u s avons soutenu dans cet article qu'on niques et le matériel qui peuvent lier l'enseigne-
peut et qu'on doit considérer une interaction ment et le travail. Stratégies, méthodes et
entre le travail et l'enseignement c o m m e quel- techniques doivent être conçues en fonction des
que chose d'utile et de souhaitable. Il s'agit problèmes qui pourront se poser, afin de s'y
donc de savoir c o m m e n t il serait possible de adapter plus facilement. Elles doivent tenir
renforcer et de généraliser cette interaction, de compte d u fait que les h o m m e s se compor-
lui donner une base plus solide et des effets tent de façon différente, variable et assez in-
plus profonds. O n peut aussi se demander si cohérente11.
l'interaction sera l'objet d'un consensus ou au Il n'est certainement pas facile d'établir u n
contraire de conflits. système d'éducation qui, tout en étant adapté
C'est pour les gouvernements une tâche es- aux conditions socio-économiques et aux néces-
sentielle que d'obtenir des citoyens u n certain sités pédagogiques, fasse, à tous les niveaux,
consensus en faveur d u développement de une large part à une interaction entre le travail
l'école unique et de la mise en pratique des et l'enseignement. Cela suppose nécessairement,
principes pédagogiques correspondants, en met- il ne faut pas se le cacher, une large participation
tant l'accent sur l'interaction entre le travail et et le recours par le public à des moyens de pres-
l'éducation. Les gouvernements devraient aussi sion et à diverses formes d'affrontement n o n
encourager dans ce domaine les expériences les violent. •
plus prometteuses.
Les organisations internationales qui s'oc-
cupent de l'éducation, c o m m e l'Unesco, peu-
vent jouer ici u n rôle important, notamment en
permettant aux responsables gouvernementaux,
Andri Isaksson

Notes
i. Cet article est une version modifiée et augmentée d'un
article paru sous le m ê m e titre dans CODIESEE,
lettre d'information et de liaison, n° 2 , avr. 1981-
( C O D I E S E E , Programme de coopération en matière
de recherche et de développement de l'innovation
éducative en Europe du Sud-Est, est u n des réseaux
de coopération en matière d'innovation éducative di-
rigés par l'Unesco.)
2. Voir J. S . B R D B A C H E R , A history of the problems of
education, p . 268, 2 e éd., N e w York, McGraw-Hill,
1966.
3. Ibid., chap, nt « Curriculum », p . 242-278.
4 . Voir W . S J Ö S T R A N D , Pedagogiska grundproblem i
historisk belysning (Les problèmes fondamentaux de
l'éducation éclairés par l'histoire), p. 117 et 118, L u n d
(Suède), Gleerups, 1970.
5. N o u s nous référons surtout aux deux réunions sui-
vantes : la Réunion internationale d'experts sur la
promotion du travail productif dans l'éducation, Paris,
Maison de l'Unesco, 24-28 novembre 1980, et la
deuxième Conférence des experts sur l'influence
réciproque d u travail et de la pédagogie, C O D I E S E E ,
Budapest, ir-13 novembre 1980.
6. Voir Véducation dans la région Europe : évolution et
perspectives, p . 1 0 , document E D - 8 0 / M I N E D E U -
R O P E / 3 , troisième Conférence des ministres de l'édu-
cation des États membres de la région Europe (Sofia,
12-21 juin 1980), Unesco, 1980.
7. Voir les documents présentés à la Conférence de
Budapest mentionnée à la note 5 , en particulier le
rapport de la Roumanie.
8. Voir « Travail et éducation en Inde : u n aperçu
général », communication de G . B . K A N U N G O à la
réunion de Paris mentionnée à la'note 5.
9. Voir « L'enseignement par la production c o m m e
auteur du progrès éducatif au Nigeria : école secondaire
d'enseignement général et technique de l'Église afri-
caine, Ikere, expérience nigériane », communication
d'Oyewole Jegede à la m ê m e réunion.
10. Voir « Note sur l'éducation et le travail productif »,
communication de Martin C A R N O Y à la m ê m e réunion.
11. Voir J. G A L T U N G , The true worlds: a transnational
perspective, p . xxiv, N e w York, Free Press, 1980.
L'éducation
pour la transition
Stephen Castles^ Patrick van Rensburg et Pete Richer

Il n'est plus nécessaire aujourd'hui de militer qu'a suscité dans le m o n d e entier la révolution
pour l'instauration d ' u n système éducatif qui culturelle chinoise en matière pédagogique, l'ap-
associe enseignement et production. A u cours pel lancé en 1967 par le président Julius N y e -
des dernières décennies, cette revendication de rere en faveur de 1' « éducation pour l'auto-
quelques initiés — que de nombreux respon- suffisance » {education for self-reliance), qui a
sables jugeaient inacceptable — est devenue u n profondément modifié la pensée africaine dans
dogme en matière d'éducation. L a tendance le domaine de l'enseignement, ainsi que l'in-
n'est plus à prôner les principes humanistes troduction d'activités visant à développer 1' « ex-
d'un enseignement universel ni à mettre, c o m m e périence d u travail » et les « aptitudes aux rela-
le faisaient les méthodes progressistes, l'accent tions sociales et à la vie quotidienne » dans
sur le développement des aptitudes intrinsèques l'enseignement secondaire et supérieur de n o m -
de chaque élève. Selon la nouvelle philosophie, breux pays industrialisés.
qui prévaut partout, l'école doit préparer les Cependant, bien trop fréquemment, cette
jeunes à la vie active en leur inculquant des apparente unanimité consiste seulement à re-
compétences sur les plans technique et social, connaître, de façon purement théorique, ce
et le meilleur m o y e n d'y parvenir est de prévoir qui est considéré c o m m e u n simple principe
dans les programmes des expériences d'activités méthodologique, l'introduction de la notion de
productives. Les facteurs qui ont contribué à ce travail dans les programmes apparaissant c o m m e
changement d'attitude sont le retour au concept un m o y e n d'accroître l'efficacité de l'enseigne-
d' « enseignement polytechnique » en U R S S à la ment, au m ê m e titre que les matériels audio-
fin des années cinquante et son adoption par visuels ou le remplacement de l'enseignement
tous les pays de l'Europe de l'Est, le débat magistral par le travail de groupe. Les consé-
quences sociales et politiques d'une association
entre enseignement et production sont ignorées
Stephen Castles (Royaume-Uni). Professeur d'éco- ou niées. D u fait de cette attitude quasi géné-
nomie politique à la Fachhochschule de Francfort-sur-le-rale, le travail productif est considéré beaucoup
Main, en République fédérale d'Allemagne. Rédacteur plus c o m m e u n sujet parmi d'autres que c o m m e
en chef de la revue Education with production, co-
une notion fondamentale qui détermine le
auteur d'Immigrant workers and class structure in
contenu de toutes les matières et les relations
Western Europe et de T h e education of the future.
qu'elles ont entre elles ; on lui accorde ainsi
Patrick van Rensburg. Sud-Africain en exil, citoyen une importance secondaire par rapport aux
du Botswana. Fondateur au Botswana de la Swaneng
matières « véritablement » scolaires, autrement
Hill School et des Serowe Brigades. Auteur de Report
dit celles dont l'apprentissage est sanctionné
from Swaneng Hill, T h e Serowe Brigades et Guilty
par u n examen. Les matières qui ont u n rapport
land. Directeur de la Foundation for Education with
Production.
avec la production et impliquent une expé-
rience d u travail sont réservées aux élèves
Pete Richer. Sud-Africain en exil, ancien professeur,
« les moins doués sur le plan strictement
administrateur de la Foundation for Education with
scolaire ». A la limite, les programmes mis au
Production.

Perspectives, vol. XII, n» 4, 1982


486 Stephen Castles, Patrick van Rensburg et Pete Richer

point pour donner aux élèves une expérience


du travail deviennent u n m o y e n d'assurer aux Pourquoi associer
employeurs une main-d'œuvre bon marché et éducation et production?
ils sont condamnés par les syndicats ( c o m m e
cela vient de se produire au Royaume-Uni). L a nécessité d'associer éducation et production
L'activité de production, en particulier le tra- ne s'impose que lorsqu'il existe dans les faits
vail manuel, continue d'apparaître c o m m e u n une séparation entre l'un et l'autre domaine.
genre mineur par rapport à l'activité intellec- Dans la société africaine traditionnelle, une
tuelle. Les établissements dans lesquels l'ac- telle séparation n'existait pas. L'apprentissage
cent est mis sur la production sont considérés se faisait dans le cadre de la communauté, au
c o m m e des institutions de second ordre, qu'il rythme de la vie sociale et des travaux quoti-
faut éviter de fréquenter dans la mesure d u diens. Aucune école ni aucun maître n'étaient
possible. nécessaires. L a communauté elle-même consti-
Cette conception universellement admise d u tuait une école dont tous les membres étaient à
rôle de la production dans l'enseignement ne la fois élèves et enseignants. Dans le cas de
contribue pas à modifier les fonctions de l'école cette société, la distinction établie entre édu-
dans le m o n d e capitaliste, qui sont de sélec- cation et production découle de la disparition
tionner les quelques individus appelés à occuper des modes traditionnels de production due au
les postes de c o m m a n d e , en fonction de cri- colonialisme. L e phénomène a persisté d u fait
tères essentiellement sociaux, de rejeter le plus de l'attitude impérialiste des écoles de mission,
grand n o m b r e selon des mécanismes visant à qui ont imposé une relation abstraite (c'est-à-
insuffler à l'individu une conscience d'échec, dire sans rapport avec la communauté, au
d'assurer l'encadrement de la jeunesse sur le contraire des religions africaines, intégrées à
plan social et de la préparer au travail salarié la vie sociale), dont le corollaire était l'enseigne-
en lui inculquant les valeurs culturelles et les ment tout aussi abstrait dispensé dans ces
attitudes sociales requises à cet effet. écoles. E n Europe, la distinction opérée dès
Toutefois, nous en s o m m e s persuadés, pren- l'origine entre éducation et production coïncide
dre pleinement conscience des conséquences avec la destruction des formes traditionnelles
politiques, économiques et sociales d u prin- de production et de vie communautaire au
cipe consistant à associer enseignement et pro- cours de la période d' « accumulation primitive »
duction peut entraîner très loin et conduire à du capital1. L'absence d'éducation n'est devenue
dépasser les frontières artificielles d u m o n d e un problème qu'au m o m e n t de la révolution
de l'enseignement et à établir de nouveaux industrielle.
rapports entre apprentissage et travail, entre Toutefois, ce problème se pose en des termes
travail manuel et travail intellectuel, entre tra- très différents selon qu'il s'agit d'une classe
vail et politique. Comprendre ces enjeux et sociale ou d'une autre. A u x yeux de la nouvelle
tout mettre en œuvre pour parvenir aux résul- bourgeoisie industrielle, le m a n q u e d'éducation
tats voulus peut faire d'un rapprochement entre des travailleurs représentait u n inconvénient
apprentissage et activité productive l'élément puisqu'il entraînait une absence de discipline
essentiel d'une éducation pour la transition, et dans le travail et qu'il favorisait les désordres
donc contribuer à la prise de conscience sociale sociaux. L a solution au problème fut apportée
qu'exige la transformation de la société. C'est par l'école, qui inculquait la morale d u travail,
pour parvenir à ce but qu'un groupe de péda- enseignait des vertus telles que la ponctualité,
gogues africains a créé en 1980 la Foundation l'obéissance et quelques rudiments d'instruc-
for Education with Production (FEP). N o u s tion (lecture, écriture, arithmétique). Les pre-
analyserons ci-après les fondements théoriques mières écoles pour travailleurs d u m o n d e capi-
du travail effectué par la fondation avant de taliste ont été les hospices, qui préparaient
décrire ses activités présentes. les enfants indigents au travail en usine. E n
L'éducation pour la transition 487

fait, ce qu'on appelait 1' « école de l'industrie » mettre une culture qui donne à la population
n'était bien souvent que la première étape le sentiment que, par sa force de travail, l ' h o m m e
historique d u système industriel. Bien qu'il crée son environnement social et que, de m ê m e
se soit agi là d'une forme d'éducation au qu'il agit sur la nature et la modifie, il peut
bénéfice de l'activité productive, le contenu également agir sur son environnement social et
de cette éducation était théorique et sans rap- le modifier tout en se transformant lui-même 2 . »
port avec la réalité sociale et économique. C'est M a r x qui a le mieux exprimé la reven-
L'obéissance à l'autorité exigée des enfants dication d u m o n d e d u travail, qui voulait que
avait valeur de principe religieux et tout m a n - soit comblé le fossé entre travail manuel et
quement à la règle donnait lieu à des châtiments travail intellectuel, lorsqu'il a appelé de ses
corporels. L'éducation des Bantu d'Afrique v œ u x l'avènement d ' u n « individu totalement
du S u d illustre cette manière de former une épanoui, pour lequel les diverses fonctions
main-d'œuvre soumise. Dans les pays plus sociales seraient autant de modes d'activité
développés, le contenu de l'enseignement est différents qu'il adopterait tour à tour »3. L e
depuis longtemps devenu plus complexe, à travailleur doit n o n seulement prendre part au
mesure que la nécessité de disposer d'une processus de production, mais aussi à la plani-
main-d'œuvre plus spécialisée et plus qualifiée fication et à l'organisation de ce processus.
est apparue. Toutefois, l'enseignement conserve E n outre, ceux qui produisent devraient déter-
son caractère abstrait. N e pouvant refuser aux miner eux-mêmes les objectifs de la produc-
travailleurs le droit de s'instruire, la classe tion, les modalités de la distribution d u produit
dirigeante a maintenu sa domination en cloi- et participer aux relations sociales, politiques
sonnant le plus possible la matière enseignée. et culturelles que suppose ce type de production.
Les étudiants sont spécialisés à l'extrême et Il s'ensuivrait u n système d'apprentissage per-
ils n'ont aucune vision globale des relations manent éliminant toute distinction entre tra-
économiques et sociales qui régissent leur vailleur et étudiant, entre enseignant et élève.
existence. M a r x préconisait u n type d'éducation poly-
technique générale qui permette aux travail-
Les classes laborieuses, elles, voient le pro-
leurs de comprendre et de contrôler les forces
blème de l'absence d'instruction sous u n autre
économiques et les composantes technologiques
angle. Dès ses origines, le mouvement syndical
de la société industrielle. Pour cela, il fallait
a compris que le pouvoir d u capitalisme repo-
instaurer, quel que soit l'âge de l'intéressé,
sait non seulement sur la puissance économique
u n nouveau type d'enseignement lié au travail
et militaire, mais également sur le monopole
productif et dans le cadre duquel tous rece-
du savoir, qui est nécessaire pour planifier,
vraient une éducation intellectuelle et physique
organiser et contrôler le processus de produc-
et une formation technique4. Plutôt que d'énu-
tion. L a séparation historique instituée entre
mérer les objectifs de l'éducation polytechnique
le travail manuel et le travail intellectuel cons-
selon M a r x , nous les présentons ici, en les
titue u n formidable instrument de domination.
paraphrasant, tels que Ngugi les a adaptés à la
C'est pour cette raison que le m o n d e d u travail
société postcoloniale moderne :
a réclamé le droit à l'éducation et qu'il a créé
«Éducation intellectuelle. Elle visera à développer
ses propres cercles d'étude, salles de lecture
les aptitudes intellectuelles des individus qui
et établissements d'enseignement. D e toute
doivent d'abord apprendre leur histoire, leur
évidence, il ne pouvait s'agir d'exiger la m ê m e
art, leur littérature, leur théâtre, leurs danses
instruction, en plus poussé, que celle qui était
avant d'aborder les expériences culturelles
administrée dans les églises et les écoles p u -
d'autres peuples. Il conviendra d'interpréter
bliques ; il fallait u n type d'éducation d'une
toutes ces valeurs culturelles en tenant compte
qualité différente, que Ngugi w a Thiongó a
des besoins de la majorité de la population :
défini dans u n contexte moderne de la façon
les agriculteurs et les paysans. A ce titre,
suivante : « L'éducation devrait servir à trans-
488 Stephen Castles, Patrick van Rensburg et Pete Richer

l'éducation politique a u n rôle crucial à jouer. sous des formes très diverses, ce type d'édu-
Je n'entends pas par là u n apprentissage d u cation a été adopté à la suite de toutes les révo-
conformisme, mais plutôt une forme d'édu- lutions sociales d u xx e siècle, depuis la révo-
cation qui élève la conscience des individus lution russe de 1917 jusqu'à la révolution nica-
et qui leur permette de comprendre en par- raguayenne de 1979. Cela montre bien que,
ticulier les forces sociales qui s'affrontent. dans ce contexte, lier l'éducation à une acti-
C e type d'éducation doit permettre de forger vité productive ne consiste pas à adjoindre une
u n peuple capable d'appréhender scienti- nouvelle matière au programme, mais qu'il
fiquement les lois qui régissent la nature et s'agit bien d'un principe de base régissant la
la société, autrement dit, u n peuple qui structure m ê m e de tout le processus d'appren-
possède une connaissance scientifique d u tissage ainsi que le contenu de toutes les
monde. matières et les relations qu'elles ont les unes
» Éducation physique. Elle aura pour objet de avec les autres6.
produire des individus sains et forts, des
esprits et des corps vigoureux parfaitement
prêts à affronter le double combat que Phases de l'éducation
l ' h o m m e doit mener contre la nature et les pour la transition
autres h o m m e s . Elle concerne toutes les acti-
vités physiques, depuis les exercices de g y m - Les diverses méthodes d'éducation ne peu-
nastique les plus simples jusqu'à la formation vent, à elles seules, modifier les sociétés de
militaire. U n peuple doit être en mesure de répression et d'exploitation, c o m m e le croyaient
défendre ses acquis historiques. L a c o m m u - les premiers socialistes utopiques. Elles doivent
nauté tout entière doit être prête militaire- au contraire s'inscrire dans le combat des
ment à défendre sa révolution. U n e armée de mouvements de libération nationale, organi-
métier ne doit être que l'expression suprême, sations de travailleurs et autres groupes œ u -
sous sa forme la plus ramassée, de l'état de vrant pour le progrès social. L a relation entre
préparation militaire de tout le peuple. l'éducation et la mutation sociale est une rela-
» Formation économique et technique acquise au tion de type dialectique : au cours de leurs
m o y e n d'activités productives. Chacun devrait luttes économiques et sociales, les travailleurs
se consacrer à des tâches productives. Il faut prennent peu à peu conscience de la nécessité
inculquer à tous les enfants des compétences de mieux connaître la science et la technique.
techniques qui leur permettent de participer L e combat pour la transformation, la mise en
à des travaux directement productifs. L'objec- place et la maîtrise des systèmes d'enseigne-
tif doit être de faire de chacun un producteur, ment dans u n environnement hostile fait partie
la nationfinissantpar devenir une association intégrante de la lutte générale pour le change-
de producteurs, maîtres de leur environne- ment. L'intérêt considérable que suscite l'édu-
ment naturel et social. L'idéal serait de réunir cation dans toutes les organisations de tra-
en u n seul individu le producteur, le penseur vailleurs et mouvements de libération d'Afrique
et le combattant6. » australe le prouve. L e combat contre le sys-
Cette profession de foi montre clairement la tème d'éducation bantu en Afrique d u Sud a
nécessité d'établir u n lien entre éducation et joué u n rôle clé dans la lutte menée au cours
production et l'importance des conséquences des dernières années ; ce fut une des raisons
sociales et politiques qui en découlent. L e type principales du soulèvement de Soweto en 1976.
d'éducation envisagé n'est pas, bien entendu, le U n e grande partie des jeunes Noirs, contraints
produit de l'imagination de M a r x ou de Ngugi. de fuir leur pays après la révolte, cherchèrent
Il est l'expression des besoins en matière à suivre u n enseignement secondaire, supérieur
d'éducation des classes qui luttent pour leur ou technique, comprenant qu'il s'agissait là
émancipation. C'est pourquoi, m ê m e si ce fut d'armes indispensables pour poursuivre la lutte
L'éducation pour la transition 489

de libération. D e m ê m e , nombreux sont ceux associe apprentissage et travail productif, qui


qui, poussés par la discrimination imposée contribue à réduire le fossé existant entre
en matière d'éducation dans la Rhodésie de l'école et la vie sociale ainsi qu'entre le travail
Ian Smith, ont rejoint la lutte pour u n Z i m b a b w e intellectuel et le travail manuel, qui permet
libre et démocratique. au sujet d'exercer des activités de son choix
Toutefois, si changement d u système édu- et qui laisse la responsabilité d u travail aux
catif et changement d u système social sont intéressés ou à la communauté. L e cadre dans
toujours étroitement liés, la nature exacte de lequel ces innovations sont mises en œuvre
la relation entre l'un et l'autre varie selon le varie : il peut s'agir de projets de développement
contexte historique. O n peut ainsi distinguer rural réalisés dans le Tiers M o n d e ou au
trois stades : en premier lieu, les sociétés capi- niveau d'associations écologiques dans les pays
talistes, dans lesquelles le pouvoir économique industrialisés ; il peut s'agir d'une expérience
et politique de la bourgeoisie — et l'hégé- menée au titre du programme d'éducation poli-
monie culturelle qui en est le corollaire — tique d'un mouvement de libération, d'un syn-
n'a pas été sérieusement remis en question ; dicat ou d'une organisation paysanne ; ce peut
en deuxième lieu, les anciennes colonies, qui être un type d'établissement scolaire dans lequel
ont rejeté la tutelle étrangère sous la conduite sont associées éducation et production, une
de mouvements de libération nationale décidés coopérative de production qui veut mettre
à changer les structures sociales et économiques, l'accent sur la formation et l'éducation de ses
mais dans lesquelles le capital national ou membres ; il peut s'agir enfin d u projet d'un
international continue de détenir une grande centre préscolaire à gestion collective ou d'un
part d u pouvoir économique; en troisième projet extrascolaire.
lieu, les sociétés socialistes dans lesquelles les
relations économiques et sociales ont déjà été
modifiées pour empêcher toute mainmise d u Nouvelles options possibles
capital national ou international. C e n'est qu'à dans la phase capitaliste
ce troisième stade que l'éducation peut véri-
tablement assumer la tâche définie plus haut : D a n s les pays capitalistes, les innovations sont
favoriser la poursuite de la croissance et le en général introduites en dehors d u cadre d u
développement de l'économie et de la société, système éducatif public, c o m m e c'est le cas
tout en contribuant à accroître la capacité avec les « brigades » de Serowe au Botswana,
des citoyens de maîtriser et de planifier la les Indian Survival Schools en Amérique d u
production au profit de tous. E n d'autres N o r d , l'expérience coopérative de Mondragón
termes, l'éducation doit, à ce stade, aider à lamenée au Pays basque, les programmes d'éduca-
naissance de 1' « h o m m e nouveau » ou de tion des travailleurs (« les 150 heures ») en
1' « individu totalement épanoui », but ultime Italie. Mais il est souvent difficile de dire si le
du socialisme. projet est réalisé « à l'intérieur d u système »
L a Foundation for Education with Pro- ou pas, dans les pays où des fonds publics sont
duction intervient aux deux premiers stades versés à des organisations n o n étatiques. Les
d u processus de transition : son but est de écoles Tvind au Danemark et les projets
susciter et d'appuyer la mise en place de nou- R O S L A (Raising of the School Leaving Age)
velles options en matière d'éducation dans les au R o y a u m e - U n i , destinés à accueillir ceux
pays capitalistes et d'aider les gouvernements, qui quittent l'école mais ne trouvent pas d ' e m -
partis politiques et mouvements de libération ploi, sont tous deux très largement financés
qui veulent changer le système d'éducation dans par l'État, avec les risques de dépendance, de
les pays qui passent d u capitalisme au socia- cooptation et de contrôle que cela comporte.
lisme. D e quel type d'innovations s'agit-il ? D a n s de nombreux cas, les innovations intro-
Essentiellement de tout système éducatif qui duites au titre de nouveaux projets mis en
490 Stephen Castles, Patrick van Rensburg et Pete Richer

œuvre en dehors d u système le sont par des tions de travail qualitativement différentes des
enseignants, des travailleurs sociaux et des structures autoritaires qui existent dans les
spécialistes de l'éducation des adultes, qui entreprises capitalistes. Les travailleurs et les
tentent de réformer le système d'éducation. étudiants doivent tous prendre part à la plani-
E n dépit de l'opposition et de la répression fication et à la gestion des projets, mais ils ne
exercées par les pouvoirs publics, ce type disposent pas en général des connaissances
d'initiative a eu un impact certain dans l'ensei- voulues. U n vaste effort est donc nécessaire
gnement au cours des dernières décennies. D a n s en matière d'éducation, surtout pendant les
les pays industrialisés, d u fait de la crise premières phases d'un projet, mais cet effort
actuelle d u système éducatif, qui traduit l'état limite le temps et les ressources disponibles
de crise profonde d u système économique et pour la production. Il peut en résulter une
social, les autorités peuvent difficilement rejeter baisse de productivité et l'impossibilité d'être
d'emblée des innovations qui ouvrent de nou- compétitif sur le marché. Cette situation peut
velles perspectives aux citoyens dans les d o - être catastrophique : aucun projet ne peut se
maines économique, social et culturel. O r , poursuivre longtemps si les motivations qui en
ces innovations, en révélant des formes d'ap- sont la source sont exclusivement politiques et
prentissage et de travail plus avancées que si des conditions décentes ne peuvent être
celles qui caractérisent les systèmes capitalistes offertes à ceux qui y prennent part. Des projets
et technocratiques, agissent c o m m e des « fer- mal conçus peuvent être préjudiciables et pro-
ments révolutionnaires » qui contribuent à voquer résignation et passivité parmi les parti-
modifier la conscience populaire et à accroître cipants. Seule une planification à long terme
la pression qui s'exerce en faveur d u change- des projets, qui tienne compte des données
ment. L e meilleur exemple de pression ayant techniques, financières, commerciales, c o m p -
débouché sur le changement est sans doute tables et des impératifs de productivité, permet
celui d u M o u v e m e n t pour une école moderne d'éviter ces écueils. U n e attention particulière
(pédagogie Freinet) en France. doit être accordée au problème d u capital de
départ, qui sera constitué à l'aide de ressources
Lorsque leurs auteurs les considèrent c o m m e
publiques (lorsque cela est possible politi-
des éléments m ê m e s d u système éducatif de
quement), de dons ou de fonds renouvelables
transition, les nouvelles options risquent fort
lorsque d'autres projets existent déjà.
de poser de sérieux problèmes. Implicitement
ou explicitement, elles remettent en cause les L a contradiction mentionnée plus haut se
structures et valeurs dominantes de la société. manifeste au niveau social dans les attitudes
O n ne leur accorde en général qu'une infime adoptées vis-à-vis d u travail, de la distribution
partie des ressources nécessaires, alors qu'elles et de l'investissement. L e comportement social
se heurtent à des forces économiques et poli- antérieur de la plupart des participants au projet
tiques puissantes dans u n environnement hos- était caractérisé par l'individualisme et la c o m -
tile. Leur caractère contradictoire réside dans pétitivité, qui traduisent souvent des rapports
le fait qu'elles tentent de dépasser le système de dépendance et l'absence de toute maîtrise
existant en favorisant l'élaboration de nouvelles de l'environnement naturel et social. Les m a -
formes d'apprentissage et de travail, mais tières telles que les études de développement,
qu'elles doivent être mises en œuvre à l'inté- les études de gestion et l'éducation politique
rieur d u système m ê m e dont elles sont la néga- peuvent contribuer à modifier les attitudes mais
tion. Les « brigades » de Serowe au Botswana, le projet peut s'en trouver prolongé au point
qui ont fait l'objet d'un article détaillé dans que son existence m ê m e en serait compromise.
Perspectives', sont u n exemple frappant de ce Cette situation ne risque pas, en principe, de se
dilemme et des difficultés qu'il entraîne. produire lorsque les nouvelles options corres-
Sur le plan économique, les options de rem- pondent à l'expérience et aux aspirations des
placement visent à établir de nouvelles rela- participants au lieu d'être pour eux u n modèle
L'éducation pour la transition 491

importé, qui leur est étranger. Quoi qu'il en transformation d u système éducatif est inscrite
soit, une préparation suffisante est indispensa- dans les programmes des gouvernements, des
ble, ce qui veut dire, en l'occurrence, que la partis et des organisations de masse, et il arrive
sensibilisation des intéressés doit constituer u n que les innovations naissent des systèmes édu-
élément à part entière d u projet. catifs publics eux-mêmes. L e programme dit
Sur le plan politique, le caractère contradic- « de l'éducation pour l'autosuffisance » de la
toire des nouvelles options se manifeste par des République-Unie de Tanzanie, la croisade na-
conflits avec les autorités et autres forces au tionale d'alphabétisation entreprise au Nica-
pouvoir. A u mieux, ces conflits se traduisent ragua et le nouveau programme d'enseignement
par une absence de coopération ou un refus de du M o z a m b i q u e en sont l'illustration. Toute-
financement, par la mise en place d'obstacles fois, le fait qu'il existe une volonté politique de
juridiques qui gênent le fonctionnement des changer le système d'éducation n'implique pas
rouages démocratiques et des mécanismes de que les problèmes élémentaires ont été réglés.
participation. D a n s les pays démocratiques à Les pays concernés courent le risque d'un isole-
régime libéral, on tolère parfois ces options en ment politique ; ils peuvent faire l'objet de
espérant qu'elles disparaîtront d'elles-mêmes pressions, être menacés d'un boycottage en
ou qu'elles seront intégrées par cooptation au matière d'investissement o u d'un retrait d u
système en vigueur et détournées ainsi de leurs personnel qualifié de la part des multinatio-
objectifs de départ. Les régimes réactionnaires nales ; ils risquent surtout de s'enfoncer dans
ou racistes mettent souventfinaux expériences le sous-développement économique et de n e
éducatives et vont m ê m e parfois jusqu'à arrêter plus disposer des ressources nécessaires au bon
leurs auteurs, sous le prétexte de protéger la fonctionnement d u système éducatif. C e di-
sécurité de l'État. L a réalisation des projets ne l e m m e n'est pas nouveau : on le retrouve dans
peut alors être poursuivie que dans la clandes- l'histoire de toutes les révolutions depuis 1917.
tinité ou dans l'exil, ce qui ne fait qu'aggraver L a controverse entre tenants de l'enseignement
l'ensemble des problèmes déjà mentionnés. L e « polytechnique » et tenants de l'enseignement
seul m o y e n d'éviter cette contradiction de na- « monotechnique », qui dura de 1917 à 1931 8
ture politique est d'établir une alliance étroite en Union soviétique, apparaît chaque fois qu'un
avec les organisations de travailleurs et de nouveau système social doit déterminer ses
paysans, les mouvements de libération nationale priorités en matière d'éducation. Il s'agit avant
et les autres forces progressistes. Tout projet tout de savoir s'il faut consacrer l'essentiel des
éducatif que l'on tente de mettre en œuvre en ressources disponibles à réaliser une « révolu-
marge du combat général livré pour transformer tion culturelle » — c'est-à-dire à élever le niveau
la société est voué à l'échec. culturel et politique de toute la population —•
pour pouvoir assurer la mise en œuvre des
objectifs sociaux et politiques de la révolution
L'éducation générale ou s'il faut s'attacher, d'abord, à former
rapidement des experts dans les domaines éco-
dans la phase de transition
nomique, administratif et militaire pour accé-
entre le capitalisme et le socialisme lérer la croissance et renforcer la sécurité
de l'État. D a n s le premier cas, une contre-
Dans les pays d u Tiers M o n d e qui ont rejeté révolution peut naître à l'extérieur d u pays, et
la tutelle coloniale ou néo-coloniale, l'attitude c'est alors la défaite devant les puissantes forces
de l'État vis-à-vis des nouvelles options n'est militaires et économiques venues d u dehors.
pas la m ê m e . L a décolonisation des cerveaux D a n s le second cas, la contre-révolution peut
et l'instauration d'un nouveau type d'éducation naître à l'intérieur du pays, en raison de l'appa-
non élitiste font partie intégrante de la lutte de rition d'une nouvelle élite composée de bureau-
libération m e n é e dans des pays tels que la crates et de technocrates et sur laquelle, faute
Tanzanie, le Z i m b a b w e et le Nicaragua. L a
492 Stephen Castles, Patrick van Rensburg et Pete Richer

d'instruction, les ouvriers et les paysans n'ont nelle de haut niveau, tandis que, dans leur
aucune prise. immense majorité, les Noirs n'avaient droit
Face à cette alternative, la seule issue accep- qu'à une scolarisation minimale.
table est de refuser le dilemme et de trouver un Pour le Z i m b a b w e , le dilemme défini plus
m o y e n d'allier la sensibilisation des masses et haut se pose dans les termes suivants : l'éduca-
la formation rapide d'un grand nombre d'ex- tion et la formation d'un grand nombre de spé-
perts. Les solutions adoptées à cet égard par cialistes prêts à mettre en œuvre u n nouveau
des pays c o m m e C u b a , la Corée du N o r d ou la type de développement au service des masses
Yougoslavie sont très instructives. Il convient sont les conditions préalables d u changement,
de les analyser et de les adapter aux besoins des mais la structure m ê m e des systèmes éducatif
pays nouvellement libérés. Tel était l'objectif et social existants s'oppose à une telle éducation
du séminaire intitulé Education in Zimbabwe: et à une formation de ce type. Aussi, pen-
Past, Present and Future, qu'a organisé, en dant la période de transition, les différents
août-septembre 1981, le Ministère zimbabwéen modes d'enseignement doivent-ils être considé-
de l'éducation et de la culture, en collaboration rés c o m m e les composantes d'une stratégie
avec la Fondation suédoise D a g H a m m a r s k - globale et intégrée de l'éducation au service d u
jold et la Foundation for Education with Pro- développement socio-économique. Cette stra-
duction9. D e u x cents éducateurs zimbabwéens tégie exigera l'intervention et la participation
et trente délégués étrangers — venus des pays de l'État dans les secteurs industriel et agricole
socialistes pour la plupart — se sont penchés et dans celui des services, en particulier dans le
sur les problèmes qui se posent aux respon- domaine de la fourniture des services sociaux
sables d u système éducatif d u Z i m b a b w e et aux habitants des villes et des zones rurales.
ont discuté des moyens d'organiser ce système Elle supposera également un transfert des excé-
selon des principes socialistes. dents et profits réalisés dans les secteurs à forte
L e Z i m b a b w e est sorti victorieux de sa lutte intensité de capital, vers des secteurs de pro-
de libération nationale et son gouvernement duction à forte intensité de travail qu'elle contri-
s'efforce d'édifier une société socialiste, mais, buera ainsi à développer. Elle comportera,
jusqu'à présent, l'économie, la société et l'ap- enfin, la mise en place, dans le cadre d'un
pareil d'État demeurent semblables, pour l'es- programme bien conçu de création d'emplois,
sentiel, à ce qu'ils étaient sous le régime raciste d'entreprises industrielles et agricoles coopé-
et capitaliste de Ian Smith. L'industrie est ratives et à gestion collective dues à l'initiative
dominée par les multinationales, qui collaborent des communautés elles-mêmes. Il importe de
avec la bourgeoisie blanche locale. L e secteur considérer que les divers enseignements dis-
très actif d u commerce des produits agricoles pensés dans les écoles, les instituts universi-
est entre les mains des Blancs. Les Noirs sont taires de technologie, les universités, les écoles
encore pour la plupart de petits paysans pau- normales et dans le cadre de programmes d'al-
vres, s'ils ne sont pas employés, pour des sa- phabétisation, d'éducation pour adultes, de télé-
laires très bas, dans l'agriculture, l'industrie enseignement, de scolarisation d'ouvriers et de
ou le secteur des services. L e revenu m o y e n paysans — autrement dit, tous les types d'en-
des Blancs reste trente-neuf fois supérieur à seignement scolaire et extrascolaire — sont
celui des Noirs. A u x postes intermédiaires et étroitement liés et concourent à la réalisation
subalternes, l'appareil d'État continue d'être des m ê m e s objectifs socio-économiques, à sa-
dominé par des fonctionnaires n o m m é s et for- voir : permettre aux ouvriers et aux paysans de
m é s par l'ancien régime, qui peuvent empêcher maîtriser, sur le plan de la gestion et sur le plan
les changements décidés par le nouveau pouvoir technique, l'économie, l'administration, former
politique. Dans le système éducatif de la R h o - des responsables capables de gérer le secteur
désie, tous les Blancs bénéficiaient d'une édu- coopératif du développement rural et de contri-
cation générale et d'une formation profession- buer au progrès des citadins défavorisés.
L'éducation pour la transition 493

C'est dans ce contexte que des r e c o m m a n - les nouveaux modes d'enseignement, mais ces
dations spécifiques ont été formulées par les connaissances sont pour ainsi dire inaccessibles
participants au séminaire. Pour ceux-ci, les à ceux qui en ont besoin : les gouvernements,
programmes doivent être conçus pour les Z i m - les mouvements de libération, les organisations
babwéens et pour les masses. Ils doivent échap- d'ouvriers et de paysans, les associations cultu-
per aux modèles de type colonial et répondre relles qui veulent faire de l'éducation u n élé-
aux besoins propres de l'Afrique et d u Tiers ment d u processus de transition. Les pédago-
M o n d e . L e shona et le ndebele doivent être gues d u Tiers M o n d e n'ont aucune difficulté à
utilisés au m ê m e titre que l'anglais dans toutes trouver conseil et assistance pour mettre en
les écoles ; l'éducation avec activité productive place des systèmes éducatifs élitistes calqués
doit devenir la règle quel que soit le type d'en- sur les systèmes occidentaux, mais ils ont beau-
seignement concerné. L e Z i m b a b w e doit dis- coup plus de mal à obtenir des informations sur
poser de ses propres conseils d'examen, les l'éducation de masse, les groupes concernés ne
examens actuels — qui sont conçus et notés pouvant, faute de ressources, diffuser les résul-
au R o y a u m e - U n i — n'étant pas adaptés aux tats de leurs recherches. L a Foundation for
conditions locales. Les structures administra- Education with Production contribue à la dif-
tives et pédagogiques doivent être modifiées de fusion de ces informations par les moyens
telle sorte que les étudiants, les parents et la suivants :
communauté puissent participer démocratique- E n publiant une revue trimestrielle intitulée
ment aux décisions. U n e vaste campagne d'al- Education with production, qui constitue une
phabétisation doit être lancée pour donner aux tribune internationale où sont analysés les
illettrés, dont le nombre est évalué à 1,9 million, moyens d'associer enseignement et travail
la possibilité de participer pleinement à la vie productif. L e premier numéro a parufin1981.
économique, sociale et politique d u pays. Cette E n publiant une série d'annuaires donnant la
campagne doit s'inscrire dans le cadre d'un liste de nouveaux projets et de manuels qui
programme d'éducation élémentaire des adultes, indiquent comment réaliser des projets tels
et s'accompagner d'une amélioration générale que les coopératives scolaires ou les écoles
des compétences et d'un développement de la dans lesquelles sont associées éducation et
culture populaire. Il faut accorder la priorité production.
à ceux dont la scolarité a été interrompue par la E n mettant au point et en diffusant les pro-
guerre, aux femmes et aux handicapés. L e gou- grammes, les plans d'études, le matériel péda-
vernement zimbabwéen a repris à son compte gogique et la documentation audio-visuelle
ces conclusions qui sont autant de directions nécessaires à la réalisation de ces projets.
dans lesquelles infléchir les politiques. Il s'agira, E n assurant des services d'édition et d'impri-
dans u n deuxième temps, d'assurer en profon- merie pour elle-même et pour les promoteurs
deur le suivi d u séminaire et d'organiser en des nouveaux projets éducatifs.
particulier des débats théoriques à l'échelon E n fournissant conseils et assistance aux res-
des provinces, des districts et au niveau local. ponsables de ces projets ainsi qu'aux gouver-
nements et aux organisations concernés par
les innovations pédagogiques.
L e rôle de la Foundation E n recrutant et en formant les responsables des
for Education with Production projets ainsi que les enseignants et le person-
nel d'encadrement.
E n organisant des séminaires et des cours à
L a raison d'être de cet organisme est d'offrir
un ensemble de moyens destinés à appuyer et l'échelon international et au niveau local.
à encourager, sur le plan international, les inno- E n favorisant le contact entre les responsables
vations pédagogiques. Il existe à travers le des projets dans les différents pays et en les
m o n d e toute une masse de connaissances sur encourageant à s'aider mutuellement.
494 Stephen Castles, Patrick van Rensburg et Pete Richer

L e deuxième volet des activités de la fondation tion. Cette école a été conçue pour accueillir
consiste à mettre en place des comités nationaux des élèves et des enseignants dont la guerre de
et régionaux. A l'heure actuelle, la fondation a libération d u M o z a m b i q u e avait fait des réfu-
la structure d'une société, placée sous le contrôle giés ou des guérilleros. Elle repose sur le prin-
d'un conseil d'administration composé de péda- cipe d'autonomie : élèves et professeurs cons-
gogues originaires de plusieurs pays africains. truisent eux-mêmes les locaux et produisent
L e travail courant est effectué par un secrétariat la nourriture dont ils ont besoin. Elle est gérée
établi au Botswana. Cette structure sera main- par la Foundation for Education with Produc-
tenue pendant une période initiale de trois ans, tion d u Z i m b a b w e , qui avait été créée dans ce
au cours de laquelle la fondation doit susciter but, mais qui coopère désormais à d'autres
la formation de comités nationaux dans diffé- projets d u m ê m e type. C'est ainsi qu'elle parti-
rents pays. Ces comités assureront la liaison cipe à la mise en place d'une coopérative scolaire
entre les responsables des projets nationaux, au Botswana. D e s terres, d u matériel et des
qui disposeront ainsi d'une tribune pour dis- instruments sont attribués à des jeunes, chô-
cuter et communiquer entre eux, mais aussi meurs d u fait de l'exode rural, qui reçoivent
avec leurs homologues d'autres pays. A u fur une formation dans les secteurs d u bâtiment et
et à mesure qu'ils se renforceront, les comités de l'agriculture. L a fondation les initie égale-
nationaux pourront développer les projets exis- ment aux études de développement, à la compta-
tants, en lancer de nouveaux et contribuer à bilité et à la gestion des coopératives. A u bout
éveiller l'intérêt d u public. Lorsqu'il existera de trois ans, les instructeurs et les enseignants
suffisamment de comités nationaux dans une seront remplacés par les membres de la coopé-
région donnée (l'Afrique australe, les Caraïbes, rative, qui deviendront les propriétaires et les
l'Europe occidentale, nos principales zones gestionnaires d'une entreprise qui leur assurera
d'implantation à l'heure actuelle)10, des comités un emploi permanent. L a fondation reste éga-
régionaux pourront être créés pour améliorer lement en liaison avec les responsables d'autres
la coordination entre les projets. Toutefois, projets, conçus pour assurer à des jeunes un en-
le processus vient à peine d'être lancé. D e s seignement et u n emploi tant dans le Tiers
comités nationaux provisoires ont été créés en M o n d e que dans les pays industrialisés. U n
Zambie et au R o y a u m e - U n i . U n e fondation projet de recherche comparative est prévu pour
zimbabwéenne, qui coopère avec la fondation évaluer ces modèles et faire bénéficier d'autres
internationale, a également été mise en place. expérimentateurs des enseignements qui peu-
L e troisième volet des activités de la fonda- vent en être tirés afin de favoriser le dévelop-
tion est le lancement des projets qu'elle réalise pement de coopératives de production qui assu-
elle-même. Ces projets sont l'occasion d'une reront à leurs m e m b r e s u n enseignement et u n
recherche orientée vers l'action, qui permet de emploi.
mettre au point et d'essayer de nouvelles m a -
nières d'associer éducation et production. Ils Les trois domaines d'activités de la fondation
peuvent jouer u n rôle d'incitation dans les pays sont, dans la pratique, étroitement liés. Ils
où toute innovation en matière pédagogique est constituent une m ê m e stratégie visant à d é m o n -
par ailleurs inexistante et ils permettent de trer que des possibilités réelles d'innovation et
former des enseignants, des organisateurs et des de changement existent, à encourager et à
administrateurs. L'une des premières activi- aider les groupes qui prennent des initiatives
tés de la fondation après sa création en 1980 a de ce type et à permettre des analyses conjointes
été d'aider le Z A N U - P F (Zimbabwe African et des échanges d'expériences. L a pression qui
National Union — Patriotic Front) à mettre en s'exerce en faveur d'un changement découle
place l'école de Rusununguko — établissement d u fait que l'enseignement traditionnel n'est
d'enseignement secondaire situé près de H a - pas à m ê m e de répondre aux aspirations cultu-
rare — et où sont associées éducation et produc- relles des individus et de les préparer à affronter
les graves problèmes que posent la restructura-
L'éducation pour la transition
495

tion de l'économie et de la société et l'incapa- était patronné par la Fondation Dag-Hammarskjöld.


