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re Les machines aSuerir .soses dossier présenté par Architecture + Archives Collection dirigée par le CERA Michel Foucault .. Blandine Barret Kriegel Anne Thalamy Frangois Beguin Bruno Fortier LES MACHINES A GUERIR Faire de Phpital une « machine », un instrument de guérison, le concevoir comme un serviee .. A quelques mois de la Révolution cette nouvelle définition de Ihopital aura marqué une rupture fondamentale, Délaissant|'assistance au profitd’ une intervention médicale, substituant al'internement un controle démultiplig et ouvert, Phopitalallait devenir une donnée urbanistique essentielle, 'un des premiers équipements au sens contemporain du terme. De 1772.4 1788, vingt ans, & peine, auront suffi pour repenser et surtout dessiner ce nouvel hopital. C'est ce débat, entre Condoreet, Lavoisier et Tenon, ce sont les seaiatin din Rendites ot da T Acaddindnetnani ani HEPIA (Genéve) Em000007821813 BIN. 287009 103-6 /Imprimé en Belgique 1979 - 002s - 2 Les machines a guérir Michel Foucault / Blandine Barret Kriegel / Anne Thalamy Frangois Beguin / Bruno Fortier hopia~ Bibi Fue de la Architecture + Archives | Pierre Mardaga (Ce dossier a 6té réalisé & partir des recherches suivantes: Recherche sur Pintisution hospitalve da fn du xvmm sidcle, Généalogie des équipements collectifs: contrat CERFL/DGRST, 1° 7301503, sous la direction de M. Foucault Lapolitique de ! espace parisien la finde! Ancten Régime, CORDA /DGRST, a 7300500201, par B. Barret-Kriegel, F, Beguin, B. Fortier, D. Friedmann, A. Monchablon Documents: Bibliotheque Nationale; Photographies: Jean Francou, Jean-Michel Thibault © Pierre Mardage, éiteur 2, aleve dex Prines, 1000 Bruel Tue de la Province, 4020 Litge D. 1979 - 0024-3, LSB. 2- $7009. 103-6 Certainement, les hopitaux sont des outils, ou, i'on aime mieux, des ‘machines @ traiter les malades, je dirais volontiers en masse et par économie. Jamais l'art de guérir n'avait présidé d leur forme, é leur distribution. Si, dans quelques endrolts des hommes aussi habiles ‘qu attentifs avaient donné des soins a ces sortes de maisons, les regles de leur distribution n'étaient encore ni prononcées, ni rassem- blées et répandues; Uart de guérir était muet sur ces utiles objets et Varchitecte n’était guére livré qu’d des routines et & des tdtonne- Tenon Que Phdpital n't pas toujours é4é un équipement, quadrillant un espace habité et faconnant une population utile, qu'il at pendant longtemps moins visé la santé des individus que cherché @ y circonsorire Foisiveté, qu'il n'ait au fond ni réellement soigné ni produit de savoir médical on le sait aujourd'hui et on connait les termes essentiels de sa définition moderne hépital qui contre et qui soigne, accueil les malades d'un secteur, tented'y fire fonctionner des normes de santé Sans doute alors est-ce & parir de cette apparition de Uhopital de soins ~ et en revenant aux débats et aux lutes qui ont accompagnée — qu'il faut essayer de comprendre U'afaire des hapitaux modéles destinés dla capitale,et1'écho — en son point de départ —de incendie de’ Hétel-Dieu. Episode d'apparence assez mince, du Imoins sil'ons'en tent ala fréquence du few et de la mort dans la vile du xvi" siecle, mais qui aura immédiatement pris force d'événement au eroisement des multiples critiques portées & une institution’ devenue monsirueuse et absurde. En mettant drusquement en unizre un hopital improductif et menagant, le brasier de Vannée ITP aniorce une nowwelle definition de toute Varchitecture hospitaliére tadition- nelle Pars, ola métamorphose de Fancien Hotel-Dieu en quatre hdpitaux idéaux échoue de peu en 1788, mais pariout au XIX" sigcle ot Phopital pavillonnaire restera 112s longtemps le seul espace imaginable. Fallaitil reconstruire ' Hétel-Dieu et surtout, allait-on encore rassembler une relle ‘multitude de malades au centre de Paris? On avait fait em 1737, apres un premier incendie, allant méme jusqu’d agrandir hdpitaten plein cwur deta ville. Le Bureau et VEglise se proposaient ailleurs d’y revenir, confiant déja d Chalgrin et Ledoux la charge d’un nouveau projet... En quelques mois, pourtant, cette entreprise-réflexe allait étre disqualifiée, noyée sous toute une série d'objections oi il était soudain question de ta réparttion, de la taille, du réle et de Uarchitecture d'un systeme 5 A'hopitaux modeles: de 1772 et 1788 plus de deux cents plans de réforme, plus de cinguante projets d’architecture allaient ainsi étre produits, chacun jurant de faire de Uhdpital une parfaite «machine @ guérir», mais donnant également leur dimension ‘majeure aux prolongements de Vincendie: celle d'un déhat public portant sur la definition spatiale d'un grand programme a Etat. Aux limites d'une histoire des équipements collectifs et de Phistoire des distributions architecturales et urbaines, 1rois caractéristiques sont alors remarquables dans cette remise en cause de Uhépital classique. Diabord la procédure wilisée pour provoquer puis guider! affrontement, susciter