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Dans la méme collection HISTOIRE Frangoise Hildesheimer, Du Siécle d'or au Grand Siécle LiEtat en France et en Espagne, XVE-XVIF sicle Christophe Hugoniot, Rome on Afrique. De la chute de Carthage auex débuts de la conquéte arabe Annie Jourdan, L’Empire de Napoléon. Sabrina Mervin, Histoire de slam. Fondements et doctrine, SCIENCES Patrice David, Sarah Samadi, La Théorie de Pécoluton. Une Togique pour la biologie PHILOSOPHIE ‘Anouk Barberousse, Max Kistler, Pascal Ludwig, La Philo sophie des sconces au XX* sil Gaél Giraud La théorie des jeux oNomiE 5 ChampsUNiversiTé Flammarion ‘Ancien éleve de I'licole normale supérioure et diplomé de VENSAE, docteur en mathématiques, Gaél Giraud est chargé de recherches au CNRS. ‘© Flammarion, 2000 ISBN :2-08-083001-5 AVERTISSEMENT. A Catherine, Yoete et Aurile Autant prévenir le lecteur tout de suite : ce livre n'est ni tun cours de mathématiques ni un recueil de recettes des- tiné a vous permetire d’écumer les casinos de la céte ouest. Tout au plus s'agit-il une introduction infor- melle & certains thémes d’une branche des mathéma- tiques appliquées qu’il est convenu de nommet la théorie des jue, Le caractére introductif du propos signifie que je n'aborde que tangentiellement les questions qui font l'ob- jet de recherches contemporaines actives, aspect informel veut dire que le lecteur ne trouvera (presque) aucune demonstration compléte dans ce livre. Une bibliographie ‘qui, sans viser aucunement I'exhaustivité, est relativement abondante *, devrait li permetre de satsfaire sa curiosité ct sa soif de rigueur. En revanche, ce petit livre permettra au lecteur de découvrir deux ou trois choses utiles : qu'un général d’armée ferait mieux de s’en remeutre au jet d’une pice de monnaie avant de prendre une décision ; que le ‘meilleur moyen de vendre votre appartement consiste a Je coder, certes, au plus offrant, mais au prix offert par le second acheteur ; que attribution du droit de vote aux étrangers n’a, en réalité, aucune incidence sur P'ssue des Alections ; qu'un systéme fiscal optimal devrait avoir un * Ble est leurs divisée en deus parties: es ferences clasigues sont répertorées dans une bibliographic 4 la finde Pourragey 9.307, tuna qu les articles pls spéciliss soot eéerencés dn les notes 6 LATHEORIE DES JEUX ‘taux marginal d’imposition supérieur & 50 % ; que vous ne sgagnez pas forcément a étre mieux informé lorsque vous boursicotez sur Internet ; que la solution de Salomon au dilemme qui porte son nom est « fausse »; que vous avez raison, en revanche, de trouver suspectes les prétendues vertus économiques du « laiser-faire »... ‘Autrement dit, vous ne tarderez pas a vous rendre compte que le propos de la théoric des jeux dépasse trés Jargement le cadre étroit des jeux de société ~ méme si ces derniers ont constitué son premier objet d’étude et Iuj ont donné son nom. Les pages qui suivent sont issues, en grande partie, de notes rédigées a Voccasion de cours dispensés aux Ecoles normales supérieures d’Ulm et de Fontenay, a 'Ecole nationale de la statistique et de I’administration écono- mique, aux universités Paris-I (Panthéon-Sorbonne), Paris-II (Assas) et Louis Pasteur (Strasbourg), ainsi qu'a Université catholique de Louvain-la-Neuve (Belgique) cet au lycée Saint-Charles-Lwanga (Tchad). Ce livre doit done beaucoup aux remarques des éléves et des éru- diants que j'ai eu la chance de cétoyer. Qu'lls en soient remerciés. Jexprime aussi ma reconnaissance ceux qui ‘mont enseigné la plus grande part de ce que je connais de la théorie des jeux : Francoise Forges, Jean-Francois Mertens et Sylvain Sorin. Enfin, ce livre doit beaucoup & ‘mes amis et collégues, de qui j'ai appris le reste : Jean- ‘Michel Coulomb, Fabrizio Germano, Thomas Mariotti, Stefano de Michelis, Céline Rochon, Dinah Rosenberg, Hubert Stahn, Tristan Tomala, et d’autres qui me par- donneront de ne pas tous les nommer ici. INTRODUCTION Figure 0.18 Figure 0.16 Figure 0.1¢ LE CHAOS ET APRES? 1, Le solitaire de Schelling Je suggérerai fréquemment au lecteur, dans ce livre, de se ‘munir d'un crayon pour étudier un exemple, Pour com- ‘mencer, je souhaiterais done Pinviter a se procurer un cexemplaire d’un jeu trés connu, le solitaire de Schelling, ou d en dessiner un. Les régles du jeu sont les suivantes chaque pion représente un individu entouré des huit (parfois cing, plus rarement trois, selon que l'individu se trouve sur le bord ou dans un angle de léchiquier) autres individus qui constituent ses voisins. Chaque individu exerce une externalité sur ses voisins : les Noirs ne sont pleinement « heureux + que lorsqu'un tiers exactement de leurs voisins sont des Noirs. Les Blancs, eux, révent d'un monde dans lequel la moitié