You are on page 1of 12

COURS

collection

collection
COURS collection

COURS

LMD
S
Droits fondamentaux LMD
et libertés publiques 2018 Collection dirigée par Bernard Beignier

Droits
Ce cours, à jour au 1er août 2018, rassemble l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur les droits

R
de l’homme, de leur invention à leur protection juridique actuelle. Il couvre l’ensemble :
– des sources des droits : civil, pénal, international, européens, constitutionnel,

fondamentaux et
administratif ;
– des aspects de chaque droit ou liberté : historique, textes, jurisprudence, débats ;
– des développements relatifs aux enjeux de sociétés : données personnelles, garde à

libertés publiques
vue, biométrie, internet, vie privée, étrangers, sectes, hospitalisations psychiatriques,

et libertés publiques
Droits fondamentaux
droit des médias, bioéthique, lanceurs d’alerte…

U
Le programme comprend :
– l’histoire des droits de l’homme ;
– les systèmes de protection des droits ; • Cours
– les droits fondamentaux : droit à la vie, à la mort, à l’intégrité physique, liberté sexuelle,
liberté d’expression, identité ;
• Thèmes de travaux dirigés
– les libertés publiques : liberté individuelle, opinion, religion, éducation, réunion,
association, syndicats, droits politiques, liberté d’aller et venir, droit de propriété,
5e édition
libertés économiques et droits sociaux ; Préface de

O
– les droits de catégories spécifiques : droits de l’enfant, des étrangers, des personnes
handicapées, des malades, des détenus.
Jean-Paul Costa
Il comporte un index des 2 100 jurisprudences citées, ainsi qu’un index des matières
et des auteurs.

X. Bioy
Ce cours s’adresse à tous ceux qui veulent connaître les droits de l’homme, plus
particulièrement les étudiants de L3 Droit, des Instituts d’études judiciaires (CRFPA,

C
ENM, métiers de la sécurité), de master Carrières judiciaires et master Droit public, des
Instituts d’études politiques et des préparations de concours administratifs (ENA, IRA,
Xavier Bioy
Juridictions administratives).
Il est issu de l’expérience d’enseignement dans ces formations de Xavier BIOY, professeur
agrégé de droit à l’Université Toulouse 1 Capitole, responsable de l’axe « Libertés »
de l’Institut Maurice Hauriou, codirecteur du master « Droit des libertés ».

www.lextenso-editions.fr
ISBN 978-2-275-06063-7 42 €

COURS - Droits fondamentaux et libertes publiques - 5e ed.indd 1 10/09/2018 10:38


SÉANCE 3

De la garantie des droits


aux droits garanties

Commentaire d’arrêt
Cass., ch. crim., 28 février 2018, 17-81929
France Daumarie, Doctorante contractuelle en droit public, Université Toulouse 1 Capitole

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de


Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :
Vu l’article 593 du code de procédure pénale, ensemble l’article 224-1 du Code pénal ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et
répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l’insuffisance ou la contradiction
des motifs équivaut à leur absence ;
[...]
Attendu que M. C... a déposé plainte pour séquestration et violences volontaires contre le personnel
de direction le 4 octobre 2013 en exposant que ces faits avaient provoqué chez lui un choc
émotionnel important ; que MM. Y... et D... ont été poursuivis, sur le fondement de l’article 224-1 du
Code pénal, pour avoir arrêté, enlevé, détenu ou séquestré M. C... ; que par jugement en date du
19 novembre 2015, les prévenus ont été condamnés de ce chef ; que ceux-ci et le ministère public
ont interjeté appel ;
Attendu que pour caractériser la détention de M. C..., l’arrêt énonce qu’en plaçant celui-ci dans un
bureau et en lui demandant d’y rester jusqu’à nouvel ordre, l’employeur lui a fait subir une
contrainte morale irrésistible, l’exposant à un licenciement pour faute s’il avait voulu en partir ; que
cette demande ne pouvait se rattacher aux prérogatives de l’employeur ; que M. Y... a usurpé la
qualité d’officier de police judiciaire, en prenant à l’encontre de M. C... l’équivalent d’une mesure de
garde à vue et en s’autorisant à procéder à une enquête, quand les faits de vol ne pouvaient la

829
DROITS FONDAMENTAUX ET LIBERTÉS PUBLIQUES

justifier en l’absence d’atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux
libertés individuelles dans l’entreprise ou de danger grave et imminent ;
Mais attendu qu’en prononçant ainsi, sans préciser les actes matériels dirigés contre la personne
de M. C... qui l’auraient privé de sa liberté d’aller et de venir et alors que l’employeur, qui a connais-
sance de faits répréhensibles, susceptibles d’être disciplinairement sanctionnés, peut procéder à
une enquête interne et recueillir les explications de ses salariés, la cour d’appel n’a pas justifié sa
décision ;
D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de cassation proposés :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Lyon, en date du
9 mars 2017, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Grenoble, à ce désignée par délibération
spéciale prise en chambre du conseil DAR ;

