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Anna Maria Morazzoni et Alexandra Anatolievna Orlova PEUT-ON PARLER DE "GROUPE DES CINQ"? 1. Nouvelle école russe ou “Groupe des Cing" ? les compesiteurs qui au milieu du xx ile, stent regroupés sous "appellation "Nowell école sss" sont ordinate dsignés sous le nom de "Groupe des Cinq” ot simplemente Cag meme si ce signa tons ne corespondent pas 'appelation que ler ava donnée Vlada Vi stasov en 1867, nogoichaya koutcbkalitealemen“groupuscule puisint et qUallaent lise, non sans sarasme les adver troupe, Pa alr lesan ou le que tos: Modest Pewovish Moussorgski Nicola Andiéivich Rimskic Korsakov et Alexandre Borodine. On peut certes parler dun “puissant Groupe des Quatre sion yintere Cesar Antonovitch Cul mais elt meat pas directement lie la musique esse et avait pas fe alent de Ses collegues. ly avait bien auss ily Aleneievitch Balak, qui oust tun le important dans e domaine social et musical, mais en tant que composteur apres des déutspromerteurs et courageus I sat cht. tonne ala musique de salon et ne duit sa eputation uv ses activites de cht drat de poe de pn. ree qe Ta torte de Balakirev m@tait pas des moindres — ne paraivon pes du groupe des blakievies"?~; de meme Cul at consderé comme le meneur dv groupe en raion de ses engagements de etiqu. Ei, a Cohesion monolihique di groupe revendique par sassov et Rink ¥Korsakow (dans son Journal de ma ie msl, 196, a fe 1938) 4 connu de ralité que dans ls tout premiers temps au debut de leu ca Scant recherches, opinions e objscfs paises dietnies somos ale Snsique Teas Seen ee “Berodine far bien G2 cee ctor eae rests 2 Tetat dees sous la poule (Cestdire sous Balaire), rus étions tous plus ou moins égats, mais quand les poussins sont srt de Ly porsusuaint des ebytetes commyus Tecufet ont commencé a se couvrir de plumes, celles-i se sont naturel Morazzoni et AA. Orlova ‘Groupe des cing” ? 1349 ment révelees toutes cfferentes. Quand ensuite nos ales ont pouss, chacun de nous sest envole tod sa nature le ponai” Borodine, 1927- 1990, vol I p89.) Du point de vue stictement formel les “balakrévistes” ont existé entant que groupe reglierjusqu’ ce que Balairev at prises distances, én 1870 Les rencontes etl collaboration des autres membres du groupe se sont poursuives, selon des modaltes et des durcesinégaes, la fn definitive du groupe coinidant avec la mor de Borodine en 1882 la Nowels anes es ou ee ee uions \N? 153% SSGRIET tose duran la seconde mote des annees 1850, juste | QU pets la guerre de Crmée (1853-1056) et la mort de Nicolas Ie (1855) soy Diautesinsittions cultuelles et aristiques vrent le jour a la méme ériodef par exemple les rédactions des revues Sovremennil (Le Gontem- pt ut Fa son (Linc) ole groupe de pines Perec Les DAU UIR Ambulants) dont es membres s Galen éloigés des tadkionalites de @ KP(CS3) Tacadémie des Ans, Ces daileurs& cette époque dexpansion culturlle ‘que fut fondée la Société musicale russe, qui allait développer dans te 4¥ Ti 5 sg Fays la formation musicale professionnelle en insituant les conserva- totes de Saint Petersbourg (1862) et de Moscow (1866) Ta formation du Groupe des Cing remonte aux demiéres années de Ja vie de Mikhail lvanovtch Glink, quand ls eunes musiciens de Saint- Pétersbourg, en compagnie du composteuretique Aleksandr Niko- Iajevtch Serov, da compositeur et pianiste Balakirev et du critique Vladimir Vsllcvtch Sasso, se resnisaient autour de Ii Mais e cercle Cutune vie bréve au printermps 1856 le composteurquita la Russe et mmouru a Berlin en fener 1857 Stassov et Balakres loignérent vite de Seroy, prétertant des ataques que ce demier ava pons contre Rouslan of Ludmila de Glink, et qui Jonaerentnaissance a une polémique ente tes rouslanises" Sasov ese amis et mantoussaniste” Serv, deve parla suite un farouche adversire da groupe, en raison également de esaccords personnels avec Sass. En janvier 1856, lors dune soiree chez Tinspecteur de Tuniverité de sain Pétersbourg Aleksandr E. Hizum (qui organist notamment des concerts symphoniques universarstrésen vogue), Balakirev,pianiste def confirm: rencontra Ci, ingénieurmilaire et compositeut debutant ene les deux hommes commenca une amitié fondée sur le panage lune meme conception dela musique. Balakirev commenca 3 frequen- ter ausl Dargomizcl, qui avai connu chez Ginka et qui, apres la mo de ce demier, reat Funique compositeur russe de valeur; en décembre 1857, arva son tour chez Dargomiki Modest Petrovitch Moustorgsk jeune officer du régiment Preobrajensi et brillant pianist. Balakirev salakiiey prog dt Muse 1350 Histoires des musiques européennes ACM, Morazzoni et AA. Orlova “Groupe des cing”? 1351 donnait des lecons de composition a Moussorgski. Trés vite ce demir fit la connaissance de Cui, qui fréquentat les soirées musicales de Balaki. rev od se retrouvaient des peintres, des hommes de lettres et des chan- teurs, et auxquelles Stassov était dele, C'est ainsi que sétait consttue le noyau du groupe, dont I'un des membres, Apolion S. Gussakovski, jeune chimiste et compositeur plein de promesses, fut fauché par une mor pré- _maturée. Puts les ont rejoints les compositeurs amateurs Nikolai N, Lody- jenski et Nikolai V. Cherbatchev et d'autres musiciens. En novembre 1861, Fedor Canille, ami de Balakirev et professeur de piano, se fit accompa: gner a l'une de ces soirées par l'un de ses éléves, Nikolai Andreievitch Rimski-Korsakov, alors jeune étudiant 2 "Académie navale. Enfin, c'est len 1862 que Balakirev fit la connaissance d’Alexandre Borodine, un jeune chimiste de retour d'un séjour d'études a l'étranger, et surtout t's, a e och Ms Jareprés ise de la vie du fe ct Vanalyse approfondie des sentiments hut ‘pevpl iyse approfondie des se mains (Pahihaus 1987 GON ( ‘et Morazzoni, 1985). Le groupe menait un combat achamné contre deux A tiques et un manigrisme sterile: un c6t€, ce qu'on appelait alors I"talo- manie”, cest-i-dire, en Russie phus que dans n'importe quel autre pay tune prédilection presque fanatique pour la virtuosité de chant de Técole italienne ; de Vautre, le "meyerbeerisme” provoqué par le succes des ceuvres de Meyerbeer, ‘Lun des engagements marquants de la vie du groupe fut la création etla gestion de la Libre é xdée en 1962 par Balakirev et par Gavrl A. Lomalan, excellent directeur de choeurs. Lécole svalisai alakinevis {iiton onsen ue lsu 1953, p. 18), 00 Gude systématique ne pouvait que tarir Te talent naturel. Le groupe mud) a saleat puec ve eel OLR 1382! Histoires des musiques européennes G Libre Ecole musicale waccucilat pas que des elevespaniculgrement doués pour la musique ; ouverte 3 tous, elle était fréquentée par des per- sonnes dorigines trés variGes (des couturiéres, des employés, des ensei- gnants, etc.) Lenseignement de Balakirev ou de Lomakin (et celui de Rimski-Korsakov a panir de 1874) ne pouvaient qu'élargir leurs horizons musicaux ; certains, méme, devinrent professionnels, comme le chanteur clu Theatre Mariinski, Ivan A, Melnikov, qui, le premier interpréta le per- sonnage de Boris Godounov, ou le critique musical Semyon N. Krougli- kov| La Libre école musicale organisait chaque année des cycles de conceits consacrés a la musique contemporaine, avec des ceuvres des ‘balakirévistes", mais aussi de Berlioz, Liszt, Chopin, Schumann, et «quelques piéces de Tchaikovski que le groupe apprécait particuligrement, Durant les premiéres années, quand le groupe se montrait encore solide et uni, Balakirev non seulement se consacra avec ardeur@ la Libre cole musicale, mais il écrvit !ouverture de Mille ans (ceuvre rebaptisée plus tard Russie), des musiques de scéne pour le Rot Lear de Shakes- peare et la fantaisie pour piano islamey, il commenca le poéme sym phonique Thamar (achevé prés de vingt ans plus tard) et publia plusieurs recueils de chants populaires russes. Rimski-Korsakov, lui, rnavigua dans la Marine russe de 1862 3 1865, puis s’établit a Saint-Péters- bourg od il acheva rapidement lorchestration de sa Premiére