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OUVRAGES RECENTS DU MEME AUTEUR Aux Editions G-P, MAISONNEUVE et LAROSE SAILLEY (Robert) : eri Aurobindo, philosophe du Yoga intégral. SAILLEY (Robert) : Vocabulaire fondamental du tsigane d'Europe. ‘Traduction de l'anglais : PEMBA (Tséwang) : Tibet, An du Dragon. Recit d'histoire et de meurs contemporaines. Préf. et trad. par R. Sailley. Aux Editions PAYOT Traduction de allemand : TUCCT (G) et HEISSIG (W) : Les Religions du Tibet et de la Mongolie. Le soleil dans fe cour Collection dirigée par MM. Davr Robert SAILLEY Le bouddhisme “tantrique” indo-tibétain ou “Veéhicule de diamant” EDITIONS 2) PRESENCE COLLECTION «LE SOLEIL DANS LE CUR » 1 — Michel Raviawsr, — Initiation a Ia méditation, 2— Guru Nasax. — Jap JL. Enseignement initiatique du gura Nanak «nv* s.). Traduit en espagnol 3 — Swami Anmsixtaxisns (Dom H. Le Saux, 1). ‘Gnininanda, La vie évangélique d’un sage du pays tamoul, selon a pure tradition védantique, Traduit en anglais, allemand, tamil 4—Henry Conon. — Lhomme de lumitre dans le sowfisme Iranien, Traduit en anglais. 5 —Archimandrite Sommmoyy. -- Starete Sllouane, moine du Mont Athos. (1865-1938). Vie — Doctrine — Kerits. Traduit en italien 6—PL Deseuie, — La fournaise de Babylone (Guide spirituel) 7 — Victor Arsonson, — La Russie Monastique, Traduit en anglais 8 — Emile Simoxon. — La Pridre de Jésus (selon V'éveque Ignace Briantehaninof!) 9 — Roger Gave. — Essais sur Yexpérlence lbératrice. 10 — Bernard Goxcsix. — Flambée et Agonie (Mystiques da xv sidele allemand), U1 ~D* Thérése Baosse. — La x Conselence-Energle », structure de homme et de Tunlvers, 12 — Gérard Viau, — Magie et coutumes populaires cher es Coptes a’Egypte. 18 — Ignace Bruareusxsov. — Introduction & Ia. tradition ascétique de PEglise d’Orient. 14 — Pére H. Lassiar. — L’actualité de Ja catéchése apos- tolique. 15 — Henti Le Saux. — Initiation & Ja spiritualité des Upa- nishads. 16 — Georges Vans. ~ de gnose et voie damour, Te bouddhisme “tantrique”’ indo-tibétain ou “Véhicule de diamant’ A la mémoire de mon cher et regretté neveu Jean-Luc VALENTIN éléve de Terminale au Lycée Louis Lapicque a Epinal, mort @ dixsept ans, le I” octobre 1975, des suites d'un accident de moto. ILL] DATE LILIA PLENIS MANIBUS Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation f de la présente ééition francaise réservés pour tous pays (© Henri Vuun, 1960, Printeg im France Edtions PRESENCE « Aubard » Saint-Vincent-sur-Jabron (04200 SISTERON ISBN - 2o0ies.228 : a Le Véhicule de Diamant (Vajraydna), forme tardive du bouddhisme, qu'on appelle souvent le bouddhisme « tantrique », suscite de plus en plus I'intérét du public cultivé et Y'engouement dune fraction limitée mais nullement négligeable de la jeunesse dans les pays occidentaux, ot l'économie industrielle a bouleversé les structures sociales et religieuses traditionnelles. II était done opportun d'écrire une étude d’ensemble sur ce sujet jusqu’a présent trop mal connu et trop méconnu. Mal connu parce qu'il présente des difficultés particuliéres du fait de son caractére secret, « ésotérique », et méconnu parce que les orien- talistes ont longtemps entretenu des préjugés & son égard, tandis que des écrivains incompétents ou malhonnétes s’en donnaient A ceeur joie pour énoncer sur le « tantrisme » en général les billevesées les plus extravagantes. (Un ouvrage récent, dont nous iairons Ie nom de Vauteur, s‘intitule par exemple :' « Llamour magique. Révélations sur le tantrisme ». Sade et Rimbaud y sont appelés des « initiés tantriques », etc) Les documents disponibles, écrits dans des langues comme le sanskrit, le tibétain classique, le chinois ancien, sont d'un accés difficile et leur interprétation correcte nécessite en principe le commentaire vivant d'un maitre traditionnellement qualifié, La nature méme, trés intime et trés subtle, de l'expérience intérieure qui est la raison d’étre et l'aboutissement ultime de la conduite mystique, dont les tantra supérieurs sont des manuels de réalisa- tion, nen permet guére une connaissance et une appréciation objectives trés assures. En dépit de toutes ces difficultés, nous avons jugé possible et utile de présenter au public un ensemble de données fonda- mentales qui, nous l'espérons, lui permettra de se faire une idée relativement claire et précise d'un sujet aussi compleac. Nuue exposé commence par un apercu historique et nous y avons intégré un certain nombre d’éléments concernant la vie du Bouddha ‘Cakya-Mouni et les origines du bouddhisme. Peut-étre sontils fort connus, mais il était nécessaire de les rappeler pour bien situer le Vehicule de Diamant au sein de Ia tradition bouddhique en général. Notre tache a été de lire attentivement Jes principaux travaux éradits, parus sous forme de livres ou darticles, d’étudier des textes originaux sanskrits et tibstains, le plus souvent avee l'aide d'une traduction, mais sans omettre de comparer celle-ci au texte original chaque fois que cela était possible. 12 Le bouddhisme « fantrique » Parmi es savants étrangers dont les publications ont permis Ja réalisation de Ja présente synthtse, citons les noms des seurs G. Tucci, D. Snellgrove, A. Wayman, H. Hoffmann, S-B. Dasgupta, Nous avons bénéficié des conseils et de V'enseignement de M. le professeur Jean Filliozat et nous devons aussi une mention particulitre & ces maitres éminents que sont M. André Bareau et M. Rolf Stein, professeurs au College de France. Notre travail s'est trouvé vivifié grice A un contact direct, si limité fatil, avec la tradition orale des maitres tibétains, dont le Vénérable Kalo, de Yordre des Karmapa. M. Denis Eysseric, interpréte & Kagyu Dzong, Centre bouddhiste tibétain de Paris, nous a apporté & cet égard Y'aide inestimable de son expérience et de sa compétence. Bien entendu, comme le veut T'usage, nous prenons & notre compte toute erreur de fait ou d'interprétation que pourrait comporter le présent ouvrage et nous souhaitons qu'il puisse néanmoins n’apporter que du bonheur & tous les étres. ‘Ala transcription des mots sanskrits et tibétains, nous ajoutons souvent une représentation approximative de Ia prononciation au moyen des phontmes francais qui s'en rapprochent le plus. Chapitre premier L’histoire Le « Véhicule de Diamant » (Vajrayana) ou « Véhicule des Formules » (Mantrayana) est Vaspect ultime qu'a revétu le boud. dhisme dans I'inde avant d'etre extirpé presque complétement de ce pays. C'est le Tibet en particulier qui a recusilli son héritage culturel. Lihistoire de cette période, obscure et compliquée, nous est connue surtout par lintermédiaire de quelques historiens tibe. tains (1). Les faits qu’ils rapportent, a partir de sources plus anciennes sont souvent mélés a des légendes, On sait que le bouddhisme est essentiellement une discipline spirituelle qui propose une technique du salut, de la délivrance ar rapport au monde des sens, considéré comme impermanent, illusoire et douloureux, auquel des étres de différentes sortes sont asservis par le désir, la soif d'existence, qui les entraine dans tne ronde indéfinie de renaissances (skt. : samsdra, le flux universel des phénoménes). Le terme « véhicule » (skt. dina, tib. t'eg pa) signifie moyen, instrument, permettant de s‘acheminer vers le salt. LE FONDATEUR HUMAIN DU BOUDDHISME. Le fondateur humain du bouddhismne portait le nom de clan : Gautama, commun a tous ceux qui croyaient descendre duu sage mythique Gotama. Son ptre (Cuddhodana) était un petit roi ou chef tribal des eZkys, youplade érablie dans le ‘eral, aux confins de 'lnde septentrionale et du Népal actuel. Dans les récits biographiques qui nous ont été transmis & son sujet, il est difficile de déméler la part du mythe et de la réalité vécue. On lui attribue les caractéristiques conventionnelles de Vetze d'exception, le Grand Homme (mahdpurusa), soit 32 signes fondamentaux et'80 secondaires. (@) Notamment : Buston (1) : « Histoire de 1a Doctrine (ooadane aque n" Gon dpal (iS s) <<" Annales bleues or mea eed G5). “Parantiha Ur 8) « dusttte de ls Boctroe emeataees fn inde», ci.» Sumpa sathanpo GADIC de Sema: Sere5 16 Le bouddhisme « tantrique » indo-tibstain Selon les travaux récents de M, André Bareau (2), cette biogra- phie parait en grande partie Iégendaire. 11 importe néanmoins den rappeler les éléments. principaux. Alors qu’il était parvenu, diton, & une condition divine dans un monde céleste, en rétribution de ses mérites accumulés au cours d'innombrables existences antéricures, il se serait incarné volontairement dans le scin de sa mére Maya (Mlusion), en vue dune ultime naissance & T'état humain, pour devenir un Buddha, un « Eveillé > ou « Pleinement pur » (tib. Saisrgyas, Sangyé). La légende admet ‘existence de six Buddha antérieurs, précur sours immédiats de Gautama. Le premier s‘appelait Vipacyin. (M. André Bareau aborde cette question dans un cours récent qu'il ‘a fait au Collége de France et dont le compte rendu figure dans VAannuaire du Colldge de France, 1972, p. 453 et suiv) La conception, la gestation et la naissance de Gautama sont entourées de circonstances miraculeuses par les récits biographi- ques. Il nait prés de Kapilavastu, capitale du royaume de son pére, dans le jardin d’agrément de Lumbini (aujourd'hui Rumindei, au Népal), Je jour de la Pleine Lune du mois de Vaicakha (avril-mai) en 558 av. J.C. (Cette date n'a évidemment qu'une valeur histo- rique trés relative : elle résulte de Yexamen critique de diverses données chronologiques). Sa mére meurt sept jours plus tard. Les devins se penchent sur son avenir et prédisent, aprés avoir constaté qu'il présente Jes signes caractéristiques du Grand Homme, qu'il est voué & devenir soit un monarque universel (Cakravartin, pron. : tchakra- vactine), soit un Bouddha, s'il renonce au monde. Son ptre redoute cette dernitre éventualité, aussi cherche-til & le! procurer tous les avantages de la vie et a lui épargner la yur de sey uspecls pénibles. Ou le unuie; i devient pére d'un garcon (Rahula). Mais, par suite de sa vocation invincible de hori sattva, de « Prédestiné @ VEveil », il fait trois rencontres (avec ua vieillard, un malade, un mort emporté au bacher funé- qui lui révélent Vemprise universelle de la vieillesse, la malacie et la mort. Dans une quatritme rencontre, il voit un religicux au visage serein, détaché de tout et comprend que le renoncement au monde peut @tre un reméde aux maux dont il a pris conscience lors de ses rencontres précédentes. @) André BAREAU : Recherches sur te biographie du Buddha dans tes Sdirapizaka ef les vinavapltaka anclens. Paris, 1863-70. u I résout done de tout abandonner : palais, femmes et dignités, ‘afin de se consacrer & la recherche du salut dans la vie religieuse, Son départ secret, & cheval et en pleine nuit, avec un écuyer dévoug, donne lieu, selon les narrateurs de sa vie a des prodiges divers, '& des événements miraculews, comme sa naissance. Une fois a Yabri de toute poursuite, il prend congé de son éeuyer, se coupe les cheveux et échange ses beaux vétements contre les habits grossiers d'un chasseur qwiil a rencontré. Deven un cramane, un asctte religieux qui demande 'hospi- talité @ chaque tape de sa vie errante, il gagne ainsi la ville de Vaicali, oit il suit Venseignement d’Arada Kalima, un maitre brahmanique de méditation. Selon les textes anciens cités par A. Bareau (Recherches sur a biographie du Buddha... - 1963, p. 14), Gautama s'efforce d'obtenir Yabsence de maladic, l'absence de vieillesse, Yabsence de chagrin et de tristesse, Tabsence de souillures, c'estadire T'apaisement supréme, Vextinction (nirvaya) libératrice. A son interrogation, Arada répond qu'il a, quant a lui, « dépassé complatement le domaine de Vinfinité de Ia conscience... et atteint le domaine du néant... » Cette doctrine, i en a fait Vexpérience directe, litiéralement : il Ia connait de soiméme, il la voit de ses propres yeux. Gautama posséde la foi (eraddha), Vénergie (virya) et Vintel ligence (prajfid) nécessaires. Arida Yayant instruit, il se retire & Yéeart, seul dans un endroit désert et tranquille, pour cultiver et pratiguer cette docirine avec z2le et diligence, jusqu’a ce qu'l Ja « voie de ses propres yeux ». Il y parvient rapidement et Atada Yassocie & la direction de ses disciples. Mais, cot enscignement ne satisfait pas Gautama : le néant n'est pas Vextinction libératrice. H quite Aréda pour se rendre & Rajegrha, capitale du Magadha. Installé en ermite sur une colline voisine, il est protégé par le roi Bimbisira, qui lui offre la moitié de son royaume. Il ne se laisse pas tenter et promet d'instruire Je roi, dés qu'il aura abouti dans sa recherche du salut. Tl se choisit un nouveau maitre, appelé Udraka ou Rudraka Ramaputra, alin d/apprendre une technique plus avancée de recueillement intérieur. Rudraka, en effet, a dépassé complétement Je « domaine du néant » et atteint le « domaine sans perception ni absence de perception ». 18 Le bouddhisme « tantrique » indo-tibétain Gautama y parvient rapidement, mais cela ne lui suffit pas cette doctrine, pense-til, « ne méne pas & Iz connaissance (jana), elle ne méne pas & V'Eveil (bodhi), elle ne méne pas V'extinction (nirvana)... Il décide de continuer la recherche pour son propre compte. Cing disciples Yaccompagnent jusqu’a Uruvilva, petit village proche de Gaya, & une centaine de kilometres de ‘actuelle Patna. Il s‘insialle avec cux au bord d'une rivitre, dans un site agréable, propice & la méditation. Sa période d’étude a duré un an, six autres années vont lui étre nécessaires pour mener A terme son entre- prise, LEVEIL DE CAKYA-MUNI Ul est désormais CakyaMuni (tib. Cakya tub pa), le « sage entre les cakya », et se livre A des austérités extrémes, au point quill ne Jui reste plus vers Is fin de ses six années d'efforts qu'un souffle infime de vie. C'est alors qu’il prend conscience de la vanité, V'inutilité, de cette ascése et se résout & nourrir de nouveau son corps émacié par le jetne. Ses disciples croient A une défaillance de sa part, un avew @impuissance; ils le quittent pour se rendre a Bénarés. Mais, luiméme sait qu'il touche au but, car la nuit précédente cing réves annonciateurs Ven ont avert Le soir, aprés une halte dans un bois, muni d'un cousin d'herbe kuga (graminée utilisée pour des actes de culte), que lui a donné un brahmane, il finit par s‘asseoir sous un arbre d'une espece particulitre : l'apvattha ou pippal (figuier des pagodes, Ficus retigiosa), qui sera I’ « Arbre de !Eveil 1B fait alors Je Wwur du pippal et considere « Je monde en se placant successivement & Quest et au Nord, avant de s‘arréter a YEst, point qui seul lui apparait inébranlablement ferme. La sera Vaire de Y'Eveil, le bodhimanda, littéralement « Vessence de YEveil » (tib. byanchub sfin-po), oit il s'asseoira sur son herbe ou sur un tréne miraculeusement sorti de terre et qu'il ne quittera plus avant d'avoir obtenu I'Eveil » (3). La Mort (skt. Mara, tib. bdud, © démon ») se sent menacée par la découverte qui va étre faite d’un moyen d’acces au salut (3) L. RENOU et J. FULLIOZAT : L'nde classique, t IL, ch. XI, p. 475. histoire 19 mettant fin au cycle perpétuel des renaissances et des morts. Elle suscite une armée de démons terrifiants contre CakyaMunt, mais i reste incbranlable, en vertu de ses mérites antérieurs et de sa sublime bienveillance (maitri), de son sublime amour. Alors, elle revendique le trone de 'Eveil, qu’elle déclare Ini revenir de droit du fait de ses propres mérites. Son affirmation est appuyée par ses troupes innombrables, tandis que Cakya-Muni est seul. Il prend Ja terre a témoin en la touchant de sa main droite, geste souvent représenté dans Viconographie bouddhique, La terre tremble de six manigres, puis elle surgit & demi du sol, personnifiee et revetue de beaux atours : elle se porte garante en sa faveur. Dane une ultime tentative, la Mort envoie ses trois filles : « Soif (Cexistem: ce) », « Déplaisance » ou « Allégresse » (aspect tantot positif, tantdt négatif, des sentiments qui résultent de Tattachement la vie temporelle), « Concupiscence » ou « Volupté ». Elle doivent séduire par leur charme Cakya-Muni. Cette tentation n'a pas de succts auprés du sage. Rien ne s'oppose plus & I’ « Eveil » supréme et complet; i se produit a la fin de la nuit, celle de Ia Pleine Lune du mois de Vaicakha (avril-mai) en 523 av. J-C. Le Sage Yobtient au terme d'un cheminement progressif durant les trois veilles de la nuit. A Ja premigre veille, il franchi un A un les quatre degrés de la méditation, se libérant de toutes les operations psychiques liges au monde sensible. Une fois déchiré le voile de ces phéno- ménes mentaux, son « ceil divin » s'est ouvert et lui permet dembrasser d'un seul regard T'infini de espace et Tinfini du temps. Tl plonge & travers les mondes oli les étres sont engages dans des existences diverses, plus ou moins bonnes ou mauvaises, selon Ja nature de leurs actes, de leur karma. Ayant ainsi explore Yespace dans une vue générale du présent, il va dans la seconde veille explorer Je passé : toutes ses vies antérieures et celles des autres défilent en un instant, & une vitesse prodigicuse, devant son ceil suprarhumain, Tl constate alors la désolante imperma- nence des choses, l'incessant retour de joies et de souffrances Sphémires, Dans la troisitme veille, il prend enfin conscience de Ja suite des occasions qui donnent liew & ces existences, la loi de leur « production consécutive » par une série de facteurs. Ces facteurs sont au nombre de douze dans la théorie complete et courante de la doctrine bouddhique. On peut les résumer ainsi Ja vieillesse et Ja mort (1) sont liées & Ia naissance (2); la nais- sance est lige & Ja venue, & lexistence (3); la venue 2 existence 20 Le bouddhisme « tantrique » indo-tibétain st lide & la prise de possession (4) (dans I'accouplement) ; la prise de possesion entice de Os le dcas cove hte somsatlon is Ja sensation est liée au contact (7) ; le contact est li¢ aux sens (8) ; Tes sens sont ligs Ala personnalité @); la personnalité ext lige & Ja conscience (10); la conscience est liée aux prédispositions (11) (aux dispositions innées, héréditaires); les prédispositions sont liges & V'ignorance (avidyd) (12) (a la méconnaissance de la réalité authentique, absolue, celle que I'Bveil est censé révéler) akyaMnni est devenu Buddha, « Eveillé » ; il détient les « quate nevis Wels » sur le easelts doulou de Teur tence, son Origine, sa suppression et le chemin qui méne a cette suppression. Celuici est une « voie octuple » comprenant : la vue correcte (1) (Ges choses), la résolution correcte (2) (de chercher a délivrance), la parole correcte (3), Vaction correcte (@), les moyens dcxistence corrects (6), Ieffort correct (6), Tattention correcte (7j, le recueillement correct (8). Victoriewx, ayant obtenu Ja connaissance complite (sambodhi) Pr etane cena i eeciayoce ae Tieea sur le Sige ce I'Eveil, sans autre aliment que sa béatitude. Va-t-il garder pour isi ce savoir inestimable ou le