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F. LAIGLE
Électricité de France, Centre d’Ingénierie hydraulique, France
RESUME : Ce article présente la démarche retenue pour dimensionner les soutènements mis en
œuvres dans le cadre des travaux d’excavation de deux grandes cavernes du projet LHC du CERN.
Le contexte particulier dans lequel sont réalisés ces ouvrages a nécessité la réalisation de calculs
sophistiqués, mais surtout une très bonne compréhension du comportement global du massif et du
mode de fonctionnement du soutènement. Le concept de soutènement retenu s’appuie
essentiellement sur un boulonnage passif et ne prend pas en compte le béton projeté comme un
élément structurel. Les travaux réalisés jusqu’à présent démontrent, grâce au système
d’auscultation, la pertinence des choix de conception qui ont été faits
1. INTRODUCTION
Les principales difficultés mises en évidence lors des études sont essentiellement liées :
- à la nature géologique et géotechnique du massif ;
- aux grandes dimensions des principales excavations ;
- à la présence, dans l’environnement immédiat des nouvelles cavernes, d’ouvrages
existants et non initialement conçus pour résister aux sollicitations générées par
les nouvelles excavations ;
- à des conditions très strictes de planning.
De nombreuses modélisations numériques ont été réalisées dans le cadre de ce projet. Ceci se
justifie par la complexité des ouvrages liée à leurs géométries et au contexte géotechnique. Ces
simulations ont essentiellement été réalisées en utilisant les logiciels FLAC2D [1] et FLAC3C [2].
Les différents matériaux (marne et grès) ont été modélisés par une loi de comportement
élastoplastique supposant :
N Une élasticité linéaire indépendante de l’état des contraintes.
N Une résistance de pic définie par un critère linéaire de Mohr-Coulomb C pic , 1 pic .
N Une résistance résiduelle définie par un critère de Mohr-Coulomb Cres , 1 res .
N Une loi de radoucissement linéaire de la cohésion et de l’angle de frottement depuis les valeurs
1 1/ 2
de pic jusqu’aux valeurs résiduelles, en fonction de l’invariant I 2 e p .e ijp
ij .
2
Déviateur (Pa)
9,0E+6
8,0E+6
7,0E+6
6,0E+6
5,0E+6
4,0E+6
3,0E+6
2,0E+6
1,0E+6
0,0E+0
0,00% 0,50% 1,00% 1,50% 2,00% 2,50% 3,00% 3,50%
Déformation axiale
Pour les marnes qui constituent les niveaux les plus critiques, les caractéristiques mécaniques
retenues sont les suivantes :
L’idée d’origine était de baser cette conception sur les principes de la « Nouvelle Méthode
Autrichienne » , à savoir de faire participer le terrain pour reprendre et faire transiter tout ou partie
des efforts induits dans la roche. Toutefois, sous le terme générique de « Nouvelle Méthode
Autrichienne » se cachent diverses approches qui diffèrent fortement lors de la réalisation de
grandes cavernes.
N Une première approche décrite sous l’appellation SCL « Sprayed Concrete Lining » suppose la
réalisation d’une structure suffisamment souple pour permettre une déformation du terrain tout
en assurant une reprise partielle des efforts par un revêtement en béton projeté.
N Une deuxième démarche correspond à la pratique généralement mise en œuvre pour la
réalisation de grandes cavernes sous moyenne et forte couverture. Le principe est alors
d’assister le terrain en le renforçant pour lui permettre de reprendre l’intégralité des
sollicitations induites par le creusement.
Afin de choisir l’un ou l’autre de ces concepts, il est indispensable d’analyser l’aptitude de
chacun d’eux à assurer la stabilité et la sécurité des ouvrages. Cette analyse comparative a débouché
sur le choix de la deuxième démarche, compte tenu des inconvénients inhérents à l’approche SCL,
dans ce cas particulier :
N Les portées des ouvrages étant importantes, il a été nécessaire de réaliser les excavations par
phases. La mise en œuvre de la méthode SCL impose une attention particulière pour la
conception et la réalisation des raccordements entre les coques de béton de chaque phase.
N La coque de béton projeté constitue l’organe quasiment unique assurant la stabilité d’ensemble
de l’ouvrage. Si localement un défaut de conception ou de construction ne lui permet plus de
reprendre les efforts induits, ceci peut déboucher très rapidement sur une rupture de la cavité.
Cette structure peut donc être considérée comme très faiblement hyperstatique.
N Même si cela dépend de la géométrie et des dimensions, la coque de béton projeté présente une
rigidité relativement importante. Dans le cas d’ouvrages réalisés dans des massifs où règnent de
fortes contraintes initiales, cette rigidité du soutènement va induire des efforts importants dans
la structure.
N Le contexte géologique rencontré à Genève (anisotropie du massif et des contraintes,
hétérogénéités) et l’agencement général des excavations étaient susceptibles de solliciter le
soutènement de manière ponctuelle, induisant des contraintes de cisaillement et des moments de
flexion importants. La reprise de ces sollicitations aurait alors nécessité la réalisation d’une
coque relativement épaisse de béton projeté, ce qui était en contradiction avec le principe même
de la Méthode Autrichienne.
Le seul avantage identifié pour l’approche SCL durant les études est la possibilité d’intégrer
explicitement une telle structure en béton dans un code de calcul sous forme de poutres (2D) ou de
coques (3D). Ceci permet de justifier plus aisément le dimensionnement du soutènement en
calculant à partir d’un modèle numérique des sollicitations.
Le type de soutènement finalement mis en œuvre pour les ouvrages du projet LHC1 correspond à
ce que Pierre Duffaut synthétise sous l’expression « des clous et une colle ». Ceci signifie que la
stabilité des excavations en phase de creusement repose sur :
N des boulons à ancrage répartis ;
N une couche de béton projeté de faible épaisseur et très peu rigide.
