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D TECHNIQUE VOCALE Les voix de Maria Callas Clest grace & une parfaite maitrise de ses résonateurs que Maria Callas a pu chanter la plupart des emplois, ‘féminins du répertoire lyrique et aller aussi loin dans la caractérisation vocale de ses personnages. A'oc- casion du 30° anniversaire de la disparition de la cantatrice, Nicole Scotto di Carlo, directeur de recherche au CNRS, nous livre le fruit de ses recherches et de ses réflexions sur la technique de Maria Callas. Lune des questions que V'on se pose souvent & propos de Maria Callas est de savoir comment elle a réussi Pexploit de chanter des roles que l'on confie généralement & des mezzo-sopranoset A des sopranos aigus. Timbre et tessiture de Maria Callas Les critéres sur lesquels est fondé le classement des voix opera sont le timbre, la tessiture, Cest-adire a partie de Teétendue vocale dans laquelle un chanteur est & Vase, et V'n- tensité. Le timbre de la voix est déterminé par la conformation «du résonateur phiaryngo-buccal, sorte de conduit situé entre les cordes vocales et les levres, dont la fonction est amplifier le son laryngé, cest--dire la voix & état brut, telle qu'elle se pré- sente & la sortie des cordes vocales. Pour chaque individu, ce résonateur posséde une forme et un volume différents, ce qui explique la diversté des timbres de voix. La morphologie de Maria Callas lui conférait une vox tres sombre et, quand elle a commencé & apprendre le chant, elle avait un timbre qu'elle a qualifié de “presque noir”. Elle possédait en outre une voix extrémement puissante, particularité quia été mentionnée & plusicurs reprises dans les biographies ou les témoignages la ‘concernant. Sa voix naturelle devait donc étre proche de celle ‘un mezzo-soprano dramatique lorsqu'elle est entrée au conservatoire d’Athénes “Toutefois, si l'on se référe aux jugements que lon a portés sur ses performances vocales pendant ses années d'études («des igus impossibles», «des ers plutot que des aigus», «trop de métal dans le regstre supérieur»), ilsemble évident qu'elle ser- rait! et que, de ce fat, sa tessiture se trouvaitrestreinte dans "ago. Lorsquelle eut appris se servir de son apparel vocal et A développer ses registres extrémes, sa voix devint celle d'un soprano dramatique colorature avec une extension d'une tierce rincure dans le grave et dans Paig (fa¥, ~mis)?, ui permet- tant de couvrir les tessitures de mezzo-soprano dramatique et de soprano lyrique colorature. Dans la mesure oi elle chantait la fos des emplois de mezzo soprano et de soprano aigu, on ‘est demandé a juste ttre selle tait un mezzo-soprano avec des aigus exceptionnels ou un soprano aigu avec des facilis pour le grave, Or, sa tessiture de soprano dramatique colorature était située entre les deux, ce quiluia permis de étendre de deux notes et demie, ala fois dans le grave et dans Taigu, au prix d'un travail opiniatre. Il agit d'une authentique prouesse, qui est toutefois sans com: mune mesure avec celle absolument iréalisable qu'on lui a p te et qui aurait consisté en une extension tessiturale dune quinte dans P'aigu si elle avait été un mezzo-soprano ou d'une quinte dans le grave, sielle avait ét€ un soprano aigu. Une intensité exceptionnelle Lintensité de la voix résulte de la résistance que sont capables opposer les cordes vocales la pression subglottique, cest dire & la pression que 'air pulmonaire exerce sur elles. Comme toute musculature, la musculature laryngée se tonifie par Fentrai- nnement, cest la raison pour laquelle les chanteurs en milieu de carriére peuvent aborder un répertoire plus lourd. En revanche, il est extrémement rare que des voix jeunes possédent la puis- saance qui était celle de Maria lorsqu’elle a débuté a 17 ans a Opéra d’Athénes. Elle peut sans doute s‘expliquer par la pro- fondeur et le tonus 'accolement de ses cordes vocales dus un entrainement vocal précoce