diffuser, le transmettre & autrui ? {1 hésite et Mara (la Mort, Ia Puissance démoniaque) vient de nouveau le tenter pour quiil passe directement dans TSxtinction totale, le parinirvana, sans avoir enseigné sa Doctrine a salut et constitué Ja Communauté de ses disciples. Le Bouddha sy refuse, Ala fin «ome période de sept semaines aprés I'Bveil, deux freres, des x chands de passage, Iui font une offrande de nour- ture. Le Bc ‘dha accepte, & condition de la recevoir dans un comme T'exigera plus tard Ia régle de son ordre quatre gardiens des points cardinaux lui pro- ‘une maniére miraculeuse. Le Bouddha donne aux rognures de ses ongles et de ses cheveux, sur -veront par la suite un ou deux stiipa (monticules quaires) dans leur pays. Selon le Lalitavistara ent tardif, du « Grand Véhicule »), Je Bouddha se aussi une formule magique propre & assurer VArbre de I'Eveil, il hésite une demnitre fois & octrine, qu'il juge trop difficile » comprendre et rop cxigean:: pour Vhomme ordinaire, car elle nécessite une certaine mat:c!se de soi et de ses passions. Le dieu Brahman Uhistoire 21 vient par trois fois le supplier de le faire et il finit par s'y résoudre, aprés avoir observé que les étres sont de trois sortes comme les lotus d'un étang : les uns se dressent déja dans la lumiére, d'autres sont profondément immergés et ne Vatteindront Jamais, mais d'autres encore sont prés de s’épanouir et il convient de les ‘aider. Ses premiers auditeurs seront les cing disciples qui Yont abandonné et se sont retirés dans un ermitage forestier, le « Bois des gazelles », & quelques kilometres de Bénarés, sur Templace. ment de Vactuel Sarnath. On appelait cet endroit Rishipatana, Ie lieu ot sont tombés des Rishis, des voyants consumés par Yardeur de leur ascése. Au moment ott il se rend A Bénarés dans le but de convertir les cing disciples qui Vavaient abaudonné, le Bouddha rencontre un jeune brahmane : Upaka. Celui-ci le voit sous un aspect extra: ordinaire, entouré dune auréole et « semblable A une montagne dior », Le Bouddha se declare omniscient, vainqueur supréme, sans souillure et sans attachement. Selon M. André Bareau, leo versions de cet épisode « s‘accordent sur Yessentiel : Fexaltation du Bouddha comme W’étre supréme en ce monde... » (A. Bareau : Recherches sur ta biographie du Buddha... tome I, p. 159) Le Bouddha devine les pensées de ses futurs auditeurs, Jorsqu'ils le voient approcher, et il exerce sur eux un attrait irrésistible. Il leur explique pourquoi il a renoneé & Vascése et choisi le « chemin du milieu », Ia voie moyenne entre les excts de Ia sensualité et ceux de la mortification. Ensuite, il leur expose es « quatres vérités » sur la douleur, Vorigine de la douleur, sa suppression et le chemin qui méne a cette suppression, Cest le Premier sermon, la « mise en branle de la roue de la oi » Jim des cing ascdtee brahmeniques, nomuué Kaundinya, est doué d'une vive intelligence : il saisit promptement le sens et la valeur de la Doctrine. Converti le premier, il deviendra un saint bouddhique, un arkant, vainqueur de ses passions, Ses quatre compagnons suivent son exemple, aprés de nombreux entretiens avec le Bouddha, LA FONDATION DE LA COMMUNAUTE Le noyau primitif du sangha, de la Communauté bouddhique, se trouve constitué grace & la conversion des cing religieux brahmaniques. Un certain Yagas, fils d'un banquier de Bénares, 2 Lo bouddhisme « tantrique » indo-tibétain s'y joint peu aprés. Le récit de sa conversion est manifestement concu dans un but d'édification et de prosélytisme a I’égard des Familles riches et influentes, dont Je soutien sera toujours fort apprécié des moines de la Communauté, qui ont besoin de recevoir une aide matérielle pour vivre. Des analogies frappantes existent eatre Thistoire de Yacas et la biographie personnelle du Boud dha Cakya-Muni en ce qui concerne la jeunesse de celuici, la vie luxueuse dont il jouit et la décision qu'il prend de fuir son palais et sa famille : par exemple, tous deux éprouvent un profond dégoat en voyaat les poses relachées des femmes de leur entourage, surprises durant leur sommeil. Yacas se réfugie auprés du Bouddha : ce dernicr lui préche sa doctrine d'une facon graduclle, en Vexhortant d’abord a tre joyeux (la joie spirituelie est exaltée par le bouddhisme, qui & cet gard ne saurait étre qualifié de pessimiste) et & prendre conscience de la valeur des vertus de générosité et de moralité, qui lui mériteront le Ciel, la renaissance parmi les dieux, heureux sort promis aux disciples laics. Puis, i lui montre Ia vanité des plaisirs des sens et célébre le bonheur supréme du renoncement, vocation propre des moines. Yacas perd instantanément ses taches, ses souillures, il acquiert « Ja pureté de Veil de la Loi ». 11 « voit la Doctrine et son fruit ». En conséquence, il demande et obtient ordination complete en qualité de moine. Son pare sera le premier adepte laic (upasaka), qui s'engage & respecter cing régles de conduite (ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir, ne pas avoir de relations sexuelles illicites, s'abstenir de boissons enivrantes) et surtout A soutenir de ses dons la communauté, sans pour autant quitter le monde. Ensuite, les conversions extraordinaires se suectdent. Par exemple, celle d'un groupe de jeunes gens épris de divertissement. Une des plus sensationnelles que la légende attribue au Bouddha concerne un groupe compact de cing cents ascites chevelus pratiquant les sacrifices védiques, en particulier & Agni, Ie dicu du Feu. Le voisinage du Bouddha provoque dans leur ermitage forestier d’'Uruvilva, non Join de Arbre de I'Eveil, une série de « miracles », tantt cocasses (les ustensiles ménagers et rituels disparaissent’ ou refusent tout service), tantét dramatiques (le Bouddha lutte par le feu et par V'eau contre un ndga, serpent ‘ou dragon, qui les intimidait). Les ascites, si fiers de leur savoir, leurs austérités et leur prestige auprés des villageois des environs, doivent se rendre & 23 les pouvoirs spirituels du Bouddha sont supérieurs & ceux quills possédent. Leur chef, Kicyapa, siincline et se convertit avec tous ses disciples, Ses deux freres, gu! dirigeatent deux autres communautés importantes d'anachorétes, feront. de méme. Tous les ascétes, au nombre d'un miller, se ressemblent pour entendre un sermon du Bouddha sur le feu de la passion, qui embrase le monde. Ce sermon, précédé de prodiges divers, aurait suffit, diton, pour transformer en arkant, en saints, tous Tes auditeurs De elles exagérations soulignent Je caractére édifiant et apologétique des récits traditionnels de la vie du Bouddha. TL est toutefois possible que celui-ci ait remporté un succés aupres dune confrérie brahmanique et quielle Tui ait fourni d'un seul coup un groupe important de disciples. LA PREDICATION DE LA DOCTRINE Chef d'une secte nouvelle de religieux en quéte du salut, le Bouddha va désormais parcourir le bassin du Gange, préchant sa doctrine et organisant la communauté de ses moines Il se rend dabord & Rajagrha, afin de tenir sa promesse au rol Bimbisira de lui communiquer la vérité dés quil Yaura découverte. Le roi devient un adepte Iaic et donne au Bouddha tun bois de bambous (Venuvana), proche de sa capitale, pour qu'il Pulsse utiliser comme ermitage & la saison des pluice, Crest le premicr d'une série de dons analogues recus de riches dévots & proximité d'autres grandes villes du Magadha (a Crivasti : Te Jetavana, & Kaugimbi, 2 Vaicali). Le séjour du Bouddha & Rajagrha est marqué parla conversion de deux hommes appcles a tenir une place éminente dans la Communauté naissunle 2 Cariputra et Maudgalydna, issus de la caste des brahmanes, tres instruits et dotés de qualités exceptionnelles. Aprés une visite son pays natal et lorsqu’il retourne vers Rajagrha, le Bouddha convertit cing cents jeunes gdkya venus le rejoindre. (Le chiffre de « cing cents » que Yon rencontre & différentes reprises semble signifier conventionnellement un groupe nombreux de personnes.) Il y a parmi eux plusieurs de ses cousins, dont le fidéle Ananda et le iraitre Devadatta, qui intriguera contre luf et tentera méme de Ie faire tuer au cours des années de sa vie, ee Le bouddhisme « tantrique » inéo-tibétain Diune facon générale, les convertis appartiennent & toutes les classes dela socices sans distinction Be castes: cellescl stant fbolies au sein de la Communauté, oi Ja seule higrarchie se fonde en principe sur Vancienneté. Mais, lorsque des personna- igs influentes adhérent la Doctrine, elles entrainent & leur Suite un afflux de nouvelles recrues et leur poids ne manque pas de se faire sentir. C'est le cas notamment d'un ancien brabmane, Hiche et puissant, Mahakicyapa, au tempérament autoritaire et Tigoureux. Le Bouddha Tui témoigne des égards particulicrs et, ‘quand son Maitre mourra, il prendra la direction du. Samgha. {& Rombre et Ia qualité des conversions rehaussent le prestige de la nouvelle secte, mais suscitent aussi un certain mécontente ment et des critiques. Les familles ne voient pas sans inquiétude €f sans hostilité Jeurs enfants embrasser les uns apres les autres Ja ie religicuse et se faire bhiksse (moines mendiants) sous la Gonduite du cramane Gautama. Liadhésion massive d'une partie es Jeunes cakya, si elle s'est vraiment produite, a d0. contribuer 2 affatblir ce peuple de guerviers, suquel on préchait en outre Ja non-violence. De fait, ils n'échapperont pas & un tragique destin : sauvés une premiére fois, grdce a Vintervention du Boud- fis lukméme, ils périront sous les assauts de leurs voisins ot leur capitale sera. detruite JLabondance des dons resus par la Communauté, les terrains goon sy 9s, an Commnaas eae cela explique comment la congrégation errante a fini par se fixer dons des monastéres parfaitement équipés pour la vie collective, Gui ont essaimés aux quatre coins de Inde. Da vivant du Bouddha, on n’en.est pas encore Ia et son errance Redraers Je Bassin du Gange s'est poursuivie jusqu’a sa mort. Malaré ses réticences, il a Sinalement necepté, contrairement aux usages de son temps, Tadmission des femmes dans sa congré gation, avec ioutefois des régles plus strictes que celles des moines, auxquels els restent subordonnées. Limpor:ance des succés remportés par Je Bouddha dans sa prédication suscitait natureliement Ja jalousie et Vhostilité des altres “des sectes rivales (brahmaniques ou jainistes). Pour iriompher de couxci, il compte sur la valeur propre de son ensel- gement et Texemple de sagesse qui doit en résulter, plit6t que sur exhibition de pouvoirs surnaturels. Il réprimande certains de ses disciples qui recourent & ce procédé. Lubmeme n'aurait, Giton, utilisé de tels moyens qu’en des occasions exceptionnelies, Lhistoire 25 notamment & Crivasti, pour venir & bout de six maftres rivaux ligués contre lui. A plusicurs reprises, le Bouddha est en but & des calomnics et des machinations hostiles (on prétend qu'il a des relations avec des femmes, complices de ses accusateurs. II doit intervenit Pour apaiser des querelles, souvent futiles, entre des moines et Pour fixer des régles de conduite, méme sur des points de détail, Vers la fin de sa vie, il multiplie les sermons récapitulatifs de son enseignement. Ses deux grands disciples : Cariputra et Maudgalyaina meurent avant lui. Atteint de dysenterie, le Bouddha se voit rappelé par Mara, le démon de la mort, qu'il a promis de s'étcindre lorsque sa Communauté sera formée et instruite, En dépit des instances, trop tardives, de son disciple favori Ananda pour qu'il prolonge sa vie, le moment approche ol il va consentir & Extinction definitive, le Parinirvana. (Les récits concernant le role de Mara et d’Ananda sont probablement inventés pour rejeter sur eux Ia responsabilité de la mort du Bouddha, jugée au moins prématurée par les fidéles,) LA DELIVRANCE FINALE Partant de Vaicali, il se met en route pour le dernigre fois. Au bourg de Papa, il est invité par un humble disciple, le forgeron Cunda, ct prend chez lui son dernier repas. Son héte lui offre un plat dont la nature exacte préte & discussion : étaitce du pore ou des champignons dont les pores étaient trés friands ? Une récente étude de M. André Bareau (4) incline & penser que le terme sanskrit employé & ce propos s'est trouvé affecté d'une Iegire erreur de transcription gui en modifiait la signification ; son sens véritable scrait simplemeut : un « mets doux et bien préparé » ou « doux et pur ». La tradition souligne en outre que seul le Bouddha pouvait consommer ce plat : cette consommation représente son ultime communion avec le monde phénoménel, Ainsi, Yanecdote parait s'inscrire dans tout un contexte mythique ou mystico-philosophique : les sources traditionnelles semblent attribuer a Valiment offert au Bouddha la veille de son parinir= varia une nature extraordinaire, merveilleuse, sacrée, lui permet tant daccomplir Vexploit surhumain de I'Extinction supréme, qui le fait échapper définitivement au cycle des renaissances (5). (@) A.BAREAU: Recherches sur la biographie du Buddha, %.11,p. 251216, (5) A. BAREAU: Recherches sur la biographie dit Buddha, t 11, .251.216. 26 Le bouddhisme « tantrique » indo-tibétain Le Bouddha poursuit sa route vers Kuginagara, capitale du peuple des Malla. Ml y parvient au prix d'une marche pénible, coupée diarréts. A son arrivée, il se couche entre deux. arbres gala (teck), face & YOuest, la téte au Nord, sur le cOté droit, la Jambe gauche allongée sur la droite. Cette pose a souvent été représentée dans Viconographie. Aprés une dernitre exhortation A ses disciples, le Bouddha, qui est entré en méditation, s'éteint dans la troisiéme veille de la nuit. Sa mort aurait eu liew la nuit de la Pleine Lune de Karttika (novembre) 478 av. J-C. ou, selon autres sources, de Vaicakha (avrilmai) 479 av. J-C. La légende attribue au Bouddha des funérailles somptueuses, dignes d'un souverain universel, d’un monarque cakravartin et ponctuées d'événements miraculetx. Les Malla voulaient conserver pour eux seuls, en guise de reliques, les restes de son corps incinéré. Is s'opposent sur ce point’ aux peuples voisins, cul revendiquent leur part. Un conflit sanglant est sur le point d'éclater, La médiation du brahmane Drona réussit & éviter le pire + il divise les ossements en huit lots, dont on fait la répartition ; iu méme obtient Turne funéraire, tandis qu'un peuple arrivé ‘trop tard doit se contenter des charbons du bicher. Sur chacune de ces reliques, les peuples éleveront des stiipa commémoratifs, Si mous essayons de tirer une conclusion de cette rapide évocation de Ja vie du Bouddha CakyaMuni, d’aprés les recits waditionnels, nous dirons que ceuxct paraissent étre largement fictifs et concus dans un but d’édification des fidéles, de condi- tionnement psychologique préparatoire au choix de la vie monas. tique pour les plus 2élés d'entre eux. LES CONCILES ET LE FRACTIONNEMENT EN SECTES Aprés Ia mort du Bouddha, il fallait assurer la pérennité de Son emuvre et maintenir autant gue possible la cohesion de cous gui se déclaraient ses disciples. L’énergique Mahikicyapa, deja Gistingué par le Maitre du vivant de celui-ci, prit Vinitiative de convoquer un concile de cing cents arhant, Ce concile se réunit non loin de Rajagrha en 480 av. J.C. et aboutit & la détermination de deux corbeilles (pitaka) de textes canoniques faisant autorite et précisant : T'un la discipline (vinaya) des moines membres du Samgha, Vautre les enseignements oraux (siitra = mots enfilés) attribués au Fondateur de la religion, Plus tard, le Canon sera formé de « trois corbeilles » (tripitaka), car on Tui ajoutera YAbhidharma (Doctrine supréme), ensemble de traités qui fournit lun exposé systématique de la doctrine bouddhique, 21 Ala suite d'un second concile réuni & Vaieali pour condamner Ie relachement de la discipline monastique, les bouddhistes se scindérent en deux fractions : les uns prirent le nom de Mahd- samghika (« Ceux de la Grande Communauté +) et les autres de Sthavira (« les Anciens »). De nouveaux schismes se succédérent assez rapidement, a tel Point que, 380 ans aprés la mort du Bouddha CakyaMuni, on comptait, note Vhistorien tibétain Bu-ston, jusqu’a 18 sectes qui se distinguaient par leurs positions docirinales, certains détails de leurs vétements et des insignes particuliers. Du groupe des sthavira s'étaient d'abord détachés des moines qu‘on appelle vitsiputriya. Liorigine de ce nom est controversé peut-étre provientil du fait quills recurent d'un certain Vatsa ou Vatsiputra, brahmane converti, leur thése caractéristique. Celleci concerne Vexistence d'une sorte de personnalité per- manente (pudgala), qui transmigre & travers une série de vies successives. Une doctrine de ce genre, sous cette forme, est plus familitre au brahmanisme qu’au bouddhisme. Les sthavira restés fideles & Vorthodoxie se divisdrent & leur tour en sarvastivadin ct vijadnavadin, opposés sur la question de savoir si le passé ef le futur existe ‘au méme titre que le présent. Cette division se produisit, semble, sous le regne du grand roi Agoka, protecteur du_bouddhisme, & Tissue du concile de Pataliputra (3 siécle av. I). Chacune de ces trois écoles engendra de nouvelles subdivisions Yune des sectes les plus importantes, issue des vatsiputriya est celle des sammitiya, Quant aux mahasamghika, ils étaient beaucoup moins conser- vateurs et moins exclusifs que les sthavira. Us admettaient dans Jour Communauté, Ieur Assemblée de fidéles, non seulement des moines trés avancés pour la réalisation du salut spirituel, mais, aussi des adhérents Iales, des chefs de famille. Tis faisaient un accueil plus favorable aux femmes, que le bouddhisme originel avait eu tendance tenir & V'écart. Du point de we doctrinal, certaines de leurs innovations sont’ importantes et vouées 2 ut grand développement. Notamment, il magnifient le caractére sur- naturel et supramondain du Bouddha historique et croient en la covxistence d’innombrables Bouddhas dans une infinité de mondes. Les mahdsamghika se sont divisés de bonne heure en plusieurs geoles, dont la principale est celle des lokottaravadin. (Ce mot fait allusion au caractére supramondain, lokottara, du Bouddha). 