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LA TRADITION MERINA Essai de conceptualisation par Bertin RAZAFIMPAHANANA Chaque société pour assurer sa survie, a utilisé de tout temps un certain nombre de techniques destinées 4 transformer Ja nature afin de pouvoir assurer les besoins fondamentaux de chaque membre du groupe social. Ces techniques ont été acquises au cours des Ages et se sont maintenues a travers les générations successives. Pour la société traditionnelle merina en particulier, instrument technique utilisé pour transformer la nature se réduit & un outil agricole : l’angady. C’est un instrument universel, ou du moins on Yutilisait & plusieurs fins : instrument de labour, couteau, martean. Ty a eu dautres outils comme le mortier et Je pilon pour transformer Je paddy en riz comestible ; des techniques pour tresser et tisser. Mais cette technique était encore bien précaire et la nature merina est elle-méme une nature peu clémente. La culture de riz, principale ressource merina, demande de gros efforts de la part des hommes. De plus, cette culture a de nombreux ennemis : les inondations si fréquentes en Imerina, mais aussi la sécheresse, la gréle, les sauterelles. Devant ces calamités, Phomme merina est démuni, Non seulement la technique agricole proprement dite demande une grande somme d’efforts, avec un outillage assez primitif, mais encore ces efforts risquent de sombrer dans le désastre dés qu’une calamité arrive. Ce cas était fréquent jadis. Pour mener a bien sa tache, Je Merina a toujours pensé que la technique purement instrumentale doit s‘allier a action du groupe social tout entier pour étre efficace. Cela suppose une organisation de la société ou tout au moins une structuration de la société. — Qui dit structuration dit hiérarchie et dans la société malgache traditionnelle il y a deux sortes de hiérar- chies : — hiérarchie par castes — hiérarchie par classes d’ages, oF BERTIN RAZAFIMPAHANANA Mais a cété de cette structure hiérarchique, il y a cu une solidarité des membres du groupe, une solidarité organique, vivante. Bref, on peut considérer la société merina traditionnelle suivant deux dimensions : — verticale, représentée par la structure hiérarchique ; — horizontale, représentée par Ja solidarité des membres du groupe. Cette organisation sociale ne peut elle-méme étre efficace que dans la mesure ot les membres de la société acceptent d’étre unis, assurant ainsi une cohésion au groupe. Une fois Vefficacité de la cohésion sociale expérimentée par les membres du groupe, la cohésion sociale ou Vordre devient une valeur pour les membres de la société, et aussi un facteur de sécurité pour le groupe tout entier. D’ot déja une caractéristique de la tradition : c’est qu’elle est un facteur de confiance pour les membres du groupe, elle est donc recherchée en tant gue telle. Flle tend dans ce cas a durer, & se maintenir et 4 se perpétuer. C’est une des principales caractéristiques de la tradition. Il y a done ici une répétition, un legs de la tradition a travers Jes diverses générations. Mais la eohésion sociale en tant que phénoméne objectif ne posséde pas en lui-méme le pouvoir de durer, de se maintenir. Et ce facteur de cohésion est, croyons-nous, composé d’un certain nombre d’éléments dont l’ensemble constitue un monde mythique censé présider aux actes des humains. Avant d’aller plus loin dans notre analyse, faisons une breve incursion dans ce monde mythique merina. En premier lieu, la religion traditionnelle comprend un certain nombre de dieux. Le Dieu supréme est ’Andriamanitra Andrianana- hary (littéralement : Noble parfumé, Créateur). Comme son nom Vindique, c’est le eréateur de l'Univers. Il semble que dans la pensée merina, ce Dieu se soit désintéressé de son ceuvre une fois que celle-ci a été accomplie. Ce créateur ne s’intéresse donc pas a ses créatures et surtout aux hommes, et en revanche ceux-ci le reléguent 4 une place d’honneur et s’en désintéressent. En second lieu, parmi les étres divinisés nous trouvons les Vazimba. Ce sont des dieux doués d’une puissance extraordinaire pouvant influer sur les hommes et sur leurs actions. Tout d’abord ils peuvent agir de leur propre gré en intervenant dans la vie des hommes au cas ou ceux-ci profarent volontairement ou involontairement leurs tombes. Des sanctions terribles frappent alors les actes sacriléges. LA TRADITION MERINA 65, Ces Vazimba, en tant que dieux capables de sanctionner les actes des hommes, seront aussi des garants stirs de Ja rectitude des compor- tements sociaux des Merina. On marche dans la bonne voie, dans Yordre de Ja tradition