Symphonie, donnée le 19 décembre 1865 sous la direction de Balakirev : le succés de cette premigre confirma son auteur parmi les meilleurs musiciens russes, Dans la méme période (1862-1866), Moussorgski composait Salammbd, dlapres Flaubert Cest du début de année 1866 que remonte l'amitié des “balakiré- vist" pour la socur de Glinka, Ljudmila 1. Tchestakova qui mettit toute sa ferveur et sa générosité 4 perpétuer la mémoire de son frére et & Publier ses partitions, sa maison s‘ouvrant réguligrement aux musiciens du groupe. Lamitié avec les sovurs Pourgold fut elle aussi déterminante pour les “balakirévistes’ qui, comme le rappelle Rimski-Korsakov, avaient trouvé en elles des interprétes attentives et douées : “Aleksandra Nikolaevna, mezzo-soprano aigué, chantait admirablement, alors que Nadejda Nikolaevna, merveilleuse pianiste, était une nature douge d'un grand talent musical. [...] Balakirev et Moussorgski jouaient 2 {quatre mains, Aleksandra Nikolaevna chantait,et tous nous discutions de musique.” (Rimski-Korsakov, 1963-1970, vol. I, p. 52 84.) [Rimski-Korsakov décrit ainsi 'activité du groupe en 1867 : “En ce qui concerne la compostion, la situation du groupe était celle-cl: Balakirev 1353 AM, Morazzoni et AA. Orlova ‘Groupe des cing” ? était en train de terminer ou avait déjA terminé /slamey |...]. Moussorg- ski, revents d'un séjour estival a la campagne, nous avait apporté les mélodies Savichna et Gopak (sur un texte de Taras Grigorovitch Chevtchenko) quill venait de composer cétait Famorce d'une série de compositions vocales d'une originalité purement géniale : Awe cham- ‘pignons, Le Mouton, La Pie, et bien d'autres composées a toute vitesse rune aprés Vautre, Cui terminait son splendide William Ratcliff et ‘composait rapidement une pice apres l'autre. Borodine, qui terminait la partition de sa Premigre Symphonie, était déja tout absorbé par le projet du Prince igor(...]. Ces de cette période que date la composi- tion de la mélodie La Princesse endormie. |... Moi, jétais deja attiré par 'idée d'écrire une Deuxiéme Symphonie {...]Je passais chez Bala- kkirev la plus grande partie de mes soirées [...1. Je voyais souvent Moussorgski et nous parlions beaucoup d'art. Il me jouait les extraits de son Salammbé ou me chantait les mélodies qu'il venait de compo- set." (Rimski-Korsakov, 1963-1970, vol., p. 51.) Entre la fin de 1867 et le début de 1868, Moussorgski commenga la t€daction d'un opéra ; suivant 'exemple de Dargomizski, il choisit ‘utiliser, sans le modifier, un texte littéraire. Dargomijski avait repris pour Le Convive de pterre le texte versifié du drame de Pouchkine ; Moussorgski, lui, choisit Ze Mariage, la comédie en prose de Gogol. Né d'une plaisanterie formulée apres un conseil de Dargomijski, le projet passionnait Moussorgski qui consacra tout l’été 1868 a la com- position du premier acte. A cette époque, il était déja auteur de nom- breuses mélodies pour chant et piano, qui, toutes, témoignent de originalité de son talent et de son godt pour les représentations des caractéres populaires. Borodine porta sur Le Mariage le méme juge- ment que les autres membres du groupe : "C'est une chose extraordi- nairement curieuse et paradoxale, pleine de nouveauté et parfois tres drdle, mais dans ensemble une chose manquée, impossible 2 exécu ter.” (Borodine, 1927-1950, vol. I, p. 108 sq.) Moussorgski, qui consi dérait lui aussi son ceuvre comme une premiére expérience, s’en justifia auprés de Tchestakova : “Avec le Mariage je passerai le Rubicon, mais pour 'heure Le Mariage est la cage od je suis enfermé tant que je ne me serai pas domestiqué, puis je prendrai ma liberté [L.1Ge que je voudrais, c'est que mes personnages parlent sur scene comme parlent les personnes vivantes, de méme je voudrais que le caractére des intonations des personnages, aidés par Vorchestre qui constitue la trame musicale de leur conversation, atteigne son but directement, immédiatement ; je voudrais aussi que ma musique reproduise le discours