28. Le bouddhisme « fantrique » indo-tibétain Les mahdsamghika furent sans doute & Vorigine d'un nouveau courant de pensée qui prit une extension considérable et recut Je mom de Mahayana, < Grand Véhicule », par opposition aux adeptes de Yancienne école appelée souvent & Tépoque, par déni- grement, Hinayaina, « Petit Véhicule », clestardire inférieur, de moindre capacité et de moindre valeur. LE MAHAYANA OU GRAND VEHICULE DE SALUT Le Mahdyans, dont la littérature devint abondante, ne proposait plus Tidéal cu salut individuel, quelque peu égoiste, mais celui du dévouement conscient au salut universel, & le délivrance de tous les étres sans exception. C'est pourquoi, il fit une place considérable a Ja notion de Bodhisattva : « Vétre & éveil », desting a VEveil, qui, pour sc consacrer_ au salut des autres, ‘renonce provisoirement & devenir un buddha, un « éveillé > parfaitement accompli et retiré du monde dans le nirvana. Tout mahiydniste ayant congu la pensée d’éveil (bodhicitta), Cestadire tourné son esprit vers I'Bveil spirituel, et résolu en méme temps de se vouer au salut d/autrui est un bodhisativa A ce titre, il est jugé supérieur aux adeptes du Hinayana, préoc- cupés uniquement de leur propre Hbération et qu’ion appelle gravake, simples auditeurs (de la Doctrine). Le prestige des bodh. sattva s'accrut auprés du peuple, en raison de l'abnégation qu’ils professaient, et avec le temps leur idéal s'incarna dans de grandes figures symboliques qui firent l'objet d'une vénération de plus en plus intense, tout comme dans les religions brahmaniques (ivaisme, vishnouisme) se développait Ia Bhakti, la dévotion totale et ardente envers une divinité salvatrice. Les principaux de ces mahdbodhisattva (« grands bodhisattva ») suut Maitreya, Manjugri, Avalokitecvara, Maitreya es: le futur Bouddha de notre monde, ob il doit venir censcigner de nouveau la Doctrine aux hommes. Comme lindique son nom en scaskrit, il symbolise la bienveillance, Tamour. En attendant d'apraraitre sur Ia terre, il régne dans le Ciel, parm Tes dieux tusita, les « Satisfaits >, Maiijucri, « Fortune ou Splendeur suave », est la figure d'un prince éternellement jeune, Seigneur de la Parole, Maitre de sagesse et de connaissance. Sa popularité sest effacée devant celle WAvalokitegvara, qui devint prodigiense. histoire 2 Avalokitegvara personnifie la compassion, une des vertus car- dinales du bouddhisme. Le sens de son nom demeure incertain et controversé. L’équivalent tibétain : spyan ras grigs (Tchenréz!) fait allusion & ses yeux qui regardent (le monde des étres soul frants). Emanation du Bouddha de la Lumiere infinie, Amitdbha, il est le Sauveur par excellence, que l'on n'invoque jamais en vain dans tous les périls de la vie. Identifié & I'univers entier, par une transfiguration gui rappelle celle de Krishna dans Ja Bhagavad Gitd, il est aussi a Vinstar de Civa le « Seigneur du monde » : Lokecvara; \e bouddhisme tardif en fait un grand magicien. On lui attribue la mystérieuse formule : OM MANI PADME HUM qui peut s‘interpréter de multiples maniéres et dont la valeur Dienfaisante et salutaire est immense. Ces bodhisattva, d'autres encore, tel Samantabhadra, « Celui gui est favorable a tous égards », Vajrapani, « Celui qui tient un foudre a Ja main », sont considérés comme des étres d'un tres haut niveatt spirituel, pratiquement & égalité avec les Bouddhas. Mais, selon Ia croyance populaire, ils ont préféré s'abstenir datteindre Je but supréme, l'état du Bouddha, parce que cet état est totalement dépourvu de liens avec le monde et ne permet plus d'agir directement sur lui. Or, par amour et compassion, ils souhaitent améliorer le sort des créatures souffrantes, leur faci. liter Yaccts au bonheur, & la vie spirituelle, a létat de Bouddha, Les ptlerins chinois qui visittrent "Inde bouddhique du 5* au 7" sigcles ont soulignés dans leurs récits de voyages le déve- loppement du culte des mahdbodhisartva et notamment celui ’Avalokitegvara. Ce dernier est représenté sur les peintures des célebres grottes d’Ajansa dont certaines peuvent étre du 5° siécle. La dévotion populaire s'adressait également anx Rrddha, dont Je Mahayana multipliait le nombre a Tinfini, attribuant 2 chacun deux un certain champ limité d’influence au sein duquel il enseigne le dharma (la Doctrine) aux étres des six états d'existence reconnus par le bouddhisme (enfers, monde des esprits malheu- reux, des animaux, des hommes, des puissances titanesques, des dieux). Les « champs de Bouddha » (buddhaksetra) innombrables sont des univers mystiques, purs et transcendants (les Terres pures) ou impurs, lorsqu'ils correspondent aux divers systemes du monde naturel, Le culte concernait les images des Buddha et des Bodhisattva, les livres sacrés et des monticules artificiels, sorte de tumulus — = 30 Le bouddhisme « tantrique » indo-tibétain d'une forme particuliére, appelés stdpa, qui étaient censés contenir des reliques. Les cérémonies, a Yimitation de celles des Hindous, comprenaient des offrandes diverses, des bains de Timage sacrée, des processions plus ou moins spectaculaires, des promenades faites autour de l'objet sacré qu'on garde & sa droite (pradaksina), ete. LA LITTERATURE DU MAHAYANA Parmi les nombreux textes du Mahdyana, nous rappellerons (6) abord ces vastes collections de sitzra : le Lalitavistara (une vie \égendaire du Bouddha Cakya-Muni depuis sa derniére existence antéricure jusqu’au Sermon de Bénar’s, qui inaugure son ensei- gnement), le Saddharmapundarika (¢ Lotus de la Bonne Loi »), le Lankavatara, le Samadhiraja, le Suvarnaprabhdsa, le Rainakiiga ( Amas de joyaux »), etc. Deux Sukhdvativyttha (« Développement sur THeureuse (erre) ») décrivent une sorte de Paradis : La Terre du Bouddha Amitabha, appelée Sukhavati : « Heureuse », et exaltent ce Bouddha, qui tiendra plus tard une grande place dans le bouddhisme tibétain et lamidisme japonais. Un Karar- davyitha (« Développement sur la cassette ») en prose et un Gunakarandavyitha (« Développement sur la cassette des qualités ») cn vers relatent les mérites et les miracles d’Avalokiteevara pour Je salut des étres. Ilest difficile de savoir exactement & quelle époque a commencé Ig rédaction des premiers textes mahiiyaniques. Selon les historiens tibétains (Bu ston, Tarandtha), ils sont d'origine surnaturelle et des bodhisattva supramondains (Mafijugri, Maitreya, Vajrapaal, etc) Jes ont révélés aux hommes, notamment sur Ia montagne appelée Vimalasvabhava (ou Ghrdhrakitga, le Pic du Vautour), au sud de Rajagrha. Cette prédication a commencé a partir’ du Concile du Cachemire rémni sur V'initiative du eouversin Kanigha "2" sitcles de notre exe), Les premiéres traductions chinoises de ces testes, confitme ‘M. André Bareau (7) « remontent au début du II siécle de notre ére et peutétre a la fin du II™ sitcle, ce qui laisse sup- poser que les originaux sanskrits ont dé étre rédigés un ou deux sitcles plus tét ». Divers indices inclinent & penser que le Ma- hyana prit en fait naissance dans I'Inde méridionale, en pays Andhra (région d’Amaravati), qui était Ie principal foyer de la (6) I. RENOU et J. FILLIOZAT : E'Tnde classique, t IL, ch. XY, (7) A BAREAU : Les Religions de Unde - TI Bouddhisine. 31 seote des Mahdsamghika, (Les vestiges archéologiques découverts en pays Andhra : Amaravati, Nagarjunikonds, confirment le vi- goureux développement que le bouddhisme y avait atteint) Le Mahayana devint une forme reconnue du bouddhisme au temps de Kaniska et se répandit dans toute Vinde du Nord aux 1* et 2m sitcles, atteignant son apogée avec les grandes ceuvres philo- sophiques qu'il inspira & Nagarjuna, Aryadeva, Asaiga et Vasu- ‘bandhn, LES PRAJNAPARAMITA Le noyau essentiel de toute Ia littérature mahayfnique est constitué par le groupe des Prajfiapdramitasitra : le terme sanskrit prajfapdramita signifie Vextréme (pdramita) de V'intel- ligence ou plutst de la sagesse snostique (praji), c'est-idire la connaissance transcendantale, celle qui va audela des apparences, Selon la tradition, les éerits sur Ja prajfidparamita viendraient du Sud-Est de Vnde, de Ja région du Dekkan sise entre les fleuves Godavari et Krynd, pres des villes d’Amaravati et de Nagir- jumikonda. On les distinzue généralement par leur étendue. La plus Jongue aurait eu 125000 stances ou périodes en prose de longueur équivalente, nous ne la possédons pas. Mais nous en avons en sanskrit de 100,000 stances, de 25.000, de 700, de quel ques syllabes. Une des plus célebres est la Vajracchedika, « Celle ‘qui fend comme la foudre » ou « qui coupe comme le diamant ». « La plus courte Prajiiaparamita », dit M. Jean Filliozat, « est YEkaksari, « Celle qui a une syllabe’», & savoir la syllabe @ qui symbolise toute la doctrine en tant que son élémentaire, base de toute expression verbale, et aussi, apparemment, par la valeur privative que, préfixée, elle a en sanskrit et qui convient pour représenter une doctrine négatrice comme Test celle des Prajfia- pamamita » (8). Doctrine négatrice, évidemment, du monde illu- soire des phénomenes. Car, les Prajiiapframiti ne se contentent plus de souligner, comme les écoles anciennes du bouddhisme, Timpermanence des choses, elles insistent sur le fait que ces choses, tous les phéno- ménes'perceptibles aux sens, toutes les facultés et toutes les constructions mentales, sont « vides d’étre propre » (svabhava- eanya}, n'ont qu'une vérité d'apparence, alors que la réalité (@ L. RENOU et J. FILLIOZAT:: Op. cit, 11, p. 373, 32 Le bouddhisme « tantrique » indo-tibétain essenticlle, absolue, se situe dans un au-dela, une trancendance, accessible seulement par lexpérience intérieure conformément aux gnseignements du Bouddha. Cette théorie de Ia vacuité universlle a servi de base aux développements doctrinaux des grandes éeoles Philosophiques du Mahdydna. ® FORMULES MAGIQUES ET MANTRA Outre les sittra et ces textes doctrinaux, dont nous aurons & parler plus tard, on trouve aussi dans la livterature mahiyanigue un type de texte trés court qui est selon toute vraisemblaces one forme primitive des mantra, les formules magicomaystigues éhicule de Diamant. Ce sont les dharani (c porteoscs s) er vidhyardjm (« reines du savoir »). pe re Les mahasamghika disaient déja : « En un seul son le Bouddha a exposé toutes ses doctrines » (9). Cest dans cet esprit, semble- {que furent produits des textes de plus en plus abrepés, faciles apprendre par cur pour les réciter régulitrement avee une ferme conviction de leur efficacité, . Léérudit indien B. Bhattacharyya, éditeur de tantra, cite & cet égard Vexemple du bijamantra (la syllabegerme) : pram, qui symbolise Ia Prajndpdramita. Les énormes recensions primitives de celle-ci ont été successivement abrégées pour en arriver & une Prajadparamiti-dharani, puis & un Prajiapatamiti-mantra et enfin aun ra: pram. Celuici permet au dévot. tantrique cl'évoquer le Prajaiparamita, qu'il tient pour une veritable divinité, dove d'un pouvoir magique et spirituel. Certaines de ces dharani sont des charmes protecteurs contre les ‘serpents, Jes démons, Te péché, les maladies, les animaux sauvages et les insectes dangereux. On les groupe sous lappellation wollective de Paricarakstta, « La Quintuple protection ». Particulit- rement populaire est la Mahamayuri, la dharant du paon, traduite en chinois dis le 4" siécle, puis en tibétain, Diune tenitre générale, les dharani (« porteuses »), dont om est protsblement une abréviation de Fidigaditrog ones teuses de savoir (magique) », servaient de supports a la pratique religicuse. Leur évolution en mantra (« outils de pensée »), 2 des fins magiques ou mystiques correspond a une tendance ancienne (9). CONZE : Le Boudatisme dans son essence et son développemes PUB, et A. BAREAU : Les Sectes dis Petit VaNeular pose remens Uhistoire 33 dans Inde, qui remonte & 'époque védique (incantations magiques de l'’Atharvaveda) ou & celle des Upanigad (symboles sonores du type OM condensant I'essence des spéculations et des expériences transcondantales), AUX ORIGINES DU VEHICULE DE DIAMANT Liutilisation des mantra prit une grande extension vers le 7 sitcle : c'est du moins ce qu'attestent les nombreux recueils manuscrits qui en ont été faits & cette époque. On réserve souvent Je nom de Mamtrayana & cette premiere phase du Véhicule de Diamant, qui vit aussi se développer, dans le bouddhisme comme dans Vhindouisme, l'emploi d'autres supports, d'autres procédés de concentration de esprit dans un but magique ou zy: Ces procédés sont les mudra, gestes rituels, positions des mains diverses et plus ou moins compliquées, les yantra et les mandala, diagrammes peints, gravés ou implement tracés sur le sol avec du riz ow de la poussitre colorée, du fil ou des cailloux. Les cercles magiques (mandala) servent & figurer, soit directement, soit symboliquement, des divinités dans leurs relations entre elles et avec les forces constitutives de univers Les écoles anciennes du bouddhisme admettaient déja Vexis- tence des dieux, étres d'une catégorie supérieure, hiérarchisés entre eux selon qu'ils sont plus ou moins éloignés du monde des désirs et des apparences matérielles. Si leur condition est relativement devée et leur durée d'existence fort longue a ’échelle humaine, ils sont néanmoins soumis au déclin et 2 la mort, Le Mahayana reconnatt les mémes divinités que les écoles anciennes et il a tendance & en introduire de nouvelles. 11 faut noter surtout Vapparition des divinités féminines, dont la pré- sence revit une importance estentielle pour le bouddhieme tardif du Véhicule de Diamant. On ne les trouve pas dans les premiers textes du Mahiyina, mais nous avons vu & propos de la Praji piramita que certains de ces textes furent euxmémes personnifiés par la suite sous la forme d'une divinité. La principale des nouvelles divinités féminines est Ti « TEtoile » ou « Celle qui fait traverser (le fleuve des transmé erations) ». Son culte est attesté avec certitude au 7 sitcle. En sa qualité de divinité salvatrice, elle fut associe au Bodhi. sattva Avalokitevara et fit Yobjet de multiples potmes de Touange et d’adoration (stotra) : le plus connu est celui du Cache- mirien Sarvajfidmitra : le Sragdhardstotra (8 siécle). es Le bouddhisme « tontrique » indo-tibétain Le Karandavytha, glorification d’Avalokitecvara, ne mentionne pas Tard, mais il indique que le « Grand Seigneur », cestavdire Giva, et sa compagne Umi sont des dévots d’Avalokitecvara. La subordination de divinités brahmaniques ou populaires aux per sonnages principaux du panthéon bouddhique sera accentuée et systématisés par le Vehicule de Diamant, Notons aussi que le couple Mahecvara-Uma, introduit dans Je Mahayana a pu servir de modéle et inciter & associer des partenaires féminins aux Buddha et aux Bodhisattva. Tout comme ceuxci, la déesse Tara apparait sous des formes multiples et des noms divers. On. les distingue par leurs couleurs (vert, blanc, jaune, rouge, bleu) et par leur aspect pacifique ou terrible. On croit que le personnage de Tara et son iconographie dérivent de Ia divinité hindoue de Ja fortune et de la beauté : Laksin (10). LE BOUDDHISME DANS L'INDE DU 7™ SIECLE Avant de passer & Thistoire proprement dite du Vajrayana, i est intéressant de voir quelle était Vimplantation du bouddhis. me dans nde au moment ott le Mabayina, apres avoir atteint Yaposée de son développement, commencait a décliner, tandis que le Véhicule des Formules prenait son essor. Nous étudierons aussi une institution remarquable et caractéristique du oud dhisme & cette époque : les grandes universités, Une source essentielle pour connattre la situation religieuse de T'Inde & cette époque est Ie récit qu’ont fait de leur voyage, Tespectivement au début et a la fin du 7™ sitcle, les pélerins chinois Hiuan-Tsang et Ising. Le premier, surtout, a laissé une relation détaillée, région par région, de Tétat dans lequel il a trouvé Ia religion bouddhique, dont il était un adepte fervent. Le Vouddhisite s'étalt repandy_au_Nord- Ouest (Gandhra, Cachemire, etc}, au centre (vallée du Gange et particuliérement Je Magadha), & TEst (Bengale, Orissa), et au Sud (@ travers tout le Dekkan, jusqu’a Vextréme pointe de la péninsule), Il avait toute- fois subi de graves dommages dans certaines régions (Nord Ouest) du fait des invasions destructrices des Huns Hephtalites au 6™ sitele, Cest ainsi que le Gandhara, ot Yart avait été florissant et ‘ott de grands Maitres (Asaiga, ‘par exemple) avaient illustré Ja (10) GRUENWEDEL : Mythologie des Buddhismus, p, 142 Vhistoire 35 Doctrine, était désormais couvert de monastéres en ruines « rem- plis dherbe sauvage et n’offrant qu'une triste solitude ». Plus au Nord, la valléc du Swat connaissait un destin identique, Pourtant, Je Mahayana y avait éé trés prospére et la méditation fort en honneur. Les habitants de cette vallée, note Hiuan-Tsang, ont fait de la science des formules magiques « un art et une profession », Cette observation tend a confirmer 'idée assez communément admise aujourd'hui, selon laquelle la région du Swat serait Vénigmatique Uddiyana, qui fut Yun des berceaux du bouddhisme tardif, du Véhicule des Formules (11). Le Magadha conservait un profond respect pour la Loi du Bouddha : ses milliers de religieux appartenaient en majorité au Grand Véhicule. Dans la petite ville de Gay, Hiuan-Tsang vit Yarbre sous lequel Cakys-Muni avait atteint la bodhi (VEveil), bien que cet arbre ett té l'objet des outrages du roi Cacaiika, féroce ennemf du bouddhisme. TI se dressait au milieu d'un enclos et pris de Ini étaient le « Sige de Diamant » (2) (Vajrasana) du Bouddha ou Bodhimandala, considéré comme le centre éternel de Tunivers, ainsi que des statues d’Avalokitegvara. Non loin de la s'élevait le temple commémoratif de Mahabodhi (le Grand Eveil), construit au 6™ sitcle, qui existe encore de nos jours. C'était alors un magnifique sanctuaire aux murs de briques bleues enduits de chaux et creusés de niches contenant chacune un Bouddha en or. Le monastére voisin, édifié par un roi de Ceylan, abritait un millier de moines. Hiuan-Tsang nous a Inissé aussi une description évocatrice et colorée du grand centre monastique et universitaire de Nalanda, fondé au 5® sidcle par ‘un empereur Gupta et situé a moins d'une centaine de kilombtres de la ville actuelle de Patna dans Je Bihar (ancien Magadha). Le bouddhisme avait souvent bénéficié des faveurs de la dynastic des Gupta A Vépoaue de Hiuan-Tsang. il fut protégé et encouragé au méme titre que le civaisme par le grand souverain Harsa (606-647). Au Bengale, un brillant avenir allait encore Ini étre assuré aprés Yavnement de Ja dynastie des Pala (8 sitcle), qui lui accorda largement son appui, su moment méme ott la pratique religieuse fondée sur les tantra devenait prépondérante. Cest TM Jegm NAUDOY dons és Modltine de POxieaGe Sine os te er Moyen Age, p38 12) Get enroit, ot te Bosna Cake Mind obtint YEved, st, gt « en (?) Gmaat's paste qui es intangible, nkeeble, ndestscul 2 une mise au point de ce * Les Boudahistes Raimiriens 36 Le bouddhisme « tantrique » indo-tibétain Pourquoi, le Véhicule de Diamant connattra un développement important dans cette région et y exercera une influence profonde et durable. De méme, en Orissa une dynastie favorable au boud. dhisme prend le pouvoir & partir du 8* sidcle. Dans I'Inde du Sud, au contraire, la protection des rois tend & se détourner du bouddhisme au profit de Vhindouisme ou du jainisme, Néanmoins, Hiuan-Tsang signale encore des groupes de moines du Grand ou du Petit Véhicule en Andhra, & Dhinyakataka sur la Krignd, en pays dravidien (Kaficipuram), au Konkan (Nord du Mysore), etc. MONASTERES ET CENTRES DE HAUT SAVOIR La fondation et entretien des monasttres bouddhiques dépen- daient essentiellement de dons que leur accordaient les rois, les hhauts fonetionnaires et les riches marchands. Cette situation avait existé des le