Anna Maria Morazzoni et Alexandra Anatolievna Orlova
PEUT-ON PARLER DE "GROUPE DES CINQ"?
1. Nouvelle école russe ou “Groupe des Cing" ?
les compesiteurs qui au milieu du xx ile, stent regroupés sous
"appellation "Nowell école sss" sont ordinate dsignés sous le nom
de "Groupe des Cinq” ot simplemente Cag meme si ce signa
tons ne corespondent pas 'appelation que ler ava donnée Vlada
Vi stasov en 1867, nogoichaya koutcbkalitealemen“groupuscule
puisint et qUallaent lise, non sans sarasme les adver
troupe, Pa alr lesan ou le
que tos: Modest Pewovish Moussorgski Nicola Andiéivich Rimskic
Korsakov et Alexandre Borodine. On peut certes parler dun “puissant
Groupe des Quatre sion yintere Cesar Antonovitch Cul mais elt
meat pas directement lie la musique esse et avait pas fe alent de
Ses collegues. ly avait bien auss ily Aleneievitch Balak, qui oust
tun le important dans e domaine social et musical, mais en tant que
composteur apres des déutspromerteurs et courageus I sat cht.
tonne ala musique de salon et ne duit sa eputation uv ses activites de
cht drat de poe de pn. ree qe Ta
torte de Balakirev m@tait pas des moindres — ne paraivon pes du
groupe des blakievies"?~; de meme Cul at consderé comme le
meneur dv groupe en raion de ses engagements de etiqu. Ei, a
Cohesion monolihique di groupe revendique par sassov et Rink
¥Korsakow (dans son Journal de ma ie msl, 196, a fe 1938) 4
connu de ralité que dans ls tout premiers temps au debut de leu ca
Scant recherches, opinions e objscfs paises dietnies somos ale
Snsique Teas Seen ee
“Berodine far bien G2 cee ctor eae
rests 2 Tetat dees sous la poule (Cestdire sous Balaire), rus
étions tous plus ou moins égats, mais quand les poussins sont srt de
Ly porsusuaint des ebytetes commyus
Tecufet ont commencé a se couvrir de plumes, celles-i se sont naturel
Morazzoni et AA. Orlova
‘Groupe des cing” ? 1349
ment révelees toutes cfferentes. Quand ensuite nos ales ont pouss,
chacun de nous sest envole tod sa nature le ponai” Borodine, 1927-
1990, vol I p89.)
Du point de vue stictement formel les “balakrévistes” ont existé
entant que groupe reglierjusqu’ ce que Balairev at prises distances,
én 1870 Les rencontes etl collaboration des autres membres du groupe
se sont poursuives, selon des modaltes et des durcesinégaes, la fn
definitive du groupe coinidant avec la mor de Borodine en 1882
la Nowels anes es ou ee ee uions \N? 153%
SSGRIET tose duran la seconde mote des annees 1850, juste | QU
pets la guerre de Crmée (1853-1056) et la mort de Nicolas Ie (1855) soy
Diautesinsittions cultuelles et aristiques vrent le jour a la méme
ériodef par exemple les rédactions des revues Sovremennil (Le Gontem- pt ut
Fa son (Linc) ole groupe de pines Perec Les DAU UIR
Ambulants) dont es membres s Galen éloigés des tadkionalites de @ KP(CS3)
Tacadémie des Ans, Ces daileurs& cette époque dexpansion culturlle
‘que fut fondée la Société musicale russe, qui allait développer dans te 4¥ Ti 5 sg
Fays la formation musicale professionnelle en insituant les conserva-
totes de Saint Petersbourg (1862) et de Moscow (1866)
Ta formation du Groupe des Cing remonte aux demiéres années de
Ja vie de Mikhail lvanovtch Glink, quand ls eunes musiciens de Saint-
Pétersbourg, en compagnie du composteuretique Aleksandr Niko-
Iajevtch Serov, da compositeur et pianiste Balakirev et du critique
Vladimir Vsllcvtch Sasso, se resnisaient autour de Ii Mais e cercle
Cutune vie bréve au printermps 1856 le composteurquita la Russe et
mmouru a Berlin en fener 1857 Stassov et Balakres loignérent vite de
Seroy, prétertant des ataques que ce demier ava pons contre Rouslan
of Ludmila de Glink, et qui Jonaerentnaissance a une polémique ente
tes rouslanises" Sasov ese amis et mantoussaniste” Serv, deve
parla suite un farouche adversire da groupe, en raison également de
esaccords personnels avec Sass.
