IOlaK mel amuelKe
Jves Déloye
Olivier IhL
SciencesPo. |
a ="! Les Presses |
REFERENCESFait politique
Yes Déloye et Olivier tht
LACTE DE VOTE
Ce livre se veut une invitation 3 redécouvrir les savoirs et les
Dratiques qui faconnent notre expérience du vate. Nen déplaise aux
commentateurs de nos soirées électorales, 'élection rest pas
seulement le moyen de faire valor une opinion, c'est aussi un ritvel
social, une mise en scéne codifge en fonction de multiples enjou.
Bulletin, scanner optique, carte électorale, une, machine & voter :
notre rapport aux instruments de la vie électorale se métamorphose.
De nouvelles interrogations sur la facon a'élire et de se faire dlire
Emergent, et histoire matérielle de la démocratie représentative
‘ouvre 8 la réflexion de stimulantes pistes.
Cet ouvrage de synthése sur la dimension matérielle et socio-
historique des opérations lectorales rassemble les résultats de
plusieurs enquétes menées depuis une quinzaine c'années. Une
Histoire qui révéle les deéfis de Tacte de vote, entre technique et
politique, mises en scéne et mobilisation, archaisme et modernité
‘Yes Déloye est professeur de science poltiqe Université Paris'-Panthéon:
Sorbonne. Olivier Ih est protesseur de science palique IEP de Grenoble
pore ea
Le ee Messye1 / UNE MISE EN SCENE
POLITIQUE
Une importante dissymeétrie affecte, en France, les études sur le
phénoméne électoral. La littérature consacrée aux consultations et
4 Vexplicitation de leurs résultats est considérable, innombrables
sont également les analyses monographiques des différents scrutins
ui rythment la vie démocratique francaise’, Lusage, répété a partir
de T'élection présidentielle de 1965, des enquétes d’opinion par
sondage renforce cette tradition d’analyse qui oublie toutefois
@interroger la signification de I'acte électoral, Jusqu’a une date
1. Dis 1951, F. Goguel et ses collaborateurs publient un Cabice
de la Fondation nationale des sciences politiques cowsacré d la
Sociologie électorale, Esquisse d'un bilan, guide de recherches,
(Paris, Armand Colin, 1951, 90 p.).Inaugurées pour les élections du
2 janvier 1956 et poursuivles dans les premigres années de la Cin
‘quiéme République (référendums des 8 janvier 1961, du & avril
1962, daetobre 1962, cfc), les études sur les consultations electo-
‘ales deviennent rapidement l'un des poles majeurs de développe-
‘ment de la science politique francaise. Avec 1a collaboration du
doyen G. Vedel,F, Goguel publiera ensuite la série des Chroniques,
‘lectorales. Les scrutins politiques en France de 1945 & nos jours (3
volumes de 1981 @ 1983). Renouant avec cette « grande tradition »
(expression est empruntée d R. REmond), les Presses de la Fonda
tion nationale des sciences politiques puis Presses de Sciences Po
s'associent désormais au Département d'études politiques du Figaro
‘pour publier réguligrement de nouvelles Chroniques electorates (Le
Vote éclaté, Paris, Presses de Sciences Fo, 1992; Le Vote sanction,
Paris, Presses de Sciences Po, 1993; Le Vote des douze, Paris,
Presses de Sciences Po, 1995, etc). Ces études s"ntéressent non
seulement aux résultats de Vélection mais aussi a ta nature des
ener du serutin et décrivent les campagnes életorales et le rapport
des forces en présence au monient de Télection. Reste que V'analyse
de ia signification sociale et politique de Vacte électoral n'est pas
véritablement abordée par ces chroniques qui limitent leur investi-
‘gation & "étude de orientation de F'acte du vote.34 | acted vote
trés récente, il faut noter avec Frédéric Bon que « de peur de s'
gager dans un débat normatif sur les finalités et la légitimité des
procédures électorales, les politologues ont préféré considérer le
ote, sinon comme une noti
n simple et évidente, du moins comme
a donnée dont il convenait avant tout d’examiner les moda-
ine
»- Berit en 1979, ce jugement conserve encore aujourd’hui une
part de son actualité. Il faut en convenir: les études consacrées & la
Vie électorale s‘loignent rarement de la matrice dominante de la
sociologie électorale, Beaucoup dobservateurs de la vie politique
considérent comme une évidence allant de soi I'acte du vote et
préférent interroger principalement son orientation. L'approche
socio-historique du vote nous invite pourtant & reprendre la piste de
recherche inaugurée par F, Bon?. Elle nous convie & considérer le
vote sous un jour nouveau, Le détour par Vhistoire des premiéres
lections au suffrage universel (masculin) oblige Vobservateur &
(2) Bon, «Le ot Fragment dan dicows ctrl
¥. Selene i) es icons dela poltgu, ars room,
1991, p. 175, Terte publié Yorigine dans Histoire, 2, juin 1979,
Sur cette question, voir Ph. Tanchous, Les Procédures électo-
rales en France, Pars, Cnté des tramuc hitorigues et sen.
