SCIENCES HUMAINES
«“ LA VISITACION
DE LOS YNDIOS GHUPACHOS ”
INKA ET ENCOMENDERO
1549
par
Marie HELMER
« La Visitacién de los yndios Chupachos » publiée
ci-dessous est un fragment régional de la ¢ visita » du
Pérou ordonnée par le Président Gasca en 1549. Elle
recense un groupe d’Indiens dans la province de Huanuco
et compare la mita incaique et la encomienda espagnole.
Faut-il insister davantage sur son intérét (1) ?
La guerre civile terminée, le Président Gasca, pour
consolider la paix, s’attaqua & un compromis entre les
encomenderos, le roi et les défenseurs des Indiens. Date
essentielle dans l'évolution de la eneomienda au Pérou,
1549 marque la fixation du tribut.
Pour les conquistadores, Je Pérou c’étaient les mines
et, plus encore des hommes a exploiter, et ce n’était que
cela, car la terre est pauvre et stérile ; A leur venue, elle
arrivait pourtant & nourrir une population relativement
nombreuse, grace a V'irrigation et aux cultures en ter-
rasses qui augmentaient la surface cultivable, grace la
vigilante administration des Inka qui ne laissaient rien
perdre ; les estimations varient de dix a seize millions,
pour une Espagne qui en comptait sept ou huit (18 ; 2,
IV) (2). On le sait, comme Hernando Cortés au Mexique,
(1) Je remercie vivement V'éminent historien péruvien M. Ra-
fael Laneno, qui me Va signalée.
(2) Les notes dans le texte renvoient a la Bibliographic
(pp. 19-21), celles indiquant seulement le f* renvoient au texte
publié ci-dessous.4 INSTITUT FRANGAIS D’ETUDES ANDINES
Pizarro, en vertu des capitulations passées & Toléde en
1529, distribua avec prodigalité les indigenes aux nou-
‘veaux seigneurs du Pérou (23, 85) ; & Gonzalo, son frére,
Ja province de los Charcas toute entiére. A la Cour,
Charles-Quint en donnait & ses courtisans en « merced » ;
ces lots d’Indiens désignés par leur village, leur région,
Jeur province, étaient obligés de servir ’Encomendero et
de lui donner le produit de leur travail ; pressurés sans
mesure, ils s’épuisérent rapidement et moururent en
masse A la peine. Alerté par le dominicain Bartolomé de
Las Casas, !'Eimpereur supprima les « repartimientos »
(1542). L’abolition révolta les colons qu’elle ruinait ; les
« Leyes nuevas » durent étre révoquées. Gonzalo P1zARRO
et les rebelles vaincus & Ja bataille de Xaquixaguana
(1548), sous couleur de récompenser les auxiliaires de sa
victoire, Gasca distribua Jui aussi des « repartimien-
tos »: il donna au nom du roi 135.000 pesos de rente
représentée par le travail des Indiens. I ne satisfit per-
sonne, ni les partisans du début, ni les déserteurs de la
derniére heure (11, 66) ; de plus, Yhabile diplomate ne
prononga pas V'abrogation de la répartition de Przanno,
dou une série de proces, parmi lesquels le litige oi
figure la « Visitaeién » : devant le Conseil des Indes, en
1551, Antonio de Ripera réclame au capitaine Gomez
Anias DE Avia, & Antonio de GRravo et Juan de ARGAMA,
Ja restitution des Chupachos dont les a gratifiés le partage
de Guainarima ; Gomez Antas se défend en prouvant
qu’il traite ses Indiens avec humanité.
Pour le roi, les Indiens étaient la main-d’euvre indis-
pensable & la mise en valeur du Pérou et surtout de ses
mines ; A tout prix il fallait enrayer leur disparition
(Visit., folio 172 V°). La nouvelle formule de Ia réparti-
tion correspondait a la construction d’une doctrine juri-
dique qui rendait au pouvoir royal le contréle de la
encomienda ; du partage de fait entre conquérants qui
réduisait les Indiens au servage comme jadis les Moris-
ques en Espagne aprés la Reconquéte, les « letrados »
firent une délégation du tribut da par les Indiens en tantVISITACIGN DE LOS YNDIOS CHUPACHOS 5
que libres vassaux a la Couronne qui Vaccordait en
récompense des services rendus. Continuant Isabelle la
Catholique, son petit-fils prenait le réle d’arbitre entre
ses sujets et protégeait les faibles contre Varbitraire ;
désormais la condition des indigenes était — en droit —
comparable ‘celle des « pecheros > de la péninsule. La
taxe du tribut limita et mesura les prétentions du nouvel
encomendero, dans sa nature et son montant ; comme
sous l'Inka, le tribut se payait en corvées (« servicio per-
sonal ») et en produits du travail, car si les Espagnols
avaient apporté Pusage de la monnaie, comme en Europe
a la méme époque, elle restait rare aux Indes de Castille
et elle a toujours paradoxalement manqué au Pérou.
