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ASPECT
1, RECENSION
La dissociation du temps et de l'aspect est un fait récent puisque le mérite en
revient aux grammairiens du siécle dernier. Longtemps les formes aspectuelles ont été
appréhendées — notamment avec la distinction entre «temps achevés» (perfectum) et
«temps inachevés» (infectum) — comme des formes temporelles. Selon J. Holt que nous
suivons ici ¥, est A Curtius et Brugmann que Von doit la maitrise actuelle de la
distinction entre temps et aspect, maftrise accélérée par étude des formes verbales
dans les langues slaves, laquelle a dégagé la tension entre le perfectif ct limperfee-
tif.
Cependant cette dissociation du temps et de 'aspect n’a pas été acceptée par G.
Guillaume dans louvrage qu'il a consacré a Yexamen de ces questions:
«Aspect, mode, temps ne so réferent pas, comme l'enseigne la grammaire
traditionnelle, & des phénomanes de nature différente, mais aux phases internes
d'un phénoméne de nature unique: la chronogentse; en un mot, Vaspect, le
mode, le temps représentent une seule et méme chose considérée en des
moments différents de sa propre caractérisation.» ®
Mais, quelle que soit la sympathie du sémioticien pour certains aspects de la démarche
guillaumienne, un examen rapide du premier chapitre de Temps et verbe montre que
cette connexion du temps et de Vaspect appartient au moins autant a Pobjet — le
systéme du verbe en frangais — qu’a la démarche «constructiviste» de analyst, En
effet, le temps guillaumien est un temps — déja ou encore — aspectualisé, puisque
la «chronogendse», concept indispensable pour cerner ce que Guillaume appelle la
«morphologic du "dedans"», repose sur la disjonction entre «du temps déja construit en
pensée» et «du temps en train de se construire», cest-a-dire sur la déhiscence entre ce
que nous appelons, ici-méme, la saisie et la visée; en second lieu, le «sectionnement
de axe chronogénétique» se confond absolument avee la tripartition aspectuelle
habituelle:
«Ces points — les seuls points singuliers que puisse offrir en soi un axe limité
— sont au nombre de trois: initial, médian, final, et marquent chacun un
instant caractéristique de la formation de Fimage-temps.» °191
Il n'est pas certain que Yaudacieuse synthése, que Guillaume envisage entre aspect
et les modes d’existence, synthése qui aboutit a la tripartition: «temps in posse, temps
in fieri et temps in esse», diminue quelque peu cette "dette" originelle du temps
guillaumien a l'égard de l'aspect. Ajoutons, sans plus, que cette tripartition du temps,
que Guillaume tient pour universelle *, reste problématique, dans la mesure oi les
catégories élémentaires de la temporalité mettent on couvre Yarticulation minimale
prévue par Hjelmslev, a savoir la tension entre un «terme précis», marqué, et un
«terme vague», non-marqué; cest ainsi, du moins, que Cassirer Penvisage:
«La seule différence essentielle a étre saisie et exprimée avec netteté est celle
de actuel et de l'inactuel — la différence entre le point immédiat du présent et
ce qui se trouve "A l’extérieur" de celui-ci. (...) Pour cette forme primaire de
Tintuition du temps, la totalité de la conscience et de ses contenus éclate pour
ainsi dire en deux morceaux: une moitié au jour, atteinte et éclairée par la
lumiére du "présent" et une autre, obscure,» °
Dans ces conditions, il est difficile de recevoir la «chronogenése» guillaumienne comme
une primitive indiscutable,
En dehors de la relation "ténébreuse” entre le temps et aspect, la réflexion lin-
guistique dégage deux difficultés majeures intéressant respectivement la compré-
hension et Textension du concept, Eu égardVia compréhension, il est singulier de
constater l'écart existant entre attitude des grammairiens du sidcle dernier et celle
des linguistes contemporains: pour les premiers, l'inventaire des aspects est ouvert,
puisquils admettent le ponctuel, Vitératif, le cursif, le terminatif, Vingressif, le
complexif, etc., tandis que les seconds réduisent Je plus souvent cet inventaire a
Yopposition binaire [terme us non-terme]: «La catégorie de Paspect exprime le terme
ou le non-terme du procés.» Pour ce qui regarde l’extension du concept, la démarche
semble exactement inverse puisque J. Holt note dentrée dans son ouvrage intitulé
Etudes Waspect:
«On a étudié aspect presque exclusivement dans le domaine des verbes. Or, il
faut se rendre compte qu'll pourrait exister des aspects dans d’autres parties du
discours.(...) Done, il faut admettre que la catégorie se retrouve dans des
morphémes nominaux.» 7
En présence d’alternatives de ce genre, la sémiotique a toujours opté pour You-
verture, notamment a l’égard des modalités, et quand elle ne Pa pas fait, comme dans
le cas de la narrativité proppienne, elle a fini par admettre que Pattachement A un
mode exclusif, le schéma narratif notamment, était, en demniére instance, contraire192
& sa démarche. Par conséquent, entre l’ouverture et le verrouillage de la catégorie,
nous optons pour Youverture.