une opinion publique, introduire — avec l'Académie des Sciences — une instance de validation des choix opérés par l Etat: le cas de U’hopital préfigure ici 'instruction — plus secréte par la suite, mais souvent similaire — des problemes architecturaux osés par d'autres équipements. La seconde caractéristique tient ce terme d’équi- pement: non que le mot soit jamais prononeé & l'époque, mais plutst un réseau de ‘questions qui fait de Uhopital bien plus qu'un simple batiment, autre chose qu'une institution d'éloignement et de mise a lécart. A quelle population s'adresseractil? Comment le localiserast-on? Faudra-til le spécialiser? Quels objectfs précis lui assigner? Quelles statistiques produire sur état sanitaire de (a ville qui permetient d'en contréler les effets a long terme: Vidée nait — et c'est le troisi¢me aspect remarquable — d'une architecture si précise et si «juste» qu’aucune distribution alternative ne puisse en ameéliorer le rendement, On en fixera le modéle (dont on ne ourrait s'éloigner), aprés que le maximum de projets ait été critiqué et testé, pour ‘aboutir enfin é un espace médicalement wile: c'est le riomphe, @ Vintérieur du type Pavillonnaie, des multiples dispositifs, climatiques et disciplinaires, produits & l'oc~ casion de cette affaire des hopitaus. LA POLITIQUE DE LA SANTE AU XVIII SIECLE ‘Une médecine privée, «libérale>, sollicitée par l'initiative individuelle, et soumise aux mécanismes de offre et de la demande; A c6t6, en face peut-etre, une gestion dela médecine décidée par les autorités, appuyée sur un appareil administratif, encadrée par des structures léuislatives strictes, et s‘adressant & la collectivité toute entire. Estuil fécond de marguer une nette opposition et de chercher, entre ces deux types de médecine, celui quifut premier et dont 'autre dériverait? Fautil supposer, a origine de la médecine occidentale une pratique de caractére collectif que des formes de rapports individuels auraient peu a peu dissocige ? Ou doit-on imaginer que la méde- cine moderne s'est développée d'abord dans des relations singulitres (eapports de clientéle et relations cliniques) avant qu’une série de corrections et d’ajustementsPait itégrée 2 une politique et & une gestion d’ensemble? Poser le probleme de cette maniére suppose un découpage un peu fictif. Lamaladie. la fagon dont le malade l'éprouve et 'exprime, ce qui pour lui et pour les autres la sépare de la santé, les signes qu'on lui reconnait, les comportements qu'elle induit renvoient, dans toutes les sociétés, & des systémes collectfs; mieux: intervention du médecin, la forme de son action, jusqu’cu secret de ses reeds et leur efficacité, constituent, au moins en partie, une réponse de groupe a cet événement de la maladie qui est toujours plus qu'un malheur ou une souffrance individuels, La médecine «privée » est tun mode de réaction collectif & la maladie. La question n'est done pas dantériorité; Fimportant c'est plutot la maniére spécifique dont a un moment donné et dans une société définie, interaction individuelle entre imédecin et malade sarticule sur l'intervention collective a I'égard de la maladie en général ou de tel malade en particulier. L’histoire dela « profession» médicale ou plas ‘exactement des différentes formes de «professionnalisation » du médecin s'est rev lee, pour analyser ces apports, un bon angle dattaque. Dans cette histoire, le xvi sitcle marque un moment important. Quantitativement, ce fut la multiplication des médecins, Ia fondation de nouveaux hpitaux, Pouverture de dispensaires, et d'une facon générale une consommation de soins acerue dans toutes les classes de la société, Qualitativement, c’est une formation plus standardisée des médecins, c'est un lien un peu mieux marqué entre leurs pratiques et le dévelop- ppement des connaissances médicales, est une confiance un peu plus grande accordée leur savoir et leur efficacité; c'est done aussi une diminution relative de la valeur 4qu’on préte aux «cures» traditionnelles. Le médecin se détache un peu plus nettement des autres donneurs de soins; et il commence & occuper dans le corps social une place plus étendue et plus valorisée Processus lents, dont aucun n'est décisifni absolument nouveau, Mais peut-étre ce qui ‘caractériserait les années 1720-1800, c’est que la professionnalisation du médecin se fait sur fond dune «politique de santé». Parmi les autres réactions collectives, et plus ‘ou moins concertées, que suscite la maladie, — comme par exemple Ia lutte contre les épidémies—, une « politique de santé » sedistingue de plusieurs fagons;elle suppose I. Un certain déplacement, ou du moins un élargissement de lobjectif: il ne s‘agit plus seulement de supprimer la maladie li oit lle apparait, mais dela prévenir; micux, de prévenir, dans la mesure du possible, toute maladie quelle qu'elle soit. 3. Ladétermination de variables caractés n r 8 caractéristiques d'un groupe ou d'une collectivité: {aux de morslté, durée moyenne de vie, espérance de vie pou chaque tranche de, forme épidémique ou endémique des affections caractérsant la santé d'une popula. 