Pour le montant, ’Inka demandait 4 ses sujets tout ce
dont il avait besoin ou envie et le bénéficiaire de « repar-
timiento » en fit autant sans rencontrer de résistance
chez V'Indien passif et résigné. La variété géographique
du pays interdisait de taxer le pays par une mesure géné-
rale ; pour évaluer les possibilités fiseales de chaque
région, Gasca ordonna une < visita ». En bonne logique,
cet inventaire eat di précéder le partage, mais la poli-
tique exigeait de satisfaire avant tout les appétits des
colons. Ce n’était pas la premiére : le prédécesseur du
vice-roi Brasco Noxez VELA Vaca pe Castro (1540-
1543), avait fait « visitar > tout le Pérou pour determiner
le nombre d’Indiens dépendant de chaque cacique et de
chaque encomienda, ainsi que pour fixer le tribut (11
et 15). Ila été contesté que Venquéte ait été faite (23),
la « Visitacién » prouve qu’elle Ya été, au moins en
partie. Au dernier échelon, lorsqu’elles portent sur les
indigenes, les « visitas » sont des rapports d’admi
tion locale qui, normalement, ne traversent pas l’Océan ;
il y en a done peu en Europe et & Séville qui rassemble les
archives plus élaborées du pouvoir central, la < Visita-
cién » se trouve a l’A.G.I. comme annexe & un procés
porté au Conseil des Indes. C’est une piéce rare, la plus
ancienne de sa catégorie. Les ¢ Visitas > sont une source
importante 4 toutes les époques et A tous les degrés de
la pyramide gouvernementale pour Vhistoire sociale et
économique de Amérique du Sud coloniale.
ra6 INSTITUT FRANGAIS D’ETUDES ANDINES
F. Lopez pe Gomana se montre ici parfaitement in-
formé et nous raconte cette deuxiéme « visita » avec le
luxe de détails qui lui est habituel (12, CLXXXVIII) :
pour chaque encomienda, deux inspecteurs nommés et
commissionnés par Gasca et la plus haute autorité de
justice régionale, le corregidor « justicia mayor », asser-
mentés au cours d’tme messe « soplene », solennelle,
accompagnés d’un interpréte « lengua » et, si possible,
@un « eseribano », d'un greffier, devaient visiter chaque
groupe d’Indiens donnés en encomienda, dans chaque
région. Pour assurer I'unité de Venquéte menée a travers
le Pérou, Gasca les avait munis d’instructions et d’un
questionnaire détaillé quela Visitacién reproduit (f° 172)
Iis avaient le droit de faire comparaitre et d’entendre des
témoins et de condamner a des peines arbitraires. Pour
fixer la taxe, ils devaient réunir trois éléments d’appré-
ciation : les ressources de la terre oit vivaient les Indiens,
en hommes et en produits, les prestations faites a l'enco-
mendero et, enfin, les exigences passées de I'Inka.
La référence & Inka en matiére d’impét ne fournis-
sait pas de chiffre utilisable, car seuls son bon plaisir et
son sens du gouvernement limitaient ses exigences. Ce
n’est pas, on s’en doute, un intérét abstrait pour Vhis-
toire précolombienne qui inspirait cette curiosité offi-
cielle. Depuis trente ans les Dominicains ménent la lutte
pour la vie et la libération de l'indigéne. Leur voix ne
clame pas dans Je désert. L’élite du coeur et de l’esprit en
Espagne est touchée dans sa conscience. — A Salaman-
que, le P. Francisco de Vrrorta s’est vu incapable de
justifier en droit et en morale les guerres de conquéte et
leurs suites. A la Cour, le fougueux évéque de Chiapas et
Yaristotélicien Ginés de Sepuivena sont & la veille des
joutes oratoires qui les opposeront sur I’asservissement
de ’homme par homme (1550). Ces polémiques impré-
gnent la mentalité des gouvernants ; elles expliquent la
grande enquéte sur les Inka diligentée vingt ans plus
tard par le vice-roi Francisco de Toxxpo (9) ; elles ins-
pirent des formules, des clauses de style qui survivront