vivant du Bouddha Cakya-Muni. Selon Hiuan-Tsang, Vorigine du grand vihdra (monastire) de Nalanda fut un jardin’ de manguiers « qui appartenait a un riche maitre de maison. Cing cents marchands Yachetérent au prix dun million de pices d'or et le donntrent au Bouddha » (13). Plus tard, le roi Cakraditya, qui serait, semble-til, Mahendraditya Kumaragupta 1" (c, 415455) y construisit un premier couvent. Son fils et successeur Buddhagupta en bétit un second au Sud, Je roi Tathagatagupta un troisitme & VEst, le roi Baladitya un quatriéme au Nord-Est. Le fils et successeur de Baladitya fat le roi Vajra, qui construisit un autre monastére a TOuest, et au Nord de celuici un rot de "Inde moyenne, qui serait l'erpereur Harga, érigea un vaste monastére. « Puis, un haut mur d’enceinte fut bati autour de tout 1'établissement avec une porte principale, probablement par le méme roi de I'Inde moyenne.» (14). Des souverains de pays différents concouraient & Ventretien du vaste ensomble monastique. Ce furent au 7™ sitcle : outre Vempereur Haga, le roi du Magadha, celui du Kamariipa (Assam) et peutétre un roi du Népal, au 8" sitcle : les rois Pala du Bengale et seus doute le roi du Tibet K’ri sron Ide bisan, Le roi du pays ob etait situé Nalanda Ge Magadha) accordait le revenu ©) Tine da Boudtha vue par des piterns chinois sous ta dynaste Tay (WE sieete) p. 228. bes * (94) 3OSH (Lalani) Seudies inthe Buddhistic Culture of India (Dur the 7th and 8th Centuries A.D), p. 84, a ° 7 histoire 37 de cent villages pour V'entretien des moines. A I'époque de Ltsing (fin du 7 sidcle), ces revenus avaient doublé et concernaient deux cents villages. Le pélerin chinois décrit en détail le monastére dont Y’ampleur et la beauté Vont frappés. « La configuration de ce monastére est & peu prés celle d'un carré comme la Terre. Des quatre cétés, le bord droit et saillant du toit forme de longues galeries couvertes qui font le tour de l'édifice. Tous les batiments sont en briques; ils se composent de trois étages superposés, chaque étage étant haut de plus de dix pieds. Les poutres transversales sont reliées par des planches et il n'y a ni chevrons ni tuiles, mais avec des briques on a fait une esplanade; tous les temples sont parfat tement alignés et on peut y aller et venir & son aise... Quant aux habitations des religieux, il y en a neuf par fagade; chaque habitation a une superficie d’environ dix pieds carrés... La porte du temple est tournée vers l'Ouest; son étage supérieur s'envole dans les airs et donne le vertige... On y a sculpté des images lleuses dont la beauté a épuisé Vart de Yornementation... Il n'y a pas moins de huit temples ainsi construits. En haut, tous ont une terrasse plane et on peut y passer. Leurs dimen. sions sont respectivement semblables. Au cOié Est de chaque temple on a choisi un batiment tant6t, simple tantét triple pour y placer les images saintes ou bien, & une distance variable en avant de ce méme cdté, on a élevé un observatoire en forme de terrasse qui sert de salle de Bouddha... » (15) La présidence du monastire est attribuée en fonction de Vencienneté, non du mérite. Une charge importante est celle de « gardien du temple >, Ceuxci, & tour de réle, « font observer les rigles, gardent les portes du temple et vont annoncer les affaires a Vassemblée des religieux ». Les décisions doivent étre prises & Tunanimité, Les souverains ont pourvu les monastéres dhorloges & eat, et de jeunes serviteurs sont commis pour observer et annoncer Jes heures au moyen d'un tambour et d'une conque. « Le nuit se divise en trois parties ; pendant la premitre et la dernitre, les régles ordonnent de se livrer 8 la contemplation (dhyana) 2m psalmodiant ; pendant la partie intermédiaire, on fait ce qu'on ‘veut > (16). 5) ETSING : Mémoire... Chavannes,p. 8587, - Les fouls archéo importance et ia grandéur du centre moras: 38 Le bouddhisme « sntvique » indo-tibétain Les cérémonies quotidiennes comprennent chaque matin le bain des statues de Bouddha auxquelles on offre de Vencens et des fleurs, aprés avoir allumé des lampes. On fabrique de petits sanctuaires, des images d'argile ou imprimées sur soie el sur Papier, pour ensuite les vénérer au moyen d’offrandes. La répéti- tion du nom de Bouddha, Is méditation et les chants sont pratique courante. Le soir, tous’ les moines résidents sortent de leurs chambres pour faire trois fois le tour d'un stpa. Ils chantent des hymnes & la louange de Bouddha. Puis, il vont écouter dans Jeur salle commune la Jecture d'un texte sacré, faite par un récitant monté sur un trone, le « sige du lion » (sithdsana). Le centre monastique de Nalanda était aussi ce qu’on appelle de nos jours une université : le lieu d'enseignements divers ct de recherche intellectuelle au plus haut niveau. AA cet effet, on y trouvait de vastes salles de cours, des hotel levies pour les étudiants et des pavillons pour les professeurs, un personnel de service et de surveillance. Une ferme pouvait fournir es aliments frais. TL y avait un grand jardin, un observatoire astronomique, des bibliothéques riches et spacieuses : selon les Tibétains, trois énormes magasins de livres dans un endroit appelé « Trésor de la Doctrine » (Dharmagaiija). L'un d'eux, le Ratna. sigara (« Océan de joyaux 2) contenait les prajidparamitd siitra et les manuels tantriques. Les érudits et les traducteurs étrangers y venaient prendre copie de textes religieux fondamentaux sur des versions d'une qualité garantie par V'examen des spécialistes compétents. Pour se faire agréer comme éléve, il fallait franchir le barrage dune sélection sévére, car les étudiants étrangers affluaient. « Si un homme d'un autre pays voulait enter et prendre part aux conferences, le gardien de la porte jui adressait des questions difficiles. Le plus grand nombre était réduit au silence et sen retournalt. Tl fallait avoir approfondi les livres anciens et mo: dernes pour obtenir d'y entrer. En conséquence, les étudiants qui Yoyageaient pour leur instruction avaient & disserter longuement pour montrer leur capacité; il y en avait toujours sept ou huit sur dix qui se voyaient éliminés » (17). Le titre dancien éleve de Nalanda était fort apprécié et certains individus ne manguaient pas de se l'approprier indiiment pour se faire valoix, Les enseigmements couvraient des sujets multiples (une cen- (1) Linde gu Bouldha yue par des plerins chinois sous ta dynastic Tang Wit Siete p. Boe a Lhistoire 39. a8 taine), formant autant de chaires différentes, et les étudiants les suivaient avec assidulté, choisissant les cours qui leur conve. naient Hiuan-Tsang, dés son arrivée, prend contact avec le Maitre Saddharmakosa (Cilabhadra) et lui exprime son intention d’étudier sous sa direction le Yogacastra. Aprés avoir été Je principal foyer d’érudition du Mahdyana, Nalanda devint un de ceux du Vajrayana, au fur et & mesure que celui s‘imposait. Une autre université eélebre, celle de Valabli, rivalisait avec Nalanda et soutenait les vues du Hinayana. La plus importante université propre au bouddhisme tardif fut fondée par le roi Dharmapdla (770810, selon RC. Majumdar) ® Vikramacila dans le Bihar, sur la rive droite du Gange (selon Sum- pa mKhan-po). Elle comptait cent-huit temples et six établissements dense gnement. Centhuit (toujours ce chiffre sacré) pandita (érudits) formaient le corps professoral, entretenu par l'Etat. Sur centhuit salles, la moitié environ était réservée aux pratiques du Vajrayana et Tautre moitié aux usages généraux. Nombreux furent les Tibé- tains qui fréquenterent cette université, of ils pouvaient mener & bien leur grande entreprise de traduction des textes sanskrits en tibétain, Luniversité d'Odantapuri, fondée également par Dharmapala, était aussi vouse au bouddhisme tantrique. Elle est moins impor. tante, mais eélebre pour avoir servi de modéle au premier monas- tere tibétain, celui de bSam Yas (Samyé). A Somapuri, Dharmapala Gtablit encore un vihdra (monastére), dont on a retrouvé la trace par des fouilles archéologiques. Les grands centres monastiques d’érudition et de recherche ne se bornrent pas & diffuser le culture religieuse. Ils formérent aussi des jeunes gens qui ne se destinaient pas A la vie monastique et retoirnaient dans le monde. Cette tache fut particuliérement appre cige des souverains protecteurs, qui pouvaient recruter parmi ces leves le haut personnel de leur administration. A Nalanda, Hiuan- Tsang étudie non seulement la philosophic, mais aussi la gram maire, la logique, la médecine, I’Atharvaveda. Les programmes étude impliquaient tout ce qui répondait aux besoins de Ia société alors. La philosophic da Makdydna constituait toutefois le fonds commun de lenseignement. LA VICTOIRE DU VEHICULE DE DIAMANT LES TANTRA BOUDDHIQUES A partir du & siécle, le Vajrayana Yemporte. Sa doctrine et son 40 Le bouddhisme « tantrique » indo- tain rituel sont élaborés, mis au point, a Nalanda, Odantapuri, Soma- puri et Vikramacla. Les éeudes ne sont pac parement fhecriseens Felevesecompit ss ste et pratique le cite miorenee ee décrites dans les ee de sddhana (procédé de réalisation mys- tique ou magicue) Les écrits tent le nom gene quement & des in: irect de maitre (eeservé & un nom! tuant Ja littérature propre du Vajrayina por ae de tantra. Ils sont en principe destings tote 2és qui regoivent & leur sujet un enselgnement disciple, secret (skt. guhya, tib. gsatt), ésotérique ‘estreint de personnes suffisamment qualifiges), Précisons bien cue cet enselgnement est « secret » uniquement Parce quil est t-so:mandé de ne pas le wanomettre came dee ment & des gen: isqueraient de I'entendre de travers, ce qui Jews ferat du tor. at « esterigue » pour la mene seers cate fs compréheson exige un esprit bien dou et forme pe ot Le mot tantr sorizontale-7 tendre », il var référence au tissage, veut dire texture, fil £ et verticalement. Dérivé de la racine TAN, ‘e dune manitre générale textes pour Ia dif- on d'une connaissance, horizontalement dans nent dans le temps. exprétations (Guenther), le mot tantra signifie tout ce qui existe, la contimuité dans Vinter. de Veet. Mais, il est probable qu'll s'agit de sens originel de tantra est texture, tisstr puis fait sans dout allusion ausi& ia «texture > xe & celle de l'ndividu, notions dont on trouve trace deja dans les “panigad anciennes omens Le mot a fini p: vappliquer d'une manigre préférentielle A des traités techniques c. pratique religience rancernant notamment ik oles, la fabrication des images cultuelles, In serées, le rituel d'évocation de divinites dane Selon d'autres Vinte-dépendance © acvion de la cavs, uurajoutées , systéme, L de Funivers, hom sovin magiqu: s mystique, ete, Doi, par un certain abus de laneage, 'expressio: « tantrisme », en soi plutot vague ct confuse, Le systéme de p.usée et de pratiques qui s'épanonit dans les Janira sa pas surg spontanément a un moment précis. I repre. gente l'sboutissemes. de tendances anciennes, nous Tavous dé wa & propos des dhdrar.. ot des mantra Lime des notions qui prennent un reli particulier dans cet Phase de Tevoution religieuse de Thindouisne coma an yet Vhistoire ey dhisme est celle de Ta corrélation existant & tous les niveaux entre Vindivider (microcosme: monde en réduction) et Funivers (macro- cosme: grand monde), Cette idée est déja fondamentale dans Ten- seignement des Upanisad (6°3* siécle avant notre ére), dés I'Aitarya Upanisad, encore tres proche du Veda par ses conceptions (78), la Brhadaranyaka Upanisad ot In Chandogya Upanisad. On sait que, scion le Veda, I’Etre primordial ou Homme cos- mique (purusa) s'est fragmenié lutméme pour donner naissance au monde des formes multiples. La conscience primordiale, Patman, acteur et témoin de ce processus, reste présente, selon le brahma. nisme, au plus profond de tout &tre animé, dont elle est Te support essentiel en tant que Principe spirituel. Les énergies mises en cet vre lors de la manifestation de 'univers, les « divinités » (devat@) « représentent & la fois les forces cosmiques dans le macrocosme et les fonctions de Véire humain » (19). Leur répartition dans Thomme est « symétrique de celle qui était la leur dans le Parusa » Lienseignement des Upanisad veut permettre & Vindividu de xéintégrer 1a conscience infinie du Principe spirituel : c'est dja un enseignement secret, « ésotérique », communiqué par un instruc- eur qualifié (dcarya, guru) & des disciples avaneés sur le chemin de la connaissance ct soumis & une discipline particuliére, Cette Aiscipline est le fondement nécessaire du sadhana, de la méthode de réalisation par expérience directe (anubhava) de la Vérité abso- lue, libératrice par rapport au monde illusoire des phénoménes. A cet égard, les tantra se distinguent des Upanisad par le fait qu'au lieu dimpliquer, dans leur discipline propre, le renoncement au monde, ils visent en principe 2 concilier Ia jouissance (bhoga) du monde et la délivrance (moksa). Toutefois, il s'agit moins, sauf dans les cas extrémes et aberrants, d'une jouissance matérielie, sensuelle, que d'une joniseanee suhlimée. Ce que nous dieons Ih concerne évidemment les fins les plus élevées, de caractire mys- tique, que se propose la pratique religieuse fondée sur les tantra. Mais ses objectifs n'étaient pas toujours aussi désintéressés et pour beaucoup de dévots, notamment a lorigine, il s'agissait sur- tout dobtenir des pouvoirs merveilieux (siddhi), ume protection contre certains dangers et Ja réalisation d'intéréts particuliers. Car les tantra sont en rapport direct avec la mentalité magique, seus (18) LHindowisme... Testes recuelis et présentés par A. M. ESNOUL. - Paris, 1972 ~ p. 43 et sulv. (19) ibid, 9. 48. 42. Le boutdhisme « tantrique » indo-tibétain doute aussi ancienne et aussi universelle que "hum: son am que V'humanité dans feo Stovance & Vefficacité magique de paroles, de gestes, de litur- gies complexes n’est pas dépourvue de logique dans le cadre d'un systéme comme celui qu’élaborent les tantra de correlations, diden, tifcations multiples entre les forces constitutives de Vindivida et celles de univers, sg Toutes les puissances apparemment mystérieuses qu'on voit & Vuvre dans les citconstances wariges de la vie etaient love percone nifiges en de nombreuses divinités. A leur propos s'est ellectue au cours du temps un travail de réflexion quia permis de les définir quant leur role et leurs attributs, de préciser jusque dans le /s méme pour ceux qui ont un comportement vie ‘ceux, cruel, ismoral, et le Bienheureux Seigneur développe les themes prac soux de usage d'une conduite mauvaise, attachée aux passions, = ia jouissance du monde, et des actes les plus scan- dulsux ou les plus repoussants en vue du salut. On a préer mais cette v arigue port attribuer le Guhyasamija au philosophe Asaiga, vest gure fondée, Lattribution & un maitre tan- > nom de Nagarjuna serait plus vraisemblable, si Yon powvait ‘= sir que ce Nagirjuna n’ 2 a vraiment existé, car tout un cycis “aditionnel de commentaires du tantra se dit concu Gapres la rm ode de Nigirjuna. Un autre cycle, il est vrai, est atwribué & us saitre du nom de Jianapada (ou Buddhagrijnana). cur Tucci (Tibetan Painted Scrolls), le Guhyasamaja certaines avec I'Uddiyiina et Ie roi Tndrabbiiti: son lies dorigin: “cait ainsi tres probablement la vallée du Swat et fi daterait cc ~ ou du & sitele. Plusicurs ores tantra sont également présentés comme des Souddha et revendiquent la méme authenticité que siitra dx, | hdydna. Tis sont désignés d’aprés la divinité qui y sent le réle » cipal ou Feffet que produit leur emploi. LEkavir, L'Unique Héros », est écrit en vers sanskrits avec Gues stro 5 d’apabhramea (vieux bengali). Le Hevajratantra centré =: a divinité Hevajra et sa partenaire Nairarmya. La aigre pe onifie Tinvocation He Vajra = Oh} Vajra !, ob ca,le Dis at, la Foudre, représente la Vérité ultime, la Réalité hentique iritmya signife l'absence de la notion de soi, c'est rela pur agesse qui pergoit Ia Vacuité, le Vide universel, le Vajravarahikalpe, « Rituel de Vajravarabt » calpa, « Rituel fondamental de Tara » ob les divi- 2s sont féminines, le Bhitadamara, « Tumulte des agit d’étre nonchumains : hia, quil faut invoquer le Samvarodaya, « Apparition de Samvara » et le vhakalata::ra, «le Grand Noir» ou «le Grand Temps », qui Citons e= Lhistoire 53 expose Ia doctrine d'une importante école tardive du bouddhisme tantrique : le Kdlacatrayana. En marge de ces écrits canoniques, la littérature tantrique comprend surtout des traités techniques, des commentaires ot des potmes de louange. Le Paficakrama se présente comme un extrait ou un résumé du Guhyasamaja. Attribué pour une part A Nai juna et pour une part & Cakyamitra, auteur du % sitele, il décrit en ‘cing étapes la méthode tantrique de réalisation spirituelle par le yoga et la connaissance symbolique. Un groupe de sept petits manuels de liturgie, éerits en sanskrit sur des feuilles de palmier, a été retrouvé en Chine vers 1930 par Louis Finot. Ce genre de traité est appelé sadhana, « réalisation ». I fournit des indications précises sur la maniére dont on doit se représenter mentalement une divinité particulidre avee tous ses attributs, leur forme et leur couleur, sur les syllabes-germes (bija) ‘gui sont les signes distinctifs de chaque personnage du panthéon ¢t les formules permettant de les évoquer. La Sddhanamali, « G lande de réalisations » est un recueil célébre qui en compte plu: sieurs centaines. Plus intéressantes du point de vue doctrinal sont les siddi, « Perfections », dont les auteurs portent eux-mémes Ie titre de siddha, « parfaits » ou siddhacarya, « maitres parfaits », Ce sont en queique sorte les « pares de I'Falise » du bouddhisme tantrique, si Yon peut se permettre cette expression. Traditionnellement, om en connait tn groupe de 84, dont le nom et la biographie légendaire nous sont parvenus. L'un des plus grands, le roi Indrabhti (7-8 s) a écrit Ja Jiinasiddhi, « Perfection de connaissance » et sa seit Laksmimkara : TAdvayasiddhi, « Perfection de non-dualité ». Indra Dhiti aurait été le disciple d’Anafigavajra, auteur de la Prajopaya- vinigcayasiddhi, « Perfection de décision de Vintelligence sapien- Wale et du moyen », et Iukueute disciple, semblewil, de Saroruha ou Padmavajra, auteur de la Guhyasiddh, « Perfection du secret ». Ces textes renferment, outre des conseils aux disciples, des déve- Joppements philosophiques et des definitions L'Advayavajrasdmgraha est un court recucil de 22 petits textes par Advayavajra (1112's). A peu prés de la méme époque, citons encore la Nispannayogavalt, « Ligne du yoga achevé », par Abhiya- gupta, et VAdikarmapradipa, « La Lampe des actes originels », préveptes versifiés et commentés par Anupamavajra. L’école du Kalacakra @ pourvu son grand tantra canonigue d’un commentaire: la Vimalaprabha, « Lampe immaculée ». Un autre 34 Le bouddhieme « tantrique » indo-ti commentaire, plus partiel, du méme tantra est attribué au célebre matire Naropa (11* s) : la Sekkodepastka, Explication sur le traité de Vondoiement » Aux textes tantriques en sanskrit vient s'ajouter une littérature particle rite dans la langue de transition qu'on appelle Tp bhramca et en vieux bengali proprement dit. De courts poémes dang le metre dod forment un genre appelé dohdkosa, « trésors de doha »; d'autres chants, en viewx bengali, sont dits caryapada ou carya. Mls ont été composes parmi les siddha, auxquels nous avons déja fait allusion, maftres de magic et de spiritualits, dont Ja vie légendaire abonde en miracles. Ces chants mystiques expri- ment poétiquement V'expérience intéricure du yosin parvenn & la réalisation spirituelle; ils sont riches en sous-entendus, dont le sens profond est difficile & saisir ct que tentent d’éclairer des commen- tires tibétains. Les plus connus d’entre les siddha auteurs de ces potmes sont Layipa, Bhusuku, Saraha et Kihnu ou Kanha La littérature tantrique qui nous est parvenue dans les langues ariciennes de I'Inde est d'un volume relativement réduit. Mais de nombreux autres textes subsistent parce qu'ils ont été traduits en chinois et surtout en tibétain, Les traducteurs chinois s'y sont intéressés d2s la fin du 7 sitele ct de grands maitres indiens sont euxmémes allés en Chine ob ils ont transmis leur enscignement et laissé des traductions. Les plus connus sont Cubhakarasimha, Vajrabodhi et Amoghavajra. Tous les textes traduits en chinois & cette époque (8 siécle) concernent la forme épurée du bouddhisme tardif, sans pratiques ni allusions érotiques, qu’on appelle souvent « Tantra de la Main droite », par rapport & Vautre dit « de la Main gauche ». 