2. DEFINITIONS
Si 'aspectualité n'est pas accaparée par le verbe, il convient das lors de tenir les
catégories aspectuelles dégagées a partir des morphologies du verbe comme
spécifiques et non comme génériques, cest-a-dire comme des «variétés» soumises
des «conditions de réalisation», notamment la tension entre «nominali-sants» et
«verbalisants»,
2.1, Définitions paradigmatiques
Les définitions paradigmatiques ont donc pour objet identification de catégories
aspectuelles plus générales que celles attestées par les systémes du verbe, A cet égard,
a situation présente serait caractérisée par le dilemme suivant: aspect relave-t-il de
la bipartition sommaire: perfectif vs imperfectif? ou bien de la tripartition:
inchoativité vs durativité vs terminativité? Mais si nous appliquons la problématique
de aspect 'hypothése avancée dans essai sur le carré sémiotique ot la catégorie, nous
devons insister sur le fait que ni la bipartition ni la tripartition ne sont on mesure de
fournir un réseau: elles constituent des prélévements, opérés & partir d’un réseau
sous-jacent, qui obéirait, lui, A une quadripartition. Autrement dit, I'hypoth’se
examinée dans Vessai sur le carré et la catégorie nous impose comme point de départ
le chiffre quatre, de sorte que les systémes qui ont un effectif inférieur sont obtenus
par défection d'un ou de deux termes. Pour V'indiquer de fagon encore plus sommaire,
Jorsqu’il est question d'un réseau sémiotique, nous ne "montons" pas de deux a trois,
puis de trois A quatre, mais nous "descendons” de quatre a trois, voire a deux.
Lexistence de ce réseau est hautement probable puisque la bipartition et la
tripartition n’ont en commun qu’un seul terme: l'achévement du procs (perfectif ou
terminatif).
Tl nous semble que le dégagement de ce réseau, tout comme le «systéme193
sublogique> élaboré par Hjelmslev dans La catégorie des cas, se fonde, ou devrait se
fonder, sur les quatre principes suivants: (i) la postulation d'une «substance du
contenu», congue comme un «continuum non analysé, mais analysable» *; (i)
Varbitraire et son corollaire nécessaire, la précarité des divisions introduites par la
«forme du contenw; (iii) le corollaire du précédent, A savoir la déformation par
syncope, par mutation, par synerétisme; (iv) la dépendance de chaque réalisation &
Végard des valences qu’elle implicite, ce qui revient & maintenir Vexigence de
complexité fonctionnelle inhérente & toute grandeur sémiotique.
L’application de cos principes aux exigences du réseau, telles qu’elles ressortent
de Tessai consacré au carré sémiotique, nous conduit A proposer comme catégories
aspectuelles de premier rang une aspectualité saillante, qui contréle los limites du
continuum substantiel, et une aspectualité passante, qui traite lintervalle entre les
limites, en y inscrivant des seuils et des degrés. L’aspectualité saillante s'oppose &
Yaspectualité passante comme la démarcation a la segmentation. Toute grandeur
soumise a Vaspectualisation est done susceptible: (i) d’étre caractérisée comme une
extension; (ii) daccueillir des limites, s’opposant entre elles si une direction a ét6 élue;
(iii) Petre graduée; (iv) chacune de ces procédures peut se retourner contre la
précédente; (v) enfin les procédures segmentative et démareative peuvent entrer en
conflit l'une avec autre. Une fois assemblées, cos caractéristiques donnent & penser
que Yaspoct n'échappe pas au téte-A-téte de Vintensité ot de lextonsité, puisque les
unes sont extensives ot les autres, intensives.