tifques, 2004. Var uss . Th et. Déloye,« Lee electoral
européen », dans ¥.Délye (di), Dictionnaire des Sections
open rs, comin, 005.
cole de Don aril de Remon «Pour ane hse és
iogique du surge univers. une ope onesie a consests
relate dans. Conac Mall er, Vaio lr), Wine
vaires, Etudes en lhonneur de Léon Hamon, Paris, Economica,
1982, p, 563-574. Dans la contribution qu'ils consacrent aut
+ méthoofgies de Panay tora B. Dene. Brecon
notent Tors ddeusime congrés de VARSP & Grenoble «Aina
aspect rte du ote, souvent soulign, pour conde 2
eae ‘observations sur les modalités de Vacte électoral [....
tel de leur Ine socigraphigue, de felesofsetins
une wise en scene pourioue | 35
considérer I'acte du vote comme un geste politique dont la signifi-
cation sociale et les conditions d’existence sont l'objet de multiples
titonnements, d'intenses débats, de nombreux conflits visant & la
definition d'une représentation dominante, parce que légitime, de la
démocratie électorale, Objet d'une histoire, le vote déploie un pro:
tocole rituel dont la dynamique propre renvoie aux défis spécifiques
que F'élection est censée désormais relever.
‘Comment et pourquoi vote-t-on en France au xix*sitcle? Cest &
ces questions que ce chapitre entend répondre, Pour ce faite, il nous
faut accepter de dissocier analytiquement I'acte du vote (en train de
‘opinion politique dont cet acte est porteur. Ce parti
sieffectuer) de
pris méthodologique nous conduira & déplacer Ia fagon danalyser les
faits électoraux, a user de grilles de lecture habituellement délaissées
parla sociologie ou histoire électorale: "approche anthropotogique
des elections, l'étude de la dimension symbolique du geste électoral,
analyse de la ritualisation des opérations de vote et, de fagon plus
générale, du rituel électoral. Dans cette perspective, le Hew oft se
déroule Vopération du vote, les procédures qui la spécifient, les
équipements qui lui donnent son visage (urnes, bulletins, isoloirs,
cenveloppes, etc.) n'ont rien d’aneedotique. Retrouver les traces
rmatérielles et symboliques du comportement de I'électeur, ce sera
done, pour nous, reconstituer les conditions pratiques d’élaboration
des rituels électoraux, décrire la nature et les usages des symboles
que ce rituel mobilise; ce sera également réveler un état des attentes
normatives qui pésent sur le comportement électoral dans une
a « les paysans devenir des
conjoncture fondatrice: celle qui v
Francais » (selon lexpression d’Eugen Weber)
‘seraient utiles @ Panalyse de ta signification sociale du vote »
dans « Les méthodologies de Vanayse éleetorate » dans D. Gaxie
(dir.), Explication du vote, op. cit. p. 7136 | Lacte de vore
« Qu'est-ce qu'un vote ? »
ou la nature du rituel électoral
Force est de constater que l'approche anthropologique du poli
ne s'est guére intéressée, jusq
présent, a I'acte du vote stricto
Siles ant ologues obser & sae.
thropologues observe rglirement es ampugies fee.
torales‘, les réseaux
rales’, les réseaux de pouvoir locaux>, les voyages présidentiels®
4. Vor notonmen, dane :
I dan une perspective dathrapalogi tr
demon hiseriqu les tavaure% Pourcher cle deen a
intr Ongena 1906p Tats ere
representation pottign en Lasere» Tran, a
2. 27-1; Joura dane campagne deco ef Looe wt
ae modernes, 488, mars 1987, p. 98-122; et « Tournée ‘lec.
fre ome) serene 991. Vr us Maes
*Rituels de campagne: lélection municipale de 1989 @ Aus .