Proposition de corrigé
Introduction
Accroche. « La motivation des décisions de justice est fondamentalement la mémoire de la
prudence » par laquelle le juge délibère, démêle le juste et l’injuste et trouve la solution du
litige »1. C’est ainsi que le professeur Zenati-Castaing explique que la motivation soit devenue
une obligation et, suivant, un instrument de contrôle du respect de la loi par les juges.
C’est précisément ce contrôle que la chambre criminelle de la Cour de cassation a exercé le
28 février 2018 en vertu de l’article 593 du Code de procédure pénale. Ce contrôle lui permet
d’apprécier la motivation des juges du fond et de censurer le manque de précision, l’insuffisance
ou encore la contradiction des motifs.
Faits. En l’espèce, le 24 janvier 2013, un technicien de surface est surpris par son employeur en
flagrant délit de vol. Il est immédiatement convoqué, avec son équipe, dans les bureaux de la
direction. Ils sont installés séparément et interrogés. À cette occasion, le voleur désigne un de
ses collèges comme étant l’instigateur de ce vol et informe la direction qu’un autre individu doit
venir récupérer la viande dérobée.
Ces informations expliquent que la direction ait d’abord plongé l’instigateur présumé seul dans le
noir, malgré sa demande de rallumer la lumière, tout en lui ordonnant de « ne pas bouger jusqu’à
nouvel ordre ».
L’enquête ne menant à rien, la direction décide de confronter le voleur et le salarié désigné
comme instigateur. Le premier reconnaît alors être le seul responsable tandis que le second est
mis hors de cause après que des excuses lui aient été présentées.
Le salarié accusé à tort conteste les conditions dans lesquelles il a été interrogé par sa direction.
Il dépose plainte pour séquestration et violences volontaires. Il met notamment en avant le fait
qu’il a subi un « choc émotionnel important » après avoir été retenu trois heures durant dans les
locaux de l’entreprise, parfois plongé dans le noir, avec pour ordre de ne pas en sortir.
Procédure. Par un jugement du 19 novembre 2015, la direction de l’entreprise est condamnée sur
le fondement de l’article 224-1 du Code pénal pour avoir détenu arbitrairement le demandeur. Les
prévenus et le ministère public interjettent appel de cette décision.

1. F. ZENATI-CASTAING, « La motivation des décisions de justice et les sources du droit », D., 2007, p. 1553.

830
De la garantie des droits aux droits garanties

Le 9 mars 2017, la Cour d’appel de Lyon rend un arrêt confirmatif et déclare les employeurs
coupables des faits de détention arbitraire suivie d’une libération volontaire avant le septième
jour. Elle considère que le salarié était effectivement détenu puisqu’il subissait une contrainte
morale irrésistible pour lui.
Enfin, la direction forme un pourvoi en cassation. Elle invoque le moyen tiré de la violation des
articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, 224-1 du Code pénal et 593
du Code de procédure pénale, à savoir, du défaut et de la contradiction de motifs.
Les demandeurs font notamment valoir qu’en affirmant simultanément que l’employé avait fait
l’objet d’une mesure de garde à vue et qu’il n’était pas enfermé dans un local, la Cour d’appel
s’est contredite. De plus, les demandeurs considèrent que le simple fait de demander à son
salarié de ne pas bouger ne peut pas caractériser une privation de liberté de quitter les lieux et
qu’ils n’ont fait que mettre en œuvre leur pouvoir de direction.
Solution. Le 28 février 2018, la Cour de cassation juge que la Cour d’appel n’a pas suffisamment
motivé sa décision pour retenir le délit de détention provisoire étant donné que la direction de
l’entreprise ne faisait que procéder à une enquête interne, un pouvoir de direction dont elle dispose.
Elle casse l’arrêt du 9 mars 2017 et renvoie l’affaire à la Cour d’appel de Grenoble.
Problème de droit. Par cet arrêt, la chambre criminelle est venue préciser l’étendue du « pouvoir
d’enquête » des employeurs auprès de leurs salariés lorsque ceux-ci encourent le prononcé d’une
sanction impactant leur présence dans l’entreprise, leur fonction, leur carrière ou leur rémunération2.
Ces procédures internes se sont particulièrement développées depuis quelques années, parfois
aux dépens des employeurs puisque, selon les circonstances, il peut leur être reproché de ne
pas y avoir procédé. Or, du fait de l’absence de réglementations relatives à ces enquêtes, la direc-
tion trop zélée s’expose, à l’inverse, à des plaintes de salariés qui penseraient avoir été
malmenés.
De fait, les employeurs se trouvent enserrés dans un étau juridique aux contours bien flous. C’est
pourquoi, dans le cadre de la mise en œuvre de ces procédures, cet arrêt vient les protéger du
délit de détention arbitraire en exigeant, pour qu’il soit retenu, une motivation accrue des juges
du fond.
La question posée à la Cour de cassation est donc double. D’une part, il s’agit de savoir si la seule
menace implicite d’un possible licenciement suffit à caractériser une privation de liberté d’aller et
venir et donc, le délit de détention provisoire. D’autre part, il est question d’interroger l’étendue du
pouvoir d’enquête de l’employeur et de déterminer jusqu’où il peut aller pour recueillir les expli-
cations de ses salariés.
Annonce du plan. La solution apportée par la Cour de cassation sera développée en deux temps.
Dans un premier temps, il sera question d’étudier la nécessité d’une motivation accrue pour
retenir le délit de détention provisoire, tout en montrant qu’il s’agit d’une exigence portant unique-
ment sur l’existence de l’acte restrictif de liberté (I). Puis, dans un second temps, il sera démontré
que l’exigence d’une motivation accrue est circonscrite au seul pouvoir d’enquête de l’employeur,
un pouvoir de direction dont la chambre criminelle va encadrer la mise en œuvre (II).