En janvier 1856, lors dune soiree chez Tinspecteur de Tuniverité de
sain Pétersbourg Aleksandr E. Hizum (qui organist notamment des
concerts symphoniques universarstrésen vogue), Balakirev,pianiste
def confirm: rencontra Ci, ingénieurmilaire et compositeut debutant
ene les deux hommes commenca une amitié fondée sur le panage
lune meme conception dela musique. Balakirev commenca 3 frequen-
ter ausl Dargomizcl, qui avai connu chez Ginka et qui, apres la mo
de ce demier, reat Funique compositeur russe de valeur; en décembre
1857, arva son tour chez Dargomiki Modest Petrovitch Moustorgsk
jeune officer du régiment Preobrajensi et brillant pianist. Balakirevsalakiiey prog dt Muse
1350 Histoires des musiques européennes
ACM, Morazzoni et AA. Orlova “Groupe des cing”? 1351
donnait des lecons de composition a Moussorgski. Trés vite ce demir fit
la connaissance de Cui, qui fréquentat les soirées musicales de Balaki.
rev od se retrouvaient des peintres, des hommes de lettres et des chan-
teurs, et auxquelles Stassov était dele, C'est ainsi que sétait consttue le
noyau du groupe, dont I'un des membres, Apolion S. Gussakovski, jeune
chimiste et compositeur plein de promesses, fut fauché par une mor pré-
_maturée. Puts les ont rejoints les compositeurs amateurs Nikolai N, Lody-
jenski et Nikolai V. Cherbatchev et d'autres musiciens. En novembre 1861,
Fedor Canille, ami de Balakirev et professeur de piano, se fit accompa:
gner a l'une de ces soirées par l'un de ses éléves, Nikolai Andreievitch
Rimski-Korsakov, alors jeune étudiant 2 "Académie navale. Enfin, c'est
len 1862 que Balakirev fit la connaissance d’Alexandre Borodine, un
jeune chimiste de retour d'un séjour d'études a l'étranger, et surtout t's,
a
e
och Ms Jareprés ise de la vie du
fe ct Vanalyse approfondie des sentiments hut
‘pevpl iyse approfondie des se mains (Pahihaus 1987 GON (
‘et Morazzoni, 1985). Le groupe menait un combat achamné contre deux A
tiques et un manigrisme sterile: un c6t€, ce qu'on appelait alors I"talo-
manie”, cest-i-dire, en Russie phus que dans n'importe quel autre pay
tune prédilection presque fanatique pour la virtuosité de chant de Técole
italienne ; de Vautre, le "meyerbeerisme” provoqué par le succes des
ceuvres de Meyerbeer,
‘Lun des engagements marquants de la vie du groupe fut la création
etla gestion de la Libre é xdée en 1962 par Balakirev et
par Gavrl A. Lomalan, excellent directeur de choeurs. Lécole svalisai
alakinevis
{iiton onsen ue lsu 1953, p. 18), 00
Gude systématique ne pouvait que tarir Te talent naturel. Le groupe
mud) asaleat puec
ve eel OLR
1382! Histoires des musiques européennes
G
Libre Ecole musicale waccucilat pas que des elevespaniculgrement
doués pour la musique ; ouverte 3 tous, elle était fréquentée par des per-
sonnes dorigines trés variGes (des couturiéres, des employés, des ensei-
gnants, etc.) Lenseignement de Balakirev ou de Lomakin (et celui de
Rimski-Korsakov a panir de 1874) ne pouvaient qu'élargir leurs horizons
musicaux ; certains, méme, devinrent professionnels, comme le chanteur
clu Theatre Mariinski, Ivan A, Melnikov, qui, le premier interpréta le per-
sonnage de Boris Godounov, ou le critique musical Semyon N. Krougli-