Mots, 25, décembre 1990, p. 43-64, Pe Aurore
5. One strana mena de
{eA Abs notamment Le dg de pique Reso
4pm ac ecnmanl dns eat Gs
Tombes (Morvan) », Etudes rurales, 101-102, 26,
ls 01-10 jnver jun 198
#.201-269; Anhwopoloie et Pais, Amand Cl, 1996,
principalement p, 117 et sui Voir aussi ceur de G. Lenclu prin,
Siac: «Debs er ha de huren bas Le tenet ne
er Coe der rly, 101-02, jr 1986, 9
17 «es es ees hs patronage st re
ign on Coe» Reached ence palin, 30)
a ee b. 770-782, Ft ceux de J.-L, Briquet, en parti -
lier : « Les amis de mes amis... Re t ee.
ns. egies dela mobisaton tog
‘orale dans la Corse rurale », Mots, 25, déc 7-42
Be ru Mot, 25, cenbre 1990p 2-49
<1 de apie pectin ar ls
tote en Corse sus la Talon Répuligee ole 15
‘mestre 1991, p. 32-47, ale
1 gE Ais negation cn gare de ese, Peay
Solus, Les eps moderns, 40 ars 98h oe en
une mise en scene poumiqve | 37
et les pratiques commémoratives? qui constituent le quotidien de
de représentation politique, ils restent largement silenciewx
Vactivit
sur le moment électoral Iui-méme®, Faut-il interpréter ce silence
comme une confirmation implicite de Vappréciation négative de
F.Bon, pour qui le rituel électoral ne serait en fait qu’ un rite
de l'analogic, il apparait qu'historiquement Vacte
Alectoral revét, en France, une dimension symbolique et rituelle
pauvre »? Au-del
trés prononeée. Prenons donc le risque de prendre au sérieux ceux
qui, tel Paul Bert, n_hésitent pas a décrire la seénographie si singu-
ligre du vote: « Surtout, et avant tout, il faut inspirer a T'enfant un
respect quasi religieux pour ce grand acte du vote qui, jusqu’a pré-
sent, est par tant de personnes encore traité si légérement; il faut
oigner avec horreur de son esprit cette idée qu’on peut se déter-
miner au vote par des considérations tirées de 'amitié ou de la
haine personnelle. Il faut que cela devienne chez Iui comme une
sorte d’'instinet acquis, si bien que lorsque ce jeune citoyen s'appro-
chera de la simple boite en bois blanc déposée sur la table du vote,
7. Of. ¥. Hélias, « Pour une sémiologle politique des monu-
ments aux morts », Revue frangaise de science politique, 29
(4-5), aotit-octobre 1979, p. 739-759; et, parmi une littéra~
ture riche, A. Ben-Amos, « Monuments and Memory in French
Nationalism », History & Memory, 5 (2), automne-hiver 1993,
p. 50-81
8. De la méme facon, D. I. Kertzer ne consaere que de tres
bréves mentions ui rituelélectoral dans son livre Ritual, Politics
‘and Power, New Haven (Conm.), Yale University Press, 1988,
principalement p. 11, 49 et 86. Pour wie approche plus riche
‘du rituel électoral, voir toutefois ~ pour les élections présiden-
tielles américaines ~ J. Baker, Afairs of Party, Ithaca (N. ¥.), Cor-
nell University Press, 1983. Voir aussi l'étude historique sur fa
situation en Grande-Bretague de F. O'Gorman, + Campaign Rituals
and Ceremonies: The Social Meaning of Elections in England
1780-1860 », Past and Present, 135, mai 1992, p. 79-115.38 | Lacte de vote
il €prouve quelque chose de cette motion que ressentent les
Croyants lorsqu'ls s'approchent de Vautel.?»