11 s'est conservé dans Técole chinoise « des secrets » (nti tsung) et Vimportante branche Japonaise quien est dérivée (Shingon) En tibétain, on sait que deux énormes recueils rassemblent les traductions de textes sacrés et de leurs commentaires : le bKa’agyur (Kandjour) et le bsTaragyur (Tandjour). Le premier recueil (une centaine de volumes) contient en principe les textes fondaentaux et le second (plus de 200 volumes) les commentaires. Chacun d’eux comporte une section de tantra (rgyud, gyu) : plus de 300 textes en 22 volumes pour le premier recueil’ et plus de 3.000 textes en 86 volumes pour le second. Méme lorsque des textes subsistent en sanskrit, il est intéressant de les comparer & la version tibétaine, cen raison du soin extréme qui a été apporté & I'élaboration de ces traductions. Vhistoire 55 Un volume du dsTamagyur (n° 123 de V'édition de Pékin) com prend la Mahdvyutpatti, dictionnaire sanskrit-tibéiain, gui pourrait dater du % siécle et dont Vintérét pratique est evident Nous avous cité en note (nove 1) au début de notre travail les principaux histories tibetains dont laruvre propre apporee melatee informations utiles sur Vhistoire du bouddhisme en Inde et ou Tie bet. Un exposé assez court par mKas grub rje, disciple au 15° siecle Gu celtbre réformateur monastique Tsori kha pa, concerne spécia. lement le sujet de la présente étude. En tibétain, son titre 2bréae est rGyud sde spyi ram (Gyudé tchinam): il a été édite et tradeit en anglais (25). On y trouve une bibliographie et des explications fondamentales sur les tantra, que mKhas grub rje (Khédoubdjé) divise, confor, jnément & la tradition la plus courante, en quatre classes suivant leur degré de complexité et de subtilité. Ce sont : les Friyatantra (tib, bya reyud, djagyu) relatifs aux pratiques extérieures de le vie religieuse, c'estadire la construction des temples, la fabricating Ges images cultuelles, les cérémonies et leurs rites, 2°) les efrya tantra (tib, sPvod rgyud, tchégyu), qui concernent la conduite exe, rieurg et intérieure de Vadepte, 3°) les yogatrantra (tib. +Nal abyor {ud naldjorgy) ou prédomine la pratique intérieure du youu {les gnuzarayogatanora {tib.rNal abyor bla na med reyud, naldjor lanamégyu) dont reléve la forme la plus élevée ct la plus sec de Vexpérience tantrique. GeO LES SIDDHA, « PERES DE L’EGLISE TANTRIQUE » Cette expérience, avonsnous dit aupsravant, a dit étre co et développée a Vorigine dans des cercles particuliers ‘alone, ment, le nombre & 84. Nous disons « artficiellement », car ce chiffve @ une valeur plus ou moins symbolique ou magique (12 fois lee «7.» planétes reconnues par Vastrologie du temps: il y a aussi & certains égards 7 catégories de tantra ou 7 étapes dans leur save lation). Les 84 siddha, « Parfaits », nous sont connus grace a uve sorte d’hagiographie d'origine indienne et passée en tibétain (red, G5) MEESSING et A. WAYMAN : mkhas grub ries Pun Bidanast Tantra. Ea aye Pars, fo, 18 Fendemencats of the 56. Le houddhieme « tantrique » indo-tibétain allemande de A. Griinwedel: « Die Geschichten der vierundachtzig, Zaubere », « Les histoires des quatrevingi-quatre magiciens ») et par diverses sourees tibétaines, notamment une aeuvre de Taranitha appelée bKa’ bab bdun Idan, « Aux sept inspirations » ou « La Mine des pierres précieuses ». Lidentification et la chronologic des « 84 siddha » posent des problémes & peu prés insolubles dans I'état actuel de nos sources dinformation, Car les listes dont nous disposons, fournies par Taranatha, Sumpa mKhan po, le Tandjour, etc., different et se contredisent. Plusicurs érudits ont fait des efforts’ méritoires pour apporter un pen de clarié dans ce domaine confus (26), mais les résultats obtemus ne permettent pas une réponse définitive. C'est pourquoi nous jugeons préférable d'essayer de dégager les données qui paraissent les plus significatives dans ce groupe de person- nages, dont certains sont peut-étre purement mythiques ou cités plusieurs fois sous des noms divers. En sant les récits, souvent brefs, que Griinwedel a traduits en allemand, on a tout & fait impression de se trouver en présence dune sorte de « légende dorée », d'un recueil d'exemples édifiants. Ce qui frappe immédiatement dans ces récits concernant les siddha, Crest Ia diversité de leurs conditions : elles vont des fonctions de roi ou de la caste brahmanique aux métiers Jes plus humbles, voire Ies plus méprisés (blanchisseur, marchand de boissons aleooliques, chasseur, pécheur, laboureur, artisans de toutes sortes, forgerons, chiffonniers, etc). Lhistoire de Bhadra (n° 24) tend & nous montrer précisément que le Mah3vina (ont le Véhicule de Diamant est un prolonge- ment) abolit les préjugés de caste. Ce brahmane riche et influent regoit la visite dun yogi « pleinement libéré », qui lui demande & manger. 1/ veut le chasser pour éviter son contact impur, mais Yautre le convainc du fait que la veritable impureté est celle de Tesprit: unique moyen dy mettre fin, c'est d'adhérer au Mahiyaina et de suivre lenssignement d'un gourou. Bhadra devient son dis- Je et accepte <= ui porter la ot il demeure, un liew ot Yon britle cadavres, de |». viande de pore et de I'alcool | Il recoit en échange Vabhiseka, ces:-sdire Vinitiation par ondoiement, et apprend a faire un mandala. Pour briser son orgueil de caste, on lui ordonne ensuite de balayer des ordures, Puis, il apprend & méditer sur les taches de couleur du mandala, jusqu’a ce qu’elles se confondent toutes en une seule couleur ; ce sera le signe de sa réussite spirituelle. (26) Jean NAUDOU : Les Bouddhistes Katmiriens ast Moyen Age, p. 7743. Lhistoire 57 Bhadra, disciple fervent, obtient en six ans la réalisation supréme, mahdmudrd. Tl devient & son tour un yogi, qui se dévoue pour le salut de tous les étres vivants et, & sa mort, il passe tout entier dans le ciel. Cette formule revient sans cesse & la fin de la plupart des récits; ‘lle fait sans doute allusion au « corps d’are-en-ciel » acquis par ceclui qui parvient & la délivrance complete, grace & quoi il finit par « disparattre dans le ciel » (Iarandtha, History of Buddhism, . 151), Beaucoup de récits metient en scéne un yogi auguel int combe la fonction de gourou visa-vis du siddha ibméme dont i fest question. Ces yogis vivent dans les cimetitres, les licux de cerémation, se nourrissent de restes quills mendient et mangent dans une calotte cranienne, Tls expriment souvent leur enseigne- ‘ment sous une forme imagée, qui se réftre avee bonheur & la pro- fession du siddha ou parfois a la signification de son nom. Linitiation par ondoiement ou conséeration (abhiseka), les ins- ‘tmuctions particuliéres (upadeca), les mantra et les mandala sont couramment utilisés par les yoris et les siddha eux-mémes dans le role de gourou, Des sléments fondamentaux de la psychophysio- Jogie mystique du yora tantrique sont souvent mentionnés : les trois grands canaux du corps subil avec au centre Tarte prince pale (avadhiti) ob s'effectue Vexpérience libératrice par prise de conscience de Ia vacuité universelle (ciiyata), la « goutte » (bindu, Hb. tig le, thigl®), germe de ia félicité supréme, localisée au sont. met du créne, etc. Des étres surnaturels, féminins, les dakint, sorte de fées dotées de pouvoirs magiques, apportent leur aide aux personnages méri- tants pour qu'ils obtiennent Ja libération, Des sorciéres leur jouent des tours. Parfois, une jeune fille tient le réle de mudra, au sens de partenaire sexuelle dans lexpérience du salut. L’alchimie, la recherche de drogues merveillouses, Vactrologie intervienneat & occasion. Dans certains cas, on dit expressément que le « poison » des actes mauvais peut étre changé en ambroisie d'immortalit. tel ou tel siddha est présenté comme étant & Vorigine voleur, mer teur, querellear, etc. L’évocation de divinités, la représentation men- tale extrémement concrete et précise d'un objet de méditation, la concentration sur une lettre imaginée en un point du corps, avec le disque de la une qui en émane, etc., toutes ces méthodes chéres au Vehicule de Diamant, nous les trouvons mentionnées dans les histoires des « quatre-vingt-quatre magiciens » A défaut de faits authentiques, nous pouvons penser que celles- ci nous fournissent un tableau pittoresque et foncitrement exact 58. Le bouddhisme « tantrique » indo-tibétain du milieu ott ils ont vécu, des croyances et du comportement qui Tes caractérisaient, Lenseignement et Ia filiation de maitre a disciple constituent, gn le sait, un trait essentiel du Véhicule de Diamant. Tout & fait 8 Vorigine, la révélation des « secrets » ainsi transmis est attribuée a des étres surnaturels, : La plupart des listes de siddha que nous connaissons mettent en téte d'une lignée de transmission Rahulabhadra ou Saraha, brake mane originaire de "Est de "Inde. D’aprés Taranatha (« La Mine des pierres précieuses »), il aurait regu la premitre révélation de mahdmudra, Yexpérience ultime et la félicité supreme, grace b une vajrayogin? (une yogini surnaturelle), qui avait pris 'aspect d'une marchande d'alcool, terme & double sens : celle qui procure livresse, Cest-d-dire aussi Vivresse mystique. Deven abbé de Nalanda, if Ginit par s‘unir & une femme de basse caste, la fille dun forgeron qui fabrique des fleches, et apprend d’elle dans la simple realité auotidienne Ta vérité profonde des choses, par la valeur symbolique que prennent Ja fabrication d'une fléche’ et son usage pour le tit & Tare. A ceux qui le raillent de sa mésalliance, il répond qu'il ne voit plus aucune différence entre ces choses en apparence contra. dictoires : Vappartenance et la non-appartenance & une caste, le péché et absence de péché. Des sources tibétaines font de Saraka un éléve de Bhuddha- ifiina et Haribhadra, qui étaient contemporains de lempereur Dharmapiila (8° s.). Ces savants bouddhistes vivaient & Taxila dans une vallée himalayenne. Haribadhra était luiméme 'éleve du philo- sophe Cantaraksita, auteur du Taitvasamgraha et qui fut le pre. mier apétre du bouddhisme au Tibet. II semble done que Saraha Puisse étre placé chronologiquement au 8 sigcle. On atttibue a un nommé Saraha des chants mystiques, un dohdkosa, « trésor de doha =, mois es textes sunt certainement d'une époque plus tardive (O-11" s). Un des disciples de Saraha aurait été Nagarjuna, expert gn magie et en alchimie. Si celuici n'est pas purement mythique, il pourrait avoir vécu au 8-9 sidcle, environ 600 ans apres le grand philosophe du méme nom, ce gui expliquerait pourquoi Taranatha le fait vivre 670 ans. Comme autre chef d'une lignée d’initiation, il faut citer Lipa (S-% s), scribe d'un roi d'Uddiyana : il fut initié par la deeee Yajravarahi (« la Truie de diamant +), mais était aussi disciple de Gavari, qui se rattache a Nagarjuna et Saraha. Venu s'installer au Bengale, il se nourrissait d'entrailles de poissons. A sa suite, om Lhistoire 59 reléve les noms de Kambala ei Padmavajra, introducteurs du Hevajra Tantra, Le roi Indrabhaiti, de YUddiyana, a eu probablement un ou plusieurs homonymes qui furent aussi des siddha. Avec sa sceur Laksmihkara et son fils adoptif ou supposé tel : Padmasambhava (tib. Padma abyuit gnas, Pémadjoungné), qui se confond peutétre avec Padmavajra, il constitue une glorieuse triade du bouddhisme tantrique. Padmasambhava a da vivre au 89 sigcle : certains docu: ments Vassocient & Je fondation du monastére tibétain de bSam yas (Samyé, ¢. 750-775). On sait la fortune extraordinaire que ce siddha a connue au Tibet, ot il fait figure d'une sorte de second Bouddha. West probable d'ailleurs que sa légende s'est constituée sur le tardy Jes circonstances, comme la durée réelle de son action au Tibet, estent entourées de mystére. On a méme pu mettre en doute la réalité de son existence historique. INFLUENCES GIVAITES On a de bonnes raisons de penser que les adeptes du Véhicule de Diamant furent en relation avec des groupes similaires d’inspira- tion civaite. Cela n’a rien d’étonnant, car bouddhistes et hindouistes vivaient oOte & cote, souvent patronnés. les uns et les autres par un méme souverain. Des emprunts mutuels nont pu manquer de se produire. Nous avons déja noté qu’a certains égards Avalokitegvara rappelle beaucoup Civa, Seigneur du monde (Lokecvara), Les siddha sont issus d'un milien de yogis vivant sur les cise titres, les terrains de crémation de cadavres, d'une manitre ana- logue a celle de certains ascétes civaites, tels les Kapdlika (e Coux aux erdnes ») ou Mahdvratadhara (« porteurs du grand ve ») et les Raldmutcha, dont les moxurs éisient singulieres, contraires toute bienseance. ils s‘ornaient de colliers ou de tabliers faits dos. sements, buvaient de V'alcool dans des crines, se nourtissaient de mets répugnants et pratiquaient méme, diton, des sacrifices hue mains, ainsi que la mystique érotique et la magie. Selon le philo- sophe vishnouite Ramanuja (dans le Cribhdsya), ils méditaient sur le Soi, Vtre individuel identique & I'Etre universel, en se le repre sentant assis sur une vulve. Ils professaient Mndifférence totale et Videntité des coniraires. Un autre courant, proche du civaisme, celui des Cakte, adeptes de la cakti, Ia Mere, l Energie universelle, avait ses propres tantra d'inspiration hindoute : ils etaient particu, ligrement influents au Nord-Est de VInde (Bengale, Orissa, Assam). ‘Au Nord-Ouest, le Cachemire a vu se développer & partir du 10". 60. be bouddhisme « tantrique » ind 11" sidcle un grand mouvement philosophique d'inspiration civaite et fonde sur les tantra : le systame trike, dont Is plus haute figure est Abhinavagupta. Une preuve et une conséquence des rapports assez étroits qui ont existé entre les eroupes tantriques bouddhistes et civaites est le fair que certains siddha leur sont en quelque sorte communs. ceuxci, nous citerons Mina-p, Macchindra, Goraksandtha, ‘sndrandtha. {n° 8 des « Quatre-vingtquatre magiciens ») gies avec le récit biblique concernant Jonas. (Assam), il est avalé par un poisson et de- meut- douze ans ds=> son ventre, ce qui Iui permet de surprendre dans un temple au foud de la mer une conversation secréte entre Mahecrar: (Giva) et , & s‘assurer pour leur propre lignée on monastique dane la branche en question, Une de ces granéamilles, celle des Khon, tenait ainsi entre Jes mains de ses re: sntants la destinée du puissant ordre des Sa sKya 2° (Sakyae; tire son origine d’un traducteur de Tépo- que aBro: — Dogmi), qui avait étudié Ie sanskrit au Népal ex ~oursuivi s) (30) Wid, p. 50, are histoire 6 SONG KHAPA ET LES « BONNETS JAUNES » Pour compléter cette esquisse rapide, mais essentielle, de V'évo- lution du bouddhisme au Tibet, nous devons ajouter quelques mots au sujet de la secte nouvelle des dGe lugs pa (Gélouk-pa), « les Vertueux », dont nous avons déja dit qu'elle était issue de la secte des Kadam'pa, & laquelle elle a fini par se substituer. Cette réforme a été Feuvre de bLo bait grags pa (Lozang Dakpa) dit bTson k'a pa (Tsong Khapa, 1357-1419) (31), originaire, comme son surnom Vindique, de la « valiée des oignons » en Am do (Amdo, Tibet oriental). Né d’une famille pauvre, il se consacra avec ardeur a la vie seligieuse et fut de bonne heure initié & divers tantra : ceux de Hevajra, Cakrasamvara et Vajrapani. A partir de ‘sa seiziéme année, il alla poursuivre ses études dans divers monas- teres du Tibet central. Son plan de travail, extrémement vaste, embrassait la Togique, les Prajfdparamita, le métaphysique du ‘Mahayana (Maitreyanatha, Nagarjuna) la scolastique (Vasubandhu), Ja discipline monastique (vinaya). Toutes ces connaissances ont constitué par la suite la base de la formation érudite des moines de Vordre des Gélouk-pa. ‘Tsong Khapa s'est aussi beaucoup intéressé aux tantra : le KAlB: cakratantra, le Guhyasamaja avec le commentaire de Naropa, le Cakrasamvara. A l'égard de ceux-i, il manifesta le méme souci de moralité qu’Atica, estimant que ces tantra doivent étre mis en pra- tigue seulement par des gens qui se sont engagés auparavant sur Ia voie vertueuse de la bodhisattvacarya, la conduite de bodhisattva. A Vage de quarante ans, Tsong Khapa entra au monastére Kadam-pa de Rwa sgren (Radeng). Devenu un maitre de tout pre- mier ordre par son savoir, son intelligence, ses capacités d’écrivain et de réformateur religieux, Tsong Khapa a rédigé plus de trois cents traités divers, groupés en seize volumes dans V’édition de ses ceuvres completes par le monastére de sKu abum (Koumboum), levé plus tard sur les Tioux de sa naissance. Deux de ses ouvrages sont particuliérement réputés : Lam rim c'en mo (Lamrimtchenmo) ‘et sNags rim (Ngagrim). Le premier est une somme de ses concep- tions dogmatiques et Ie second une sélection de tantra. (DE, OBERMILLER : Tsong tha pa fe, Pandit, in : Mélanges chinois et DBouddhigues, T. Hi. - Bruxeles, 1935. Souree publige et traduite en allemand, d'aprés un texte écrit Mongol! Bas ica den lamaltschen. Betlaen Taonste ga Bi a (SST H61~ Eat Tra. pat KASCHEWSKY (udot. bean Wies 16 Le bouddhisme « tantrique » indo-tibétain De nombreux disciples donnérent leur adhésion aux idées de ‘Tsong Khapa; il fallut construire, pour les accueillir, de nouveaux monastéres. Le premier fut fondé en 1409 a dGa’ Idan (Ganden) : ‘Tsong Khapa en devint le supérieur. Puis, deux autres monastéres furent érigés dans la méme région, proche de Lhassa, & @Bras spwits (répoung) et Se ra (Séra). Ce sont les trois piliers de la nouvelle ecole, dite des « chapeaux jaunes », a cause du bonnet de cette couleur porté par les moines. Par simplification, on appelle « cha- eaux rouges » tous les autres ordres, bien que certains ne portent pas de bonnet rouge. La fortune ultérieure des Gélouk-pa ou « nouveaux Kadam-pa » comme on les appela aussi, fut assurée grace & la valeur des prin cipaux disciples de Tsong Khapa. Deux d’entre eux font avee lui une triade inséparable : Dharma rin clen (Dharma Rintchen) ou rGyal ts'ab (Gyaltsab) et mKhas grub rje (Khédoubdié). Ce dernier fut comme son maitre un grand érudit ; it composa entre autres, une introduction & Ia littérature des tantra et un eélébre commen: taite du Kalacakratantra. Un autre disciple : dGe adun grub (Gen- dundoub) aurait été, croit-on, le neveu de Tsong Khapa; énergique et avisé, il it beaucoup pour I'expansion et Ia continuité de Vordre. 