de peur d’étre sanctionné par ces dieux puis- sants. En troisiéme lieu, dans ce monde mythique ayant une influence sur les comportements des hommes, se trouvent en bonne place les Ancétres. Ce mot d’Ancétres (Razana en malgache) ne désigne pas seulement les ascendants morts depuis longtemps, mais tout étre mort, aussi bien ascendants que descendants. Ces morts, du fait qu’ils sont dépouillés de la vie terrestre, acquizrent une puissance extraordinaire capable d’agir sur les hommes. Le réle de cette puissance est analogue a celui des Vazimba. En quatriéme lieu, on peut citer les idoles et fétiches de toutes sortes qui, dans la pensée des Merina, sont doués de forces extraordi- naires tout comme les Vazimba et les Ancétres. Ils sont aussi garants de Y’ordre social, en ce sens que quiconque veut troubler cet ordre y regarde a deux fois avant de faire quoi que ce soit a cause de la peur des sanctions des forces mythiques émanées de ces idoles. Ce monde mythico-religieux a donc un réle statique : assurer Pordre ou plutét le respect de V'ordre dans la société, Tout Merina qui agit donc doit tenir compte de l’existence de ces étres doués d’une force redoutable. I] est done de ce fait méme, s’il ne veut courir des risques inutiles, prisonnier de ces forces invisibles. I] ne doit pas faire fi de ces étres sous peine d’étre sanctionné. Perte de a vie, infirmités de toutes sortes, stérilité, pauvreté, voila le lot des sanctions qui attend celui ou ceux qui osent braver ces divinités jalouses de leur prérogative. Mais ce monde mythico-religieux n’a pas qu’un réle statique, on peut Putiliser et méme on doit utiliser pour assurer l’ordre social mais aussi pour agir efficacement sur le monde physique. L’efficacité technique elle-méme dépend pour une grande part de Taide que veulent apporter les étres mythiques dans les actions des Merina. La technique est done en quelque sorte prisonniére de la religion et en tant que telle, elle participe au caractére sacré de ce monde mythique. Cette notion du sacré occupe une place importante dans la tra- dition, Le sacré est tout d’abord ce qui est protégé par un ensemble d'interdits qui le protégent et qui Jui assurent de ce fait méme une tlurée, une permanence dans le temps. Le sacré c’est ce qui est tout dabord intouchable, ensuite c’est ce qui ne peut étre l’objet d’aucun changement, c’est ce qui ne peut souffrir d’aucune manipulation in- tempestive. I] est donc appelé a durer. 66 BERTIN RAZAFIMPAHANANA Le mode d’accés a ce monde religieux, du fait méme qu’il est sacré c’est-a-dire entouré d’un certain nombre d’interdits, demande un certain nombre de précautions et un certain nombre de comporte- ments. En fait de précautions, on doit agir de telle sorte qu’on doive res- pecter les tabous qui entourent les étres religieux. On doit en tenir compte pour ne pas courir au-devant de graves dangers. Chaque espe- ce de divinités, Vazimba, Ancétres, Idoles, a ses tabous, ses « fady » spéciaux. I] faut les connaitre avant d’approcher les divinités. Et ces tabous ne sont connus la plupart du temps que des spécialistes, des prétres ou « gardiens d’idoles », les hommes Agés qui connaissent les « fady » propres de chaque famille. C’est une veritable « technique ». mais une technique ésotérique qui n’est pas a la portée de tout le monde, Ces fady sont intangibles. Ils doivent étre respectés a la lettre. Leur transgression améne une sanction sévére. Ils constituent des ja- lons au-dela desquels toute action humaine est dangereuse. Comme ces jalons sont intangibles, appelés & se perpétuer, il reste que la « liberté d’action » des Merina pour accéder aux divinités est restrein- te. Mais du fait méme que les rapports sociaux et la technique sont sous la dépendance du monde mythique, l'action de homme dans tous les domaines de la vie se trouve fortement limitée. Les actions de homme n’ont pas seulement de relation avec le monde mythico-religieux proprement dit, mais elles se déroulent dans le temps. Ce temps lui-méme regoit l’empreinte du monde mythique et de ce fait soumis 4 un certain nombre de tabous ou fady. Parmi les jours, il y a des jours propices et des jours peu propices aux entreprises humaines, entreprises techniques aussi bien qu’entreprises mythico- religieuses. La technique, pour étre efficace, doit étre entreprise le jour favorable ou faste et ne doit en aucun cas étre entreprise pendant un jour néfaste. La détermination des jours fastes et des jours néfastes est faite par le « mpanandro » (littéralement : celui qui fait les jours). Le fanandroana est une « science » qui repose sur les révolutions