Espoir auquel fait écho encore aujourd'hui le discours de certains
‘moralistes: « Ce sacrement initial qui agrégeait chaque homme a la
communauté avait un nom: suffrage universel. [..] Les urnes
étaient un tabemacle, lisoloir un confessionnal, et le bureau de
vote rappelait la table de communion, On défilait devant lui en
retenant son souffle et en tendant sa carte d’électeur,
: selon un rite
immuable, avant de glisser son enveloppe dans la fente et d’en-
tendre la parole sacramentelle: “A vote”, y
_ Par ce type de formules, notre attention est appelée sur le carac-
‘ere solennel de Macte électoral, sur la sacralisation dont il fait
objet", et plus encore sur la nature du comportement attendu des
citoyens.
Le vote comme acte sacralisé
Produit d'un processus d'acculturation eivique, le vote corres-
Pond, tout d'abord, a un systime de contraintes, de postures, de
croyances, auquel les électeurs ont di progressivement se familiarser.
laires syndiquées du département de la Seine, is and
Bernheim, s.d., p, 15, ” Medel Seng, Pais, Piart-
Brouwer, 1995, p. 19-21. oh Pas, Deselée de
frage universe] en France, Paris, Gallin ae
aA vestion, voir Y, Déloye, Ecole et citoyen-
*é, Lindividualisme republican de lulee Fenty h Wo
Une Mise EN scene poumave | 39
Crest dans cette contrainte comportementale qu'll faut voir la pre-
ire fonction du rituel électoral: le protocole du vote a 'ambition
de rappeler a I'électeur qu'il doit accomplir un acte €pousant une
‘seénographie spécifique, adopter certaines attitudes réfléchies (se
découvrir, mattriser ses faits et ses paroles & Vintérieur du bureau de
‘vote, etc.), waliser un certain nombre de gestes ordonnés dont le
ccaractéxe solennel est fortement évoqué. La lecture des professions
point de vue, trés instructive, Le candidat
de foi dlectorales est, de
(quelle que soit son appartenance partisane) n'a de cesse d'inter-
peller lélecteur pour lui rappeler la gravité de son geste: « Le
moment solennel oit vous allez disposer des destinées de la France,
par le choix des représentants qui doivent constituer le gouverne-
ment, ce moment qui doit étre Pheure décisive du salut ou celle de
la ruine, va enfin arriver; nous sommes & la veille des élections.
Elles ont lieu Ie jour de Paques, le jour de la Resurrection! Que
Dieu, qui a toujours protégé la France, fasse que notre pays, long:
temps enseveli dans le servilisme, ressuscite enfin & la grande vie
de la liberté.
D'autres exemples viennent immé
jement & esprit:
a Frites,
De ume électorale vont sortir les destinées de notre pays.
Modestes travailleurs de la civilisation, nous ne devons pas pour
cela rester témoins inertes de ce grand débat politique: notre mis-
sion glorieuse, & nous, apdtres de 'enseignement, est de former
le citoyen, de mettre la premitre pierre a 'édifice moderne'*»,
Controverses, Paris, Presses de Sciences Po, 1994, notamment
p. 122 et suiv, ; et plus généralement, 0. Ihl, Le Vote, Paris,
‘Montchrestien, 2000,
13. De Villeneuve, Aux électeurs, Toulouse, 5.141848, p. 2.
14, E, Cevallat-Robert, Aux institateurs de Parrondissement
de Bar-sur-Aube, sil, 31 mars 1848, p. 1.40 | vacte devote
« Blecteurs, prenez bien garde & ce que vous allez faire. Les ci
constances sont graves. De vos choix dépendent Pavenir de la
France et votre bonheur. Prenez garde!
« Lesort dela France ~ son salut ou san
1¢ definitive - est entre
les mains des électeurs: c'est de toute évidence pour quiconque
suit les événements et en tire les conséquences naturelles!
« Bientot ce sera la grande bataille; pendant un seul jour vous
disposerez de vos destinées, vous aurez le moyen de réparer les
maux que Vous ont causés ceux qui vous oppriment et vous
uinent, sous prétexte de vous gouverner", »
Plus que légalistes, ces formules ~ que l'on pourrait multiplier &
fini ~ sont normatives: la participation aux scrutins électoraux es
considérée comme une activi
approche du « moment solennel des Elections!» le citoyen di
:mesurer le pouvoir que le bulletin de vote lui procure. Loin d'étre « un
simple chiffon de papier», le bulletin de vote permet au citoyen de
peser sur le destin de la société francaise. « Armés du dro
‘Vous pouvez touts, proclament & Punisson ces discours
Limportance accord
de vote,
électoraux.