1H fonda le monastére de bKra cis thun po (Fashiloumpo), pres de Shigatsé A partir de Gendundoub, dont le successeur est dGe adun rGya mts’o (Gendun Gyantso, les chefs de ordre des Gélouk-pa portent Ie titre de rGyal ba (Gyalwa), « vainqueur »). Cest le monastére de Drcpoung, prés de Lhasa, qui devient le siége du higrarque. LES DALAT LAMA Au ic) siécle, Je développement des monastéres Gélouk-pa se poursuit 1s réputation de discipline, d’austérité et de dévotion des Invines ae deimeut pas et ils restent assez longtemps Tabri des tentations «pouvoir temporel. Avec bSod nams rGya mis‘o (So nam Gyants. 1543-1588), les choses commencent & changer sur ce demier poin’ Préoccupé de favoriser la diffusion du bouddhisme parmi les} ngols, il accepta en effet I'invitation de leur chef, Altan Khan, << recut de lui la dignité de Dalai Lama (du mongol ta le, « océ-n »), tandis qu'il accordait au Khan le titre de roi, ou protecteur, cie Ia religion (32). Sénam Gyantso avait été reconma (2) Dans vowe traduction de TUCCI et HEISSIG : Les Religions au Tiber et de la Mongolie Tune erreur malencontreuse sous fait atteibuer Alton Khan la dignité de Dalal Lama, nous sommes heureu ae retablir fel Ta vents | I | | Lihistoi n comme la réincarnation de son prédécesseur et Ia dignité de Dalai Lama, attribuée rétrospectivement aux prédécesseurs de Sénam Gyantso, devint dés lors sujette & ce mode particulier de trans mission, qui s‘appliquera aussi aux Pan clen bLa ma (Pantchen Lama, le Lama « savant ») du monastére de Tashiloumpo, mais seulement dans la seconde moitié du 17° sitcle et sur Vinitiative du 5° Dalai Lama Le successeur de Sénam Gyantso fut choisi dans la famille d’Altan Khan (son arrigre-petitils), ce qui renforga évidemment le soutien accordé par les chefs mongols aux Géloukpa, La préten- tion, désormais avouée, de cemcci au pouvoir suscita des réactions défavorables de la part d'autres moines (Karma pa) et surtout du roi du gT-sai (Tsang), principale autorité politique du Tibet d'alors. Le Dalai Lama d'origine mongole dut s'enfuir et mourut précoce: ment, sans doute empoisonné. Les Gélouk-pa ne purent rétablir leur situation, devenue dangereuse, qu'en faisant appel & Vappui étran- ger des Mongols. Un nouveau Dalai Lama: Nag dban bLo beat rGya mtso (New wang Lozang Gyantso) fut intronisé sous la protection d'une escorte mongole. Né en 1617 au Tibet central, prés du liew d'inhumation des anciens rois du Tibet, il appartenait a une famille Nyingma-pa et pouvait réconcilier autour de sa personne un certain nombre de tendances religieuses. Toutefois, de nouveaux conflits éclatérent, opposant Gélouk-pa et Mongols au roi du Tsang et & certains Karma/pa. Le roi du Tsang fut vaincu lors d'une invasion soudaine, provoguée par le roi du Ladakh, Les Karma-pa de Tordre rouge durent se soumettre & leur tour. Le 5* Dalai Lama, conmu par Ia suite sous le nom de « Grand Cinquitme », put affirmer sa suprématie et réorganiser & son profit Jes ordres monastiques, favorisant d’ailleurs dans une certaine mesure non seulement ee Gélouk pa, mais aussi les Nyingineya et faisant preuve a la fois de clémence et d'autorité, Il ne fut inflexible gu’a égard de la secte peu orthodoxe des Jo nait pa (Djonang-pa), dont il supprima les monastéres au profit des Gélouk-pa ; cou! regurent dailleurs des biens provenant également d'autres sectes. Le dynamisme intellectuel des Gélouk-pa, promus désormais au premier plan, leur sens de Vordre et de la discipline, leur souci dorthodoxie et de moralité, eurent un effet heureux sur 'ensemble e Ia vie religieuse et monastique au Tibet. Le régne du 5* Dalai Lama fut assez long: il mourut en 1682, La suzeraineté des Mongols devint purement nominale, mais les | ee” | 8 Le bouddhieme « tantrique » indo-tibétain De ens cu vs os cst en chous de la Chine. A V'intérieur du Tibet, l'autorité se concentra de plus en plus entre les mains du Dalai Lama. Un magnifique palais fut construit pour lui a Lha sa (Lhassa, « Terre des Dieux »): on fiom pa Ee On Tere fei on thique, symbole de la compassion infinie envers les créatures souf- A la mort du Grand 5* Dalai Lama, contemporain du Roi Soleil, i fallut assumer sa suppléance a la téte des affaires politiques et religieuses durant la minorité de Venfant en qui Ton avait re- connu son successeur. Ce probléme de T'interrégne devait évidem- ment se poser désormais chaque fois que mourrait le souverain spirituel et temporel du Tibet. Le pouvoir fut exercé par un régent : Saits reyas rGya mts'o (Sangeyé Gyantso), proche collaborateur du défunt au cours de ses dernigres années ; il dissimula d’ailleurs longtemps le déces, en prétendant que son maitre était entré dans une méditation inviolable. En 1695, il fut obligé de révéler la vérité et de faire introniser enfant choisi comme 6° Dalai Lama. Celui-ci, Ts'e? dbyans rGya mis'o (Tsangyang Gyantso, 1683-1706), est deventt célébre pour ses aventures amoureuses secretes et son talent de potte. Le penchant naturel qu'il montrait pour les femmes a pu étre encouragé par des membres de son entourage, adeptes de la mystique érotisée des tantra, mise en application d'une facon litte rale. Mais, le jeune souverain, trés aimé du peuple, n'avait pas le sens politique de son prédécesseur. Victime d'intrigues intérieures ef extérieurec, cans doute aussi de Vhostilité de mvines puritalns, il connut une fin tragique, alors qu'on le déportait en Chine, La suite de Vhistoire du Tibet nous montre ce pays en proie & diverses reprises aux invasions de troupes étrangéres, mongoles ou sino-mandchoues. Le gouvernement d'un laic, P’o Ika, entre 1722 et 1747, est un interméde plutot heureux dans une période de troubles et de domination étrangére. Tl parvint pour un temps a réduire au minimum intervention des Chinois dans les affaires du Tibet. A cette époque, des missionnaires chrétiens (jésuites, puis capu- cins, italiens) s'étaient installés & Lhasa, ot ils firent quelques Vhistoire 2p conversions, mais les capucins s'attirérent Vanimosité de la popu- lation en offensant par leurs propos les eroyances bouddhiques et la personne du Dalai Lama, Aprés la mort de P’o tha, son fils s‘avéra incapable d'assumer sa succession; il fut assassiné par les amban, fonctionnaires chinois chargés par leur empereur d'exercer une sorte de tutelle sur le gouvernement tibétain; ceuxci furent mis & mort & leur tour par la population. Le Dalai Lama rétablit Vordre et reprit en mains la direction des affaires publiques, avec Vaccord des Chinois. Plu. sieurs de ses successeurs moururent jeunes, mais, sauf dans un cas précis (le 10" Dalai Lama), on ne saurait dire avec certitude sils furent ou non victimes de régents soucieux de conserver le pouvoir pour eux-mémes le plus longtemps possible. Vers la fin du 18 siecle, des hindous fanatiques, les Gourkha, envahirent les petits royaumes bouddhiques du Népal, auxquels ils imposérent leur domination. Un conflit éclata entre eux et les Tibétains : ils vinrent saccager le monastére de Tashiloumpo, résidence du Pantchen Lama, Cela ne pouvait laisser les Chinois indifférents, d'autant plus que Ie Pantchen Lama est le dignitaire lamaique dont ils ont souvent cherché & utiliser le pouvoir et linfluence, afin de faire contre-poids au Dalai Lama et disposer d'un appui en leur faveur au sein de la toute puissante Eglise des Gélouk-pa. Tis organistrent une expé ition, qui repoussa les Gourkha, et profitérent de Voccasion pour faire attribuer en principe de plus grands pouvoirs de tutelle leurs représentants, les amban, Au 19 sitcle, les Tibétains, & l'instigation des autorités sino- mandchoues, interdirent V'accés de leur pays aux étrangers. Néan- ‘moins, quelques voyageurs céitbres, dont les missionnaires fran. sais Huc et Gabet, ont réussi & parcourir le pays et Vont décrit dans leurs souvenirs, Le Dalai Tama était avant tout le symbole sacré du pouvois, civil et religieux. La réalité du gouvernement incombait soit au régent, soit a des ministres, assistés d'une bureaucratie de hauts fonctionnaires constituée pour moitié de lacs, pour moitié de moines, les premiers étant issus de familles nobles, les seconds dune catégorie de Gélowk-pa spécialement formée A cette tache administrative. Dans les provinces, surtout les plus éloignées de Lhassa, des hobereaux conservaient une relative indépendance, de wnéme que les grands monastéres. Le 13 Dalai Lama, T'ub Idan reya mts’ (Thoubden Gyantso, 1874-1935), fut au pouvoir a partir de 1895, Au début de son regne, i réussit & se préserver des ambitions rivales de ses puissants vol 80, Le bouddhisme « tantrique » indo-tibétain sins. Mais, en 1904, une expédition anglo-indienne, commandée par ‘Younghusband, atteignit Lhassa. Un traité ouvrit alors dans une certaine mesure le Tibet au commerce et a 'influence britannique. En 1910, 8 la suite d'une expédition militaire chinoise, le Dalai Lama s‘enfuit en Inde. Il retrouva son trone en 1912. Son gouvernement fut consciencienx et efficace, mais ne favorisa guére les tentatives de modernisation amoreées par l'envoi de jeunes Tibétains en Angie- terre, Peu d’étrangers furent admis : la Francaise Alexandra David- Neel s'est illustrée par ses voyages semi-clandestins, qui lui ont Fourni une documentation directe pour des livres sur la vie reli: aieuse ct sociale du pays. Le 14" Dalai Lama, bsTan adzin rgya mts'o (Tandzin Gyantso), né en 1935, a été intronisé en 1950. Tl dut faire face & la situation résultant de Ventrée au Tibet des armées communistes chinoises. Apres le soulevement de 1959 et la dure répression qui suivit, il s'est réfugié en Inde, accompagné par des milliers de Tibétains, moines et laics, dont les conditions de vie restent précaires. Aujourd’hni, le civilisation bouddhique du Tibet est gravement atteinte et menacée de disparition, Selon certaines informations, de nombreuses destructions de livres, de manuscrits, d'auvres d'art irremplacables ont eu lieu, II serait souhaitable pour Vhonneur et le prestige des autorités chinoises qu’elies s'appliquent & sauve garder ce qui subsiste d'un patrimoine culturel considérable qui Tappartient pas seulement au peuple tibéiain, mais & toute Vn | Dans ce but, si Vautorisation de se rendre au Tibet était iher:'sment accordée aux savants, aux spécialistes de son anclenne iviis-tion, les autorités chinofses n’auraient qu’a s'en felici: Ce x’est pas seulement Yapport propre des Tibetains & la ci savion humaine, mais égelement celui de plusieurs sitcles de culture indienne, que Ie lamaisme a su conserver et transmettre sous une forme vivante jusqu’au 20 sitcle. LA RUINE DU BOUDDHISME EN INDE Nous avons “u gu’au moment mime oi le bouddhisme du Vél cule de Diama:.: s'implantait pour la seconde fois au Tibet, il suc- ‘combait en Inde sous les coups répétés denvahisseurs mustilmans. Nous devons maintenant revenir en arriére pour évoquer les condi tions de cette disparition et donner aussi un apercu historique des derniers développements du bouddhisme dans I'Inde : le Kdlacalera et Ja mystique érotisée des Sahajiye ‘La premitre incursion musulmane remonte & 727 avec I'établis- histoire et sement des Arabes dans le Sind. Elle resta limitée et n'eut pas de graves conséquences pour le bouddhisme. Au Sind méme, il fut loin de disparaitre immédiatement, mais, selon le témoignage de Hiuan- Tsang, dés le sitcle précédent il y était déja assez corrompu, Ceest a partir du 10 siécle que les invasions de Tures et d’Afghans mustlmans ont porté des coups terribles au bouddhisme plus en- core qu’a l'hindouisme. Les grands monasteres, abritant des milliers de moines et d’étudiants, offraient une proie tentante aux envahis- sours, en raison des richesses dont ils regorgeaient. Leur abondante iconographic de dieux et de déesses devait exciter 'ardeur icono- claste de musulmans fanatiques. Leurs vastes batiments, clos de murailles, prenaient un aspect de forteresses et ils furent dailleurs utilises 2 cette fin, semble-til, ce qui expliquerait pourquoi les as- saillants s'employérent souvent a les raser totalement, aprés avoir massacré leurs occupants. La conquéte du Pendjab par le sulan Mahmud de Ghazni avait permis d’établir une premiére dynastic musulmane dans !'Tnde du Nord-Ouest, mais cet empire se disloqua rapidement. Par contre, & la fin du 12 siécle un nouvel assaut aux consequences plus durables fut_mené contre les royaumes de l'lnde septentrionale par les princes afghans de Ghor (Afghanistan). La défaite des féodaux radjpoutes, puissants mais désunis, a la seconde bataille de Tarain (1192) fut décisive et entraina la conquéte successive du royaume de Kanauj-Bénarés, du Bihar et du Bengale occidental, ot le boud- dhisme jouait encore un réle considérable, malgré le emplacement au Bengale de la dynastic bouddhiste des Pala par la dynastie hin- jue des Sena, Le conguérant Mohammed de Ghor et ses lieutenants, en parti- culicr Qutb ud din, dit Aibek, anéantirent les centres monastiques de Vikramactla, dont les pierres furent jeiées dans le Gange, et @Odantapart. Nalanda, fortement endommagée, put survivre quel que temps : le pélerin tibétain Lo tsa ba Dharmasvamin (33), qui visita le Bihar et le Bengale vers 1234, y suivit encore l'enseigne- ment d'un pandit : Rahulacribhadra. Mais, la plapart des. moines et des pandits, qui avaient échappé au massacre, s'étaient enfuis dans les régions montagneuses du Népal, du Tibet et du Cachemire. autres, selon I'historien tibétain Taranatha, allerent jusqu’en Bir manie et au Cambodge, Un grand savant cachemirien : Cakyagr- dhadra, dernier supérieur de Vikramactla, se rendit au Tibet, ot il fit une tournée dans les monastires et contribua au renouvellement (G3) Sa Biowraphie, document important,» été éditée et traduite en anciais par GTROERIEE Bloprasy of Bharmassune "pas BSP 82 Le bouddhisme « tantrique » indo-tibétain de Ia discipline monastique, anticipant & cet égard les réformes de Tsong Khapa (34). Il revint passer les dernitres années de sa vie Gans son pays natal du Cachemire, s'efforcant, selon les Annales Blewes, d’y restaurer Je bouddhisme, alors décadent, avant de mourir en 1225, Le Cachemire, néanmoins, resta surtout fidele aa Civaisme, jusquau moment oli une dynastie musulmane réussit & S'y imposer vers le milieu du 14 siécle. Les bouddhistes, dés lors, furent absorbés par le civaisme ou convertis & I'Islam, Ce devait étre désormais le sort général de la plupart des boud- dhistes dans les diverses régions de Inde: soit de se laisser assi- mailer par hindouisme ambiant, qui avait été revigoré dés le % sit- le, grace & la prédication du grand philosophe védantiste Cahkara et Vappui de nombreux souverains locaux, soit de se rallier aux Conguérants musulmans, en embrassant leur religion. Au Bengale, notamment, il y eut de multiples conversions & V'islam, tandis que certains bouddhistes étaient admis au sein de l'hindouisme, ot ils formerent une caste particulidre. L'influence sous-jacente des idées bouddhistes resta toutefois puissante dans ce pays. Certains érudits atinibuent en partie & cette influence une conception particuligre Ge la bhakti, adoptée par les vishnouites et qui devint celle du grand mystique Caitanya au 16° sitcle, la prépondérance du tan- trisme, le culte du gourou, ete. Lieffondrement du bouddhisme dans inde du Nord aprés la conquéte musulmane peut s‘expliquer par différentes causes. L'une des plus importantes fut sans doute le fait qu'il perdit cette fois Tune maniére totale et definitive le soutien des pouvoirs établis, devenus musulmans. La destruction brutale des monastéres, centre Ge rayounement intelleotuel, et In dispersion a V'étranger de Vite Savante quills abritaient, anéantirent la seule source de formation fet de divection spirituelles dont bénéficiait la masse des fideles. Ceaxcl, livres # cuwmemes, furent cans doute portés & pratiqner méceniquement des rites, qui devaient foreément dégénérer au cours du temps et finir par se confondre avec les cultes et les ‘royances hindous, dont le point d'appui, plus stable, était les in- nombrables temples de village, que les envahisseurs ne pouvaient pas détruire tous. Les royaumes hindous de I'Inde méridionale (Dekkan) devinrent aussi, B partir du 14° sigcle, la proie des Musulmans. La fondation du puissant empire de Vijayanagar permit une résistance plus efficace HE, NAUDOU + Les Bouddhises Kabivens ax Moyen Ae, p. 196 et histoire 83 fusquan 16 sila, Le bouddhieme sublait dane wate cetto rue tn dain lent mais progress, dont lee fastens cassie Res Stes doutemoine Facto des Manomens gue I eforsnet indouisme et sa propre decadence docntnle ef apelin Les documents épigraphiques du 10° au 15 sigcle (35) attestent qu'll Surectt dano"ane calor mesure ce Shenley eae ee itore um gourou Indien né dans Vinde du Sod Te bouddhisme tardif avait pris racine dans | ; sme tar ine dans les pays aout rer & clvlisation indienne (Cambodige, Indonési). LE se manies rent d'une mane trés nette les liens etroits qui Vunissaient att civafsme = soutien simultane des deux religions par ua meme dons: ter, divs de one done ies santos de auto, ownage do synerétisme doctrinal, rites oélébres ‘en commun (aujoun core 2 Ball, etc. sma (Guourd uh ee ee ee (lent souvent pour des ¢ véhicules » particuliers : la doctrine de LE KALACAKRA OU LA « ROUE DU TEMPS » Les origines du systéme tantrique appelé Kalacakra (Katatcha- la) sont auaceobacues Ilse donte latinéme pour une Fevltion direcie du Bouddha, sollicité & cet effet par le roi Sucandra de Cambhata (royaume mythique ou partie de VUddiyana, la. vallée du Swat, au Nord-Ouest de I'Inde). Le Bouddhs Cékya-Munt, accé- dant & la demande du roi, lequel était, diton, une incamation du bodhisattva Vejrapant (« Celut qui teat un foudre & la main »), sida de convogucr un conele au ipa de Dhdrsckatata (hoary vati), afin d'y exposer lea principes de ce nouveau Vehicule de salut Le roi de Cambhala, venu tout exprés dans le Sud pour entendre cette prédication, aurait & son tour enseigné le sysiéme dans son royaume. De la, ce syst2me fut introduit dans lTnde par un maitre dont le nom varie selon Jes sources : Cilupa ox Mahakdlacakrapada. Des auteurs de V’école Kagyu-pa Videntifient avec le siddha Tilopa. La légende rapporte qu'il se rendit grace & un procédé magique az Gambhala, oil fut instru du Kalicakra, Revenu dans inde, (35) MITRA, (RC): Le déctin dur bouddhisme da : NITRA, (RC) : Le dln du howdhiome dans Vinde 2 partir du Tar gle These de doctorat"duniverieé, Pais, 188, Dacglo a 84 Le bouddhieme « tantrique » indo-tibétain ee Olea ee tae ae universités monastiques (les uns disent Nalanda, les autres Vikra- magiia) + le Bouddha originel (Adibuddha) ne connait akra. « Qui ne connat pas non plus le K’ vas le Kalicakra ne sait pas prononcer & fa vystiques des divinités, Qui ne conn: perf-ction les nor « Qui ne sait sas prononcer les noms i Ia perfection ne pos séde a le savoir ique (jfidna) du Porteur de Foudre (Vajra- dhar re « Porteur Ss Foudre » ou « de Diamant » = le yogi par vent a la réalisatic: supréme suivant les principes du Vajrayana). ni ne posséd- vas le savoir mystique du Porteur de Foudre ne connait pas Ie V7 ale des Formules (Mantrayana, ib. shags yt eg a, ugaki th connaissent pas le Véhicule des Formules ‘gts aans Te universel (le samsdra, monde illusoire des cirewlent dans le snenes) et so: = dehors du chemin dui bienheureux Porteur Fee Bar con: ane tout vériable matte doit censeigner le Boxckia origine! = out véritable disciple aspirant & la liberation doi: entendre ce: 2ignement. ». 