Antérieurement a son rabattement sur Je verbe, Vaspectualité n'est peut-étre
rien d’autre que la dialectique de 'absolu, aux prises avec Valternative du tout ou
rien, et du relatif, chargé de déméler le plus ou moins, cest-a-dire un jeu extraordi-
nairement complexe — comme I’a montré Sapir.
Pour rejoindre Yaspectualité linguistique exprimée par les langues, il suffit de
convoquer une «condition de réalisation», trés "lourde” du point de vue sémiotique:
Yorientation du proces. L'inchoativité et la terminativité relevent de l'aspectualité
saillante, tandis que la durativité, par progressivité ou itérativité, intéresse
Yaspectualité passante; Yopposition «terme/ non terme» retenue par J. Holt est
conforme a la structure minimale puisque le «terme» est intensif et le «non-terme»,
extensif. Ajoutons que l'un des sehémas possibles de Vaspectualité consiste dans la194
surdétermination de la démarcation (limites) par la segmentation (seuils et degrés),
comme dans l’énoncé banal: il vient a peine de commencer, oi Yon voit la graduation
progressive entrer en concurrence avec la limite inchoative.
Lincidence de Yorientation sur le continuum permet de générer Je réseau
élémentaire, puisque la démarcation et la segmentation, tout en continuant de
s‘opposer l'une a l'autre, sont en outre soumises A une orientation: pour la démarca-
tion, Vorientation dégage les grandeurs extrémales de premier et dernier; pour la
segmentation, les grandeurs liminales d'antécédent et de suivant. Le réseau aspectucl
se présente ain
Démarcation Segmentation
Antériorité premier antécédent
Postériorité dernier suivant
Une des distributions linéaires possibles serait la suivante:
AL a ay
premier antécédent suivant dernier
Mais bien d'autres, moins attendues, seraient envisageables. La résolution des tensions
entre les différentes phases aspectuelles et la prise en compte des syncrétismes
possibles seront examinées dans les définitions syntagmatiques.
2.2, Définitions syntagmatiques
Des Vinstant o& nous distinguons entre définitions étendues et définitions res-
treintes, nous accédons au probléme sémiotique par excellence qui est celui de la
composition et de interaction entre catégories d’envergure inégale.
2.2.1. Définitions syntagmatiques étendues
Le sort réservé dans la théorie sémiotique a Vaspect est difficilement séparable
de celui réservé au faire, Pour ce point, comme pour plusieurs autres, la sémiotique195
a restreint le faire a la notion de transformation narrative, cest-&-dire au passage de
tel état a état opposé °, Cependant, en raison de option binariste qui, en droit
comme en fait, a prévalu dans les années 60, investigation du faire n’a pas dépassé
ce cas de figure. Liaspectualité, servante du faire, a été resserrée dans les mémes
limites que le faire narratif. Mais si ce faire occupe une place centrale dans la nar-
rativité, sa valeur reste spécifique: il représente une espéce de faire, c'est-A-dire une
espéce parmi d'autres espdces, qui ont également droit a notre attention. Sous ce
préalable, qui renvoie la narrativité @ des régimes narratifs et qui émancipe
Yaspectualité, nous avangons "hypothise d’une schématisation en mesure de projeter
des possibles aspectuels autonomes par rapport a la narrativité.
Simplifions la question a Pextréme: que se passe-t-il quand le sujet @état n'est
pas engagé dans un drastique changement d'état? que se passe-t-il quand le sujet n'est
aux prises qu’avec son seul état? Admettons par hypothise qu'il existe une dynamique
propre au seul état du sujet d’état. En effet, le reproche que Ton peut adresser a la
distinction entre Iétat et le faire, cest quielle soit posée comme absolue, cest-a-dire
comme si, dans Vétat, il neVpassait rion. Liaypothase générale de la charpente tensive
du sens nous conduit pourtant a considérer que P’état est soumis aux mémes tensions
que le faire, mais dans des conditions d’équilibre et de tempo différents, de sorte qu'il
s'y passe quand méme quelque chose.