de leurs voisins seraient des Blancs. Partant d’un échiquier oii Blancs et ‘Noirs sont répartis uniformément (figure 0.1a), étez au hasard quelques pions répartis a peu prés équitablement igure 0.16), Il est clair que Ia situation n'est pas optimale : vous ourriez améliorer en autorisant chaque individu a se déplacer vers une case qui lui est plus favorable, compte tenu des externalités exercées sur lui par ses voisins Dans Micromotives and Macrobehavior, Schelling prétend qu’en modifiant la configuration de Véchiquier de maniére 4 minimiser le nombre d’individus mécontents de leur sort, vous convergerez & peu prés inéluctable- 10 LATHEORIE DES JEUX ‘ment vers une situation dichotomique du gente de la figure 0.1c. Essayer ! L’intérét de cette petite expérience est de vous convainere qu'un ordre relauif peut apparaitre de facon spontange dans une situation initialement chao- tique. En effet, aucun des individus présents sur ’échi- uier, pris isolément, ne peut étre tenu pour responsable de Pévolution d’ensemble des répartitions. Or vous aver fait quressayer de suivre les indications contenues dans la description des préférences des individus. ‘Si je ne eraignais de caricaturer, je dirais que la théo- rie des jeux est essentiellement préoccupée par ce type de problématique : comment un semblant d’s ordre » peut= il émerger dune situation apparemment chaotique sans qu'aucune intention directrice extériewre aux préfé- rences particuliéres de chaque individu ne puisse étre ‘enue pour responsable de ladite émergence ? Vous me direz sans doute que la conclusion de Schelling dépend fortement de la définition adoptée d'une situation cordonnée. Vous ne manquerez pas non plus ~ comme, du reste, Schelling lui-eméme - de remarquer que, si l'on s'en tient aux préférences des individus, la situstion finale a laquelle vous avez abouti est moins + bonne » que Pétat initial de Véchiquier. Enfin, fondamentalement, quand bien méme la répartition finale pourrait tre jugée meilleure que Métat initial de échiquier, vous avez dépensé de énergie pour déplacer chaque pion, de sorte que Pentropie du systéme global que vous constituez avec cet échiquier n’a pu évoluer que dans un sens conforme au deuxiéme principe de la thermodyna- mique ', Et vous aurez sans doute raison ! Pourtant, c'est précisément a élucider les conditions apparition d’un ordre spontané au sein du chaos que sévertuent les théoriciens des jeux. Pour cela, ils com- ‘menceront par vous faire observer qu’avant toute chose, vous devriez formuler un critére rigoureux qui permette apprécier et de comparer entre elles différentes confi- gurations de pions sur léchiquier. Quand et comment décider que telle configuration est « meilleure + qu'une stRopucrion nt autre ? Vous serez sans doute amené a vouloir attribuer des points au nombre de voisins de telle ou telle couleur qui entourent chaque pion, et vouloir les sommer. Mais, &tes-vous certain quill s’agit 1d du + bon « critére ? Pourquoi ne pas compter le nombre d’individus pleine- ‘ment « heureux + (s'il y en a!) et, par exemple, chercher 4 maximiser ce nombre-la? Pourquoi ne pas vouloir, au contraire, minimiser le nombre de pions « malheureux + ? Une fois que vous vous serez mis d’accord sur ce u’est un optimum, les théoriciens des jeux vous deman- deront de réfléchir aux raisons pour lesquelles, alors que vous avez laissé chaque individu libre de choisir sa case (Gi vous faites Vexpérience plusieurs fois, vous vous ren- drez compte que l'ordre dans lequel vous déplacez les pions n'a quasiment aucune importance), la situation n'a fait qu’empirer, alors méme qu'il vous est impossible de nier qu'une certaine logique immanente venait au jour, peu peu, dans la disposition des pions. C’est li un autre probléme important de la théorie des jeux : d’oi vient cet ‘ordre spontané ? Et a quelles conditions conduit-il une situation que nous jugeons « optimale ? Comment évi- ter de le laisser converger vers des états sous-optimaux ? 2. La théorie des jeux et les « Modernes » Ces questions, vous ne serez certes pas le premier & vous les poser. C’est aussi, d'une certaine maniere, celles que se pose la philosophie politique depuis au moins mois sigcles ~ et c'est a ce titre que la théorie des jeux a quelque chose d’essentiel dire aux sciences sociales. I] suffit, pour s’en convaincre, de relire ces lignes célébres de essayist francais Benjamin Constant, Entre deux disputes sentimentales avec Mme de Staél, Constant prononce devant P’Athénée royale de Paris, en 1819, un discours au sujet » De Ia liberté des Anciens comparée celle des Modernes », dont certains, depuis lors, ont fait Yun des actes fondateurs de Ia modernité philosophique. 