Le premier, sur l'éducation, la formation et les nou-
cité des systèmes économiques, qu'il s'agisse velles options en matière d'éducation, s'est tenu à
de ceux des pays industrialisés ou de ceux des Dar es-Salaam en 1974 i les travaux de ce séminaire
pays d u Tiers M o n d e , d'assurer u n emploi au ont été publiés dans Development dialogue, févr. 1974,
nombre croissant de jeunes qui achèvent leur qui peut être obtenu auprès de la Fondation Dag-
scolarité. Seules de nouvelles formes d'ensei- Hammarskjöld à Uppsala (Suède). L e deuxième,
intitulé « Another development in education » (Pour
gnement associant apprentissage et travaux pro- un autre développement dans le domaine de l'édu-
ductifs peuvent apporter une solution à ces cation), s'est tenu à Maputo en 1978 (Development
problèmes et créer ainsi une nouvelle dynami- dialogue, févr. 1978). Le troisième, dont le thème
que sociale, car elles permettent non seulement général était « Education and culture for liberation »
d'améliorer l'enseignement sur le plan quanti- (L'éducation et la culture pour la libération), s'est
tenu à Lusaka en 1980 et des représentants des princi-
tatif, mais également de mettre en place u n paux mouvements de libération australe y assistaient.
nouveau type d'éducation qui fait une large Les travaux de ce séminaire ont été publiés par la
place à l'autonomie, au libre choix, à la capacité Foundation for Education with Production et ils
de planifier, de gérer la production et de réaliser peuvent être obtenus au siège de celle-ci au Botswana.
des travaux à la fois manuels et intellectuels. Les travaux du séminaire zimbabwéen seront publiés
sous peu.
Tel est le rôle de l'éducation pour la transition, 10. Pour obtenir des renseignements sur les travaux de la
qui contribue au remodelage de la société en fondation, s'adresser à Foundation for Education
fonction des besoins du peuple. • with Production, P . O . Box 20906, Gaborone,
Botswana (tél. : Gaborone 51376 ; adresse télégra-
phique : F E P G A B O R O N E ) , à M m o Merryn Cooke,
15 Totnes Road, Manchester, M 2 1 2 X F (Royaume-
Uni), ou à M m o Wiebke Wüstenberg, Fachbereich
Notes Sozialpädagogik, Fachhochschule Frankfurt, Limes-
korso 9, 6000 Francfort-sur-le-Main (République
i. Il est révélateur de constater que les premiers ouvrages fédérale d'Allemagne). Pour recevoir Education with
de critique sociale prévoyant un nouveau type d'ensei- production, écrire à la première adresse indiquée.
gnement paraissent à cette époque. L'exemple le plus
ancien et le mieux connu est celui d'Utopia, de sir
Thomas More.
2. Ngugi W A T H I O N G Ó , « Education for a national
culture », communication faite lors du Seminar on
Education in Zimbabwe—Past, Present and Future,
organisé à l'Université du Zimbabwe du 27 août au
7 septembre 1981.
3. K . M A R X , Le capital, vol. I, p. 618, Harmondsworth,
Penguin, 1967.
4. « Résolution de Genève » de 1866 du Conseil général
de l'Association internationale des travailleurs, Karl
M A R X , The First International and after — La Première
Internationale et ses suites, p. 88 et 89, Harmonds-
worth, Penguin, 1974.
5. Ngugi WA T H I O N G Ó , op. cit.
6. Ce principe est exposé de façon très claire et très
concrète dans les ouvrages de N . K . K R U P S K A Y A et
d'autres pédagogues soviétiques sur la méthode dite
« complexe » ou « des projets ». Voir S. CASTLES et
W . W Ü S T E N B E R G , The education of the future, Londres,
Pluto Press, 1979.
7. P. V A N R E N S B U R G , • Nouveau regard sur les « Bri-
gades » de Serowe », Perspectives, vol. X , n° 4, 1980,
p. 413 et suiv.
8. Voir S. C A S T L E S et W . W Ü S T E N B E R G , op. cit.
9. Ce séminaire était le quatrième d'une série consacrée
aux nouvelles options pédagogiques en Afrique ; il
Enseignement
et travail en Bulgarie
Dimitar Tzvetkov

L'enseignement et le travail productif sont deux mettons plutôt l'accent sur la fonction pédago-
facteurs fondamentaux de la socialisation des gique de l'intégration de l'éducation au travail.
jeunes générations. Cependant, le contenu et L'opposition traditionnelle entre l'activité in-
les mécanismes de la socialisation par l'éduca- tellectuelle et l'activité physique confère u n
tion et le travail étant différents, il est impératif caractère contradictoire au progrès économique
d'intégrer l'éducation et le travail, condition in- et social. Notre époque et la vie sociale revêtent
dispensable pour que ces deux processus puis- de plus en plus u n caractère complexe et inté-
sent jouer leur rôle éducatif en s'enrichissant et gral, exigent de l'individu qu'il élargisse cons-
en se complétant réciproquement. C'est d'ail- tamment son horizon culturel et s'oriente vite
leurs l'idée fondamentale de la conception dans les conditions nouvelles. N i le travail pro-
marxiste-léniniste de l'intégration de l'enseigne- ductif ni l'éducation pris isolément ne peuvent
ment (et de l'éducation physique) au travail former une telle personnalité riche et h a r m o -
productif en tant que méthode de base pour la nieusement développée ; seule l'union de ces
formation d'individus harmonieusement déve- deux activités sociales peut garantir la formation
loppés et pour l'accroissement de la production de la personnalité intégrale. U n e telle démarche
en général. découle des formes avancées d u travail indus-
L'école socialiste possède déjà une assez riche triel et agro-industriel, de sa rationalisation, de
expérience dans l'élaboration et la mise en la complexité des rapports sociaux qui suppo-
œuvre de cette conception. E n nous inspirant de sent une formation générale et professionnelle
l'expérience que la République populaire d e plus élaborée.
Bulgarie et les autres pays socialistes ont acquise L'éducation enrichit spirituellement l'indi-
dans ce domaine, nous allons évoquer u n cer- vidu, élargit son horizon politique, moral et
tain nombre de problèmes et d'orientations qui, scientifique, forme ses capacités intellectuelles,
à notre avis, méritent attention. crée ses besoins culturels et esthétiques ainsi
que son échelle des valeurs et le prépare à une
activité professionnelle et sociale.
Principes généraux L a participation à la production matérielle
transforme la situation sociale, les mobiles d'ac-
D a n s le contexte de la révolution technique et tion et crée des qualités intellectuelles, prati-
scientifique et des profondes transformations ques et morales. L e travail productif contribue
sociales qui se sont produites dans notre pays, à la connaissance des lois objectives de la nature
nous avons adopté la conception qui consiste à et de la société tout en créant des possibilités
accorder une part relativement plus importante d'un contact direct avec la nature et des rap-
à l'éducation des jeunes en regard de leur par- ports multiples et variés entre personnes. C'est
ticipation au travail ; en d'autres termes, nous grâce à l'existence d'une motivation d'un type
nouveau et d'un comportement différent que le
Dimitar Tzvetkov (Bulgarie). Directeur général du
travail productif peut compléter le rôle péda-
Centre de recherches sur l'éducation, Sofia. gogique de l'enseignement avec efficacité.

Perspectives, vol. XII, n» 4, 1982


498 Dimitar Tzvetkov

Les possibilités pédagogiques d u travail sont l'épanouissement global de l'individu. Sans ce


limitées dans la mesure où chaque activité lien réciproque, l'éducation devient u n pro-
concrète limite l'épanouissement intellectuel, cessus formel, une fin en soi, et le travail, de son
spirituel et épuise les forces physiques de l'in- côté, u n processus social sans efficacité.
dividu. Il faudrait noter, d'autre part, que les Dans le domaine sanitaire, l'intégration de
connaissances et l'expérience acquises par le l'éducation au travail assure le repos actif, réta-
travail sont principalement empiriques et ne blit et stimule l'activité physique et mentale. Si
suffisent pas à éclairer d'un point de vue théo- l'importance éducative et pédagogique attribuée
rique la réalité. Voilà pourquoi l'éducation et le au travail en tant que partie intégrante d u pro-
travail, tout en s'enrichissant réciproquement, cessus éducatif repose sur des hypothèses, d'ail-
compensent leurs insuffisances. leurs confirmées par la pratique de l'école so-
U n e telle intégration de l'éducation et d u cialiste (et par les expériences menées bien
travail, et, dans u n sens plus large, de la culture avant, par Robert O w e n , par exemple), l'impor-
et d u travail, est la principale condition pour tance pour la santé de l'alternance d u travail
l'enrichissement des qualités sociales et morales physique et du travail intellectuel est confirmée
de l'individu. de façon incontestable par des examens psycho-
D a n s le domaine éducatif (nous entendons physiologiques. Cette alternance est une des
par là l'assimilation de connaissances et d'apti- conditions qui garantissent la santé physique et
tudes ainsi que leur application dans la prati- mentale de l'individu et sa capacité de travail.
que), l'intégration de l'éducation au travail est L'intégration de l'éducation au travail pro-
la condition d u rattachement de la théorie à ductif suppose l'interaction entre les deux pôles,
l'activité pratique pour donner u n sens (scien- pédagogique et éducatif, entre l'enseignement
tifique, social et personnel) à l'activité profes- et le travail, l'école et la production, qui se
sionnelle et pour rendre plus concrète et plus complètent et coopèrent, bien que l'école con-
vivante l'expérience sociale acquise de façon serve son rôle de direction et de coordination.
seulement théorique. Les systèmes d'enseigne- Les contenus de cette interaction sont détermi-
ment ont constamment dû faire face au dilemme nés par les principes scientifiques, polytechni-
de la théorie et de la pratique. L'école s'efforce ques, moraux et esthétiques de l'enseignement
de transmettre aux jeunes la synthèse théorique et d u travail.
d'une expérience sociale systématisée. Cepen- Les potentialités de l'intégration de l'éduca-
dant, v u les contraintes imposées par l'âge de la tion au travail productif peuvent varier selon
population scolaire, et m ê m e dans la perspec- les conditions spécifiques de chaque pays et de
tive de l'éducation permanente, la liaison entre chaque situation. D a n s ce sens, les conditions
la théorie et la pratique est loin d'être assurée. favorables à ce processus sont : u n niveau
L a nécessité d'assimiler totalement l'héritage général élevé de l'éducation ; la participation de
culturel n'est pas suffisamment comprise et le tous les jeunes au travail productif; une attitude
formalisme règne dans les vérités scolaires. positive à l'égard de l'éducation et d u travail ;
Voilà pourquoi la participation à u n travail des liens multilatéraux entre la théorie et la pra-
diversifié, à toute l'activité sociale des entre- tique ; l'existence d'une législation correcte d u
prises, des unités de production et son intégra- travail intellectuel et physique, etc. L e plus
tion à la culture dispensée par l'école sont une important reste cependant la démocratisation
condition importante pour améliorer la motiva- de l'enseignement, la propriété collective des
tion cognitive et l'efficacité d u savoir et pour moyens de production, la garantie d u droit au
donner un sens théorique à l'activité productive. travail et la suppression de toutes les formes
L'intégration de l'éducation au travail produc- d'exploitation d u travail des enfants.
tif, considérée c o m m e u n lien multiple entre la
théorie et la pratique, contribue à la formation
de l'intégralité spirituelle et pratique ainsi qu'à
Enseignement et travail en Bulgarie 499

d'entraînement, mais le passage de ce type


Expériences d'exercices à la création de valeurs matérielles
et problèmes actuels renforce la motivation pour l'acquisition des
connaissances et des aptitudes nécessaires, tan-
L'intégration pratique de l'éducation au travail dis que, dans certaines conditions, le travail
concerne toutes les activités de l'école contem- productif réalise des objectifs économiques, pé-
poraine. N o u s nous bornerons ici à analyser dagogiques et éducatifs beaucoup plus impor-
quelques problèmes et tendances qui nous pa- tants que ceux poursuivis par l'enseignement
raissent actuels. polytechnique et professionnel.
N o u s devons souligner ici que l'intégration
de l'éducation au travail productif, d'une part,
LE TRAVAIL PRODUCTIF DES ÉLÈVES et l'enseignement polytechnique, d'autre part,
tout en étant l'un et l'autre des objectifs assez
E n Bulgarie, nous avons établi trois types d'ac- proches de l'école socialiste, ne sont pas iden-
tivités dans notre pratique de participation au tiques. Dans le cadre de l'enseignement poly-
travail productif. technique, le travail productif n'est qu'une des
L e premier type englobe les formes du travail formes de participation des élèves à la produc-
productif considérées c o m m e partie intégrante tion. D'autre part, l'enseignement polytech-
et prolongement de l'enseignement polytech- nique n'épuise pas la richesse des programmes
nique dispensé par les écoles primaires et cons- d'enseignement en général.
tituant une étape de préparation profession- E n tant que partie intégrante de la pratique
nelle avant l'entrée à l'école secondaire. C e type polytechnique et professionnelle des élèves, le
de travail contribue à l'assimilation par l'élève travail productif se réalise, à raison de deux
d'un système de connaissances scientifiques, heures par semaine, de la ire à la 8 e classe et
techniques et économiques ainsi qu'à la création entre quatre et douze heures hebdomadaires
d'aptitudes au travail avec des machines faciles dans les écoles secondaires d'enseignement gé-
à manier et des techniques peu compliquées. néral et les écoles professionnelles. U n stage
e
Conformément au contenu de l'enseignement continu est prévu à la fin de la 9 et de la
re e e
manuel et polytechnique (de la i à la 8 classe), io année d'études.
des matières préparant à une activité profession- Cette forme de participation au travail pro-
nelle (de la 9 e à la 11 e classe des écoles d'ensei- ductif s'étendra de plus en plus à l'avenir
gnement général) ainsi qu'au contenu des trois puisque notre objectif est d'améliorer la forma-
premières années des écoles professionnelles, les tion polytechnique et pratique au niveau de
élèves suivent un stage pratique afin d'appliquer l'école primaire et de passer à une formation
leurs connaissances théoriques et d'assimiler professionnelle diversifiée dans les écoles se-
des aptitudes pratiques, condition subjective condaires.
qui permettra de surmonter la traditionnelle D e la ire à la 8 e classe, le travail a lieu dans
division d u travail et l'assujettissement aux tâ- les ateliers scolaires et les champs d'essai ; de
ches monotones et fragmentaires. L'orientation la 9 e à la II e , dans les centres polytechniques in-
polytechnique de l'enseignement manuel dans terscolaires ou bien dans des ateliers spécialisés
les écoles primaires et de l'enseignement pro- auprès des entreprises. L a plupart des entrepri-
fessionnel dans les écoles secondaires est une ses passent des contrats avec les établissements
condition pour l'amélioration de la qualification scolaires pour une production courante ; ce-
professionnelle, pour une mobilité profession- pendant, on rencontre des difficultés pour l'ap-
nelle plus grande et pour la formation d'une provisionnement en matières premières, en
attitude active et créative à l'égard d u travail. Il machines et en outils, surtout dans les ateliers
est évident que ces objectifs pratiques peuvent scolaires et les centres polytechniques intersco-
être atteints également au m o y e n d'exercices laires. C'est pour cette raison qu'après une
500 Dimitar Tzvetkov

formation pratique initiale dans les ateliers une très haute qualification ; cependant, elles
scolaires les élèves, principalement ceux des ont une grande importance sociale et sont réa-
écoles secondaires, sont orientés vers les unités lisées grâce à l'autogestion très active des élèves.
de production, o ù ils produisent des biens m a - A u total, elles donnent des résultats pédagogi-
tériels au sens propre d u terme. D'autres diffi- ques très satisfaisants.
cultés apparaissent à ce niveau : parcellisation L e troisième type d'activité comprend la
et monotonie des opérations effectuées, m é - participation individuelle des élèves, au m o -
connaissance des équipements, insuffisance des ment des grandes vacances, à des travaux divers
postes libres de travail. Malgré tout, l'expé- et constitue pour eux u n m o y e n de se procurer
rience d u travail productif dans les entreprises de l'argent de poche. Tout en étant moins
industrielles et les complexes agro-industriels répandue, cette activité réalise, elle aussi, cer-
se révèle particulièrement rentable du point de tains objectifs pédagogiques.
vue économique et pédagogique. Les formes de travail productif que l'on vient
L e deuxième type d'activité englobe le travail de mentionner sont typiques de tous les pays
productif qui n'est pas directement lié à l'en- socialistes, mais leur utilisation varie selon les
seignement polytechnique et professionnel. Il pays. Ainsi, les brigades d'été sur le plan local,
est conçu et exécuté principalement par les national ou international dans le bâtiment et
organisations sociales scolaires et les directions l'agriculture, et plus généralement les formes
des entreprises industrielles ou agricoles. Cette extrascolaires de travail, ont de riches traditions
activité a pour objectif la réalisation d'impor- en U R S S , en République démocratique alle-
tantes tâches économiques, c o m m e la récolte de m a n d e et en République populaire de Bulgarie.
fruits et de légumes, de plantes médicinales et L e travail fourni directement dans les entre-
de fruits sauvages, la récupération de déchets prises o u à l'école est caractéristique de la
domestiques ou autres, l'aide aux travaux d u République démocratique allemande et de la
bâtiment, la sauvegarde et le renouvellement Bulgarie. L ' U R S S a une expérience très riche
d u milieu naturel, le reboisement, l'entretien avec les brigades agricoles permanentes. E n
des jardins publics, etc. N o u s pourrions citer République démocratique allemande, les élèves
en exemple le m o u v e m e n t L e travail des pion- prennent part très tôt au travail industriel et
niers pour la patrie, dont une des activités est agricole. L e pourcentage des élèves des écoles
celle dite « L a forêt des pionniers-1300 », en secondaires professionnelles participant systé-
commémoration d u mille-trois-centième anni- matiquement et régulièrement au travail pro-
versaire de la création de l'État bulgare. Paral- ductif varie également d'un pays à l'autre.
lèlement à ces manifestations temporaires, con-
nues sous l'appellation « journées de travail »,
« brigades d'été », « camps de travail et de LE RÔLE ÉDUCATIF
repos », il existe d'autres formes permanentes, DU TRAVAIL PRODUCTIF
quoique non massives, de travail extrascolaire.
C e sont « les ateliers et les usines scolaires », les Les principaux objectifs poursuivis dans ce
champs d'essai, les brigades agricoles annuelles, domaine sont : former une attitude de créativité
celles qui effectuent toute sorte de réparations et de responsabilité à l'égard d u travail et de
dans les établissements scolaires, les exploita- tous les travailleurs, créer des aptitudes et des
tions forestières, les serres, etc. O n pourrait habitudes de travail socialement utile, en tant
citer les très bons résultats de l'expérience de que principale sphère d'expression et d'affirma-
1' « usine des pionniers », rattachée à l'usine tion de l'individu ; perfectionner la formation
Elprom, de Varna, la « brigade agricole » de polytechnique et professionnelle, former chez
Brégovo, district de Vidine, 1' « exploitation l'individu des qualités d'organisation, la capa-
forestière » de la ville de Biala et beaucoup cité de s'orienter et d'avancer vers le but choisi,
d'autres. Certaines de ces activités n'exigent pas de prendre des décisions et d'évaluer une situa-
Enseignement et travail en Bulgarie 501

tion donnée, la volonté de s'instruire continuel- L'effort fourni, la tension des forces phy-
lement et d'élever sa qualification ; utiliser les siques et psychiques apportent u n e satisfac-
possibilités offertes par le caractère intégral d u tion certaine face aux résultats obtenus et à
travail et de la vie des collectivités de produc- l'évaluation positive de la part de la société.
tion pour le développement tant intellectuel et L e repos et le temps libre sont alors appréciés
physique que moral et esthétique de l'individu. pleinement, tandis que l'alternance d u travail
L'expérience bulgare montre que la réalisa- intellectuel et d u travail physique agit c o m m e
tion de ces objectifs dépend d'un certain n o m - un catalyseur pour la récupération de l'énergie
bre de conditions d'ordre objectif et subjectif. dépensée. Cette démarche a u n impact très
L'exécution d'un travail réellement utile d u positif puisqu'elle contribue à la réduction
point de vue de la société et à rentabilité écono- des manifestations antisociales des jeunes, à la
mique, avec u n e participation directe à l'exé- diminution d u gaspillage d u temps, etc.
cution des plans économiques dans le domaine L a diversification d u travail productif, l'ac-
industriel ou agricole, peut en faciliter la réali- quisition d'une expérience pratique, d'une orien-
sation, tout c o m m e l'établissement d'un contrat tation et d'un apprentissage dans plusieurs
relatif aux obligations réciproques entre l'école domaines professionnels avant le choix défi-
et l'entreprise, l'élaboration de normes correctes nitif favorisent aussi la réalisation des objectifs
du travail, le respect des objectifs du plan et du énumérés plus haut. Pour remédier à la m o n o -
budget, le respect des normes technologiques tonie d u travail n o n qualifié, l'alternance des
relatives à la qualité de la production. Il est postes de travail est prévue ainsi que l'acqui-
évident que toutes ces exigences ne sont pas sition d'aptitudes dans des métiers analogues.
toujours respectées, car, bien souvent, les élèves C'est d'ailleurs la m ê m e tendance qui prévaut
exécutent des tâches secondaires ou auxiliaires. dans la production afin que les effets néfastes
Mais il y a beaucoup d'établissements scolaires du travail non qualifié soient réduits. D a n s de
dont la production est assez importante et dont nombreuses écoles professionnelles en Bulgarie,
les bénéfices sont tellement considérables qu'ils les élèves apprennent deux métiers voisins.
pourraient à juste titre prétendre à l'autonomie Autres facteurs favorables : l'interaction entre
financière (par exemple l'école secondaire pro- les enseignants et les collectifs de production,
fessionnelle unifiée de la ville de Plovdiv, le la participation des élèves aux activités produc-
technicum Kirov de Sofia, etc.). tives mais aussi socioculturelles des entre-
U n e partie des rétributions obtenues va aux prises, la participation des représentants o u -
élèves, u n e autre constitue u n fonds destiné vriers au processus éducatif de l'école, l'impact
à améliorer la base matérielle de l'école, à pédagogique des meilleurs ouvriers (tuteurs),
payer des excursions, etc. D a n s certains cas, il souvent supérieur à celui des parents et des
peut s'agir d'une rétribution en nature (viande, enseignants. Leur maîtrise, leurs « mains d'or »,
fruits, légumes), utilisée dans les restaurants leur expérience humaine, la reconnaissance
scolaires. sociale et le prestige dont ils jouissent rehaus-
L e rôle éducatif du travail dépend avant tout sent leur autorité pédagogique. Cependant, le
du dynamisme et des capacités d'organisation risque d'une influence négative pour l'éduca-
des élèves. L a participation active à la plani- tion des jeunes est une réalité, surtout dans le
fication, à l'organisation, au contrôle et à l'éva- cas d'une organisation d u travail peu satis-
luation d u travail enrichit considérablement faisante, d'un niveau médiocre de la conscience,
l'expérience sociale, stimule la maturation, le de la culture et de la moralité d'une partie
sens des responsabilités et de l'initiative. L a des ouvriers.
pratique de la gestion, les contraintes et la Afin que les contradictions dans ce domaine
coopération dans le travail imposées par les puissent être surmontées, que la culture et
conditions objectives forment la conscience l'organisation d u travail soient améliorées, il
sociale et le comportement de l'individu. est incontestable que les élèves des écoles
502 Dimitar Tzvetkov

secondaires pourraient jouer u n rôle construc- mais utile à la société, ne signifie pas que ce
tif qui s'accentuera à l'avenir : soit directement, soit là simple adaptation aux réalités ou rabais-
en apportant plus de culture et d'organisation sement des aspirations et des besoins spirituels
là où cela est nécessaire, soit en stimulant la de l'individu. Il y a des exemples où u n travail
conscience et l'action professionnelle, péda- intellectuellement pauvre mais utile se combine
gogique et civique des ouvriers. avec une joie de vivre exceptionnelle. C'est
L a réforme de l'enseignement en cours vise pourquoi l'école ne sous-estime pas l'important
l'élévation de la fonction constructive de l'édu- problème de la promotion des besoins spiri-
cation dans le développement économique et tuels et de l'amélioration d u niveau culturel
socioculturel d u pays. L'intégration de l'ensei- des apprenants. C'est la condition d u passage
gnement général et professionnel, de l'éducation du droit au travail au droit à u n travail créatif.
et d u travail, l'encouragement de l'activité so- L e rôle éducatif et pédagogique d u travail
ciale et d u travail productif ont pour objectif dépend, dans une très large mesure, des liens
d'améliorer le niveau d'instruction des tra- multiples entre la théorie et la pratique. Aujour-
vailleurs, de leurs conditions de travail et de vie. d'hui, c o m m e dans le passé, deux conceptions
L'orientation sociale et professionnelle est opposées coexistent dans ce domaine. Certains
d'une importance décisive. O r , malgré les considèrent que seul le travail lié directement
efforts de modernisation et de rationalisation de au contenu de l'enseignement scolaire est utile.
la technologie dans plusieurs sphères de la N o u s pensons qu'en raison d u système et de
production, des disparités importantes sub- la logique interne différents propres à l'ensei-
sistent entre le travail mécanisé et le travail gnement et au travail ce dernier se transforme,
manuel, entre le travail intellectuel et le travail dans ce cas, en simple illustration, vidé de son
physique. Certaines tâches socialement utiles contenu principal, notamment la création de
n'exigent pas une qualification élevée et sont, biens matériels au profit de la société. L a
par là m ê m e , peu attrayantes. L'automatisation seconde conception est également inacceptable
de la production contribue à valoriser le tra- selon laquelle l'enseignement devrait être struc-
vail intellectuellement riche par rapport au turé conformément aux exigences d u travail
travail intellectuellement pauvre. Souvent, l'at- concret des élèves (méthode des projets, l'ensei-
titude négative à l'égard d u travail non qualifié gnement complexe, etc.). C e qu'on semble
est transposée dans la sphère de la production oublier, c'est que le contenu de l'enseignement
matérielle en général, bien que celle-ci présente est la synthèse de toute la pratique sociale, que
souvent des possibilités de réalisation et de l'école prépare à la vie active et au travail,
création plus grandes, sans parler des salaires que ce dernier n'est qu'une part limitée de cette
plus élevés ou de la satisfaction morale plus pratique sociale.
importante que dans la sphère non matérielle. D e u x formes fondamentales de ce lien réci-
Dans ces conditions, il est évident qu'une des proque existent dans notre pratique éducative :
tâches principales de l'éducation est la forma- d'une part, la liaison de l'enseignement avec
tion d'une attitude positive à l'égard de tout les problèmes réels de la vie et de la production,
travail socialement utile et de tous les travail- avec l'expérience personnelle des élèves, la
leurs. L'orientation professionnelle se réalise connaissance d u rôle de la science c o m m e fac-
au m o y e n de l'étude et de l'évaluation réaliste teur d u développement social et économique,
des intérêts et des capacités des intéressés, de l'amélioration de la production, de l'éléva-
et en tenant compte des besoins en cadres des tion d u bien-être matériel et culturel de la
divers domaines professionnels. Les possibi- population (et ce n'est pas uniquement l'œuvre
lités d'une mobilité verticale mais aussi horizon- du professeur, mais aussi le résultat de l'obser-
tale dans la sphère d u travail socialement utile vation, l'expérience, les travaux pratiques en
se développent également. Accepter n'importe laboratoire, la confrontation des conceptions
quel travail, y compris u n travail non qualifié opposées qui font en sorte que les élèves
Enseignement et travail en Bulgarie 5^3

réalisent le lien qui unit la théorie à la vie N o u s avons examiné u n certain n o m b r e de


réelle) ; d'autre part, le processus de production problèmes de la première étape, sans nous
qui stimule l'observation, l'analyse, fait naître arrêter sur la spécificité des différents âges
ans
des propositions utiles et constructives pour (7-12 ans, 12-15 J 15-18 ans), qui répondent
l'amélioration de la pratique à la lumière des à des caractéristiques psychophysiolcgiques bien
acquisitions scientifiques. C'est ainsi que se dé- définies et dont il est tenu compte dans le
veloppe le m o u v e m e n t des « rationalisateurs », contenu de l'enseignement polytechnique jus-
e
de la créativité scientifique et technique, m o u v e - qu'à la 8 classe et dans les programmes de
ment dirigé par les cadres techniques et péda- l'enseignement professionnel et polytechnique
e e
gogiques. Les résultats de cette activité sont des écoles secondaires ( 9 - n classe).
encore assez modestes bien que, dans certains L a seconde étape c o m m e n c e avec la transi-
cas, les élèves apportent leur contribution à des tion vers le travail professionnel et le change-
réalisations importantes, à des solutions tech- ment de la situation sociale.
niques, à l'expérimentation et à l'implantation L'enseignement et l'orientation profession-
de nouvelles technologies, à l'augmentation de nelle dans les écoles secondaires sont planifiés
rendements agricoles, etc. Les rencontres natio- selon les besoins réels de la société. O n essaye
nales annuelles sur la créativité scientifique de faire coïncider les capacités et les préférences
et technique des élèves font état d'un certain individuelles avec les besoins de la société,
nombre d'expériences et de trouvailles souvent ce qui n'est pas toujours facile ni possible.
judicieuses. L ' u n e des raisons de ces difficultés tient au
Faire d u travail une nécessité vitale, une dynamisme croissant de la division sociale d u
expression particulière de l'enseignement scien- travail, qui a u n effet négatif sur la planification
tifique, technique, social et moral, n'est pas à long terme des cadres exécutants. Cela nous
une tâche facile. L e travail est la sphère princi- oblige à chercher des solutions tenant compte
pale de l'application et de la mise en pratique des perspectives et à éviter une spécialisation
des connaissances acquises, de la matérialisation précoce, à élargir l'éventail de la formation
de la créativité. Il est important qu'il devienne professionnelle et à créer des possibilités pour
aussi source de savoirs et d'expériences nou- une plus grande mobilité professionnelle.
velles, qu'il aide l'individu à comprendre la L a majorité des cadres exécutants en Bulgarie
signification d u cycle productif, depuis la con- reçoivent leur formation professionnelle dans
ception jusqu'à l'exécution, qu'il contribue à les écoles secondaires. L a réforme de l'ensei-
l'orienter dans la complexité des phénomènes gnement en cours prévoit la création d'un nou-
technologiques, économiques et sociopsycholo- veau type d'école unique de douze années
giques. C e processus fait partie de la tendance d'études en trois cycles, le premier devant
générale de la société socialiste à transformer correspondre à une formation polytechnique
des unités de production en u n riche milieu et générale, le deuxième à une formation pro-
social, où les ouvriers puissent vivre pleinement fessionnelle élargie avec u n enseignement des
tout en réalisant leurs potentialités. principales matières de sciences pures et h u -
maines, tandis que le troisième constituera la
première étape d'une spécialisation profession-
PASSAGE DE L'ÉCOLE nelle et le passage à la vie active. L e premier
A LA PRODUCTION cycle couvre les dix premières années d'études,
ET INTÉGRATION DU TRAVAIL le second et le troisième les deux dernières
A L'ENSEIGNEMENT années. L a fin des études secondaires ne signifie
pas la fin des études en général. U n e partie
L'intégration de l'éducation au travail productif des jeunes continuent leurs études dans les
se réalise en deux temps : à l'école puis après divers types d'établissements d'enseignement
les études secondaires. supérieur (à cycle complet o u réduit), une
504 Dimitar

autre partie passe par diverses formes de quali-


fication ou assimile de nouveaux métiers. U n e
catégorie de jeunes qui n'ont pas suivi le cursus
complet des études secondaires peuvent conti-
nuer dans les écoles d u soir, professionnelles
ou d'enseignement général. L e caractère per-
manent de l'éducation s'affirme de plus en plus
grâce au lien d u travail avec l'enseignement.
Ainsi, l'intégration de ces deux activités sociales
fondamentales, l'éducation et le travail, devient
u n principe permanent et u n facteur de stimu-
lation de la vie active de l'individu dans notre
société. •
Production coopérative
et enseignement technique
au Pays basque
Carlos Órnelas

N o m b r e u x sont les éducateurs et les théoriciens


tement après les dix premières années de ce
des sciences sociales qui considèrent que l'ensei- siècle, soutint non seulement théoriquement la
gnement technique peut contribuer sensible- nécessité d'une limitation de la journée de
ment à la fois à accroître le rendement d u travail, mais encore établit réellement la journée
travail humain et à aider un État donné à déve- de dix heures dans sa fabrique de N e w Lanark,
lopper ses capacités de production. Dans une on se m o q u a de cette innovation c o m m e d'une
optique radicale, l'enseignement technique utopie communiste. O n persifla son 'union d u
peut aussi aider les membres de la classe travail productif avec l'éducation des enfants'
ouvrière à élever leur niveau intellectuel et à et les coopératives ouvrières qu'il appela le
mieux prendre conscience d u m o n d e qui les premier à la vie » 2 .
entoure. Pour cela, il faut que l'enseignement L'histoire n'offre pas beaucoup d'exemples
technique soit totalement intégré à la produc- de ce genre de combinaison, mais à l'heure
tion de biens et de services. actuelle il existe au Pays basque espagnol u n
M a r x soutient que la combinaison de l'édu- mouvement coopératif très important qui tire
cation et du travail productif rémunéré devrait ses origines de la création, de l'essor et de la
être l'une des principales composantes de la consolidation d'une école technique.
formation d'un être humain inaliéné et pleine- C e mouvement coopératif a son siège à
ment développé. L e type d'éducation qu'il Mondragón, ville industrielle proche de Bilbao.
préconise comprend trois grands éléments : Il se compose d'un réseau de 83 entreprises
a) le développement mental et intellectuel ; industrielles et 5 entreprises agro-industrielles
b) l'exercice physique; c) la formation tech- comprenant plus de 18 000 travailleurs-pro-
nique1. Dans son principal ouvrage, Le capital, priétaires. Outre ces établissements, le groupe
M a r x affirme également que, si l'instruction possède une très grande coopérative de consom-
était organisée selon ce schéma, cela représen- mation, Eroski, qui compte 105 000 membres
terait une révolution dans l'enseignement. E n (soit 15 % environ de toutes les familles du
outre, il estime que le mouvement coopératif Pays basque). L e mouvement possède égale-
et ce type d'éducation ont la m ê m e origine ment six coopératives de services très impor-
parce que, « quand Robert O w e n , immédia- tantes recouvrant l'ensemble d u réseau. L'une
d'elles (Auzu Lagun) est une coopérative de
femmes d u double point de vue de la propriété
et de la gestion. U n e autre (Lagun Aro), co-
Carlos Órnelas (Mexique). Professeur de sciences de
opérative de services médicaux et de sécurité
l'éducation et coordonnateur de l'Unité de recherche
sociale, doit son existence au fait que les m e m -
éducative à l' Universidad Autónoma Metropolitana de
Mexico.
bres des coopératives sont (à juste titre) consi-

Perspectives, vol.
XII, n° 4, 1982
5o6 Carlos Órnelas

dérés c o m m e des travailleurs indépendants et


ne peuvent donc pas bénéficier de la sécurité L e projet coopératif
sociale espagnole officielle. L a Caja Laboral de Mondragón
Popular (Banque populaire ouvrière) est l'ins-
titution financière et administrative du m o u - L e mouvement coopératif est né en 1956 avec
vement. L a Liga de Educación y Cultura la Fondation d'Ulgor, qui ne comptait au
coordonne 40 coopératives d'enseignement (ikas- début que vingt-trois membres. L a conception
tolas) associées au réseau. Ikerlan est u n centre initiale de la coopérative et les premiers efforts
coopératif moderne de recherche-développe- d'organisation furent lancés par u n prêtre
ment qui m è n e des projets pour le secteur catholique, D . José Maria Arizmendiarrieta,
industriel. L a prestigieuse Escuela Profesional et cinq de ses disciples, diplômés de l'Univer-
Politécnica de Mondragón (École profession- sité de Saragosse en 1952. E n 1943, le père
nelle polytechnique de Mondragón, ou E P P ) Arizmendiarrieta avait créé une école technique
est au cœur du mouvement. D'après des obser- qui fut le prédécesseur immédiat de l'EPP
vateurs, c'est l'une des principales institutions actuelle, dans le but déclaré d'aider les jeunes
du mouvement et l'établissement où de n o m - de Mondragón à bénéficier d'une instruction
breux dirigeants et membres du personnel du professionnelle et morale. L e fonctionnement
Projet coopératif de Mondragón ont été formés. et l'organisation de l'école technique, c o m m e
A la mort de son fondateur, en 1976, elle en a plus tard ceux des coopératives, furent conçus
pris le n o m . C'est désormais l'Escuela Profe- dans la ligne de la doctrine sociale de l'Église
sional Politécnica José-María-Arizmendiarrieta. catholique4. D u point de vue géographique,
Dans u n autre article3, j'ai soutenu que les entreprises du Projet coopératif de M o n d r a -
l'école professionnelle polytechnique corres- gón et les succursales de la Banque populaire
pond davantage au développement du réseau ouvrière sont toutes situées dans les provinces
coopératif qu'au système capitaliste espagnol basques, mais leurs produits sont vendus dans
dans son ensemble, en particulier pour ce qui toute l'Espagne et dans de nombreuses parties
est de la reproduction des compétences, valeurs de l'Europe et de l'Amérique latine. Elles
et attitudes dont les coopératives ont besoin. produisent une g a m m e très étendue de biens
Je m e suis également efforcé de démontrer la qui vont des produits alimentaires aux machines-
nature contradictoire de ce phénomène de outils les plus perfectionnées, de l'acier aux
reproduction et j'en ai conclu qu'en dépit de ses robots mécaniques, des biens d'équipement
contradictions l'école est le théâtre d'un pro- ménager et des bicyclettes aux tubes de télé-
cessus partiel de désaliénation. Toutefois, vision et au matériel pour aciéries et raffineries.
cette analyse étant centrée sur le rôle des E n 1980, les ventes d u groupe s'élevaient au
programmes d'études dans la reproduction, je total à plus de 68 milliards de pesetas (soit
n'y ai pas étudié d'autres éléments de l'école près d'un milliard de dollars aux prix courants),
elle-même. Dans le présent article, je tracerai ses exportations de produits manufacturés à
donc à grands traits le cadre général des coopé- 13,504 milliards de pesetas (soit plus de 207 mil-
ratives avant de m'attacher au rôle que l'école lions de dollars) et ses investissements à u n
y joue. J'examinerai ensuite le fonctionnement total de plus de 4 milliards de pesetas (soit
de l'école, ce que les élèves y apprennent et plus de 58 millions de dollars).
c o m m e n t ils s'intègrent dans le système de
production des coopératives. O n a p u soutenir qu'en plus de nombreux
traits propres à la culture basque les deux élé-
ments les plus importants pour expliquer le
succès d u Projet coopératif de Mondragón
sont : d'une part, la création de la Banque
populaire ouvrière, institution qui non seule-
ment fournit son aide en matière de finance-
Production coopérative et enseignement technique au Pays basque 507

ment, d'organisation et de gestion pour la


création et la consolidation des coopératives, L'école coopérative
mais encore imprime une direction et une
orientation à tout l'ensemble d u réseau coopé- Avec l'appui financier de la Banque populaire
ratif de Mondragón et m ê m e à toute la c o m m u - ouvrière et d'autres coopératives de production,
nauté de Mondragón ; d'autre part, la création l'École professionnelle polytechnique assure
et l'expansion ultérieure de l'école technique, à la classe ouvrière u n enseignement et une
ainsi que l'importance des dirigeants et des formation meilleurs et moins coûteux que le
m e m b r e s exerçant leurs activités dans le d o - système scolaire privé, et elle peut attirer des
maine de l'éducation5. professeurs plus qualifiés qui, bien souvent,
Les m ê m e s auteurs soutiennent aussi que la rédigent e u x - m ê m e s leurs manuels 6 . L'école a
caractéristique la plus remarquable d u projet en outre diversifié ses programmes, ses niveaux
coopératif de Mondragón réside dans son d'études et ses diplômes. Elle offre à présent :
organisation et son fonctionnement démocra- Yoficialîa o u formation professionnelle I, qui
tiques, qu'illustrent bien les traits suivants : comprend deux années d'études après les huit
a) le fonctionnement de chaque entreprise est années d'enseignement général élémentaire et
assuré par un personnel qui en est propriétaire ; qui est sanctionnée par Yoficial (travailleur
b) les travailleurs participent aux décisions qualifié) ; la maestria, o u formation profes-
concernant la production, l'organisation et la sionnelle II, qui dure deux ou trois ans après
politique générale (dans les plus grandes entre- Yoficialîa ou après le baccalauréat et confère
prises par l'intermédiaire de conseils et d'assem- le brevet d e maestro industrial (technicien,
blées) ; c) les produits d u travail (gains) sont contremaître, agent de maîtrise) ; la formation
répartis suivant un barème professionnel qui va d'ingénieur, qui comprend deux années après
d'une à trois fois (au m a x i m u m ) le revenu de la maestria o u trois après le baccalauréat et
base dans une coopérative donnée ; d) la parti- confère le diplôme d'ingeniero técnico (ingénieur
cipation au capital social d'une entreprise dé- technicien). O n trouvera dans le tableau 1 des
terminée est limitée pour chaque m e m b r e données de base sur les effectifs d'étudiants et
d'une coopérative à 5 % d u total ; e) la partici- les disciplines enseignées pour certaines années.
pation aux bénéfices est fonction d u niveau de Pour permettre à ses élèves d'apprendre et de
l'intéressé dans la hiérarchie des emplois, et s'exercer à utiliser des machines, l'école a créé
non de sa participation au capital (qui lui des ateliers. D a n s les années soixante, à l'époque
rapporte toutefois u n intérêt, prélevé sur les où le Projet coopératif de M o n d r a g ó n connais-
bénéfices, de 6 %, voire davantage si les béné- sait u n grand essor, les élèves ont c o m m e n c é à
fices sont suffisants), et une réserve importante se servir de temps à autre des machines de
a été créée pour financer l'expansion des entre- l'école (sous le contrôle de professeurs) pour
prises et les services rendus à la collectivité. Il fabriquer des pièces détachées à l'intention
est largement reconnu que l'expérience coopé- d'autres coopératives. E n 1966, pratiquement
rative de Mondragón a su allier des productions au m o m e n t de l'inauguration d'un nouveau
et une technologie de haut niveau à u n m o d e bâtiment, ils ont c o m m e n c é à travailler sur d u
démocratique d'organisation d u travail et de matériel neuf c o m m a n d é par d'autres coopé-
répartition de la richesse. C e sont ces traits ratives. U n e nouvelle coopérative, Alecoop
dominants et les caractéristiques de la société (Actividad Laboral Escolar Cooperativa), s'est
espagnole en général qui constituent le cadre bientôt constituée. D a n s le cadre du programme
contradictoire dans lequel fonctionne l'école d'études, elle a permis aux élèves préparant la
professionnelle polytechnique. maestria et le diplôme d'ingénieur de c o m m e n -
cer à travailler pour payer leur pension et leurs
frais de scolarité. L e développement des coopé-
ratives et de l'école a a m e n é en 1972 à détacher
5o8 Carlos Órnelas

Effectifs étudiants de l'EPP m o d e de fonctionnement analogue à celui d'une


pour certaines années
coopérative industrielle; b) à travers l'ensei-
gnement dispensé dans le cadre de son pro-
1952/53 1966/67 1978/79"
g r a m m e d'études ; c) grâce à l'orientation des
Oficialía élèves vers les coopératives par l'intermédiaire
(formation professionnelle I) 100 609 516 d'Alecoop, fonction q u e l'école remplit en
Maestria combinant l'enseignement de type classique
(formation professionnelle II) 26 312 400 avec u n travail coopératif productif qui est
Peritaje industrial rémunéré.
(formation d'ingénieur) 44 110 237
TOTAL 170 1031 1 153

Disciplines
Modes de fonctionnement
enseignées
1952/53 1966/67 1978/79
C o m m e dans les coopératives de production,
Mécanique Mécanique Mécanique c'est l'assemblée générale qui est l'instance
Électricité Électricité Électricité suprême dans les coopératives éducatives d u
Fonte des métaux Dessin industriel groupe et à l'École professionnelle polytech-
Dessin industriel Électronique nique. Elle se compose de la totalité des m e m -
Chimie
bres et les décisions sont prises à la majorité
Source : Rapport non publié, EPP, 1966/67. simple. Les principales fonctions de l'assemblée
a. Données recueillies par Carlos Omelas dans les Archives générale sont : prévoir les augmentations ou les
officielles de l'EPP en novembre 1978.
réductions de capital ; demander à l'adminis-
tration des éclaircissements sur les comptes ;
Alecoop, juridiquement et matériellement, de modifier les statuts et règlements ; décider la
l'école pour en faire u n e autre coopérative d u fusion avec d'autres coopératives ou la liqui-
groupe. Elle produit désormais des éléments dation de la coopérative. L'assemblée générale
et des pièces détachées pour les autres coopé- élit douze membres de la Junta Rectora, qui se
ratives, ainsi que des matériels éducatifs concer- compose de représentants du corps enseignant
nant l'électricité et l'électronique, qui sont et des autres employés de l'école, ainsi que de
vendus dans toute l'Europe. Avec A u z u Lagun, représentants d'autres entreprises. L e président
Alecoop fournit, en outre, du personnel tempo- de la Junta Rectora de l'École professionnelle
raire aux autres coopératives du groupe, activité polytechnique est également président de la
qui a l'avantage de permettre aux élèves de Ligue de la culture et de l'éducation.
l'école faisant partie d'Alecoop de se fami- La Junta Rectora de l'École professionnelle
liariser avec u n grand nombre de tâches et polytechnique est l'organe directeur de l'école.
de fonctions suivant la division d u travail Elle dispose de tous les pouvoirs en ce qui
pratiquée dans le cadre du Projet coopératif de concerne : l'admission de nouveaux membres ;
Mondragón. C'est là u n élément très important la nomination d u directeur de l'école et des di-
dans l'optique marxiste, où l'apprentissage de recteurs des différents départements ; l'étude de
plusieurs activités productives est considéré nouveaux règlements et statuts à soumettre à
c o m m e u n processus désaliénant. l'assemblée générale pour examen ; l'étude et
L e rôle de premier plan assigné à l'école la mise au point de plans concernant les ques-
dans le cadre duProjet coopératif de Mondragón tions financières, pédagogiques, techniques et
est de former de la main-d'œuvre qualifiée sociales de l'école ; les décisions concernant
pour le secteur industriel des coopératives, l'achat ou la vente de biens ou de matériel tech-
mais elle prépare aussi les étudiants à s'intégrer nique ; l'approbation de toutes les dispositions
dans le système de production capitaliste. financières ; la radiation ou la suspension tem-
L'école s'acquitte de cette mission : a) par u n poraire de certains m e m b r e s et, en général,
Production coopérative et enseignement technique au Pays basque 509

toutes les autres affaires importantes de l'école.


