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A quoi servent les compétences sociales ? La peur d’affronter la vie mouvement [Leveson quise idéveloppe dans nos sociétés fait perdre la capacité a partager le risque et 4 en assumer collectivement les conséquences. La responsabi ine luelle est sans cesse interrogée, mais peu se soucient de savoir qui est en capacité de lexercer et comment on peut la développer. Jacques Fortin, auteur du programme « Mieux vivre ensemble des lécole matemelle », analyse les enjeux, pour individu et la société, d'un enforcement des compétences psychosociales, Siles Gaulois avaient peur que le ciel leur tombo sur la tate mais no re- doutaient pas d'affronter le sanglier 4 la lance, les hommes daujourd hui mhésitent pas a bouleverser la phy- siologie de leur comps pour battre des rocords de vitesse, & lancer des - Japprends a écouter l'autre 10 wanton Acai jms 2008 hommes dans l'espace, & remanier Je génome humain..., mais le moindre virus repéré dans un coin de la pla- nto, la moindre trace de factour éven- tuellement cancerigene, les premiers signes de vieillissement du coms, image d'agressions aux actualites & Ja télévision, devierment source de peur, dlangoisse et de révolte. Alors que le développement des technolo: gies semble assurer une maitrise roissante du monde, Yhomme ne ses jamais senti aussi agressé dans la quotidienneté de sa vie, au point de Aévelopper des stratégies de repli sur soi, de cocooning protecteur et ré- gressif, d'élever des barrieres de toutes sortes contre chaque menace, ou dafficher une agressivité réac- tionnelle, conquérante, vis-é-vis de Yauute a priorl suspect et donc po- tentiollement dangereux parce que different par sa maniére d'8tr, de pa- raltze et de penser. Un risque insupportable a recherche du risque zéro et son conollaire qu’est le principe de pré caution traduit Fobsession déviter tat frontement de situations éventuelle ‘ment a problémes comme si !hom- ne doutait de sa capacité & les sur monter et préférat ia certitude da fa- mifliet, aussi imparfait soit, au pari de la découverte, de limnovation, de Ia singularité, quite a renoncer & un enefice qui demanderait tetfort de se dépasser, de renoncer au « préta ponser » ambiant, daffirmer dos va- leurs qui paraissent aujourd'hui d& suétas que sont le courage, la géné- rosité, la bienveillance, la fraternité, Ja paix. Comme le soulignent Douglas et Wil: davsky «En choisissant un spade de vie, nous choisissons également de ‘courir certains risques. Chaque for: me de vie sociale a son propre por tefeuille de risques. Partager les mémes valeurs, est partager les mémes cralntes, et inversement les memes certitudes » (1). Nos socie- és post industrielles posant. comme valeur fondamentale la reussite in dividuelle : ussite sociale (avecTaf- fichage de ses symboles de consom- mation : voiture, haute technologie, vétements de marque...) ussite per- sonnelle (satisfaction immediate de tout désir, séduction d'une jeunesse prolongée tout prix), conduisent & percevoir lautre comme un concur: rent, un obstadle potentiel& dominer sinon a éliminer. La réalisation de soi evantse faire malgré Yautre, ce der- nier est pergu comme un danger. Sil existe néanmoins des solidarités au sein des groupes sociaux, elles vir sent davantage & protéger la survie u groupe (qull sagisse des corpo: tatismes ou de lute des gangs) face 4 un enviconnement menagant, quia porter une aide individuelie, Ces Conduite sobservent aussi bien dans los classes sociales favorisées qui dé fondent loues interéts que dans les milioux trés défavorinés dans lescuels Ja survie individuelle prime. Les évenements récents dans les ban- Jiowes montrent que ce sont les hax bitants de cos quartiors qui sont Ios victimes des violences de jeunes tus trant la primauté du désir personnel immédiat (se feite entendre, se faire reconnaitre, se défouler..) sur la conscience collective Dans quelle mesure choisissons-nous nos modes de vie ? ‘Los conduites & risque que revendi quent les adolescents et que certains prolongent dans la vie dadulte, peu- vent apparaitre comme le résuitat d'un choix : le désir dexplorer les linites du possible, le pari d’étre en capaci- 16 de vainere les obstacles et los dom mages potentiels. Appétit quon peut aussi placer dans la continuité de lan vital attaché au développement. de tout enfant avec son cortege de prise constante de risque : tomber, se couper, s‘affronter & lenvironne- ‘ment, se mesurer physiquement et, ppsychologiquement aux autres, Peut- iy avoir développement, recherche, progiés sans risque ? Nous surestimons la rationalité