humain dans ses moindres nuances, et les sons du discours humain, en tant qu'expressions extérieures de la pensée et Soeur aa defen nape tc teneage anche un profond respect pour le langage humain, St chai dei poe, Mount seat donne lemme object maine en ecourat au lange des ean a Proms neler ns ‘mesure ot la réaction de Borodine a propos du Mariage témoignages font défaut, que iEmolanages font défaut, que La Chambre d’enfants avait €galement icature, devenir une dement qu’ la fin de 1: achevée, Aprés Tune des confiait a Nadejda Pourgold Premires excitons privée, Sasnov ‘originale de -Moussrinins simplement géniale et devant, toutes les aut nts Meme Votre ida Balaier, qu fa mais et wane Cea ee Imsique rife de -Moussorlanim, ext accord sur ce ont: Reece ‘orsakov, 1963-1970, vol. V, p. 491.) : 3. La rupture avec Balakirev 1a Premiére Symphonie de Borodine a été donnée pour la premigre fols, sous Ia direction de Balakieey, lors d'un concert de la Société upscale russe, Le lendemain matin, Dargomijki,gravement malade ‘puis de longues années, mourait,laissant inachevé Le Convive de plorre auquel i! avait travaillé durant Yautomne 1868 : Tceuvre fot achewée par Cu qui en composa Vouverture et par Rimski-Korsakov qu se chargea de Vorchestration, Entretemps, Sassov et les “balakte t commencé a s'inquiéter des activités journalistiques de “Groupe des cing”? ACM, Morazzoni et AA. Orlova 1355, Cui, dont les articles souvent trop partiaux, et qui ne brillaient guére par leur diplomatie, leur attraient beaucoup dinimitie. ‘Clest cette Epoque que les relations entre Balakirev et les autres membres du groupe commencerent 8 se ternir. Tant quils avaient été jeunes, Pautorité de Balakirev Favait emporté, une autorité d'autant lus indiscutée que, comme le rappelle Rimski-Korsakov, i avait le ens de Vharmonie et de la conduite des parties, grice a des dons naturels et 4 son expérience de la technique de composition. Il avait Te sens du contrepoint, de la forme et de orchestration, en un mot, tout ce qui est nécessaire au compositeur...] comme critique, surtout ‘comme critique technique, il était extraordinaire. Il percevait immédia- tement chaque imperfection, chaque erreur et relevait ausst6t les mal dresses formelles.[...] Son caractére despotique faisait qu'il exigeait {que la composition soit corrigée exactement comme il avait indiqué. [Elson influence sur ceux qui lentouraient était énorme", (Rimski; Korsakov, 1963-1970, vol 1p. 17-9q).L€ feupg conmenca §€ Cote, Balakirev et Cui, de Tautre, Moussongsh ‘Rimski-Korsakov. La rupture consommée, ces deniers commencerent se sentir plus libres, & se montrer leurs nouvelles compositions, & ‘changer des conseils eta... éviter les rencontres avec les “vieux", Le despotisme de Balakirev et le manque de tact qu'ils lui reprochaient ne faisaient que se renforcer : Balakirev traversait une crise spritiruelle de plus en plus aigué, il était confronté a des difficultes de plusieurs lordfes, notamment économique, et ces revers qui l'amenérent au bord du suicide s'expliquent peut-&tre également par une maladie mentale. Il fren outre contraint d'abandonnes musicale russe, dont il dirigeait les concerts depuis 1867 : la direction, voulant privilégier le répertoire classique, n’était pas satisfaite de sa programmation tournée ‘vers des compositeurs contemporains, russes et occidentaux. Borodine texplique dans une lettre : “L’éloignement de Mili, sa prise de distance par rapport au Groupe et ses jugements souvent hitifs, surtout 2 propos de Modest, lui ont aliéné beaucoup de sympathies. Sil conti- fue ainsi, il en arrivera probablement a lisolement total qui, dans sa situation, équivaut a une mort morale, Moi, et avec moi beaucoup autres, nous sommes peinés pour lui, mais que faire 7" (Borodine, 1927-1950, vol. 1, p. 312.) Balakirev ayant pris ses distances, le groupe, loin de s connu un regain d'activité avec des années d'incessantes ct intenses Collaborations musicales, Méme si son arrivée était