12 LA THEORIE DES JEUX TT y est expliqué qu’a 'époque des + Anciens », « rien n'[était] accordé a independance individuell, ni sous le rapport des opinions, ni sous celui de l'industrie, ni sur- {oUt sous le rapport de la religion. « Or, « notre liberté & nous {les Modernes) doit se composer de la jouissance paisible de Vindépendance privée +. Et le futur auteur Adolphe de remarquer que « le danger de la iberté moderne, c'est qu'absorbés dans la jouissance de notre indépendance privée, et dans la poursuite de nos intéréts, particuliers, nous ne renoncions top facilement & notre doit de partage dans le pouvoit politique + Pour le dire en quelques mots ?~ et au risque de cari- caturer - le sidcle des Lumiéres, en mettant & mal la vision d'une société hirarchisée autour dune monarchie de droit divin, laisse un grand vide au sein de la pensée politique : puisque le roi n'est plus, quelle instance va désormais garantir la sécurité, le bonheur, la quiétude. des citoyens ? Une fois le monde » désenchanté «, il ne reste plus 4 Candide qu’a remiser la Monadologic de Leibniz, et se chercher un substiut a Pautorté divine Autrement dit, ce que découvre 'Aufklirung, c'est que le bien commun n'est pas donné parla Nature, la Tradition, ou par Dieu, de sorte que la question posée aux penseurs politiques devient la suivante : existe-til quelque chose comme un « bien commun » ? Et, si oui, comment Pat- teindre ? La citation, extrsite d’um article paru dans le Guardian (25 mai 1988), sous la plume de Bryan Gould, un des ténors du part travalliste, prouve, s'il était besoin, com- bien cette problématique est d’actualité «Pour Mme Thatcher, “il n'existe rien de tel que la société” n'y a qu'une collection atomisée d’individus, chacun pour- ‘suivant sans reliche son intérét particulier, certains y parve- rant, d'autres échouant dans leur entreprie, sans qu’aucun ne reconnaisse le moindre objectf ou la moindre responsabi- lite communs rneraopucTION B On s'en doute, si aucune instance transcendante ne garantit plus Vordre social régi par la poursuite d'un + bien commun » clairement repéré, le risque encouru n’est autre que le chaos social. A moins qu'une alterna- tive a Iharmonie leibnizienne ne puisse étre identifie, Sous la plume des empiristes anglo-saxons, et particulié- rement d’Adam Smith, activement mis contribution ar un parti comme celui de Mme Thatcher, c'est le ‘marché + qui sera investi de "extraordinaire privilege de devoir servir d’ersatz a Mharmonie préctablie, Pourquoi une institution telle que le marché ? Parce ‘que, du moins est-ce ce que eroit le moraliste écossais, un systéme de prix décentralisés suffit a transmettre toute information pour que la poursuite de Pintérét privé de chaque individu concoure indirectement & 'harmonie sociale. Plus besoin d'intervention divine : le marché, désormais, se charge de faire émerger Vordre, exactement comme vous Paver fait en jouant au solitaire de Schelling. Rien d’étonnant, dans ces conditions, si le marché se voit si souvent accorder les attributs de omniscience («Tout ce qui est savoir est déja su par le marché, il suffi d’ob- server les prix »), de omnipotence (+ Impossible de lut- ter contre les forces du marché ») et de la bénévolence (« Ce qui est bon pour General Motors... +) (On notera que, d'une certaine maniére, c'est & une question analogue que se trouvent confrontés les grandes -métropoles d’Afrique noite et certains pays d'Europe de Est aujourd"hui. Au « ciment » social que constituaient la Tradition des uns et Ia loi du Parti des autres, les ‘«modernes » Occidentaux n'ont rien d'autre & substituer (du moins est-ce ce que croient le FMI et la Banque mondiale) que le marché. Or, la mort du Roi (qui n’est autre que la traduction politique de la « mort de Dieu ») laisse également place & lune autre tradition de pensée, plus proche de Rousseau et de Kant, et qui se fonde, cette fois, non plus sur I'in- dépendance d’individus isolés, réduits 4 l'état de monades leibniziennes, mais sur V’awonomie des per- 4 LA THEORIE DES JEUX sonnes, en vertu de laquelle les limites imposées a la liberté ne sauraient avoir d'autre fondement que la volomté de se les imposer a soi-méme. De fait, imaginez qu’aprés avoir constaté que vos expériences menaient généralement & des situations sous-optimales, vous décidiez de consulter chaque pion sur la procédure a mettre en ceuvre afin de jouer conve- nablement au solitaire de Schelling. En cela, vous reste- rez fidele a esprit de Constant qui, en face du droit pour chacun + de disposer de sa propriété, d’en abuser ‘méme, daller et venir (...] sans rendre compte de ses motifs ou de ses démarches », souligne Nimportance du « droit, pour chacun, dinfluer sur administration du gouvernement, soit par la nomination de tous ou de cer- tains fonctionnaires, soit par des représentations, des pétitions, des demandes, que l'aucorité est plus ou ‘moins obligée de prendre en considération », Quel type de + contrat social »allez-vous proposer 4 vos pions, qui leur permettrait de sortir de I+ état de nature + dans Iequel nous les avions laissés jusque-li? Serez-vous satisfait de constater, au terme de la procédure que vous ‘urez mise en place, que chacun deux s'est « donne a lui-méme + la configuration éventuellement sous-opti- male a laquelle vous setez parvenu ? Eat-il été finale- ment préférable de vous laisser administrer de facon autoritaire Pévolution de Péchiquier ? 