2 ou Kdlacakrapada \'Ancien (identifiable uatenu Iadessus une controverse victorieuse pandits, dont le supérieur du monastere, qui {ahéhalacakre avec Tilopa) aur: contre « cing cer était alors Narop. vmnales Bleues) rapports que Tilopa forma « we connu est indo ‘ou Pi to), puis alla Son ermitnon fe Puspahiri. Le nom de Kale ‘t attribué tantot & Ndropd, tantot & Pindo. Sujet il spparatt que Tilopa, Naropa ex Pindo 2 yele de premier plan dans Ia diffusion du Une autre vers ‘Len soit tous tro ‘ambhala semblent indiquer que la doctrine Yorigine tributaire d'influences extérieures 3 gir notamment d’influences en provenance de sale islamisée, impliquant un contact avec Je fhgisme me: aan, (miitatantra) du systéme aurait compté 12.000 exte origi Vhistoire es vers: 'historien Buston le déclare perdu. Seuls subsistent un abrégé Ge Leghutanira) et des citations dans un commentaire. Le Kilacakra met en relief la notion d'Adi Buddha, de Bouddha primordial, originel, sorte d'étre supréme, qui représente a la fois Ja Réalité ultime et le modéle transcendant de l'Eveil, prise de conscience de cette Realité, libérant celui qui Vobtient des imper. fections et des souffrances du monde phénoménal, Ce n'est pas une ide entitrement nouvelle, car le Guhyasamaja faisait déia allusion au « maitre supréme » (ddiparf) de tous les Tathigala, de tous les « Eveiliés » parfaitement accomplis et qui appelle Bhagavant, le Bienheureux. Mais, le Kalacakra présente cette donnée comme un élément capital, essentiel, de toute la pratique menant aut salut; de méme, il insiste particuligrement sur l'dentité, Vhomologie, entee individu et Yunivers (microcosme et macrocosme). Le corps. est une figuration, une réplique en minature du cosmos : on peut dire aque ce dernier s'y trouve contenu tout entier. Le sens dui temps, de la durée, est étroitement lié aux diverses modalités du souflle vital et & leurs incessantes transformations. Acquérir un parfait controle du souflle vital, c'est échapper & la roue dit temps, atteindre le bow. hheur absolu, inaltérable, dont jouit éternellement tre supréme Le type de yoga préconisé pour le contréle du soulile comporte six membres ou étapes, au lieu de huit dans le youa classique de Patafijali. Sa pratique est mise en relation d'uie maniere part. cculiére avec la division du temps: le Kalacakra distingue en elfet trols phases successives de méditation : trois ans, trois demicmois et trois jours. Durant ces périodes, lorganisme subit, croiton, changement complet. Le pratiquant cherche & régulariser toute son activité selon Je flux du temps, qui n'est autre que I'action des soulles vitaux dans le corps : sil parvient & arréter cette action, il arréte du méme coup le flux du temps et obtient Ia félicité de 'étre immunble. L’astrologie tient une place prépondérante dans la doctrine du Kala: cakra : harmonisant son propre rythme de vie par la régulation da souflle, le pratiquant s'identifie au rythme, & Vharmonie supreme, de univers, dont I'sstrologic permet de pénétrer les arcanes, Introduit au Tibet, le Kilacakra fut étudié dans la plupart des sectes. Nous avons déja signalé ce fait & plusieurs reprises, ainsi que le systéme de datation, sexagésimal, que le Kalacakra fit adop- ter, Deux pandits cachemiriens : Bodhibhadra et Somandtha ont pris part avec leurs disciples tibétains a la traduction des textes du Kalacakratantra (version abrégée) et de son grand commentaire direct : la Vimalapradipa. Les savants tibétains Bu ston (Boutdn, 86. Le bouddhisme « tantrique » indo-tibétain 14 sidcle) et mKhas grub rje (Khédoubdié, 15° sidcle) sont les prin- cipaux auteurs de travaux ultérieurs d/exégbse. SAHAJA OU «LA REALITE QUI NAIT SIMULTANEMENT » Le Kalacakra restait dans Ia ligne des tendances générales du Vajrayana, tel qu’on Te pratiquat auparavant : ritualisme compl gu, usage des mantra ot des mandala, yoga, symbolique des nom. bres et des sons, ete, L’école dite des Sahajiyd, par cont ae une réaction vers plus de simplicite, de naturel et de sponta cherche de V'expérience mystique. Elle met l'accent sur tette experince en sol gut concerns la mature la plus profende de individu, née aver Iu (sahaja) en méme temps que iu et qui slagit de dégager de ses voiles d'obscurité, des souillures qui recouvrent, tclle une pierre précieuse cachée au sein d'une gangue grossidre, jiva lle », sont avant s Sahafiyd (36), adeptes de cette voie « naturelle », : tout ces yogis et souvent des poties on troure expression de luz : s chants en apabhramea et en vieux beng fureat composts principalement au Bengae, du au 12 secle: ls ««trésors » de dohd et de caryd. Nous en avons déja parlé antérieu- rement (p. 54). ; * es chants sont empreints d'un symbolisme spontané, puisqu'ils ioe wansmette un mesaage spiuel: Tinton dpe Fete qui dépasse l'entendement et ne saurait étre évoquée autrement que par allusion i en ticulier ss i an a ces es hn oo mis mes gee emer cin, mae, reste : constructions mentales, rites et exercices de Sereo ae fuperil fdeent ial, vr clos da Bergson. C’est contre quoi réagit le mouvement des Sahajiya. BH Siz cette question, : Sh. DASGUPTA + Obscure religious cults HE GUENIHER, wade amor. + The Royat Song of Saraha. - Univ. ga LAG vrai + Les Chants mystiques de frad’ et comment. : 7 Kantartt ce Savana’ Les doketora eles carsea "Pas, | | | | | | | | | | | | L histoire 87 rejettent la culture livresque, les controverses d’écoles, Ia com: plexité excessive des cérémonies et méme, a la limite, toute esptce dacte religicux, de méditation codifi¢e, au profit exclusif d'une prise €e conscience spontanée de 'union uitime de canyati (la Vacults, le Vide fondamental) et karund (la compassion universelle), union gui procure mahisukha, le grand bonheur, la Félicité supréme. Le refus des conventions, la critique du formalisme social ot religiewe, Prend souvent chez eux une tournure radicale, une violence ex. tréme. On rapporte qu’Atiea, ayant étudié les dohd avec le sida. indien Maitripa, maitre également de Marpa et par celuivi de Mile pepe, préféra ne pas les diffuser au Tibet, parce quil craigneit de favoriser ainsi un nihilisme total, moral et religieux, si leut énonee Gait pris a la lettre, Un maitre indien appelé Vajrapani serait Vinitiateur d'une tra dition de commentaires sur les chants mystiques des Sahajiyd. Ses disciples directs furent A su, dit « le lama népalais » (Bal po bLama, Bépo Lama), Ras cw pa (Rétchoungpa) et mNa’ ris pa (Ngaripa), Cet enseignement relatif & Vinterprétation des dohd fut poursnivi au Tibet par plusieurs lignées de maitres, en particulier dans Vordve des Karmapa : l'un des plus célébres de ces commentateure est Karma p'rin as pa (Karma Thrinlépa), Les Sahajiyé attachent une importance ‘capitale & Ia psycho- physiologic mystique, le corps étant I'nstrument de Ia délivrance, doit étre fortifié et rendu parfait grace au yoza. Les centres secre, d’énergic psychique (cakra, tchakra = « roues >) sont au nomiee de quatre principaux : leur éveil s‘effectue & partir du nombril ct non pas de la base de la colonne vertébrale, comme c'est le cas pour le tantrisme hindow. La Pensée d’Eveil (bodhicitta), produite dans le cakra (tchakra) du nombril, sidentifie & Ia félicité qui nait de Tunion des dene Brincipes : féminin (prajid — intelligence sapientiale, ou qiimard r Xaculté) et masculin (upaya, moyen, ou karuaid, compassion), 12 réalisation spirituelle du bonheur supréme (mahdsukha) résulve geVascension de bodhicitra (bodhitchitta) & travers les catra (tche, ra) supérieurs sis au niveau du eaur, du cou et de la vie Nous étudierons plus tard ce processus dans Ia suite de notre exposé, Mais, il faut noter immeédiatement que pour les Sahajiyd Gahadiiya), méme si utilisation d'une partenaire féminine vex Etre requise, il s’agit avant tout de sublimer, raffiner, les impulsions Erotiques, afin d’en acquérir le maitrise et de les transpose: oar un plan supérieur celui du simple assouvissement physiologique ordinaire 88. Le bouddhicme « tantrique > LE VEHICULE DE DIAMANT ET LOCCIDENT CONTEMPORAIN Nous conclurons cet apergu de 'histoire du Vajrayaa en signa: lant so diffusion actuelle, si sporadique qu'elle soit, dans les pays de -ivilisation « occidentale ». A Yorigine de cette diffusion, outre un snonveau d'engouement pour les mystiques « orientales », il y ale “it que des lamas tibétains, exilés de leur pays, sont devenus pins directement accessibles pour tous ceux qui, en dehors du ‘Ts: souhaitaient recevoir un enseignement se rattachant & une ‘tro: ion authentique. Diverses écoles du bouddhisme tibétain prem nen part & la diffusion de cet enseignement. On doit & Chogyam Tr ‘et Akong Rimpotehés, issus de Vordre des Karmapa, la cession, prés d'un village écossais du Samye Ling Tibetan Centre ©. vvdi¢ation, of se retrouvent de jeunes Européens (Anglais, Pran- Ga. Allemands, Néerlandais, ete.), Américains, Canadiens, Austra- licas, etc., afin de pratiquer Ia meditation un niveau plus ou moins love. Des fondations analogues existent ou existeront bientot dans dautres pays d'Europe et d’Amérigue. Un maftre réputé, Khampo Kalo Rimpoiché, est vénéré par de nombreux disciples. Malgré son ge avancé, il n’hésite pas & faire de longs voyages depuis son monastére, proche de Darjeeling (Bex gale occidental), pour venir donner des conférences ou procéder & des initiations, Outre les Karma-pa, des Sakya- pa, Nyingma- pa, Clouk-pa, etc, apportent leur contribution “a ce mouvement @.xpansion et d'universalité du bouddhisme tibétain, qui permet eopérer, en dépit de circonstances extremement dificiles, la sur- Sac d'un ‘enseignement direct, sans lequel les tantra resteraient Ik. © morte, tandis que serait fermée Ia voie exceptionnelle qu’ils p> sosent pour accéder & Ia connaissance transcendante. Chapitre denxiéme Les fondements doctrinaux Issu d'une conjonction du bouddhisme avec des traditions sans doute plus anciennes, le Véhicule de Diamant a suscité une intense ferveur religieuse. Il répondait & Ja fois aux aspirations de lame Populaire et a celles d'une élite restreinte cherchant une méthode rapide et efficace pour obtenir la « libération » ou, dans certains cas, une maitrise apparemment surnaturelle des phénomenes de la vie dans l'espace et le temps. La tendance essenticllement pratique des tantra peut expliquer pourquoi le Véhicule de Diamant n’a pas produit ume philosophie vraiment originale et s'est contenté d'adapter a ses propres desseins un ensemble assez composite d’éléments empruntés ‘aux grandes écoles doctrinales bouddhiques, surtout celles du Mahayana, le ‘ments qui se surajoutent a une cosmologie et une psychologie plus archaiques. Sur cet ensemble ont da s'exercer des influences pro. venant soit du brahmanisme indien (upanisad, vedanta, civaisme), soit de civilisations extérieures & I'Inde (chamanisme “Asie cen. trale, mazdéisme ou manichéisme iraniens, taoisme chinois, chris. tianisme nestorien, etc), LA DOCTRINE DU GRAND VEHICULE Puisque le Véhicule de Diamant emprante Ja plupart de ses éléments doctrinaux aux écrits philosophiques du Mahayana, il nous parait approprié d'essayer de dégager d'abord les thmes prin- cipaux de commentaires et traités divers qui se sont ajoutés. aux textes canoniques, dont nous avons parlé antérieurement (p. 27). Ces développements philosophiques ont été d'une grande am- pleur. Lun des premiers (37) et des plus importants auteurs en ce domaine porte le nom de Nagarjuna (Nagardjouna; tib. Klu grub, Loudoub). Certains le croient purement légendaire, mais on incline penser qu'il s'agit effectivement d'un personnage historique. Les sources traditionnelles le font naitre d'une famille de brah (G7) Lencellent écrivain sanskrit Apvaghosa (1 ) est pariois,considéré comme un précurseur 2 cet dgard, pour tn ouvrage ss Tralte sor Vorigine de ia croyance du Mahayana , dont Taitibution eat dak leurs douteuse 92 Le bouddhisme « tantrique » indo-tibétain manes dans le Sud de I'Inde, sans doute le pays Andhra, entre les rivigres Godivari et Kysnd. On ne sait pas trés bien dans quelles conditions il devint bouddhiste, les sources chinoises & ce sujet Aifféren: des sourees tibétaines. Aprés son entrée dans le Samgha, il'se m’. a étudier & fond les Ecritures disponibles de son temps. Insatisf..:, i] aurait obtenu d'un Naga (dragon ou rotserpent qui est supp-'é résider dans un palais au fond de la mer) les Prajriipa- amit.” ~2. La biographie de Nagarjuna par Kumarajiva, conser- vée en t“uction chinoise, dit que Ie roi des Naga « le conduisit dans lar.» st ouvrit pour lui le Trésor des Sept Joyaux (les « sept joyaus < -zondaires du Souverain Universel : la roue solaire, sym- bole de i: -tice, l'éléphant, le cheval, la pierre précieuse qui exauce tous les ¢ irs, la femme, Ie trésorier, le général. Ce sont des talis- mans). NicArjuna Iut Jes stra du Mahayana, dont il approfondit, le sens. ¢: |i consacra le reste de sa vie & propager dans ses ceuvres Tear ese Lepoe jement, it vécut Nagirjuna n'est pas fixée d'une maniére certains, 2 plupart des auteurs qui ont étudié ce probleme, récem- ment I, Ventaka Ramanan (38), le font vivre entre la seconde moitié ds 1" sidcle et la premigre moitié du 2. La question est lige en particulier & la chronologic du roi Kaniska I" et de ses stiecesscuurs, Pour le savant belge E, Lamotte (39), Nasdrjuna aurait ‘yécu seziement dans la seconde moitié du 3 sitcle. En tout cas, les savas sont en général d'accord pour estimer que le grand philosor xe Nagirjuna est distinct du maitre tantrique portant le méme usm, dont Vexistence est d'ailleurs problématique (ef. p. 46). Nagarjuna, diton, voyagea beaucoup, jusque dans le Nord-Ouest de inde. Selon Vhistoriographie tibétaine, il se serait méme illustré & Nalanés, mais on y voit un anachronisme. Ce qui parait le plus probable, <‘est quill termina sa vie dans un couvent sur la hauteur appelée Crivarvata, prés de Nagarjunikonda, dans le pays Andhra. que philosophe, Nagarjuna est surtout un tr’s habile Tl excelle & réduire & I'absurde les opinions de ses Cette méthode n'est pas nouvelle dans le bouddhisme, una V'a portée & son point de perfection, ie slappuic sur les Prajftaparamitasitra : elle expose une doctris:: profonde et subtile de la Vacuité (eiinyatd; tib. store pa nid, tonspagni) universelle. Nagarjuna rejette tout dualisme et se tlent envve les deux extrémes de Vaffirmation et de la négation, femaka RAMANAN + Nésarjwne's Philosophy as presented in the lahdprajiiaparamita-sitra. - Tokyo, 1966. ” (39) B. LAMOTTE + L'Ensciguemene de Vimatokirt, p. 1077 Les fondoments doctrinaux 3 d’ou Ie nom donné a son école: Madhyamaka, la (Voie) moyenne, Te Chemin du Milieu. LE CHEMIN DU MILIEU Puisque toute chose n’existe que par rapport & son contraire, clle est dénue de nature propre, vide de substance. Le monde phénoménal, tel qu'il apparait & nos sens, résulte de 'ignorance ou méconnaissance (avidya; tib. ma rigs pa, maripa) de cette Vacuité universelle, Le Vide, seule réalité absolue, est recouvert d’un voile diillusion, une fausse connaissance (jfieyavarana, recouvrement par Je connaissable). Il faut done distinguer deux degrés dans la vérité : une vérité d'enveloppement (sarmvrttisatya, tib. dondam bden pa), celle, toute relative, du monde phénoménal, et une vérité absolue (paramarthasatya, tib. kun rdsob bden pa), qui est accessible par Yexpérience intérieure proposée par le bouddhisme. Du point de vyue pratique, Pignorance et ses conséquences existent; elles doivent @tre combattues, si 'on veut atteindre l'absolu (paramartha, le « but supréme » ot la « signification supréme ») (40). Le principal disciple de Nag@rjuna fut Aryadeva. La tradition tibétaine le fait naftre d'un lotus dans le jardin d'agrément d'un roi de Ceylan, qui I'éleva comme son fils. Tarandtha (« Histoire de Ja Doctrine dans l'Inde ») note que les sources sanskrites (Candra- Kirti) et chinoises (Hiuan-Tsang) confirment cette origine cingha- Iaise, Parvenu sur le tréne, Aryadeva aurait préféré se faire moine. Aprés avoir étudié le tripitaka, il se rendit en pelerinage dans Hinde et rencontra Nagirjuna, dont il fut Weve jusqu’a sa mort ‘& Criparvata. Puis, il poursuivit ses études et ses méditations dans Ja région avoisinante, construisant des monastéres. I aurait fait tun long séjour & Niland3, avant de revenir dans le Sud, pour y mourir & son tour. Leuvre d'Aryadeva et surtout vous & combattre les autres ssystémes philosophiques enseignés dans I'Inde de son temps. I] sattache & réfuter « Vexistence du soi (dtman) ou des éléments analogues, principe vital (jiva), personne (purusa), etc. » (41). La réduction a Yabsurde (prasariga) des arguments des adver~ saires est la méthode favorite des grands madhyamtka, D’ot te nom de prasaigika donné & leurs successeurs, tels que Buddhapalita et Candrakirti. Mais, cette méthode « a entrainé en réaction a V'inté- rieur méme du groupe midhyamika T'établissement par Bhava Tid) L RENOU ot J, FILLIOZAT : L'mnde classique, I, p. TI (41) A BARBAU + Les Religions de P'ndo. 11. Bouddhisme, p. 186 94 Le bouddhisme « tant ique_» indo-ti veka ou Bhavya du recours & Ia logique positive. Au liew de se condamner & ne faire qu'attaquer des positions adverses, il fait effort pour établir des inférences autonomes (svatantranumand), indépendantes des positions prises par les autres, d’ou Je nom de Svatantrika donné au groupe de son école » (42). Selon le Tibétain mKhas grub rje (Khédoubdjé), cité par Obermiller (Bu ston, 11, 135): « le point de vue de Nagarjuna et Aryadeva était celui des Prisaigika... ». Cest par la suite que la distinction s'établit. Bhava- viveka et son successeur Jadnagarbha, dit encore Khédoubdjé, « sont les