chaque fois digne- ment fétée, Borodine était le seul a ne participer que rarement aux ‘indre, a dws Si oo Mowasorual et de Rinske-Konakov mettent bien en cavS@, JU eA ee rere i avon du loupe aE a de oe Sota pao caren a Tdlun c6té, Balakirev et Cui, de Taulre, Moussomsski, Bora Cae Ok atl thd 1356 Histoires des musiques européennes rencontres : sa carriére de chimiste (il était chercheur et enseignait & Académie de médecine et chirurgie) qu'il ne voulait pas abandonner freinait son activité créatrice au point qu'il dut consacrer des années 3 la composition de ses symphonies et des décennies a celle du Prince Zgor, qu'il Iaissa inacheve. 4, Autour de Boris Godounow En décembre 1869, Moussorgski termina Boris Godounov et, au pri temps suivant, il présenta la partition ala Direction des théatres imp ‘aux, qui la refusa en fevrier 1871. Le document officiel motivant ce refus na jamais été retrouvé, mais le souvenir des contemporain suggére deux explications possibles : l'exces de scénes avec des cheeurs et le manque d“élément féminin’, Cest-a-dire dintrigue amoureuse. Dans ses mémoires, Rimski-Korsakov affirme que Mous- sorgski, d'abord offensé, retira la partition, mais qu'il surmonta vite son ressentiment et décida de modifier l'ecuvre. Selon des lettres de Rimski-Korsakov a Aleksandra Pourgold et d'autres sources, il semble {que ce refus m’ait pas rendu Moussorgski trop amer, qu'il ait au contraire accepté avec sérénité et qu'il se soit aussit6t remis au travail pour apporter des modifications. Cette réaction, qui paraitra étrange, sexplique probablement par le fait que le compositeur, encore immergé dans son opéra, comprit parfaitement pourquoi il lui fallait ‘compléter son ceuvre : aussi consacra-til route 'année 1871.4 position de nouvelles scenes et la reprise des autres, avant de passer orchestration qu'il acheva durant lté 1872. Cette année-la, Rimski- Korsakov achevait La Psbovitaine et Tehaikovski terminait L Officier de a garde, coincidence en rien hasardeuse dans cette période de réveil de Vintérét artistique pour l'histoire russe et ses moments cruciaux. (Ceétait aussi 'poque od les compositeurs, comme les écrivains, a’hé sitaient pas a confronter a des questions d'ordre éthique : dans les ‘ceuvres qui viennent dl'étre citées, pourtant trés différentes, le sujet se base sur la confrontation de caractéres forts et sur le conflit qui ‘oppose sens du devoir et conscience, crime et chitiment. A Tépoque, le groupe se réunissait chez les sceurs Pourgold ot ‘chez Tehestakova, 00 presque chaque soir étaient données La Pskoti- taine et la nouvelle version de Boris Godounov devant tne assistance enthousiast. Durant l’été 1871, Rimski-Korsakov fut appelé pour enseigner au Conservatoire ~ un engagement qui devait profondément marquer toute sa carriére ~ et dés Pautomne de la méme année, il commenga a KorAKOV ct | -M, Morazzoniet AA. Orlova “Groupedes cing”? muS6OPGRY colo AM Morazzoniet AvA,Orlova “Groupe des cing”? mu SSOPOSY & partager une chambre avec Moussorgski, auprés duquel il vécut pendant un an, “Ma cohabitation avec Moussorgski, rappelle-il, est, je ‘rois, un exemple unique pour deux compositeurs. Comment pou vions-nous ne pas nous déranger réciproquement ? Voici comme nous faisions : du matin tot jusqu’a midi, Cétait 'ordinaire Moussomgski qui tit au piano, pendant que je transcrivais ou orchestrais des pieces deja composées. A midi, il devait se rendre a son travail au service [des Foréts et je me servais du piano, Pour le soir, nous nous mettions accord au coup par coup. En outre, deux fois par semaine, je sortais, 9 heures pour me rendre au Conservatoire et Moussorgski, souvent, mangeait chez les Opotchinine, de sorte que tout fonctionnait de la meilleure des maniéres. Cet automne et cet hiver-!a nous travaillimes beaucoup, échangeant continuellement nos idées et nos projets. Mous- sorgski composa et orchestra Vacte polonais de Boris Godownov et le tableau populaire Scénes de la forét de Kromy-. Forchestrai