3. Des mathématiques au service de Ia société ? Le probléme qui se pose & nous est donc le suivant, ‘Comment concilier ces trois termes : harmonic sociale, la liberté des individus et Pautonomie des personnes ? Pour le dire en d'autres termes : comment coneilier cette exigence d'indépendance inscrite dans la vision indivi- dualiste d'un monde social composé d’atomes isolés (ce que Constant nomme « liberté des Modernes + et ce que Mme Thatcher, relue par Bryan Gould, semble tenir retRopucon 15 pour 'alpha et Yoméga de Ia réalité sociale) avec lexis tence indispensable ~ si Pon veut échapper au chaos ~ de normes induisant inévitablement une limitation imposée Pindividualité ? Nous allons voir que la théorie des jeux peut se lire aujourd'hui ~ et ce sera le fl d’Ariane de ce livre ~ comme une tentative de réponse rigoureuse & cette difficile question, Diune certaine maniére, les théories économiques centrées autour de articulation de marchés décentrali- sés, et dont Adam Smith est l'un des prophétes les plus connus, prétendent apporter une réponse au probléme essentiel auguel les sociétés modernes se trouvent confrontées. C’est la raison pour laquelle Ia théorie des jeux peut sans doute difficilement se comprendre en dehors du dialogue qu’elle établit avec les sciences éco- nomiques ~ et ce, en dépit de la réticence légitime gu’éprouvent certains mathématiciens & reconnaitre que leur travail n'est pas étranger aux préoccupations philo- sophiques et économiques de leur époque. ‘Comme le remarque Constant, » perdu dans la multi- tude, 'individu n’apergoit presque jamais Pinfluence qu'il cexerce + sil ne pergoit pas, en particulier, Pinfluence qu'il cexerce sur le systime des prix en vigueur sur un marché, ct peut a bon droit se servir d'un tel systéme de prix comme d’une référence extérieure intangible, susceptible d'imposer des normes « d’en haut », Cependant ~ et c'est ‘ce qui distingue le marché des instances extérieures de le philosophie politique + pré-moderne + ~ nul ne peut étre tenu pour responsable de tel systéme de prix plutét que de tel autre. Mieux : dans la mesure oi ces prix sont le résultat de la confrontation d'une offre et d'une demande, et done du comportement des individus eux-mémes, il faut, en toute rigueur, les considérer comme immanents ‘ila sphére des individus, c'est-i-dire comme venus « d’en bas «. Bt voilé la quadrature du cercle réalisée ! Bien entendu, une fois que l'on a dit cela, on n'a fait qu’énoncer le probléme & résoudre. Car tout est & démonarer dans cette prétention du marché régir ensemble d'une 16 LATHEORIE DES JEUX société en lieu et place de la Providence. Des lors, les mémes questions que celles que nous nous posions nai- vement 4 propos du solitaire de Schelling resurgissent comment caractériser un ordre social optimal ? Léequilibre des marchés, s'il existe, permet-il de faire émerger spontanément cet ordre du chaos des intéréts contradictoires des individus qui composent une société? Cette transcendance immanente que les prix décentralisés auraient vocation a représenter est-elle vrai- ment ce qu’elle prétend étre, c’est-d-dire @ la fois indé- pendante de Ia volonté de chacun, et issue pourtant du comportement autonome de tous? Et si notre réponse devait étre sinon négative du moins réservée, quelle pro- cédure alternative imaginer qui puisse faire advenir, au sein de espace social, ce monstre que constituerait une instance & la fois normative et immanente, et dont nous avons pourtant besoin ? Beaucoup de mathématiciens, je I'ai dit, répugnent & voir leurs théories évoquées (généralement dans la plus grande confusion) au sujet de « débats de société. Cette apparente frilosité se comprend aisément :il y a souvent un malentendu sur le rdle prété aux mathématiques dans ce type de « débats de société ». En premier lieu, un théo- réme ne dit rien au sens propre : dans la mesure of il déduit un certain nombre de conclusions des prémisses u'll s'est données, il s’agit ni plus ni moins dune tauto- logie. L’ennui est que l'on fait souvent grief aux mathé- maticiens de parvenir 4 des conclusions désagréables, sans apercevoir que la difficulté principale se