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190 ASPECT 1, RECENSION La dissociation du temps et de l'aspect est un fait récent puisque le mérite en revient aux grammairiens du siécle dernier. Longtemps les formes aspectuelles ont été appréhendées — notamment avec la distinction entre «temps achevés» (perfectum) et «temps inachevés» (infectum) — comme des formes temporelles. Selon J. Holt que nous suivons ici ¥, est A Curtius et Brugmann que Von doit la maitrise actuelle de la distinction entre temps et aspect, maftrise accélérée par étude des formes verbales dans les langues slaves, laquelle a dégagé la tension entre le perfectif ct limperfee- tif. Cependant cette dissociation du temps et de 'aspect n’a pas été acceptée par G. Guillaume dans louvrage qu'il a consacré a Yexamen de ces questions: «Aspect, mode, temps ne so réferent pas, comme l'enseigne la grammaire traditionnelle, & des phénomanes de nature différente, mais aux phases internes d'un phénoméne de nature unique: la chronogentse; en un mot, Vaspect, le mode, le temps représentent une seule et méme chose considérée en des moments différents de sa propre caractérisation.» ® Mais, quelle que soit la sympathie du sémioticien pour certains aspects de la démarche guillaumienne, un examen rapide du premier chapitre de Temps et verbe montre que cette connexion du temps et de Vaspect appartient au moins autant a Pobjet — le systéme du verbe en frangais — qu’a la démarche «constructiviste» de analyst, En effet, le temps guillaumien est un temps — déja ou encore — aspectualisé, puisque la «chronogendse», concept indispensable pour cerner ce que Guillaume appelle la «morphologic du "dedans"», repose sur la disjonction entre «du temps déja construit en pensée» et «du temps en train de se construire», cest-a-dire sur la déhiscence entre ce que nous appelons, ici-méme, la saisie et la visée; en second lieu, le «sectionnement de axe chronogénétique» se confond absolument avee la tripartition aspectuelle habituelle: «Ces points — les seuls points singuliers que puisse offrir en soi un axe limité — sont au nombre de trois: initial, médian, final, et marquent chacun un instant caractéristique de la formation de Fimage-temps.» ° 191 Il n'est pas certain que Yaudacieuse synthése, que Guillaume envisage entre aspect et les modes d’existence, synthése qui aboutit a la tripartition: «temps in posse, temps in fieri et temps in esse», diminue quelque peu cette "dette" originelle du temps guillaumien a l'égard de l'aspect. Ajoutons, sans plus, que cette tripartition du temps, que Guillaume tient pour universelle *, reste problématique, dans la mesure oi les catégories élémentaires de la temporalité mettent on couvre Yarticulation minimale prévue par Hjelmslev, a savoir la tension entre un «terme précis», marqué, et un «terme vague», non-marqué; cest ainsi, du moins, que Cassirer Penvisage: «La seule différence essentielle a étre saisie et exprimée avec netteté est celle de actuel et de l'inactuel — la différence entre le point immédiat du présent et ce qui se trouve "A l’extérieur" de celui-ci. (...) Pour cette forme primaire de Tintuition du temps, la totalité de la conscience et de ses contenus éclate pour ainsi dire en deux morceaux: une moitié au jour, atteinte et éclairée par la lumiére du "présent" et une autre, obscure,» ° Dans ces conditions, il est difficile de recevoir la «chronogenése» guillaumienne comme une primitive indiscutable, En dehors de la relation "ténébreuse” entre le temps et aspect, la réflexion lin- guistique dégage deux difficultés majeures intéressant respectivement la compré- hension et Textension du concept, Eu égardVia compréhension, il est singulier de constater l'écart existant entre attitude des grammairiens du sidcle dernier et celle des linguistes contemporains: pour les premiers, l'inventaire des aspects est ouvert, puisquils admettent le ponctuel, Vitératif, le cursif, le terminatif, Vingressif, le complexif, etc., tandis que les seconds réduisent Je plus souvent cet inventaire a Yopposition binaire [terme us non-terme]: «La catégorie de Paspect exprime le terme ou le non-terme du procés.» Pour ce qui regarde l’extension du concept, la démarche semble exactement inverse puisque J. Holt note dentrée dans son ouvrage intitulé Etudes Waspect: «On a étudié aspect presque exclusivement dans le domaine des verbes. Or, il faut se rendre compte qu'll pourrait exister des aspects dans d’autres parties du discours.