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Nucléaire iranien : ennuis techniques et soupçons de sabotage

Une panne mystérieuse sur le site de Natanz a relancé les spéculations sur l'effet du virus
informatique Stuxnet

Le programme nucléaire serait-il entravé par de multiples difficultés ? La question se pose avec
acuité depuis que l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a détecté, le 16
novembre, lors d'une visite de ses inspecteurs sur le site nucléaire de Natanz, une interruption
dans l'alimentation de milliers de centrifugeuses produisant de l'uranium faiblement enrichi. Une
matière qui, si elle est transformée, peut mener à la fabrication de composants pour une arme
nucléaire.

Aucune explication n'a été fournie par l'AIEA ni par les autorités iraniennes pour cet arrêt
temporaire de l'enrichissement d'uranium à Natanz - le premier jamais relevé par un rapport de
l'Agence. La durée de la coupure n'est pas non plus précisée : entre un jour et six jours. Téhéran
a en effet déclaré, le 22 novembre, à l'AIEA que les centrifugeuses étaient de nouveau
alimentées.

Le constat de cette " panne " a relancé les spéculations sur l'impact du virus informatique
Stuxnet. Selon plusieurs experts, dont l'Allemand Ralph Langner, Stuxnet aurait la capacité de
détraquer la vitesse de rotation des centrifugeuses iraniennes, jusqu'à entraîner de lourds
dégâts. L'Iran a affirmé pour sa part avoir neutralisé, " voici un an et plusieurs mois ", selon le
vice-président Ali Akbar Salehi, une " attaque informatique " contre ses sites nucléaires, " menée
par des Occidentaux ".

Sans être nouvelle, l'hypothèse d'un sabotage du programme nucléaire reprend du relief. En
2006, George Bush avait annoncé que les Etats-Unis poursuivraient des efforts de ce type pour
contrecarrer les ambitions iraniennes. L'administration Obama est, elle, restée silencieuse sur le
sujet. Des responsables américains ont évoqué cette année des " problèmes techniques "
auxquels se heurteraient les Iraniens, laissant entendre que cela donnait plus de temps pour
trouver un règlement négocié au contentieux nucléaire.

L'Iran a assurément un problème : ses réseaux d'acquisition de biens utilisables dans un


programme nucléaire ont été lentement étranglés. C'est l'effet des sanctions internationales,
renforcées depuis cet été, et de la traque constante menée par les Etats-Unis et des pays alliés
contre toute entreprise ou individu aidant l'Iran à se procurer des équipements sensibles.

C'est aussi l'effet du démantèlement, à partir de 2003, du " marché noir du nucléaire " mis en
place dans les années 1980 par l'ingénieur pakistanais Abdul Qadeer Khan, qui avait fourni à
l'Iran le modèle des centrifugeuses (appelées IR-1) qui opèrent à Natanz.

L'Iran a en particulier du mal à acquérir à l'étranger des métaux spéciaux dont il a besoin pour
ses centrifugeuses. Toutes ces difficultés expliqueraient le relatif ralentissement dans l'utilisation
de ces centrifugeuses à Natanz. Seuls 4 800 de ces appareils (sur un total de 8 400) produisent
de l'uranium. Début novembre, l'usine de Natanz contenait environ 300 centrifugeuses de moins
qu'en septembre. Usure ? Accidents techniques ?

Contacté par Le Monde, l'ancien chef des inspecteurs de l'AIEA, Olli Heinonen, aujourd'hui
chercheur à Harvard, constate que " depuis un an environ, l'Iran semble se débattre avec les
centrifugeuses IR-1 de Natanz.Le nombre de centrifugeuses alimentées a baissé. Et un nombre
assez important de centrifugeuses déjà installées a été retiré du site, ce qui est inhabituel dans
ce genre d'usine ".

Cet expert poursuit : " Un arrêt total de l'alimentation, suivi d'une reprise partielle, constitue un
événement inédit. Il est difficile d'en établir la raison. " Mais M.Heinonen relativise : le programme
iranien " n'est pas en péril ", il a déjà connu des améliorations, et les ingénieurs de Natanz "
surmonteront probablement " les problèmes. Surtout, Natanz ne constitue qu'une partie de
l'ensemble. L'Iran n'a jamais autorisé l'AIEA à accéder aux ateliers où il affirme avoir travaillé sur
des centrifugeuses de nouvelle génération, plus performantes.

Le régime iranien pourrait toutefois être tributaire de considérations financières. De source


occidentale, on indique que le guide suprême Ali Khamenei a récemment ordonné un
accroissement du budget de l'appareil de renseignement des gardiens de la révolution, décidant
que cela se ferait au détriment du financement de " futurs projets nucléaires ", lesquels aurait
donc été gelés. On ignore quels pans du programme nucléaire seraient affectés.

Les tiraillements entre factions du régime semblent s'accentuer, sur fond de difficultés
économiques accrues par les sanctions, et de renforcement de l'appareil répressif. Le pouvoir a
reporté de mois en mois une suppression annoncée des subventions d'Etat pour certains
produits alimentaires et pour l'essence, de peur que cela suscite des troubles sociaux.

L'Iran nie toute difficulté dans son programme nucléaire, brandi comme un objet de fierté
nationale et utilisé comme un levier dans sa stratégie de puissance régionale. Mais les
interrogations nouvelles sur ses capacités technologiques semblent apporter de l'oxygène à la
diplomatie. Le 5 décembre, de nouvelles discussions sont prévues en Europe entre les Iraniens
et les grandes puissances.

Natalie Nougayrède

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