trouve dans le lien entre ce que Fon vise et les prémisses utilisées ou Jes enseignements que l’on croit devoir tirer des conclu- sions obtenues et nom, évidemment, dans la chaine de rai sonnements qui a permis de déduire ces conclusions de ces ‘primisses, C'est particuliérement vrai dans un domaine ‘comme la théorie des jeux ou ’on est facilement tenté accuser le théoricien des jeux de promouvoir un modéle organisation du monde social fondé sur une espéce de ‘cynisme machiavélique qui, en réalité, lui est étranger. stRopucrion 1" Par ailleurs, 1a mobilisation des mathématiques par ddes non-spécialistes conduit souvent a des malentendus quand il ne s'agit pas de forfairures #. L’ennui est que, dune certaine maniére, « le mal est déja fait » : on invoque souvent les mathématiques comme garantes de la légitimité des économies de marché dans leur préten- tion a régir intégralement Vordre social. Un seul exemple, trés simple, suffira pour le moment 4 illustrer mon propos. Il est exact qu’en mécanique tout systéme isolé tend vers une situation d’équilibre et que, économie mathématique empruntant une part sub= stantielle de ses outils d’analyse a la physique, la plus grande part des théories dynamiques qu'elle élabore s'évertue a montrer comment un systéme économique devrait évoluer vers telle situation d’équilibre si les hhypothéses que nous avons utilisées pour le décrie Gtaient exactes. Seulement, cela ne veut absolument pas dire que l'équilibre vers lequel convergerait notre sys- téme en absence de toute intervention extérieure (de Etat par exemple) est intéressant, ni méme souhai- table ! Ilse peut fort bien que nous arrivions a la conclu- sion que le marché, abandonné & lui-méme, comme peut Pétre un systéme physique isolé, converge vers un équilibre catastrophique : n’est-ce pas précisément ce que nous avions observé @ propos du solitaire de Schelling ? 4. Jeux coopératifs ou non coopératifs Si la premiére question a laquelle la théorie des jeux sSefforce de répondre ~ comment définir un « bien com- ‘mun +, ou encore : quels sont les critéres d’optimalité de notre systéme? — est cruciale, Ia seconde ne lest pas ‘moins : comment metire en @euvre conerétement ce bien commun ? Ou encore : dans quelles conditions notre sys- téme dynamique risque+-il de converger vers un état sta- tionnaire optimal ? 18 LA THEORE DES BUX Une bonne maniére d’envisager le probleme est de supposer que la société que nous considérons admet un ensemble d’états possibles a priori connu de tous. Notons F cet ensemble. Il peut s'agir aussi bien des différentes ‘maniéres de répartir le PIB au sein d’une économie natio- nale que des différents modes d'organisation d'une République (fauc-il instituer la separation des pouvoits ?) ‘ou encore des diverses répartitions des bénéfices d'une centreprise (entre actionnaires et salariés par exemple) ou méme des modes de gestion possibles des confit latents du couple Bill/Alice?... L'essentiel est que l'ensemble F ne fasse pas Vobjet de débats, et puisse servir de point de depart notre discussion. Bien entendu, chaque citoyen @ tune appréciation subjective qui lui est propre des diffé- rents tats possibles appartenant & F, Louis XVI et le Parlement accordaient certainement une valeur différente au régime parlementaire et & la séparation des pouvoirs Actionnaires et salariés d’une entreprise ne participent pas non plus de la méme fagon a l'engouement récent our les stack options... Cet antagonisme des points de vue sur les différents états de F est une condition nécessaire our que la théorie des jeux ait quelque chose d’intelli- ‘ent & dire ! Si out le monde était d’accord sur Tobjectf, i n’y aurait plus besoin de faire de la théorie des jeux : il suffrait de sélectionner l'état de F qui est unanimement préféré par tous les citoyens et de le mettre en euvre La partie de la théorie des jeux qui soccupe de la détermination des éléments socialement préférables de ensemble F est souvent dite « coopérative » (ou + coali- tionnelle »). La partie dite, au contraire, + non coopéra- tive » (ou « stratégique ») s'intéresse 4 la mise en ceuvre des solutions préconisées par la théorie des jeux coopé- ratifs. Un jeu est + coopératif + lorsqu'll autorise des contrats qui ont force de loi. Autrement dit : lorsque l'on ne se soucie pas de la mise en ceuvre des solutions que ‘Pon tient pour + bonnes ». Une solution coopérative aux problémes de ménage de Bill et d’Alice peut se voir comme un contrat que signerait chacune des deux par- INTRODUCTION 19 ties od, par exemple, Bill s’engagerait & ne jamais se pro- ‘mener dans les mauvais quartiers de New York la nuit, tandis qu’Alice prometirait de ne plus faire de réve licen cieux. Négliger la question de la mise en ceuvre pratique d'un