L a Junta Rectora se réunit normalement une
Le programme d'études
fois par mois, mais peut se réunir aussi souvent
que nécessaire si des problèmes surgissent. Il est impossible, dans le cadre de cet ar-
Les activités de la Junta Rectora, surtout en ticle, de présenter une analyse approfondie d u
matièrefinancière,sont contrôlées par un conseil programme d'études de l'École professionnelle
de surveillance dont les trois membres sont polytechnique. Toutefois, il n'est pas inutile de
élus par l'assemblée générale. L ' u n des m e m b r e s donner u n aperçu de ses principales caractéris-
de cet organe est obligatoirement u n représen- tiques en partant des trois éléments retenus
tant des étudiants. dans l'interprétation marxienne de l'éducation
C o m m e les coopératives de production d u évoquée au début d u présent article. Pour ex-
groupe, l'école comprend u n conseil social, dont pliquer c o m m e n t se déroule effectivement l'ap-
les fonctions sont de conseiller tant la Junta Rec- prentissage des étudiants, il est nécessaire,
tora que le directeur sur les questions concer- au préalable, d'indiquer dans ses grandes
nant lesfluctuationsdu capital social, les droits lignes notre conception des processus d'inter-
d'inscription, le recrutement des enseignants action, de perception, d'orientation et d'appro-
et des élèves, et, en général, toutes les questions priation.
concernant les activités sociales de l'école. Les Selon Oilman 7 , les rapports que l ' h o m m e
membres du conseil social sont tenus de pré- entretient avec la nature à travers la production
senter des rapports périodiques à leurs m a n - naissent de l'usage de ses sens et de ses facultés,
dants sur les affaires de l'école. L e conseil social tant naturelles que propres à l'espèce. Les
se compose de représentants des parents d'élè- facultés et les besoins naturels sont ceux que
ves, des enseignants et des étudiants. Les repré- l ' h o m m e partage avec tous les organismes vi-
sentants des étudiants sont au nombre de vants. Les facultés propres à l'espèce sont celles
trente-six, dont trois élus pour faire partie de la que lui seul possède (par exemple, celle de créer
Junta Rectora de l'école. Les étudiants qui une culture, d'enregistrer l'histoire ou de fa-
siègent à ces organes ont les m ê m e s droits et briquer des instruments de travail). Les re-
devoirs que leurs autres membres. L'école c o m - lations entre les facultés de l ' h o m m e et le
prend aussi un conseil pédagogique composé de m o n d e sont le fruit de quatre processus inter-
membres d u corps enseignant et des directeurs dépendants, à savoir l'interaction, la perception,
de département. Il a pour fonctions de conseiller l'orientation et l'appropriation. L'interaction
le directeur sur la ligne à suivre pour améliorer est le contact immédiat de l ' h o m m e avec la
l'enseignement et d'évaluer périodiquement les nature, qu'il soit conscient ou non. L a percep-
résultats obtenus par l'école. Mais le direc- tion est le contact que l ' h o m m e établit avec la
teur est responsable devant la Junta Rectora nature par l'intermédiaire de ses sens. L'orien-
des questions pédagogiques et administratives, tation est liée à la manière dont l ' h o m m e per-
c o m m e l'indique la figure 1. çoit les choses et à ce qu'il saisit de leur desti-
D e cet exposé, on peut inférer que le m o d e de nation ; elle comporte la mise en place du cadre
fonctionnement de l'École professionnelle poly- dans lequel s'inscrira son action dans le m o n d e .
technique correspond aux aspects démocra- L'appropriation, c'est l'interaction de nos sens
tiques des coopératives de production d u sys- et de la nature dans laquelle les facultés en jeu
tème coopératif de Mondragón présentés plus se servent de la nature avec laquelle elles en-
haut. Dans ce contexte, ce sont l'enseignement trent en contact à leurs propres fins. L'appro-
des matières d u programme, le travail des étu- priation renvoie à la conscience des facultés
diants et la combinaison des études avec le d'autrui. Elle désigne aussi le fait d'utiliser d'une
travail productif qui déterminent ce que les manière constructive, en intégrant l'essence.
élèves apprennent effectivement. Dans ces processus interdépendants, l'activité,
ou plus particulièrement l'activité productive,
510 Carlos Órnelas

Organigramme de l'École professionnelle polytechnique

élit

détermine la politique générale


de l'EPP, élit et renvoie
les m e m b r e s de la

conseille

supervise
—*_ I Junta Rectora

n o m m e et
révoque conseille

élisent
l
conseille 1 Directeur I

Affaires pédagogiques }-»— responsable des >-f Affaires administratives


élit

Corps enseignant I / \
V / ( Étudiants )

est le principal m o y e n par lequel l ' h o m m e L a pierre angulaire de ce processus intégré


s'approprie les objets naturels. devrait être l'activité productive. D a n s ce cadre,
Ces processus ne peuvent pas se comprendre l'activité est l'interaction de l ' h o m m e et de la
isolément, il faut qu'ils soient intégrés à u n nature mettant e n jeu les sens et l'esprit, le
ensemble plus vaste englobant apprendre, faire, processus vivant d'objectivation de ces facultés
travailler (activité productive) et créer. C'est dans la nature. Mais l'activité qui sert à satis-
la seule manière pour l ' h o m m e de pouvoir faire aux exigences matérielles de la vie est plus
s'approprier la totalité de son essence, c'est-à- nécessaire et plus difficile que l'activité ordi-
dire être u n individu pleinement développé. naire. C'est l'activité productive, celle qui pro-
Production coopérative et enseignement technique au Pays basque 51

duit des valeurs d'usage. C o m m e les sens et les pagne, gymnastique et formation de l'esprit
facultés de chacun y sont tous mis à contribu- national (cours destiné à instiller aux élèves
tion, cette activité nécessite u n dessein, un effort, l'idéologie d u franquisme). Si tous les pro-
une compétence, des aptitudes et de la concen- grammes techniques d u plan d'études compre-
tration. Aucun autre type d'activité n'exige naient des mathématiques, de la physique et de
autant. Il s'agit de savoir comment l ' h o m m e la chimie, le contenu des autres cours variait
peut mettre au point u n processus d'apprentis- suivant la spécialité. E n revanche, les pro-
sage en vue d'atteindre ce but, ou inventer une grammes d'économie domestique, spécialement
institution qui lui permette d'être mieux en conçus à l'intention des femmes, comprenaient
accord avec la nature et la société. Selon nous, notamment des cours d'enseignement m é n a -
le type d'enseignement technique pratiqué à ger, de puériculture, de cuisine et de prépara-
l'École professionnelle polytechnique contribue tion au mariage. Bien que nous ne disposions
à la réalisation de ces objectifs, m ê m e si c'est pas de statistiques pertinentes, en raison de la
de manière partielle et contradictoire. situation économique et politique de l'Espagne
L'exercice physique tel que M a r x le conçoit à cette époque, il y a lieu de penser que peu
fait partie du programme des études de l'école. de femmes avaient accès à l'éducation au-
D e nombreuses compétitions d'amateurs sont delà de l'école élémentaire, à plus forte raison
organisées périodiquement entre enseignants et si elles étaient issues de la classe ouvrière.
étudiants. C'est important, car les activités col- E n 1966/67, les programmes d'enseignement
lectives développent chez eux l'esprit de coopé- ménager avaient discrètement disparu et les
ration et de solidarité entre étudiants et ensei- femmes avaient été intégrées dans d'autres dis-
gnants. Elles font appel aux sens et aux facultés ciplines. Beaucoup avaient c o m m e n c é à travail-
naturelles qui permettent à l ' h o m m e de per- ler c o m m e coopératrices à Alecoop, ce qui veut
cevoir la nature, d'agir sur elle et d'y réagir. dire que les conditions de l'appropriation de
Elles font également intervenir certaines fa- l'essence de leur travail avaient été créées.
cultés propres à l'espèce, l'intelligence d u but E n 1978, le plan d'études était devenu très
et de la logique du jeu. Enfin, elles comportent élaboré. Il comprenait des cours de thermody-
aussi une orientation dans la mesure où il faut namique, d'organisation industrielle et de théo-
mettre en place u n cadre d'action. rie des circuits, d'économie de l'entreprise et
L'aménagement d u programme des études a autres sujets d u m ê m e genre. Ces cours sont
porté à la fois sur l'augmentation d u nombre désormais dispensés par des professeurs qui ont
des cours et sur leur perfectionnement. Il suffit, fait des études supérieures avancées, alors que
pour s'en assurer, de comparer les programmes dans les premières années « . . . les enseignants
de l'époque où l'école ne préparait qu'à Y oficialía avaient plus d'enthousiasme que de connais-
et à la maestria avec la formation de personnel sances. Toutefois, ils étaient en mesure de
scientifique et d'ingénieur dispensée actuelle- mettre sur pied des cours à partir de rien, sans
ment (voir tableau 1). E n 1955/56, époque à disposer de bons manuels scolaires mais forts
laquelle l'école avait déjà dépassé le stade cri- d'un sens élevé des responsabilités et de leur foi
8
tique de la création et de la consolidation et où en l'avenir » . E n outre, au sein m ê m e de l'école,
certains de ses anciens élèves avaient m ê m e le centre de formation permanente offre aux
déjà été reçus ingénieurs techniciens certifiés coopérateurs des cours dans le cadre de pro-
{peritos industriales) par l'Université de Sara- grammes de perfectionnement dans certaines
gosse, le plan d'études comprenait quatre pro- matières. Ces éléments démontrent suffisamment
grammes : mécanique, électricité, chimie et qu'à l'École professionnelle polytechnique on
économie domestique, qui, pendant quatre ou accorde toute la place qui lui revient à la conti-
cinq années, avaient u n tronc c o m m u n compre- nuité de la formation intellectuelle, et donc au
nant morale et instruction religieuse, grammaire développement intellectuel. C'est donc une étape
et composition, géographie et histoire de l'Es- de plus dans la voie de l'appropriation d u savoir.
512 Carlos Órnelas

technique, théorique et pratique, qui va des


Études et travail productif rudiments aux problèmes les plus compliqués.
D a n s ce processus complexe et diversifié, les
Seule la moitié environ des étudiants préparant étudiants se servent de leurs sens et de leur ap-
la maestria et le diplôme d'ingénieur participe titude à la coordination pour manipuler les
à des activités productives à Alecoop. Certes, instruments de travail et les machines perfec-
les autres fournissent u n travail physique in- tionnées ; ils perçoivent physiquement la nature
tense en s'exerçant au maniement des machines, en général et la nature de leur travail. Avec les
mais ils ne produisent pas de biens et de ser- professeurs, ils décident du m o d e d'organisation
vices pour la satisfaction des besoins humains. du travail, commencent à orienter leurs activités
N o u s considérons qu'ils ne s'approprient pas la et arrêtent les conditions qu'exige leur travail
véritable essence d u processus de travail. E n en coopération. L'essence tout entière d u pro-
d'autres termes, ils ne participent que partiel- cessus de travail est subsumée dans la concep-
lement au processus apprendre-faire-travailler. tion des tâches et le contrôle des opérations qui
Il n'empêche que, si les études sont intégrées nécessitent des recherches et des études appro-
à l'activité productive ou l'inverse, l'école et le fondies, l'utilisation des connaissances et de
lieu de travail déterminent tous deux pour les l'expérience acquises précédemment. D e la
étudiants et les enseignants le cadre dans lequel sorte, étudiants et enseignants « captent » l'es-
ils peuvent exercer leurs facultés naturelles et sence de l'acte de production.
celles qui sont propres à l'espèce pour ap- Cela ne signifie pas pour autant que ces pro-
prendre, faire, travailler et créer des valeurs cessus fonctionnent sans heurts. L a contradic-
d'usage. Il y a plus de chances qu'il en aille tion fondamentale que comporte la combinaison
effectivement ainsi si le travail productif est du travail productif avec les études pratiquées
effectué dans u n cadre coopératif c o m m e celui à l'École polytechnique professionnelle et à
d'Alecoop, qui reproduit constamment des va- Alecoop réside dans le fait que ces institu-
leurs et des attitudes positives à l'égard d u tions produisent surtout des valeurs d'échange,
travail collectif. D a n s ce cadre, l'appropriation c'est-à-dire destinées à u n marché capitaliste.
des objets et d u savoir se révèle beaucoup plus Cet élément nuit à la réalisation d u processus
complète. Les élèves de l'école, qu'ils soient ou intégral d'appropriation d u savoir parce que
non m e m b r e s d'Alecoop, utilisent à la fois leur l'acte m ê m e qui consiste à dissocier le produit
corps et leur cerveau dans leur pratique et leurs du producteur est la cause profonde de l'alié-
activités scolaires. Il n'en reste pas moins que nation de l ' h o m m e . Outre cette contradiction
ceux qui font partie d'Alecoop exercent leurs majeure, il y en a d'autres qui résultent des rela-
facultés physiques et mentales en vue de la tions existant entre les coopératives de produc-
production. A l'école, ils suivent les cours ré- tion et l'École polytechnique professionnelle,
gulièrement inscrits au programme ; à la coopé- au premier rang desquelles figurent les liens
rative, ils occupent toute sorte d'emplois, depuis étroits qui unissent les dirigeants de la Banque
celui de gardien jusqu'à celui d'assistant ingé- populaire ouvrière, des autres coopératives et
nieur, et participent en outre au processus de de l'école, alors m ê m e que les rapports entre le
production sous de multiples formes. Ils chan- programme des études de l'école et les activités
gent d'emploi par roulement, participent à la des coopératives de production sont très lâches.
conception et au fonctionnement des installa- D e plus, il y a très certainement conflit entre la
tions, à la création et à la consolidation des tendance à l'évolution (création et adaptation
équipes de travail, à d'autres activités qui de- de technologies et de modes de travail nouveaux)
mandent à la fois expérience et réflexion. D e des coopératives de production et l'inertie pro-
plus, on l'a vu, ils prennent une part active à la pre à l'enseignement.
vie politique de la coopérative. Enfin, tant à
l'école qu'à Alecoop, ils reçoivent une formation Néanmoins, on peut résoudre ces contradic-
tions secondaires (et l'on y parvient effective-
Production coopérative et enseignement technique au Pays basque 51

ment) en faisant participer les jeunes aux acti- 4. Q . G A R C I A , Les coopératives industrielles de Mondragón,
Paris, les Éditions ouvrières, 1970.
vités concrètes menées à Alecoop. Ceux qui
5. D e nombreux auteurs partagent ces idées, entre autres
passent quatre o u cinq heures par jour à A . C A M P B E L L et F . B L A I R , The Mondragón movement:
Alecoop apprennent progressivement à maîtri- ownership in modern industry, Londres, Industrial
ser le fonctionnement de la technologie, les C o m m o n Ownership M o v e m e n t , 1974 ; A . C A M P B E L L
modes de travail et de nombreux types d'acti- et al., Worker-owners: the Mondragón achievement,
the Caja Laboral Popular and the Co-operatives in the
vité qui les préparent à devenir extrêmement
Basque provinces of Spain, Londres, Fondation anglo-
productifs après leurs études. Et, surtout, la plu- allemande pour l'étude de la société industrielle, 1977 ;
part d'entre eux sont progressivement intégrés A . G U T I É R R E Z J O H N S O N , « Cooperatives and justice:
dans le système de production des coopératives9. a study and cross-cultural comparison of preference
E n résumé, nous ne saurions affirmer que l'École for forms of equity a m o n g Basque students of a coop-
erative school-factory » (Les coopératives et la justice :
professionnelle polytechnique est le théâtre d'un
étude et comparaison transculturelle des formes d'équité
processus complet d'apprentissage, de travail préférées par les étudiants basques d'une fabrique-
et de création, car le déroulement de celui-ci école coopérative), thèse de maîtrise es sciences non
est nécessairement entravé par la société qui publiée, Cornell University, 1976 ; A . G U T I É R R E Z
JOHNSON et W . FOOTE WHYTE, « The Mondragón
l'entoure et par ses propres contradictions in-
system of worker production cooperatives », Industrial
ternes. Néanmoins, v u le m o d e démocratique
and labor relations review, vol. X X X I , n° 1, oct. 1977,
de fonctionnement des coopératives et de l'école, p. 18-30 ; R . F I S H E R , « El complejo cooperativo de
la pratique encore jeune d ' u n enseignement Mondragón: estudio] empírico de un sistema social »
technique (gymnastique, formation intellec- (Le réseau coopératif de Mondragón : étude empirique
tuelle et formation technique) combiné avec le d'un système social), Santiago du Chili, Universidad
Católica de Chile, Centre d'études coopératives, m é -
travail productif rémunéré, on peut dire que
moire polycopié, 1975 ; G O R R O Ñ O I Ñ A K I , Experiencia
l'École professionnelle polytechnique de M o n - cooperativa en el Pais Vasco, Durango, Vizcaya, L e o -
dragón est en passe de franchir une étape i m - poldo Zugaza, 1977 ; R . O A K S H O T T , The case for worker
portante sur la voie d'une appropriation effec- co-operatives, Londres, Routledge and Kegan Paul,
tive d u savoir. Dans ce cadre, les étudiants qui I97 8 ; J- T E R C E R O A L F O N S E T T I , « El complejo coopera-
tivo industrial de Mondragón », Comunidades, n° 3,
sont membres d'Alecoop créent les conditions
sept.-déc. 1966, p. 119-152 ; Q . G A R C I A , op. cit.
nécessaires pour devenir des personnes pleine- 6. A l'époque où l'école fut fondée, il était impensable
ment développées. • que l'État fournisse une subvention à une école profes-
sionnelle, étant donné les conditions économiques et
politiques qui régnaient alors. E n outre, les Basques
n'aiment pas les écoles publiques espagnoles parce
qu'elles sont directement contrôlées par Madrid :
« M ê m e la classe ouvrière fait des sacrifices pour envoyer
ses enfants dans les écoles catholiques privées » (entre-
Notes tien avec Gabriel Mendizabal, 24 septembre 1978).
7. L'exposé qui suit doit beaucoup à B . O L L M A N , Alien-
1. K . M A R X , « Instructions pour les délégués du Conseil ation: Marx's conception\of man in capitalist society,
général provisoire », dans : S. K . P A D O V E R (dir. publ.), 2° éd., N e w York, Cambridge University Press, 1976,
Karl Marx on the First International, p . 27, N e w York, et surtout à la deuxième partie de cet ouvrage.
, W . W . Norton et¡Co.,Inc, 1972. 8. Interview de José Maria Mendizabal d u 9 décem-
2. K . M A R X , Le capital — Critique de l'économie politique, bre 1978. C e point a également été confirmé lors de
édité par F . E N G E L S , dans : Œuvres de Karl M A R X , 1.1, nombreux entretiens avec d'anciens et de nouveaux
p. 833 et 834, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, N R F , membres du corps enseignant.
Gallimard, 1965. 9. N o s entretiens avec des directeurs de fabrique et des
3. C . Ó R N E L A S , « T h e producer cooperatives of Mondragón professeurs de l'École polytechnique professionnelle
and the combination of study with productive labor », nous ont appris qu'un pourcentage important des
Education with production review, vol. I, n° I, Botswana, membres d'Alecoop vont ensuite travailler c o m m e
1981. Les données]Jrequises pourjle présent article coopérateurs dans d'autres entreprises d u réseau.
ont été recueillies de juillet à décembre 1978. Il ne m e
paraît pas nécessaire de donner des références détaillées
en ce qui concerne les documents de l'École profession-
nelle polytechnique.
Education
et travail productif
en Guinée
Amara Fofana

E n août 1959 fut entamée en Guinée la réforme avec l'ancien système colonial d'enseignement.
devant ramener l'école au niveau d u peuple « L'école dans la vie » correspond à la phase
afin qu'elle devienne non plus uniquement u n qui voit la participation des écoles (devenues
instrument de communication d u savoir, mais toutes centres d'éducation révolutionnaire —
qu'elle éduque au-delà du simple enseignement. C E R ) dans le processus de l'éducation et du
Les nouveaux programmes accordèrent une développement national. « L'école pour la vie »
plus grande place aux réalités et aux préoc- est une phase à venir, au cours de laquelle
cupations locales, nationales et africaines. L'école l'école devra créer les conditions fondamentales
étant désormais liée à la vie, elle s'intégrait de pour surmonter les contradictions au sein de la
ce fait au développement global de la nation. société, d'une part, et pour la réalisation des
A partir de ce m o m e n t , l'un des principes de buts politiques, économiques, sociaux et tech-
base de la réforme a été effectivement mis en nologiques, d'autre part. Ces trois étapes du
application : la liaison de l'école à la vie. L'en- système éducatif guiñeen impliquent toutes que
seignement ne doit pas se faire en vase clos, l'éducation doit être conçue et pratiquée en
mais déboucher directement sur la compréhen- rapport avec les préoccupations de la société
sion d u m o n d e , sur la connaissance de la dans laquelle le jeune vit. Pour la Guinée,
société et sur la transformation de la nature. l'éducation véritable prend appui sur le réel
vécu.
L e travail productif des élèves est l'élément
U n e option fondamentale essentiel de cette liaison de l'école à la vie.
D e m ê m e , la production agro-pastorale, arti-
L e Parti démocratique de Guinée ( P D G ) a sanale, industrielle est devenue u n élément
défini à plusieurs reprises les différentes étapes essentiel de la formation de la jeunesse. D è s
de la liaison de l'école à la vie. « L'école vers l'origine, la nouvelle école guinéenne s'est fixé
la vie », conçue au lendemain de la proclamation pour mission de former et d'éduquer puis
de l'indépendance, signifiait déjà la rupture d'inclure dans ses activités le travail de produc-
tion sous son double aspect éducatif et éco-
nomique.
L e rôle de l'école guinéenne est donc d'abord
A m a r a Fofana (République de Guinée). Professeur de
de former des producteurs compétents, armés
psychopédagogie à l'Université, directeur général de
l'Institut pédagogique national. Ancien inspecteur d'aca-
d'une ardente conscience révolutionnaire et
démie. Actuellement détaché à ¡'Unesco à la Division des dont la pensée reste mobilisée par la nécessité
structures, contenus, méthodes et techniques de l'édu- de créer tous les biens matériels et spirituels
cation. nécessaires à l'équilibre du peuple guiñeen.

Perspectives, vol.XII, n° 4, 1982


5i6 Amara Fofana

D e ce fait, le centre d'éducation révolutionnaire et d u savoir-faire. U n tel objectif assigné au


( C E R ) est tout à la fois u n centre de propaga- système scolaire exige une réforme radicale
tion de la science, de la technique, de la tech- des contenus de l'éducation. Fondés sur la
nologie et une unité de production. conciliation des exigences d u développement
Sur le plan pratique, l'éducation se fait au économique et social du pays et du dévelop-
contact de la vie, de la pratique productive, le pement complet de la personnalité, les nou-
travail se révélant c o m m e le m o d e privilégié veaux programmes visent une formation poly-
de l'acquisition de la science et de la technique. valente des élèves, de sorte que le contenu de
U n e telle démarche permet, le m o m e n t venu, l'enseignement tant général que professionnel
de renouveler le contenu et les méthodes d'en- est conditionné par les impératifs d u dévelop-
seignement à partir de l'activité créatrice consi- pement économique et d u progrès social.
dérée, dès lors, c o m m e u n facteur de dynami- C e rôle de formation se complète par le rôle
sation de la pédagogie et u n vecteur du savoir de production des richesses indispensables au

Structure de l'enseignement en République populaire révolutionnaire de Guinée


Éducation et travail productif en Guinée SI?

bien-être social, la production tenant une place Ainsi, chaque C E R comporte u n des profils
de choix dans les programmes de formation suivants : le profil agro-pastoral, le profil génie
de la jeunesse. civil, le profil mécanique et le profil maritime.
Les raisons qui ont motivé l'introduction L e profil agro-pastoral (agriculture, élevage,
du travail productif à l'école sont multiples. pêche, artisanat) est le plus important des C E R ;
Pour faire échec à l'exode rural, qui prive il englobe la majorité des élèves d u secondaire
les campagnes des forces productives néces- et 75 % des étudiants de l'enseignement supé-
saires à leur développement, l'État guiñeen a rieur. L a raison en est que l'agriculture est la
implanté des C E R de premier cycle dans chaque base d u développement d u pays puisque 85 %
village, des C E R de deuxième et troisième de la population sont des agriculteurs.
cycle dans chaque arrondissement et des C E R de L e profil génie civil (bâtiment, bois), le
quatrième cycle (faculté d'agronomie) au niveau profil mécanique et le profil maritime (méca-
des régions administratives. nique, navigation, pêche) constituent les insti-
U n e autre raison est que l'insuffisance des tuts polytechniques secondaires (IPS), qui for-
ressources des pays africains ne permet pas de ment en trois ans d'études, surtout pratiques,
faire face à la charge que représente la rétri- des ouvriers spécialisés dans les métiers d'ajus-
bution par l'État de ceux qui vont à l'école s'ils tage, de chaudronnerie, de construction méca-
devaient tous devenir des fonctionnaires salariés. nique, de mécanique générale, de menuiserie,
L'insertion dans le programme de production de maçonnerie, de navigation, de pêche, d'élec-
de près du quart des forces vives de la nation tricité, d u bâtiment, de plomberie, etc.
que constitue la jeunesse scolaire et univer- Pour chaque spécialité, le plan d'études c o m -
sitaire représente u n potentiel qu'un pays en porte les travaux pratiques (46 % ) , l'enseigne-
développement c o m m e la Guinée se devait ment technique et professionnel (28 %) et l'en-
de ne pas négliger. seignement général (26 %).
L e mépris des activités manuelles en général Quel que soit le profil, l'enseignement est
et des activités agricoles en particulier, engendré fondamentalement orienté dans le sens de la
et entretenu par l'enseignement colonial, est liaison de l'école à la vie, de la théorie à la
complètement mis en échec par l'institution- pratique. A chaque cycle et profil d'enseigne-
nalisation d u travail productif dans tous les ment correspond concrètement une forme d'ac-
degrés du système éducatif. M ê m e les élèves tivité productive ayant u n rapport avec la
et les étudiants qui ont choisi u n C E R à profil vie du village, de l'arrondissement, de la région
non agricole consacreront une partie de leur ou d u pays tout entier.
temps à l'agriculture. L e premier cycle correspond à l'enseigne-
ment primaire, qui couvre les classes de la
première à la sixième année. L'enseignement
Structure s'y fait dans les langues nationales.
L e programme de production comporte l'ini-
Pour marquer davantage la liaison des centres tiation de l'enfant aux principaux métiers et
d'éducation révolutionnaire ( C E R ) avec la vie, autres activités pratiqués dans le village : agri-
on les a répartis en profils d'enseignement dont culture, élevage, pêche, artisanat, hygiène, etc.
le but est de dispenser aux élèves des deuxième Loin d'être symbolique, cette participation a
et troisième cycles et aux étudiants de qua- u n impact concret sur la production écono-
trième cycle u n enseignement scientifique et mique, l'hygiène, l'embellissement, la vie sociale
une qualification professionnelle qui leur per- et culturelle d u village.
met, au terme de douze années d'enseignement A u niveau des C E R des deuxième et troi-
obligatoire et gratuit, soit d'entrer dans la sième cycles (établissements d'enseignement
production, soit d'accéder aux facultés d'ensei- secondaire), le profil agro-pastoral est le plus
gnement supérieur. important. Chaque C E R dispose d'un domaine
5i8 Amara Fofana

exploitable de 30 à 120 hectares. L e travail à aider la paysannerie dans ses diverses activités,
productif et l'enseignement professionnel y qui convergent toutes vers la transformation
occupent 50 % d u temps hebdomadaire de qualitative des réalités politiques, économiques,
travail, tandis que la formation théorique occupe sociales et culturelles. Cette couche sociale,
l'autre moitié. qui agit en fonction des m ê m e s objectifs et à
Sur le plan national, les C E R de tous cycles partir des m ê m e s motivations, est organisée
doivent satisfaire à des « normes de production » en pouvoir révolutionnaire local ( P R L ) , au-
arrêtées par le Conseil national de la Révolution. quel doit s'identifier toute action de trans-
Ces normes doivent être respectées pour que formation.
l'insertion de l'école dans le processus écono- E n 1975, l'Université a tenu à marquer sa
mique permette d'en faire u n secteur dyna- participation et a fermé ses portes sur l'initia-
mique de la nation. tive des étudiants eux-mêmes pour se trans-
Pour le reboisement, chaque C E R d u pre- porter à la campagne. Pendant dix mois, les
mier cycle doit reboiser u n hectare par an et étudiants ont contribué auprès des paysans non
chaque C E R des deuxième et troisième cycles seulement à l'accroissement quantitatif des pro-
doit reboiser cinq hectares par an. Chaque duits agricoles, mais aussi à asseoir solidement
année, le 30 juin est considéré c o m m e Journée les bases non matérielles de la symbiose entre
nationale d u reboisement pour l'ensemble des l'Université et le paysannat traditionnel en vue
élèves et des étudiants. de la transformation scientifique et technique
Instituée en vue de confirmer l'aptitude d u de celui-ci.
jeune venant de la douzième année, la « classe A la campagne, l'étudiant est au service d u
de treizième année » était u n véritable centre village, dont il doit améliorer les pratiques lo-
d'apprentissage, où la formation était essentiel- cales positives et éliminer les pratiques ana-
lement axée sur la maîtrise des techniques pro- chroniques, les coutumes qui compromettent
fessionnelles. L a treizième année était conçue l'évolution sociale. Il est aussi source d'ins-
de manière à accueillir plusieurs promotions de piration culturelle pour la masse paysanne.
douzième année de spécialités différentes. Elle L a structure d u pouvoir révolutionnaire local
comportait des ateliers, des laboratoires et des (PRL) offre une g a m m e variée d'interventions ;
champs d'expérimentation. Elle était assimi- cependant, l'éducation et l'alphabétisation, les
lable à une brigade de production scolaire. activités sanitaires et l'art occupent une place de
Avec la transformation des écoles profession- choix dans son action. Il aide à convaincre le
nelles supérieures en facultés d'enseignement paysan de faire scolariser tous les enfants en âge
supérieur d u premier degré, les classes de d'être scolarisés. A cet égard, il est le collabo-
treizième année furent supprimées. rateur d u maître d'école, qu'il remplace au
besoin.
Les activités agro-pastorales, qui occupent la
L'Université à la campagne majeure partie de la population guinéenne, in-
téressent naturellement l'étudiant en milieu
L e président A h m e d Sékou Touré a souvent rural. Il peut aider à trouver les engrais verts,
rappelé que « la promotion paysanne constitue préparer du fumier artificiel, recenser les plantes
la pierre angulaire de la stratégie d u dévelop- herbicides, les mauvaises herbes, dresser la
pement planifié et équilibré de la nation, l'élé- carte des sols d u P R L , identifier les facteurs
ment primordial dont le progrès général et limitant les rendements agricoles, étudier le
rapide demeure indubitablement la base fon- microclimat d u P R L et dresser u n bon calen-
damentale et le moteur déterminant de l'évo- drier agricole.
lution dynamique et harmonieuse du peuple de U n facteur important, qui limite le rende-
Guinée ». ment à la campagne, est la dégradation des sols,
L e rôle de l'étudiant à la campagne consiste dégradation causée par la pratique illicite de
Éducation et travail productif en Guinée

techniques culturales rétrogrades. A cela, ajou- 17 motopompes, 20 motoculteurs, 12 000 pelles,


tons la pratique des feux de brousse, la culture 10 000 houes, 28 500 coupe-coupe. L a valeur
désordonnée sur les collines, la deforestation estimée de ces moyens de production est d'en-
des sommets élevés et le long des cours d'eau. viron 777 832 181 francs C F A .
L a présence de l'étudiant à la campagne met Les moyens des instituts polytechniques se-
fin à toutes ces pratiques. condaires (IPS) comprennent une infrastructure
Aider le paysan à pratiquer la sélection et le d'accueil et des ateliers équipés de machines-
croisement, à établir le diagnostic des maladies outils. L'action diversifiée de ces C E R spécia-
animales, à construire des parcs collectifs afin lisés se manifeste dans les domaines suivants :
de stabiliser les éleveurs fait partie d u rôle de construction de bâtiments, installations élec-
l'étudiant pendant ces dix mois. Il peut, enfin, triques, adduction d'eau, fabrication d'armoires
intervenir dans tous les corps de métier pour et de tables-bancs, réparation de moteurs, usi-
élever le niveau de qualification professionnelle nage de pièces pour le dépannage des engins
des travailleurs. L e onzième Congrès d u parti agricoles, etc.
a assigné une nouvelle tâche à l'Université Pour assurer le bon encadrement des C E R ,
guinéenne : les premier et second degrés d u on a pensé, bien avant la création de ces éta-
cycle d'études de l'enseignement supérieur sont blissements, à la formation d'un personnel spé-
désormais suivis, chacun, d'une année de for- cialisé dans des institutions conçues dans ce
mation civique consacrée à l'intervention dans dessein. Dans le domaine agricole, l'évolution
les fermes agro-pastorales d'arrondissement s'est effectuée à partir des écoles normales
(FAPA). rurales ( E N R ) et des écoles nationales d'agri-
Ainsi, n'ayant presque jamais rompu les at- culture ( E N A ) , tandis que, dans le domaine
taches avec le m o n d e rural, les étudiants n'ont industriel et technique, la formation des institu-
aucune peine à y retourner et y vivre au terme teurs techniques était assurée par l'École natio-
de leurs études. nale des arts et métiers ( E N A M ) et l'École
nationale des beaux-arts. Depuis trois ans, et
grâce à la transformation de ces écoles en fa-
Ressources matérielles cultés, les contrôleurs de travaux agricoles
( C T A ) , les ingénieurs agronomes, les aides-
N o u s avons indiqué plus haut qu'au niveau de ingénieurs techniciens et les ingénieurs sortent
chaque village, arrondissement, région et des facultés d'agronomie, d'ingénieurs, de m é -
à l'échelle nationale on avait créé u n C E R decine vétérinaire, de zootechnie, etc.
des premier, deuxième et troisième cycles, A u corps professoral d u C E R s'ajoutent des
ainsi qu'un quatrième cycle (faculté d'agrono- enseignants venus de différents services et sec-
mie). Ainsi, la pratique d u travail productif teurs de production : administrateurs, écono-
s'est généralisée, notamment dans les zones mistes, vétérinaires, ingénieurs, etc.
rurales. D u point de vue pratique, la répartition d u
Pour soutenir l'action productive des C E R , temps hebdomadaire entre la formation géné-
le gouvernement a mis à leur disposition d'im- rale, la formation professionnelle et le travail
portants moyens humains et matériels. productif s'établit c o m m e suit :
E n fait de moyens matériels, et dans le profil
agro-pastoral, il s'agit de machines agricoles Enseignement Enseignement
(charrues, tracteurs, motopompes, motocul- Cycles général professionnel Production

teurs), de petit outillage individuel, de matériel % % %


d'équipement, de cheptel et, naturellement, Ier 70 20 10
de terres cultivables... Par exemple, de 1968 2 e 50 30 20
à 1978, le gouvernement a fourni aux C E R 3 e 40 30 30
e
des deuxième et troisième cycles 204 tracteurs, 4 30 30 40
520 Amara Fqfana

Les éléments théoriques d u programme sont sanale (vannerie) avait permis une accumulation
enseignés, chaque fois que cela est possible, sur de 20 150 000 francs C F A .
le terrain m ê m e . L e va-et-vient entre le travail Dans la seule année 1978, les C E R ont mis
pratique effectué dans la ferme ou l'atelier du en valeur 3 687 hectares et produit n 984 ton-
C E R et la mise en forme théorique des notions nes de denrées de toute sorte, destinées à l'auto-
déjà acquises permet au C E R d'avoir une réelle consommation scolaire, au commerce intérieur
prise sur le milieu environnant. Le C E R est non et à l'exploitation, ce qui représente une valeur
seulement ouvert sur la vie, mais s'y trouve de 997 345 600 francs C F A .
situé. D e ce fait, l'élève a u n apport personnel
et actif, et participe à sa propre formation. Les
enseignants, les maîtres du premier cycle et les CER D U QUATRIÈME CYCLE
professeurs des deuxième, troisième et qua-
trième cycles sont mobilisés pour encadrer les Pour la seule campagne 1976/77, la valeur glo-
jeunes aux chantiers de la production et doivent bale des accumulations faites par les C E R du
donc abandonner l'attitude d'autorité pour de- quatrième cycle s'élevait à 167 503 240 francs
venir des animateurs pédagogiques. Les sémi- C F A pour quatorze facultés.
naires et les stages organisés à leur intention les Pour la campagne 1977/78, le bilan écono-
aident à y parvenir. mique des établissements d'enseignement su-
A u cours de l'année, chaque élève subit u n périeur s'élevait à 369 000 000 de francs C F A .
examen pour passer d'une classe à l'autre, outre Ainsi, u n nombre de plus en plus grand de
les épreuves d u brevet ou d u baccalauréat, et facultés parviennent aujourd'hui à financer les
reçoit une note de production correspondant à principales actions prévues dans leur plan de
l'effort qu'il a fourni dans son C E R . production. Mais, outre ce bilan financier, il
importe de souligner l'impact socioéconomique
de l'action des facultés.
Bilan des activités Certaines facultés d'agronomie ont introduit
et développé des cultures nouvelles, c o m m e le
CER DES DEUXIÈME soja et le tournesol. Toutes organisent, à l'in-
ET TROISIÈME CYCLES tention des militants des pouvoirs révolution-
naires locaux ( P R L ) , des séances d'éducation et
Chaque C E R des deuxième et troisième cycles de formation sur les techniques d'exploitation
gère deux types de budget. L e premier corres- agricole et zootechnique et sur les méthodes
pond au budget de départ, permettant le lan- de lutte contre les feux de brousse. E n retour,
cement des différentes actions (achat d'ani- ces brigades d'étudiants apprennent les tech-
m a u x de ferme, de semences, de carburant, etc.). niques agro-pastorales traditionnelles, les adap-
C e budget est une mise de fond allouée par tent à leurs actions et les développent. Il s'éta-
l'État qui permet une accumulation sous forme blit ainsi u n courant d'échange d'expériences
de second budget grâce auquel le C E R peut entre le m o n d e paysan traditionnel et le C E R .
acquérir progressivement son autonomie finan- L ' u n des mérites de cette osmose technique est
cière vis-à-vis du budget général, réalisant ainsi d'avoir permis l'implantation progressive d'une
l'objectif d'en faire une unité de production agriculture intensive permanente dans certaines
autofinancée et autogérée. régions d u pays.
A u cours de l'année 1977/78, les C E R ont La Faculté des eaux et forêts a mis au point
réalisé une accumulation nette d'un milliard une technique nouvelle dans la construction
de francs C F A . Pour la m ê m e période, le des ponts de bois, permettant la liaison perma-
cheptel dans les C E R des deuxième et troi- nente des régions voisines.
sième cycles était de 650 bovins, 71 ovins, La Faculté du génie civil, cherchant une
77 caprins et 143 porcins. L a production arti- solution appropriée au problème de l'utilisation
Éducation et travail

des matériaux locaux dans la technique de


construction de logements, a réussi à mettre au
point des agglomérés de latérite à io ou 15 %
de ciment ayant une résistance très proche des
agglomérés de ciment.
L a Faculté des sciences sociales effectue des
travaux de recherche sur les traditions orales et
artisanales en vue de la réhabilitation des
valeurs culturelles et historiques.

D'après l'expérience guinéenne, la liaison de


l'enseignement au travail productif doit être
précédée par la définition précise des objectifs
(éducatifs et économiques) où la pratique pro-
ductive est partie intégrante de la formation,
d'une part, et, d'autre part, par l'élaboration
d'un plan-cadre d u travail productif au niveau
national, ensuite au niveau des établissements
scolaires, u n plan qui tienne compte des saisons,
des forces productives et d u matériel disponible.
A u besoin, le régime des vacances pourrait être
modifié pour être adapté aux réalités nouvelles.
U n e bonne gestion des produits permet et
facilite l'accumulation ; la participation effective
de tous (y compris les enseignants) aux diffé-
rentes phases de la production constitue u n
stimulant pour les élèves et les étudiants.
Intégré dans le processus de l'éducation, le
travail productif oriente nettement la formation
vers l'activité créatrice, la maîtrise croissante
de l ' h o m m e sur le m o n d e qui l'entoure. Si
l'éducation est bien u n facteur de développe-
ment économique et social, l'enseignement doit
donc être organisé et son contenu élaboré par
référence aux objectifs de production de la
société. Mais, avant tout, l'introduction d u
travail productif dans les programmes d'ensei-
gnement doit s'effectuer dans le cadre d'un
système de réforme global qui ouvre l'école
sur la vie. H
Education
et travail productif :
la formule de B u n u m b u
Samuel J. Lebby et Jack Lutz

L'intégration de l'éducation à la vie quotidienne société aussi bien qu'aux valeurs nationales et,
figure parmi les politiques et stratégies de partant, s'efforcent d'accorder autant d'impor-
réforme de l'éducation couramment proposées, tance à la qualité qu'à la quantité.
de nos jours, dans presque tous les pays en Depuis leur accession à l'indépendance, n o m -
développement par les décideurs et les admi- bre de pays africains ont exprimé sous diverses
nistrateurs. Pour les besoins de l'analyse, formes la nécessité d'une réforme de l'éduca-
l'expression « intégration de l'éducation à la tion. Dans la plupart des cas, la réforme est
vie quotidienne » désignera ici u n système édu- centrée sur des programmes qui visent à tenir
catif qui privilégie la réalisation d'objectifs compte d u désir c o m m u n de répondre à la fois
professionnels économiques. aux exigences de la société et à celles de l'idéo-
Les recommandations de la Conférence des logie. Les réformes sont destinées à lancer des
ministres de l'éducation tenue à Lagos en 1976 projets d'éducation novateurs ayant pour objet
ont mis l'accent, entre maintes autres choses, d'améliorer la condition sociale, économique et
sur l'intégration de l'école à la vie grâce à culturelle de la population. L e plus souvent, la
1' « introduction d u travail productif c o m m e stratégie dans laquelle ces projets s'inscrivent
un des éléments de la formation de l'enfant s1. consiste à présenter, à l'intention soit des
Bien qu'elle prenne des formes différentes enseignants, soit des étudiants, des programmes
selon les pays, cette démarche a pour objet de qui insistent sur la pratique plutôt que sur la
résoudre u n problème fondamental qui les théorie et qui, autre caractéristique, offrent
concerne tous. Par le passé, on a insisté beau- toute une g a m m e d'activités éducatives tendant
coup plus sur les progrès quantitatifs que sur à intégrer la vie scolaire à la vie au sein de la
les améliorations qualitatives du système éduca- collectivité ou, d u moins, de l'environnement
tif national. Celui-ci se caractérise souvent par immédiat. Ces programmes ont souvent une
un grave problème de gaspillage des res- orientation multidimensionnelle, car on espère
sources tant humaines que matérielles. Dans en voir les bénéficiaires acquérir des c o m p é -
l'ensemble, une majorité de planificateurs et de tences tant manuelles qu'intellectuelles. Ainsi,
praticiens veulent actuellement adapter le plus ils tiennent compte du fait que les élèves ne sont
possible le système éducatif aux exigences de la pas tous appelés à poursuivre leurs études et
offrent à ceux qui les arrêteront une occasion
d'acquérir certaines compétences utiles sur le
marché de l'emploi. U n autre aspect de ces
Samuel J. Lebby (Sierra Leone). Directeur par
programmes novateurs est que la plupart
intérim de l'École normale de Bunumbu.
d'entre eux essaient d'insuffler aux intéressés
Jack Lutz (États-Unis d'Amérique). Conseiller tech-un sentiment defiertéà l'égard des activités
nique principal, Projet de Bunumbu, PNUD.