2. Code du travail, article L. 1332-2.

831
DROITS FONDAMENTAUX ET LIBERTÉS PUBLIQUES

I. La nécessité d’une motivation accrue pour retenir le délit


de détention provisoire, une exigence portant sur l’existence
de l’acte restrictif de liberté
D’abord il sera question de développer l’obligation de motivation qui pèse sur les juges du fond
ainsi que le contrôle exercé par la Cour de cassation en la matière (A). Puis, le crime de détention
arbitraire sera défini comme un acte volontaire et illégal de priver autrui de sa liberté d’aller et de
venir avant de montrer que l’ordre de ne pas bouger n’est pas un élément suffisant pour caracté-
riser une restriction à la liberté d’aller et de venir (B).

A. L’obligation de motivation pesant sur les juges du fond,


objet d’un contrôle de cassation classique
Dans l’arrêt du 28 février 2018, la chambre criminelle est saisie sur les moyens de cassation tirés
de la violation des articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, 224-1 du
Code pénal, et 593 du code de procédure pénale. En d’autres termes, elle va être amenée à se
prononcer sur la motivation de l’arrêt du juge du fond.
La motivation peut se définir comme l’« ensemble des motifs d’un jugement », à savoir les
« raison [s] de fait ou de droit qui commande [nt] la décision [...] que le juge indique comme
l’ayant déterminé à [se] prononcer comme il l’a fait »3. Elle a plusieurs fonctions.
Il s’agit d’abord d’un procédé discursif visant à « convaincre que la solution choisie est la bonne »4.
Elle permet ainsi « une compréhension du fonctionnement de la justice par la société » et, consé-
quemment, une « meilleure [...] acceptation de la décision par le justiciable »5.
Ensuite, elle a un intérêt processuel. En effet, elle constitue un « instrument de contrôle du
respect de la loi par les juges »6. Elle peut également renforcer le principe du contradictoire lors-
qu’elle prend la forme d’une synthèse des moyens tout en prenant soin de leur apporter une
réponse7. Enfin, elle est gage d’impartialité du juge en ce qu’elle le contraint à se justifier, à « ne
pas laisser libre cours à ses préjugés»8.
Ces diverses fonctions expliquent que la motivation soit souvent considérée comme une garantie
de bonne justice et que de nombreux systèmes juridiques consacrent une obligation de
motivation9. En France, cette obligation est prévue par les articles 455 du Code de procédure
civile ainsi que 485 et 593 du Code de procédure pénale. Très tôt, le Conseil constitutionnel en a
fait un principe à valeur constitutionnelle10 et, plus tard, la Cour européenne des droits de
l’homme l’a rattachée au droit au procès équitable11 reconnu à l’article 6 § 1 de la Convention
sur la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

3. G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 11e éd., 2016, p. 670.


4. F. ZENATI-CASTAING, « La motivation des décisions de justice et les sources du droit », D., 2007, p. 1553.
5. Conseil consultatif de juges européens (CCJE), avis nº 11 (2008), p. 7.
6. F. ZENATI-CASTAING, « La motivation des décisions de justice et les sources du droit », D., 2007, p. 1553.
7. Voir en ce sens : M.-A. FRISON-ROCHE, « L’impartialité du juge », D., 1999, p. 53.
8. M.-A. FRISON-ROCHE, « L’impartialité du juge », D., 1999, p. 53.
9. Par exemple, elle est consacrée par l’article 111, alinéa 6, de la Constitution italienne, par l’article 121 de la Constitution des
Pays-Bas. De même, le tribunal constitutionnel polonais, dans un arrêt SK48/04, du 11 avril 2005, interprète la Constitution en
ce sens. L’Allemagne consacre cette obligation par le § 313 du Zivilprozessordnung, en matière civile, et le § 267 du Strafprozes-
sordnung, en matière pénale.
10. Cons. const., 3 novembre 1977, nº 77-101 L, Nature juridique de dispositions de l’ordonnance nº 58-997 du 23 octobre 1958
portant réforme des règles relatives à l’expropriation pour cause d’utilité publique.
11. CEDH, 30 novembre 1987, nº 8950/80, H. c/ Belgique.

832
De la garantie des droits aux droits garanties

À cet égard, le juge européen exige que le justiciable reçoive une « réponse spécifique et expli-
cite » aux moyens décisifs pour l’issue de la procédure12. En revanche, il laisse la liberté aux
États de déterminer le contenu et la forme de la motivation obligatoire et d’établir certaines
dérogations13.
En France, l’obligation de motivation a deux implications. La première est quantitative : le juge ne
peut pas statuer par un raisonnement global14. Il doit analyser, même sommairement, les
éléments de preuve produits par les parties15. La seconde implication est d’ordre qualitatif : le
juge a l’obligation d’expliquer clairement les raisons qui le conduisent à se déterminer16. Il doit
jouer entre ces deux échelles lorsqu’il motive sa décision sous peine de voir sa décision sanc-
tionnée tant à l’échelle interne, qu’européenne.
À l’échelle interne, et plus particulièrement, en matière pénale, la Cour de cassation est compé-
tente pour contrôler la motivation des juges du fond. L’article 593 du Code de procédure pénale lui
permet de censurer « les arrêts et jugements en dernier ressort [qui] ne contiennent pas des
motifs ou [dont les] motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d’exercer
son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif ».
Dans le premier attendu de l’arrêt du 28 février 2018, la Cour de cassation ne fait donc qu’énoncer
le principe d’un contrôle classique dont les modalités ont été précédemment exposées. En ce
sens, il ne s’agit que de la reprise d’une jurisprudence constante17 selon laquelle : « tout jugement
ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremp-
toires des conclusions des parties ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à
leur absence »18.