tel contrat ~ et en particulier des motivations qui pourraient inciter l'un et "autre A tenir sa promesse sur Te long terme -, c’est supposer implicitement qu'il existe quelque chose comme une « police » des meeurs qui, si nécessaire, pourra toujours contraindre les deux signa- taires a respecter leurs engagements conjugaux. La théorie des jeux non coopératifs, elle, s'intéresse précisément aux raisons profondes pour lesquelles Bill pourrait bien résister 4 ses tentations nocturnes. Autrement dit, elle suppose qu’aucun contrat n'a force de loi, et focalise son attention sur le détail des négocia- tions qui président au maintien d'un modus non moriendi entre les deux époux. En contrepartie, la théorie des jeux non coopératifs ne s‘interroge pas directement sur la nature du « bien commun + sur lequel Bill et Alice pour- raient s'entendre. Elle se borne décrire dans quelles conditions tel ou tel contrat sera + crédible », ati sens ot ses signataires auront de bonnes raisons de le respecter. Cette distinction entre jeux « coopératifs » et jeux « stratégiques + préte souvent a confusion. Essayons de la dissiper pour partie. Tout d’abord, cette distinetion ne signifie nullement que les comportements que nous concevons intuitivement comme + coopératifs +, au sens of ils induisent une part de sacrifice de nos intéréts propres au profit d’un bien jugé supérieur, ne pourront apparaitre que dans le cadre des jeux coopératifs, au contraire ! Les jeux stratégiques, comme nous le ver- rons, se soucient beaucoup (sinon principalement) de Papparition endogéne de tels comportements (par exemple, dans le cadre des » jeux répétés », voir cha- pitre Iv). Inversement, les jeux coopératifs sont eres attentifs au respect des intéréts des individus. C'est la d'ailleurs l'une des difficultés principales qu'il leur faut affronter : si sacrifice individuel pour le bien commun il 20 LA THEORIE DES JEUX doit y avoir, qui doit se sacrifier ? Et pourquoi tel indi- vidu plut6t que tel autre ? La distinction coopératif versus non coopératif ne stidentifie pas davantage avec la dualité, classique en sciences sociales, entre holisme et individualisme : la théorie des jeux, dans sa toralté, 'interroge sur les fon- dements d'une organisation holiste du corps social qui puisse émerger d’une vision strictement individualiste de ccelui-ci. Le caractére coopératif ou non des jeux que 'on choisit d’étudier correspond seulement a deux maniéres différentes de sinterroger. Enfin, le fait qu’il y soit sou- vent question de coalitions ’individus n’est pas non plus Ja marque distinctive de la théorie des jeux coopératifs : ‘méme dans un cadre rigoureusement non coopératif, il est important de considérer la formation stratégique de ‘groupes de joueurs qui pourraient décider de mettre une partie de leurs intéréts en commun (pourva qu’ils soient tous convaincus d'y trouver leur compte, c'est-i-dire avoir une incitation a respecter leurs engagements au sein du groupe). (On pourrait étre tenté d’assimiler la théorie coopéra- tive & une analyse normative des faits sociaux et la seconde a une vision positive. Mais c'est, la encore, un amalgame dangereux car, comme nous aurons occasion de le constater & plusieurs reprises, méme les jeux straté- sgiques ne prétendent pas fournir une description du com- portement rationnel de groupes d'individus, et leur interprétation, le plus souvent, n'est pas exempte de toute considération normative. Avant d’entrer le vif du sujet, survolons rapidement le plan de cet ouvrage. Les trois premiers chapitres appar- tiennent indéniablement a la partie coopérative de la théorie des jeux. Ils s'efforcent d’introduire aux notions essentielles que sont le cur, le bargaining set, le nucleo Jus la valeur, et donnent quelques intuitions sur les théo- rémes d’équivalence (ou de non-équivalence) avec les équilibres walrasiens. Les quatre chapitres suivants, eux, relevent incontestablement de la théorie des jeux non irooucrion 21 coopératifs et peuvent étre lus indépendamment des trois premiers. Ils rendent compte des aspects les plus essen- tiels des jeux stratégiques sous forme normale et sous forme extensive, des jeux répétés, des jeux a information asymétrique et des raffinements de équilibre de Nash. Les chapitres vil et tx peuvent étre considérés comme ds illustrations de Timbrication complémentaire du point de vue coopératif et de approche stratégique. La connaissance des chapitres précédents facilitera la com- prehension des questions qui y sont abordées, méme s'il est vrai que le noyau dur de la théorie des jeux coopéra- tifs n'y est pas vraiment mis 4 contribution, Les deux derniers chapitres sont des introductions a certaines classes de problémes qui n’ont éré évoqués que succine- tement dans ce qui