et terminal La Pskovitaine, Le dimanche aprés-midi, quelques-uns de nos ami venaient nous trouver." (Rimski-Korsakov, 1963-1970, vol. I, p75.) Sur leurs visites & Moussorgski et Rimski-Korsakov, on dispose des lettres de Stassov et Borodine. Informant sa femme de la cohabitation des deux amis, ce dernier expliquait : “Modinka et Korsinka m’ont joué tout ce quils ont écrit. Comme le Boris est beau maintenant ! Cest rout simplement surprenant. Je suis sOr qu'il aura du succes, sil est représenté, Ce qui m’étonne, Cest que le Boris agisse plus positi- vement sur les musiciens et avec plus de force que La Psbovitaine, ce A quoi je ne me serais pas attendu au début. [..] Korsinka est au sep- tieme ciel pour ses nouvelles activités. Rarement un musicien a eu sa cchance : il a débuté quand ily avait une forte demande de musiciens russes, aussit6t il a obtenu de brillants succés qui ont définitivement consolidé sa situation, il ne s'est fait d’ennemis dans aucun cercle ‘musical, mieux, ses qualités sont unanimement et partout reconnues, etila désormais un poste qui le met 2 l'abri des préoccupations maté- rielles, et chose plus importante encore, qui satisfait ses exigences spi- rituelles et musicales. Sans compter que ses lecons de direction Gorchestre lui sont tout aussi utiles qu’a ses étudiants.” (Borodine, 1927-1950, vol. I, p. 293.) Mais quand, au début de été 1872, Rimski-Korsakov et Aleksandra Pourgold se sont mariés, leur union jeta de nouvelles ombres sur la vie du groupe. Moussorgski, étre particuligrement sensible et qui réagis- sait maladivement au moindre froissement au sein du groupe, remar- {qua le premier le malaise ; quand les mariés revinrent du voyage de noces, il €crivit 4 Tehestakova : “Autant le passé du cercle a été lumi- rneux, autant son présent est sombre : des jours nuageux sont arrivés. 1358 Histoires des musiques européennes Je n'incriminerai aucun membre du cercle. (..). ai beau tout faire our chasser la mouche agacante qui ne cesse de me répéter la vilaine expression -tout est fichu 's, la mouche continue son bourdonnement.” (Moussorgski, 1971, p. 133.) Les réunions du groupe avaient néanmoins toujours lieu, tantot ‘chez Rimski-Korsakov, tant6t chez Nadejda Pourgold, qui avait épousé le peintre amateur Nikolai Molas, En 1872, Moussorgski sétait lancé dans un nouveau projet, Fopéra Populaire Khovanchtchina dont Stassov lui avait soufTlé le Sujet, et comme pour Boris Godounon, il cherchait a développer un theme important pour Ihistoire russe. “Le passé dans le présent : voild ce que je me propose d'atteindre", écrivait-il (Moussorgski, 1971, p. 132). En créant Kbovanchtcbina Moussorgski cherchait dans le passé les sponses aux questions pressantes sur le destin de sa patrie il y cher. cchait le présent et le futur, et scion lui l'artiste devait représenter impi- toyablement la vie, sans aucun embellissement : “I... nous voulons arriver au peuple ; je le vois quand je dors, jy pense quand je mange ‘et quand je bois il apparait et disparait devant moi, tout enter, grand, ‘sans embellisement ni dorures”, écrivaitil en 1873 (Moussorgski, 1971, P. 148), 1a puemine reprtsemtation de La Bkootaine (1 janvier 187 Tes compositeurs de la Nouvelle ‘ wavier 1874 quieut liew la premiére de Boris Godounou, Le succes public fut extraor dinaire, mais la critique conservatrice se déchaina contre la nouvelle ‘ceuvte si éloignée des schémas habituels, Des cheeurs abondants, des scénes mal circonscrites, une figuration trés réaliste des masses popu {aires et la présence d'un drame psychologique déconcertérent et furent ccondamnés, de méme que les modifications par le compositeur dans la succession des vers de Pouchkine. Mais le public, et avant tout la jeu- ‘esse, apprécia spontanément Boris Godounov et quitta le théatre en en chantonnant les themes, surtout ceux des chaeurs représentant le peuple. Comme lavait craint Stassov, Cui réagit & Boris Godounav avec

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