Le principe général est d’assurer un renforcement interne du massif par la mise en place de
barres scellées sur toute leur longueur, permettant le transfert des efforts induits dans le terrain
autour des excavations. Les figures 6 et 7 illustrent ce rôle du boulonnage dans le cas où une couche
marneuse ayant de faibles caractéristiques intercepterait un appui de la voûte.
Funiculaire des
Boulons renforçant la
contraintes dans le
couche faible
terrain
Niveau marneux
Les deux principales difficultés liées à cette approche sont les suivantes :
N les caractéristiques du boulonnage et ses conditions de mise en œuvre sont difficiles à justifier
au stade des études ;
N une fois le boulonnage mis en place, il est difficile de rattacher aux mesures de convergence un
niveau de sollicitation dans les boulons.
Le premier point fait actuellement l’objet de développement à EDF pour prendre en compte dans
les modélisations numériques par différences finies et dans un contexte industriel de projet de génie
civil, le soutènement par boulonnage passif.
Le deuxième aspect a été analysé durant les études du projet CERN-LHC afin de fournir des
critères d’alerte justifiant un renforcement du soutènement et pour tenter d’optimiser la mise en
œuvre des boulons en fonction des mesures d’auscultation.
6. DIMENSIONNEMENT DES SOUTENEMENTS
Le béton projeté n’étant pas censé participer à la stabilité d’ensemble des cavernes, son épaisseur
n’a pas été justifiée vis à vis de ce critère mais par rapport à des spécifications de mise en œuvre.
Il s’est avéré que dans ce cas particulier et avec les hypothèses de calcul retenues, l’effet
théorique du boulonnage était quasiment négligeable, réduisant de 5 à 10% les déplacements de la
cavité.
Pourtant, quel concepteur oserait préconiser la réalisation de telles cavernes sans boulonnage ?
Cette faible influence du soutènement est souvent constatée lors de la réalisation de
modélisations, et elles doit inciter à s’interroger sur les raisons d’une telle divergence entre
l’expérience et la théorie appliquée :
N La modélisation du boulon est-elle adaptée ?
N Le mode de fonctionnement du boulonnage est-il compris et correctement simulé ?
N Quel est l’effet du boulonnage dans les domaines des petites, moyennes et grandes déformations
de la roche ?
N Les réflexions doivent-elles porter sur la modélisation de la barre ou sur celle du terrain ?
Il s’agit de quelques questions auxquelles il est nécessaire de répondre pour que des simulations
continues 2D et 3D aujourd’hui relativement courantes puissent davantage participer à la définition
et à l’optimisation des soutènements.
6.2. Dimensionnement et justification des structures rigides
La voûte de la caverne principale UX15 est interceptée par 2 grands puits. En l’absence de tout
renforcement à la base de ces derniers, une concentration de contraintes importante se produirait
entre ceux-ci en clé de voûte, susceptible d’engendrer un effondrement général de l’ouvrage. Il a
donc été décidé de disposer, en partie inférieure de ces puits, des anneaux en béton rigidifiant la
voûte et concentrant les contraintes induites par le creusement. Ces structures, dont l’épaisseur varie
entre 2 m et 2, 50 m pour une hauteur maximale de 7 m, sont extrêmement rigides. Elles sont donc
soumises à des sollicitations très élevées induites par des mécanismes de confinement, de torsion et
de flexion.
La justification de ces anneaux de renforcement et leur dimensionnement ont fait appel à des
modélisations numériques tridimensionnelles.
Les figures 10 et 11 montrent avec les mêmes échelles les zones endommagées où la roche a
atteint le domaine de comportement post-pic. Il apparaît clairement que l’absence des anneaux de
renforcement engendrerait une rupture importante du terrain en clé de voûte.
8. CONCLUSION
Les ouvrages souterrains en cours de réalisation dans le cadre du lot 1 du projet LHC du CERN
sont exceptionnels compte tenu du contexte géologique, des dimensions des principales cavernes et
de l’agencement de l’ensemble des excavations. L’analyse des conditions de stabilité en cours de
creusement et le dimensionnement de l’ensemble des soutènements est donc très complexe et a
nécessité la réalisation de plusieurs calculs bidimensionnels et tridimensionnels. Ces simulations ne
sont cependant pas suffisantes et il était indispensable de compléter cette analyse :
N par une bonne compréhension des mécanismes de transfert des contraintes autour des ouvrages ;
N par une définition précise des objectifs du soutènement et du mode de fonctionnement du
boulonnage passif ;
N par la définition de critères limites permettant d’optimiser le soutènement ;
N par la mise en place d’un système d’auscultation performant permettant de valider le concept
retenu pour le soutènement et les dimensionnements réalisés.
Un aspect essentiel décrit dans cet article est le rôle attribué au béton projeté. Celui-ci est
uniquement destiné à protéger le terrain durant les phases d’excavations et à assurer un très faible
confinement entre les boulons. Il n’a donc pas été pris en compte dans les calculs de stabilité. La
fonction de soutènement est essentiellement assurée par des boulons scellés ayant pour vocation de
renforcer et d’armer le terrain pour permettre le transfert des contraintes autour des excavations.
Si cette conception du soutènement, dans ce cas précis, est la mieux adaptée, il est par contre plus
difficile de justifier le dimensionnement du boulonnage à partir de modélisations numériques
continues. Des réflexions doivent être menées pour améliorer les outils de calcul afin d’exploiter
pleinement les résultats des simulations à des fins de dimensionnement.
9. REFERENCES