précéde. Ils ont fait objet, au cours de la derniére décennie, de développements tellement substantiels qu’ls méritent désormais un traitement par- ticulier. On y trouvera des matériaux concernant la théo- rie des jeux épistemique, Ia complexité et les jeux évolutionnaires, qui ne pouvaient évidemment pas figu- rer au sommaire du premier manuel de théorie des jeux, publié en 1952 par John Charles C. McKinsey 7, et qui noccupent qu’une maigre place dans le manuel de second cycle qui, il y a dix ans, fut 'un des premiers & intégrer la théorie des jeux dans lenseignement de la ‘micro-économie — je veux parler, bien sir, du manuel de David M. Kreps®, Faute de place, deux aspects importants ne sont pas abordés dans le corps de ce livre : il s'agit de la théorie des jeux expérimentale d’une part, et des débats qui tournent autour des philosophies du contrat social a la Rawls d'autre part. La premiére de ces deux questions est succintement abordée dans le glossaire critique qui clot cet ouvrage. Pour Ia seconde, je ne peux que ren- voyer le lecteur a louvrage trés accessible de Ken Binmore®, CHAPITRE 1 LA COOPERATION La premitre question a laquelle la théorie des jeux s'ef- force de répondre est la suivante : comment définir un «bien commun 4 un groupe d’individus ayant des inté- réts contradictoires » ? A cette interrogation, ce chapitre apporte quelques premiers éléments de réponse. 1. Le cour Une fois défini ensemble F unanimement considéré comme représentant toutes les solutions possibles du probléme que nous cherchons résoudre, il nous faut determiner des critéres qui permettent de sélectionner le ‘meilleur » état possible, compte tenu des appréciations diverses et contradictoires dont F fait objet par les dif- férents citoyens en présence. Supposons que cette appré- ciation puisse se mesurer au moyen d’une fonction U, definie sur F et prenant ses valeurs dans R (le corps des réels). Ainsi, sila société que nous considérons comporte N individus © I= {1,..., Nj, et six F est issue sélec- tionnée, U(x) est la + valeur» accordée par le joueur ia x. Bien des débats tournent autour du sens qu’il convient d'accorder 8 cette mesure de la « valeur » d'un élément x par Vindividu i. Nous aborderons certaines pieces de ce dossier délicat dans les chapitres qui suivent. Contentons-nous, pour Pinstant, d’admertre qu'une telle fonction U, puisse se construire pour chaque i, et que, si ey LATTHEORIE DES JEUX chaque individu avait le pouvoir d'imposer sa volonté faux autres (quitte, au besoin, & la faire passer pour la ‘ volonté générale») il choisiait rout simplement issue x qui maximise UC. ‘Un premier crtére qui vient & esprit, et qui est da au sociologue italien Vilfredo Pareto, est celui de Poptima- lité qui porte son nom. Considérons deux issues x et ys appartenant toutes deux & F, et supposons que, pour chaque individu i, on ait la situation suivante V5, UG) 2 UG). En dautres termes, aucun citoyen de la Cité ne serait lésé si Pon substituat Métat y a Pat x Supposons, de surcroit, quil existe au moins une per- sonne j¢ I qui préfére strictement y a x : Uj) > U0. Dans ces conditions, on ne voit vraiment pas ce qui devrait retenir le législateur de proposer y plutot que x. Appelons une tele réforme une amélioration paretienne de x. Un optimum de Pareto est alors une issue » réalisable G.e., appartenant & F) qui n'admet aucune amélioration paretienne. La Pareto-optimalité est & comprendre comme une condition sine qua non, un minimum minimorwm, sans lequel le concept de solution d'un jeu coopératif que nous cherchons & élaborer devrait éue immédiatement rejeté. De plus, si la Pareto-optimalité est bien une condition nécessaire que doit vérifier toute + bonne + issue tirge de F, elle n'est pas sulfisante : supposez que Bill Gates parvienne a accaparer la toalité de toutes les richesses disponibles sur la planéte, et qu'il ne reste méme plus de quoi secourir les populations qui crient famine en Erythrée. C'est une organisation Pareto- coptimale des richesses! ‘Une formulation équivalente du ertére «’optimalité paretienne fait bien sentir que celui-invimplique aucune ‘ment un traitement «égalitaire » des indvidus qui compo- sent notre société. Prenez un vecteur A = (hs yhy) dans RX, et maximisez la somme pondérée des utltes de tous es joueurs E, 2,U, sur ensemble des réalisables. Toute solution que’ vous pourrez obtenir (éventuellement en La coorranion 25 faisant varier Je vecteur 2) est un optimum de Pareto. Inversement, & tout optimum correspond un vecteur de « poids ¢ relatif & tel que ledit optimum puisse étre vu ‘comme une solution au probléme d’optimisation précé- dent. Or, si chaque coordonnée du vecteur A doit étre strictement positive (ce qui veut dire, certes, qu’aucun individu