(...) Done, il faut admettre que la catégorie se retrouve dans des morphémes nominaux.» 7 En présence d’alternatives de ce genre, la sémiotique a toujours opté pour You- verture, notamment a l’égard des modalités, et quand elle ne Pa pas fait, comme dans le cas de la narrativité proppienne, elle a fini par admettre que Pattachement A un mode exclusif, le schéma narratif notamment, était, en demniére instance, contraire 192 & sa démarche. Par conséquent, entre l’ouverture et le verrouillage de la catégorie, nous optons pour Youverture. 2. DEFINITIONS Si 'aspectualité n'est pas accaparée par le verbe, il convient das lors de tenir les catégories aspectuelles dégagées a partir des morphologies du verbe comme spécifiques et non comme génériques, cest-a-dire comme des «variétés» soumises des «conditions de réalisation», notamment la tension entre «nominali-sants» et «verbalisants», 2.1, Définitions paradigmatiques Les définitions paradigmatiques ont donc pour objet identification de catégories aspectuelles plus générales que celles attestées par les systémes du verbe, A cet égard, a situation présente serait caractérisée par le dilemme suivant: aspect relave-t-il de la bipartition sommaire: perfectif vs imperfectif? ou bien de la tripartition: inchoativité vs durativité vs terminativité? Mais si nous appliquons la problématique de aspect 'hypothése avancée dans essai sur le carré sémiotique ot la catégorie, nous devons insister sur le fait que ni la bipartition ni la tripartition ne sont on mesure de fournir un réseau: elles constituent des prélévements, opérés & partir d’un réseau sous-jacent, qui obéirait, lui, A une quadripartition. Autrement dit, I'hypoth’se examinée dans Vessai sur le carré et la catégorie nous impose comme point de départ le chiffre quatre, de sorte que les systémes qui ont un effectif inférieur sont obtenus par défection d'un ou de deux termes. Pour V'indiquer de fagon encore plus sommaire, Jorsqu’il est question d'un réseau sémiotique, nous ne "montons" pas de deux a trois, puis de trois A quatre, mais nous "descendons” de quatre a trois, voire a deux. Lexistence de ce réseau est hautement probable puisque la bipartition et la tripartition n’ont en commun qu’un seul terme: l'achévement du procs (perfectif ou terminatif). Tl nous semble que le dégagement de ce réseau, tout comme le «systéme 193 sublogique> élaboré par Hjelmslev dans La catégorie des cas, se fonde, ou devrait se fonder, sur les quatre principes suivants: (i) la postulation d'une «substance du contenu», congue comme un «continuum non analysé, mais analysable» *; (i) Varbitraire et son corollaire nécessaire, la précarité des divisions introduites par la «forme du contenw; (iii) le corollaire du précédent, A savoir la déformation par syncope, par mutation, par synerétisme; (iv) la dépendance de chaque réalisation & Végard des valences qu’elle implicite, ce qui revient & maintenir Vexigence de complexité fonctionnelle inhérente & toute grandeur sémiotique. L’application de cos principes aux exigences du réseau, telles qu’elles ressortent de Tessai consacré au carré sémiotique, nous conduit A proposer comme catégories aspectuelles de premier rang une aspectualité saillante, qui contréle los limites du continuum substantiel, et une aspectualité passante, qui traite lintervalle entre les limites, en y inscrivant des seuils et des degrés. L’aspectualité saillante s'oppose & Yaspectualité passante comme la démarcation a la segmentation. Toute grandeur soumise a Vaspectualisation est done susceptible: (i) d’étre caractérisée comme une extension; (ii) daccueillir des limites, s’opposant entre elles si une direction a ét6 élue; (iii) Petre graduée; (iv) chacune de ces procédures peut se retourner contre la précédente; (v) enfin les procédures segmentative et démareative peuvent entrer en conflit l'une avec autre. Une fois assemblées, cos caractéristiques donnent & penser que Yaspoct n'échappe pas au téte-A-téte de Vintensité