représentants du syst2me qui soutient Ia réalité des objets exigrieurs d'un point de vue empirique et n'admet pas Yexistence de la perception introspective (svasamvedand)... », alors qu'un autre svitantrika : Cantaraksita (auteur du Madhyamikalamkara) fonda une école de Madhyamaka « qui nie la réalité empirique du monde extérieur, reconnait 12 perception introspective, mais par ailleurs ne considre pas la conscience comme ayant une réalité ultim ce qui différencie sa doctrine de Vidéalisme radical du second mouvement philosophique du Mahayana : le Yogacara ou Vijriana- vide 'ECOLE DE LA CONDUITE DE YOGA Lécole du Yogacara (tib. sNal abyor spyod pa, Naldjor tchéipa), comme son nom I'indique, est née dans des milieux ot Ia pratique du yoga devait étre fort en honneur. Elle enseigne la réalité ultime do la conscience (vijfdnavida, vidjnyanavada), Son principal fondatenr est Asafiga (tib. T’ogs med, Thomé) qui vécut probablement a la fin du 4 sigcle, 1 se placa sous la protection du bodhisattva Maitreya, lequel est censé lui avoir ins- piré ses ceuvres. Certains ouvrages sont attribués directement & Maitreyandtha (« le Seignenr Maitreya >) : ce nom parait se rap- porter & un personnage historique distinct d’Asafiga, Un texte monumental : le Yogdcdrabhiimicastra, « Traité des dogrés dans la pratique du yoga » est sans doute T'couvre de plusieurs générations ; en sanskrit subsiste seulement la partie intitule: Bodhisattvabhiimi, les « Terres » ou « Degrés » (de la carritre) du bodhisattva », ‘ore: le Mahdyanasamgraha, « Ja Somme du Grand d’Asatga, traduit en francais par Etienne Lamotte, PAbhisamaydiamkard’ et la Mahdyanasiitralamkar®, « YOrnement (2) L RENOU et 3. FLLIOZAT : Inde classia Hp. 579. Les fondements doctrinaux 95, des siitra du Mahayana » (attribués a Maitreyandtha). Asahga et son frére Vasubandhu auraient d’abord appartenu a des écoles anciennes du bouddhisme, avant d'étre convertis au Mahdydna, La doctrine caractéristique des Vijf@navadin, selon M. Jean Filliozat, est « celle de la Vijnaptimatrara, la « notification sans plus », doc’ ine d'aprés laquelle les choses me sont que représen- psychiques, se réduisent a rien d’autre que la pensée qui les fait connaitre, qui les « notifie =, ce rien que pensée (vijfiana, cite) étant la seule réalité absolue » (43). Le texte intitulé Bodhisattvabhiimi enseigne que le monde phé- noménal, simple représentation, est pourtant fondé sur quelque chose d'inconcevable et dineffable, qui existe en soi, Dans les ceuvres attribuées & Maitreyandtha, on appelle « base des facteurs (existence) » (dharmadhitu), « fait d’étve tel » (ta- thatd), ce principe supréme. Unique et indestructible, il est pensée feitta) et lumitre (prabhdsvara), naturellement pur (prakytivicud- dha). Les souillures adventices (agantuka) que constituent les phé- noménes ne peuvent Maffecter, pas plus d’ailleurs que la purification de ces souillures. Le monde phénoménal, dont il faut s‘affranchir pour retrouver la réalité fonciére, est comparable a Tillusion que produit un tour de magie (maya), un tableau ressembiant ou le réve, C'est une imagination fausse (abhiitaparikalpand). Elle a sa source dans le principe supréme lui-méme, inhérent en germe & tout ére vivant, et résulte d’une vision duelle des choses, qui sépare le sujet connaissant et l'objet de sa connaissance. La libé ration se produit lorsque l'esprit se rend compte de Vinanité de ce dualisme et recouvre son unicité, son intégralité Asafiga emprunte beaucoup de notions aux écoles anciennes du bouddhisme pour expliquer les mécanismes mentaux. Mais, il leur donne pour support ce qu'il appelle « Ia conscience -réceptacle » (alayavijnana), sorte de tréefonds ou se sont accumulées les traces, les imprégnations (vdsand, littéralement : « parfumage ») des ph noménes peychiques antéricurs. Elles s'y développent en réagissant les unes sur les autres et deviennent ainsi le germe de nouveaux phénoménes mentaux. Les imprégnations demeurent inconscient jusqu'au moment oi elles suscitent Ie fonctionnement de esprit comme faculté mentale (manas). Dans l'existence ordinaire, sou- mise & Ja transmigration, cct esprit se trouve notamment imprégné de illusion qu'il a une existence séparée, un moi, une subjectivité propre, ce qui est source d’affliction, C'est par Vintermédiaire de @ fa. sid, TH, p59, i 1 i 1 96. Le bouddhisme « tantrique » indo-tibétain In « conscience-réceptacle » que cette illusion se transmet successi- vement de vie en vie Pour s’en affranchir, obtenir le salut, ia libération du samsara (écoulement indéfini des phénoménes illusoires), il faut que Sopére une conversion (au sens étymologique), un retournement, une révolution du support des mécanismes mentaux, le tréfonds psychique : deravapardvyrti. Lesprit_affligé de passions (klista- ‘manas) doit étre intégralement purifig, grace a T'élimination des souillures, des iscces subconscientes laissées par tous les actes antérieurs, y compris durant les vies précédentes. Ainsi pourra-til retrouver sa na‘wre authentique, qui eoincide avec la tathatd, la pure essence d'stre, le principe supréme. LA CARRIERE DE BODHISATTVA On parvient a ce résultat en suivant Ia carridre de bodhisartva, progression de la vie interienre en dix étapes bien définies, asso- cies & la pratique de dix vertus fondamentales, quil s'agit de porter & l'estréme (paramita) : la générosité, la moralité, Ta pa tience, Vénergie, la meéditation, Vintelligence, Vhabileté dans les moyens, le veeu, la force et Ta connaissance. 1 faut donc accumuler des mérites et des connaissances, mais sartout entendze Tenseignement du Mahdyana et eroire en la doc- rine du « rien-que-pensée », la réalité unique de la conscience, de Tesprit, Le pas décisif sera fait lorsqu’on aura vraiment compris cette doctrin: par une vision (dargana) juste des choses. On pénétre alors sur la promiére des dix « Terres » (ou Degrés) de la carritre gu bodhisat's. Pais, au long d'une progression lente et difficile clle s'étend vormalement sur un grand nombre d'existences suc cssives), on s achemine vers la réalisation, la prise de conscience, soi de Iz nature parfait. Selon Assiga, Yaudition de la doctrine du MahZyana et la ppréhensin claire de celle-ci suscitent dans la conscience une mation (v@sand) particuliére émanant du principe supréme, omaculée =: supramondaine, Ce germe de vie spirituelle, tout en zenant app sur la conscience -réceptacie, n’en fait point parte. 1 échappe 2 ia souillure. A partir de Iui peut se développer unc connaissance libre des représentations imaginaires ou dépendantes gui tissent Is trame de la pensée mentale et du monde phénoménal. Cette forme supérieure, intuitive, de connaissance ne comporte plus de dichotomie, de distinction entre un sujet connaisseur et Les fondements doctrinaux ot un objet conma. « Pour ceux qui ont obtenu le savoir intuitif (nirvikalpajfidna) aucun objet n'apparait plus » (44). Car, ce quills atieignent désormais, c'est la nature absolue et parfaite des choses le dharmadhaiu, la ‘tathatd, « Quand on brile Vidée par le feu du savoir intuitif, la vraie nature absolue contenue dans cette idée apparait, tandis que I fausse nature imaginaire n’apparait pas » (45). Cultivant ce mode de pensée, Je bodhisattva séjourne successi- it dans chacun des dix « Terres », chacun des dix degrés de jection. Il élimine radicalement ses’ entraves antérieures : les souillures du tréfonds psychique, dont il accomplit la révolution, Mais, il demeure au sein du samsdra, de Ia transmigration, pour contribuer au salut de tous les étres. Ce processus s'effectue évidemment au moyen dexercices répé- tés1 il implique la mise en euvre d'un yoga. Parvenir & Ia connais- sance intuitive, non duelle, cela suppose en effet une profonde concentration tla méditation (dhyana) doit aboutir au samadhi (littéralement : la com-position, c'est-a-dire, selon Vheureuse for- mule de M. Jean Filliozat : une mise en position stable du psy- chisme dans son intégralité). Pour les séiours successifs dans les diferentes « Terres », la purification progressive du tréfonds psy- chiaue, on fait appel & des procédés de « création mentale » (oid LES « CORPS DE BOUDDHA » Le dharmadhatw (élément fondamental des choses, leur quin- tesssence, leur nature parfaite et absolue) s'identifie pour Asana et som cole avec le dharmakaya, corps de Ia Loi des Bouddhas. Ce corps est virtuellement présent en germe cher tout étre et nous avons vn prérédemment qu'il s'évrille grace A Vaudition de li doc wine du Mahayana et Ia compréhension claire de celle-ci, On appelle aussi ce germe tathigatagarbha, Vembryon du Tathi- gata (« Celui qui est allé ainsi », qui a suivi Is voie des Bouddhas, ou bien : « Celui qui est parvenu au tel quel », « au oui », a Vessence vraie des choses, quil constate en disant: « oui, c'est ainsi », Notons que la traduction tibéiaine du terme tathagata:: de btin geegs pa, signifi « celui qui est allé ainsi », « de méme »). Les étres chez qui le tathdgaiagarbha s‘éville et se’dévelezpe, ceux done qui entrent () ASANGA : La Somme du Grand Véhicule, rad. LAMOTTE, IL, p. 105 5) ‘id. 1, p. 126 98. Le bouddhisme « tantrique » indo-tibétain dans la carritre de bodhisattva, le doivent & une maturation parti- culigrement favorable de leur karma, leurs actes antérieurs dans toute une série de vies précédentes. A ce titre, ils appartiennent & tun clan (gotra) spécialement qualifié, pour avoir cultivé depuis longtemps déja les « racines du bien », ce qui les met en état de poursuivre leur évolution spirituelle par accumulation des mérites, des expériences intérieures relatives au Corps de la Loi du Boud- dha (46) Celuici est le plus élevé des trois ou quatre Corps du Bouddha, ‘que distingue Ia théorie des Vijadnavadin. On le subdivise parfois, en svabhavakaya, Corps d'etre propre, corps essential, et dharma kaya, Corps de Ja Loi. Viennent ensuite : le samboghakaya, « Corps de jouissance », ou « de fruition » (@ la fois la félicité qu'il donne au Bouddha luk méme et celle qu’éprouvent les bodhisattva qui le contemplent), et le nirminakaya, Corps de manifestation du Bouddha au plan’ de existence humaine. te théorie (sthavira, sarvastivadin) recoit dans le Mahi d’Asariga, une forme élaborée et systématique. trois corps, implicite dans les éoles ancienne na, avec Vécole TENDANCE PRATIQUE DU VEHICULE DE DIAMANT Les thises fondamentales, irs élaborées et systématisées, des grands philosophes mahdyaniques sont reprises par les théoriciens du Vajrayana, notamment ceux que nous avons appelés avec une pointe d’humour les « Péres de V'Eglise tantrique » (ef. p. 53), d’une maniere fragmentaire, contingente et schématique, au milieu de considérations qui ne sont plus philosophiques, mais dévotion- elles (le culte du gourou, par exemple), apologétiques, techniques, psychologiques, psychophysiologiques. Llobjectif poursuivi n'est plus de mettre en cuvre une puissante dialectique, ni d’approfondir et de structurer, dans le cadre de Yenseignement attribué au Bouddha, une vision du monde fondée 2 la fois sur une subtile expérience intérieure et sur des idées couramment admises & "époque. Désormais, c'est le point de vue pragmatique qui domine: il s'agit avant tout de fournir aux adep- tes (de Tart de vivre bouddhique, qui leur est proposé) des indi cations et des préceptes conduisant au but recherché : Ia libération (46) D. RUEGG : La Théorie du tathdgatogarbha et du gotra.- Patis, 196. Los fondements doctrinaux 9 personnelle et universelle. A cet égard, la philosophie proprement dite, telle du moins que nous l'entendons, n’intervient plus qu’ac: cessoirement et revét aussi une forme plus populaire, moins abs- traite et plus hétérogéne, Prenons par exemple le texte d'dnangavajra : « Perfection de decision de melligence sapientiale et du moyen » (Prajnopayat nigcayasiddhi) (47), dont le ttre marque deja un peu le caractére Proeatiaue de la philosophic « tansrgue » 1 commence par une tnvocation a Vajrasattva (ib. rDo rie sems pa, Dordje, Sempe), Ie Bure de Diamant » symbole de i Reale ime, ql conse tise et personne. De Iii, pure essence de sagesse et de'compacsion (prajtepayamasa : fait de prajnd et dupa), nat le triple corps de Vétat de Bouddha =’ «incomparable » Corps ds dharma, essen, tellement pur et libre du volle des: phenomenes levels; Ie Corps de sambhoga, base de Ia difasion de la Doctrine, ct le Corps fe nirmina, manifesté en de multiples formes, ‘Tout de suite apsts €et énoned succinct dun thime ontclogique fondamental ds Mahi Yin, Anaigavajra en vient 4 une philosophic: pratique qui ten Ncombattre Tattachement au monde phenomenal, Istaee Constnac: tion de Tesprit, dont résulte accumulation de « soulllores > da karma, les multiples souffrances et notamment le eyele de Ia nals: sance et de la mort L'UNION SUPREME DE L'INTELLIGENCE ET DE LA COMPASSION Lintelligence supérieure (skt. prajid; tib. ces rab, shérab), discriminative ou sapientiale, c'estavdire inspirée par une profonde sagesse qui voit plus loin que les apparences immédiates, sait se détacher de la notion illusoire d'existence dans le monde, prison des hommes ordinaires, sans tomher pont autant dane Texcts contraire qui serait Vattachement A la non-existence, at nihilisme absolu, On appelle compassion (skt. karund) le fait pour le sage, celui qui aspire & jouir de I’état de Bouddha, de se vouer au salut de tous les étres restés prisonniers des souffrances du monde illusoire des phénomtnes. Parce qu'elle implique d'amener quelqu’un au but désiré, & l'aide d'un ensemble de mesures appropriges, on Pappelle aussi moyen (skt. updya). Tas on hw Veh Wert «Bt te SS AL te eee Baa FESO SN Pag RR SSB ON ae | Hah 100. Le bouddhieme « tantrique » indo-tibet Junion de prajia, Vintelligence discriminative et d'upaya, le smoyen on a ccnpusion alsa, est « comme calle de Tea et du lait, sans dualité. Cest Fessence du Dharma (dharmatattva), & aauoi Yon ne peut rien ajouter et dont on ne peut rien retrancher. Elle est libre de la double notion de sujet et d'objet, libre de tre et du nonatze, de caractérisation et de caractéristiques; sa nature est pure et immaculée. Ni duelle, ni non-duelle, paisible et auspi- ciouse, elle réside également en toutes choses, elle, Vimmuable (union @?) Intelligence et Moyen, que chacun peut connattre par soiméme. C'est la ce qu’on appeile le séiour supréme et merveil Jeux de tous les Bouddhas, Ia sphére du Dharma (dharmadhdtu), le facteur divin de la perfection de felicite... » (48) Anaigavajra continue ainsi, jusgu’a la fin du premier chapitre de son ouvrage, cette sorte de litanie & la gloire de 'union parfaite de T'intelligence sapientiale et de la compassion agissante. Tout SY trouve Tamené comme & sa source originelle et son aboutisse- ment éternel, méme existence phénoménale et les diverses caté gories d'étres souffrants « Elle demeure en toutes choses comme un joyau qui exauce tous les désirs; cest le degré final de la jouissarice (Bhukti) et de la délivrance (mukti). Cest ici que les fortunés (sugarah, ceux qui ont une heureuse destinée, on littéralement : « qui sont bien allés ») se sont rencontrés dans le passé et sont devenus des Bouddhas, et Gest iei que ceux qui se dévouent pour le monde deviennent des Bouddhas et le deviendront toujours a Vavenir, On l'appelle la Grande Faticité (mahdsuxha), car elle est faite d'une felicité sans fin; c'est le Bien supréme, universel, réalisateur de l'Eveil parfait. Cette vérité, bonheur par excellence pour soi et pour autrui, les plus grands sages la définissent comme Tunion de la compassion infinie, soueieuse uniquement de détruire les souffrances du monde, et de Vinrelligence supréme, libre de tout attachement. accumula tion de connaissance qui est incommensurable dans sa\diversité » (2). LA DEVOTION AU MAITRE SPIRITUEL Au début du deuxiéme chapitre de son ouvrage, Anaigavajra annonce quill va traiter du « moyen » (updya), mais tout aussi TH INANGAVATRA « Prajtopayasidahiviniceaye. Texte sanpeit dans (8 A Nahnana Works! pS Head. anglaise dane * Buddhist Toss Brug tages (69) ibid, Teste sanskrit, p. 7. Trad. anglatse, p. 242243 | | | | | | | | Le fondements doctrinoux 101 brigvement, ditil, que les Bouddhas du passé. Car, méme pour un Bouddha, il est impossible d’exprimer directement avec des mots ce qui ne peut faire objet que d’une expérience personnelle, inch. fable. La révélation en a été faite sous forme d'une méthode, d'une pratique & base de siitra et de mantra, par les Bouddhas des trois temps (passé, présent, futur). Ce procédé a Ini seul ne procure pas une réelle connaissance de Ja tradition : il faut que le sens authen- tigue en soit expliqué par un maitre compétent, sans lequel on ne pourrait trouver la vérité, méme apres des dizaines de millions Cages cosmiques (kalpa). « Bt si le joyau de la vérité n'est pas trouvé, le but final (siddhi, la réalisation parfaite) ne le sera pas non plus, comme une plante ne saurait se développer sans semence, méme dans le meilleur et Ie plus pur des champs. Si Yon rencontre sur terre des maitres ayant la pleine connaissance de cette vérité, de ces maitresJ& qui censeignent (union a’) Intelligence et Moyen, traditionnellement ‘qualifiés, merveilleux comme le joyau qui exauce les désirs, ferme- ment établis sur le chemin ot les doutes sont abolis, il faut les servir avec z2le, si Yon a pour objectif supréme la perfection de soi. C'est grace leur lumitre éclatante que la felicité de l'Eveil infini peut étre obtenue, ce qu'll y a de meilleur pour tous les @tres dans ce triple monde des choses animées ct inanimées » (50). Jusqu’a la fin du chapitre, Vauteur développe cette idée de Vimporisnce capitale du maitre auquel le disciple doit vouer totalement sa confiance et marquer le plus grand respect, pour se consacrer avec zéle et résolution & la pratique rituelle’ sous sa direction. Il faut aussi qu'il renonce & Venvie, la malveillance, & Yorgueil et la suffisance. C'est ainsi qu'il obtiendra « par la grace du gourou » la vérité supréme enseignée par les Bouddhas, Celieci est « la pensée d’Eveil (bodhicitta), éternelie, resplen- dissante et pure, séjour des vaingucurs (fina, vainqueur = Boud- dha), fondement divin et cause primordiale de toutes choses. De méme qu'un cristal resplendit & cause de la proximité de la lumiére du soleil, qui dissipe la lente obscurité environnante, de méme la précieuse gemme de l'esprit d'un disciple libére des ténebres de Ja souillure s'illumine & cause de la proximité d'un instructeur du monde qui brille du feu de fa pratique de la vérité, Des quill est, ainsi éveillé, flamboyant du feu de la verité, ce disciple est appro. ché par les Bouddhas des dix directions (51), dont les pensées sont ia Texte sanskrit, p. 78. Trad, anglaise, p. 242243, (61) Des dix directions de Vespace : points cardinaux, zénith, nadic ot directions intermediaires; autrement ait: Tes innombbrables Boudchss ‘adja parvenus & la perfection dans Timmensite de Tespace

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