kov| La Libre école musicale organisait chaque année des cycles de
conceits consacrés a la musique contemporaine, avec des ceuvres des
‘balakirévistes", mais aussi de Berlioz, Liszt, Chopin, Schumann, et
«quelques piéces de Tchaikovski que le groupe apprécait particuligrement,
Durant les premiéres années, quand le groupe se montrait encore
solide et uni, Balakirev non seulement se consacra avec ardeur@ la Libre
cole musicale, mais il écrvit !ouverture de Mille ans (ceuvre rebaptisée
plus tard Russie), des musiques de scéne pour le Rot Lear de Shakes-
peare et la fantaisie pour piano islamey, il commenca le poéme sym
phonique Thamar (achevé prés de vingt ans plus tard) et publia
plusieurs recueils de chants populaires russes. Rimski-Korsakov, lui,
rnavigua dans la Marine russe de 1862 3 1865, puis s’établit a Saint-Péters-
bourg od il acheva rapidement lorchestration de sa Premiére Symphonie,
donnée le 19 décembre 1865 sous la direction de Balakirev : le succés de
cette premigre confirma son auteur parmi les meilleurs musiciens russes,
Dans la méme période (1862-1866), Moussorgski composait Salammbd,
dlapres Flaubert
Cest du début de année 1866 que remonte l'amitié des “balakiré-
vist" pour la socur de Glinka, Ljudmila 1. Tchestakova qui mettit toute
sa ferveur et sa générosité 4 perpétuer la mémoire de son frére et &
Publier ses partitions, sa maison s‘ouvrant réguligrement aux musiciens
du groupe. Lamitié avec les sovurs Pourgold fut elle aussi déterminante
pour les “balakirévistes’ qui, comme le rappelle Rimski-Korsakov,
avaient trouvé en elles des interprétes attentives et douées : “Aleksandra
Nikolaevna, mezzo-soprano aigué, chantait admirablement, alors que
Nadejda Nikolaevna, merveilleuse pianiste, était une nature douge
d'un grand talent musical. [...] Balakirev et Moussorgski jouaient 2
{quatre mains, Aleksandra Nikolaevna chantait,et tous nous discutions
de musique.” (Rimski-Korsakov, 1963-1970, vol. I, p. 52 84.)
[Rimski-Korsakov décrit ainsi 'activité du groupe en 1867 : “En ce qui
concerne la compostion, la situation du groupe était celle-cl: Balakirev
1353
AM, Morazzoni et AA. Orlova
‘Groupe des cing” ?
était en train de terminer ou avait déjA terminé /slamey |...]. Moussorg-
ski, revents d'un séjour estival a la campagne, nous avait apporté les
mélodies Savichna et Gopak (sur un texte de Taras Grigorovitch
Chevtchenko) quill venait de composer cétait Famorce d'une série de
compositions vocales d'une originalité purement géniale : Awe cham-
‘pignons, Le Mouton, La Pie, et bien d'autres composées a toute vitesse
rune aprés Vautre, Cui terminait son splendide William Ratcliff et
‘composait rapidement une pice apres l'autre. Borodine, qui terminait
la partition de sa Premigre Symphonie, était déja tout absorbé par le
projet du Prince igor(...]. Ces de cette période que date la composi-
tion de la mélodie La Princesse endormie. |... Moi, jétais deja attiré
par 'idée d'écrire une Deuxiéme Symphonie {...]Je passais chez Bala-
kkirev la plus grande partie de mes soirées [...1. Je voyais souvent
Moussorgski et nous parlions beaucoup d'art. Il me jouait les extraits
de son Salammbé ou me chantait les mélodies qu'il venait de compo-
set." (Rimski-Korsakov, 1963-1970, vol., p. 51.)