de nos prises de décision qui devraient ‘modérer nos prises de risque en fonc- tion des dommages potentiels qui y ‘sont attachés. Tout fumour excess, tout alcoolique, tout boulimique cconnait les conséquences potentiel- lement néfastes de sa consommation, mais le propre de l'état de dépen- dance est de ne pouvoir y échapper. ‘Nos comportements sont plus sou- vent dictés par nos émotions que par une raison nourrie de nos connais- ssances, que cela nous plaise ou pas. Ceest particulibrement net en ce qui conceme les conduites a risque od peur et plaisir sont étroitement mé- 1s, a la fois comme facteurs déclen- chours du passage a Yacte et, pour une part, comme résultante de ces conduites, Le sentiment de peur est Patticuliérement intéressant a étu- ier par Yambivalence des réactions quill suscite, $i globalement il est connoté négativement par lanxiété ou langoisse qu'il génére, par la pa- ralysie de toute action, il présente néanmoins un attrait certain qui ex- pliquela recherche de récits, dimaces ouclexpériences provoquant la peur. enfant adore los histoires horriblos du Petit Chaperon Rouge ou du Pe- tit Poucet ;les adultes aiment les thril- lexs, les histoires & suspense, les films depouvante. Mais dans les deux cas le plaisir généré par la pour par- vient a dominer, dans la mesure ot plus ou moins consciemment la per- sonne pergoit quelle est dans le do- ‘maine de la fiction, que la réalité est ‘materialisée par la présence rassu- rante des bras matemels, par lobjet live ou par Técran placé a distance. ar contre, quand la distinction entro fiction et réalité doviont floue, quand Ja force des messages de peur inter- pelle directement et violemment les personnes, la peur provoque des ré- actions incontrélées, de la paralysie de toute initiative pour la réduire a Tagressivité réactionnelle démesurée et la haine, Dans le champ de la santé, la peur est souvent utilisée pour susciter des comportements de prévention : ne pas boire ou fu- mer, ne pas avoir des condultes sexuelles & risque, conduire a vites- se modérée... Elle est a la base du principe de précaution ; elle inspire des modéles dintervention telle que Ja théorie de la motivation a se pro- téger. Or, on constate que les mes- sages qui provoquent un haut degré de peur chez certaines personnes, ne Jes conduisent pas & modifier leurs comportements dans le sens sou- ‘haité par ces théories, mais a déve- lopperimmédiatement des stratégies pour réduire la charge émotionnelle trop intense conduites d'évite- ‘ment (refus de voir los messages, né- gation de leur contenu), de déni (w ga ne me concerne pas »), de défi (surcon- ssommation). ‘Au poids émotion- nel Sajoute la pros- sion de Tentoura- ge, la pression so- ciale qui s'exerce dautant plus for- ‘tement que la per- sonne est en diff calté pour définir et assumer des choix. Au sein des groupes denfants, la référence parentale est naturelle ment la régle, ce qui donne un poids et donc une responsabilité aux pa- Tents pour guider des conduites en reférence & des valeurs ot des pra- tiques caires et stables. Chez les ado- lescents, ascendant de leaders auu sein des groupes peut conduire cer- tains a prendre des positions ou A commettre des actes que, seul, ils nlauraient pas envisages. On pourrait parler de dépendance Yopinion du groupe de pairs. L'ap- ppartenance 4 une secte est une for- ‘me particuliére de sournission & favis une autorité quill ne faut pas voir ‘comme un choix rationnel mais com- ‘me une incapacité a exercor un es- prit oritique, a élaborer et assumer lune pensée personnelle, & diriger son existence en pleine autonomie. - Japprends a perdre sans haine - Japprends a gagner sans écraser BRAVO... MAIS oF sTAS APPRIS A DRIBLER comme cA? s Comment se construire pour vivre avec les autres LOrganisation Mondiale de la Sans ‘a definien 1986 la santé comme « une ressource de la vio quotidienne, un concept positif mettant laccent sur les ressources sociales et per- sonnelles, et sur les capacités phy- siques...» (2). La santé individuelle, notamment la santé mentale, ost étro: tement dépendante des interactions avec lenvironnement, et celles-ctin- terrogent, particulldrement les capa- cités a gérer les rapports aux autres. ‘Quand les problomes de santé sont 1iés a un comportement, et ce com: portement lié & une incapacité & ré- pondre efficacement au stress et aux pressions de la vie, tamélioration des, Nonvidence Ati jrvertete 2008 911 - Japprends a communiquer ‘competences psychosociales pourrait, étre un élément influent dans la pro- motion de la santé et du bien-étre, Jes comportements étant de plus en plus