et par la force musculaire peu com ‘mune qui état alors la sienne ct qui lui permettait de générerles &normes pressions subglottiques indispensables a la production des fortes intensités. Une voix hétérogene Lappareil vocal des chanteurs posséde une grande plasticité et Maria Callas avait certainement une habileté naturelle & utili sersesrésonateurs, mais elle 'arendue trés performante par un travail intensif qui lui a permis d’aborder tous les emplois, du ‘mezzo-soprano au soprano lyrique colorature. Cette pratique était assez répandue au 19° siécle od la transposition était fré- dquente et oll le classement vocal des chanteurs déterminant leur emploi au thédtre n’était pas aussi rigoureux qu’aujour- hui. La polyvalence vocale n’a plus cours parce que, de nos jours, Phomogénéité de la voix ~ cest-a-dire la recherche d'un timbre unifié sur ensemble de la tessiture, qu est Pun des cri- teres essentiels de la qualité vocale dans la tradition lyrique occidentale ~ peut étre compromise sans une parfaite maitrise de la coordination pneumo-phonique (entre le souffle et le fonctionnement laryngé) et de Taccord phono-résonantiel (entre les cavités de résonance et le son laryngé). La Callas réussit & surmonter cet écueil de 1949, quand elle aborda le répertoire de soprano aigu, jusqu’au: moment od commenga son déclin vocal. Par la suite, on lui reprocha davoir plusieurs voix, autrement dit plusieurs timbres. Or, cette hétérogénéité caractérisait également les voix de la Malibran ou de la Pasta et Stendhal la considérait chez cette demiére comme «l'un des plus puissants moyens d'expression», ce qui explique sans doute Femprise que cescantatrices eurent sur leur public. Mais, les canons esthétiques ayant évolué, il état inévitable que les puristes critiquent chez Maria Callas ce que ron admirait chez ses illustres anges un sidcle plus tt utilisation des résonateurs LEanalyse de deux documents filmés ~ la Habanera de Carmen, role éerit pour un mezzo-soprano, et Pair d’Amina extrait du 2° acte de La sonnambula qui fait partic du répertoire des sopranos lgers et Iyriques coloratures ~ montre qu'elle savait utiliser ses résonateurs avec un art consommé, Le résonateur ppharyngo-buccal est, comme nous Favons vu, responsable du timbre de la voix. En simpliiant & Vextréme, on peut dire que plus son volume est important, plus amplife les harmoniques raves et confere aux voix graves la couleur sombre qui les caractérise. Pour en augmenter le volume, le chanteur doit 'al- longer en faisant descendre son larynx et en prolongeant son résonateur buccal par 'adjonction d'un résonateur supplémen- tare, le résonateur labial, formé par la projection des levres. ouverture lbiale ne pourra alors étre que verticale pour des raisons physiologiques évidentes. ATinverse, pour obtenir la voix claire d'un soprano aigu, il faut raccourcr e ésonateur pharyngo-buccal en chantant avec un larynx un peu plus haut que sa position de repos et en suppri- ‘ant le résonateur labial par une rétraction des commissures Dans ce as, Fouverture des evres sera nécessarement hor: zontal. Ces deux types d’émission extrémes, entre lesquels se situent tne infnité de techniques intermédiaites, sont accompagnés de rmimiques physiologiques spécifiques qui sont la partie visible de Paccommodation interne des résonateurs et que Pon peut observer trésnettement sur les deux extras analysés. En s'p- propriant les techniques résonantielles des mezzo-sopranos et {es sopranos Iyriques coloratures, Maria Callas pouvait done passer d'une voix grave, sombre et puissante, 2 une voix aigue, pls claire et plus léger. La caractérisation des personnages Ence qui conceme la caractérsation vocal de ses personnages, Jacantatrice uiisat effet bien connu qu'ont les mimigues sur la ‘voix Lorsqu'on resent une émation, la mimique qui accompa: ne modifi le volume dela cavité buceale et toute qu'on vadire ‘ou chantersera colo par cette