Entre la fin de 1867 et le début de 1868, Moussorgski commenga la
t€daction d'un opéra ; suivant 'exemple de Dargomizski, il choisit
‘utiliser, sans le modifier, un texte littéraire. Dargomijski avait repris
pour Le Convive de pterre le texte versifié du drame de Pouchkine ;
Moussorgski, lui, choisit Ze Mariage, la comédie en prose de Gogol.
Né d'une plaisanterie formulée apres un conseil de Dargomijski, le
projet passionnait Moussorgski qui consacra tout l’été 1868 a la com-
position du premier acte. A cette époque, il était déja auteur de nom-
breuses mélodies pour chant et piano, qui, toutes, témoignent de
originalité de son talent et de son godt pour les représentations des
caractéres populaires. Borodine porta sur Le Mariage le méme juge-
ment que les autres membres du groupe : "C'est une chose extraordi-
nairement curieuse et paradoxale, pleine de nouveauté et parfois tres
drdle, mais dans ensemble une chose manquée, impossible 2 exécu
ter.” (Borodine, 1927-1950, vol. I, p. 108 sq.) Moussorgski, qui consi
dérait lui aussi son ceuvre comme une premiére expérience, s’en
justifia auprés de Tchestakova : “Avec le Mariage je passerai le
Rubicon, mais pour 'heure Le Mariage est la cage od je suis enfermé
tant que je ne me serai pas domestiqué, puis je prendrai ma liberté
[L.1Ge que je voudrais, c'est que mes personnages parlent sur scene
comme parlent les personnes vivantes, de méme je voudrais que le
caractére des intonations des personnages, aidés par Vorchestre qui
constitue la trame musicale de leur conversation, atteigne son but
directement, immédiatement ; je voudrais aussi que ma musique
reproduise le discours humain dans ses moindres nuances, et les sons
du discours humain, en tant qu'expressions extérieures de la pensée etSoeur aa defen nape
tc teneage anche un profond respect pour le langage humain,
St chai dei
poe, Mount seat donne lemme object maine
en ecourat au lange des ean a Proms neler ns
‘mesure ot la réaction de Borodine a propos du Mariage
témoignages font défaut, que
iEmolanages font défaut, que La Chambre d’enfants avait €galement
icature, devenir une
dement qu’ la fin de 1:
achevée, Aprés Tune des
confiait a Nadejda Pourgold
Premires excitons privée, Sasnov
‘originale de -Moussrinins
simplement géniale et devant, toutes les aut nts Meme
Votre ida Balaier, qu fa mais et wane Cea ee
Imsique rife de -Moussorlanim, ext accord sur ce ont: Reece
‘orsakov, 1963-1970, vol. V, p. 491.) :
3. La rupture avec Balakirev
1a Premiére Symphonie de Borodine a été donnée pour la premigre
fols, sous Ia direction de Balakieey, lors d'un concert de la Société
upscale russe, Le lendemain matin, Dargomijki,gravement malade
‘puis de longues années, mourait,laissant inachevé Le Convive de
plorre auquel i! avait travaillé durant Yautomne 1868 : Tceuvre fot
achewée par Cu qui en composa Vouverture et par Rimski-Korsakov
qu se chargea de Vorchestration, Entretemps, Sassov et les “balakte
t commencé a s'inquiéter des activités journalistiques de
“Groupe des cing”?
ACM, Morazzoni et AA. Orlova 1355,
Cui, dont les articles souvent trop partiaux, et qui ne brillaient guére
par leur diplomatie, leur attraient beaucoup dinimitie.