B. L’ordre de ne pas bouger, un élément insuffisant à caractériser


une restriction à la liberté d’aller et de venir
Dans l’arrêt du 28 février 2018, la Cour de cassation doit connaître d’un arrêt de la Cour d’appel
de Lyon dans lequel la direction d’une entreprise est jugée coupable de faits de détention arbi-
traire suivie d’une libération volontaire avant le septième jour.
L’article 224-1 du Code pénal sur lequel se fonde la chambre criminelle énonce quatre infractions
distinctes, à savoir, l’arrestation, l’enlèvement, la séquestration et la détention illégale. Pour sa
part, la détention constitue, « pour une autorité ou un particulier, [l’]action de retenir une
personne contre son gré ; [une] atteinte à sa liberté d’aller et venir »19.
Aussi, pour constituer le crime de détention provisoire, deux conditions doivent être réunies.
D’abord, l’élément moral doit être prouvé, à savoir l’intention de détenir autrui. Ensuite, il faut
démontrer l’acte illégal ou illégitime d’atteinte à la liberté d’aller et venir. Il s’agit de l’élément
matériel.

12. CEDH, 19 février 1998, Higgins c. France, nº 20124/92 ; CEDH, 9 décembre 1994, Ruiz-Torija c/ Espagne ; CEDH, 9 décembre
1994, Hiro Balani c/ Espagne.
13. CEDH, 27 septembre 2001, nº 49684/99 ; CEDH, 25 juillet 2002, nº 54210/00, Papon c/ France ; CEDH, 13 janvier 2009,
nº 926/05, Taxquet c/ Belgique.
14. Cass. civ. 1re, 17 février 2004, nº 02-10755.
15. Cass. civ. 3e, 20 décembre 1995, nº 94-12594 ; Cass, com., 29 juin 2010, nº 09-68115.
16. Pour une illustration récente : Cass., civ. 1re, 14 septembre 2017, no 17-12518.
17. Voir par exemple : Cass., ch. crim., 23 décembre 1986, 85-96630, Attendu 1 : « Attendu que tout jugement ou arrêt doit
contenir les motifs propres à justifier la décision ; que la contradiction des motifs équivaut à leur absence ».
18. Cass. crim., 28 février 2018, 17-81929, attendu 1.
19. G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 11e éd., 2016, p. 82 ; p. 402 ; p. 958 ; p. 342.

833
DROITS FONDAMENTAUX ET LIBERTÉS PUBLIQUES

En l’espèce, la qualification de l’élément intentionnel n’est pas remise en cause par les deman-
deurs. L’élément matériel, quant à lui, est discuté en ses deux points : l’existence de l’acte de
privation de liberté ainsi que son illégalité.
La protection de l’individu contre la privation de liberté par autrui est assurée de façon nuancée
par la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, elle distingue la privation de liberté et
la restriction de liberté selon un critère d’intensité et non de nature ou d’essence20.
La privation est sanctionnée au visa de l’article 5 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales. Cet article consacre le droit à la liberté – qui doit
s’entendre au sens de « liberté physique de la personne »21 – et à la sûreté. Il pose le principe
selon lequel « nul ne peut être privé de sa liberté » et dresse ensuite une liste exhaustive22 de six
exceptions.
La restriction de liberté relève quant à elle de l’article 2 du protocole nº 4 qui renvoie à la liberté
d’aller et venir. Cette distinction a des implications pratiques importantes puisque, selon qu’il
qualifie les faits de privation ou de restriction de liberté, le juge européen exerce un contrôle
plus ou moins strict, répondant à des modalités différentes.
Cette nuance trouve un écho dans le système français dans lequel le Conseil constitutionnel, pour
des raisons de compétence juridictionnelle, a distingué liberté individuelle et liberté personnelle23.
La première renvoie au domaine de la sûreté24 – comme le fait l’article 6 § 1 de la Convention –
et son contentieux relève du juge judiciaire25. La liberté personnelle – catégorie dont la liberté
d’aller et de venir fait partie26 – est rattachée aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen ; elle peut relever de la compétence du juge administratif selon la réparti-
tion définie par le Tribunal des conflits et le Conseil constitutionnel.
Dans l’arrêt du 28 février 2018, la Cour de cassation se trouve confrontée à la situation particu-
lière de la détention provisoire : cette infraction punit les atteintes injustifiées à la liberté d’aller
et venir lorsqu’elles sont le fait de particuliers. La question qui lui est posée ne se situe pas sur
le plan du degré de l’atteinte mais sur celui de son existence27.
À ce propos, au visa de l’article 5 § 1, la Cour européenne des droits de l’homme fournit certaines
indications pour déterminer si une situation constitue ou non une privation de liberté. Procédant
en la matière à une appréciation in concreto28, le juge européen prend notamment en compte le
degré de contrainte subie par la victime alléguée29 ; c’est le caractère coercitif de l’acte qui est
analysé alors. De même, il va s’intéresser au lieu dans lequel la personne est privée de sa
liberté30 ainsi qu’au contexte de la mesure privative de liberté31.
Dans l’arrêt du 28 février 2018, la chambre criminelle s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence
européenne puisqu’elle cherche à savoir si le juge d’appel a su démontrer le caractère coercitif