Perspectives, vol. XII, n» 4, 1982


524 Samuel J. Lebby et Jack Lutz

organisées à leur intention, de façon à progresser


un progrès de la productivité et une diversi-
vers la formation d'un esprit national et à fication de la production agricole réalisés grâce
favoriser le développement. à l'apport attendu des jeunes issus de l'école
primaire au profit du développement rural2. E n
A titre d'exemple, citons quelques-uns de ces
projets parmi les plus importants : au Bénin, outre, la ligne d'action d u plan quinquennal
le Centre d'action régionale pour le dévelop- de développement national (actuellement pro-
pement rural a pour objectif fondamental la longé de trois ans) comprenait, notamment, les
constitution d'un noyau de personnel qualifié, objectifs suivants : a) accélérer l'expansion
capable de transmettre à de jeunes agriculteursde l'enseignement primaire, plus particulière-
regroupés en associations des compétences et ment en relation avec la formation des ensei-
techniques agricoles productives ; au Burundi, gnants ; b) adapter le contenu de l'enseigne-
la réforme de l'enseignement primaire a pour ment dans toutes les branches aux besoins
but de préparer les élèves n o n seulement à économiques et sociaux d u pays ; c) élever le
niveau d'instruction tant primaire qu'extra-
l'enseignement secondaire, mais aussi au m o n d e
scolaire3.
du travail ; au Kenya, les centres polytechniques
de village assurent, au moindre coût, la forma- C'est dans le cadre des objectifs indiqués
tion des jeunes qui sortent de l'école pour ci-dessus qu'a été conçue l'idée d u projet de
répondre aux besoins et aux possibilités de B u n u m b u réalisé par le P N U D (Programme
développement en milieu rural ; de plus, en des Nations Unies pour le développement) et
Ethiopie, les centres de formation profession- PUnesco. Il s'agit d'améliorer la qualité de
nelle communautaires sont organisés en vue de l'enseignement primaire en améliorant les pro-
favoriser u n accroissement de la productivité grammes de formation des maîtres. O n espère
dans l'agriculture, l'industrie et d'autres sec-produire ainsi des enseignants capables de pro-
teurs afin d'élever le niveau de vie. C e sont là
mouvoir le changement dans les communautés
autant de cas où la liaison entre l'école et le où ils seront affectés. Aussi, quand les auteurs
« m o n d e réel » s'est au moins vu accorder le rôle
du projet en ont esquissé le premier plan de
important qu'elle devrait jouer dans le déve- travail, ils avaient en vue les trois résultats
loppement d'un pays. Dans leur principe, ces concrets suivants : a) u n programme à orien-
lignes d'action novatrices convergent en u n tation rurale pour les écoles primaires ; b) u n
point capital, à savoir que le système éducatif corps d'enseignants qualifiés pour les écoles
devrait s'attacher à la réforme en insistant parti-
rurales ; c) l'utilisation des écoles rurales c o m m e
culièrement sur l'organisation et l'utilisation centres communautaires.
du potentiel humain ainsi que sur les ressources
A la suite d'une étude de faisabilité réalisée
matérielles disponibles localement. O n peut
en décembre 1973 par une équipe de consul-
alors espérer que cette orientation conduira à
tants du P N U D et de l'Unesco, l'École normale
la satisfaction des besoins de la société et à la
de B u n u m b u a été choisie pour expérimenter
réalisation des objectifs nationaux.
ce projet pilote. Des cinq écoles normales de la
Sierra Leone, celle de B u n u m b u est la seule à
être située dans le milieu rural reculé qui est
Origine et contexte jugé idéal pour ce type d'expérience. L'éta-
du projet blissement lui-même avait été aménagé, en 1930,
par l'Église méthodiste en centre de formation
E n Sierra Leone, le gouvernement avait publié, pour les catéchistes appelés à partir, ensuite,
en 1970, u n livre blanc sur la politique de aider les congréganistes dans les nombreux
l'éducation, où il recommandait que la priorité petits villages bordant la zone c o m m u n é m e n t
soit donnée à l'enseignement primaire en vue appelée « ville de B u n u m b u ». Cette ville est
d'améliorer les conditions de vie en milieu aussi le lieu de résidence d u chef suprême, à
rural. Cette priorité devait se concrétiser par qui est confiée la surveillance des affaires admi-
Éducation et travail productif : la formule de Bunumbu 525

nistratives de l'une des diverses chefferies du tives de tous, a été entrepris dans chacun des
pays. Après l'accession à l'indépendance en 1961, vingt villages à école pilote. Aujourd'hui, chaque
l'État a repris l'établissement et l'a transformé village montre fièrement l'enceinte de sa nou-
en l'une des cinq écoles normales primaires velle école, ses salles de classe modernisées,
mentionnées plus haut. B u n u m b u est située et notamment ses « salles de classe spéciales »,
à quelque quatre cents kilomètres de la capitale, conçues principalement pour l'enseignement de
Freetown, et à soixante-quatre kilomètres de la l'économie domestique et des travaux manuels.
ville de K e n e m a , agglomération la plus proche L'enceinte et les bâtiments des écoles servent
du campus. L e réseau routier qui dessert l'école également de centres d'activités c o m m u n a u -
est insuffisant ; il n'y a pas de système de c o m - taires, pour les adultes c o m m e pour les enfants.
munications moderne, non plus que d'équi- Dans son enceinte, chaque école possède son
pements collectifs courants tels qu'hôpitaux, propre jardin, où des produits agricoles sont
bureaux de poste, centres commerciaux et ser- cultivés pour être vendus sur les marchés
vices administratifs. E n revanche, la zone qui locaux.
entoure B u n u m b u regorge de plantations de Les directeurs et les membres des c o m m i s -
cacao, de café et de riz. E n outre, les mines de sions locales de l'éducation sontfiersque leur
diamant de la Sierra Leone ne sont pas très école et leur collectivité aient été choisies pour
loin de là. Bien qu'il n'y ait pas de restrictions faire partie du réseau d'écoles pilotes. Les chefs
quant à l'origine géographique des candidats de village participent activement aux réunions
à cette école, la majorité des élèves vient des tenues par les conseils des écoles pilotes, où
environs, au sens large d u terme. D e ce fait, sont débattus les programmes et les problèmes
u n grand nombre de diplômés retournent dans scolaires et communautaires. Les directeurs
les villages qui se trouvent dans la sphère participent activement à des stages de formation
d'influence de l'école. Des enquêtes effectuées conçus spécialement à leur intention. Les écoles
précédemment dans ces villages ont révélé que, pilotes deviennent des centres de pédagogie
bien souvent, les enfants n'y poursuivaient appliquée pour les élèves-instituteurs et des
pas leurs études au-delà du primaire. C'est laboratoires où sont expérimentées les inno-
pourquoi les auteurs d u projet ont choisi vations ou suggestions relatives au projet.
B u n u m b u , terrain d'expérimentation idéal à
Après que les écoles et les villages à écoles
leurs yeux, pour tenter de réaliser une réforme
pilotes eurent été organisés, et que les écoles
de l'enseignement primaire en milieu rural.
pilotes furent devenues des foyers d'activité
U n des buts de l'expérience était d'aider les
pour les villages, les mesures projetées pour
élèves à devenir des membres productifs et
l'application d u programme éducatif lui-même
actifs de leur propre communauté rurale :
sont devenues plus faciles à prendre. L e pro-
d'où l'intégration de certains aspects de l'ensei-
g r a m m e , conçu pour intégrer l'éducation à la
gnement professionnel dans le programme géné-
vie active, nécessitait l'interaction triangulaire
ral, ce qui est inhabituel dans le primaire.
de l'école normale, de l'école primaire et de la
Les planificateurs ont choisi vingt villages collectivité. Chacun de ces trois éléments sera
situés dans u n rayon d'une trentaine de kilo- examiné en détail dans les pages qui suivent.
mètres autour d u campus de l'établissement
pour devenir des « villages à écoles pilotes »
et mettre en application les nouvelles idées Activités au niveau
projetées. Avec l'aide d u Fonds d'équipement de l'école normale
des Nations Unies, d u P N U D , d u Secours
catholique, de l'État sierra-léonien, des chefs, Dans la perspective d u projet de B u n u m b u ,
des conseils de village et des villageois eux- l'idée d'utiliser l'éducation c o m m e m o y e n
m ê m e s , u n effort concerté pour construire de d'améliorer la qualité de la vie de la population
nouvelles écoles primaires, grâce aux initia- vivant en milieu rural joue, on l'a vu, u n rôle
526 Samuel J. Lebby et Jack Lutz

capital. E n conséquence, le thème du projet des écoles normales et des écoles primaires,
est formulé ainsi : « Formation d'instituteurs unique en Afrique occidentale, aura constitué
pour les zones rurales ». C e thème présuppose une étape capitale d u plan qui vise à créer une
l'élaboration d ' u n système éducatif capable de « nouvelle race » d'enseignants.
donner aux enseignants une formation qui
exerce, sur les changements au sein de la col-
lectivité, une influence permettant aux enfants DEVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE
c o m m e aux adultes de devenir des membres ET ÉDUCATION DES ADULTES
efficaces et actifs de la société à travers des
activités productives organisées. C'est pour- Dans le cadre de leur programme de formation
quoi les élèves-instituteurs se voient proposer relatif au développement communautaire, les
un programme d'activités diversifiées, qui vont élèves-instituteurs sont censés traiter de pro-
du m o d e d'organisation d ' u n conseil c o m m u - blèmes communautaires simulés, mener des
nautaire au m o d e de sélection d u meilleur enquêtes, se charger de divers projets collectifs
emplacement pour creuser u n puits. Ils ap- destinés à améliorer l'environnement d u c a m -
prennent à mettre sur pied des coopératives de pus ou à aider les habitants de la ville de
village, à déceler les compétences locales, à B u n u m b u dans leurs efforts de développement
utiliser les ressources locales, comment fonc- communautaire. Tous les élèves-instituteurs en
tionnent les industries familiales, ce que sont stage se chargent de projets locaux de déve-
l'exploitation d'une ferme, la commercialisa- loppement communautaire. Il est intéressant
tion des produits agricoles, etc. D e plus, dans de noter que, si au départ les élèves acceptent
le cadre de la stratégie mise en œuvre en vue ces projets c o m m e des « devoirs », au bout
d'améliorer la qualité de la vie dans le village, d'un court laps de temps, ces « devoirs »
les élèves-instituteurs apprennent à déceler les deviennent des « défis à relever ». E n consé-
risques pour la santé, à créer des associations quence, de petits villages s'enorgueillissent à
parents-enseignants, à organiser des activités présent de posséder des puits, des toilettes
sociales, à améliorer les habitudes alimentaires publiques, des places de marché, autant de
et à suivre les bonnesfilièrespour se faire réalisations qui sont le fruit d u travail c o m m u n
entendre de l'administration. des élèves et de la collectivité.
C'est sur la transmission de tout ce savoir- Dans le domaine de l'éducation des adultes,
faire qu'ont porté les efforts de réforme des les élèves-instituteurs reçoivent u n enseigne-
programmes d'études exigés dans le cadre des ment théorique et pratique concernant n o n
objectifs d u projet de B u n u m b u réalisé par seulement les techniques de l'éducation des
l'Unesco. Cette réforme n'a pas totalement adultes et les principes qui sous-tendent les
r o m p u avec les matières d'enseignement tradi- programmes en la matière, mais aussi la marche
tionnelles, mais a ajouté au programme de for- à suivre pour mettre sur pied ces programmes.
mation des maîtres c o m m e à celui de l'ensei- E n conséquence, une fois en poste, les diplômés
gnement primaire une série de matières dites de B u n u m b u deviennent aussi souvent les orga-
« spéciales », telles que le développement nisateurs de l'éducation des adultes dans le
communautaire, l'éducation des adultes, la tech- village où ils enseignent.
nologie rurale, l'économie domestique, l'arti- Chaque école pilote a son « coordonnateur
sanat et l'agronomie. Aujourd'hui, tous les pour l'éducation des adultes » et, dans la plu-
élèves-instituteurs reçoivent une formation plus part des cas, c'est u n enseignant formé à
ou moins poussée dans chacune de ces m a - B u n u m b u . Les élèves-instituteurs de B u n u m b u
tières ; il en va de m ê m e des élèves de l'ensei- sont incités à organiser des conférences à l'in-
gnement primaire, ce qui est plus inhabituel. tention des membres adultes de la collectivité
A la connaissance des auteurs, l'introduction sur des questions qui les intéressent en faisant
simultanée de ces matières dans les programmes appel au concours de la population locale.
Éducation et travail productif : la formule de Bunumbu 527

AGRONOMIE TECHNOLOGIE RURALE

Dans le cas de l'agronomie, les activités des Cette matière faitj'partie des activités dites
élèves-instituteurs comprennent l'élevage de la « de développement communautaire », mais,
volaille, les productions de la ferme en général, à cause des liens qu'elle crée entre l'école
l'exploitation d'une plantation de palmiers à normale et les villages environnants, son pro-
huile et l'expérimentation en laboratoire. L'ex- g r a m m e revêt une importance accrue. Dispo-
ploitation d'une ferme et l'économie agricole sant d'un laboratoire de technologie rurale, les
font partie de leur programme général. Ces élèves-instituteurs apprennent à déceler les
cours comprennent, entre autres matières, la problèmes typiques qui entravent l'amélioration
vente locale de produits agricoles. Les élèves des conditions de vie dans le village et sont
sont aussi censés mener, dans le laboratoire ensuite libres d'expérimenter les moyens qu'ils
d'agronomie, des expériences sur les problèmes envisagent personnellement pour les résoudre.
de l'érosion, le mildiou, la bonne utilisation Toutefois, il faut que les expériences et les
des engrais et les insectes nuisibles pour les solutions mettent en œuvre les ressources lo-
cultures. Récemment, u n groupe d'élèves- cales, les matériaux locaux ou des matériaux
instituteurs s'est associé à des écoliers pour faciles à trouver, qui peuvent être recyclés en
sauver de la destruction par les insectes u n e vue d'un autre usage. Les élèves-instituteurs
plantation de riz située dans l'enceinte de sont incités, voire, au besoin, « poussés » à
l'école. Les élèves-instituteurs en stage tra- être inventifs et créatifs en improvisant le
vaillent avec les élèves d u primaire qui, dès choix des matériaux à employer dans les vil-
la première année, s'initient aux activités agri- lages environnants. A u m o m e n t de la rédac-
coles dans le cadre d u programme scolaire. tion de cet article, les élèves travaillaient à u n
projet de création d'une série de forges orga-
nisées en coopératives de village en vue d'aider
MÉTIERS D'ART ET ARTISANAT les habitants à acquérir les techniques néces-
saires pour fabriquer e u x - m ê m e s leurs propres
C e programme répond essentiellement au souci outils et instruments. Les produits finis sont
de préserver les techniques de l'artisanat local, destinés à être prêtés aux villageois selon les
souvent connues d'une seule famille, en faisant besoins locaux. L'opération a aussi pour but
découvrir aux élèves-instituteurs toute la c o m - d'accroître la production agricole et d'en abais-
plexité de ces métiers. D e temps à autre, des ser le coût.
artisans locaux sont engagés par l'école pour
enseigner leur métier aux élèves-instituteurs,
qui acquièrent ainsi des compétences en pote-
rie, tissage, travail d u bois, tressage d u rotin ÉCONOMIE DOMESTIQUE
et d u raphia. L'accent est mis sur l'utilisation
des matériaux locaux. Les objets faits par les L'introduction de l'économie domestique dans
élèves sont vendus sur les marchés locaux et les programmes de l'enseignement primaire
de nombreux meubles, pour les salles de classe n'est pas propre au projet de B u n u m b u , mais
et pour les logements d u personnel enseignant celui-ci donne la priorité au rôle des femmes
de l'école, sont fabriqués dans le cadre des dans la perspective générale de la collectivité
activités de travail du bois des élèves. L e m o b i - plutôt qu'à la gestion d u foyer. L'accent est
lier de la bibliothèque de l'école qu'ils utilisent mis sur la contribution que les femmes peuvent
est entièrement « fait maison » par eux. Les apporter au développement communautaire à
tisserands et tapissiers locaux leur ont enseigné travers le travail productif.
c o m m e n t fabriquer des métiers à tisser simples Outre l'apprentissage des éléments tradition-
et d'autres outils d'artisan. nels de l'économie domestique (gestion d u
528 Samuel J. Lebby et Jack Lutz

foyer, couture, alimentation et nutrition, par cadre des principes de base de l'enseignement
exemple), les élèves de l'école normale se voient primaire à orientation rurale. C e nouveau pro-
offrir u n enseignement dans divers autres do- g r a m m e porte sur des activités centrées autour
maines concernant toute une g a m m e d'acti- d'un grand thème pour chacune des trois années
vités, c o m m e la mise sur pied d'industries que dure la formation. E n conséquence, la
familiales, la fabrication locale de savon, la première année est consacrée à 1' a acquisition
création d ' u n centre de protection infantile et de compétences élémentaires pour l'éducation
la diversification des modes d'utilisation des communautaire », programme qui vise à la
aliments de base pour la composition des maîtrise des compétences de base en matière
m e n u s quotidiens. Les élèves sont incités à de création, d'animation et d'organisation qui
fabriquer des articles tissés, tricotés et cousus, sont nécessaires à une participation effective
des ustensiles de cuisine, et à se placer en au développement communautaire sous divers
situation de travail familial à domicile aussi bien aspects. L a deuxième année m e t l'accent sur
réelle que simulée. E n ce qui concerne les 1' « acquisition de connaissances de fond pour
centres de protection infantile, les élèves ap- l'éducation communautaire ». Il s'agit, pour les
prennent non seulement c o m m e n t fonctionnent stagiaires, d'apprendre à la fois à organiser et à
ces établissements, mais aussi comment ils acquérir u n savoir sur les sujets voulus. Enfin,
peuvent contribuer à accroître la production la troisième année concerne 1' « acquisition de
locale. Grâce à une subvention spéciale de compétences professionnelles pour l'éducation
l'Unesco, les élèves-institutrices ont récemment communautaire ». Cette année-là assure aux
m e n é une expérience de sessions de formation futurs enseignants les compétences nécessaires
de villageoises sur la façon de varier l'emploi à l'exercice de leur profession. Aspect plus
des denrées de base dans l'alimentation quoti- important encore de cette démarche, les tech-
dienne. Cette initiative a déclenché l'aménage- niques de base, connaissances et compétences
ment dans l'enceinte des écoles de jardins professionnelles seront maîtrisées grâce à des
d' « économie domestique », où l'on s'est activités orientées vers le travail en liaison avec
essayé à cultiver les épices et produits requis des projets et des thèmes. Ces projets et thèmes
par le programme. A travers ces nombreuses seront assignés à différents groupes de huit
activités, les élèves-institutrices commencent à dix élèves chacun, placés sous le contrôle
à se voir dans le rôle d' « agent d u changement » de trois ou quatre enseignants. Voici, à titre
et d'animatrice de la collectivité. Elles c o m m e n - d'exemples, quelques-uns des thèmes inclus
cent à se forger une image qui peut être trans- dans les programmes de première, deuxième
mise de l'école normale à la collectivité une et troisième année : a) « L a fabrication de
fois qu'elles auront obtenu leur diplôme et bureaux, de chaises et de matériel récréatif
accepté u n poste d'enseignement. Conséquence pour les écoles primaires » ; b) « Les connais-
inattendue, mais intéressante, de cet effort de sances nécessaires à la vie de tous les jours » ;
formation : les commissions locales de l'éduca- c) « L'aménagement d'un jardin à l'école ».
tion demandent souvent à certaines institu-
trices de revenir dans leur secteur pour y E n règle générale, la pratique pédagogique
prendre u n poste à plein temps. est u n élément essentiel d u programme de for-
mation des maîtres, dans les cinq écoles nor-
Outre l'introduction des matières mention- males de la Sierra Leone c o m m e partout ail-
nées ci-dessus, les auteurs des programmes leurs dans le m o n d e . Toutefois, à B u n u m b u ,
des écoles normales recherchent continuelle- elle n'obéit pas au m ê m e schéma que dans la
ment des moyens d'améliorer les aspects pra- plupart des programmes de formation. Les
tiques des programmes de formation pédago- stagiaires sont censés entreprendre des projets
gique. Actuellement, par exemple, u n nouveau de développement qui reposent sur l'effort
certificat pour les enseignants et u n programme collectif : creuser des puits, construire des toi-
d'études correspondant sont élaborés dans le lettes publiques, tracer des routes et aménager
Éducation et travail productif : la formule de B u n u m b u 529

des places de marché locales, par exemple. rimentés dans les écoles pilotes. Ces matériels
Pour remplir les conditions exigées en vue d u sont organisés en unités d'enseignement autour
certificat, les élèves-instituteurs sont envoyés de titres tels que : « Observer la croissance des
dans des écoles pilotes communautaires où ils plantes », « L'élevage de la volaille » o u « Contes
font des stages de douze à quinze semaines de de la campagne ». Les titres sont choisis en vue
pratique pédagogique. Les directeurs de stage, d'éveiller chez les enfants u n intérêt à la fois
les directeurs d'école et le conseil local d u pour les sciences et pour l'agriculture, de les
développement communautaire jouent tous u n amener à porter des appréciations critiques sur
rôle dans la détermination et la sélection des la culture des collectivités où ils sont scolarisés.
projets d'auto-assistance prioritaires. Dans cer- Autre point qui mérite d'être signalé : les unités
tains cas, le directeur de stage et ses élèves d'enseignement ainsi définies ont pour but de
mènent des enquêtes auprès de la population renforcer l'intégration de l'école primaire aux
locale pour aider à consolider les choix opérés. activités de la collectivité. E n outre, les diplô-
D e fait, un grand nombre d'écoles pilotes dési- més de l'école normale transmettent aux enfants
gnent dans l'année scolaire certaines journées des écoles pilotes la formation spéciale à orien-
de 1' « effort collectif », où tous les élèves et les tation rurale qu'ils ont reçue dans le cadre d u
habitants du village entreprennent la réalisation programme de l'école normale de B u n u m b u . Il
d'un projet en c o m m u n . Ici, on peut voir des n'est pas rare, par exemple, de trouver les
écoliers emporter du sable et des pierres, tandis élèves des écoles pilotes occupés avec leurs en-
que leurs pères creusent un nouveau puits. L à , seignants à mettre sur pied une plantation de
ce sont des écolières qui font la cuisine pour les riz, de manioc ou de palmiers à huile, ou des
h o m m e s et les garçons occupés à poser des cultures de p o m m e de terre. Les directeurs
blocs pour construire u n e nouvelle salle de d'école se heurtent au tradiiionnel problème
classe. Ailleurs encore, des élèves, derrière u n des parents, qui reprochent à l'école de créer
éventaire installé le long de la route, vendent des de telles activités parce que, s'ils envoient leurs
fruits, produits d u jardin de l'école. E n liaison enfants à l'école, c'est pour apprendre la culture
avec leurs projets de développement c o m m u - « livresque » plutôt que celle « des champs ».
nautaire auto-assisté, les élèves-instituteurs doi- Pour atténuer ce problème au m a x i m u m , u n
vent dispenser des cours fondés sur les uni- grand nombre d'entre eux invitent les pères
tés d'enseignement d u programme élaborées à à l'école pour qu'ils montrent aux élèves
l'école normale suivant la ligne directrice d u c o m m e n t cultiver, planter, amender, moisson-
« projet ». ner, etc., ce qui, à son tour, fait naître chez le
père-fermier un sentiment d'importance en tant
qu'individu et la conscience de l'importance des
Activités au niveau de l'école primaire efforts dans le domaine agricole en tant que par-
ticipant à l'économie de la collectivité.
C o m m e les pages qui précèdent l'ont montré,
le programme d'études des futurs enseignants
a des rapports étroits avec celui de l'enseigne- Activités au niveau de la collectivité
ment primaire effectivement suivi dans les
écoles. L e lien entre l'école normale et l'école L e livre blanc officiel de 1970, évoqué plus
primaire s'est renforcé grâce à la participation haut, sur la réforme de l'éducation soulignait la
des enseignants des écoles pilotes à une série nécessité pour les établissements d'enseigne-
d'ateliers de rédaction d u programme qui se ment de servir de catalyseurs au développement
tiennent à l'école normale. A u cours de ces communautaire. Cette déclaration de principe
réunions, les instituteurs élaborent le pro- était fondée sur l'hypothèse que les écoles qui
g r a m m e qu'ils auront à enseigner et conçoivent demeurent étrangères à leur environnement ne
des matériels éducatifs qui sont ensuite expé- peuvent pas atteindre les objectifs qu'elles visent.
530 Samuel J. et Jack Lutz

Il apparaît que le projet de B u n u m b u apporte


la preuve par l'action que l'intégration de Résultats
l'école à la collectivité favorise le développe-
ment rural, en organisant des conseils d u déve- E n Sierra Leone, l'École normale de B u n u m b u
loppement communautaire ( C D C ) très actifs, est la seule école normale primaire à offrir le
qui ont pour présidents des responsables des type de programme qui vient d'être décrit. L e
collectivités et pour secrétaires des enseignants programme et le projet sont encore trop récents
d'école normale et/ou des directeurs d'école pour que l'on puisse parler de succès complet.
pilote. Ces conseils visent au premier chef à Néanmoins, depuis le lancement d u projet
déceler les besoins perçus par la collectivité, à en 1974, et en dépit de nombreux obstacles,
rendre à la fois les jeunes et les adultes cons- certains signes tangibles donnent à penser que
cients de ses problèmes, à discuter de ces pro- les efforts faits dans le cadre d u projet pour
blèmes et à proposer des solutions pour les combiner l'éducation et le travail productif ont
résoudre. C'est, par exemple, grâce aux activités eu des résultats positifs. Ces derniers sont ana-
de ces conseils que les principaux projets c o m - lysés dans les rapports généraux d u projet, qui
munautaires d'auto-assistance sont conçus et indiquent, faits à l'appui, une augmentation de
réalisés. la production de riz dans les villages grâce à
Outre sa collaboration avec les conseils, l'intensification de la culture d u riz en rizière,
l'école normale m e t sur pied des programmes la création de foyers locaux pour la jeunesse
d'éducation extrascolaire sous forme de services accompagnée d'une régression d u chômage des
de vulgarisation placés sous l'autorité des dépar- jeunes en milieu rural, une progression des
tements d'économie domestique, de développe- revenus des écoles grâce aux ventes sur les
ment communautaire et éducation des adultes, marchés de ce que produisent les élèves, une
d'agriculture et d'artisanat. Ces programmes utilisation accrue des ressources locales grâce
ont favorisé l'emploi des jeunes ruraux et servi à u n laboratoire de technologie rurale mis sur
à modifier les attitudes à l'égard d u travail m a - pied par l'école normale, la création de coopé-
nuel. C'est ainsi que certains foyers de jeunes, ratives de village grâce aux efforts des conseils
créés dans les villages par ces services de vulga- de développement communautaire et u n m o u -
risation, ont continué à apporter leur aide aux vement des diplômés de l'école normale vers les
fermes locales après le départ des inspecteurs zones rurales. Ces activités ne sont pas limitées
de l'école. D e s cours et des conférences publi- aux seuls secteurs couverts par le projet et les
ques sur l'éducation des adultes sont organisés écoles pilotes ; en effet, des études de suivi ont
à l'intention de la population par l'intermédiaire révélé que des activités similaires étaient m e -
des écoles pilotes et des conseils c o m m u n a u - nées par des diplômés de B u n u m b u en poste
taires. U n e conférence faite récemment dans dans d'autres parties du territoire national. D a n s
un village par u n avoué sur les « droits des différentes régions d u pays, on a p u voir des
propriétaires terriens » a suscité u n vif intérêt écoliers mettre sur pied une plantation de
chez les agriculteurs d u village. tabac, créer u n élevage de volailles o u creuser
u n puits pour la collectivité, activités qui ont
Toutes ces activités ont pour but d'encoura- retenu l'attention au niveau national puisqu'elles
ger l'école normale et la population des villages ont fait, dans la presse, l'objet d'un article sur
à travailler ensemble pour transformer les vil- le travail productif effectué par u n instituteur
lages en collectivités économiquement viables ; diplômé de B u n u m b u et ses élèves dans le nord
la condition essentielle de cette transformation de la Sierra Leone.
est que la population soit prête à respecter la
dignité du travail manuel. C e respect sera encore Les résultats positifs enregistrés grâce au
renforcé si le travail manuel et le travail pro- projet s'accompagnent, on l'a vu, des habituels
ductif qui en découle ajoutent à la prospérité écueils. Les plus importants proviennent de
des individus c o m m e de la collectivité. l'insuffisance des fonds et d u m a n q u e de conti-
Éducation et travail productif : la formule de B u n u m b u 531

nuité au niveau des responsables et, pour les permis de déceler les besoins et les possibilités
professeurs et autres membres d u personnel de de nouvelles améliorations. Et, surtout, le pro-
l'école normale engagés dans cette démarche cessus que comporte la mise en application de
novatrice privilégiant l'aspect pratique des pro- l'idée d' « intégrer l'éducation à la vie quoti-
grammes éducatifs, de l'absence de reconnais- dienne » possède autant de valeur que le résultat
sance officielle de leur action. Ils se manifestent lui-même. C'est grâce à lui que décideurs et
par différents types de problèmes spécifiques : administrateurs peuvent élaborer et améliorer
membres d u personnel de l'école normale qui u n système éducatif et le rendre capable de
estiment que le « projet » leur donne u n surcroît préparer à la fois les jeunes et les adultes à
de travail sans compensation supplémentaire; affronter les problèmes que pose le m o n d e d u
élèves diplômés qui considèrent qu'ayant obtenu travail — m o n d e où les problèmes économiques,
des certificats supplémentaires (développement sociaux et culturels sont légion. O n avance à
communautaire / éducation des adultes) ils de- petits pas et le travail à accomplir est ardu, mais
vraient être rémunérés davantage ; instituteurs les améliorations sont perceptibles. E n outre,
des écoles pilotes qui pensent que, en vertu de on est récompensé et satisfait par les résultats
leur expérience professionnelle, ils devraient intangibles que représente le travail en c o m -
être admis directement à l'école normale pour m u n des habitants et des écoliers dans u n effort
préparer le certificat supérieur d'aptitude à autonome de développement. Ainsi est né u n
l'enseignement (un programme spécial est pro- sentiment defiertéavec la conscience d'avoir
posé à cet effet), mais qui échouent à l'examen réalisé quelque chose. Les nuances d'opinion
d'entrée; élèves diplômés formés pour ensei- exprimées de diverses façons par les respon-
gner en milieu rural et qui prennent des postes sables locaux semblent indiquer que les résul-
en milieu urbain ; ressentiment de certaines tats sont encourageants, dans la mesure où les
administrations locales, qui considèrent que les jeunes de la région de B u n u m b u notamment
enseignants ont empiété sur « leur territoire » ; réagissent favorablement à la réforme de l'édu-
enfin, coût élevé d u carburant et des pièces dé- cation préconisée ici. Récemment, u n chef de
tachées nécessaires pour que les véhicules soient village interrogé par les membres d'une mission
en état d'assurer régulièrement la liaison entre d'évaluation d u projet a fait ce commentaire :
l'école normale et les écoles primaires. Harce- « Avant le lancement d u projet, nous avions
lants et gênants, ces problèmes semblent cepen- beaucoup de problèmes avec nos enfants sco-
dant le propre de ce genre d'innovation. L'ex- larisés. Ils ne voulaient pas manger ce que nous
périence montre que les programmes sont lancés mangeons et ils ne se mêlaient pas aux activités
dans l'enthousiasme, mais que les complica- de la communauté. A présent, dès que l'école
tions ne tardent pas à se faire jour. Entre-temps, est finie, ils s'empressent de venir nous aider
de nouveaux programmes en ont détourné l'at- aux champs. »
tention, ce qui est compréhensible quand il faut
Tandis que le chef de village faisait cette
satisfaire à tant de priorités. Bien des difficultés
remarque positive, u n élève-instituteur de B u -
rencontrées dans le cadre du projet de B u n u m b u
n u m b u est passé, arborant fièrement u n tee-
seront aplanies quand le gouvernement mettra
shirt sur lequel était inscrite cette formule :
en œuvre une politique éducative, actuellement
« Je suis u n agent de développement c o m m u -
en discussion, liée au développement rural et à
nautaire de B u n u m b u . »
la formation professionnelle.
Ceux qui, à l'école normale, ont été associés au
projet depuis son lancement disent : « B u n u m b u
E n résumé, la preuve est faite que l'on a pris n'est plus u n projet, c'est devenu u n état
conscience de la nécessité d'associer l'éducation d'esprit. » •
au m o n d e du travail et qu'il existe une unité de
vues sur les raisons de cette orientation. L ' a p -
proche retenue pour le projet de B u n u m b u a
Samuel J. Lebby et Jack Lutz
532

Notes
i. Conférence des ministres de l'éducation des États
membres d'Afrique, Rapportfinal,Paris, Unesco, 1976
(27 janvier-4 février), p . 36 et 37.
2. Livre blanc sur la politique éducative du gouvernement
de la République de Sierra Leone, 1970, p. 3 ; 1978/79.
3. Plan de développement national du gouvernement de
la République de Sierra Leone, 1974, p. v u .
U n e expérience indienne
d'apprentissage scolaire
rémunéré
R. P. Singh

Plusieurs commissions et comités indiens ont de l'éducation de base, a été si déçu par les
souligné la nécessité d'orienter davantage l'en- conditions dans lesquelles elle avait été mise en
seignement vers la formation professionnelle, œuvre qu'il a déclaré au Parlement que « l'édu-
tout en réclamant de gros efforts pour faire de cation de base [était] une mauvaise plaisanterie
l'alphabétisation universelle u n projet viable. faite à la nation ».
Des innovations ont été essayées à maintes re- Il est nécessaire d'expliquer ici les points sur
prises, mais, pour des raisons insuffisamment lesquels le plan de Gandhi s'écartait radicale-
étudiées, elles n'ont pas été couronnées de suc- ment d u système d'éducation anglais existant.
cès. Tel est notamment le cas de l'expérience D'abord, le système de Gandhi était centré sur
menée par Rabindranath Tagore à Bolpur, d u l'artisanat et orienté vers les besoins sociaux.
plan d'éducation de base de Gandhi, etc. L'in- Gandhi avait supposé que le gouvernement
convénient de ces innovations est de n'avoir p u « étranger » ne financerait aucune éducation
être largement reproduites. U n e tentative a été pour les masses et qu'il fallait par conséquent
faite pour introduire l'éducation de base dans créer u n système parallèle, qui n o n seulement
tout le pays, mais les résultats en ont été convienne à l'ensemble de la population, mais
déplorables. Elle a été critiquée de toutes parts, soit aussi financièrement autonome. Il était
bien que son défaut principal résidât dans la donc naturel que Gandhi élabore u n système
nature d u plan. L a société indienne a de tout indépendant de l'autorité et de la supervision
temps été divisée en trois classes infranchis- du gouvernement. Personne n'a été surpris,
sables et, pour une raison ou une autre, le plan sauf les inconditionnels de Gandhi, que son
de Gandhi a été considéré c o m m e s'adressant idée n'ait pas prospéré avec le soutien d u gou-
à ses éléments les plus pauvres. E n conséquence, vernement dans une Inde devenue indépen-
c o m m e il était prévisible, ce plan fut rejeté par dante, pour la simple raison que l'objectif na-
les classes moyennes et supérieures, et, c o m m e tional d'une vie villageoise paisible et économi-
les classes moyennes étaient chargées de l'ap- quement autonome avait fait place à celui d'une
pliquer, elles l'auraient réduit, au dire de nation industrialisée sur le modèle occidental.
ceux qui l'ont critiqué, aux dimensions d'une L e plan d'éducation de base envisagé par
farce. Zakir Husain, u n des principaux artisans Gandhi ne pouvait guère correspondre à cet
idéal.
L'expérience d u M a d h y a Pradesh est une
R . P . S i n g h (Inde). Professeur de sciences de l'éduca-
innovation totale dans le cadre gandhien. Elle
tion et chef de la section des périodiques du Conseil
est fondée sur l'artisanat, ce qui permet aux
national de la recherche et de la formation pédagogique déshérités d'apprendre tout en gagnant leur vie.
(NCERT), New Delhi. Il n'est pas inutile de rappeler ici que, dans leur

Perspectives, vol.
XII, n° 4, 1982
534 R . P. Singh

majorité, les Indiens sont trop pauvres pour ont reçu le n o m de Training-Cum-Production
apprécier l'éducation pour elle-même. Il s'agit Centres ( T C P C ) (centres de formation et de
d'abord de vaincre la faim. Par conséquent, production) ; b) des centres de production ins-
cette innovation correspond à la fois à ce besoin tallés dans les écoles primaires et secondaires
fondamental et au besoin d'éducation. L'ensei- existantes. Grâce à cette décision, le ministère
gnement universel est u n objectif qui semble a été à m ê m e d'utiliser les bâtiments existants
encore lointain, de sorte que l'expérience d u et diverses installations accessoires.
M a d h y a Pradesh a l'approbation de toutes les La deuxième décision avait trait au choix
couches de la société. des produits fabriqués. Chacun sait que les
produits de l'artisanat n'ont pas le m ê m e fini
que ceux des machines. D o n c , les biens qui
Le cadre seraient produits par ces centres ne seraient pas
capables de concurrencer les produits fabriqués
L'expérience tire sa valeur de ce qu'elle a été à la machine. Il fallait donc choisir uniquement
préparée et appliquée en fonction des besoins des produits qui puissent, d'une part, être
réels. L e M a d h y a Pradesh est l'un des États fabriqués m ê m e par des enfants après une for-
les plus pauvres de l'Inde et son taux d'alpha- mation minimale et, d'autre part, trouver u n
bétisation est inférieur à la moyenne nationale : marché. L e ministère utilise en grand nombre
28,72 % en 1981 contre une moyenne nationale des bâtons de craie, ainsi que des nattes de jute,
de 40 %. L'État partage avec l'Orissa et l'Assam appelées tat-patti, permettant de s'asseoir par
la particularité d'un pourcentage élevé d'abo- terre. L e ministère n'ayant pas suffisamment de
rigènes dans sa population. Il a pour atouts chaises et de tables, les tat-patti sont les sièges
une vaste superficie, une faible concentration les moins chers. Quoi qu'il en soit, les avantages
de la population, u n climat doux, des forêts et de ces décisions sont :
des ressources minières. Il est potentiellement 1. L e ministère n'a pas à chercher u n marché
riche. puisqu'il est à la fois le fournisseur et le
La décision d'entreprendre u n programme consommateur.
d'apprentissage rémunéré a été prise par une 2. L'État a u n nombre suffisant d'instituteurs
administration éclairée, qui a tenu compte des qui peuvent en m ê m e temps surveiller la
handicaps dont le plan de Gandhi avait souffert. production et y former les élèves.
Les problèmes qu'elle a essayé de surmonter 3. Les objets en bois sont plus faciles à manier
en premier lieu comprenaient : a) le m a n q u e que les autres et leur entretien est peu
de fonds pour financer u n programme de pro- coûteux.
fessionnalisation de l'enseignement, en parti- 4. Les enfants peuvent facilement apprendre à
culier pour l'achat de matériel et le paiement fabriquer des tat-patti et des bâtons de craie.
de subsides aux élèves en échange de leur tra- 5. C o m m e il n'y a pas d'heures fixes pour le
vail 5 b) le m a n q u e de débouchés pour la vente travail, les enfants peuvent le faire au m o -
des produitsfinis; c) l'effectif insuffisant de ment qui leur convient. La plupart travaillent
personnel imaginatif. L'administration espé- pendant leurs heures de liberté, c'est-à-dire
rait fermement que, dans les couches de la pendant qu'ils ne sont pas retenus par les
société qui étaient jusqu'alors économiquement occupations familiales.
faibles, elle pourrait créer à la fois une motiva- 6. L a production de biens implique u n sti-
tion puissante et des ressources permettant de mulant monétaire, mais celui-ci est lié à
généraliser l'instruction primaire. l'instruction. U n enfant qui n'étudie pas n'a
L e département a choisi pour l'expérience pas de travail et ne peut donc pas gagner
deux types de centres : a) les établissements de d'argent. Cette condition préalable est im-
formation pédagogique pour l'éducation de portante.
base, conçus selon les idées de Gandhi, qui
U n e expérience d'apprentissage rémunéré 535

A u cours de la quatrième phase, pour géné-


Développement progressif raliser l'enseignement élémentaire, une formule
d'éducation n o n formelle a été incorporée au
L e ministère a lancé son programme le 2 oc- plan. Dix-neuf centres ont été ouverts spéciale-
tobre 1978, jour de l'anniversaire de Gandhi, ment pour les enfants les plus défavorisés.
en collaboration avec le Khadi Gramodyoga Pour la cinquième phase, on prévoit que,
(projet d'artisanat villageois). A l'origine, les dans les régions où il y a assez de bois, o n
centres de production étaient au nombre de six introduira la menuiserie ou la fabrication de
et étaient situés dans des écoles secondaires meubles. Toutes les écoles ont besoin de m e u -
polyvalentes. L e ministère offrait d'acheter des bles tels que chaises, tables et armoires. Étant
tat-patti à concurrence de 1,5 million de rou- donné la demande, et le fait que le M a d h y a
pies. A cette fin, il avait avancé 2,5 millions de Pradesh possède de vastes forêts, l'addition de
roupies au Khadi Gramodyoga. Dans la pre- la menuiserie au projet est viable et raisonnable.
mière phase, 613 tat-patti et 215 boîtes de craie O n forme actuellement des instituteurs à cette
ont été fabriqués. Il faut noter que le ministère fin et la rémunération est en voie d'augmenta-
n'acceptait d'acheter que les produits égaux en tion, passant de 2,80 à 10 roupies l'heure.
qualité à ceux qu'on trouvait sur le marché à
des prix compétitifs. Sur la « qualité » et le
« prix », le servicefinancierdu ministère n'était La dimension non formelle
disposé à accepter aucun compromis.
A u cours de la deuxième phase, le projet C o m m e nous venons de le voir, une dimension
s'est développé et le nombre de centres est passé non formelle a été ajoutée au projet à la qua-
à cent un. L e ministère a offert à ses institu- trième phase. L'idée était la suivante :
teurs une formation en cours d'emploi pour Les enfants d u groupe d'âge neuf-quatorze ans
qu'ils apprennent à diriger les élèves dans leur devraient être atteints par le programme. Il
travail de production et à le leur enseigner. s'agit des enfants qui ou bien ne sont jamais
Les établissements de formation pédagogique allés à l'école, o u bien ont abandonné au
pour l'enseignement de base qui avaient déjà bout de peu de temps.
une branche spécialisée dans la direction et la O n devait offrir u n cours condensé à ceux qui
formation d'instructeurs se sont vu confier cette avaient abandonné, c'est-à-dire que le cours
fonction par le ministère. E n u n mot, celui-ci de cinq ans était ramené à deux ans.
a mobilisé tous les instituteurs et tous les centres
Il fallait fournir u n enseignement à des heures
qui avaient la compétence requise. Cinquante- qui conviennent à la fois aux enfants ayant
quatre écoles defillesont eu pour tâche de abandonné l'école et à ceux qui n ' y étaient
fabriquer des bâtons de craie, et la fabrication jamais allés. Par conséquent, u n emploi
des tat-patti a été confiée aux garçons. Il est du temps fixe était considéré c o m m e sans
intéressant de noter que la distribution d u importance.
travail a tenu compte de la différence de sexe, L'enseignement devait viser à inciter ces en-
mais aussi de la disponibilité des personnes et fants à rejoindre le système normal. Q u a n d
des matériaux. C'est d'ailleurs pourquoi la pré- ils le désirent, ils peuvent entrer dans les
paration de cire à cacheter a été confiée aux classes postprimaires ordinaires. Cet ensei-
centres près desquels la matière première était gnement est en quelque sorte une passerelle
disponible en abondance, c'est-à-dire dans les permettant à ceux qui ont abandonné l'école
forêts. et aux autres de rejoindre lafilièreprincipale
du système scolaire.
A u cours de la troisième phase, la préparation
Il fallait offrir des cours de perfectionnement
de la cire à cacheter dans la zone « tribale » d u
à ceux des élèves qui avaient subi avec succès
M a d h y a Pradesh a été ajoutée au programme ;
l'examen de la cinquième année d'études.
cette phase a commencé en janvier 1980.
536 R. P. Singh

Progrès du système non formel d'enseignement

Résultats des examens

Élèves Centres Présentés Reçus

Année Pré- Pré- Pré- Pré-


scolaire Primaires secondaires Primaires secondaires Primaire secondaire Primaire secondaire

1975/76 95 nd" 2 306 nd 370 nd 202 nd


1976/77 146 nd 2899 nd 608 nd 56 nd
1977/78 397 nd 7000 nd 335 nd 55 nd
1978/79 597 nd 8 500 nd 850 nd 442 nd
1979/80 2450 2000 29400 12000 2 800 1 200 1 204 600
1980/81 3 000 3050 35400 16000 — — — —
a. nd : non disponible.