ot de lextonsité, puisque les unes sont extensives ot les autres, intensives. Antérieurement a son rabattement sur Je verbe, Vaspectualité n'est peut-étre rien d’autre que la dialectique de 'absolu, aux prises avec Valternative du tout ou rien, et du relatif, chargé de déméler le plus ou moins, cest-a-dire un jeu extraordi- nairement complexe — comme I’a montré Sapir. Pour rejoindre Yaspectualité linguistique exprimée par les langues, il suffit de convoquer une «condition de réalisation», trés "lourde” du point de vue sémiotique: Yorientation du proces. L'inchoativité et la terminativité relevent de l'aspectualité saillante, tandis que la durativité, par progressivité ou itérativité, intéresse Yaspectualité passante; Yopposition «terme/ non terme» retenue par J. Holt est conforme a la structure minimale puisque le «terme» est intensif et le «non-terme», extensif. Ajoutons que l'un des sehémas possibles de Vaspectualité consiste dans la 194 surdétermination de la démarcation (limites) par la segmentation (seuils et degrés), comme dans l’énoncé banal: il vient a peine de commencer, oi Yon voit la graduation progressive entrer en concurrence avec la limite inchoative. Lincidence de Yorientation sur le continuum permet de générer Je réseau élémentaire, puisque la démarcation et la segmentation, tout en continuant de s‘opposer l'une a l'autre, sont en outre soumises A une orientation: pour la démarca- tion, Vorientation dégage les grandeurs extrémales de premier et dernier; pour la segmentation, les grandeurs liminales d'antécédent et de suivant. Le réseau aspectucl se présente ain Démarcation Segmentation Antériorité premier antécédent Postériorité dernier suivant Une des distributions linéaires possibles serait la suivante: AL a ay premier antécédent suivant dernier Mais bien d'autres, moins attendues, seraient envisageables. La résolution des tensions entre les différentes phases aspectuelles et la prise en compte des syncrétismes possibles seront examinées dans les définitions syntagmatiques. 2.2, Définitions syntagmatiques Des Vinstant o& nous distinguons entre définitions étendues et définitions res- treintes, nous accédons au probléme sémiotique par excellence qui est celui de la composition et de interaction entre catégories d’envergure inégale. 2.2.1. Définitions syntagmatiques étendues Le sort réservé dans la théorie sémiotique a Vaspect est difficilement séparable de celui réservé au faire, Pour ce point, comme pour plusieurs autres, la sémiotique 195 a restreint le faire a la notion de transformation narrative, cest-&-dire au passage de tel état a état opposé °, Cependant, en raison de option binariste qui, en droit comme en fait, a prévalu dans les années 60, investigation du faire n’a pas dépassé ce cas de figure. Liaspectualité, servante du faire, a été resserrée dans les mémes limites que le faire narratif. Mais si ce faire occupe une place centrale dans la nar- rativité, sa valeur reste spécifique: il représente une espéce de faire, c'est-A-dire une espéce parmi d'autres espdces, qui ont également droit a notre attention. Sous ce préalable, qui renvoie la narrativité @ des régimes narratifs et qui émancipe Yaspectualité, nous avangons "hypothise d’une schématisation en mesure de projeter des possibles aspectuels autonomes par rapport a la narrativité. Simplifions la question a Pextréme: que se passe-t-il quand le sujet @état n'est pas engagé dans un drastique changement d'état? que se passe-t-il quand le sujet n'est aux prises qu’avec son seul état? Admettons par hypothise qu'il existe une dynamique propre au seul état du sujet d’état. En effet, le reproche que Ton peut adresser a la distinction entre Iétat et le faire, cest quielle soit posée comme absolue, cest-a-dire comme si, dans Vétat, il neVpassait rion. Liaypothase générale de la charpente tensive du sens nous conduit pourtant a considérer que P’état est soumis aux mémes tensions que le faire, mais dans des conditions d’équilibre et de tempo différents, de sorte qu'il s'y passe quand méme quelque chose. Le schéma aspectuel étendu consiste a envisager la démarcation et la segmen- tation, qui sont par elles-mémes des fonctions, comme des fonctifs d’une autre fone- tion, en