20. CEDH, gde ch., 23 février 2012, nº 29226/03, Creanga c/ Roumanie, § 92.
21. CEDH, 8 juin 1976, Engel et al. c/ Pays-Bas, § 58 ; CEDH, gde ch., 25 juin 1996, Consorts Amuur c/ France, § 42.
22. CEDH, 8 juin 1976, Engel et al. c/ Pays-Bas, § 57.
23. CC, 29 décembre 1983, décision nº 83-164 DC ; décision confirmée par : CC, 19 janvier 2006, décision nº 2005-532 DC.
24. Voir en ce sens : X. BIOY, Droits fondamentaux et libertés publiques, LGDJ, 4e éd, p.651, § 1129.
25. Constitution du 4 octobre 1958, article 66 : « Nul ne peut être arbitrairement détenu./ L’autorité judiciaire, gardienne de la
liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».
26. CC, 13 mars 2003, décision nº 2003-467 DC.
27. Il est toutefois probable que si l’affaire devait se retrouver devant le juge européen, et que l’existence de l’acte était prouvée,
il serait alors question d’une restriction de liberté et non pas d’une privation.
28. CEDH, 6 novembre 1980, Guzzardi c/ Italie.
29. CEDH, 19 mars 1981, nº 8819/79, X. c/ Allemagne ; CEDH, 12 janvier 2010, nº 4158/05, Gillian et Quinton c/ Royaume-Uni ;
CEDH, 24 juin 2008, nº 28940/95, Foka c/ Turquie.
30. CEDH, 6 novembre 1980, Guzzardi c/ Italie, § 95.
31. CEDH., Gde ch., 15 mars 2012, nº 39692/09, 40713/09, 41008/09, Austin et al. c/ Royaume-Uni.

834
De la garantie des droits aux droits garanties

des actes de l’employeur. Sans exclure l’existence de la restriction à la liberté d’aller et venir, la
Haute juridiction judiciaire va conclure qu’elle n’est pas établie par le juge du fond.
D’après ce dernier, l’acte privatif de liberté était caractérisé par une contrainte psychologique irré-
sistible : l’ordre de ne pas bouger intimé au salarié. En désobéissant à ses supérieurs, l’employé
aurait « confirmé ainsi l’accusation de vol dont il était l’objet, s’exposant en conséquence à un
licenciement pour faute et à la perte de son emploi lequel revêtait, vu le montant de son salaire,
un caractère vital pour lui »32. Aussi, pour le juge d’appel, l’acte portant atteinte à la liberté consis-
tait en une pression morale. Il s’agissait alors d’une privation morale33 de liberté d’aller et de venir.
D’emblée, il faut noter que ni le Code pénal34 ni la jurisprudence de la Cour de cassation n’exige
qu’un empêchement physique soit démontré pour caractériser une privation de liberté35. Néan-
moins, la Cour de cassation juge que « sans préciser les actes matériels » privant le salarié de
sa liberté d’aller et venir, [...] la cour d’appel n’a pas justifié sa décision »36.
Ce faisant, elle précise que la privation de liberté, au sens de l’article 224-1 du Code pénal, doit
s’entendre au sens d’une privation matérielle. En d’autres termes, « l’article 224-1 du Code pénal
n’incrimine pas un sentiment de privation de liberté, mais une atteinte réelle à la liberté d’aller et
venir »37. La Cour de cassation exige que soient mis en avant des éléments factuels positifs
supplémentaires, c’est-à-dire que les actions de l’employeur obligeant le salarié à rester dans
les locaux soient explicitées par le juge du fond38.

II. L’exigence d’une motivation accrue circonscrite au pouvoir


d’enquête de l’employeur, un pouvoir de direction encadré
Il sera d’abord question de montrer que le pouvoir d’enquête de l’employeur semble justifier une
atteinte à la liberté d’aller et de venir des salariés pour la Cour de cassation (A). Ensuite, sera
étudié l’encadrement du pouvoir d’enquête de l’employeur par celle-ci pour finalement conclure
qu’il ne semble pas suffisamment précisé (B).

A. Le pouvoir d’enquête interne de l’employeur, la justification


de la retenue prolongée d’un salarié dans les bureaux de sa direction
Dans son attendu de principe, la Cour de cassation réaffirme le pouvoir d’enquête interne de la
direction d’une entreprise et son droit, dans certaines conditions, de recueillir les explications de
ses employés39. Ce faisant, elle ne fait que rappeler le pouvoir de direction appartenant à tout
employeur et notamment son pouvoir de sanction disciplinaire suite à une faute commise par les
salariés dans l’exercice de leurs fonctions.
Cette réaffirmation est importante, car elle va permettre de justifier l’atteinte alléguée à la liberté
d’aller et de venir du salarié. En effet, la Cour de cassation juge que c’est en l’absence d’actes
matériels privatifs de liberté et « alors que »40 l’employeur procédait à une enquête interne que la