O n a p u remarquer plusieurs caractéristiques Il peut passer une unité à la fois ou les dix-huit
originales d u système d'éducation non for- ensemble à la fin d u trimestre. L e tableau ci-
melle du M a d h y a Pradesh, notamment : dessus montre les progrès d u système non for-
1. Les cours de cinq ans sont condensés en mel, qui recouvre en partie le programme d'ap-
deux ans. prentissage rémunéré.
2. Les classes ont lieu au m o m e n t et dans C e tableau montre que les résultats, sans être
l'endroit choisis par les élèves. très spectaculaires, sont du moins encourageants.
3. O n utilise les écoles, le personnel et le E n outre, ces 51 000 élèves n'auraient pas été
matériel des écoles existantes. atteints par le système formel sans u n pro-
4. L'instituteur est entièrement libre de va- g r a m m e tel que celui dont il est question ici.
rier son rythme d'enseignement en fonc- A part les personnes directement intéressées,
tion des besoins des élèves. personne à l'origine ne croyait au succès d u
5. L e système ne comprend pas de classes ; programme. O n doutait de la qualité et de la
les élèves sont classés individuellement. valeur marchande des produits fabriqués. Les
6. L e système non formel coûte moins de la fait ont démenti ce scepticisme.
moitié d u système officiel. Dans ce der- L e ministère est maintenant en mesure de
nier, le ministère dépense 102 roupies par percevoir u n revenu de 15 % sur le capital
élève, alors que dans le premier les dé- avancé et vend en outre ses produits à un prix
penses totales sont de l'ordre de 41 roupies. compétitif. Il couvre sans aucune difficulté ses
Il est intéressant de noter que le ministère n'a propres besoins. Les élèves ont commencé à
pas changé la qualité des cours en les conden- fréquenter l'école parce que, pour la première
sant, mais l'a gardée au m ê m e niveau. fois, ils peuvent, sans travailler au-dehors, c o m -
Des avantages sont accordés aux instituteurs. pléter les maigres revenus de leur famille.
Dans les centres où est appliqué le programme Leur motivation est telle que l'école doit rester
d'apprentissage rémunéré, les instituteurs re- ouverte de 8 heures à 22 heures. Les institu-
çoivent des primes. Dans le système non formel, teurs aussi sont heureux de rester plus tard à
ils reçoivent une certaine s o m m e pour chaque l'école parce qu'ils perçoivent u n supplément
élève qui réussit à entrer dans une classe de traitement non négligeable.
ordinaire. Les facteurs de succès sont les suivants :
Les élèves d u système non formel reçoivent L e programme s'entretient de lui-même.
les manuels gratuitement et des cahiers m o y e n - L a demande provient des élèves et de leurs
nant une contribution individuelle de 25 rou- parents puisque le programme ne leur a pas
pies. L'élève doit apprendre 18 unités conden- été imposé.
sées et passer u n examen pour chaque unité. L e programme est financièrement autonome.
Une expérience d'apprentissage rémunéré

Les enseignements c o m m e les enseignés ont


acquis du prestige dans la société.
C o m m e les élèves ne peuvent pas gagner d'ar-
gent sans apprendre leurs leçons, l'instruc-
tion se fait en m ê m e temps et elle est évaluée
constamment.
La discipline est librement acceptée.
Parmi les autres raisons de succès, mentionnons
que le projet est fondé sur une étude des
besoins, que le Ministère de l'éducation a
fait preuve d'imagination et modifié sa régle-
mentation pour tenir compte des conditions
nouvelles, que le programme lui-même est
à la fois non formel et hautement novateur.
L e Ministère de l'éducation a préparé quel-
ques autres projets fondés sur les besoins de la
population. Par exemple, il a lancé deux plans
pour l'alphabétisation des femmes, « Panghat »
et « Mahabharti ». L'idée fondamentale est
d'adapter les programmes scolaires à l'emploi
du temps et aux goûts des femmes. O n a
constaté que celles-ci sont désireuses d'appren-
dre à lire les textes sacrés. Elles acceptent de
venir à l'école n'importe quand pour cela. Les
instituteurs lisent à haute voix les livres sacrés,
puis enseignent l'alphabet, de façon que les
femmes apprennent à lire les textes elles-
m ê m e s . O n prépare des livres et des textes de
lecture complémentaires, dans la langue locale,
ce qui est une autre caractéristique de l'inno-
vation tentée.
U n e longue liste de produits à fabriquer par
les élèves d u deuxième cycle d u secondaire et
du niveau « + 2 » est prête à entrer en applica-
tion. Elle comprend les éléments de l'uniforme
scolaire et divers autres objets d'usage quoti-
dien. Grâce à u n fonds de roulement qui sera
bientôt disponible, on espère avoir montré une
nouvelle voie à d'autres ministères. L e plan
d'introduction de l'enseignement technique
dans le système d'éducation se poursuit. •
Le Programme d'initiation
au travail en Jamaïque
Zellynne D . Jennings-Wray et Veronica Elaine Teape

Sinclair (1977) soutient que les pays d u Tiers les objectifs les plus importants et les buts
M o n d e ne possèdent pas le cadre institutionnel les plus utiles de ce programme.
nécessaire au placement, en situation réelle de 2. Quels ont été les plus grands obstacles à la
travail, d'élèves dans des usines et des bureaux. réalisation de ses objectifs.
C'est pourquoi elle s'est intéressée principale- 3. D a n s quelle mesure ce programme a été
ment aux programmes d'initiation au travail enrichissant pour les élèves entrant dans la
des élèves des écoles d u Tiers M o n d e qui ont vie active après leur sortie de l'école.
mis en œuvre des projets où les élèves étaient 4. Les enseignements de l'expérience jamaï-
appelés à participer à des activités agricoles et quaine pour les pays d u Tiers M o n d e .
artisanales sur les lieux m ê m e s de l'école.
Parmi les faiblesses des programmes de ce type
retenues par Sinclairfigurele caractère par trop Pourquoi des programmes
ambitieux des objectifs de ces programmes dont d'initiation au travail?
la réalisation est liée à la solution préalable de
problèmes socio-économiques cruciaux. E n D a n s beaucoup de pays du Tiers M o n d e , l'idée
outre, les programmes n'ont pas atteint leurs que l'on se faisait naguère de l'école secondaire
objectifs pour plusieurs raisons, parmi lesquelles était celle d'une institution complète en soi,
il faut citer la faiblesse des stratégies, le m a n q u e
vouée à préparer les étudiants, par u n ensei-
de compétence et de motivation des enseignants, gnement de type classique, à des examens
l'absence de ressources matérielles et l'hostilité, garantissant aux candidats reçus u n emploi
en particulier, des élèves et de leurs familles. dans le secteur public ou privé ou l'accès à
L e présent article traite de la Jamaïque, qui a une université (Jones, 1 9 7 7 ; M m a r i , 1977).
mis en œuvre dans ses nouvelles écoles secondai- Pressés par leurs difficultés sociales et écono-
res1, au cours de l'année 1975/76, un programme miques, u n grand nombre d'entre eux révisent
d'initiation au travail en « situation réelle ». leur conception de l'enseignement et des pro-
Plus précisément, on s'efforcera d'établir, en se grammes scolaires. Ainsi voit-on beaucoup de
basant sur l'expérience jamaïquaine : ces pays mettre l'accent sur ce qu'Eisner et
1. C e que les élèves du grade 11, leurs profes- Vallance (1974) appellent le « programme sco-
seurs, directeurs d'établissement, ensei- laire à vocation de reconstruction sociale ».
gnants en expérience d u travail3 et surveil- L'orientation donnée à ce programme m e t en
lants des stations de travail3 estiment être relief le rôle de l'enseignement au regard des
besoins de la société et de la responsabilité
de l'individu envers elle. Il s'agit d'une philo-
Zellynne D . Jennings-Wray (Jamaïque). Enseigne la
sophie de l'enseignement qui gagne beaucoup
méthodologie de l'élaboration des programmes scolaires etde pays d u Tiers M o n d e . Par exemple, The
philosophy and principles of the primary school
la philosophie de l'éducation à l'Université des Antilles.
curriculum (Philosophie et principes d u pro-
Veronica E . Teape (Jamaïque). Professeur principal
g r a m m e de l'enseignement primaire) insiste
à l'École secondaire de la Jamaïque.

Perspectives, vol. XII, n° 4, 1982


540 Zellynne D . Jennings-Wray et Veronica Elaine Teape

sur le fait qu'il est impossible d'ignorer l'impor-


tance qui s'attache à la diversification de l'agri- Quelle devrait être la portée
culture, à la planification d'un tourisme per- de l'initiation au travail ?
manent et à la création continue d'industries
légères en tant qu'objectifs nationaux de la Cette orientation d u programme a eu pour
Barbade. Et le « Montserrat Education Report » résultat d'introduire des innovations dans le
(1972 — Rapport Montserrat de l'éducation) système scolaire de nombreux pays d u Tiers
affirme (p. 1) que « l'enseignement devrait tenu- M o n d e , de telle sorte que les écoles, en parti-
compte des besoins en main-d'œuvre et servir culier celles de l'enseignement secondaire, sont
le développement général, social et économique devenues non seulement des communautés
de la société ». Figueroa (1971) souligne que sociales et éducatives, mais aussi des entités
l'enseignement aux Antilles s'efforce de répon- économiques. Ainsi, en République-Unie de
dre aux besoins en main-d'œuvre et de pro- Tanzanie, chaque école secondaire contient
mouvoir le développement général, social et une ferme ou u n atelier qui assure à cette
économique de la société, et O r a m (1976) communauté sa propre subsistance tout en
l'exprime dans le m ê m e sens en ce qui concerne contribuant à son niveau au revenu national
l'enseignement au Ghana. du pays. Si cela rend la communauté plus
L e programme scolaire à vocation de re- autonome, Nyerere (i960) y voit aussi la dé-
construction sociale, qui imprègne la pensée monstration du fait que les Tanzaniens doivent
de Manley (1974), est également implicite se sortir de l'état de pauvreté par le travail.
dans le plan quinquennal de l'enseignement à M m a r i (1977) voit dans cette tentative d'asso-
la Jamaïque (1978-1983). Il s'agit de consi- cier l'école au travail une manifestation de la
dérer l'école c o m m e une passerelle entre la politique socialiste de la République-Unie de
situation actuelle de la société et celle vers Tanzanie, « qui veut une société où chacun
laquelle elle tend. Ainsi devient-il nécessaire contribue au bien-être de tous ; une société
de donner au programme scolaire u n nouveau dans laquelle il ne doit pas y avoir de fossé
contenu découlant directement des problèmes entre gouvernants et gouvernés, entre l'élite
et caractéristiques d'une société en mutation. scolaire et universitaire et les masses analpha-
L'enseignement professionnel et l'acquisition bètes, entre cols blancs et cols bleus » (p. 380).
de qualifications manuelles revêtent, pour ce L a nouvelle École secondaire José-Marti
programme, une importance cruciale, ainsi qu'il constitue l'illustration m ê m e de ce qui est
ressort de la déclaration suivante : « Les pro- tenté en Jamaïque pour traduire cette philo-
grammes éducatifs doivent faire d u travail sophie dans les faits. L e gouvernement a fait
productif une partie intégrante d u système don de cette école en 1976. Seul de son genre,
scolaire, afin de : a) maintenir, dans l'évolution c'est aussi le premier établissement où tous
et le développement des élèves, u n équilibre participent à u n programme « travail-études »
entre leurs qualifications générales et pratiques ; qui associe l'enseignement général et l'ensei-
b) bien prédisposer les élèves et les membres gnement professionnel, tout en mettant l'accent
de la société en général envers le travail phy- sur le second. Son programme d'études a pour
sique utile ; c) préparer les élèves à faire leur but d'inculquer aux jeunes une saine morale
entrée dans le m o n d e d u travail. (Plan quin- du travail afin de vaincre le préjugé à l'égard
quennal de l'éducation 1978-1983, Jamaïque du travail manuel, profondément ancré dans
1977, p. 7 et 8). » l'esprit de beaucoup d'Antillais. L'agriculture
est le seul travail pratique obligatoire et les
étudiants c o m m e les enseignants s'y consacrent
à tour de rôle au cours de la journée scolaire
— qui peut durer de 5 h 30 à 22 heures — et
s'occupent d'élevage des porcs, de produc-
L e Programme d'initiation au travail en Jamaïque 541

tion laitière, d'élevage de volailles et de pro- conditions réelles de travail, d'acquérir les qua-
ductions agricoles. L a vente de ces produits lités nécessaires pour bien s'acquitter de leur
permet à l'école de couvrir ses besoins. tâche, c'est-à-dire la ponctualité, l'esprit d'ini-
E n 1974, le gouvernement jamaïquain a tiative et le sérieux. Il leur permet, en outre,
prolongé de deux ans le cycle des études dans d'acquérir une saine morale du travail et d'ap-
les nouvelles écoles secondaires en créant le précier la dignité du travail honnête. C e faisant,
programme des grades 10-11 4 , qui a pour but les élèves apprennent à entretenir de bons rap-
d'accroître les qualifications professionnelles ports avec leurs compagnons de travail et dé-
des élèves. L'une des parties intégrantes de couvrent qu'il existe un rapport entre éducation
cette formation complémentaire est le Pro- et réussite professionnelle. A u nombre des avan-
g r a m m e d'initiation au travail ( W E P ) , qui tages qu'en tire l'écolefigure,en plus de l'em-
consiste à libérer les élèves d u grade 11 pour ploi des compétences et de l'expérience de
un stage de vingt et u n jours qui leur permettra membres qualifiés de la communauté qui vien-
d'acquérir une expérience du m o n d e du travail. nent compléter et enrichir les études profes-
Ces élèves sont alors placés dans des stations sionnelles, la possibilité pour les élèves de
de travail ou agences des secteurs privé et bénéficier d'une formation en se familiarisant
public afin d'y faire leur première expérience avec des équipements et des matériels que les
d'un véritable emploi « en rapport aussi étroit écoles n'ont pas les moyens de se procurer.
que possible avec leurs études professionnelles » L e programme donne en outre à l'employeur
{Work Experience Programme handbook, 1978). l'occasion de participer à l'élaboration des pro-
Les élèves ne sont pas rétribués, mais sont cou- grammes scolaires, en particulier en proposant
verts par une assurance de l'État. Ainsi, confor- d'y apporter les aménagements qui répondent
m é m e n t au handbook (manuel), l'élève qui a à ses propres besoins.
choisi de suivre l'enseignement professionnel Ainsi le W E P apparaît-il c o m m e le m o y e n
de protection infantile d u département d'éco- d'associer la famille, l'école et le m o n d e d u
nomie ménagère d'une nouvelle école secondaire travail à u n effort c o m m u n dans l'intérêt des
pourra être placé dans une garderie d'enfants, élèves eux-mêmes. E n fait, les planificateurs de
dans le service de pédiatrie d'un hôpital ou l'éducation y voient aussi une façon d'inciter
dans une école maternelle. L'élève qui a choisi les élèves qui seraient tentés d'abandonner leurs
de suivre l'enseignement professionnel de études à les continuer. Pour ce qui est de l'em-
mécanique automobile d u département de ployeur, le W E P apparaît c o m m e u n m o y e n de
l'industrie et des techniques pourra se voir former des employés en puissance à ses propres
affecté à u n travail dans u n garage, dans une conditions et d'abréger éventuellement la pé-
station-service ou dans u n atelier d'entretien riode d'orientation rémunérée. Pour le c o m -
automobile. Ainsi peut-on dire que « le Pro- merce, l'industrie et les organismes du secteur
g r a m m e d'initiation au travail crée u n véri- public et privé, il apparaît c o m m e u n m o y e n
table lien entre l'école et la communauté. Cette de contribuer à u n service communautaire et à
dernière devient, en effet, u n prolongement l'action éducative.
d u milieu éducatif en fournissant aux élèves
l'équipement et les ressources que le Ministère A u nombre des avantages qu'en tire la c o m -
de l'éducation ne peut leur fournir par ailleurs » munauté figure la possibilité pour les élèves
{Work Experience Programme handbook, p. 2). d'acquérir les connaissances et les compétences
nécessaires pour trouver u n emploi au sein de
L e Work Experience Programme handbook leur propre communauté. L e programme a, en
(1978) affirme que le Programme d'initiation au outre, l'avantage de rapprocher l'école de la
travail ne profite pas uniquement aux élèves, communauté en encourageant l'élève à se sentir
mais aussi à l'école et à la collectivité. Il permet, et à être un m e m b r e actif de cette communauté.
dit-il, aux élèves d'acquérir des compétences Enfin, les planificateurs de l'éducation voient
utiles dans de véritables emplois et dans des dans le W E P u n m o y e n pour l'élève de bien
542 Zellynne D. Jennings-Wray et Veronica Elaine Teape

Pourcentages
s'adapter au métier de son choix et de réduire,
par là m ê m e , le nombre de jeunes non qualifiés
et frustrés. N u l ne contestera que ce sont là
de nobles objectifs aux yeux des planificateurs
de l'éducation — quelque ambitieux que cer-
tains puissent paraître. Mais c o m m e n t les in-
téressés (c'est-à-dire les élèves, les directeurs
d'établissement, les enseignants et les e m -
ployeurs) perçoivent-ils le programme ?

C o m m e n t les intéressés
perçoivent le Programme
d'initiation au travail ( W E P )

L ' u n des auteurs d u présent article (Teape,


1980) a adressé u n questionnaire à cent vingt
élèves choisis au hasard parmi ceux des classes ru
du grade 11 de chacune des quatre nouvelles
écoles secondaires de Kingston pour leur de-
mander en quoi le W E P était, à leur avis, le
plus utile une fois qu'ils avaient terminé leurs
trois semaines d'expérience du travail. U n ques-
tionnaire semblable a été adressé à vingt maîtres
de l'enseignement professionnel et général de
ces m ê m e s écoles, et l'on a interrogé de la m ê m e
façon : a) vingt directeurs de station de travail
choisis au hasard et qui avaient supervisé les
élèves au cours de leur expérience d u travail ;
b) quatre directeurs d'établissement et six en- II
II
seignants en initiation au travail. L e tableau 1
permet de comparer l'opinion des élèves, des en- T A B L E A U I. Réponses des étudiants,
professeurs techniques et directeurs d'entreprise
seignants et des directeurs d'entreprise concer- concernant les buts les plus importants du
nant les buts les plus importants du W E P . Programme d'initiation au travail

CONTRAINTES ET PROBLEMES

L e tableau 2 propose u n certain nombre d'ex-


plications à la contradiction apparente entre le
jugement que portent les élèves et les directeurs
d'entreprise sur l'utilité du W E P c o m m e m o y e n
d'acquérir u n bon comportement et de saines
habitudes dans le travail. Pour les élèves, la
difficulté majeure réside dans le fait que leurs
compagnons de travail attendaient d'eux qu'ils
fassent le travail qu'eux-mêmes détestaient.
Beaucoup se sont plaints qu'on les ait chargés,
Le Programme d'initiation au travail en Jamaïque 543

par exemple, de nettoyer et de balayer les 80 Pourcentages


bureaux ou les ateliers, au lieu de leur donner la
possibilité de faire le travail pour lequel ils
étaient censés se former. U n e fois encore, la 70
raison pour laquelle les élèves ont estimé que le
bb S
W E P n e leur permettait pas de s'assurer qu'ils
avaient bien choisi le métier qui leur convenait
WVS
tient peut-être au fait que plus de la moitié 60
d'entre eux (55 %) ont jugé que les postes de
travail auxquels on les avait affectés ne leur
permettaient pas d'exercer une activité en rap-
port avec leur formation professionnelle. L e 50
fait que 5 % seulement des directeurs d'entre-
prise aient paru avoir conscience de ce problème
est révélateur d u m a n q u e de communication
40
entre les écoles et les employeurs potentiels
(c'est-à-dire, en fait, la c o m m u n a u t é en géné-
ral). C e qui est plus inquiétant, cependant,
c'est le m a n q u e apparent de communication à 30
l'intérieur des écoles elles-mêmes, car aucun
directeur (et, ce qui est encore plus surprenant,
aucun professeur d'initiation au travail !) n'a
semblé s'être soucié d u problème que posait à 20
l'élève l'impossibilité d'exercer u n travail en
rapport avec la profession qu'il avait choisie.
Pour savoir si le W E P avait été profitable en
quoi que ce soit aux élèves dans leur vie pro- 10
fessionnelle, Teape a adressé u n questionnaire
à trente-cinq élèves d u grade n choisis au
hasard et qui, ayant obtenu leur diplôme l'année
précédente (1979), avaient fait depuis leur en-
[mpossibilité pour 1 'élève d'exercer un travai]

i'ils
:nrappor t avec sa formation professionnelle

trée dans le m o n d e d u travail. Elle a obtenu > 0


S
>
des élè
r a trop exigé del 'él

7
vingt réponses et elle s'est aperçue q u e deux S
éficié de l'enc adre
tendaient d es élèves

d'entre eux seulement avaient trouvé u n emploi,


tous les deux sur les lieux m ê m e s o ù s'était
effectuée leur initiation au travail.
•M •S
étestaien

ce tot aie d\e motiva

Six élèves, qui n'avaient pas trouvé d'emploi,


suivaient, à temps partiel pour certains, des 3 T3 tí
cours complémentaires de formation dans des 4>
>• •tí ja
s élèves n nt pas
'empl

ail qu

lycées et collèges techniques, mais la plupart


s autres ouvriers

a
étaient au chômage. M ê m e les élèves très bien
fi
H-; _o
notés, aussi bien par les professeurs d'initia- 0ä
eu
Absi

tion au travail que par les directeurs d'entre- tu


isent 1

prise, pour les résultats obtenus dans leur do-


maine de compétence professionnelle et pour
les aptitudes, les habitudes de travail et le c o m - T A B L E A U 2. Réponses des élèves, enseignants
^ s
portement dont ils avaient fait preuve dans leur et directeurs d'entreprise concernant les difficultés
rencontrées par les élèves au cours du Programme
emploi, n'ont p u trouver de travail. O n a m ê m e d'initiation au travail
544 Zellynne D . Jennings-Wray et Veronica Elaine Teape

constaté que, lorsqu'un employeur reconnaissait production économique d u pays, notamment,


qu'un élève serait une bonne recrue, il ne pou- et son développement social (Work Experience
vait l'embaucher, faute d'argent ou de poste à Programme handbook, 1978). L a validité de ces
pourvoir. objectifs n'est pas remise en cause. C e qui
l'est, c'est la mesure dans laquelle les planifi-
cateurs de l'éducation et les auteurs des pro-
CONSÉQUENCES POUR L'AVENIR grammes scolaires ont fait de cet engagement
politique une réalité scolaire. O n peut difficile-
Les conclusions de Teape permettent de penser ment considérer que trois semaines d'expérience
que, dans les nouvelles écoles secondaires de la à u n poste de travail constituent u n effort
Jamaïque, le W E P peut porter ses fruits. Par sérieux pour associer étroitement éducation et
exemple, les notes données aux élèves par les travail. O n ne peut jamais attendre de timides
chefs d'entreprise en ce qui concerne leurs efforts d'innovation des programmes scolaires
habitudes de travail et leurs compétences pro- qu'ils portent leurs fruits. U n e expérience
fessionnelles sont généralement meilleures que c o m m e celle-là doit devenir partie intégrante
celles que leur donnent leurs professeurs tech- de tout le programme d'études secondaires,
niques — ce qui laisse supposer soit que les c o m m e elle l'est à Cuba, par exemple, où les
compétences professionnelles de certains élèves élèves consacrent de deux à six mois par an à
se sont très nettement améliorées au cours s'initier à u n travail professionnel.
du W E P , soit qu'ils se sont mieux acquittés de Les résultats des recherches confirment la
; leur tâche dans des conditions réelles de travail. nécessité d'appliquer des programmes sembla-
; Il existe toutefois à la Jamaïque u n certain bles dans les écoles secondaires de la Jamaïque.
nombre de facteurs qui empêchent le W E P de Les travaux de Stewart (1976), par exemple,
fonctionner de façon efficace. donnent à penser que, dans la société jamaï-
quaine, parents et enseignants seraient assez
favorables à u n enseignement qui ferait pénétrer
Organisation d u programme les enfants dans le m o n d e d u travail dès leur
d'études secondaires jeune âge. C'est pourquoi le gouvernement
jamaïquain pourrait s'efforcer davantage d'in-
L'une des leçons que les pays d u Tiers M o n d e troduire dans son système éducatif des pro-
peuvent tirer de l'expérience jamaïquaine est grammes d'études professionnelles semblables
; que tout programme éducatif — surtout lors- à ceux de l'École José-Marti.
: qu'il est l'émanation directe de l'idéologie au
; pouvoir — requiert une planification soigneuse
! avant d'être mis en œuvre et intégré intelli- Nécessité
gemment dans les programmes scolaires au d'une dotation gouvernementale
lieu d'en être une sorte d'appendice. L e W E P et d'une centralisation
fait partie d'un programme — celui des gra- des programmes
; des io-ii — mis en place en 1974 (^ans Ie
1
premier cycle des écoles secondaires par suite Les gouvernements des pays du Tiers M o n d e
de l'allongement de deux ans de la durée des ont tort de s'imaginer que les écoles peuvent
; études dans ces écoles. Cette mesure a été la passer du jour au lendemain de l'état de dépen-
> résultante de l'idéologie d u socialisme d é m o - dance à celui d'autonomie. Prises elles aussi dans
cratique alors au pouvoir, qui réclamait n o n l'étau des restrictions économiques, beaucoup
seulement l'éducation des masses, mais aussi d'écoles jamaïquaines ont v u leurs ressources
l'interpénétration étroite de la politique natio- financières fortement amputées. Devant le coût
nale d'éducation et de la politique de l'emploi, croissant de l'éducation, il n'est pas rare d'en-
afin de réaliser pleinement les possibilités de tendre les directeurs d'établissement se plaindre
L e Programme d'initiatii au travail en Jamaïque

de ce que l'État les laisse sans ressources depuis de l'éducation des pays d u Tiers M o n d e de
des mois, parfois m ê m e des années. O n laisse centraliser les programmes de formation pro-
entendre cependant aux écoles qu'elles doivent fessionnelle et de doter certaines écoles des
se résigner à « lutter » pour devenir autonomes équipements, du personnel et des autres moyens
et trouver les moyens de parvenir à l'indépen- qui sont indispensables à une formation profes-
dance financière, ce qu'un bon nombre d'entre sionnelle spécialisée dans une ou deux disci-
elles — en particulier celles qui possèdent des plines. Les élèves qui voudraient se spécialiser,
associations puissantes et actives de parents et par exemple, dans l'installation électrique fré-
maîtres — parviennent d'ailleurs à faire. Mais quenteraient l'école où ce programme serait
beaucoup ne sont pas si bien loties. Il arrive que pleinement appliqué et qui disposerait d'ensei-
cet appel à l'autonomie soit considéré c o m m e gnants possédant les qualifications requises.
un prétexte du Ministère de l'éducation pour
« s'en laver les mains », tandis que chaque
école s'évertue à appliquer u n programme qu'on Nécessité
lui a imposé — programme qui est coûteux en d'une communication effective
ressources aussi bien humaines que matérielles,
mais que l'on considère économiquement i m - L e fait que, contrairement à ce que pensent
portant pour le pays. beaucoup de professeurs et d'élèves, aucun
Pour les planificateurs de l'éducation, le W E P directeur d'entreprise n'ait estimé avoir trop
permet aux élèves de se former professionnel- exigé des élèves sur les lieux de travail et qu'au-
lement et de se familiariser avec des équipe- cun n'ait semblé se rendre compte du m a n q u e
ments et des matériels que les écoles n'ont pas d'encadrement des élèves qui lui avaient été
elles-mêmes les moyens de se procurer. Mais confiés laisse supposer u n m a n q u e de véritable
le W E P coûte très cher aux entreprises. A u communication entre les écoles et les entre-
cours de son entrevue avec les directeurs prises. Les employeurs semblent pratiquement
d'entreprise, Teape (1980) a noté qu'ils tout ignorer de ce qui se passe dans les écoles
étaient nombreux à estimer que le Ministère d'où proviennent leurs employés potentiels. Si
de l'éducation devrait subventionner le W E P tel est le cas, on peut se demander dans quelle
afin d'alléger la charge financière que leur mesure l'instauration de relations étroites avec
imposait la formation des élèves. D e plus, tous la communauté est possible. D'après le Work
les directeurs d'établissement scolaire ont re- Experience Programme handbook (i978),le facteur
proché au ministère son absence de participa- qui détermine la réussite ou l'échec d u W E P
tion et son m a n q u e apparent d'intérêt pour le réside dans la prestation des enseignants en ini-
programme. Ils estiment qu'il pourrait au moins tiation au travail. Ces derniers sont responsables
verser aux élèves une allocation modeste qui de « l'ensemble de l'exécution et du fonctionne-
allégerait leurs difficultés financières. ment d u programme » (p. 8). O n leur demande,
U n e autre difficulté dont se sont plaints fré- en outre, de coordonner l'ensemble des activités
q u e m m e n t les directeurs d'entreprise est que d'initiation au travail aussi bien à l'intérieur qu'à
les élèves n'ont qu'une connaissance très super- l'extérieur de l'école et d'être le trait d'union
ficielle des métiers auxquels ils veulent s'initier. indispensable entre l'école et le m o n d e d u
Cette ignorance pourrait être due au fait que les travail. Pour cela, on exige d'eux beaucoup
rares enseignants professionnels qualifiés dont d'intelligence dans les relations d'individu à
dispose la Jamaïque doivent être répartis sur individu et le don de nouer des rapports avec
l'ensemble du système et qu'on peut trouver leurs élèves. C'est là beaucoup leur demander.
par exemple, dans une école, des élèves auxquels Pour ce qui est des enseignants jamaïquains en
u n professeur dispense u n enseignement pro- initiation au travail, leur efficacité est contestée
fessionnel pour lequel il est insuffisamment en raison d u fait qu'ils ont, semble-t-il, été
qualifié. D ' o ù la nécessité pour les ministères incapables de reconnaître l'existence d'un pro-
546 Zellynm D. Jennings-Wray et Veronica Elaine Teape

blême qui était pour beaucoup d'élèves u n sé- travail honnête se situe à u n niveau relative-
rieux motif de préoccupation, c'est-à-dire l'im- ment bas dans l'échelle des priorités. Il semble
possibilité majeure d'exercer u n travail en rap- peu rationnel, pour ne pas dire déraisonnable,
port avec le métier qu'ils avaient choisi. L a de s'attendre qu'un programme de trois semai-
lourde responsabilité qui incombe aux ensei- nes ait un effet durable sur l'attitude d'un
gnants en initiation au travail donne à penser élève envers le travail manuel, surtout dans une
que les établissements de formation des ensei- société qui est très hostile à ce type de travail.
gnants doivent instituer pour ces futurs ensei- Cette attitude est l'héritière de l'état d'esclavage
gnants des programmes permettant d'acquérir que connurent jadis les Jamaïquains et que
les compétences et les qualifications nécessaires. Manley (1974) résume c o m m e suit : « Ainsi
Il est indispensable, en outre, de sensibiliser la majorité d u peuple jamaïquain connut-elle
l'opinion à l'intérêt d u W E P et de lui indiquer l'aventure de la liberté en gardant, par rapport
comment il fonctionne. O n pourrait se servir au travail, une attitude qui reflète ce dont furent
des médias de façon plus efficace non seulement nourris les débuts de son histoire. A u lieu de
pour lutter dans les écoles (et dans la société voir dans le travail u n m o y e n pour l'homme
en général) contre les préjugés à l'égard du tra- d'exprimer sa créativité tout en gagnant son
vail technique et manuel, mais aussi pour a m e - pain [...] il y voit un état imposé par un maître
ner les employeurs à accepter de nouveaux à u n serviteur et le prix que le serviteur doit
types de brevets d'études. O n attache, à la payer pour survivre » (p. 152).
Jamaïque, une grande valeur au diplôme du Il est clair que les attitudes que le W E P
G C E . L e diplômé m o y e n des nouvelles écoles s'efforce de combattre dépassent largement ses
secondaires obtient u n brevet d'études secon- possibilités d'action.
daires auquel les employeurs accordent géné- Il est également clair que, malgré l'action que
ralement moins de prix qu'au G C E (certificat m è n e le gouvernement socialiste démocratique
de fin d'études secondaires) et ils préféreront de la Jamaïque en faveur d'un programme sco-
embaucher u n titulaire d u G C E plutôt qu'un laire qui favorise la reconstruction sociale, les
diplômé d'une nouvelle école secondaire. L e Jamaïquains savent que ce qui compte réelle-
préjugé qui conduit les employeurs à les re- ment pour les aspirations professionnelles de
connaître ou à mettre en doute les nouveaux leurs enfants est ce qu'Eisner et Vallance (1974)
brevets n'est pas propre à la Jamaïque, car appellent le curriculum for academic rationalism
M m a r i (1977) note qu'en République-Unie de (programme scolaire de rationalisme académi-
Tanzanie également le système d'examens ne que). Cette orientation d u programme scolaire
tient pas compte, c o m m e il le devrait, des c o m -
est surtout le fait des lycées traditionnels de la
portements et des résultats obtenus dans un tra- Jamaïque, qui accordent la priorité à une réus-
vail manuel, ce qui pose un problème pour l'ins- site scolaire débouchant sur des emplois à des
tauration de la relation entre l'école et le travail.
postes de niveau supérieur ou donnant accès à
l'université. Les Jamaïquains, qui font grand
cas de l'éducation en tant que facteur de
Attitudes envers le travail manuel mobilité sociale (Figueroa, 1971), savent que
et programme scolaire la réussite scolaire est le m o y e n le plus sûr
d'y accéder. Ils savent que, pour pouvoir
C e qui empêche le plus une bonne application arriver aux quelques postes qui se situent au
du W E P , c'est sans doute l'attitude de la société sommet de la hiérarchie de l'emploi, ils doi-
à l'égard d u travail pratique et manuel. vent se qualifier en obtenant la bonne quantité
A u x yeux des élèves, des enseignants et des de diplômes de niveau d u G C E ou du C X C 5 et
directeurs d'entreprise, l'objectif qui consiste à que les diplômes qui leur permettront d'accéder
inculquer aux premiers une saine morale d u à l'université ne sont assurément pas ceux qui
sanctionnent des compétences pratiques.
travail et à leur faire apprécier la dignité d u
Le Programme d'initiation au travail en Jamaïque 547

Il est dit, dans Suggestions to teachers in seniorcondaires proviennent, pour la plupart, des
schools* and departments (i960) — Conseils aux classes modestes, dont les premiers contacts
enseignants des écoles et départements d u se- avec l'enseignement ont été ceux qu'ils ont eus
cond cycle), que l'enseignement dispensé dans dans les écoles élémentaires ou maternelles et
ces établissements a essentiellement pour but dans des classes pléthoriques d'écoles primaires
de donner aux élèves u n riche dosage de con- publiques aux moyens physiques et matériels
naissances générales et pratiques. Ainsi armés, insuffisants (Fenton, 1979). Les enfants de la
ceux qui quittent l'école réussiront à se frayer haute et moyenne bourgeoisie qui ont fréquenté
un chemin grâce à un apprentissage des affaires, des écoles libres et ceux des écoles primaires
de l'industrie, d u commerce et de l'agriculture. d'État qui ont réussi le C o m m o n Entrance E x a m -
Pourtant, Miller (1965) note que, bien que le ination7 ( C E E — examen c o m m u n d'admis-
programme scolaire accorde la plus large place sion) fréquentent les écoles secondaires. N'ayant
aux disciplines pratiques, 5 % seulement des pas subi le C E E , l'élève des nouvelles écoles se-
étudiants déclarent s'y intéresser. Les direc- condaires éprouve un sentiment d'échec et d'in-
teurs d'établissement ont signalé, en outre, qu'à fériorité tout au long de sa vie scolaire. A cela
la première occasion les étudiants abandonnent s'ajoute l'existence de divers types de diplômes,
les études techniques pour des études de culture qui approfondit encore la division entre les
générale. Bacchus (1975) arrive à la m ê m e élèves du secondaire : alors que l'élève des nou-
conclusion en ce qui concerne le système d'édu- velles écoles secondaires s'arrêtera au brevet de
cation de la Guyane. Il montre dans son article l'enseignement secondaire au grade 11 et, de-
que l'école guyanaise, sous la pression de la bour- puis 1979, au Basic Proficiency ( C X C — certi-
geoisie, qui veut qu'elle prépare des enfants à ficat d'aptitude élémentaire), l'étudiant des
devenir l'élite de la société, continue d'appliquer écoles secondaires traditionnelles passera très
un programme d'enseignement que les éduca- certainement au-delà d u G C E ou d u certificat
teurs estiment inadapté aux besoins de cette d'aptitude général du C X C . Bien que la porte
société. Toutefois, c o m m e le dit Bacchus, cette du sixième niveau ne soit pas fermée aux
« éducation inadaptée » est l'instrument qui élèves des nouvelles écoles secondaires, elle est
permet le mieux à beaucoup d'accéder à la m o - beaucoup plus largement ouverte au diplômé
bilité sociale ou à la sécurité économique ou aux d'une école secondaire, qui se trouvera ensuite
deux à la fois. Elle assure en outre aux élèves bien préparé pour entrer à l'université. L e
l'accès à l'enseignement supérieur. C'est pour- diplômé d'une nouvelle école secondaire pourra
quoi la préférence donnée au programme d'en- accéder facilement à l'université s'il a suivi les
seignement général relève d'une stratégie d'édu- cours préparatoires dans l'une des sept écoles
cation parfaitement rationnelle de la part des normales de la Jamaïque, ou dans u n seul éta-
parents et des élèves qui ont à choisir u n type blissement c o m m e l'Institut des arts, des scien-
d'enseignement. ces et des techniques, l'École d'agriculture ou le
Centre de formation culturelle.
E n ce qui concerne les écoles secondaires, il
ne fait aucun doute que les nouvelles écoles Il ressort de ce qui précède que, tant que la
secondaires sont considérées c o m m e des éta- structure du système éducatif de la Jamaïque
blissements de seconde catégorie du fait qu'elles restera ce qu'elle est, on ne pourra guère s'at-
privilégient l'enseignement pratique. Les élèves tendre qu'une innovation c o m m e le W E P ait
de ces écoles eux-mêmes sont tout à fait un effet majeur sur l'opinion que les élèves
conscients de leur situation d'infériorité à l'inté- des nouvelles écoles secondaires, en particulier,
rieur d u système éducatif et aux yeux de la ont d'eux-mêmes. Pour les m ê m e s raisons, on
société en général. Il n'est donc pas surprenant ne peut guère s'attendre n o n plus que le
que le W E P n'ait eu que peu ou pas d'effet sur W E P ait u n effet majeur sur l'attitude à l'égard
l'image qu'ils se font d'eux-mêmes. du travail, dès lors que les efforts faits pour
Ceux qui fréquentent les nouvelles écoles se- combattre le préjugé défavorable qui s'attache
548 Zellynne D . Jennings-Wray et Veronica Elaine Teape

au travail manuel ne le sont que dans les écoles d'emploi (voir tableau 1). Cela n'est pas surpre-
où est appliqué u n programme d'enseignement nant, car, en 1979, le marché du travail à la
pratique qui est jugé inférieur, alors que rien Jamaïque se caractérisait à la fois par u n
n'est fait en ce sens dans celles qui mettent l'ac- nombre accru de jeunes à la recherche d'un
cent sur les programmes de culture générale, emploi et par une aggravation du chômage due
auxquels la société confère généralement u n à une diminution des offres d'emploi, qui était
statut supérieur. Il existe certes à la Jamaïque elle-même, pour une large part, la conséquence
des plans qui visent à rationaliser l'enseignement d'un ralentissement de l'activité de production.
secondaire (ainsi le Plan quinquennal de l'édu- E n octobre 1979, le nombre de chômeurs attei-
cation 1978-1983) et on lit dans le Work Experi- gnait 299 100, soit u n taux de chômage de
ence Programme handbook (1978) qu' « à l'avenir 31,1 % , et, entre octobre 1978 et octobre 1979,
le Programme d'initiation au travail pourra être il s'est accru de 5,1 %.
étendu aux écoles secondaires et aux écoles poly- C'est dans les communes rurales que le chô-
valentes » (p. 2) ; mais le W E P fonctionne déjà mage sévit le plus. E n octobre 1979, le taux de
depuis cinq ans sans que l'on ait assisté à des chômage d'une des communes de la Jamaïque
changements dans ce sens. D'ailleurs, les plani- atteignait 45,8 % ! Et ce sont les jeunes de
ficateurs de l'éducation ne peuvent espérer, par quatorze à dix-neuf ans qui sont les plus touchés.
la simple rationalisation de l'enseignement se- Ainsi celui qui quitte l'école après avoir été
condaire, faire disparaître du jour au lendemain préparé au m o n d e du travail est-il obligé de
les préjugés et les hostilités que les clivages ac- passer des mois à rechercher un emploi : « L a
tuels d u système éducatif ont perpétués au période qui s'écoule entre le m o m e n t où les
cours des années. D e s innovations c o m m e le jeunes quittent l'école et celui où ils trouvent
W E P ne pourront atteindre leur but que si elles un emploi est devenue plus longue que par le
s'accompagnent d'un changement dans les atti- passé et dépasse de plus en plus souvent un an »
tudes et les valeurs qui ont leurs racines dans (Department of Statistics, Jamaïque, mai 1980,
les fondements socio-économiques de la société. p. vi).