compétition 'un avec l'autre. A partir d'une situation apparemment stabilisée par la durée, deux cas de figure peuvent se présenter: (i) la surdétermination de la démareation par la segmentation, opération que Yon peut identifier comme une expansion, et (ii) lopération inverse, qui voit la démarcation triompher de la segmentation, opération qui aboutit 4 une contraction; au cours d'une «expansion», les limites sont changées en degrés, tandis qu’au cours d'une «contraction» les degrés sont changés en limites. L’expansion et la contraction peuvent étre décrites plus précisément ainsi: nous admettrons que nous sommes en présence de Yexpansion lorsqu’une valeur v, définie jusqu’alors comme valeur de limite, est convertie, du fait de la praxis discursive, en valeur de degré; A la séquence: 196 [A,—a, —a, —A,] vient se substituer la séquence: [A,—a, —a yaaa ex-A, Pour celui qui est “au courant de ce qui s'est passé", Ay, qui avait jusque-la valeur de dernier, vaut désormais comme avant-dernier, si la perspective adoptée est celle de la visée; en effet, V'affaire n’a de sens que si telle grandeur figurative, qui est maintenant associée au signifié a,, "se souvient" qu’elle était associée antérieurement & Ag; tout comme, selon Greimas, le «si» est un «oui» qui se "souvient" quil a 6té précédé d’un «non». Prenons en compte le point de vue du sujet de la visée aspectuelle: nous pouvons lui supposer un sentiment aigu de frustration et de surprise. A titre dillustration hétive, le véeu pathémique du collectionneur, oscillant entre la joie dajouter telle pidce jusqu’alors manquante et convoitée, et le dépit de savoir que telle pidce est a jamais hors de sa portée, indique bien que l’aspectualité gouverne la syntaxe de certaines formes de vie plus ou moins institutionnalisées. Si nous envisageons maintenant la dynamique de la contraction, nous constatons le processus inverse, qui change un degré en limite: A partir de la méme séquence de départ: CA,— a, —a, — Ay] la syncope d’un degré, a, par exemple, aboutit a la réorganisation suivante: tama oA) ex-a2 Dans ce cas de figure, et toujours dans la perspective de la visée, a,, qui avait jusque- la valeur @’avant-dernier, vaut désormais comme dernier. Ce cas est réalisé par exemple lorsqu’un proces est interrompu avant son terme attendu: Paspect «terminatif> ne correspond plus alors au «perfectif» proprement dit. Un exemple emprunté aux Feuillets d’Hypnos de R. Char, déja brisvement évoqué dans essai «Direction», permet de prendre la mesure de la complexité des opérations aspectuelles: «Il en va de certaines femmes comme des vagues de la mer. En s’élancant de toute leur jeunesse, elles franchissent un rocher trop élevé pour leur retour. Cette flaque désormais croupira 1a, prisonniére, belle par éclair, A cause des 197 cristaux de sel qu’elle renferme et qui lentement se substituent a son vi- vant.» Bien entendu, nous Jaissons a R. Char la responsabilité de sa vision du devenir féminin. Le fragment comprend deux séquences, la premiére centrée sur la «vague», la seconde sur la «flaque». A premiare vue, le parcours narratif se présente comme un parcours de dégradation dans la terminologie de Brémond, puisque la «vague» et la «flaque> semblent symétriques et inverses Pune de lautre, la premiére associée au «franchissement», la seconde au «croupissement», mais précisément le traitement aspectuel de chacune de ces grandeurs figuratives tempére l’écart entre la «vague» et la «flaquer Intéressons-nous @abord a la séquence de la «vague». Le dispositif est construit autour d'une figure aspectuelle, le «rocher», qui détient, a partir des indications données par les dictionnaires, une valeur d’arrét, pour lui-méme comme pour les forces qui viennent se heurter a lui; la vitesse et énergie de I’élan, motivées par la «jeunesse», permettent de franchir, dans un sens, cette limite, laquelle devient, de ce fait méme, un seuil, mais la résistance que cette méme figure oppose au retour, dans Vautre sens, rétablit sa valeur de limite. Le «rocher» est ainsi changé en seuil dans le mouvement progressif, mais redevient limite dans le mouvement régressif. Ces catastrophes aspectuelles brouillent également la durée et 