‘Clest cette Epoque que les relations entre Balakirev et les autres
membres du groupe commencerent 8 se ternir. Tant quils avaient été
jeunes, Pautorité de Balakirev Favait emporté, une autorité d'autant
lus indiscutée que, comme le rappelle Rimski-Korsakov, i avait le
ens de Vharmonie et de la conduite des parties, grice a des dons
naturels et 4 son expérience de la technique de composition. Il avait
Te sens du contrepoint, de la forme et de orchestration, en un mot,
tout ce qui est nécessaire au compositeur...] comme critique, surtout
‘comme critique technique, il était extraordinaire. Il percevait immédia-
tement chaque imperfection, chaque erreur et relevait ausst6t les mal
dresses formelles.[...] Son caractére despotique faisait qu'il exigeait
{que la composition soit corrigée exactement comme il avait indiqué.
[Elson influence sur ceux qui lentouraient était énorme", (Rimski;
Korsakov, 1963-1970, vol 1p. 17-9q).L€ feupg conmenca §€
Cote, Balakirev et Cui, de Tautre, Moussongsh
‘Rimski-Korsakov. La rupture consommée, ces deniers commencerent
se sentir plus libres, & se montrer leurs nouvelles compositions, &
‘changer des conseils eta... éviter les rencontres avec les “vieux", Le
despotisme de Balakirev et le manque de tact qu'ils lui reprochaient
ne faisaient que se renforcer : Balakirev traversait une crise spritiruelle
de plus en plus aigué, il était confronté a des difficultes de plusieurs
lordfes, notamment économique, et ces revers qui l'amenérent au bord
du suicide s'expliquent peut-&tre également par une maladie mentale.
Il fren outre contraint d'abandonnes musicale russe, dont il
dirigeait les concerts depuis 1867 : la direction, voulant privilégier le
répertoire classique, n’était pas satisfaite de sa programmation tournée
‘vers des compositeurs contemporains, russes et occidentaux. Borodine
texplique dans une lettre : “L’éloignement de Mili, sa prise de distance
par rapport au Groupe et ses jugements souvent hitifs, surtout 2
propos de Modest, lui ont aliéné beaucoup de sympathies. Sil conti-
fue ainsi, il en arrivera probablement a lisolement total qui, dans sa
situation, équivaut a une mort morale, Moi, et avec moi beaucoup
autres, nous sommes peinés pour lui, mais que faire 7" (Borodine,
1927-1950, vol. 1, p. 312.)
Balakirev ayant pris ses distances, le groupe, loin de s
connu un regain d'activité avec des années d'incessantes ct intenses
Collaborations musicales, Méme si son arrivée était chaque fois digne-
ment fétée, Borodine était le seul a ne participer que rarement aux
‘indre, a
dws
Si oo Mowasorual et de Rinske-Konakov mettent bien en cavS@, JU
eA ee rere i avon du loupe aE a de oe Sota pao caren a
Tdlun c6té, Balakirev et Cui, de Taulre, Moussomsski,
Bora Cae Ok
atl thd1356 Histoires des musiques européennes
rencontres : sa carriére de chimiste (il était chercheur et enseignait &
Académie de médecine et chirurgie) qu'il ne voulait pas abandonner
freinait son activité créatrice au point qu'il dut consacrer des années 3
la composition de ses symphonies et des décennies a celle du Prince
Zgor, qu'il Iaissa inacheve.