O n s'est efforcé, dans cet article, de présenter


Nécessité d e stratégies un programme d'initiation au travail dans u n
créatrices d'emploi pays du Tiers M o n d e et de mettre en lumière les
facteurs qui vont à rencontre des objectifs sou-
Il semble que beaucoup de pays du Tiers haités : difficultés liées à l'organisation des pro-
M o n d e voient, dans des programmes scolaires grammes de l'enseignement secondaire, hosti-
à vocation professionnelle enracinés dans le lité que manifeste l'opinion en général à l'égard
concret d u m o n d e d u travail, une panacée à d'un programme technique (et qui n'est pas le
leurs problèmes économiques, sociaux et édu- moindre des obstacles), manque de moyens fi-
catifs. O r , on ne peut, c o m m e le souligne nanciers imputable pour une large part au fait
Oxtoby (1977), espérer que ces programmes que les gouvernements « s'en lavent les mains »
atteindront les objectifs souhaités s'ils ne s'ac- tout en pressant les écoles de devenir plus
compagnent pas de changements de structure et autonomes, gaspillage de ressources humaines
de réformes dans les pratiques du marché du dans l'organisation des programmes d'initiation
travail et si ne sont pas mises en place des stra- au travail, absence de communication aussi bien
tégies créatrices d'emploi. A cet égard, la situa- à l'intérieur d u système scolaire qu'entre l'école
tion de la main-d'œuvre dans la Jamaïque et la collectivité. Notre propos vient appuyer la
d'aujourd'hui a valeur d'exemple. Teape a m o n - remarque de Sinclair (1977) que nous rappe-
tré que, parmi les diplômés des nouvelles écoles lions au début de cet article et selon laquelle les
secondaires, la plupart de ceux qui ont été pays d u Tiers M o n d e manquent de l'encadre-
préparés au m o n d e du travail ne trouvent pas ment institutionnel nécessaire à l'insertion dans
L e P r o g r a m m e d'initiation a u travail en Jamaïque 549

le « m o n d e réel » d'élèves qui travailleront dans g r a m m e d'initiation au travail constitue le m o y e n


expérimental de préparer l'élève au m o n d e d u travail.
mie usine ou un bureau. Avant qu'une innova-
5. L e Caribbean Examinations Council ( C X C — Conseil
tion des programmes scolaires c o m m e le W E P des examens des Caraïbes) a été créé en avril 1972 à
puisse avoir les effets souhaités, les pays d u Port-of-Spain (Trinité) à la suite d'un accord conclu
Tiers M o n d e doivent non seulement en finir entre quinze gouvernements de pays m e m b r e s d u
avec les préjugés qui s'attachent au travail pra- C o m m o n w e a l t h pour organiser les examens d u brevet
d'études secondaires des Caraïbes. Les premiers brevets
tique et manuel, mais aussi trouver les moyens
qui ont été attribués en 1979, l'ont été à deux niveaux :
d'instaurer des stratégies créatrices d'emploi à) le certificat d'aptitude général (les certifiés sont censés
afin que les étudiants qu'on a préparés au avoir obtenu l'équivalent d u niveau O d u G C E dans
m o n d e du travail puissent jouir de leur droit au les matières présentées des grades 1 et 2) ; 6) le certificat
travail. Dans des pays du Tiers M o n d e c o m m e d'aptitude élémentaire (les certifiés sont censés avoir
terminé de façon satisfaisante des études secondaires
la Jamaïque, pris dans le réseau des luttes poli-
dans les matières choisies).
tiques et sociales qu'aggravent des difficultés 6. Les écoles d u deuxième cycle sont les précurseurs des
économiques délétères, ce sont là des gouffres écoles secondaires d u premier cycle, lesquelles, à leur
qui semblent trop profonds pour pouvoir être tour, ont été remplacées par les nouvelles écoles
comblés à l'heure actuelle. • secondaires.
7. L e C o m m o n Entrance Examination ( C E E — examen
c o m m u n d'admission) est en général l'examen auquel
se présentent les élèves de onze ans et plus des écoles
primaires publiques et des écoles préparatoires. Cet
examen sert à sélectionner les élèves qui auront accès
Notes aux lycées d'État subventionnés c o m m e tels.

i. Les nouvelles écoles secondaires dispensent u n ensei-


gnement aux enfants âgés de douze à dix-sept ans. Leurs
contingents proviennent pour une large part des nou-
velles « strates moyennes et inférieures » de la société
jamaïquaine, alors que les lycées, qui accueillent des
enfants du m ê m e âge jusqu'à dix-huit ans et plus, sont Références
fréquentés par des enfants de la « strate m o y e n n e »
(Miller, 1976). B A C C H U S , M . K . , 1975. Secondary school curriculum
2. L'enseignant en initiation au travail est le m e m b r e d u and social change in an emergent nation. D a n s : Journal
corps enseignant chargé par l'administration de l'éta- of curriculum studies, vol. VII, n° 2 , nov. 1975.
blissement de mettre en œuvre, d'appliquer, de diriger, D E P A R T M E N T O F S T A T I S T I C S . The labour force 1979. Jamaica,
de coordonner et de superviser le Programme d'initia- mai 1980.
tion au travail d'une école. E L L I O T , E . ; V A L L A N C E , E . , 1974. Conflicting conceptions of
3. L e surveillant d'une station de travail est directement curriculum. M c K u t c h e n .
responsable de la supervision de l'apprentissage de F E N T O N , S. 1979. Influences and constraints on decision
l'élève dans la station de travail. Il peut s'agir d u making in the primary school curriculum and their
propriétaire ou d u directeur d'une affaire ou d'une effects on the achievement of aims and objectives: a
industrie, du directeur d'une agence ou d'un employé comparative study of Montserrat and Jamaica. N o n
désigné par la direction. publié. University of W e s t Indies.
4. L e programme des grades 10-11 a été créé en 1974 FlGUEROA, J. 1971. Society, schools and progress in the West
dans les nouvelles écoles secondaires au m o m e n t où Indies. Londres, Pergamon Press.
le cycle de ces établissements a été prolongé de deux F I V E Y E A R E D U C A T I O N P L A N (1978-1983). Draft two.
ans. C e programme à vocation professionnelle est Jamaica, Ministry of Education, 1977.
destiné à doter les élèves des connaissances et des apti- J O N E S , A . 1977. A curriculum for school community
tudes nécessaires pour faire face aux réalités de la vie participation. CARSEA journal, vol. II, n° 2, juin 1977.
quotidienne. Par exemple, u n élément de programme M A N L E Y , M . 1974. The politics of change: a Jamaican
intitulé life skills a pour but de préparer les élèves au testament. Londres, Andre Deutsch.
m o n d e du travail en leur inculquant des connaissances M I L L E R , E . 1965. Values of 12 and 14 years old in two
et une expérience dans certains domaines c o m m e la urban Jamaican senior schools. N o n publié. University
protection infantile et sanitaire, la nutrition, l'éta- of the West Indies.
blissement d u budget d'un ménage, la petite électri- 1976. Education and society in Jamaica. D a n s :
cité, etc., que les autres éléments de leur programme FlGUEROA, P . ; P E R S A U D , G . , Sociology of education:
d'études ne leur auront pas permis d'obtenir. L e Pro- a Caribbean reader. Oxford University Press.
550 Zéllytme D. Jennings-Wray et Veronica Elaine Teape

M M A R I , G . R . V . 1977. C o m m e n t rattacher l'école au


travail : l'expérience tanzanienne. Perspectives, vol. VII,
n° 3-
Monserrat education report, 1972. Montserrat, Ministry
of Education, Health and Welfare.
N Y E R E R E , J. K . 1968. Freedom and socialism. Oxford,
Oxford University Press.
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education: some implications of a study of teacher
opinion in a developing country. Journal of curriculum
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Programme in Jamaica n e w secondary schools: an
examination of its usefulness. N o n publié. University
of West Indies.
Work experience handbook: technical and vocational edu-
cation. Jamaica, Ministry of Education, 1978.
TENDANCES ET CAS
La presse à l'école :
une expérience au Brésil
Dymas Joseph

U n certain jour, quelque part dans le m o n d e , se trouver réunies transversalement, dans d'au-
u n professeur affirmait — et allait m ê m e jusqu'à tres positions, d u m ê m e côté d u Soleil. « Les
illustrer brillamment son affirmation — que planètes ne se situeront pas sur une m ê m e
les planètes tournent harmonieusement autour ligne, indiquait le Jornal do Brasil, mais à
du Soleil, avec une discipline et une cohérence l'intérieur d ' u n segment héliocentrique défini
qui se maintiennent depuis des millénaires. par u n angle légèrement supérieur à 6o°. Six
Soudain, u n élève (peut-être le moins brillant) seront visibles à l'œil n u et trois — Uranus,
se lève et demande des explications sur une Neptune et Pluton — à l'aide d'instruments. »
information parue dans le journal, selon laquelle C'est ainsi que ce matin-là étaient en présence,
il s'est produit la nuit précédente u n phéno- dans une salle de classe, u n professeur (qui
m è n e astronomique rare : une superconjonc- répétait la vérité d u livre), le livre (qui énonçait
tion. C e fait, déjà peu intelligible pour lui, le cette vérité), u n élève (qui voulait savoir la
laissait vraiment perplexe à présent, dans la vérité) et la vie, à l'extérieur, qui est la
salle de classe, car ce que disait le professeur ne vérité.
correspondait pas exactement à ce qui était L'information donnée par le journal, ainsi
écrit dans le journal ce matin d u 10 mars que par la radio et par la télévision (qui repro-
1982. duisait cette vérité), modifiait momentanément
Bien que moins rare, la réaction de ce pro- et exceptionnellement la vérité répétée par cette
fesseur à la question posée par l'élève constitue quatorzième édition d u manuel. N o n averti (ou
aussi u n phénomène digne d'attention. D ' u n non informé?), ce professeur ignorait q u ' u n
air assuré et un peu agacé, il formula sa réponse fait nouveau s'était produit qui remettait en
après avoir jeté u n bref coup d'œil à la page 43 question la routine de son cours, si assurée
du manuel, oùfiguraientles mots m ê m e s qu'il l'année précédente.
venait de prononcer à propos de la disposition L a question posée par l'élève était la marque
harmonieuse des planètes, avec une belle illus- d'un regard attentif aux choses qui se produisent
tration montrant le Soleil entouré de son cortège dans l'instant, ici et maintenant — avec une
ordonné et obéissant. L e livre était sûr (il en capacité de curiosité et de doute suffisante
était à sa quatorzième édition !) et le professeur, pour ébranler la rigidité d ' u n concept bien
en se fiant à lui, ne pouvait pas non plus se établi, maintes fois répété et d'autant plus
tromper. Mais le 10 mars 1982 était u n jour respecté. U n e situation insolite était créée : il
particulier — que le manuel n'avait pas prévu — ne s'agissait plus d'apprendre ce qui est consa-
au cours duquel les neuf planètes d u système cré, mais d'appréhender quelque chose de
solaire devaient, à 20 h 30 (heure de Brasilia), récent, d'original. Soudain, l'école, s o m m e de
ces concepts (parfois, idées préconçues) et affir-
mations indiscutables, allait devoir elle aussi
faire œuvre d'exception.
D y m a s Joseph (Brésil). Journaliste, professeur de
philosophie de l'éducation, créateur du Département C'était la renaissance de la vieille agora
éducatif du Jornal do Brasil. d'Athènes, les questionneurs découvrant les

Perspectives, vol,
I. X I I , n° 4 , 1982
Dymas Joseph
554

réponses, cette fois non plus grâce aux arguties Cependant, le problème se pose, ici et dans
d'un maître c o m m e Socrate, mais dans ces d'autres parties d u m o n d e : il ne suffit plus
choses qui « étaient au m o n d e et qu'il fallait que l'école soit la réalité elle-même, elle doit être
seulement apprendre à voir », c o m m e le chante une « œuvre ouverte », capable de tracer
un jeune compositeur brésilien. (pas tant avec les professeurs qu'avec les élèves
eux-mêmes) les contours d'une vie encore in-
connue, qui sera la leur, des années plus tard,
Apprendre à voir quand ils auront quitté la classe ; elle doit être
le lieu de l'invention d u futur. L'objectif n'est
« Apprendre à voir », c'est l'apprendre à être pas la vie de cet instant, qui se consume rapi-
du rapport de la Commission internationale dement dans la vitesse des communications,
pour le développement de l'éducation, créée mais d'être apte à jouir d u m o n d e à venir,
par PUnesco et présidée par Edgar Faure 1 , qui sera précisément le résultat de cette extraor-
qui l'explique admirablement au chapitre iv, dinaire alternance équilibre-déséquilibre-équi-
« L e temps des interrogations », où il propose libre de la modernité qui jaillit et se transforme
aux éducateurs « une tâche passionnante [...] : à tout m o m e n t .
la recherche d'un équilibre harmonieux entre L e vieux et insolent Galilée nous encourage
la formation rationnelle et la libération de la dans ce sens lorsqu'il dit que « la science est
sensibilité », de façon à ne pas laisser échapper écrite dans ce livre immense qui s'ouvre cons-
les changements et à permettre la mise en tamment devant nos yeux (je parle de l'univers),
question, sans être effrayé par les doutes. mais nous ne pourrons comprendre ce livre
Revenons à la salle de classe, avec le profes- que si nous apprenons d'abord à comprendre
seur, le livre et l'élève, dont la question sur la langue et à connaître les caractères avec
l'actualité entraîne une réponse dictée par la lesquels il est écrit [...]. Sans cela, conclut-il, il
répétition facile d'un savoir. Q u e peut-il se est humainement impossible d'en comprendre
passer dans la tête d'un enfant, d'un adolescent, une seule parole ; sans cette connaissance,
lorsque le contenu d'une information (à laquelle c'est une errance inutile dans u n labyrinthe
les médias donnent u n retentissement fantas- obscur »2.
tique) est en conflit avec ce qu'on lui enseigne Ces caractères, dont parle l'irrévérencieux
en classe ? Est-ce le discrédit de l'école, est-ce savant, ne peuvent être déchiffrés par la géné-
sa transformation, ou bien l'école est-elle morte ? ration des adultes à laquelle appartiennent les
Bien que l'on ne puisse pas affirmer que cela professeurs ; ils soulèvent des questions aux-
se produit dans toutes les écoles d u Brésil, quelles les professeurs ne peuvent donner des
on peut dire sans crainte que c'est le cas pour la réponses propres à satisfaire la nouvelle géné-
majorité. Mais est-ce vrai seulement ici, ou ration qui est en train de construire u n autre
s'agit-il d'un phénomène universel ? univers — caractérisé par des habitudes, des
Les préoccupations de John D e w e y et conceptions et des valeurs différentes — et a
d'Anisio Teixera (grand diffuseur de ses idées une façon qui lui est propre, qui dérange et que
au Brésil) fournissent peut-être une piste pour les médias renforcent, de voir et revoir, juger
aborder le problème que l'éducateur américain et choisir, agir et réagir.
a résumé ainsi : « L'école doit imiter la vie L'éducation prépare rarement l'individu à
et chercher à être la vie elle-même. » L a mise s'adapter aux changements. Il est vrai que le
en pratique de cette pensée, qui était presque processus enseignement-apprentissage s'enri-
une devise, a été à l'origine d'une des périodes chit continuellement d'une vaste g a m m e de
les plus brillantes de l'histoire de l'éducation ressources technologiques propres. Il est vrai
au Brésil, au cours de laquelle différents éduca- aussi que l'école tend à abandonner de plus en
teurs ont contribué de façon décisive à la plus la prétention d'assumer seule les fonctions
révision de la pédagogie. éducatives de la société. C'est dans ce contexte
L a presse à l'école : une expérience au Brésil
555

que les médias, et en particulier le journal, se individus soient partie prenante de cette évolu-
présentent, pour peu qu'on fasse de l'infor- tion c o m m e sujets, et non seulement c o m m e
mation u n instrument didactique, c o m m e u n objets.
instrument pédagogique. La création d'un département éducatif dans
une entreprise de communication et de journa-
lisme — le Jornal do Brasil — impliquait
L e rôle du « Jornal do Brasil » l'élaboration de stratégies appropriées à la pour-
suite de ses objectifs. Il y eut de nombreuses
C'est dans cette perspective que s'est placé expériences, des prises de contact, des décep-
un des organes de presse les plus réputés d u tions, des frustrations, jusqu'à ce qu'enfin les
Brésil : « L'importance de l'information, n o n grands principes théoriques de son fonctionne-
seulement dans la formation des opinions, mais ment commencent à se dessiner. A la suite d'une
en tant que registre dynamique d'une histoire série de réunions entre journalistes, animateurs
en constante mutation, nous a fait entrevoir culturels, élèves de treize à dix-huit ans et u n
depuis longtemps, sa Jornal do Brasil, sa valeur maquettiste naquit l'idée de créer une rédaction
pédagogique, didactique », explique dans sa « volante », qui, pendant u n certain temps,
déclaration son plus jeune directeur, J. A . do s'installerait dans une école.
Nascimento Brito. « Aujourd'hui, une nation Cette conception exigeait des élèves certaines
est plus forte qu'une autre non pas grâce à sa connaissances et aptitudes de base dans les
puissance militaire, mais par la quantité d'infor- domaines de la communication, des techniques
mations dont elle dispose. Avec une vision de rédaction, de la créativité, d u travail en
toujours rénovatrice d u m o n d e , nous nous groupe et impliquait qu'ils s'exercent à observer
sommes rendu compte que notre fonction la réalité de leur communauté, à faire des
sociale ne serait pas complètement remplie si recherches et à rassembler une documenta-
nous ne mettions pas en place u n secteur tion à ce sujet. Il fallait, en outre, définir les
destiné à servir la communauté des jeunes en concepts de culture, de communauté et de bien
introduisant l'information en classe, en tant que c o m m u n .
donnée nouvelle qui doit s'insérer dans la dyna- L'expérience commença en mars 1972, réu-
mique du processus enseignement-apprentissage nissant 48 élèves de première, choisis dans une
lui-même, de plus en plus tourné vers le nou- m ê m e division, sur une population de 850 élèves.
veau et l'original. Rien de plus logique donc L e travail devait être fait uniquement dans
que la création d'un département éducatif qui cette division, à titre expérimental, sans modi-
mobilise l'école sur ces informations — vivantes, fication de l'organisation des cours ou pro-
dynamiques, actuelles — et l'amène ainsi à grammes scolaires. Les seules facilités qui nous
jouer plus efficacement son rôle d'agent d u furent accordées étaient la possibilité d'accéder
changement et de support d u développement aux salles de classe et aux annexes de l'établis-
de la nation. Enfin, nous sommes conscients sement en dehors des heures de cours et de
de notre responsabilité envers le Brésil d u travailler en coopération avec des professeurs.
xxie siècle, qui sera dirigé par les enfants et les
jeunes que nous aidons aujourd'hui à former. » A u cours des deux premières semaines, nous
avons expliqué, de façon informelle et aussi
concrète que possible, comment se fait u n
journal, en donnant des indications sur le
Vers u n département éducatif rôle joué par le rédacteur en chef, les reporters,
les photographes, les illustrateurs et les metteurs
L a question qui se posait à nous contenait une en pages, ainsi que sur les notions de texte, de
proposition simple : l'information est u n élé- titre et de légende. A cela s'ajoutaient des
ment indispensable à la formation d'une vision exercices pour développer l'esprit d'observation
évolutive des choses, nécessaire pour que les et se familiariser avec le choix et la synthèse
556 Dymas Joseph

des informations, et des jeux pour apprendre à d'inciter les élèves à le lire quotidiennement).
discerner ce qui a valeur d'information. E n N o u s nous s o m m e s progressivement rendu
m ê m e temps, pour rendre plus dynamique cette compte, par la suite, qu'il fallait y maintenir
phase de conceptualisation, nous avons intro- plus longtemps certaines informations, c o m m e
duit (avec la participation d u professeur de le calendrier des examens, des fêtes, etc. Pour
rédaction, communication et expression) la ce type de nouvelles, nous avons donc réservé
pratique d'un journal mural à l'usage du groupe, u n espace sur la droite d u panneau, avec le
de contenu libre. titre : « Il va se passer... » Mais nous avons
E n outre, nous avons utilisé, à la fin de quand m ê m e retenu c o m m e principe que le
chaque séance (ce qui a été adopté d'emblée journal devait présenter u n visage nouveau
par le professeur de sciences), la technique d u tous les jours. A cet effet, les informations de
journal parlé, qui consistait en u n rapport oral, cette rubrique étaient placées par ordre chrono-
d'une o u deux minutes, par les élèves qui le logique, les faits les plus proches étant inscrits
désiraient (en fait, tous), faisant l'évaluation d u en rouge, les événements à m o y e n terme sur
travail réalisé jusqu'alors. N o u s en profitions fond jaune et les autres en vert. Chaque jour,
pour corriger o u améliorer leur expression cette chronique recevait une illustration avec
orale en les amenant à présenter plus claire- une légende relative à l'événement le plus
ment leur communication et en les sensibilisant proche.
aux vertus de la concision — sans toutefois Pour maintenir le principe « chaque jour, un
inhiber leur créativité. Pendant cette phase, nouveau visage », d u journal mural, m ê m e pour
il a surtout été question des techniques d u la rubrique « Il va se passer... », nous en s o m m e s
téléjournalisme et d u radiojournalisme. venus à utiliser des expressions c o m m e « de-
L e journal parlé, instrument d'auto-évalua- main », « aujourd'hui », « dans deux jours », etc.,
tion dynamique, s'est rapidement enrichi d'an- sous forme de manchettes, ce qui permettait
de laisser l'information affichée tout en lui
nonces d'anniversaires, de fêtes, de c o m m u n i -
qués révélateurs des intérêts des enfants en donnant tous les jours u n attrait différent, de
matière de loisirs, de sport, de culture et dans façon à créer l'impression que, si on ne la lisait
d'autres domaines auxquels o n ne s'attendait pas le jour même, on ne la verrait plus le lendemain
pas. N o u s avons ainsi v u surgir des revendi- et qu'on ignorerait quelque chose que beaucoup
cations, quelquefois profondes, mais toujours de gens connaissent. Entre nous, nous disions
formulées dans u n climat de décontraction et que le journal devait vieillir en vingt-quatre
de bonne humeur. N o u s avons également cons- heures et qu'il y aurait chaque jour une n o u -
taté que l'interaction dans le groupe a été veauté à assimiler. D e plus, le matériel recueilli
largement favorisée. était transmis à u n groupe d'élèves chargés
Pour le journal mural, il consistait en une d'assurer le fonctionnement d ' u n secteur re-
plaque de matériau tendre de 2 m X 2 , 5 m , où cherche et documentation, qui classait le maté-
les élèves pouvaient fixer des feuilles de papier riel d u journal mural et d'autres documents
(ou tout autre support) pour présenter des fournis par des condisciples dans des dossiers
informations. Cette plaque était fixée sur u n destinés à être consultés. Cet aspect de l'expé-
des murs de la salle de classe, n o n pas à côté rience a été repris par la suite par le départe-
de la porte d'entrée — pour éviter qu'elle ne m e n t éducatif d u Journal do Brasil dans d'au-
soit considérée c o m m e u n e chose que l'on tres écoles (en faisant appel à des élèves et à des
regarde en passant —, mais sur le m u r exacte- professeurs) pour montrer comment organiser
ment opposé, point naturel de convergence de et utiliser des dossiers de coupures de journaux
l'attention. U n e règle préalable devait être et de revues. Ainsi, à côté des livres, la biblio-
observée : le journal mural serait renouvelé thèque a ouvert ses rayons à ces dossiers, por-
tous les jours, aucune information n ' y resterait tant sur des questions telles que la Transamazo-
affichée plus de vingt-quatre heures (cela, afin nienne, le pétrole, l'énergie (ce dernier thème
La presse à l'école : une expérience au Brésil 557

étant lui-même subdivisé en plusieurs parties Q u e contenait ce journal mural? Toute


correspondant aux différentes formes d'énergie) sorte de choses. L a critique d'un programme
et sur d'autres points relevés dans les propo- de télévision, une proposition d'échanges d e
sitions de travail faites par les professeurs. livres ou de matériel de sport, la mise en place
Bientôt, des dossiers ont été constitués en du maillot de football du collègue qui a marqué
fonction de la parution des nouvelles dans la le but de la victoire au dernier match, un poème,
presse. Parmi les domaines ainsi couverts figu- une anecdote inventée, une invitation à parti-
rent, par exemple, l'espace, la mort de Sadate, ciper à l'étude de la vie d'une fourmilière...
et, plus récemment, le système solaire (y Tout cela ferait une longue et fascinante enu-
compris le phénomène de la superconjonction meration que nous arrêtons là pour laisser le
des planètes). N o u s envoyons régulièrement des plaisir de la surprise à ceux qui feraient une
éléments de documentation que le Jornal do expérience d u m ê m e genre.
Brasil reçoit mais n'utilise pas, et nous tenons U n e activité importante réalisée dans ce
une rubrique dans le Jornal do professor cadre mérite d'être signalée ici : le groupe qui
(une des publications imprimées par le dépar- lisait les journaux d u jour découpait les nou-
tement éducatif), avec des informations plus velles les plus significatives et les affichait en y
détaillées sur les faits récents les plus signi- joignant une feuille blanche pour que les autres
ficatifs, qui sont également recueillies dans ces élèves notent leurs commentaires. A u début,
dossiers. le groupe découpait l'article en entier, mais,
Certaines bibliothèques scolaires se sont as- au bout de quelque temps, il s'est aperçu que
sociées à la mise en œuvre de ce projet en personne ne le lisait jusqu'au bout parce qu'il
constituant des dossiers d'illustrations que les était trop long et que les caractères étaient trop
élèves peuvent utiliser pour leurs travaux sco- petits pour la distance à laquelle se tenait le
laires. Là également, le Jornal do Brasil enrichit lecteur d u journal. Aussi a-t-il introduit des
ces dossiers de photographies de son propre variantes : il a d'abord affiché seulement le
fonds qui, pour une raison ou pour une autre, titre ou la manchette, puis il a conclu qu'il
n'ont pas paru dans le journal, en en fallait ajouter aussi le chapeau, ou le résumé qui
donnant une copie et en conservant le négatif. figure toujours en première page (ce fut d'ail-
Pour en revenir au journal mural lui-même, leurs le titre donné à cette partie d u journal
une autre règle avait été définie : celle de la mural). Dans d'autres cas, il se bornait à
répartition harmonieuse du matériel sur le pan- afficher la photo ou l'illustration avec sa légende.
neau. Dans ce dessein a été créé u n groupe A côté était placée une chemise avec le reste
chargé d'appliquer les connaissances acquises de l'article découpé dans le journal, à consulter
en matière de mise en pages, qui étudie et pour approfondir la question ; le principe de
exécute tous les jours une maquette pour le la feuille blanche placée à côté de l'information
journal mural. C'est ce m ê m e groupe qui, (pour les commentaires et interprétations) était
voulant rendre le journal plus attrayant, a toujours maintenu.
introduit une modification dans la proposition
de travail : au lieu de simples feuilles de cahier
blanches fixées directement sur le panneau, Faire u n journal
il a eu l'idée de placer les feuilles sur des cartons
de couleur faisant l'effet d'un encadrement, N o u s étions à lafind u premier mois, et la
ce qui donnait plus de relief aux informations réaction des élèves était enthousiaste. Ils récla-
affichées. Ensuite, il a décidé qu'il devait y maient des tâches qui leur permettraient d'uti-
avoir une seule couleur pour chaque jour de la liser l'instrument qu'ils commençaient à d o -
semaine, de sorte que le changement de la miner. N o u s s o m m e s alors passés à une autre
couleur de fond du panneau avertirait immédia- étape du projet : les élèves voulaient une publi-
tement qu'il s'agissait d'une nouvelle édition. cation qui soit proche de leur vécu. Par o ù
558 Dymas Joseph

allions-nous commencer ? N o u s avons suggéré curiosité et la recherche d'informations, l'habi-


de faire seulement la première page d'un journal tude de la lecture, de la recherche et de la
( c o m m e le Jornal do Brasil, par exemple). collecte de documents, la libre formation d'un
Tout d'abord, nous avons réparti les rôles de langage et de modes d'expression propres à
rédacteur en chef, reporter, rédacteur, photo- chacun, bref, u n projet intégrant l'art, l'éduca-
graphe, illustrateur et metteur en pages. N o u s tion et la communication, dans lequel l'école
avons divisé la classe en groupes de six ou sept devient u n espace ouvert, dont la mission n'est
élèves responsables chacun d'une de ces fonc- plus expressément de transmettre u n savoir,
tions, et nous avons étudié la manière dont la mais de découvrir les vocations et les talents, les
première page d u Jornal do Brasil avait été potentialités de chaque individu.
mise au point. N o u s avons défini la notion Notre projet expérimental suivait cependant
de régulateur, chargé de proposer les règles son cours et arriva à u n point optimal au terme
applicables aux matériaux à publier, ainsi que de près de trois mois de travail à l'école, à la
celles de titre, de légende et d'éléments fonda- rédaction d u Jornal do Brasil, et m ê m e au
mentaux d'une nouvelle (qui, quoi, quand, domicile d'élèves o u de professeurs, en plus
c o m m e n t , où et pourquoi). des réunions spéciales que tenaient les « groupes
N o u s avons distribué alors des feuilles de de rédaction » (certaines d'entre elles avaient
mise en pages (modèles sur lesquels travaillent lieu avec la participation de journalistes profes-
les metteurs en pages et illustrateurs de notre sionnels ou d'animateurs culturels recomman-
journal). L e résultat a été spectaculaire : la dés par nous). N o u s avions lancé une propo-
parution de six premières pages avec des sition et maintenant élèves et professeurs étaient
« photographies », différents « titres » et « textes » mûrs pour continuer seuls, avec seulement une
écrits par les élèves eux-mêmes. Sur chacune certaine forme de contrôle et d'évaluation. L a
de ces pagesfiguraientle n o m du journal et une prochaine étape prévue était l'édition d'un
ébauche de logotype. L'expérience s'est renou- journal imprimé, pour lequel nous devions
velée deux fois, dont une avec collage de photos, déterminer l'importance de notre participation,
textes et titres de journaux et revues. Et, fina- en nous attachant aussi à définir ce que seraient
lement, a v u le jour une première page conte- le département éducatif d u Jornal do Brasil
nant des informations sur la communauté, et son m o d e de fonctionnement.
tandis qu'une « agence de presse » recevait (à
la manière d'un service de télex) les nouvelles
d'autres classes. Enfin un programme
U n journal était né et se trouvait confronté
à des problèmes de présentation, de politique L'expérience réalisée avec les quarante-huit
rédactionnelle, de distribution et de diffusion. élèves allait aboutir à une impasse puisqu'elle
C'était une production artisanale, proche des ne pouvait demeurer leur activité principale.
formules imaginées par Célestin Freinet pour Il fallait que nous mettions sur pied u n pro-
stimuler l'esprit de corps, l'approche expéri- g r a m m e (et n o n plus u n projet) qui, confor-
mentale, l'organisation et la systématisation de m é m e n t à notre objectif initial, mobilise de
la pensée logique, la participation à u n travail façon massive toute la communauté scolaire,
réel, l'évaluation de son travail dans sa propre composée de plus de deux mille écoles, d'une
communauté, la formation de l'esprit critique, zone de l'État de Rio.
le travail en équipe, le développement de la N o u s considérons néanmoins c o m m e très
communication et de l'expression, la dynamique important le travail ainsi accompli, car il nous a
de groupe (pour assurer la socialisation de tous permis d'élaborer u n e philosophie à partir de
les élèves), la participation à la vie c o m m u n a u - l'idée fondamentale d'utiliser l'information pour
taire (aux niveaux de l'école, des proches voi- galvaniser les efforts d'intégration de la c o m m u -
sins, d u quartier, de la cité et d u m o n d e ) , la nication au processus art et éducation. Dans ce
L a presse à l'école : une expérience au Brésil 559

cadre se sont dessinées certaines de nos formes Jornal do Brasil de matériel fondé sur une infor-
d'action actuelles : la préparation des profes- mation exploitée par les élèves — par exemple,
seurs et des élèves pour la réalisation de projets l'accession à l'indépendance d'un nouveau pays,
tels que ceux d'un journal mural, d'un journal événement dont différents aspects (géogra-
parlé et d ' u n journal imprimé (ou manuscrit), phique, économique, historique, etc.) peuvent
l'encouragement à la création dans les biblio- être approfondis et traités de façon journalis-
thèques d ' u n département de recherche et tique avec cartes, données statistiques et autres
documentation, la constitution de dossiers de éléments qui l'illustrent didactiquement. Autres
coupures de presse, la mise en route d u projet exemples : la « Foire à l'information profes-
« jeune journaliste », qui reproduit avec quelques sionnelle », la « Petite foire aux livres » (à l'oc-
modifications l'expérience réalisée avec les casion de la Semaine d u livre, des expositions
quarante-huit élèves (le travail n'est plus de livres, des causeries auxquelles participent
concentré sur une école, mais accompli par des des conteurs et des auteurs qui offrent o u ven-
élèves de plusieurs écoles qui l'effectuent en dent leurs livres et donnent des autographes,
c o m m u n au siège d u Jornal do Brasil), et la des échanges de livres d'occasion, etc., sont
transformation d u « groupe de rédaction » (qui organisés dans certaines écoles). U n autre type
sélectionnait et codifiait les informations pour d'activité, enfin, est la commémoration d'évé-
le journal mural) en club de lecture de journaux. nements c o m m e le Jour de la santé, la Journée
N o u s avons à nouveau réuni le groupe qui panaméricaine, l'anniversaire de la. naissance
avait conçu la proposition pilote, et nous avons ou de la mort d'une personnalité importante
restructuré le département éducatif sur la base pour la formation civico-culturelle des élèves.
d'un programme correspondant aux intérêts Pour ce qui est de la prestation de services,
des élèves de première et de seconde (c'est-à- nous avons u n e section de recherche scolaire
dire âgés de quinze à dix-huit ans) et prévoyant détenant plus d'une centaine de dossiers cons-
des publications imprimées, des projets, des titués d'informations tirées de journaux et
activités, la prestation de services et des c a m - revues et de textes rédigés par le département
pagnes (ou promotions). Les publications de- éducatif, sans compter les livres et collections
vaient être, en principe, au nombre de deux : que les élèves peuvent consulter dans une salle
une pour élèves et professeurs ; une pour spéciale où ils étudient et sélectionnent le m a -
professeurs seulement. Les projets développe- tériel qui les intéresse. Si l'élève a besoin de la
raient, au niveau de la communauté scolaire, des copie d'un document, nous s o m m e s en mesure
propositions liées à des thèmes d'intérêt public, de la lui fournir. Avant d'entreprendre une
qui seraient essentiellement ceux abordés dans recherche, les élèves sont conseillés par u n
le Jornal do Brasil : par exemple, « Clubs de professionnel qui les guide dans la manière
sciences » et « Foire aux sciences » (sciences et d'aborder la question.
technologie), « Club agricole », aujourd'hui
appelé « U n potager dans chaque école » N o u s tenons également à la disposition des
(santé, alimentation, agriculture), « Reporter élèves une collection complète des numéros d u
écologique » (environnement, écologie), « Jeune Jornal do Brasil publiés au cours des douze
cité » (formation politique de l'adolescent), etc. derniers mois, afin qu'ils puissent consulter le
Les activités étaient, en fait, des projets moins matériel déjà paru. Par ailleurs, la création
ambitieux, telle celle que nous avons appelée récente, au sein de notre entreprise, de son
« L e professeur va au théâtre » : le département propre centre de documentation a enrichi
éducatif offre (aux professeurs seulement) u n l'éventail des services que nous proposons : ce
billet gratuit pour une représentation théâtrale centre est doté, en effet, de matériel de micro-
suffisamment intéressante pour faire l'objet d'un filmage, d'un index des informations publiées,
débat avec des spécialistes. Autre activité, d'un précieux fonds d'histoire d u journalisme
1' « École des nouvelles » : publication dans le et d'archives photographiques. D e plus, les
élèves et m ê m e les professeurs peuvent d e m a n -
56o Dymas Joseph

der des renseignements par téléphone. Enfin, par le Jornal mural do Brasil, afin de permettre
les campagnes s'associent aux grands thèmes aux professeurs de bien maîtriser les points
proposés par le Jornal do Brasil ou la c o m m u - présentés. D e petit format (un quart du format
nauté elle-même. L a campagne « Plantez u n tabloïd), il paraît également tous les quinze
arbre » et la campagne sur l'enfant, qui a été jours et comprend seize pages essentiellement
réalisée récemment sur proposition de l'Unesco, destinées à faciliter la présentation de l'infor-
en sont des exemples. mation en salle de classe. E n outre, il contient
Maintenant que nous avons mis en place un résumé des principaux faits survenus dans le
ce cadre — qui se renouvelle d'année en domaine de l'éducation, des indications biblio-
année — nous sommes certains d'avoir une graphiques, u n exposé succinct des théories
doctrine et u n programme d'action (composé pédagogiques et des techniques d'enseignement,
de projets) concrets. le portrait d'éducateurs importants, des repor-
tages, etc.
L a section de la recherche scolaire a déjà été
Fonctions évoquée. Il reste à décrire le système qui réunit
du département éducatif entre eux ces trois éléments qui (parallèlement
du « Jornal do Brasil » aux activités, aux campagnes et aux projets)
définissent le département éducatif d u Jornal
Pour décrire les fonctions d u département édu- do Brasil.
catif du Jornal do Brasil, il faut commencer par L e schéma est le suivant. Tout processus
donner des précisions sur trois éléments fonda- commence par une information. Celle-ci, qui
mentaux : le Jornal mural do Brasil, le Jornal provient d u Jornal do Brasil — par exemple,
do professor et la section de recherche scolaire. la superconjonction des planètes — est pré-
L e Jornal mural do Brasil est notre pièce sentée dans le langage approprié et avec la
maîtresse. A la différence de l'expérience précé- typographie adéquate dans le Jornal mural do
dente, ce journal allait être fait par nous et Brasil, qui, affiché dans la salle de classe, éveille
imprimé sur les m ê m e s machines que le Jornal la curiosité de l'élève et l'incite à poser au
do Brasil. Il se composerait d'une feuille double, professeur des questions sur son contenu. D e
ouverte, n o n pliée, comprenant deux parties son côté, le maître, avec son Jornal do pro-
distinctes. Pour l'une, nous choisissons (con- fessor, va pouvoir lui répondre et, utilisant les
jointement avec différents groupes d'élèves) suggestions fournies par la publication, indiquer
u n sujet lié aux programmes scolaires ; quant à à l'élève une direction de recherche. Mais où
l'autre, son contenu est éminemment journa- trouver cette superconjonction des planètes
listique et porte sur l'information la plus signi- du système solaire, des informations qui ne
ficative du m o m e n t , étant entendu qu'elle doit figurent pas encore dans le manuel ? Pour cela,
fournir une contribution importante au travail la section de la recherche scolaire dirige, le
scolaire. A côté figure également u n calendrier cas échéant, les élèves vers des services exté-
des principaux événements et des dates les plus rieurs pour les aider à obtenir une meilleure
marquantes de la quinzaine. L e Jornal mural documentation, en indiquant m ê m e la personne
do Brasil paraît tous les quinze jours et est à voir en particulier (« Allez à l'observatoire
distribué gratuitement, par courrier, à toutes national et demandez M . Untel, à telle heure et
les écoles de la ville de Rio de Janeiro et à à tel numéro de téléphone »).
d'autres établissements d'enseignement. Ses Ainsi, u n cycle se forme et le processus est
textes sont courts, sa typographie large (il est continuellement réalimenté — puisqu'il part
fait pour être lu à deux ou trois mètres de dis- de l'information d u Jornal do Brasil et revient
tance), et il est bien illustré. au département éducatif, qui, à la fois, crée
L e Jornal do professor a paru indispensable des activités (une visite au planétarium), fournit
pour approfondir les informations données des matériaux et incite les jeunes scientifiques à
L a presse à l'école : u n e 561

étudier la question pour la foire aux sciences


de l'année, tout en dotant les bibliothèques
scolaires d'un matériel de référence. D e la
m ê m e façon, certains projets, c o m m e celui qui
a trait aux « jeunes journalistes » et à la réali-
sation de journaux scolaires appelés à donner
des renseignements sur ce type d'événement,
peuvent bénéficier de cette mise en évidence
de l'information. Les exemples de cette
démarche se multiplient à chaque occasion.
Il serait trop long de citer ici toutes les formes
que prend la mise en œuvre de ce programme.
Les résultats obtenus par le département
éducatif d u Jornal do Brasil nous donnent la
certitude que ses différents éléments contri-
buent ensemble, par leur interaction, à une
proposition ouverte idéologiquement et tournée
vers l'apparition d'une conscience critique d u
m o n d e et des choses qui nous entourent. E n
douze ans d'activité, chacun de ces éléments a
acquis une force de pénétration et une crédi-
bilité propres, tout en s'intégrant à un processus
dont le point de départ et l'objectif sont l'infor-
mation. •

Notes
1. Apprendre à être, Paris, Unesco/Fayard, 1972.
2. Galileo G A L I L E I , <¡ Poesía efilosofía: o livro do uni-
verso », O Ensaiador.
Revue de PROFIL D ' É D U C A T E U R S :
M A R I A MONTESSORI*

publications Le débat en cours

Maria Montessori est la figure de proue d u m o u v e -


ment de l'éducation nouvelle. Il est p e u d'exemples
d'une telle entreprise visant à instaurer u n ensemble
de préceptes éducatifs de portée universelle, et très
rares sont ceux qui ont exercé u n e influence aussi
puissante et aussi vaste en ce domaine. Cette univer-
salité est d'autant plus surprenante qu'au stade initial
de ses recherches elle avait concentré ses efforts sur
les tout jeunes enfants et que c'est seulement plus
tard qu'elle devait élargir le c h a m p de ses recherches
pour y inclure les enfants plus âgés et la famille. L a
petite enfance était, à ses yeux, la phase critique dans
l'évolution de l'individu, la période au cours de la-
quelle sont jetées les bases de tout développement
ultérieur. C'est pourquoi elle attribuait u n e portée
universelle aux observations que l'on peut faire sur
cette période de la vie. Maria Montessori fut aussi
exemplaire en ce qu'elle s'efforça toujours de conju-
guer théorie et pratique : ses maisons des enfants et
ses matériels didactiques témoignent de cette exi-
gence. A u c u n autre représentant d u m o u v e m e n t de
l'éducation nouvelle n'appliqua ses théories sur u n e
aussi vaste échelle. L e programme varié qu'elle lança
au niveau international est resté sans égal.
L e plus remarquable, c'est que le débat autour de
ses idées est tout aussi passionné et suscite autant de
controverses aujourd'hui qu'à l'époque o ù elle fit
paraître ses premiers ouvrages (en 1909, à l'insti-
gation de deux amies très proches, A n n a Maccheroni
et Alice Franchetti). D è s les années qui suivirent, o n
c o m m e n ç a à traduire ses livres dans les langues
principales d u m o n d e . L a série de conférences, claires
et stimulantes, qu'elle donna dans le m o n d e entier
facilita la diffusion de ses idées.
L a volonté d'appréhender ce phénomène — la
relation entre la théorie et la pratique, l'individu et
son travail, ce qui a été emprunté et ce qui est origi-
nal — n'est pas moins marquée aujourd'hui qu'hier,
c o m m e le révèle le n o m b r e des publications en R é p u -
blique fédérale d'Allemagne qui ont traité récemment
de ces questions1. Il a fallu attendre la réédition de ses
œuvres complètes pour pouvoir porter sur son œuvre
u n jugement d'ensemble 2 .
L a permanence de l'intérêt suscité par ses travaux
n'est nullement due à u n désir respectueux de pro-
téger et de préserver le passé mais résulte d'un authen-

* L e présent article est la traduction d'un chapitre de m o n


ouvrage intitulé Die Reformpädagogik. Ursprung und
Verlauf in Europa, Hanovre, Schrœdel Verlag, 1980.