'espace, puisque le retour est privé d’aprés, puisque l’au-dela de aller devient un en-deca définitif pour le retour. Mais cette description ne tient pas compte de la structure des potentiels en présence: Je potentiel de la est un procés de restauration et de mélioration. Mais la , tandis que le Micro-Robert propose: «durée trés courte que la conscience saisit comme 200 un tout». Dans le «point», ainsi que dans le syntagme «comme un tout», la démarcation prévaut sur la segmentation, puisque les limites se recouvrent l'une l'autre, en raison, cette fois, de la syncope des degrés intermédiaires: l'intervalle, dont la segmentation aurait da avoir la charge{lo-chared est alors virtualisé, et ses deux bornes, A, et Ay, confondues. Dans cette perspective, deux dimensions aspectuelles, associées en une corrélation inverse, procurent une définition tensive aux morphologies temporelles: Tinstant suppose une démarcation forte et une segmentation faible, et l’éternité, une démarcation faible et une segmentation forte. 2.2.2, Définitions syntagmatiques restreintes Dans la partie précédente, nous avons examiné la confrontation de la démar- cation ct de la segmentation sans précision d’extension, ou encore d’, ce qui revient en fait a envisager le faire aspectuel & louvre sur des étendues discursives importantes. La mise en discours d'une catégorie constitue des schémas (cf. Vessai «Schéma»); Yexpansion et la contraction seront done regues comme des schémas aspectuels reposant sur une extensité dominante. Dans la mesure od le schéma organise la catégorie sur le fond des tensions entre extensité et Tintensité, nous sommes conduit envisager maintenant les schémas aspectuels ou domine lintensité. Une de nos hypotheses stipule que l'intensité peut se manifester par le tempo, la durée et la spatialité; chacune de cos grandeurs impose une tension et attend de la part du sujet un arbitrage: pour le tempo, entre vivacité et lenteur, pour la durée, entre longueur et brigveté; enfin, pour la spatialité, entre fermeture et ouverture. Au contraire des schémas ob domine lextensité, cest-a-dire la «résolution» ou «déploieme- nb (cf Yessai , mais il est clair qu’«attaquer» comporte une indication de tempo vif dont la valeur distinctive apparait par exemple dans le syntagme «attaquer un morceaw; la modalité primordiale semble bien ici celle du pouvoir faire et la singularité d’«attaquer» réside, nous semble-t-il, dans l’associa- tion entre Finchoatif et le pouvoir, comme si tout commencement exigeait une dépense particuliére d’énergie. Ce qui vaut pour un proces accusatif vaut également pour le procés attributif, puisque «tomber, lorsqu’il est suivi d'un adjectif, comme dans «tomber malade», regoit la définition suivante: «étre, devenir, (aprés une évolution rapide)». Pour «persévérer», le Micro-Robert propose: «continuer de faire, d’étre ce qu’on a résolu, par un acte de volonté renouvelé»; nous pouvons donc admettre que la sommation porte sur la durativité, laquelle se nourrit de la multiplication des degrés, et le vouloir-faire, qui est convoqué dans les définitions les plus courantes, semble bien chargé de venir a bout de la solution de continuité toujours possible entre Vengagement de tel procds ot sa poursuite. Pour et la «mort», et selon la segmentation, le "Gil” des heures et des jours; mais la question délicate porte sur la teneur de cette durativité que toutes les théories reconnaissent. En un mot, il s’agit affronter la question: qu’est-ce que continuer? L’énigme de la texture intime de la continuation, dont la sémiotique s'est plutdt détournée, n’a pas manqué pourtant de solliciter la réflexion. Déja le fragment de Paseal, que nous avons cité en 2.2.1, laissait entendre que Ja continuité, I’ méme, était le fait d’un "lissage" de la multiplication et de la répétition, Paseal n’est pas le seul a considérer que la texture de la continuité est en derniére instance discrdte, ou encore rythmique. Dans sa polémique avec Bergson, Bachelard ne cesse de mettre en avant le pri- vilége de la discontinuité: , Cest-a-dire la liberté reconnue a la théorie de choisir ses prémisses, et Taadéquation», c’est-a-dire 'appréciation de leur applicabilité, seraient étrangdres l'une a