4, Autour de Boris Godounow
En décembre 1869, Moussorgski termina Boris Godounov et, au pri
temps suivant, il présenta la partition ala Direction des théatres imp
‘aux, qui la refusa en fevrier 1871. Le document officiel motivant ce
refus na jamais été retrouvé, mais le souvenir des contemporain
suggére deux explications possibles : l'exces de scénes avec des
cheeurs et le manque d“élément féminin’, Cest-a-dire dintrigue
amoureuse. Dans ses mémoires, Rimski-Korsakov affirme que Mous-
sorgski, d'abord offensé, retira la partition, mais qu'il surmonta vite
son ressentiment et décida de modifier l'ecuvre. Selon des lettres de
Rimski-Korsakov a Aleksandra Pourgold et d'autres sources, il semble
{que ce refus m’ait pas rendu Moussorgski trop amer, qu'il ait au
contraire accepté avec sérénité et qu'il se soit aussit6t remis au travail
pour apporter des modifications. Cette réaction, qui paraitra étrange,
sexplique probablement par le fait que le compositeur, encore
immergé dans son opéra, comprit parfaitement pourquoi il lui fallait
‘compléter son ceuvre : aussi consacra-til route 'année 1871.4
position de nouvelles scenes et la reprise des autres, avant de passer
orchestration qu'il acheva durant lté 1872. Cette année-la, Rimski-
Korsakov achevait La Psbovitaine et Tehaikovski terminait L Officier de
a garde, coincidence en rien hasardeuse dans cette période de réveil
de Vintérét artistique pour l'histoire russe et ses moments cruciaux.
(Ceétait aussi 'poque od les compositeurs, comme les écrivains, a’hé
sitaient pas a confronter a des questions d'ordre éthique : dans les
‘ceuvres qui viennent dl'étre citées, pourtant trés différentes, le
sujet se base sur la confrontation de caractéres forts et sur le conflit qui
‘oppose sens du devoir et conscience, crime et chitiment.
A Tépoque, le groupe se réunissait chez les sceurs Pourgold ot
‘chez Tehestakova, 00 presque chaque soir étaient données La Pskoti-
taine et la nouvelle version de Boris Godounov devant tne assistance
enthousiast.
Durant l’été 1871, Rimski-Korsakov fut appelé pour enseigner au
Conservatoire ~ un engagement qui devait profondément marquer
toute sa carriére ~ et dés Pautomne de la méme année, il commenga a
KorAKOV ct |
-M, Morazzoniet AA. Orlova “Groupedes cing”? muS6OPGRY colo
AM Morazzoniet AvA,Orlova “Groupe des cing”? mu SSOPOSY &
partager une chambre avec Moussorgski, auprés duquel il vécut
pendant un an, “Ma cohabitation avec Moussorgski, rappelle-il, est, je
‘rois, un exemple unique pour deux compositeurs. Comment pou
vions-nous ne pas nous déranger réciproquement ? Voici comme nous
faisions : du matin tot jusqu’a midi, Cétait 'ordinaire Moussomgski qui
tit au piano, pendant que je transcrivais ou orchestrais des pieces
deja composées. A midi, il devait se rendre a son travail au service
[des Foréts et je me servais du piano, Pour le soir, nous nous mettions
accord au coup par coup. En outre, deux fois par semaine, je sortais,
9 heures pour me rendre au Conservatoire et Moussorgski, souvent,
mangeait chez les Opotchinine, de sorte que tout fonctionnait de la
meilleure des maniéres. Cet automne et cet hiver-!a nous travaillimes
beaucoup, échangeant continuellement nos idées et nos projets. Mous-
sorgski composa et orchestra Vacte polonais de Boris Godownov et le
tableau populaire Scénes de la forét de Kromy-. Forchestrai et terminal
La Pskovitaine, Le dimanche aprés-midi, quelques-uns de nos ami
venaient nous trouver." (Rimski-Korsakov, 1963-1970, vol. I, p75.)
Sur leurs visites & Moussorgski et Rimski-Korsakov, on dispose des
lettres de Stassov et Borodine. Informant sa femme de la cohabitation
des deux amis, ce dernier expliquait : “Modinka et Korsinka m’ont
joué tout ce quils ont écrit. Comme le Boris est beau maintenant !