impliqués dans les problemes de santé », La construction de ces compétonces ‘eu travers d'un processus écucatif qui commence dés la naissance (3), s'ap- puie beaucoup sur limitation et les ‘experiences, L'enfant reproduit co quill voit ot entond en fonction du degré de confiance quill accorde ; 4 partir de ses connaissances et de ses ex périences, il acquiert également progressivement un esprit critique qui lui permet de tendre vers lauto- nomie, acquisition de competences psychosociales individuelles se fait oncen relation avecles autres et no- tamment avec des adultos modéli sants, « pour le meilleur et pourle pi- re», La capacité & élabporer un réseau de « personnes-ressources » sus- ceptibles d'apporter une aide dans Jes moments diffciles, et la capaci té de se sentir solidaire des tracas et difficultés vécues par les autres, re- pprésentent des compétences sociales essentielles pour prévenir Je senti- ment dimpuissance ot diinefficacité condiuisant au découragement, alin- action et a la dépression, pour facil ter le sentiment d'appartenance a un groupe social et plus général ment l'intégration dans la sociél pour dépasser la peur de Tinconna, du différent, du racisme et de la xé- 2 ontetece Actst jpn t 2006 nophobie, pour éviter Ie repli sur soi et le refus de prise do risque, pour, au contraire, batir un monde déchanges et de partage Responsabilité individuelle, responsabilité collective. ne s'agit pas icl de dénoncer des coupables mais de tracer des pers: pectives réalistes. On ne peut nior ‘que faccomplissement de la mission educative parentale est essentiel aur développement de enfant et en particulier & celui des compétences sychosociales. Il existe bion une ros- ponsabilité éducative queles parents doivent assumer. Dans le méme ‘temps la éalité des contextes sociaux et culturols, thistoire personnelle des individus conduisent penser que certains parents sont en grande dif ficulté pour exeroer cette mission, que Jes modéles éciucatifs dont is ont Yex- périence, quils cbsservent autour deux et quils reproduisent, no les condu sent pas a devenir aisément des pa- rents structurants, susceptibles de préparer leurs enfants 4 surmonter les conditions difficiles de lour vie quotidienne ot 4 se dépasser pour un projet de vie attract. Le manque de compétences ne veut pas dire quill n'y ait pas désir de les acquérir, mais oi? Auprés de qui ? LA se pla ce la responsabilité collective qui dénonoe et stigmatise faciloment mais napporte que parcimonieusement des réponses concrétes, acrsessibles et acaptées a la diversité clos situa tions, Comment permetire ces f rallles d'augmenter leur confiance & devenir des parents qui domnent confiance a leurs enfants ; comment les rassurer de maniore tello quills de viennent capables de transmettre une stabilité sécurisante ; comment les rendre apaisant a partir d'une mat- tise progressive de lours pulsions et leurs emotions ? Plus que jamais le monde d'aujour- thul a besoin de retrouver pax et so- lidarité pour qu’ensemble soient af- frontés les défis du partage de res- sources stegnantes pour une popu lation en croissance, pour donner une place et un avenir & une population de plus en plus jeune dans des pays a faible croissance économique. La capacité & affrontar la vie et ses difficultés de maniére responsable, structurée, collective, solidaire, res- pectueuse de lautre et de lenviron: nement constitue un objectif éduca- tif majeur qui nécessite la mobilise tion et le soutien de tous. Plus que Jamais il faut prendre le risque a'étre contre courant et discuter, négocier 18 ot d'autres veulent imposer, au he- soln par la violence ; prendre e temps @ecouter et comprenare une parole aitferente et non rejetor ot stigmati- ser ; accueilir et partager, non acca- [parer et limiter son horizon a son seul ego. Jaceques Fortin Jacques Fortin est professeur en sciences de 'éducation a univer sité de Lille 2, Droit ot Santé. I est Yauteur de plusieurs livres et no- tamment du programme « Mieux vivre ensemble das Iécole mater- nelle », Ed. Hachette: Education, 2001 (Diffusion NVA). (11M Douglas, Widavsky. Riek and Care, ‘An say on the Sahoctm ef Technological ae Environmental Dangers. Univetsity of Calor pla Proce, 1084 (2) Wold Heattn Organisation (1868) Ona (Chatter for Healt Promotion, An Internatio nal Conference on Health Proton, ove bor 17-21, WHO Regional Ofee for Europe, Gopeniagen (3)J. Fortin Développoment des competences Deyehososals ches ferent In M Roursey. Kemp Pediatrie sociale ou enfant ane son envitonnoment, Paris Doin i, 2004

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