émotion, Que fon vive émotion de Fimérieur comme le fast Callas ow qu'on la simule, C'est abord la mimique qui va la reflter. Cette mimique affecte la configuration du résonateur buccal dont les caractéristiques acoustiques wont étre modifies et vont fournir des indices audi- tifs qui permetiront aux auditeurs de les décoder méme slssont privés des indies visuels, comme est souvent le cas Topéraen raison de la dstance qui sépare le spectateur de la scene. Ce phé- ‘oméne est partiuligrement flagrant dans la Habanera quelle MARIA CorNaO.e POR ee «Les Dieux s'ennuyaient, ils ont rappelé leur voix. » rere ere PBs] a RO Raat an Taney de MARIA CALLAS chante avee une expression goguenarde, ou pendant lntrodue- tion orchestrale de 'Air d’Amina, superbe illustration du conseil au’elle donnait dans ses classes de maitre: « Avant de chanter tune phrase, on doit préparer son visage. On se concentre, on pré- pare son visage et aprés seulement, on chante.» nsi, par le simple jeu de ses résonateurs dont elle faisait une utilisation virtuose qui n'est pas sans rappeler celle des imita- teurs, Maria Callas powait passer d'un emploi de soprano aigu i celui de mezzo-soprano et exploiter toutes les nuances de sa palette vocale pour caractériser les personages qu’elle incar- nait, créant une voix différente pour chacun deux et persor lisant chacun de leurs sentiments et de leurs Emotions en fone: tion de leur psychologie, mais également de évolution de leur tat d'esprit au fur et & mesure du déroulement de Vaction, Cotte palette infinie de couleurs lui a permis de mettre sa voix au service de la vérité dramatique et de I'émotion, en digne héritigre de la tradition du 19 sigcte dans laquelle elle inser: vait et qu‘elle a voulu faire revivre. Car, ainsi que 'a fort juste ment et si joliment fait remarquer le critique italien Teodoro Celli, Maria Callas 6tait «une étoile errant dans une galaxie qui était pas la sienne » Nicole Scoto di Carlo on 1. oir Nicole Scot di Cao, “Réflrescondtonnés et apprentissag chan’ ina ated usin, 318, octbee 2005, 2. inde acter repérage des notes sans aoirrecours a ue wansrgton musical, les acoustics numerctnt les octaves en es affectant un citre qui perm dees stuer dans chlo musical [octave dans lquee se sue la ducapason est octave Nicol Seta Caro est dreteur de recherche au CNRS (LPL, UMR 6057 du CNRS) Ae auss sa contbuon au rumeso special dea revue Médecine des arts 1°57 consacré Respiration et vox chaise" (Edtons Alexie, 207), Maria Callas, 4 écouter et a lire Enrogistrements + Intégrale des enregistrements studio 1949-1969 (EMI Classics, 70 0D) + "CallassoTherapy”, 12 intégrales d’opéras enregistrées centre 1952 et 1955 (Naxos, 24 CD) + "Maria Gallas, éternelle”: extralts d'opéras (EMI Classics, 2 CD - disponible aussi en version luxe avec DVD bonus) + Entraits d'opéras (EMI Classics, 8 CD) aria Callas, the Eternal’: sélection des apparitions filmées en concert ou sur scéne (EMI Classics, 1 DVD) * “The Callas Conversations”, volume 2: entretiens avec Maria Callas (EMI Classics, 1 DVD) ines ‘Maria Callas, les images d'une vie, YB Editions, 2007, 160 p. -99,85 € : un beau livre de photographies, dont certaines inédites, + La Véntable Maria Callas, par Bertrand Meyer-Stabley, Pygmalion, 2007, 280 p. - 20,50 € + La Callas, par Eve Ruggieri, Michel Lafon, 2007, 264 p.-18,50€ + Moi, la Callas, par Mélisande Chauveau, Scall, 2007, 204 p. -22€ + Maria Callas, par Henry-Jean Servat, Albin Michel, 2007, 144p.—29€ 1507. Be LT Sea a7 fétent leurs 200 ans en musique Le samedi 13 octobre 2007, Salle Pleyel Igri alo Ae) BRCM CUI 6) su ig POT Teng avec Emmanuelle Gaume, Vira syboko eer seh acid PORT cnt oy aT ec ee Pe ede een 18h30 Le Jazz et la Diva de Didier Lockwood, Caroline Casadesus eet 20h30 Spectacle musical exceptionnel avecFrancois-René Duchable t Alain Carré eRe (A Peo ea ae Panton Pee Coy

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