XII, n° 4, 1982
564 Revue de publications

tique esprit de recherche. Il en est ainsi pour deux sur des principes scientifiques, Maria Montessori
raisons : en premier lieu, l'attrait qu'exerce la per- n'en considérait pas moins l'enfance c o m m e une
sonnalité de Maria Montessori, attrait qui lui survit continuation de l'acte de création. Cette combinaison
dans son œuvre et confère à ses idées une fascination d'approches différentes constitue l'aspect véritable-
particulière ; ensuite, le but qu'elle avait assigné à ment fascinant de son œuvre : tout en faisant des
son travail, à savoir fournir à l'éducation des enfants expériences et des observations précises dans un esprit
une base scientifique solide constamment vérifiée par scientifique, elle voyait dans la foi, l'espérance et la
l'expérience. confiance les moyens les plus efficaces d'apprendre
aux enfants l'indépendance et la confiance en soi.
L'expérience fondamentale Les maisons des enfants qui furent créées les années
Maria Montessori est née en 1870 à Chiaravalle, près suivantes devinrent parfois de véritables lieux saints
d'Ancône, en Italie ; elle est morte en 1952 à N o r d - où les éducateurs se rendaient en pèlerinage ; elles
wijk, en Hollande. E n 1896, elle est la première constituèrent toujours des modèles montrant c o m -
f e m m e en Italie à faire des études de médecine ment résoudre les problèmes pédagogiques.
complètes qu'elle termine par u n travail sur la neuro- L a réflexion et la méditation jouaient u n rôle
logie. Elle travaille ensuite pendant deux ans c o m m e important tant dans sa vie personnelle que dans son
assistante à la clinique psychiatrique de l'Université programme éducatif. Refusant d'adopter des m é -
de R o m e , où elle est notamment chargée d'étudier le thodes étrangères à sa démarche, rejetant les compro-
comportement d'un groupe de jeunes retardés m e n - mis, elle était certaine de défendre la cause de tous
taux. L e temps passé avec ces enfants lui permet les enfants, de répondre à leurs besoins, et elle savait
de constater que leur besoin et leur désir de jouer faire passer son message avec intelligence, clarté et
sont intacts, ce qui l'amène à envisager les moyens de résolution. Malgré la précision de son langage, elle
les éduquer. C'est à cette époque qu'elle découvre passait aux yeux de beaucoup pour une sorte de
les œuvres des médecins français Bourneville, Itard, grande prêtresse des droits des enfants dans u n
Séguin et celle de Pereira, Espagnol qui a vécu à Paris m o n d e hostile. Sa destinée personnelle (elle donna
et connu Rousseau et Diderot. Elle prend u n intérêt naissance à u n enfant naturel) contribua sûrement à
tout particulier aux études d'Itard — qui a tenté de l'atmosphère de mystère qui entourait son travail.
civiliser l'enfant sauvage trouvé dans les forêts de Mais c'est précisément grâce à son activité qu'elle
l'Aveyron en stimulant et en développant ses sens — trouva le m o y e n de résoudre ce problème de façon
et d'Edouard Séguin, élève d'Itard. D a n s l'ensemble, exemplaire4.
elle est restée discrète sur les sources de son inspi-
Ses plus proches collaborateurs — surtout A n n a
ration, mais dans ses écrits elle décrit de façon
Maccheroni et, pour u n temps, Helen Parkhurst —
approfondie ses efforts pour concilier ses thèses avec
se vouèrent totalement à la tâche. Sonfils,et par la
celles de Séguin, notamment celles qui sont exposées
suite son petit-fils, Mario Montessori, s'y consa-
dans son livre Idiocy and its treatment by the physio-
crèrent eux aussi. Cependant, leur engagement n'était
logical method, publié après qu'il eut émigré aux États-
pas motivé par le souci de maintenir une tradition
Unis et dans lequel il décrit sa méthode pour la
familiale, mais par celui de préserver un héritage bien
seconde fois3.
plus vaste, « l'éducation des êtres humains » (voir
Inspirée par l'expérience qu'elle avait acquise à la Mario Montessori, Erziehung zum Menschen, Mon-
clinique au contact des enfants, qu'elle avait vus jouer tessori-Pädagogik heute, Munich, 1977).
sur le plancher avec des morceaux de pain faute de
jouets, et par les exercices mis au point par Séguin Montessori et l'éducation nouvelle
pour affiner les fonctions sensorielles, Maria Montes- L'action entreprise par Maria Montessori à San
sori décida de se consacrer aux problèmes pédago- Lorenzo se révéla extrêmement fructueuse. T á l a m o ,
giques. E n 1900, elle travailla à la Scuola Magistrale le directeur de l'entreprise de construction, l'ayant
Ortofrenica, institut chargé de la formation des édu- chargée de fonder u n centre de jeunes pour sauver
cateurs des écoles pour enfants handicapés et arriérés de la rue les enfants dont les parents travaillaient,
mentaux. Après avoir étudié la pédagogie, elle s'oc- elle accomplit le « miracle de l'enfant nouveau »,
cupa de la modernisation d'un quartier pauvre de dont 1' « enfance », exaltée, influait à son tour favo-
R o m e , San Lorenzo, prenant en charge l'éducation rablement sur les parents. L ' « enfant véritable »
des enfants. Pour répondre à leurs besoins, elle fonda était la preuve vivante d u processus permanent de
une maison des enfants {Casa dei bambini) où ceux-ci création, de renaissance et de renouveau : quiconque
pouvaient apprendre à connaître le m o n d e et déve- avait le désir et le pouvoir de réfléchir sérieusement
lopper leur aptitude à organiser leur propre existence. à la question découvrait sa dimension profondément
San Lorenzo marqua le début d'une sorte de m o u - religieuse.
vement de renaissance qui contribua à raviver sa foi Maria Montessori fut une desfiguresauthentiques
dans la possibilité d'améliorer l'humanité par l'édu- de l'éducation nouvelle en tant que m o u v e m e n t inter-
cation des enfants. Bien que son action fût fondée national. E n effet, la réforme qu'elle préconisait ne se
Revue de publications 565

limitait pas à un simple remplacement mécanique des la vie par la vie à Bruxelles. D u fait de leur c o m m u n e
méthodes anciennes par de nouvelles, présumées appartenance au N e w Education Fellowship, ils
meilleures. A u c u n terme ne rend mieux compte d u eurent souvent l'occasion de se rencontrer et de
processus qui l'intéressait fondamentalement que discuter ensemble*. Cependant, à l'époque de leur
reformatio, dans son sens originel de réorganisation rencontre, ils avaient déjà l'un et l'autre élaboré la
et renouvellement de la vie. plupart de leurs idées, de sorte que les nombreuses
Il n'est pas facile de définir la position de Montes- similitudes que l'on peut observer entre leurs dé-
sori vis-à-vis des autres tenants de l'éducation nou- marches sont dues essentiellement au fait qu'ils
velle. Contrairement à la plupart, elle était très avaient tous deux étudié les œuvres d'Itard et de
influencée par Rousseau. D e nombreux passages de Séguin.
ses livres ressemblent à des variations sur des thèmes L e concept fondamental qui sous-tend l'œuvre
de Rousseau, et sa critique d u m o n d e des adultes, pédagogique de Montessori est qu'il faut aux enfants
qui, à ses yeux, ne tient absolument pas compte des un environnement approprié où ils puissent vivre et
enfants, rappelle également l'attitude de Rousseau. apprendre.
C'est encore influencée par Rousseau qu'elle s'élevait L a caractéristique fondamentale de son programme
contre les nourrices, contre les sangles, les armatures, pédagogique est qu'il donne une égale importance au
les bourrelets protecteurs et les paniers à roulettes développement interne et au développement externe,
utilisés pour apprendre aux enfants à marcher très organisés de façon à se compléter.
tôt, parvenant à la conclusion suivante : « Il importe Cependant, le fait qu'une certaine attention soit
de "laisser faire" la nature le plus librement possible, accordée à l'éducation externe, que les philosophes
et plus l'enfant sera libre dans son développement, et les pédagogues de l'école idéaliste considéraient
plus rapidement et plus parfaitement il atteindra c o m m e une simple conséquence du succès de l'édu-
ses formes et ses fonctions supérieures5. » cation interne, témoigne de l'orientation scientifique
H est clair qu'elle n'avait pas étudié de façon sys- de son programme. Sur ce point, l'influence de Séguin
tématique les œuvres de Rousseau — mais, de m ê m e a sûrement été décisive, de m ê m e que celle de Pereira,
qu'elle faisait siennes b o n nombre des critiques qui avait démontré le rôle des sens dans le déve-
émises à rencontre de la culture et de la société de loppement de la personnalité. L'idée qu'il est pos-
son temps, de m ê m e elle avait d û lire au moins cer- sible d'éduquer et de transformer les êtres humains
taines parties de YÉmile, en tout cas le premier livre. uniquement en manipulant les données sensorielles
Son attitude vis-à-vis des éducateurs qui partici- qui leur sont transmises, idée que Diderot a examinée
paient c o m m e elle au m o u v e m e n t de l'Éducation dans sa Lettre sur les aveugles et sa Lettre sur les sourds
nouvelle, D e w e y , Kilpatrick, Decroly et Ferrier en et les muets, et qui inspira le programme de Rousseau
particulier, est pareillement difficile à cerner. Bien en matière d'éducation sensorielle, joua également
qu'elle ait été en contact avec nombre d'entre eux un rôle important dans les théories de Montessori.
dans le cadre de ses activités au sein de la N e w Pour bien saisir la profonde originalité des idées
Education Fellowship, il n'en résulta aucune véri- de Montessori, il est nécessaire de les mettre en
table collaboration. Les seuls n o m s que l'on trouve parallèle avec la méthode mise au point par les sœurs
mentionnés dans ses œuvres sont ceux de Washburne Agazzi. Les travaux de Rosa et Carolina Agazzi
et de Percy N u n n — ce dernier surtout lorsqu'elle constituent l'une des tentatives les plus remarquables
élabore son concept d' « esprit absorbant ». pour faire progresser l'éducation des jeunes enfants.
Percy N u n n , qui présidait à l'époque la section Leur intérêt pour nous aujourd'hui vient de ce qu'ils
anglaise de la N e w Education Fellowship, la ren- se sont déroulés dans le m ê m e environnement que
contra à l'occasion d u cycle de conférences qu'elle celui où Montessori a élaboré ses idées.
donna à Londres. Sa théorie de la hormê et de la Dès 1882, Rosa Agazzi et sa sœur dirigèrent u n
mnêmê, développée dans son livre Education. Its data foyer d'enfants (77 nuovo asilo) à Monpiano (Brescia),
and first principles (Londres, 1920), aida Maria qui est considéré c o m m e la première maison des
Montessori à élaborer sa conception de l'esprit h u - enfants créée en Italie7. Anticipant la démarche de
main en développement, qui détermine le cours de Montessori, Rosa Agazzi s'efforça d'intensifier et de
l'existence en interaction constante avec l'environne- maîtriser le processus éducatif en modifiant le cadre
ment et, ce faisant, assume lui-même une forme de vie des jeunes enfants8.
définie. Montessori préconisait, pour l'étape initiale d u
Elle subit également l'influence d'Ovide Decroly. processus éducatif, l'utilisation d'un matériel didac-
Tant leur vie que leur œuvre présentent de n o m - tique constitué de plusieurs séries d'objets standar-
breux points c o m m u n s : ils avaient presque le m ê m e disés ; Rosa Agazzi préférait, quant à elle, que les
âge (Montessori était née en 1870, Decroly en 1871), enfants e u x - m ê m e s réunissent des objets de leur
ils étudièrent tous les deux la médecine et créèrent choix : leur expérience de l'objet était ainsi plus
l'un et l'autre des établissements d'enseignement complète et le processus d'abstraction ne c o m m e n -
en 1907, la Casa dei bambini à R o m e , et l'École pour çait qu'après ce premier stade. Cependant, il serait
566 Revue de publications

inexact d'affirmer que la différence entre les deux néo-kantiennes étaient également représentées, n o -
approches tient à ce que les sœurs Agazzi valorisaient tamment par Alessandro Chiapelli, Bernardino V a -
l'expérience directe et Maria Montessori l'abstrac- risco et Benedetto Croce. Il est peu probable que
tion. Cette dernière se préoccupait également beau- Montessori ait étudié sérieusement ces philosophes ;
coup d u stade expérimental. Mais elle mettait davan- néanmoins, elle fit participer ses enfants activement à
tage l'accent sur la nécessité d'amorcer le processus l'élaboration de leur cadre de vie, des règles et des
de comparaison et d'abstraction, qui revêt une i m - principes qui en gouvernaient le fonctionnement ;
portance capitale pour le développement intellectuel, de cette manière, justice était rendue à l'idée d'au-
de manière contrôlée et ingénieusement organisée, tonomie morale.
afin qu'il ne soit pas laissé au hasard. Mais Montessori alla plus loin encore : elle assuma
A l'instar des autres tenants de l'éducation nouvelle, systématiquement les conséquences logiques de ses
Montessori était consciente de la nécessité de prendre idées, c'est-à-dire qu'elle veilla à leur application et à
c o m m e point de départ les penchants et les centres leur mise en pratique dans les situations de la vie q u o -
d'intérêt des enfants pour que le processus éducatif tidienne, aspect souvent négligé par les éducateurs.
demeure relativement à l'abri des conflits. Mais elle L e p r o g r a m m e qu'elle avait mis au point dans ce
reconnaissait en m ê m e temps qu'il faut encourager, dessein comprenait des « exercices dans le cadre de
approfondir ces penchants, ces centres d'intérêt par la vie quotidienne », o u « exercices de vie pratique »,
des exercices, et que le succès de l'entreprise dépend c o m m e elle les appela dans la première des confé-
de l'éveil d u sens des responsabilités chez l'enfant. rences qu'elle donna en France 10 . Il y avait notamment
C'est ce qu'elle a apporté de véritablement nouveau : des exercices de patience, d'exactitude et de répé-
non seulement elle tenait compte des penchants et tition, tous destinés à renforcer le pouvoir de concen-
des centres d'intérêt de l'enfant, à l'instar de n o m b r e tration. Il importait que ces exercices soient faits
des tenants de l'éducation nouvelle qui fondaient chaque jour dans le contexte d'une « tâche » véri-
leur action uniquement sur ce principe, mais elle table, et non de simples jeux o u de passe-temps. Ils
s'efforçait d'encourager chez les enfants l'autodisci- étaient complétés par une pratique de l'immobilité
pline et le sens des responsabilités. et de la méditation, qui marquait le passage de
l'éducation « externe » à l'éducation « interne ».
Les maisons des enfants D a n s ses écrits, Montessori ne se lasse pas de
Les maisons des enfants étaient des cadres de vie souligner l'importance de la démarche qui consiste
spécialement aménagés pour répondre aux besoins à développer des attitudes plutôt que de simples
des enfants et qu'ils pouvaient transformer et a m é - compétences ; selon elle, l'activité pratique doit créer
liorer en exerçant leur sens des responsabilités. D a n s une attitude, et cela, grâce à la contemplation :
ces maisons, tout était adapté aux enfants, à leurs « L'attitude devient celle de la conduite discipli-
attitudes et perspectives propres : n o n seulement les née 11 . » C'était, à ses yeux, la tâche essentielle à
placards, les tables et les chaises, mais aussi les cou- laquelle devaient se consacrer les maisons des en-
leurs, les sons et l'architecture. O n attendait d'eux fants : « L e pivot d'une telle construction de la
qu'ils vivent et se meuvent dans cet environnement personnalité a été le travail libre, correspondant aux
en êtres responsables et qu'ils participent au travail besoins naturels de la vie intérieure ; par conséquent,
créateur c o m m e aux tâches de fonctionnement, de le travail intellectuel libre prouve qu'il est la base de
façon à gravir les barreaux d'une « échelle » s y m b o - la discipline intérieure. L a plus grande conquête des
lique conduisant à l'accomplissement. "maisons des enfants" est d'obtenir des enfants
Liberté et discipline s'équilibraient, et le principe disciplinés12. » Elle étaye cette affirmation par une
fondamental était que l'une ne pouvait être conquise comparaison avec l'éducation religieuse : « Cela fait
sans l'autre. Considérée sous cet angle, la discipline penser aux conseils que la religion catholique donne
n'était pas imposée de l'extérieur, elle était plutôt pour conserver les forces de la vie spirituelle,
un défi à relever pour devenir digne de la liberté. c'est-à-dire à la période de "concentration inté-
Montessori écrivait à ce propos : « N o u s appelons rieure", de laquelle dépend la possibilité de disposer
discipliné u n individu qui est maître de lui, qui ensuite de "force morale". C'est par la méditation
peut, par conséquent, disposer de lui-même ou méthodique que la personnalité morale acquiert les
suivre une règle de vie9. » potentiels de solidification sans lesquels l ' h o m m e
intérieur, distrait et déséquilibré, ne peut se pos-
L'idée centrale de l'autodétermination selon la-
séder lui-même ni s'employer à de noblesfins13.»
quelle la liberté n'est possible que si l'on se soumet
à des lois que l'on a découvertes et adoptées — ce D'accord en cela avec Rousseau, Montessori consi-
que Rousseau appelait la « volonté générale » — n'est dérait que « l'aide à apporter aux faibles, aux vieillards
pas expressément formulée dans ses œuvres. Vers et aux malades » était u n devoir important dont il
la fin d u siècle dernier et le début de ce siècle, la convenait de s'acquitter durant la phase d u déve-
philosophie italienne était assurément dominée par la loppement personnel où les « rapports moraux »14
pensée positiviste, mais les tendances idéalistes et définissent et marquent le début d'une vie nouvelle
Revue de publications 567

en tant que personne morale. Elle estimait que Pour chacun des sens, il y avait u n exercice dont
l'adolescence est la période où cette étape doit être l'efficacité pouvait encore être accrue par l'élimina-
franchie, mais, dans les maisons des enfants, les tion des autres fonctions sensorielles. Il existait, par
enfants s'y préparaient de bien des façons. Les toutes exemple, u n exercice d'identification par le toucher
premières activités dans lesquelles ils s'engageaient de différents types de bois, qu'il était possible de
étaient donc d'une importance décisive, tant sur rendre encore plus efficace en bandant les yeux des
le plan moral que sur le plan physique, pour les enfants.
phases suivantes de leur développement. Ces exercices étaient pratiqués en groupe et suivis
L a « période sensible » de la première enfance offre d'une discussion, ce qui renforçait leur portée d u
l'occasion unique d'encourager u n développement point de vue des aspects sociaux de l'éducation des
réel. Montessori considérait l'éducation sociale c o m m e enfants. C'est ainsi que les différentes activités étaient
un élément important de cette première phase puis- destinées à conjuguer leurs effets ; c o m m e Montessori
que l'autodétermination doit recevoir son orientation l'a écrit, « pour [que l'enfant] progresse rapidement, il
d'autrui pour que l'individu puisse atteindre la faut que la vie pratique et la vie sociale soient intime-
perfection en tant qu'être social. D a n s le dernier ment mêlées à sa culture » l e .
chapitre de son livre La découverte de l'enfant, elle a Si cette position était celle de Helen Parkhurst,
décrit ce processus : « A u c u n cœur ne souffre du bien elle était aussi, bien évidemment, celle de Alaria
d'autrui, mais le triomphe de l'un, source d'émer- Montessori, dont elle était l'élève : elle s'efforça de
veillement et de joie pour les autres, crée souvent développer les aspects sociaux de l'éducation, bien
des imitateurs. T o u s ont l'air heureux et satisfaits que la préoccupation essentielle qui guidait son action
de faire "ce qu'ils peuvent", sans que ce que font ne fût pas celle qu'animaient certaines conceptions
les autres suscite u n e envie ou u n e émulation éducatives d'origine sociologique ayant trait à une
pénible. L e petit de trois ans travaille pacifiquement catégorie différente de problèmes. Cela, pour ré-
à côté d u garçon de six ans ; le petit est tranquille pondre à ceux qui ont rejeté de façon partiale les
et n'envie pas la stature du plus âgé. T o u s grandissent idées pédagogiques de Helen Parkhurst et de Maria
dans la paix15. » Montessori en les accusant d'être irrémédiablement
L e matériel didactique avait également pour fonc- individualistes1'.
tion d'aider l'enfant à « grandir dans la paix », afin L e matériel didactique devait opérer « c o m m e une
qu'il acquière u n sens élevé des responsabilités. C e échelle », pour reprendre l'expression qu'affection-
matériel, qui constituait u n des éléments de 1' « en- nait Montessori : il devait permettre aux enfants de
vironnement préparé » des maisons des enfants, était prendre l'initiative et de progresser sur la voie de
méthodiquement conçu et normalisé, de manière que l'accomplissement. D'autre part, il était imprégné
l'enfant qui avait choisi librement de s'occuper de d'un esprit et d'une attitude intellectuelle spécifiques
l'un des objets proposés se trouve placé dans u n e qui devaient se communiquer aux enfants et les fa-
situation déterminée d'avance et soit conduit, sans çonner en conséquence.
le savoir, à faire face à son dessein intellectuel. L e « L e matériel sensoriel peut être considéré de ce
meilleur exemple que l'on puisse donner de cette point de vue c o m m e " u n e abstraction matériali-
situation est l'exercice des emboîtements solides : des sée"... Q u a n d le petit enfant se trouve devant le
cylindres de différentes hauteurs et sections doivent matériel, il répond par u n travail concentré, sérieux,
être introduits dans des cavités adaptées ; une seule qui semble extrait d u meilleur de sa conscience. O n
et unique solution est possible pour chaque cylindre dirait vraiment que les enfants sont en train d'at-
et, ainsi, l'enfant peut appréhender son erreur quand teindre à la plus haute conquête dont leur esprit est
le cylindre glisse et ne peut être introduit. capable : le matériel ouvre à l'intelligence des voies
sans lui inaccessibles à cet âge 18 . »
Le matériel didactique E n adoptant cette approche, le maître peut quitter
U n des principes fondamentaux sur lesquels reposait le centre du processus éducatif et opérer à partir de
l'emploi de matériel didactique était que les activités sa périphérie. Sa tâche la plus urgente est de prati-
devaient être méthodiquement coordonnées, de façon quer une observation scientifique et d'employer son
que les enfants puissent évaluer aisément, en s'y intuition à découvrir des possibilités et des besoins
livrant, leur degré de réussite. Il était par exemple nouveaux. L e développement des enfants doit être
d e m a n d é aux enfants de marcher le long de grands dirigé de façon responsable en accord avec l'esprit
cercles tracés sur le sol et formant toute une série de scientifique.
dessins intéressants, en tenant un bol rempli d'encre
bleue ou rouge jusqu'au bord ; si le bol débordait, Le fondement scientifique de son action
ils pouvaient se rendre compte que leurs mouvements Montessori fut l'une des premières à tenter de fonder
n'étaient pas suffisamment coordonnés et h a r m o - une véritable science de l'éducation. S o n approche
nieux. D e la m ê m e manière, toutes les fonctions cor- consista à instaurer la « science de l'observation »19.
porelles étaient consciemment développées. Elle exigeait des éducateurs et de tous les participants
568 Revue de publications

au processus éducatif qu'ils reçoivent une formation accompli dans le domaine de l'éducation, il n'est
à ces méthodes, et que le processus éducatif lui-même nullement certain que ce jugement soit positif. L e
se déroule dans u n cadre permettant contrôle et véri- succès de son action tenait à d'autres facteurs : son
fication scientifique. « L a possibilité d'observer c o m m e humilité, sa patience et (souvent évoqué) son pouvoir
des phénomènes naturels et c o m m e des réactions d'émerveillement devant la vie.
expérimentales le développement de la vie psychique Cette faculté d'imagination, qui transcende l'ob-
chez l'enfant transforme l'école elle-même en action, servation précise, est en fait u n m o d e de vie philoso-
en une espèce de cabinet scientifique pour l'étude phique. E n dépit de toutes les critiques qu'elle for-
psychogénétique de l ' h o m m e 2 0 . » mula contre la philosophie et l'enseignement de la
L'art fondamental de l'observation précise, que philosophie, elle adopta elle-même cette attitude.
Rousseau considérait déjà c o m m e la compétence la D a n s u n passage où elle se penche sur la nécessité de
plus importante requise pour enseigner, fait appel à donner aux enseignants une expérience pratique de
la précision de la perception et de l'observation. la pédagogie, elle écrit, à propos des étudiants en
Montessori imagina un « nouveau type d'éducateur » : biologie et en médecine, et d u rôle d u microscope :
« A u lieu de la parole [il doit] apprendre le silence ; « Ils ont senti, en observant au microscope, naître
au lieu d'enseigner, il doit observer ; au lieu de se cette émotion faite d'étonnement qui éveille la cons-
revêtir d'une dignité orgueilleuse qui veut paraître cience et l'enthousiasme passionné pour les mystères
infaillible, se revêtir d'humilité21. » C e type d'obser- de la vie23. »
vation attentive à distance n'est pas une aptitude Il importe de prendre en considération à la fois
naturelle : il faut l'apprendre « et savoir observer est l'ouverture de la sensibilité de Montessori aux « m y s -
la vraie marche vers la science. Parce que, si l'on ne tères de la vie » et son approche essentiellement
voit pas les phénomènes, c'est c o m m e s'ils n'exis- scientifique, sous peine de s'empêtrer dans les contra-
taient pas. A u contraire, Vâme du savant est faite dictions et nourrir la controverse toujours animée
d'intérêt passionné pour ce qu'il voit. Celui qui est quant à la valeur et à la signification de son œuvre ;
initié à voir c o m m e n c e à s'intéresser, et cet intérêt il faut cependant reconnaître que, m ê m e si aucun
est la force motrice qui crée l'esprit d u savant22. » aspect n'était négligé, les divergences d'opinion ne
Montessori conçut une méthode qu'on qualifierait s'effaceraient pas toutes pour autant.
aujourd'hui d'herméneutico-empirique. Cependant, Certaines des prises de position et des conclusions
elle ne parvint pas elle-même à mettre une seule de de Maria Montessori ressemblent plus à d u Pesta-
ces idées intégralement en pratique dans son propre lozzi, dans ses m o m e n t s philosophiques, qu'à l'ana-
travail. Ses expériences manquaient d'un cadre théo- lyse objective d'un docteur en médecine. Mais c'est
rique solide et elles n'étaient ni menées ni évaluées précisément cette largeur de vues qui confère à
de manière à permettre une confirmation objective. beaucoup de ses écrits leur puissance prophétique,
Ses descriptions n'étaient pas exemptes de subjec- qui n'est pas toujours, d'ailleurs, sans ambiguïté, et
tivité et ses conclusions étaient souvent partiales ou c'est ce qui explique sa grande popularité dans le
m ê m e s exprimées de façon dogmatique. m o n d e entier, en Inde c o m m e en Europe. C'est là o ù
Malgré cela, elle excellait à créer des situations elle venait en personne, donnait des conférences et
éducatives, m ê m e si souvent celles-ci étaient m a n i - des cours, et trouvait u n groupe de disciples dévoués,
festement davantage l'expression de sa personnalité décidés à vivre et à garder vivante sa doctrine, que
rayonnante que le fruit d'une réflexion et d'une pré- son influence était la plus grande 24 .
paration rigoureuses. Ses observations étaient menées
avec soin, selon des méthodes scientifiques qui en Perception
garantissaient l'objectivité, mais l'essentiel de son N o n seulement Maria Montessori mit au point une
travail tenait à u n talent très personnel, unique, pour méthode systématique de développement des facultés
manier et interpréter les processus éducatifs. perceptrices mais elle élabora aussi une théorie de la
Sa description des phénomènes éducatifs, et les perception qui a de n o m b r e u x points c o m m u n s avec
conclusions qu'elle en tirait doivent être considérées l'approche de Pestalozzi. Ainsi, en ce qui concerne le
dans cette optique. Elle décrit, par exemple, une matériel didactique, elle fait remarquer qu'il ne faut
petitefillequi tente quarante-quatre fois de suite de pas que « l'attention des enfants soit retenue par des
trouver la cavité qui correspond à une cheville en objets lorsque c o m m e n c e le phénomène délicat de
bois avant de diriger, avec joie, son attention ailleurs. l'abstraction »25. Elle voulait que son matériel didac-
Mais nulle part il n'est fait mention de son milieu tique soit conçu de façon à permettre de transcender
intellectuel et social ni de ses progrès ultérieurs. la situation concrète immédiate et à favoriser l'abs-
Montessori traite de la m ê m e manière toute sorte traction. « Si ces matériels n'encouragent pas la
de phénomènes, d'éveils et d' « explosions ». Si l'on généralisation, ils risquent, avec leurs "traquenards",
adopte ses propres critères — encore que ceux-ci de river l'enfant par de véritables liens à la terre. Si
soient formulés de manière vague et générale — pour cela se produit, l'enfant reste "enfermé dans le cercle
juger d u travail scientifique et théorique qu'elle a vicieux de la vanité" 26 . »
Revue de publications 569

Maria Montessori écrit : « D a n s son ensemble, le plupart des exemples qu'elle fournit pour illustrer
m o n d e répète plus o u moins les m ê m e s éléments. Si cette idée, Montessori parle de la grande satisfaction
l'on étudie, par exemple, la vie des plantes o u des manifestée par les enfants du fait de l'épanouissement
insectes dans la nature, o n a une idée approximative auquel ils parviennent de manière indépendante. Elle
de la vie des plantes o u des insectes dans le m o n d e conclut que « cette prise de conscience toujours
entier. Personne ne connaît toutes les plantes. Mais croissante favorise la maturité. Si l'on donne à u n
il suffit de voir u n pin pour parvenir à imaginer c o m - enfant le sentiment de sa propre valeur, il se sent
ment vivent tous les pins27. » libre et son travail ne lui pèse plus »31.
D a n s le m ê m e ordre d'idée, elle écrit ailleurs : Considérée sous cet angle, la liberté est ce à quoi
« Q u a n d o n rencontre u n fleuve o u u n lac, est-il il faut d'abord renoncer puis qu'il faut reconquérir
nécessaire de voir tous les fleuves et tous les lacs d u progressivement par l'accomplissement de soi. T o u s
m o n d e pour savoir ce que c'est ? » E n émettant cette les individus étant solidaires, ils n e peuvent donc
idée et en la formulant c o m m e elle le fait, elle se arriver à l'accomplissement de soi que dans l'inter-
montre étonnamment proche de Pestalozzi. Tout dépendance. C e processus est entièrement conscient,
c o m m e lui, elle conseille de ne pas négliger les formes requiert la mobilisation de toutes les facultés de
de perception directe. « A u c u n e description, aucune l'individu tout en les renforçant. Cet accomplisse-
image d'aucun livre n e peuvent remplacer la vue ment de soi aboutit enfinde compte à l'autoéducation,
réelle des arbres dans u n bois avec toute la vie qui se qui est la véritablefinalité.L a réflexion, la concen-
déroule autour d'eux 28 . » tration méditative, mais aussi u n effort intense sont
A ses yeux, il est fondamental d'obtenir la « coopé- indispensables pour tenter de résoudre les problèmes
ration de l'attention intérieure ». C'est pourquoi elle posés par le matériel didactique.
s'efforçait de structurer la base motivationnelle d u N o u s voici parvenus à ce que Maria Montessori
matériel didactique de telle manière qu'il soit en entendait par 1' « esprit absorbant », qui constitue,
contact avec la sphère de conscience de l'enfant. Il avec celui de « normalisation », u n des concepts
convient de noter que Montessori expliquait ce pro- fondamentaux de son système. Conformément à sa
cessus en le comparant à u n acte de foi, processus terminologie d'inspiration médicale, elle appelait les
apparenté qui, toutefois, se produit à u n autre ni- enfants des « embryons intellectuels ». Elle soulignait
veau : « Il ne suffit pas [...] de voir pour croire ; il faut par là que, d'une part, les enfants sont engagés dans
croire pour voir. » Elle écrit également plus loin : u n processus de développement et, d'autre part,
« C'est en vain que l'on explique o u m ê m e qu'on que développement intellectuel et développement
fait voir u n fait, si extraordinaire soit-il, s'il n'y a pas physique sont parallèles. Les enfants sont dès le
la foi. C e n'est pas l'évidence, c'est la foi qui fait début des êtres doués d'intelligence. Toutefois, lors
pénétrer la vérité29. » du premier stade d u développement, après la nais-
Elle a sans conteste réussi à établir u n lien entre sance, l'aspect physique prédomine, encore que les
cette forme de foi, qui est connaissance intérieure et besoins fondamentaux ne puissent être convena-
vision améliorée, et sa conception de la science. blement satisfaits que si l'être intellectuel qui est à
leur origine est reconnu et accepté. « L e petit enfant
L'épanouissement par l'activité indépendante va donc être soigné depuis sa naissance, considéré
avant tout c o m m e un être doué d'une vie psychique 32 . »
U n des concepts de base d u système éducatif de
Maria Montessori est 1' « activité indépendante ». L'éducation des enfants doit être conduite de
« U n individu est ce qu'il est, non point à cause des manière équilibrée dès le début ; sinon, les premières
maîtres qu'il a eus, mais du fait de ce qu'il a accompli impressions produisent des m o d e s déformés o u faus-
lui-même. » D a n s u n autre contexte, elle alla m ê m e sés de compréhension, d'expectative, de compor-
jusqu'à introduire l'idée d' « autocréation », qu'elle tement, qui ensuite se perpétuent. Ces premières
appliquait n o n seulement à la perception sensorielle impressions ne sont pas seulement gravées en perma-
et à l'intellect, mais aussi à la coordination de tous les nence dans l'esprit des enfants, il en résulte aussi
aspects humains d u développement de la person- la mise en place de structures de développement,
nalité. de schémas en fonction desquels toutes les expé-
C e processus ne peut réussir que s'il se déroule riences ultérieures sont affrontées et assimilées.
dans la liberté, laquelle s'entend c o m m e allant de Les enfants sont dès la naissance naturellement
pair avec la discipline et la responsabilité. Les enfants ouverts au m o n d e . D e ce fait m ê m e , ils courent
sont doués d'une compréhension intuitive des formes constamment le risque de se perdre, à la différence
d'épanouissement par l'activité indépendante. « Les des animaux, qui ont u n stock de réactions instinc-
enfants semblent avoir la sensation de leur croissance tives leur garantissant u n développement approprié ;
intérieure, la conscience des acquisitions qu'ils font en revanche, les animaux ne sont pas libres puisque
en se développant e u x - m ê m e s . U s manifestent exté- la liberté n'est pas u n état naturel mais une condition
rieurement, par u n e expression de joie, le fait à conquérir. « L ' h o m m e , à la différence des animaux,
supérieur qui s'est produit en eux 30 . » D a n s la n'a pas de mouvements coordonnés fixes ; il doit
570 Revue de publications

tout construire lui-même 3 3 . » A cet égard, on peut Cela explique également pourquoi Montessori met-
trouver une certaine analogie entre les idées de Maria tait tant d'espoir dans une réforme de l'éducation
Montessori et l'anthropologie moderne. Anthropo- conforme à ses idées. Pour elle, l'éducation de
logic! pedagógica (Milan, 1910) est le premier ouvrage 1' « h o m m e nouveau » devait commencer avec l'enfant,
qu'elle ait consacré à ce type de questions. qui en porte le germe. Si grandes étaient ses espé-
Q u a n d elle parle de la « vie psycho-embryonnaire », rances qu'elle était convaincue que là était la voie
elle a recours à une analogie avec 1' « embryon du salut. Elle croyait également au renouveau et à la
physique » afin de souligner que le m o n d e intellec- conquête de la perfection : « Si le salut vient, il
tuel de l'individu doit également être construit commencera par les enfants puisqu'ils sont les créa-
progressivement au m o y e n d'impressions et d'expé- teurs de l'humanité. Les enfants sont investis de
riences. L e milieu — et la façon dont il est organisé pouvoirs inconnus, qui peuvent être les clés d'un
pour remplir sa fonction éducative — est donc avenir meilleur. Si vraiment l'on veut u n renouveau
tout aussi important que l'alimentation d u corps authentique, alors le développement du potentiel h u -
pendant la période prénatale. « L e premier pas de main est la tâche que doit s'assigner l'éducation3'. »
l'éducation est de pourvoir l'enfant d'un milieu qui Cette foi dans le potentiel humain, encore renforcé
lui permette de développer les fonctions à lui assi- par F « esprit absorbant » lorsque sont utilisées les
gnées par la nature. Cela ne signifie pas que nous méthodes pédagogiques appropriées, est l'une des
devions le contenter et lui permettre de faire tout pierres angulaires de la théorie de l'éducation de
ce qu'il lui plaît, mais nous disposer à collaborer Montessori. L e deuxième point important est la
avec l'ordre de la nature, avec une de ses lois, qui volonté d'influer sur ce processus, dans u n esprit
veut que ce développement s'effectue par les expé- de responsabilité scientifique, et de découvrir les
riences propres de l'enfant34. » points faibles et les m o m e n t s décisifs d u développe-
L ' « esprit absorbant », c'est en m ê m e temps la ment de la personnalité afin de mieux le diriger.
capacité et la volonté d'apprendre. Cela veut dire Selon Montessori, ce processus n'est pas linéaire
que l'esprit est orienté vers les événements d u mais plutôt dynamique, ponctué d' « explosions »
m o n d e ambiant, en harmonie avec ces événements, — éveils, révélations, transformations, synthèses
si bien qu'eu égard à la diversité les aspects qui ont créatrices — qui le portent à de nouveaux niveaux
une valeur éducative diffèrent selon chaque cas d'évolution dont o n ne peut m ê m e pas pressentir
particulier : « [...] chez tous, le développement phy- la nature. Elle écrit à ce propos : « L e développement
sique précède les aventures delà vie »35. L'important, est une série de naissances successives38. »
c'est que les impressions reçues et l'ouverture m e n - Sa propre vie et l'évolution de ses idées ont été
tale aillent de pair, de manière que les impératifs d u gouvernées par des rencontres, des inspirations et des
processus d'apprentissage correspondent aux sensi- expériences de renaissance ; ses rencontres avec des
bilités et aux tendances naturelles de chaque phase personnes dont les préoccupations lui étaient proches
d u développement. furent bien souvent plus déterminantes que l'adhé-
Étroitement liée à ces concepts anthropologiques sion aux théories établies. Sa grande productivité
est l'idée de « périodes sensibles ». Il s'agit de périodes s'explique, en dernière analyse, par l'action d u prin-
de plus forte réceptivité du point de vue de l'appren- cipe « hormique » dans sa vie et sa pensée. Elle
tissage par interaction avec le milieu. Selon cette voulut exercer sur le m o n d e une certaine influence
théorie, il y a des périodes déterminées pendant en combinant harmonieusement la théorie et la
lesquelles l'enfant est naturellement réceptif à l'égard pratique ; elle chercha dans la pratique la confir-
de certaines influences d u milieu, qui l'aident à mation de ses théories et elle élabora sa pratique
maîtriser certaines fonctions naturelles et à accéder conformément aux principes scientifiques, atteignant
à une plus grande maturité. Il y a, par exemple, ainsi la perfection : telle est la raison d u succès
des périodes sensibles pour l'apprentissage d u lan- connu par les conceptions éducatives de Maria
gage, la maîtrise des relations sociales, etc. Si on leur Montessori.
accorde l'attention qui convient, elles peuvent être Hermann R O H R S ,
exploitées pour promouvoir des périodes d'appren- directeur de l'Institut des sciences
tissage intense et efficace. Sinon, les possibilités de l'éducation et du Centre de recherche
qu'elles offrent sont à jamais perdues. en éducation comparée,
L e déroulement harmonieux d u développement Université de Heidelberg
intérieur et extérieur peut engendrer également une (République fédérale d'Allemagne)
indépendance accrue : « Si aucun syndrome de régres-
sion ne se révèle, l'enfant manifestera des tendances
très nettes et très fortes à l'indépendance fonction-
nelle [...] D a n s chaque individu est à l'œuvre une
force vitale qui le pousse à rechercher l'accomplisse-
ment de soi. Percy N u n n appelait cette force hormê36. »
R e v u e d e publications 571

17. J'ai déjà traité cette question dans m e s ouvrages


précédents : H . R O H R S (dir. publ.), Schule und Bildung
Notes im internationalen Gespräch, p . 5 7 , Francfort-sur-le-
M a i n , 1966, et Die progressive Erziehungsbewegung,
W . B Ö H M , Maria Montessori. Hintergrund und Prinzi- p . 143 ; voir également P . O S W A L D , Das Kind im Werke
pien ihres pädagogischen Denkens, Bad Heilbrunn/Obb., Maria Montessori ; W . B Ö H M , Maria Montessori, p. 86.
1969 ; R . C . O R E M , Montessori heute, Ravensburgj 18. M . M O N T E S S O R I , La découverte de l'enfant, op. cit.,
1971 ; P . O S W A L D , G . S C H U L Z - B E N E S C H (dir. publ.), p . 142.
Montessori für Eltern, Ravensburg, 1974 ; M . M . M O N 19. , M . M O N T E S S O R I , Éducation élémentaire (première
T E S S O R I , Erziehung zum Menschen, M u n i c h , 1977 ; partie), op. cit., p . 102.
H . HoLTSTlEGE, Modell Montessori, Fribourg/Bâle/ 20. Ibid., p . 9 9 .
Vienne, 1977 ; T . H E L L B R Ü G G E , Unser Montessori- 21. Ibid., p . 100 et 101.
Modell, Munich, 1977 ; P . S C H E I D , H . W E I D L I C H 22. Ibid., p . 102.
(dir. publ.), Beiträge zur Montessori-Pädagogik, 23. Rid., p . 107.
Stuttgart, 1977 ; R . K R A M E R , Maria Montessori- 24. Voir G . S C H U L Z , Der Streit um Montessori, Fribourg,
Leben und Werk einer grossen Frau, M u n i c h , 1977 ; 1961 ; W . B Ö H M , Maria Montessori, p . 15.
T . H E L L B R Ü G G E (dir. publ.), Die Montessori-Päda- 25. M . M O N T E S S O R I , Éducation élémentaire (première
gogik und das behinderte Kind. Referate und Ergebnissepartie), op. cit., p . 7 0 .
des 18. Internationalen Montessori-Kongresses, München 26. Ibid., p . 7 1 .
(4-8 Juli 1977), Munich, 1977. 27. M . M O N T E S S O R I , De l'enfant à l'adolescent, op. cit.,
Voir les ouvrages suivants, tous publiés chez Herder- p. 38.
Verlag : H . H E L M I G (dir. publ.), Kinder, die in der 28. M . M O N T E S S O R I , De l'enfant à l'adolescent, op. cit.,
Kirche leben, 1964 ; P . O S W A L D (dir. publ.), Von der p . 39 et 4 0 .
Kindheit zur Jugend (De l'enfant à l'adolescent), 1966 ; 29. M . M O N T E S S O R I , Éducation élémentaire (première
P . O S W A L D , G . S C H U L Z - B E N E S C H (dir. publ.), Die
partie), op. cit., p . 7 0 .
Entdeckung des Kindes (La découverte de l'enfant), 3 0 . M . M O N T E S S O R I , Éducation élémentaire (première
1969, Das kreative Kind (L'esprit absorbant de l'en- partie), op. cit.,-p. 79.
fant), 1972, Schule des Kindes (L'éducation élémen- 31. M . M O N T E S S O R I , De l'enfant à l'adolescent, op. cit.
taire), 1976.
32. M . M O N T E S S O R I , L'esprit absorbant de l'enfant, op. cit.,
M . M O N T E S S O R I , La découverte de l'enfant, p . 24,
P- 55-
Paris, Desclée deBrouwer, 1958. Ses relations avec son 33. Ibid., p . 6 1 .
maître Séguin sont traitées de manière détaillée par 34. Ibid., p . 7 4 .
R. K R A M E R , op. cit., p . 58, et par T . HELLBRÜGGE, 35. Ibid., p . 6 2 et 6 3 .
Unser Montessori-Modell, p . 68. 36. M . M O N T E S S O R I , Kinder sind anders, p . 7 7 .
4- Voir R . K R A M E R , op. cit., p . 8 8 . 37. Ibid., p . 5 2 .
5- M . M O N T E S S O R I , Pédagogie scientifique, t. II : Éduca- 38. Ibid., p . 16.
tion élémentaire (première partie), p . 2 7 , édition d u
centenaire, Paris, E S F , 1970.
Cette supposition serait probablement confirmée par
une étude et la publication de cette correspondance, COMPTES RENDUS
ce qui n'a pas encore été fait.
P . P A S Q U A L I , Il nuovo asilo, Brescia, 1903. Éducation, travail et emploi
R . A G A Z Z I , Guida per le educatrici delVinfanzia, J A C Q U E S H A L L A K et F R A N Ç O I S E C A I L L O D S (dir. publ.)
Brescia, 1932. 2 vol., Paris
M . M O N T E S S O R I , Pédagogie scientifique — la découverte Unesco / Institut international
de l'enfant, p . 3 7 , Paris, Desclée de Brouwer, 1958. de planification de l'éducation, 1981
M . M O N T E S S O R I , Pédagogie scientifique, t. II : Édu-
cation élémentaire (première partie), p . 88, édition d u Éducation, formation et secteur traditionnel
centenaire, Paris, E S F , 1970. J A C Q U E S H A L L A K et F R A N Ç O I S E C A I L L O D S
Ibid., p . 88.
Paris, Unesco / Institut international
Ibid., p . 89.
de planification de l'éducation, 1981
Ibid., p . 87.
(Principes de base
M . M O N T E S S O R I , De l'enfant à l'adolescent, p . 2 1 ,
d e la planification d e l'éducation, 31)
Paris, Desclée de Brouwer, 1948.
15. M . M O N T E S S O R I , Pédagogie scientifique — la découverte
de l'enfant, p . 237. A u seuil d e la III e Décennie d u développement, il est
16. M . M O N T E S S O R I , De l'enfant à l'adolescent, op. cit., d e v e n u banal d e disserter sur la « crise » des systèmes
p. 29, et L'esprit absorbant de l'enfant, p. 189. éducatifs et 1' « échec » des politiques scolaires. N a -
572 Revue de publications