de la lune. Chaque phase de la lune et par conséquent le mois, le jour et Pheure, qui Ini correspondent possédent un destin spécifique. Ce des- tin posstde uue puissance bénéfique ou maléfique, facilitant ou au contraire rendant difficile l’action humaine. Celle-ci, pour étre efficace, doit étre faite le jour bénéfique et non le jour doué d’un destin ma- léfique. L’action de Phomme, en tant qu’elle se déroule dans le temps. est donc lobjet des restrictions : elle ne doit en aucun cas étre entre- prise les jours non propices. c’est-a-dire fady. Nous sommes partis de la notion d’interdits religieux pour abou- tir au fady concernant le temps. Tous ces interdits sont autant de li- mitations a D’action humaine. L’action, la conduite, le comportement LA TRADITION MERINA 67 n’évoluent que dans une limite assez restreinte. Cette restriction du comportement traditionnel des Merina a pour effet de faire durer la structure globale de ce comportement. Est traditionnel ce qui a été fait dans le pavsé mais aussi ce qui se fait encore selon les normes de ce passé, ce qui reste encore conforme & ce passé. Et cette tradition, du fait qu’elle a un caractére sacré, tend encore A rester. Le rapport avec ce sacré est un rapport de respect. Le respect de ce qui est sacré, le respect de ce qui est tabou ne concerne pas seule- ment le domaine religieux proprement dit, mais le domaine de la technique et le domaine des relations sociales. D’ow la présence du rituel aussi bien dans le domaine de la technique proprement dite que dans le domaine des relations sociales au sein du groupe ou de la société. Le rite est donc le moyen d’accés au domaine mythico-religicux, au domaine technique. I] est utilisé dans les rapports sociaux. Qu’est-ce que le rite ? Nous le définissons comme un ensemble de conduites, de compor- tements stéréotypés, de régles établies utilisées pour accéder a un domaine particulier en vue d’une efficacité youlue. Les rites varient suivant l’efficacité ou le domaine qu’ils visent. Il y a des rites religieux, des rites techniques et Ie rituel dans les rapports sociaux. Cependant a Vintérieur d’un domaine spécifique, le rite est relativement stable. Il a été codifié, établi une fois pour toutes, par les Ancétres qui ont expérimenté leur efficacité, réelle ou imaginaire peu importe. Nous sommes ici en présence d’un élément qui confére encore a la tradition son caractére de stabilité, de pérennité & travers les géné- rations ; cet élément est le rite. La tradition se maintient donc par son caractére sacré et par ce que D’élément « rite > qui est sa composante principale est un élément stabilisateur par excellence. Concrétement un rite se compose nous avons dit d’un certain nombre de conduites, de comportements codifiés. Parmi les conduites et les comportements, la parole ou mieux le comportement verbal tient une grande place dans la tradition merina. Dans le rite religieux par exemple, lorsqu’un Merina s’adresse & son ancétre, le cérémonial extérieur est réduit a sa plus simple expression : — Pautel : e’est Je coin nord-est de la maison, le coin des Ancétres ; — Pofficiant : c'est le pére de Ja famille ou ’homme le plus agé de la famille ; — le sacrifice : un bol de riz avec le croupion d’une volaille. Par contre, le réle de la parole est prépondérant. La, en dialogue avec les Ancétres qu’il invoque, l’officiant dévoile le fond de son coeur, ce qu'il pense, ce qu’il désire, ce qu’il attend de ses ancétres. 68 BERTIN RAZAFIMPAHANANA Et les assistants suivent avec respect et dévotion le rite. Ils pensent et ils croient que les paroles qu’on prononce 1a ne sont pas des paroles en lair, mais que ce sont des invocations qui, du fait méme qu’elles visent le monde mythique sont douées d’une grande puissance. Le verbe ne se réduit pas & son contenu logique ou grammatical, il véhicule une force redoutable. En tant que tel, il est avant tout objet de culte. Traditionnellement donc, toute parole dans Ja société merina comporte toujours une signification, une intention, c’est de viser les forces mythico-religieuses. On ne prononce pas en vain une parole dans la société traditionnelle merina. On est responsable de ce que Yon dit, responsable devant les étres mythico-religieux, mais respon- sable aussi devant les semblables. D’ou Vimportance du réle que joue la parole dans les relations sociales. En effet, dans la société traditionnelle merina, les rapports sociaux ou inter-individuels sont réglemeniés par une étiquette co- difiée d’une maniére stricte. Ce qui caractérise ces rapports c’est la marque de respect qu’on doit a tout individu selon son