32. CA Lyon, 4e civ., 9 mars 2017.


33. J.-B. THIERRY, « L’employeur enquêteur : pression n’est pas séquestration », R.D.T., 2018, p. 382.
34. L’article 224-1 du Code pénal ne précise pas quels doivent être les moyens employés pour priver autrui de sa liberté.
35. Cass. crim., 23 décembre 1986, nº 85-96630 ; Cass., crim., 19 février 1991, nº 90-82686.
36. Cass., crim., 28 février 2018, 17-81929, attendu 5.
37. J.-B. THIERRY, « L’employeur enquêteur : pression n’est pas séquestration », R.D.T., 2018, p. 382.
38. En ce sens, voir un l’arrêt récent du 24 janvier 2018 dans lequel la Cour de cassation retient la restriction de liberté de
cadres d’une entreprise par ses salariés en apportant des éléments matériels divers sans que les victimes n’aient été violen-
tées, enfermées, surveillées ou menacées (Cass., crim., 24 janvier 2018, 17-80940).
39. Cass. crim., 28 février 2018, 17-81929, attendu 5.
40. Cass. crim., 28 février 2018, 17-81929, attendu 5.

835
DROITS FONDAMENTAUX ET LIBERTÉS PUBLIQUES

cour d’appel n’a pas suffisamment justifié sa décision. La conjonction « alors que » témoigne de
ce que c’est la circonstance particulière de l’enquête interne qui justifie l’exigence d’une motiva-
tion accrue par la chambre criminelle.
Dès lors, la question qui se pose est celle de l’étendue des pouvoirs dont dispose l’employeur
dans le cadre de l’enquête interne. Dans quelle mesure peut-il troubler la liberté de ses employés
sans abuser de son pouvoir hiérarchique ?
Plus largement, il s’agit de traiter du caractère légal de certaines atteintes à la liberté d’aller et
de venir. L’article 5 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme énonce six exceptions
à l’interdiction de priver autrui de sa liberté, chacune de ces détentions justifiées devant avoir lieu
selon les voies légales. Le juge européen exige ainsi qu’elles soient conformes aux normes de fond
et de procédure du droit interne41 ou, le cas échéant, du droit international42. L’article 2 du
quatrième protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme admet égale-
ment certaines restrictions à la liberté d’aller et de venir. Dans son alinéa 2, il est précisé que ces
restrictions doivent être prévues par la loi et constituer des mesures nécessaires, dans une
société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public,
à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protec-
tion des droits et liberté d’autrui.
De même, en France, certaines dérogations à la liberté sont admises. Par exemple, l’article 73 du
Code de procédure pénale consacre le droit d’arrestation à chacun en cas de crime ou délit
flagrant. Cet article a pour conséquence d’autoriser un particulier à priver l’auteur de ces actes
de sa liberté d’aller et de venir le temps de le conduire devant les autorités compétentes.
Dans son arrêt du 28 février 2018, la question à laquelle répond la Cour de cassation est celle de
savoir si le pouvoir de direction de l’employeur lui permet de restreindre légalement la liberté de
ses salariés.
La Cour d’appel de Lyon avait écarté cette justification en jugeant que le pouvoir d’enquête ne
pouvait s’exercer que lorsqu’il y avait « atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique
et mentale et aux libertés individuelles dans l’entreprise ou lorsqu’il existe une cause de danger
grave et imminent »43, ce qui n’était pas le cas selon elle en l’espèce. Rien ne justifiait donc la
privation de liberté du salarié.
À l’inverse, la Cour de cassation refuse de limiter le pouvoir de direction de l’employeur aux
seules atteintes à un droit fondamental ou à des actes graves. Pour elle, la direction de l’entre-
prise reste dans les prérogatives qui sont les siennes lorsqu’elle mène une enquête interne et
demande à un salarié de ne pas sortir, tout en procédant à une forme d’interrogatoire. Ainsi, la
chambre criminelle suggère, et le professeur DREYER l’explicite bien, que ce droit d’enquête est
« lié au pouvoir disciplinaire » et a donc « le même champ d’application que lui »44. Or, en l’espèce,
selon la chambre criminelle, la direction n’est pas allée au-delà de ce champ.
Statuant ainsi, la Cour de cassation est en désaccord avec la Cour d’appel de Lyon sur la seconde
branche de l’élément matériel du délit de détention provisoire – à savoir la légalité de l’acte
privatif de liberté. Elle semble considérer que le pouvoir d’enquête interne de l’employeur peut
justifier un trouble à la liberté d’aller et de venir de son salarié. C’est pourquoi le juge du fond
doit prendre en considération ce contexte et produire plus de motifs pour montrer non seulement
qu’il y a bel et bien privation de liberté, mais également que la direction a outrepassé les préroga-
tives résultant de son pouvoir disciplinaire.

41. CEDH, 21 octobre 2013, nº 42750/09, Del rio prada c/ Espagne, § 125.
42. CEDH, 29 mars 2010, nº 2294/03, Medvedyev et autres c/ France ; CEDH, 19 novembre 2012, nº 44853/10, Toniolo c/ San Marino
et Italie.
43. CA Lyon, 4e, 9 mars 2017.
44. E. DREYER, « Atteinte licite à la liberté d’aller et de venir du salarié », Gaz. Pal., nº 16, p. 57.