Yautre, mais il semble permis de penser que la présence ou Vabsence de telles 213 prémisses fonctionne comme une censure ou une obstruction involontaire en dirigeant Yattention sur tel corpus valorisé comme "important" et en la détournant de tel autre jugé d’emblée "sans intérét", Pour le dire plus simplement, en dépit de la place qu'elle accorde aux relations polémiques dans le schéma narratif, la sémiotique demeure une discipline qui éprouve quelque difficulté & prendre la mesure d’un monde plein de "bruit et de fureur", Que les autres disciplines herméneutiques en soient au méme point ne diminue en rien la portée de ce constat. La sémiotique structurale se réclamant de Saussure serait ainsi autant une sémiotique de Vindifférence qu'une sémiotique de la différence. La dimension prosodique et la dimension schématique, qui font l'objet de Vessai sur le schéma, ont 6t6 négligées et dans le meilleur des cas traitées comme des fonctions auxiliaires et subalternes. Si les caractéristiques des grandeurs sont négatives, & quoi le doivent- elles sinon a leur expulsion hors de Vespace tensif? Pourtant le méme Saussure, dans les Principes de phonologie, avait prévenu cette dérive: «La science des sons ne devient précieuse que lorsque deux ou plusieurs éléments se trouvent impliqués dans un rapport de dépendance interne; ear il y@ une limite aux variations de l'un d’apres les variations de l'autre; (...) Dans Ja recherche du principe phonologique, la science travaille donc a contresens en marquant sa prédilection pour les sons isolés.» * Des lors on ne s’étonnera plus que les grandours soient posées comme aphoriques, achroniques, arythmiques, atopiques,... de sorte que ces prétendues caractéristiques appelaient, forcément, des investissements, sinon des suppléments venant mettre un terme & leur nullité. Mais une sémiotique de Tasymétrie, de la dépendance et de Vinégalité ne saurait, sans aussitét se contredire, procéder ainsi, puisquelle est redevable a Vintensité des caractéristiques quelle revendique. Ainsi, la réflexion politique na pas manqué de relever qu’a cété des clivages classiques: droite/ gauche, libéral/ autoritaire, progressiste/ conservateur, parti de Vordre/ parti du mouvement, républicain/ monarchiste, etc., chacune de ces familles politiques connaissait elle-méme un clivage modéré/ ultra souvent plus décisif que les précédents; en un mot, ce clivage tensif et aspectuel prévaut A un moment ou & un autre sur chacun des clivages thématiques. La sémiotique est-elle a méme d’en rendre compte? A partir des définitions syntagmatiques étendues abordées en 2.2.1, nous avangons Vhypothése qu'un "ultra" fait état — souvent de fagon tout a fait explicite, 214 mais on ne veut pas Pentendre — d'une exclusivité de la segmentation, cest-a-dire qu’a ses yeux le procés qu'il met en ceuvre ne connait que des degrés, si bien que sa praxis sémiotique consiste a subvertir toute limite en degré, au nom de cette passion aspectuelle que nous avons dénommée ci-dessus T'eexigence». La péroraison de Don Juan, quand il s’explique devant Sganarelle, ne laisse aucun doute A ce sujet: -Enfin il n'est rien de si doux que de triompher de la résistance d'une belle personne, et j'ai sur ce sujet l’'ambition des conquérants, qui volent perpétuelle- ment de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre a borer leurs souhaits. I n'est rien qui puisse arréter limpétuosité de mes désirs: je me sens un cour a aimer toute la terre; et comme Alexandre, je souhaiterais qu'il y edt d'autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquétes amoureuses.» ° AVinverse, le modéré ne reconnait que la démarcation et ses limites et, dans le dessein de conjurer toute violence, il se dit prét, en gage de bonne volonté — cest le fond du kantisme moral —, a traiter les degrés comme des limites, en "bornant ses souhaits". Ajoutons enfin que les schémas aspectuels respectifis de ultra et du modéré font choix pour le premier des valeurs d'absolu et de I'«éthique de conviction», qui en est le corrélat subjectal, dans la terminologie de M. Weber, et, pour le second des valeurs univers et de l«éthique de responsabilité» (cf. essai

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