rang dans la hiérarchie sociale (nobles, roturiers, esclaves), et aussi selon la hiérar- chie des ages. On peut dire qu’en général les marques de respect prédominent dans les rapports sociaux traditionnels, Peu de familiarité entre parents et enfants et entre générations différentes. Le manque- ment & ces régles de bienséance est considéré comme une injure trés grave pouvant amener des sanctions physiques ou d’ordre mythico- religieux a celui qui ose enfreindre la regle établie. On doit donc dans Je milieu traditionnel merina toujours avoir présent 4 l’esprit la hiérarchie, V'étiquette lorsqu’on s’adresse & quelqu’un. Le manque de respect lorsqu’on s’adresse a quelqu'un est une injure non seule- ment a l’individu qui est visé, mais 4 toute la force mythique qu’il véhicule en Iui. laquelle force mythique a pour origine ses ancétres proches ou lointains. En somme le verbe véhicule et met aussi en branle toute une réserve de force mythico-religieuse, force d’autant plus redoutable quelle a été emmagasinée depuis des générations et des générations. * oe Le verbe en tant que rite, est un élément de cohésion sociale. Pour qu’un groupe social déterminé garde son unité, condition indispensable & la réussite technique quand cette technique est rudi- mentaire, il faut assurer Padhésion volontaire ou forcée de chaque membre cet idéal : maintenir la cohésion sociale. Il faut pour cela que chaque membre accepte de jouer le jeu qui préside au fonctionnement de la structure sociale, il faut qu’il soit fidéle a Pidéal énoncé plus haut. Cette adhésion n’est pas toujours facile & obtenir, et Ja tentation est grande de faire quelque chose qui nuise & Y'unité du groupe pourvu qu’on y trouve son intérét. LA TRADITION MERINA 69 Et c'est ici que se révéle le réle efficace du verbe en tant qu’élé- ment @unité du groupe social. En Imerina, dans la société traditionnelle, on fait faire a chaque membre du groupe des serments solennels de fidélité au groupe, a son unité. Ces serments, ces rites sont accompagnés d’imprécations pro- noncées par des officiants spéciaux et qui, dans la pensée des Merina véhieulent des forces mythiques redoutables capables de punir ceux qui manquent a leur parole. Il y a eu aussi d’autres serments de fidélité : serments d’allégeance lors de Vaecession d’un nouveau souverain au tréne, serments de fidélité dans les cérémonies du fati-dra liant dans une amitié indéfec- tible deux étres qui veulent rester unis dans la vie. Tel est donc le réle de la parole en tant qu’élément jouant un réle positif au maintien de la cohésion sociale. Un deuxiéme élément rituel est constitué par l'ensemble chant- danse traditionnels, Primitivement cet ensemble a été un élément rituel et presque uniquement un élément rituel. Comme tel il a été codifié non pas en fonction d’une norme esthétique mais en fonction de son réle qui est de produire une efficacité, Cet ensemble est donc sacré et par conséquent, il évolue peu, et reste relativement stable & travers des générations successives. Les autres arts, la sculpture et les dessins sont tout autant des éléments composants du rite. Ils servent a représenter des idoles doués dune force redoutable aprés un rite de sacralisation. Le temps comme nous Vavons vu plus haut, Pespace aussi sont doués d’une signification rituelle. Si bien que tout, dans l’univers merina traditionne] a un rapport avec le rite. Rien n’est laissé au hasard. Tout participe 4 un monde sacré. Le rapport avec ce monde ne se fait pas au hasard selon le bon vouloir de chacun, mais selon un cérémonial nettement préétabli. L’on peut dire sans exagération aucune, que tout l’univers tradi- tionnel merina est l’objet d’un rite et par conséquent le rapport avec lui se fait selon des régles codifiées petit A petit mais qui se sont fixées par Ja suite et auxquelles on, ir, Le rapport avec autrui, avec le monde mythico-religieux Ae’fait respect de ces régles. ‘Vintérieur {AAAS Toute relation se fait donc Dans notre analyse, nous sommes partis de la notion d’efficacité technique, efficacité qui vise a satisfaire les besoins fondamentaux des individus et par conséquent la survie du groupe social. Nous avons dit qu’étant donné le caractére rudimentaire de cette technique, l’em- prise sur le monde physique ou encore la transformation de ce monde 70 BERTIN RAZAFIMPAHANANA, ne peut étre faite que dans la cohésion sociale, laquelle cohésion n’est assurée que par l’existence d’un monde mythico-religieux. Le groupe social par excellence dans la société merina tradition- nelle est la famille. Traditionnellement la famille merina est un groupe étendu