836
De la garantie des droits aux droits garanties

Aussi, si la Cour de cassation distingue bien les deux branches de l’élément matériel de l’infrac-
tion de détention arbitraire, une contradiction apparaît dans son appréciation. Effectivement, d’une
part, elle affirme que l’ordre donné par un supérieur à son salarié « de ne pas bouger jusqu’à
nouvel ordre » ne suffit pas à démontrer une contrainte psychologique. D’autre part, elle réaffirme
le pouvoir de direction de l’employeur à travers son droit de procéder à une enquête et de
recueillir les explications de son salarié. En d’autres termes, elle renforce le pouvoir disciplinaire
de la direction, tout en niant sa portée contraignante sur un employé. Dès lors, l’appréciation de
la chambre criminelle est critiquable et perd en pertinence.
Par ailleurs, la justification des actes de l’employeur par la Cour de cassation semble inutile.
Effectivement, juger que la matérialité de l’infraction n’était pas démontrée par le juge du fond
suffisait pour rendre un arrêt de cassation. La chambre criminelle prend toutefois la peine de
préciser que l’employeur a agi dans le cadre prévu par la loi. Non seulement inutile, cette préci-
sion semble également extrêmement maladroite tant l’encadrement légal de ces prérogatives est
lacuneux. Il est d’ailleurs même possible de douter du fait que le pouvoir d’enquête interne de
l’employeur constitue aux yeux du juge européen une dérogation prévue par le droit interne.

B. La faculté de mener une enquête interne, un encadrement insuffisant


Le pouvoir de mener une enquête interne se rattache au pouvoir de direction de l’employeur. Il
s’agit de la « fonction consistant à conduire une affaire ou les affaires d’un groupe [...] en assu-
mant, au plus haut niveau, les responsabilités de cette charge »45. Cette fonction s’accompagne
d’un pouvoir disciplinaire qui doit s’entendre au sens du « pouvoir d’établir les règles de la disci-
pline [et] d’en sanctionner l’inobservation »46.
Ainsi, dans les conditions prévues par la loi, l’employeur a le droit de sanctionner sur le plan
disciplinaire tout salarié qui commet une faute dans l’exercice de ses fonctions. Cette prérogative
est encadrée dans les articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du Code du travail dont il ressort que le
prononcé d’une sanction suppose l’établissement préalable de faits fautifs et l’information de son
auteur47.
En d’autres termes, la décision de mener une enquête avant la mise en œuvre d’une procédure
disciplinaire est généralement liée à l’existence d’un doute sur la nature exacte des faits. Elle
vise alors à recueillir la preuve de faits fautifs invocables à l’appui d’une sanction. L’enquête
n’est donc pas systématique ; il s’agit d’une faculté dont la mise en œuvre est décidée par
l’employeur lorsqu’il considère que c’est nécessaire. C’est bien le cas en l’espèce alors qu’il est
question d’un vol de viande commis dans l’enceinte de l’entreprise. C’est du moins ce que suggè-
rent la cour d’appel de Lyon et la Cour de cassation dans leurs arrêts en n’imposant pas expres-
sément qu’une telle enquête soit menée eu égard aux faits de l’affaire.
En revanche, il existe certains cas dans lesquels la jurisprudence a considéré que mener une
telle enquête était une obligation pour la direction. C’est notamment le cas en matière de harcè-
lement sexuel ou moral au travail dans laquelle une plainte doit nécessairement donner lieu à
des investigations de la part de l’employeur, sous peine d’engager sa responsabilité48.

45. G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 11e éd., 2016, p. 351.


46. G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 11e éd., 2016, p. 352.
47. Code du travail, article L. 1332-1.
48. Cass. soc., 29 juin 2011, nº 09-70902 : « Mais attendu que l’arrêt relève que l’employeur avait eu connaissance de l’existence
éventuelle de faits de harcèlement moral et sexuel reprochés au salarié [...] en omettant d’effectuer les enquêtes et investiga-
tions qui lui auraient permis d’avoir, sans attendre l’issue de la procédure prud’homale l’opposant à la victime, la connaissance
exacte de la réalité, de la nature et de l‘ampleur des faits reprochés à M. X... et de prendre les mesures appropriées ; qu’en
l’état de ces motifs caractérisant l’abstention fautive de l’employeur et en l’absence de faits fautifs nouveaux, la cour d’appel a
exactement décidé que la procédure de licenciement avait été engagée tardivement ».