guère encore considérées c o m m e la panacée de la donnée d u système scolaire, d'autre part, ce qui
pauvreté individuelle et d u sous-développement suppose que l'on puisse faire abstraction des marchés
national, les politiques éducatives apparaissent de du travail. C'est avant tout cette hypothèse irréaliste
plus en plus fréquemment dans le discours dominant que les auteurs s'efforcent de lever par l'analyse sur
c o m m e le bouc émissaire de divers m a u x sociaux : le terrain des déterminants des structures d'emploi
budgétivoresj elles réduiraient les ressources dispo- et des politiques de recrutement des entreprises.
nibles pour l'investissement productif ; inadaptées, A cet ensemble de travaux se rattache la contri-
elles seraient source de chômage et de frustrations, et bution de M . Carnoy, « L a segmentation des marchés
partant de mouvements politiques déstabilisateurs ; du travail » (vol. II), qui, après une revue critique des
incapables de promouvoir la croissance ni m ê m e de théories d u capital humain, d ufiltreet du job com-
freiner l'aggravation d u sous-développement, elles petition, expose les principales hypothèses des théo-
n'auraient pas davantage empêché l'accroissement ries de la segmentation (lesquelles sous-tendent, en
des inégalités de revenus. C e qui est sûr, c'est qu'on fait, les études de cas d u premier volume) et en
ne connaît guère de société satisfaite de son système propose une tentative de vérification économétrique.
d'éducation et que pour certaines — les plus appau- Pour se vouloir pragmatique et opérationnel,
vries — la poursuite de l'effort de scolarisation engagé l'ouvrage n'en débouche pas moins sur une question
dans les années soixante est désormais financièrement fondamentale quoique n o n formulée : Est-il possible
exclue.
de prévoir les besoins en formation de la main-
Étant donné l'ambiguïté de jugements de valeur d'œuvre d u secteur capitaliste ? Plus précisément,
qui ne se réfèrent qu'aux objectifs affichés — et non s'agit-il seulement d'un problème d'amélioration de
aux déterminants réels — de ces politiques éduca- notre connaissance des structures d'emploi et des
tives, il convient d'accueillir avec une profonde politiques de recrutement ?
satisfaction toutes les tentatives d'analyse détaillée Autre limite des méthodes traditionnelles de plani-
et rigoureuse des manifestations et des causes de cet fication des ressources humaines : elles ne concernent
« échec », ainsi que les efforts de recherche de moyens que l'adaptation d u système éducatif « formel » à
d'améliorer les méthodes d'élaboration des objectifs l'emploi « officiel », c'est-à-dire de l'école au travail
des politiques d'éducation. C'est le cas de l'ouvrage salarié d u secteur moderne. Étant donné la faible
collectif en deux volumes récemment publié par capacité d'absorption de ce secteur dans les pays d u
l'Institut international de planification de l'éducation, Tiers M o n d e et l'impasse de la scolarisation, peut-on
Éducation, travail et emploi, qui rassemble des contri- concevoir u n e politique d'éducation spécifiquement
butions de praticiens de la planification de l'ensei- destinée au secteur n o n capitaliste de l'économie ?
gnement et de théoriciens de l'économie de l'édu- C'est de cette question que traite K . King dans
cation. « Planification de l'éducation et entreprise indivi-
L e premier volume, établi par J. Hallak et duelle » (vol. II) ; il convient d'y joindre le petit
F . Caillods, regroupe u n ensemble d'études empi- ouvrage de J. Hallak et F . Caillods, Éducation,
riques (menées au P a n a m a , en Indonésie, au Kenya formation et secteur traditionnel, également publié
et en France) dans u n projet qui se présente par l'IIPE en 1981.
c o m m e relativement modeste et limité puisqu'il L a contribution de H . Levin, « L a démocratie
s'agit de « contribuer à améliorer les méthodes tradi- dans l'entreprise et la planification de l'éducation »
tionnelles de planification des ressources humaines », (vol. II), est de nature quelque peu différente. Par
lesquelles, « malgré toutes les critiques dont elles son objet plus restreint d'abord : l'auteur s'intéresse,
ont fait l'objet, continuent, faute de mieux, à être aux États-Unis, à un interface particulier des systèmes
utilisées dans de nombreux pays » (vol. I, p . 9). éducatif et productif, celui des relations de travail
Les méthodes traditionnelles visées sont celles encore dans l'entreprise, abordées ici sous l'angle de l'insa-
dites « des besoins en main-d'œuvre », qui conçoivent tisfaction des travailleurs « suréduqués » par rapport
le système éducatif c o m m e une « industrie », centra- au contenu de leurs tâches — question qui a jus-
lement planifiée, dont la fonction première est de qu'ici fait l'objet de plus de discours que d'études.
produire des flux de main-d'œuvre quantitativement Par sa démarche plus ambitieuse ensuite, dans la
et qualitativement adaptés aux besoins de l'économie.
mesure o ù il développe à cette occasion sa théorie
C o m m e n t évaluer ces besoins ? L'hypothèse centrale
de l'histoire des relations entre l'éducation et le
de la méthode est : a) que ce sont des impératifs
travail — approche qui a au moins le mérite d'amener
technologiques qui déterminent la structure des
le lecteur à se poser le problème de la marge de m a -
emplois ; b) qu'à chaque emploi correspond une
nœuvre d u planificateur dans le contrôle politique
formation et une seule, condition nécessaire et suf-
centralisé de l'éducation et des méthodes d'analyse
fisante pour occuper cet emploi. O n pourrait donc
établir une correspondance technique stable entre macrosociales susceptibles de l'éclairer sur l'impact
u n emploi dans une branche de production donnée, de son action.
d'une part, et u n niveau éducatif dans une filière Étrangement, le modèle implicite de relation
éducation-emploi qui sous-tend la méthode « main-
Revue de publications 573

d'œuvre » est celui de professions indépendantes à prise : sa taille (qui c o m m a n d e entre autres son
structures corporatives ; ainsi, pour exercer la pro- poids sur le marché du travail), la structure de son
fession de médecin, il faut et il suffit d'être docteur en capital et son statut (filiale de multinationale,
médecine. Cela suppose : a) qu'il existe u n e corres- société à capitaux nationaux publics ou privés,
pondance rigoureuse entre la possession d'un diplôme entreprise individuelle...), son taux de crois-
et l'exercice d'un emploi, correspondance dont au sance, etc. Les taux d'encadrement, le contenu
demeurant la nature n'est pas strictement technique, même des occupations regroupées à l'intérieur
mais également déterminée par les structures sociales, d'une m ê m e catégorie de la classification des
politiques et économiques dans lesquelles s'exerce emplois sont extrêmement variables d'une entre-
le métier ; b) que le niveau d'éducation requis est la prise à l'autre.
seule condition exigée à l'entrée ; c) que dans la 2. U n m ê m e type d'emploi peut être occupé par des
relation éducation-emploi le revenu d u profes- travailleurs de niveau et de nature de formation
sionnel n'intervient qu'au niveau d u contrôle par la différents. L e critère de la formation joue d'une
profession elle-même (sous réserve d'intervention manière relativement faible pour les emplois
du pouvoir politique) des flux de sortie de diplômés. pourvus par promotion interne dans l'entreprise,
L a correspondance bi-univoque peut donc fonc- beaucoup plus fortement à l'embauche. Par consé-
tionner à des niveaux très divers de revenu m o y e n quent, une élévation d u niveau m o y e n d'instruc-
selon le pouvoir de négociation de la profession,
tion de la population active concentrera princi-
pour u n niveau donné de la d e m a n d e d u produit.
palement ses effets à l'entrée des emplois pourvus
Il n'en est évidemment pas de m ê m e dans la par embauche sur le marché externe d u travail.
relation production / emploi salarié / formation des O r les parts relatives d u recours aux marchés
travailleurs du secteur capitaliste. D ' o ù la néces- interne et externe sont très fortement liées aux
sité — que soulignent J. Hallak et F . Caillods — caractéristiques des entreprises. Ces m ê m e s
de renoncer à l'utilisation de coefficients « tech- caractéristiques expliquent également des diffé-
niques » stables (production/emplois et emplois/ rences dans les niveaux d'instruction exigés à
formations) si l'on veut améliorer les méthodes l'entrée pour un m ê m e emploi par des entreprises
traditionnelles de planification. différentes : c'est ainsi que les auteurs notent qu'à
Mais remplacer ces hypothèses simplificatrices P a n a m a , toutes choses égales par ailleurs, les
par d'autres plus réalistes d e m a n d e une recherche grandes firmes sont plus exigeantes que les petites
sur le terrain à la fois à u n niveau très fin (celui de pour les postes de cadre et moins pour les emplois
l'entreprise) et de grande ampleur, eu égard à la d'exécutant, les firmes multinationales plus exi-
diversité des structures et à la rapidité de leur évo- geantes que les sociétés à capitaux nationaux.
lution. O r ce sont des moyens très limités qui ont été Plus généralement, une grande partie d u secteur
affectés jusqu'ici à de tels travaux. officiel n'attache que peu d'importance aux diplô-
Les auteurs des recherches empiriques rassemblées m e s , et encore moins à la formation profession-
dans le volume I de l'ouvrage insistent bien, compte nelle technique. Ainsi que nous le rappelle K . King,
tenu de l'étroitesse de leurs champs d'investigation, « la majorité de toutes les compétences utilisées
sur l'intérêt essentiellement méthodologique de dans les usines d u Tiers M o n d e ne sont pas
leurs contributions, sur l'impossibilité d'interpréter acquises d u tout dans u n cadre éducatif officiel »
leurs résultats o u de généraliser leurs conclusions (vol. II, p. 326).
tant que l'analyse n'aura pas été étendue à des échan- 3. L a formation et l'expérience (variables cognitives)
tillons plus larges, représentatifs et comparables ne sont que deux des critères de recrutement pris
de pays à pays ; nous y ajouterons les difficultés en considération par les employeurs ; interviennent
qu'introduisent la faible fiabilité de la mesure de également les variables « ascriptives » (âge, sexe,
certaines variables ( c o m m e les salaires), l'incertitude origine familiale et ethnique, etc.) et des variables
des classifications, ainsi que les possibilités de corré- de comportement. Si leur poids relatif varie selon
lation avec des variables explicatives potentielles le m o d e de recrutement (interne o u externe),
non prises en considération à ce stade de la recherche. le type d'emploi et les caractéristiques des entre-
Toutefois, l'apport méthodologique (qui concernera prises, o n constate d'une manière générale que,
plus particulièrement les spécialistes) n'est pas le pour u n niveau de formation donné, certains
seul intérêt de ces travaux, dont nous pouvons retenir
groupes (jeunes, f e m m e s , minorités ethniques, etc.)
quelques conclusions qui rejoignent d'ailleurs celles
sont assignés majoritairement aux moins bons
d'études menées dans d'autres contextes nationaux
emplois des points de vue de la classification, de
ou sectoriels :
la stabilité d u statut, des conditions de travail,
i. L a structure des emplois salariés est liée au pro- du salaire.
duit (branche), à la technique utilisée (variable 4. Pour certaines catégories d'emploi (pas les m ê m e s
à l'intérieur d'une m ê m e branche), mais aussi aux dans les différentes études de cas), les caractéris-
caractéristiques socio-économiques de l'entre- tiques des firmes expliquent davantage que les
574 Revue de publications

caractéristiques des travailleurs la hiérarchie des demande de travail des entreprises sur l'offre des
salaires observée. L'élévation d u niveau de for- travailleurs. L'accumulation d u capital engendrerait
mation des travailleurs paraît dans l'ensemble historiquement deux mouvements conjoints de divi-
avoir moins d'effets positifs sur les salaires à la sion des salariés :
base qu'au s o m m e t de la hiérarchie, donc ne pas L e premier m o u v e m e n t résulte d'une volonté déli-
contribuer à la réduction des écarts de r é m u - bérée de contrôle social par les détenteurs d u
nération. capital concentré sur une classe ouvrière en voie
D e u x conclusions s'imposent. L a première est que d'extension et d'unification : « Diviser pour
« toute évaluation des besoins de main-d'œuvre régner. » Cela s'obtient en différenciant les tra-
par u n e économie devrait commencer par : a) le vailleurs en groupes hiérarchisés, éventuellement
recueil de données sur la répartition des entreprises antagonistes, amenés ainsi à lutter entre eux pour
selon certains indicateurs de leurs caractères ; b) la le partage des revenus d u travail plutôt que contre
formulation d'hypothèses sur les relations entre le capital pour l'accroissement global des revenus
divers types d'entreprises et leur utilisation des du travail a u détriment de ceux d u capital. Les
ressources humaines » (J. Hallak, vol. I, p . 212). L a critères de division peuvent donc varier. M . Carnoy
seconde est qu'il est confirmé, dans toutes les études constate, dans son étude économétrique, que dans
de cas, que le marché d u travail ne joue pas le rôle un pays c o m m e les États-Unis d'Amérique, o ù
de régulateur des déséquilibres que lui attribue la le niveau de formation des travailleurs est élevé
théorie néo-classique, mais qu'au contraire son fonc- et relativement homogène, les salariés des diffé-
tionnement tendrait à les accentuer. rents segments se distinguent moins par leur
C'est à la suite d'observations comparables — ef- niveau d'instruction que par leurs caractéristiques
fectuées aux États-Unis après l'échec des politiques « ascriptives » (race, sexe, etc.), à l'inverse des
d'éducation destinées à améliorer l'emploi et les pays en développement, o ù les niveaux de for-
revenus des populations les plus pauvres — qu'ont mation sont beaucoup plus différenciés. Mais,
été formulées, à la fin des années soixante, les hypo- ainsi que le note K . King, les critères d'apparte-
thèses dites « de la segmentation » des marchés d u nance familiale jouent u n rôle déterminant dans
travail. Elles identifient, selon les terrains d'obser- les politiques d'embauché de ces derniers pays,
vation et les auteurs, u n nombre variable de « seg- et rien n'interdit de penser que ces critères d'ap-
ments » d'emploi (la variante la plus connue est partenance conditionnent également le niveau
l'hypothèse « dualiste » : marché primaire / marché d'éducation atteint.
secondaire), caractérisés par : a) leur étanchéité, L e second m o u v e m e n t résulte d ' u n m o u v e m e n t
c'est-à-dire la très faible mobilité des travailleurs d'extériorisation de l'incertitude d u capital central
entre les segments ; f>) des caractéristiques plus vers sa périphérie, qui s'accompagne de trans-
ou moins satisfaisantes de stabilité dans l'emploi formations dans la technologie et la division d u
(sécurité, salaire, possibilités de promotion, condi- travail. U n noyau d'emplois stables et bien r é m u -
tions de travail, etc.); c) l'affectation privilégiée à cha- nérés, tenus dans les grandes firmes par des tra-
cun de ces segments de catégories de travailleurs pré- vailleurs fortement organisés, tend dès lors à
sentant des configurations relativement homogènes s'opposer à une couronne d'emplois précaires,
de caractéristiques « ascriptives », cognitives et de de sous-traitance, occupés par des travailleurs
comportement. surexploités dans des entreprises dominées.
Quelles sont, dans ces conditions, les possibilités
M . Carnoy (vol. II, p . 76-141) nous présente le d'agir sur l'emploi et la répartition par une poli-
dernier état d ' u n travail c o m m e n c é il y a quelques tique d'investissement en capital humain ? Faibles,
années en vue de vérifier économétriquement l'exis- semble-t-il, et fonction : a) d u rythme d'accroisse-
tence de tels segments aux États-Unis d'Amérique et m e n t des emplois dans les secteurs protégés ; b) d u
dans quelques pays d u Tiers M o n d e . U n tel test degré d'étanchéité entre les segments ; c) d u poids
ne peut être que statique et pose de difficiles pro- relatif de l'éducation dans la distribution des salariés
blèmes d'interprétation dans la mesure o ù il suppose entre les emplois. E n particulier, une politique
que les caractéristiques retenues soient très forte- d'accroissement d u niveau de formation des travail-
m e n t polarisées — ce qui est rarement le cas pour leurs des segments inférieurs, o ù se concentrent la
l'ensemble des variables retenues. Toutefois, le débat précarité et le chômage, risque d'avoir pour effet
se situe actuellement moins autour d u problème de principal, s'il y a saturation d u secteur protégé,
la réalité de la segmentation (hypothèse de travail d'élever le niveau d'exigence des employeurs pour
maintenant généralement admise) qu'autour de la u n m ê m e poste et d'abaisser relativement le niveau
question de l'origine et des facteurs déterminants des de rémunération de l'instruction à l'intérieur d u
partitions et cloisonnements observés. segment, contribuant ainsi à accroître l'écart entre
Parmi les explications proposées, M . Carnoy retient les segments ( m ê m e si elle tend à les réduire à
une version plutôt « radicale » des théories de la l'intérieur d ' u n m ê m e segment concurrentiel). Elle
segmentation, qui privilégie l'effet structurant de la
Revue de publications
575

s'analyserait alors plus c o m m e u n facteur de renta- fois absorbées (au demeurant en grande partie par
bilité d u capital (et éventuellement de croissance l'appareil d'État), il est apparu illusoire de compter
économique) que c o m m e u n facteur d'accroissement sur le secteur capitaliste pour employer plus qu'une
des revenus des travailleurs. frange de la population active (10 à 20 % dans de
O n ne peut, dans ces conditions, qu'être d'accord nombreux pays) et faire face à une offre de travail
avec M . Carnoy lorsqu'il estime que, dans une nourrie par la main-d'œuvre dégagée des campagnes
perspective d'action sur la répartition, la politique et de la petite production marchande et par la
éducative ne peut être efficace que c o m m e adjuvant croissance démographique. C o m m e cependant le
d'une politique d'action directe sur les revenus. chômage urbain apparent n'augmentait pas au m ê m e
Au-delà des conclusions partielles d'un optimisme rythme que cet écart, les spécialistes d u sous-
prudent des auteurs, il nous semble que trois développement se sont intéressés à u n secteur d'acti-
conclusions d'étape peuvent être formulées au stade vités jusque-là négligé (car classé d'emblée c o m m e
actuel des recherches : « traditionnel » et « transitionnel ») pour sa capacité
1. A supposer que puissent être anticipés le rythme d'éponger l'excédent de main-d'œuvre (20 à 30 %
et les formes de l'accumulation, les « besoins » des emplois urbains du Tiers M o n d e selon le Bureau
de formation de la main-d'œuvre n'en seraient international d u travail). Secteur « n o n officiel »,
pas pour autant techniquement prévisibles. D ' u n e « informel », « non structuré », « quaternaire », etc.,
manière générale, dans la mesure où les employeurs la terminologie montre bien que cet ensemble d'ac-
recherchent une main-d'œuvre à la fois mieux tivités — que l'on c o m m e n c e à mieux connaître —
formée et moins chère, leurs besoins en éducation a d'abord été v u de manière résiduelle, globale et
ne connaissent de limites que dans le prélèvement par opposition au secteur capitaliste « moderne ».
global des dépenses d'instruction sur le surplus U n e grande partie de ce secteur se révèle composée
et dans les dangers sociaux de la « suréducation ». d'activités à petite échelle, à faible capital et à forte
Peut-on, dans ces conditions, envisager d'amélio- intensité de main-d'œuvre n o n salariée, insérées
rer la planification de l'éducation par une meil- dans la circulation monétaire et très concurrentielles.
leure connaissance « objective » de ces besoins ? Il n'en fallait pas plus pour que certains y projettent
2. L'éducation est avant tout u n enjeu dans la le mythe de la concurrence pure et parfaite, et voient
distribution d u revenu. Étant donné les intérêts dans cette population de travailleurs « indépendants »
contradictoires qui opposent, d'une part, les e m - et débrouillards une pépinière d'entrepreneurs indi-
ployeurs aux travailleurs, d'autre part, les caté- viduels dynamiques susceptibles — avec u n peu
gories de travailleurs entre elles, n'est-il pas indis- d'aide — de résoudre enfin le double problème de la
pensable de définir la notion d' « échec » des croissance et de l'emploi.
politiques éducatives ? Échec pour quelles caté- Simultanément, les responsables des politiques
gories sociales ? D e quel point de vue ? Par éducatives se demandaient c o m m e n t freiner la
rapport à quels objectifs ? « boule de neige » scolaire, de plus en plus coûteuse
3. U n des apports essentiels des recherches empi- et désormais sans débouchés suffisants dans le sec-
riques sur les relations éducation-emploi dans teur moderne, pour éviter la montée des frustrations,
différents contextes structurels est sans aucun c o m m e n t dériver la demande sociale vers des for-
doute d'avoir montré que « le contexte économique mations moins ruineuses et mieux adaptées à la
et politique de l'investissement éducatif est aussi réalité des débouchés.
important que l'investissement par lui-même » D e la conjonction des deux est née ce que K . King
( M . Carnoy, vol. II, p . 20). Elles ouvrent ainsi la n o m m e « la planification de l'éducation pour l'entre-
voie moins peut-être à la recherche d'une théorie prise individuelle : u n credo contemporain » (vol. II,
à opposer à la théorie néo-classique d u capital p. 277-357). « C e n'est pas par hasard, écrit-il,
humain qu'au développement d'analyses concrètes qu'à l'époque m ê m e o ù les économistes et plani-
des structures et des institutions économiques, ficateurs découvraient l'importance d u secteur n o n
politiques et sociales qui conditionnent la valo- officiel une recherche parallèle, effectuée par les
risation des investissements éducatifs, permettant spécialistes de l'éducation, les a amenés à découvrir
ainsi de mieux prévoir les effets d'une politique l'éducation n o n officielle [...], terme abrégé pour
d'éducation donnée et de déterminer les conditions décrire toute une g a m m e d'enseignements qui ne
de son efficacité en liaison avec les autres éléments paraissaient pas atteints d u m ê m e malaise que l'édu-
des politiques de gestion des ressources humaines. cation officielle [...]. L'intérêt de l'éducateur pour
Naguère, le problème était celui de la pénurie de l'éducation non officielle se compare à l'engouement
main-d'œuvre qualifiée pour le secteur moderne de l'économiste pour le secteur n o n officiel. T o u s
des pays sous-développés, et les plans scolaires de deux veulent absolument explorer la possibilité de
la I re Décennie d u développement étaient fondés coopter l'activité la moins officielle et d'influencer,
sur le postulat d'une croissance continue de ce espère-t-on, l'évolution aussi bien du secteur moderne
secteur. Les premières promotions de scolarisés une que d u système scolaire ordinaire » (vol. II, p . 282).
576 Revue de publications

Tant K . King que Jacques Hallak et Françoise Enfin, et peut-être surtout, o n sait peu de chose de
Caillods (dans leur ouvrage Éducation, formation et l'impact des tentatives de « cooptation » des sec-
secteur traditionnel) abordent le problème avec rigueur, teurs informels, tant économique qu'éducatif, dont
nuance... et scepticisme. D e leurs analyses, o n peut on connaît mal les relations dynamiques avec les
retenir quelques points centraux : secteurs officiels. Favoriser le développement d'un
D a n s quelle mesure peut-on parler d' « entreprise secteur « intermédiaire » d'entreprises ne risque-t-il
individuelle » et de « travail indépendant » dans le pas de supprimer u n n o m b r e supérieur d'emplois
secteur n o n officiel ? K . King nous rappelle que informels, de concurrencer l'artisanat traditionnel,
« le concept réel d'entreprise individuelle reste de profiter surtout à des fonctionnaires ? Jacques
extrêmement vague » (vol. II, p. 287) ; Jacques Hallak et Françoise Caillods posent le problème en
Hallak et Françoise Caillods, dans leur excellente termes d'alternative : « L e devenir d u secteur tra-
synthèse des recherches sur le secteur informel ditionnel sera soit sa transformation au profit de la
(que, curieusement, ils continuent de d é n o m m e r petite industrie avec de faibles perspectives d'ab-
« traditionnel »), montrent qu'il s'agit d'un secteur sorption pour l'emploi, soit sa dégradation en
extrêmement hétérogène et mouvant, dans lequel secteur d'activité employant u n e main-d'œuvre
la notion d' « indépendance » doit être relativisée, jeune (d'apprentis) de plus en plus sous-payée et
tant en ce qui concerne le degré et les formes de de moins en moins qualifiée » (vol. II, p. 110). L ' u n
soumission au capital que le statut des travailleurs : exclut-il l'autre ? Intervenir dans le c h a m p de
apprentis et aides familiaux à vie, tâcherons, l'éducation n'est pas moins périlleux. L'école, les
travailleurs à domicile et sous-traitants surexploités formations extrascolaires d u secteur moderne, les
ne sont-ils pas, dans une large mesure, des « faux formations traditionnelles organisées (apprentis-
salariés »? L e « travail indépendant » n'est-il sage) et les formations sur le tas entretiennent des
pas u n terme trop positivement connoté lorsqu'il relations complexes et remplissent des fonctions
désigne les activités de subsistance et de survie des sociales qu'il est indispensable d'analyser avant
« pauvres occasionnels » ? Mais « l'éducation en toute intervention (on trouvera un bon exemple de
vue d u travail indépendant » sonne mieux que méthode d'analyse de ce type dans l'étude de
« l'éducation en vue de la pauvreté » ( K . King, J. Duplex, O . de Fontmagne et C . M a r r y : « L ' e m -
vol. II, p . 306). ploi et la formation dans les industries métallur-
Les compétences nécessaires à l'entrepreneur indi- giques dans les Bouches-du-Rhône » (vol. I,
viduel peuvent-elles s'acquérir dans u n cadre for- P- 307-371).
malisé — scolaire ou extrascolaire ? Cela semble O n regrettera donc de constater, avec K . King, que
douteux en l'état actuel des choses. Diverses en- « les décisions de politique portant sur [le point]
quêtes concluent à l'absence de corrélation (voire de savoir s'il est souhaitable de lier enseignement
à une corrélation négative) entre le niveau d'ins- et travail indépendant dans le contexte actuel sont
truction des chefs d'entreprise et la rentabilité de très en avance sur les conclusions de travaux de
leurs affaires. Si l'on peut accuser l'école — par recherche portant sur ce domaine » (vol. II,
son rythme, son contenu, ses sanctions... — d'être p. 305).
plus faite pour préparer à l'emploi salarié (et plus D a n s les discours sur l'échec des politiques sco-
spécifiquement à l'emploi salarié dans les services laires revient sans cesse le thème de la frustration, du
publics), il semble également que les actions de mécontentement des élèves, chez qui u n excès d'ins-
formation professionnelle extrascolaires soient sans truction par rapport aux emplois qu'ils sont appelés
rapport avec les activités effectivement exercées. à remplir susciterait u n niveau d'aspirations trop
Selon Jacques Hallak et Françoise Caillods « le élevé. L e thème n'est pas nouveau : o n le retrouve
meilleur m o d e de formation pour le secteur tra- dans tous les pays occidentaux depuis le xixe siècle
ditionnel se situe — avec quelques aménage- chaque fois qu'émerge au niveau politique la contra-
ments — dans le secteur traditionnel lui-même, diction entre deux des fonctions de l'école : fonction
c o m m e la meilleure formation pour devenir ouvrier de production de main-d'œuvre qualifiée, abondante
du secteur moderne se situe dans le secteur m o - et bon marché pour le capital, d'une part ; fonction
derne lui-même » (vol. II, p . 130-131). de reproduction/transformation des hiérarchies so-
A supposer que ces compétences soient nécessaires, ciales, d'autre part.
qu'on puisse les définir et en formaliser la trans-
mission, seraient-elles suffisantes pour favoriser Aussi faut-il remercier H . Levin d'avoir abordé ce
l'entreprise individuelle ? N o n , dans la mesure où : problème délicat sur u n terrain concret — celui des
a) des structures corporatives, familiales et de relations sociales sur le lieu de travail — tout en le
castes contrôlent l'entrée sur le marché de cer- replaçant dans l'approche qui convient : celle d u dé-
taines activités ; b) le développement de nouvelles veloppement historique des rapports entre l'accumu-
entreprises individuelles suppose également des lation du capital et l'évolution de l'institution scolaire
structures de crédit, de commercialisation, etc. en tant qu'appareil de reproduction des rapports
sociaux et de distribution des individus dans la
Revue de publications
577

hiérarchie sociale (« L a démocratie dans l'entreprise universitaires classiques », l'alternance études-travail,


et la planification de l'éducation », vol. II, p. 167-263). une pédagogie de l'esprit d'équipe, etc.
U n projet aussi difficile suppose une grande ri- Retenons, pour finir, l'une des conclusions de
gueur ; d'abord dans la définition et la mesure des H . Levin : le planificateur de l'éducation est u n
notions vagues et fortement connotées de « suréduca- « technicien aidant à mettre en œuvre la réforme ; il
tion » et « surqualification » ; ensuite dans le choix n'en est pas l'architecte » (vol. H , p. 282). E n d'autres
d'une méthode d'observation empirique de leur i m - termes, la planification n'est pas le moteur d u chan-
pact sur les relations dans l'entreprise. Malheureuse- gement social. Vérité bonne à redire, et qui suppose
ment, le moins qu'on puisse dire est que l'auteur a que les politiques d'éducation soient subordonnées à
éludé ces difficultés en se bornant à postuler que une analyse préalable des forces économiques, sociales
« le taux de rotation des employés, l'alcoolisme, l'ab- et politiques dont le système éducatif est l'enjeu, de
sentéisme, les problèmes de drogue, le sabotage [...] ses fonctions dans la reproduction-transformation des
et les grèves sauvages » sont dus au mécontentement rapports sociaux et donc des contradictions qui le
des travailleurs, lequel procède de la « suréducation » traversent.
des jeunes par rapport au « niveau exigé pour u n Planificateur de l'éducation, est-ce donc u n métier
poste ». Aucune preuve empirique convaincante n'est impossible ? Faut-il ajuster l'offre d'enseignement à
apportée à cette succession d'affirmations générales1, la demande d'emplois salariés ? Est-ce souhaitable ?
et les termes de suréducation et surqualification font C e serait subordonner le système éducatif aux seuls
implicitement référence tantôt à une norme de cor- besoins du secteur moderne, donc, dans la plupart des
respondance objective entre éducation et emploi pays du Tiers M o n d e , accepter le sous-développement
(mythique, on l'a vu), tantôt au décalage des aspira- et planifier la régression scolaire.
tions dans le temps qu'engendrerait le « crédentia-
Est-ce possible ? L a rapidité d'évolution des m o -
lisme » (à ce propos, o n aimerait savoir pourquoi les
dalités de la division internationale d u travail rend
employeurs américains élèveraient régulièrement leurs
vaine toute prévision des besoins, m ê m e à u n horizon
normes de recrutement s'il était aussi évident qu'il
temporel très inférieur à celui de la reproduction de
n'en résulte que des baisses de productivité)2.
la force de travail ; et, quand bien m ê m e une prévi-
Quant à la mise en perspective historique du phé- sion correcte des emplois serait possible, la logique
n o m è n e , mieux vaudrait sans doute n'en rien dire si m ê m e de l'usage capitaliste des ressources humaines
elle ne risquait de faire illusion à des esprits peu interdit la définition de normes objectives de corres-
avertis. Il n e suffit pas, en effet, d'user et abuser des pondance entre éducation et travail.
termes « dialectique » et « contradiction », ni d'invo- Faut-il remodeler l'appareil éducatif en fonction
quer M a r x , Marcuse et M a o pour éviter les pièges des besoins d u secteur informel ? U n e grande partie
d'une vision dichotomique et mécanique des rela- de ce secteur est subordonnée au secteur capitaliste,
tions entre l'éducation et le m o n d e d u travail. et ce qu'on en sait actuellement donne à penser,
D'après Levin, il n'y aurait eu aucun problème pen- d'une part, qu'il a son propre système de formation
dant plus d'un siècle dans les pays capitalistes déve- apparemment bien adapté, d'autre part, que, étant
loppés, l'école « calquant ses fonctions sur les besoins plus structuré qu'on ne le pensait, les bonnes inten-
des entreprises capitalistes » selon le « principe de tions d u planificateur ne seraient pas une garantie
correspondance »! Les difficultés récentes seraient suffisante d'adéquation des résultats aux objectifs
dues au fait que, les écoles étant, « malgré tout, par- affichés. E n l'état de notre ignorance et de la pénurie
tiellement indépendantes de l'entreprise » (certes, des moyens, « planifier l'éducation pour le secteur
mais o n aimerait savoir en quoi et pourquoi seule- informel » signifie concrètement organiser la déscola-
ment maintenant), leur « dynamique institutionnelle risation en essayant d'atténuer les désillusions pro-
propre » serait responsable de « comportements dys- voquées par la rupture de la relation entre l'école et
fonctionnels d u point de vue de la reproduction des l'emploi salarié d u secteur moderne.
structures et des rapports de production en place dans
D a n s quelle mesure, enfin, le planificateur maî-
le m o n d e d u travail » (vol. II, p . 192). L e rôle d u
trise-t-il le système éducatif lui-même ? Contrôler
planificateur sera de résoudre cette contradiction dans
son développement sous la pression de la d e m a n d e
la recherche d'une « synthèse dialectique » qui
sociale supposerait la maîtrise politique de la c o m p é -
« rétablira entre le travail et l'éducation u n schéma de
tition entre groupes sociaux, donc de la répartition
correspondance stable, et, par suite, u n nouveau
des revenus et, partant, des rapports sociaux et de la
schéma de renforcement mutuel » (vol. II, p . 241).
dynamique d u développement. Est-ce possible si le
Cette synthèse est d'ailleurs toute trouvée : d u côté
sous-développement se définit justement par la non-
de l'entreprise, il s'agit de « modifications qui peuvent
maîtrise des processus de développement et si l'on
être apportées sans toucher à la direction de l'entre-
tient compte, par surcroît, de la dépendance exté-
prise » (équipes autonomes et « démocratisation de la
rieure des systèmes éducatifs de nombreux pays d u
vie dans l'entreprise », par exemple) ; d u côté de
Tiers M o n d e ?
l'école, « la sourdine mise aux exigences de diplômes
Après avoir été le porteur d'un espoir démesuré, le
578 Revue de publications

planificateur de l'éducation doit-il se résigner à être, sociales, qui recense organismes et projets de pro-
dans la période que nous traversons, le travailleur g r a m m e s d'études d u m o n d e entier de la plus grande
social chargé d' « abaisser les aspirations » et de réputation professionnelle, et justifié par la repro-
dériver — à l'aide de réformes-gadgets — une de- duction intégrale de la Recommandation sur l'édu-
m a n d e sociale d'éducation jugée excédentaire par les cation pour la compréhension, la coopération et la
groupes dominants ? paix internationales et l'éducation relative aux droits
Lucidité n'est pas nécessairement pessimisme. Les de l ' h o m m e et aux libertés fondamentales. Mettre
bilans récents ont entre autres mérites de libérer la ces deux ressources fondamentales à la portée des
réflexion des rêves technocratiques et de bien m o n - éducateurs sociaux d u m o n d e entier est déjà en soi
trer qu'une politique de l'éducation ne peut, en aucun u n apport capital. Cependant, le manuel a beaucoup
cas, être seulement une politique de l'éducation. L e d'autres mérites c o m m e document de base pour
problème est enfin correctement posé. l'élaboration des programmes d'études sociales des
enseignants. C'est pourquoi nous en recommandons
Annie V I N O K U R vivement l'emploi. Il faudrait en assurer, par tous les
(Université de Paris-X) m o y e n s , la diffusion auprès des professeurs d'études
sociales.
Chacune des études d u volume aborde u n thème
ou u n problème essentiel des études sociales, thèmes
et problèmes dont l'exploration devrait orienter, en
partie, la préparation de tous les éducateurs sociaux.
Notes L'ouvrage offre ainsi une excellente revue des grandes
lignes de la théorie contemporaine sur des sujets
i. L'auteur en est d'ailleurs conscient puisqu'il est c o m m e les bases, l'éducation morale, l'évaluation et
contraint de recourir à l'idée que cette vue s'impose la formation des concepts. Il fournit aussi des rensei-
intuitivement ! (Vol. II, p. 212.) gnements essentiels sur les aspects pratiques des
2. L e lecteur trouvera des considérations beaucoup plus études sociales, dont la planification des programmes
pertinentes sur les relations entre l'élévation des niveaux et la formation des maîtres. Divisé en deux parties
d'éducation et l'évolution des « niveaux d'aspirations » précédées chacune d'une introduction qui en explique
dans la contribution de K . King au m ê m e ouvrage. les points de vue théoriques, le recueil énonce et
analyse les principes de la planification, puis de la
mise en œuvre d ' u n p r o g r a m m e d'études sociales.
E n résumé, il constitue une introduction complète
et solide au domaine considéré, en m ê m e temps qu'un
Unesco handbook for the teaching aperçu général de la situation contemporaine. Il ne
of social studies peut pas — il n'a pas été fait pour cela — servir de
(Manuel de I'Unesco pour l'enseignement texte de base dans des situations nationales parti-
des études sociales) culières, mais il devrait, selon nous, être utilisé
sous la direction de H o w a r d D . Mehlinger c o m m e document de référence pour les cours d'in-
Londres, C r o o m H e l m ; troduction aux études sociales dans les écoles nor-
Paris, Unesco, 1981 males d u m o n d e entier.
N o u s recommandons cet ouvrage, c o m m e nous
avons toujours r e c o m m a n d é des lectures à des étu-
C e recueil d'études pertinentes et bien présentées diants ou des collègues, en rappelant que le lecteur
fera date dans l'histoire de la spécialité. Abordant doit être attentif aux préjugés et aux partis pris
des questions de pédagogie fondamentale dans l'op- implicites qui semblent toujours se glisser m ê m e dans
tique d'une participation constructive à une société les travaux d'érudition les plus éminents. C'est une
planétaire multiple et conflictuelle, il est conçu dans mise en garde que l'on trouve d'ailleurs dans le
u n contexte global, le seul qui convienne à l'éducation manuel lui-même : « Il faut apprendre aux élèves
sociale à ce m o m e n t de l'histoire de l'humanité. à identifier le parti pris de l'auteur et à en tenu-
L e « globalisme » de l'ouvrage s'explique par son compte. » Cette excellente contribution originale aux
origine, la Réunion internationale d'experts sur la études sociales ne fait pas exception. Les points de
contribution des études sociales à l'éducation pour la vue et les préjugés qu'on y retrouve ne diminuent
paix et le respect des droits de l ' h o m m e , mais aussi pas sa valeur et l'ouvrage est important pour le
par ses auteurs, éminents éducateurs sociaux de pays domaine considéré dans son ensemble, et plus parti-
très divers, représentant presque toutes les régions culièrement pour la réalisation de son objectif fon-
d u globe et tous les grands groupes culturels. C e glo- damental, qui est de favoriser la compréhension
balisme est renforcé par la présence d ' u n excellent internationale et l'éducation pour la paix, c'est-à-dire
guide des ressources pour l'enseignement des études d' « en tenir compte ». E n fait, déceler ces préjugés
Revue de publications 579

devrait rendre plus fécond u n apprentissage fondé l'enseigne, on ne peut pas lui reprocher de passer les
sur la réflexion suscitée par les études qui composent contenus sous silence. Cependant, puisque les cou-
le recueil et pourrait, à notre sens, contribuer au rants principaux des sciences elles-mêmes n'ont pas
processus urgent de globalisation des aspects de prêté assez d'attention aux grands problèmes plané-
l'éducation sociale qui touchent à la préparation à la taires, on est en droit de souhaiter que les éduca-
vie dans une société planétaire. teurs sociaux fassent de l'identification et de la solu-
Il n'est pas dans notre propos de critiquer ce tion de ces problèmes u n objectif prioritaire claire-
manuel en énumérant ses lacunes ; insistons plutôt ment formulé. U n e liste globale de ces problèmes
sur les questions qui demandent la m ê m e analyse ainsi que des approches pédagogiques particulières
transculturelle et la m ê m e coopération internationale aurait été tout à fait bienvenue. Les Nations Unies et
qu'a exigées la réalisation du livre. L'une de ces ques- PUnesco ont édité u n certain nombre de documents
tions est la sujétion relative des études sociales, en importants sur des problèmes globaux qui pourraient
dépit de leur séparation explicite des sciences sociales, très bien fournir une base d'enseignement pour les
aux préjugés et aux contraintes de ces dernières. A u études sociales. D e u x textes essentiels de l'Unesco
regard des objectifs que nous avons cités, deux carac- auraient pu intéresser le lecteur : les actes du Congrès
téristiques des sciences ont une importance parti- international sur l'enseignement des droits de l ' h o m m e
culière : les tiers-mondistes et les féministes les ont (1978) et ceux d u Congrès mondial sur l'éducation
identifiées c o m m e étant le préjugé occidental et le pour le désarmement (1980). Parmi les autres d o -
préjugé masculin. L e second par exemple s'insinue cuments récents d'un intérêt capital figurent la
dans le manuel sous la forme d'un langage et d'exem- Convention sur l'élimination de toutes les formes de
ples sexistes, c o m m e la note concernant le « respect discrimination à l'égard des femmes, la Déclaration
des femmes » (p. 202) et l'absence de mise en garde concernant l'instauration d'un nouvel ordre écono-
contre le parti pris sexiste et occidental dans la plu- mique international et le D o c u m e n t final de la
part des recherches sur le développement moral. première session extraordinaire de l'Assemblée géné-
Cela ne veut pas dire que le chapitre sur l'éducation rale des Nations Unies consacrée au désarmement.
morale ne soit pas clair, complet et conforme à l'hon- U n e liste de ces documents et d'autres textes sur les
nêteté intellectuelle, mais il laisse croire que les au- grands problèmes globaux que devraient aborder
teurs n'ont pas tenu compte de la pensée féministe. les études sociales aurait enrichi l'ouvrage et consti-
Alors que cette pensée est occidentale pour l'es- tué une contribution concrète n o n négligeable à
sentiel, elle est, c o m m e les études sociales, en train l'éducation en vue de ce qui devrait être la grande
de se globaliser rapidement et tend à s'enrichir par entreprise de notre temps : « L a prévention de
l'échange culturel. N é s tous deux des sciences so- nouvelles guerres est la première tâche de l'huma-
ciales occidentales, le féminisme et les études sociales nité » (p. 79).
doivent prendre en considération la situation subjec-
tive dans laquelle ils sont nés ; ils ont tous deux Pourfinir,il serait utile de revenir sur la proposi-
beaucoup à apporter à l'intégrité de l'autre, dans la tion selon laquelle les études sociales sont le meilleur
mesure où ils visent le m ê m e objectif fondamental instrument de l'éducation pour la compréhension et
d'avancement de la condition humaine. Cet objectif la paix internationales. Beaucoup d'entre nous ont
a été revendiqué aussi par la science occidentale, passé la plus grande partie de leur vie professionnelle
mais on constate que les applications scientifiques dans cette conviction, pendant ces années o ù les
contemporaines remettent en question cette postu- conflits internationaux et le pouvoir destructeur des
lation. E n tant qu'éducateur social, nous pensons armes ont pris le plus d'ampleur et sont devenus le
que l'intégrité de cet objectif au niveau des études plus menaçants. Mais peut-être est-ce le contexte des
sociales doit être défendue à fond. U n e des respon- études sociales qu'il faudrait changer. S'il faut en
sabilités des études sociales que fait apparaître le croire les agents de l'éducation pour la paix, ce
manuel, c'est justement la recherche des préjugés contexte deviendra véritablement global et juste ;
latents et l'acceptation d u devoir de les transcender ce manuel est alors u n grand pas dans la bonne direc-
dans les sciences sociales lorsqu'ils contrecarrent tion. Quoi qu'il en soit, H . D . Mehlinger et l'Unesco
notre objectif fondamental. nous offrent ici une inestimable contribution aux
études sociales. Pour notre part, nous attendons le
Parmi les points à approfondir, la parenté entre second volume. Pourquoi insisterions-nous davantage
études sociales et sciences sociales reste une question sur les lacunes et les préjugés d'un ouvrage aussi
à débattre. Il nous semble que les études sociales, en précieux ?
tant que véhicule de l'éducation sociale, n'ont pas à Betty R E A R D O N ,
se considérer c o m m e secondaires par rapport aux Présidente d u Consortium
sciences sociales pour ce qui est de la définition des on Peace Research,
problèmes et des contenus sociaux. C o m m e le m a - Education and Development
nuel annonce clairement dans sa préface que son (États-Unis d'Amérique)
objet n'est pas ce que l'on enseigne mais comment on
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meuble Diab, rue du Parlement, B.P. 704, D A M A S . 893 31 BRATISLAVA.
RÉPUBLIQUE D E C O R É E : Korean National Commission T H A Ï L A N D E : Nibondh and Co. Ltd, 40-42 Charoen
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RÉPUBLIQUE D É M O C R A T I Q U E A L L E M A N D E : Librairies B A N G K O K . Suksapan Panit, Mansion 9, Rajdamnern
internationales ou Buchhaus Leipzig, Postfach 140, Avenue, B A N G K O K . Suksit Siam Company, 1715
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RÉPUBLIQUE DOMINICAINE : Librería Blasco, avenida TOGO : Librairie évangélique, B . P . 378, L O M É ;
Bolívar n.° 402, esq. Hermanos Deligne, S A N T O Librairie du Bon-Pasteur, B.P. 1164, L O M É ; Li-
DOMINGO. brairie moderne, B.P. 777, L O M É .
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général de la Commission nationale de la Répu- TUNISIE : Société tunisienne de diffusion, 5, avenue
blique-Unie du Cameroun pour l'Unesco, B . P . de Carthage, T U N I S .
1600, Y A O U N D E . T U R Q U I E : Haset Kitapevi A . S . , Istiklâl Caddesi
RHODÉSIE D U S U D : Textbook Sales (PVT) Ltd, n° 469, Posta Kutusu 219, Beyoglu, ISTANBUL.
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Vol. XII, n° 3, 1982
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Oleg K. Dreier Les échéances des pays en Giovanni Gozzer U n concept encore mal défini :
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l'Est Philip G. Altbach L'enseignement supérieur dans
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l'éducation en Europe
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science et des programmes d'études LA T E C H N O L O G I E DE L ' É D U C A T I O N :
Michel Souchon Éducation et médias de masse : M Y T H E ET R É A L I T É
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Joào Batista Araújo e Oliveira D u bon usage de
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E. A. Fisher L'analphabétisme dans son contexte Renaldo Infante Urivazo Initiation à la
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Arthur Stock R o y a u m e - U n i : devenir alphabète
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