Vacte éectoral favorise, ds lors, une drama-
tisation du choix que le citoyen est amené a effectuer, Les professions
de foi, les affiches et les brochures électorales n’hésitent pas &
15, Anonyme, Elections de 1877, Hlecteurs, prenez garde &
vous! sl, sd, p. 14.
16, ¥. Planchet, Elections de 1889, Tulle, Imprimerie
J. Mazeyrie, Sd p, 5.
17, Anonyme, Elections légistatives de 1906, Aux électeurs,
Paris, Imprimerie Hardy et Bernard, s.,p. 1
18. Escolier, Le Comité électoral du canton de Mirepoix aux
lecteurs du département de VArigge, s.L, 1° avril 1848, p. 1
19, M.-A. Feraud, La Femme devant les urnes, Paris, Perrin
et CF, 1919, p. Al,
20, Anonyme, Elections de 1877, op. eit, p. 16:
UNE MIseeN scéNE poumiaue | 41
employer un vocabulaire”! qui établit systématiquement une série
oppositions binaires car fortement polarisées: bonheur versus mal
heur, salut versus ruine, vérité versus erreur, progrés versus déca-
dence, paix versus guerre”, etc, La culture catholique, encore
dominante a cette époque dans la société francaise, renforce cette
dimension. Le catholicisme a, en effet, habitué les Frangais & penser
Ja structuration de la société sur un mode manichéen grace auquel
cette demiére se définit en excluant ce dont elle fait son autre”?, Le
catholicisme contribue également au renforcement de cette dimen-
sion de'acte électoral en établissant une continuité entre le compor-
tement electoral ici-bas et le juggement que Dieu portera in fine sur
les voix des croyants, Nombreux sont ainsi les guides électoraux
21. «Ne perdons pas de vue, afirme ainsi un opuscule publié
en 1889, que les élections prochaines seront une expérience grave.
[a] Cest avec wn certain recueillement que nous devons nous y
préparer. Cest la seule conscience du devoir électoral qui justifie
Te droit de vote » (Anonyme, Du devoir électoral. Lettre aux élec~
teurs, Paris, n., 1889, p. 67). ;
22. Ainsi, cet extrait d'une profession de foi de la période
censitaire: « Que tout Electeur sache, et qu'il se péntire bien de
son vote doit sortir Varrét qui décidera de la guerre ou de la pair's,
dans Bénard, Dossier de la coalition parlementaire contre le
ministere du 15 avrl, ss, 1839, p. 7.
23, Voir, sur ce point, M, de Certeau, La Fable mystique xu"
xvi sitele, Pari, Gallimard, 1982, p. 30 et sui. Les brochures
Alectorales catholiques érablissent systématiquement une opposi~
fion tranchée bien-nal qui facilte Porientation des élecfewrs vers
les canclidats fdéles Venseignement de U'Eglise; « Ca, le bien ou
Te mal de la France, son salut ou sa perte, sa gloire ou sa honte,
sont entre les mains des (éecteurs) catholiques» qui pour Vauteur
tne doivent pas hésiter 4 s’affirmer comme « les soldats de Diew »
(Anonyme, Les Elections prochaines par un catholique, Paris,
Librairie catholique internationale, 1885, p. 1). Sur le retour de
ce manichéisme éleeroral, voir O, Ih etal, La Tentation populiste
en Europe, Paris, La Décowerte, 2003.42 | Locte devote
catholiques qui scénographient le devoir électoral : « Les bulletins
que vous jetez dans 'urne, dépouillés une premidre fois sur la terre,
le seront une seconde fois au jugement qui suivra la mort, »
Les moralistes laiques entendent eux aus
lectoral en une obligation sociale, Crest la l'une des am
'éducation morale et civique que les républicains inscriront en téte
des programmes de I'école primaire & partir de la rentrée de 1882.