Le schéma aspectuel étendu consiste a envisager la démarcation et la segmen-
tation, qui sont par elles-mémes des fonctions, comme des fonctifs d’une autre fone-
tion, en compétition 'un avec l'autre. A partir d'une situation apparemment stabilisée
par la durée, deux cas de figure peuvent se présenter: (i) la surdétermination de la
démareation par la segmentation, opération que Yon peut identifier comme une
expansion, et (ii) lopération inverse, qui voit la démarcation triompher de la
segmentation, opération qui aboutit 4 une contraction; au cours d'une «expansion»,
les limites sont changées en degrés, tandis qu’au cours d'une «contraction» les
degrés sont changés en limites.
L’expansion et la contraction peuvent étre décrites plus précisément ainsi: nous
admettrons que nous sommes en présence de Yexpansion lorsqu’une valeur v, définie
jusqu’alors comme valeur de limite, est convertie, du fait de la praxis discursive, en
valeur de degré; A la séquence:196
[A,—a, —a, —A,]
vient se substituer la séquence:
[A,—a, —a yaaa
ex-A,
Pour celui qui est “au courant de ce qui s'est passé", Ay, qui avait jusque-la valeur de
dernier, vaut désormais comme avant-dernier, si la perspective adoptée est celle de
la visée; en effet, V'affaire n’a de sens que si telle grandeur figurative, qui est
maintenant associée au signifié a,, "se souvient" qu’elle était associée antérieurement
& Ag; tout comme, selon Greimas, le «si» est un «oui» qui se "souvient" quil a 6té
précédé d’un «non». Prenons en compte le point de vue du sujet de la visée aspectuelle:
nous pouvons lui supposer un sentiment aigu de frustration et de surprise. A titre
dillustration hétive, le véeu pathémique du collectionneur, oscillant entre la joie
dajouter telle pidce jusqu’alors manquante et convoitée, et le dépit de savoir que telle
pidce est a jamais hors de sa portée, indique bien que l’aspectualité gouverne la
syntaxe de certaines formes de vie plus ou moins institutionnalisées.
Si nous envisageons maintenant la dynamique de la contraction, nous constatons
le processus inverse, qui change un degré en limite: A partir de la méme séquence de
départ:
CA,— a, —a, — Ay]
la syncope d’un degré, a, par exemple, aboutit a la réorganisation suivante:
tama oA)
ex-a2
Dans ce cas de figure, et toujours dans la perspective de la visée, a,, qui avait jusque-
la valeur @’avant-dernier, vaut désormais comme dernier. Ce cas est réalisé par
exemple lorsqu’un proces est interrompu avant son terme attendu: Paspect «terminatif>
ne correspond plus alors au «perfectif» proprement dit.
Un exemple emprunté aux Feuillets d’Hypnos de R. Char, déja brisvement
évoqué dans essai «Direction», permet de prendre la mesure de la complexité des
opérations aspectuelles:
«Il en va de certaines femmes comme des vagues de la mer. En s’élancant de
toute leur jeunesse, elles franchissent un rocher trop élevé pour leur retour.
Cette flaque désormais croupira 1a, prisonniére, belle par éclair, A cause des197
cristaux de sel qu’elle renferme et qui lentement se substituent a son vi-
vant.»
Bien entendu, nous Jaissons a R. Char la responsabilité de sa vision du devenir
féminin. Le fragment comprend deux séquences, la premiére centrée sur la «vague»,
la seconde sur la «flaque». A premiare vue, le parcours narratif se présente comme un
parcours de dégradation dans la terminologie de Brémond, puisque la «vague» et la
«flaque> semblent symétriques et inverses Pune de lautre, la premiére associée au
«franchissement», la seconde au «croupissement», mais précisément le traitement
aspectuel de chacune de ces grandeurs figuratives tempére l’écart entre la «vague» et
la «flaquer
Intéressons-nous @abord a la séquence de la «vague». Le dispositif est construit
autour d'une figure aspectuelle, le «rocher», qui détient, a partir des indications
données par les dictionnaires, une valeur d’arrét, pour lui-méme comme pour les
forces qui viennent se heurter a lui; la vitesse et énergie de I’élan, motivées par la
«jeunesse», permettent de franchir, dans un sens, cette limite, laquelle devient, de ce
fait méme, un seuil, mais la résistance que cette méme figure oppose au retour, dans
Vautre sens, rétablit sa valeur de limite. Le «rocher» est ainsi changé en seuil dans le
mouvement progressif, mais redevient limite dans le mouvement régressif. Ces
catastrophes aspectuelles brouillent également la durée et 'espace, puisque le retour
est privé d’aprés, puisque l’au-dela de aller devient un en-deca définitif pour le retour.