837
DROITS FONDAMENTAUX ET LIBERTÉS PUBLIQUES

C’est donc sûrement parce que le caractère obligatoire de l’enquête n’est reconnu qu’à des cas
d’une particulière gravité que la Cour d’appel de Lyon a cru pouvoir affirmer que l’employeur
« ne [pouvait] faire valoir son droit d’enquête, lequel n’est applicable que lorsqu’il existe une
atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale et aux libertés individuelles
dans l’entreprise ou lorsqu’il existe une cause de danger grave et imminent »49.
La Cour de cassation est venue contredire le juge du fond à ce propos en refusant de limiter la
mise en œuvre des facultés d’enquête de l’employeur à ces hypothèses. Toutefois, si elle ne
réduit pas les faits fautifs susceptibles de donner lieu à des investigations, elle va tout de même
poser des conditions.
D’une part, il faut que la direction ait « connaissance de faits répréhensibles » commis par le
salarié interrogé. Formulation maladroite puisque, la connaissance préalable de la commission
de faits répréhensibles semble priver l’enquête de toute utilité. Pourquoi enquêter s’il est déjà
acquis qu’un salarié déterminé a effectivement commis des faits répréhensibles ?
De plus, cela pousse à questionner le degré de certitude nécessaire à la décision d’enquêter. Est-
ce que la désignation d’un salarié comme l’instigateur d’un vol par un autre, pris en flagrant délit
de vol, est un degré de connaissance suffisant pour prendre la décision d’interroger ce premier ?
En l’espèce, la Cour de cassation semble considérer que oui.
Enfin, cela pose la question de la définition du caractère répréhensible des faits, adjectif qui peut
paraître imprécis pour la matière disciplinaire. Peut-être que les termes « faits fautifs » auraient
pu paraître plus pertinents, ou justes, puisque, d’après le Code du travail, une sanction est une
« mesure [...] prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par
l’employeur comme fautif »50. Autrement dit, c’est lorsqu’un employé commet une faute – acte
qui fait l’objet d’une qualification juridique déterminée – qu’il peut être disciplinairement sanc-
tionné.
D’autre part, les faits répréhensibles commis par le salarié doivent être « susceptibles d’être
disciplinairement sanctionnés ». Cette seconde condition tend donc à nuancer la remarque préa-
lablement faite, car l’employeur se voit bien limiter à enquêter sur des faits possiblement fautifs –
au sens juridique du terme.
Parfaitement consciente de la fragilité de leur encadrement légal et jurisprudentiel, la Cour de
cassation a apporté quelques éléments de précision quant au régime des enquêtes internes. Cet
effort de renforcement sonne cependant comme un aveu. La Cour de cassation devine qu’utiliser
le pouvoir d’enquête de l’employeur pour caractériser la légalité d’une détention comporte un
risque de non-conformité à la jurisprudence européenne. Elle cherche donc à préciser ce pouvoir
de direction. Néanmoins, si elle fixe les conditions de sa mise en œuvre, ces procédures restent
trop peu encadrées, et doivent véritablement faire l’objet d’une réglementation plus rigoureuse.
Effectivement, de nombreuses questions restent en suspens et notamment, les prérogatives
concrètes dont dispose l’employeur pour procéder à une telle enquête, leur caractère contrai-
gnant auprès du salarié ou encore les garanties procédurales qui leur sont offertes. Il s’agit donc
encore de déterminer l’étendue de ce pouvoir disciplinaire pour éviter les abus dans sa mise en
œuvre et mieux protéger les éventuelles atteintes aux libertés des salariés.

49. CA Lyon, 4e civ., 9 mars 2017.


50. Article L. 1331-1 du Code du travail.

838
COURS
collection

collection
COURS collection

COURS

LMD
S
Droits fondamentaux LMD
et libertés publiques 2018 Collection dirigée par Bernard Beignier

Droits
Ce cours, à jour au 1er août 2018, rassemble l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur les droits

R
de l’homme, de leur invention à leur protection juridique actuelle. Il couvre l’ensemble :
– des sources des droits : civil, pénal, international, européens, constitutionnel,

fondamentaux et
administratif ;
– des aspects de chaque droit ou liberté : historique, textes, jurisprudence, débats ;
– des développements relatifs aux enjeux de sociétés : données personnelles, garde à

libertés publiques
vue, biométrie, internet, vie privée, étrangers, sectes, hospitalisations psychiatriques,

et libertés publiques
Droits fondamentaux
droit des médias, bioéthique, lanceurs d’alerte…

U
Le programme comprend :
– l’histoire des droits de l’homme ;
– les systèmes de protection des droits ; • Cours
– les droits fondamentaux : droit à la vie, à la mort, à l’intégrité physique, liberté sexuelle,
liberté d’expression, identité ;
• Thèmes de travaux dirigés
– les libertés publiques : liberté individuelle, opinion, religion, éducation, réunion,
association, syndicats, droits politiques, liberté d’aller et venir, droit de propriété,
5e édition
libertés économiques et droits sociaux ; Préface de

O
– les droits de catégories spécifiques : droits de l’enfant, des étrangers, des personnes
handicapées, des malades, des détenus.
Jean-Paul Costa
Il comporte un index des 2 100 jurisprudences citées, ainsi qu’un index des matières
et des auteurs.

X. Bioy
Ce cours s’adresse à tous ceux qui veulent connaître les droits de l’homme, plus
particulièrement les étudiants de L3 Droit, des Instituts d’études judiciaires (CRFPA,

C
ENM, métiers de la sécurité), de master Carrières judiciaires et master Droit public, des
Instituts d’études politiques et des préparations de concours administratifs (ENA, IRA,
Xavier Bioy
Juridictions administratives).
Il est issu de l’expérience d’enseignement dans ces formations de Xavier BIOY, professeur
agrégé de droit à l’Université Toulouse 1 Capitole, responsable de l’axe « Libertés »
de l’Institut Maurice Hauriou, codirecteur du master « Droit des libertés ».

www.lextenso-editions.fr
ISBN 978-2-275-06063-7 42 €

COURS - Droits fondamentaux et libertes publiques - 5e ed.indd 1 10/09/2018 10:38

You might also like