Les manuels scolaires correspondant & ces programmes ainsi que de
nombreux autres supports n‘auront pas de mots assez. forts pour
dénoncer les « embusqués et les déserteurs du devoir
ransformer
ique?® »,
Le rituel électoral comporte ainsi une structure narrative drama~
tique: cette demiére est découpée en épisodes ordonnés (avant, le
pendant, 'aprés*), culmine avec le dépot du bulletin dans les mains
du président de bureau, puis, & partir de 1913, avec introduction
24, Anonyme, Ax Gatoliged hag ar voterez/Les catholiques et
le devoir electoral, s., sd, p. 8. Lauteur de cette brochure
bilingue breton-frangais cite ici un extrait d'une lettre pastorate
de Ne" Jauffet, alors évéque de Bayonne, éitée en 1892, Sur
cette question, voir ¥. Déloye, Les Voix de Die, op. ct.
25, Historicus, LABC de Vélecteur, Faut-il voter? Comment
voter? Pour quivoter?, Paris, PUE, 1924, p. 9. Sur ce point, voir
¥, Déloye, Ecole et citoyenneté, op. elt, p. 123-128, La
condanation de Vabstention sera également tes forte lorsqu‘on
envisagera d'accorder le droit de vote aux femmes, Ainsi,
H. Rollet-Maine fermine-t-il une conférence en faveur du vote
_feminin sur ce jugement sans appel: « abstention est une abi
cation, un abandon de poste, une trahison contre les intéréts géné=
aur ‘du Pays et Uintérét bien compris des électeurs »
(i1.Rollet-Maie, Union nationale pour le vote des femmes. Pre-
rier cours civique, sy sd. (1925), p. 16).
26, J. Séjourné, Avant, pendant et apré le vote, Manel élec-
{oral pratique, Orléans, Imp. de P. Pigelet, 1906, 132 p. Ce décou
page en trois phases distintesirigue Vimaginaireélectorl et est
Sréquemment utilisé des fins de propagande. Ainsi ne séton
nera-t-on pas de voir certains candidats antisites algériens user
Une mise en scene poumaue | 43
Ce moment crucial de ’élection est celui
de lenveloppe dans lume,
qui améne les observateurs & user le plus souvent de métaphores
religieuses : i n'est pas rare de présenter la salle de vote comme un
véritable « sanctuaire » qui améne Wélecteur & laisser «en dehors nos
passions, nos sympathies, nos haines, nos intéréts privés, nos
parentés, nos ambitions, nos considérations de personnes””», Par sa
magie, le vote est censé métamorphoser V'individu en citoyen apte &
prendre en considération l'intérét général. Ce sera également cet épi-
-s peintres® et les photographes plus tard les reporters
sode que
audiovisuels ~ ne manqueront pas d'immortaliser”®, Nombreuses
de ce découpage pour décrire V'espoir qui motive leur engage
‘ment politique contre le décret Crémieut. Le supplément ilusiré
de Liantijuif du 17 avril 1898 découpe ainsi fa période électo-
rale: avant, « le juif éleeteur » parade en montrant ostensible-
‘ment sa richesse pendant, «le juffélecteur » dépose son bulletin,
dans l'urne; apres, « le juif électeur » amaigri se retrouve
‘enchainé & un boulet de forgat, obligé de travail tel un esclave
‘au profit des colons qui viennent de remporter les élections. De
_facon plus général, il n'est pas rare que les observateurs de la
vie électorale oppasent avant d T'aprés éleetion : « Avant Véle-
tion on nous consulte, on nous choie, on nous caresse. Il en est
‘pour qu le moindre de nos désirs est une loi [..). Aprés 'lection,
dame, on n'a plus besoin de nous! Vous devinez ce qui en résulte.
Bref, nous sommes tout avant élection. Aprés, nous ne sommes
rien » (Anonyme, Du devoir électoral, op. cit, p. 31-32).
27. R, De Ginestous, A Messicu les éecteurs de V'arrondis-
sement de Narbonne, sl, 1846, p. 13.
28, Voir, d titre d'exemple, e tableau dA. Bramfor, Le suffrage
universe}, peint en 1891 et suspendu dans une salle de la mairie
des Lilas.
29, La presse prendra, ds le début du x0 sitcle, Mhabitude
dillustrer la journée electorate par des situations archetypales: le
vote du président de la République, des prineipaur candidats,
celui des pensionnaires de U'hatel des Invalides ou encore des
ecelésiastiques. G. Pioch décrit, en ces termes, le vote de
R. Poincaré le 26 avril 1914: « Vers neuf heures et demic,