Mais cette description ne tient pas compte de la structure des potentiels en présence:
Je potentiel de la est un
procés de restauration et de mélioration. Mais la ,
tandis que le Micro-Robert propose: «durée trés courte que la conscience saisit comme200
un tout». Dans le «point», ainsi que dans le syntagme «comme un tout», la démarcation
prévaut sur la segmentation, puisque les limites se recouvrent l'une l'autre, en raison,
cette fois, de la syncope des degrés intermédiaires: l'intervalle, dont la segmentation
aurait da avoir la charge{lo-chared est alors virtualisé, et ses deux bornes, A, et Ay,
confondues.
Dans cette perspective, deux dimensions aspectuelles, associées en une
corrélation inverse, procurent une définition tensive aux morphologies temporelles:
Tinstant suppose une démarcation forte et une segmentation faible, et l’éternité, une
démarcation faible et une segmentation forte.
2.2.2, Définitions syntagmatiques restreintes
Dans la partie précédente, nous avons examiné la confrontation de la démar-
cation ct de la segmentation sans précision d’extension, ou encore d’, ce qui
revient en fait a envisager le faire aspectuel & louvre sur des étendues discursives
importantes. La mise en discours d'une catégorie constitue des schémas (cf. Vessai
«Schéma»); Yexpansion et la contraction seront done regues comme des schémas
aspectuels reposant sur une extensité dominante. Dans la mesure od le schéma
organise la catégorie sur le fond des tensions entre extensité et Tintensité, nous
sommes conduit envisager maintenant les schémas aspectuels ou domine lintensité.
Une de nos hypotheses stipule que l'intensité peut se manifester par le tempo,
la durée et la spatialité; chacune de cos grandeurs impose une tension et attend de
la part du sujet un arbitrage: pour le tempo, entre vivacité et lenteur, pour la durée,
entre longueur et brigveté; enfin, pour la spatialité, entre fermeture et ouverture. Au
contraire des schémas ob domine lextensité, cest-a-dire la «résolution» ou «déploieme-
nb (cf Yessai , mais il est clair qu’«attaquer»
comporte une indication de tempo vif dont la valeur distinctive apparait par exemple
dans le syntagme «attaquer un morceaw; la modalité primordiale semble bien ici celle
du pouvoir faire et la singularité d’«attaquer» réside, nous semble-t-il, dans l’associa-
tion entre Finchoatif et le pouvoir, comme si tout commencement exigeait une dépense
particuliére d’énergie. Ce qui vaut pour un proces accusatif vaut également pour le
procés attributif, puisque «tomber, lorsqu’il est suivi d'un adjectif, comme dans
«tomber malade», regoit la définition suivante: «étre, devenir, (aprés une évolution
rapide)».
Pour «persévérer», le Micro-Robert propose: «continuer de faire, d’étre ce qu’on
a résolu, par un acte de volonté renouvelé»; nous pouvons donc admettre que la
sommation porte sur la durativité, laquelle se nourrit de la multiplication des degrés,
et le vouloir-faire, qui est convoqué dans les définitions les plus courantes, semble bien
chargé de venir a bout de la solution de continuité toujours possible entre Vengagement
de tel procds ot sa poursuite.
Pour et la «mort», et selon la
segmentation, le "Gil” des heures et des jours; mais la question délicate porte sur la
teneur de cette durativité que toutes les théories reconnaissent. En un mot, il s’agit
affronter la question: qu’est-ce que continuer? L’énigme de la texture intime de la
continuation, dont la sémiotique s'est plutdt détournée, n’a pas manqué pourtant de
solliciter la réflexion.
Déja le fragment de Paseal, que nous avons cité en 2.2.1, laissait entendre que
Ja continuité, I’ méme, était le fait d’un "lissage" de la multiplication et de la
répétition, Paseal n’est pas le seul a considérer que la texture de la continuité est en
derniére instance discrdte, ou encore rythmique.