4. Le développement de types d'intervention qui ne sont ni thérapeutique’ ni méme médicaux au sens strict, puisqu’ils concerment les conditions et les movies de vie Valimentation, habitat, le milieu, la maniére d’élever les enfants, etc. . 5. Enfin, une intégration au moins partielle de la pratique médicale & une gestion Economique et politique, qui vise & rationaliser Ia société. La médecine n'est plus simplement une technique importante dans cette vie et cette mort des individus ‘auxquelles les collectivités ne sont jamais indifférentes elle devient, dans le cadre de . Sans doute, ces deux processus font partie du méme ensemble: le controle de l'assis- tance et la répartition utile de ses bienfaits est un des problémes de la «police », et celle-ci a parmi ses objectifs majeurs I'ajustement «une population & un appareil économique de production et d'échange. Maisilest utile de maintenir, pourdes raisons d’analyse, leur spécificté: le premieren effet dégage de I'assistance charitable le probleme de la maladie, tel qu'il se pose de fagon differentille selon la fortune, Page, la capacité et la volonté de travailler. Le second, en revanche, intégre les problemes de la maladie & ceux des conditions aénérales de vie, es malades & ensemble de la population, la médecine & la gestion 10 : économique et politique de la société. Dans un cas, on va de la masse indécise des assistés&la specification des malades. Dans Mautr, la réaction spécifique a la maladie ‘'intagre au contrOle des formes d’existence et de coexistence. L'assistance s‘infléchit vers une médicalisation qui la léitime en prétendant la rendre & la fois rationnelle et efficace, La médecine cependant peut prendre place, selon des degrés divers de subordination ou de coordination, dans un systeme administratif qui se fixe pour but explicit le bien-étre et la santé d'une population. Tels sont les deux motifs, etles deux axes de cette «politique de santé» qui se dessine ‘au Xvi siecle: constitution d'un appareil qui peut prendre en charge les malades comme tes (c'est par rapport Ae dispositif que la santé ale sens dun état restituer et fun but a atteindre); et aménagement d'un dispositif qui permet d’observer, de mesurer, et d’amélforer en permanence un «état de santé» de la population, dans Jequel la maladie n'est qu'une variable dépendante d'une longue suite de facteurs, ‘On peut comprendrea partir de fa quelques-uns des principaux themes développés au xvilr sigcle sur la politique de la santé 1. _Le privilege de I'enfance et la médicalisation de la famille, Au probleme «des enfants» (c’est-a-dire de leur nombre a la naissance et du rapport natalité-mortalité) s’ajoute le probleme de «I’enfance » (c’est-2-dire de la survie jusqu’a lage adulte, des conditions physiques et économiques de cette survie, des investissements nécessaires et suffisants pour que la période de développement devienne utile, bref de organisa. tion de cette « phase » quiest percue comme a la fois spécifique et finalisée). Tne agit plus seulement de produire un nombre optimum d’enfants, mais de gérer convenable- ‘ment cet ige de la vie. On codifie alors selon de nouvelles régles—et fort précises—Ies relations des parents et des enfants. Demeurent bien sir, et avec peu d'altération, les rapports de sours sionet le systéme des signes qu’lls exigent. Maisils doivent étre investis désormais par {out un ensemble d’obligations qui s‘imposent a la fois aux parents et aux enfants: obligations ordre physique (soins, contact, hygiéne, propreté, proximité attentive); allaitement des enfants par les meres; souci d'un habillement Sain; exercices physi- {ques pour assurer le bon développement de l'organisme: corps & corps permanent et contraignant des adultes avec les enfants. La famille ne doit plus étre seulement un réseau de relations qui s‘inserit de ce fait dans un statut social, dans un systéme de parenté, dans un mécanisme de transmission des biens, Elle doit devenir ua milien physique dense, saturé, permanent, continu, qui enveloppe, maintient et favorise le corps de l'enfant, Elle prend alors une figure matérielle en se découpant selon une Gtendue plus étroite; elle s'organise comme lentourage proche de l'enfant; elle tend & devenir pour luiun cadre immédiat de survie et'évolution, Ce quientraine un effet de resserrement, ou du moins une intensification des éléments et des relations qui constituent la famille étroite (le groupe parents-enfants), Ce qui entraine aussi un certain renversement des axes: le lien conjugal ne sert plus seulement (ni méme peut-éire en premier lieu) a établir la jonction entre deux ascendances, mais & organi ser ce qui servira de matrice & individu adulte; sans doute il sert toujours & donner ” 0 RI suitea deux lignées, donc & produire de la descendance, mais aussi fabriquer dans les meilleures conditions possibles un étre humain parvenant & l'état de maturité. La

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