Cest rout simplement surprenant. Je suis sOr qu'il aura du succes, sil
est représenté, Ce qui m’étonne, Cest que le Boris agisse plus positi-
vement sur les musiciens et avec plus de force que La Psbovitaine, ce
A quoi je ne me serais pas attendu au début. [..] Korsinka est au sep-
tieme ciel pour ses nouvelles activités. Rarement un musicien a eu sa
cchance : il a débuté quand ily avait une forte demande de musiciens
russes, aussit6t il a obtenu de brillants succés qui ont définitivement
consolidé sa situation, il ne s'est fait d’ennemis dans aucun cercle
‘musical, mieux, ses qualités sont unanimement et partout reconnues,
etila désormais un poste qui le met 2 l'abri des préoccupations maté-
rielles, et chose plus importante encore, qui satisfait ses exigences spi-
rituelles et musicales. Sans compter que ses lecons de direction
Gorchestre lui sont tout aussi utiles qu’a ses étudiants.” (Borodine,
1927-1950, vol. I, p. 293.)
Mais quand, au début de été 1872, Rimski-Korsakov et Aleksandra
Pourgold se sont mariés, leur union jeta de nouvelles ombres sur la vie
du groupe. Moussorgski, étre particuligrement sensible et qui réagis-
sait maladivement au moindre froissement au sein du groupe, remar-
{qua le premier le malaise ; quand les mariés revinrent du voyage de
noces, il €crivit 4 Tehestakova : “Autant le passé du cercle a été lumi-
rneux, autant son présent est sombre : des jours nuageux sont arrivés.1358 Histoires des musiques européennes
Je n'incriminerai aucun membre du cercle. (..). ai beau tout faire
our chasser la mouche agacante qui ne cesse de me répéter la vilaine
expression -tout est fichu 's, la mouche continue son bourdonnement.”
(Moussorgski, 1971, p. 133.)
Les réunions du groupe avaient néanmoins toujours lieu, tantot
‘chez Rimski-Korsakov, tant6t chez Nadejda Pourgold, qui avait épousé
le peintre amateur Nikolai Molas,
En 1872, Moussorgski sétait lancé dans un nouveau projet, Fopéra
Populaire Khovanchtchina dont Stassov lui avait soufTlé le Sujet, et
comme pour Boris Godounon, il cherchait a développer un theme
important pour Ihistoire russe. “Le passé dans le présent : voild ce que
je me propose d'atteindre", écrivait-il (Moussorgski, 1971, p. 132). En
créant Kbovanchtcbina Moussorgski cherchait dans le passé les
sponses aux questions pressantes sur le destin de sa patrie il y cher.
cchait le présent et le futur, et scion lui l'artiste devait représenter impi-
toyablement la vie, sans aucun embellissement : “I... nous voulons
arriver au peuple ; je le vois quand je dors, jy pense quand je mange
‘et quand je bois il apparait et disparait devant moi, tout enter, grand,
‘sans embellisement ni dorures”, écrivaitil en 1873 (Moussorgski, 1971,
P. 148),
1a puemine reprtsemtation de La Bkootaine (1 janvier 187
Tes compositeurs de la Nouvelle ‘ wavier 1874
quieut liew la premiére de Boris Godounou, Le succes public fut extraor
dinaire, mais la critique conservatrice se déchaina contre la nouvelle
‘ceuvte si éloignée des schémas habituels, Des cheeurs abondants, des
scénes mal circonscrites, une figuration trés réaliste des masses popu
{aires et la présence d'un drame psychologique déconcertérent et furent
ccondamnés, de méme que les modifications par le compositeur dans la
succession des vers de Pouchkine. Mais le public, et avant tout la jeu-
‘esse, apprécia spontanément Boris Godounov et quitta le théatre en en
chantonnant les themes, surtout ceux des chaeurs représentant le peuple.
Comme lavait craint Stassov, Cui réagit & Boris Godounav avec