com- prenant : le pére, la mére, les enfants, ensuite les ascendants vivants aussi bien paternels que maternels, les descendants, les collatéraux des parents aussi bien que leurs enfants et les enfants adoptifs. La caractéristique principale de la famille est la possession d’un tombeau familial destiné recueillir les restes des membres de la famille. Ce tombeau joue un réle important dans les comportements psycho-sociologiques des Merina. C’est un lieu qui polarise Pactivité des Merina. Dés qu’ils ont acquis un peu de richesses, ils pensent toujours soit 4 construire un tombeau pour eux et leur famille, soit 4 veiller 4 ’entretien du tombeau familial existant, soit accomplir leurs devoirs envers les Ancétres qui reposent au sein du tombeau : retour- nement des morts, coutume qui consiste 4 envelopper de linceul neuf les parents morts depuis un temps. La famille elle-méme est englobée dans un groupe plus vaste : Ja caste. Une caste est un ensemble de familles censées avoir un ancétre commun. Une caste se définit tout d’abord par un ensemble de tabous que chaque membre doit observer religieusement sous peine d’étre exclu de son groupe. Une caste est un groupe fermé défini non seulement par ses tabous personnels mais aussi par un certain nombre de croyances, de coutumes qui le particularisent. Les diverses castes sont exclusives les unes des autres. Dans la société merina traditionnelle, i] existe trois grandes catégories de castes 1) la easte noble ou andriana ; 2) la caste roturiére ou hova ; 3) la caste des serviteurs ou mpanompo. Traditionnellement le mariage entre les diverses castes était inter- dit. La mésalliance d’un membre d’une caste entraine automatiquement Vabolition de son droit 4 étre enseveli dans le tombeau familial, ce qui est la pire des choses qui puisse arriver & un Merina. Du fait que chaque caste est jalouse de ses prérogatives, de ses particularités, et de son particularisme, c’est la que la tradition ances- trale a le plus de chance d’étre maintenue dans son intégralité. L’influence de ce monde mythico-religieux sur la technique se fait done par V’intermédiaire du groupe social ou de la société globale. De ce fait, cette technique ayant recu l’empreinte de ce monde mythico- religieux tend & se fixer, 4 ne pas se transformer. Cette emprise du monde mythique et religieux sur la technique peut étre directe. Lors LA TRADITION MERINA 7 des travaux individuels qui ne nécessitent pas l’intervention du groupe social, le paysan malgache, par exemple, n’entreprend ses travaux qu’aprés une invocation des étres mythiques qu'il croit pouvoir l’aider. IL ne compte plus sur V’efficacité sociale mais directement sur Teffiea- cité mythique. De ce fait, remprise du monde religieux sur la technique est encore plus grande. Dans l’esprit du Merina, V’efficacité de la techni- que pure est peu de chose, si l’on n’a pas avec soi la force envoyée par les étres invisibles. Mais du fait de ’emprise du monde mythico- religieux sur la technique, l'état 4 un moment donné de la technique devient sacré. Cette technique au cours des expériences millénaires a réussi, et cette ite grace 4 linfluence mythico-religieuse tend a stabiliser la technique dans une forme définitive. La technique traditionnelle elle aussi, tout comme les autres élé- ments de la tradition se stabilise, se fixe semblable 4 la forme qu’elle a prise 4 un moment donné du passé. L’état ou la forme de cette technique est aussi sacré, on ne doit pas le changer sous peine d’étre la victime de la colére du monde mythico-relizieux. Nous avons ainsi fermé la boucle de notre analyse. Notre travail de conceptualisation améne les conclusions suivantes : — La tradition est un ensemble de croyances, de comportements qui ont été adoptés dans le passé par une société donnée, et qui tendent a durer A travers les générations successives. Cette pérennité est assurée par le caractére sacré de la tradition et l’élément rituel de la tradition, élément relativement stable. Dans la société merina en particulier, ces rites visaient deux sortes Wefficacité : — Premiérement, l’emprise sur le monde physique, la transformation de celle-ci pour satisfaire les besoins fondamentaux de l’individu. — Deuxitmement, assurer Ja cohésion du groupe social afin de pallier le caractére primitif de la technique. Ces deux efficacités sont obtenues grace 4 l’aide du monde my- thico-religieux qui dans la pensée des Merina est le siege de forces capables de rendre efficaces les actions des hommes. Tel est en gros, l’aspect de la tradition ancestrale merina.

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