Dans sa polémique avec Bergson, Bachelard ne cesse de mettre en avant le pri-
vilége de la discontinuité:
, Cest-a-dire la liberté reconnue a la théorie de choisir ses prémisses, et
Taadéquation», c’est-a-dire 'appréciation de leur applicabilité, seraient étrangdres l'une
a Yautre, mais il semble permis de penser que la présence ou Vabsence de telles213
prémisses fonctionne comme une censure ou une obstruction involontaire en dirigeant
Yattention sur tel corpus valorisé comme "important" et en la détournant de tel autre
jugé d’emblée "sans intérét", Pour le dire plus simplement, en dépit de la place qu'elle
accorde aux relations polémiques dans le schéma narratif, la sémiotique demeure une
discipline qui éprouve quelque difficulté & prendre la mesure d’un monde plein de
"bruit et de fureur", Que les autres disciplines herméneutiques en soient au méme
point ne diminue en rien la portée de ce constat.
La sémiotique structurale se réclamant de Saussure serait ainsi autant une
sémiotique de Vindifférence qu'une sémiotique de la différence. La dimension
prosodique et la dimension schématique, qui font l'objet de Vessai sur le schéma, ont
6t6 négligées et dans le meilleur des cas traitées comme des fonctions auxiliaires et
subalternes. Si les caractéristiques des grandeurs sont négatives, & quoi le doivent-
elles sinon a leur expulsion hors de Vespace tensif? Pourtant le méme Saussure, dans
les Principes de phonologie, avait prévenu cette dérive:
«La science des sons ne devient précieuse que lorsque deux ou plusieurs
éléments se trouvent impliqués dans un rapport de dépendance interne; ear il
y@ une limite aux variations de l'un d’apres les variations de l'autre; (...) Dans
Ja recherche du principe phonologique, la science travaille donc a contresens en
marquant sa prédilection pour les sons isolés.» *
Des lors on ne s’étonnera plus que les grandours soient posées comme aphoriques,
achroniques, arythmiques, atopiques,... de sorte que ces prétendues caractéristiques
appelaient, forcément, des investissements, sinon des suppléments venant mettre un
terme & leur nullité. Mais une sémiotique de Tasymétrie, de la dépendance et de
Vinégalité ne saurait, sans aussitét se contredire, procéder ainsi, puisquelle est
redevable a Vintensité des caractéristiques quelle revendique.
Ainsi, la réflexion politique na pas manqué de relever qu’a cété des clivages
classiques: droite/ gauche, libéral/ autoritaire, progressiste/ conservateur, parti de
Vordre/ parti du mouvement, républicain/ monarchiste, etc., chacune de ces familles
politiques connaissait elle-méme un clivage modéré/ ultra souvent plus décisif que les
précédents; en un mot, ce clivage tensif et aspectuel prévaut A un moment ou & un
autre sur chacun des clivages thématiques. La sémiotique est-elle a méme d’en rendre
compte? A partir des définitions syntagmatiques étendues abordées en 2.2.1, nous
avangons Vhypothése qu'un "ultra" fait état — souvent de fagon tout a fait explicite,214
mais on ne veut pas Pentendre — d'une exclusivité de la segmentation, cest-a-dire qu’a
ses yeux le procés qu'il met en ceuvre ne connait que des degrés, si bien que sa praxis
sémiotique consiste a subvertir toute limite en degré, au nom de cette passion
aspectuelle que nous avons dénommée ci-dessus T'eexigence». La péroraison de Don
Juan, quand il s’explique devant Sganarelle, ne laisse aucun doute A ce sujet:
-Enfin il n'est rien de si doux que de triompher de la résistance d'une belle
personne, et j'ai sur ce sujet l’'ambition des conquérants, qui volent perpétuelle-
ment de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre a borer leurs souhaits.
I n'est rien qui puisse arréter limpétuosité de mes désirs: je me sens un cour
a aimer toute la terre; et comme Alexandre, je souhaiterais qu'il y edt d'autres
mondes, pour y pouvoir étendre mes conquétes amoureuses.» °
AVinverse, le modéré ne reconnait que la démarcation et ses limites et, dans le dessein
de conjurer toute violence, il se dit prét, en gage de bonne volonté — cest le fond du
kantisme moral —, a traiter les degrés comme des limites, en "bornant ses souhaits".
Ajoutons enfin que les schémas aspectuels respectifis de ultra et du modéré font choix
pour le premier des valeurs d'absolu et de I'«éthique de conviction», qui en est le
corrélat subjectal, dans la terminologie de M. Weber, et, pour le second des valeurs
univers et de l«éthique de responsabilité» (cf. essai