n’est « oublié»), elle peut néanmoins devenir arbitrairement proche de 0 (ce qui veut dire que certains individus peuvent avoir moins de + poids » social que d'autres, et méme devenir complétement négligeables par rapport a certains de leurs concitoyens). En quoi le critére d’optimalité paretienne n’est-il pas pleinement satisfaisant ? C’est qu'il existe une coalition diindividus (le syndicat de défense des paysans éry- thréens par exemple) qui pourrait proposer une redistri- bution des richesses qui, certes, ne soit pas favorable 4 Bill Gates, mais qui soit favorable & chacun des membres de ladite coalition. Autrement dit, le défaut de optimum. de Pareto est de ne prendre en consideration que les inté- réts de sous les individus pris dans leur ensemble, et non. ceux de tel ou tel groupe d’agemts. Idéalement, il serait préférable qu’aucun groupement de joueurs ne puisse s'unir et proposer une réforme qui soit Pareto-améliorante ‘Pour le groupement en question. Deux remarques s/imposent : tout d’abord, on voit bien que ce ne sont pas des considérations d’ordre éthique qui, ic, commandent que I’on aille plus loin que la Pareto-optimalité dans notre recherche d'une défini- tion du e bien commun ». C’est bien plutét un souci de stabilité qui incite & dépasser le concept d’optimum de Pareto : si une coalition peut faire une proposition Pareto-améliorante pour alle-méme, optimum de Pareto que nous sélectionnerons au sein de l'ensemble F ne résistera guére a ce type de propositions. Ainsi, une déci- sion politique européenne qui ne recueillerait pas I'as- sentiment de la France au motif que celle-ci pourrait en Proposer une autre qui soit Pareto-améliorante pour les 26 TATHEORIE DES JEUX Frangais serait bien fragile... Seconde remarque : pour que ce critére puisse devenir opérationnel, il faut que chaque coalition ne puisse pas demander systématique- ent tout et n’importe quoi. Il faut donc que la contrainte de réalisabilité que nous avions précédem- ‘ment formalise via Vappartenance & ensemble F puisse se formuler pour chacune des coalitions susceptibles de proposer une réforme Pareto-améliorante Considérons I’ensemble 2" de toutes les coalitions possibles au sein de ensemble I= {1 N} des joueurs. Supposons que les contraintes de réalisabilité du jeu que nous analysons puissent se représenter par une fonction caratristiqu,cesta-dire une application V 2° + F(R), définie sur ensemble de toutes les coalitions de joueurs, eta valeurs dans l'ensemble de toutes les parties de RN, et qui définisse pour chaque groupuscule S € 26 l’en- semble des issues que tous les membres de la coalition S pourraient globalement obtenit sis étaient livrés a cux- mémes. Ainsi, V({I}) ¢ RN est l'ensemble (supposé fermé) de toutes les issues que peut s’assurer la» grande coalition » composée de tous les citoyens de la Cité, et correspond A ce que nous avions baptisé F plus haut. Au contraire, V({i}) est ensemble des issues que I'individu i peut obtenir en ne comptant sur aucune aide de la part du corps social auquel il appartient. Par convention, image de la coalition vide est l'ensemble vide. Dans ce cadre, un optimum de Pareto est une issue xe RN telle quil n'existe pas d'issue y pour laquelle ye VO) et y, > x, pour tous les membres i de la grande Coalition 1. Le caur (appelé aussi, parfois, le noyau) se définit alors comme l'ensemble de toutes les issues réali- sables qui ne peuvent étre contestées par aucune coali- tion. (Certains auteurs réservent I'appellation de noyau a ce que d'autres nomment le Rerna, et dont, faute de place, ii'ne sera pas question dans ce livre.) Formellement, il agit de Pensemble des issues x celles que +32 VC) avec 2,2 x, pour tout fe T (Cest la condition de réalisabilité), LAcoorERATION a * et il n’existe pas de paire (S, y) avec y € V(S) ety>a,Viel (cies a condition de robustesse par rapport aux propositions alternatives des coalition). Clairement, out élement dua caur est Pareto-optimal, mais la réciprogue exten général fausse. Un cas tivial ob Fon pourrait tre tenté de crore que route issue Paretor optimale est dans le coeur est celui ob I = {1, 2}. Pourtant, méme Billet Alice ont quelque chose gagmer, dans leurs négociations conjugates, 4 troquer le cour contre optimum de Pareto. En effet, la fonction carac+ téritique V nous renseigne sur ce que pourrait faire Bil sil cai celibataire + participer joyeusement aux orgies d'une secte new-vorkaise fait probablement partic de Vensemble V({Bill}). Une issue x sera dite individuelle- ‘ment raionnell si elle assure & chaque individu au moins autant de satisfaction quil pourrait en obtenir par ses propres ressources, autrement d,s VieL¥ ve Vl), x2y. Un élément du eceur est donc toujours individuelle- ment rationnel tandis que rien ne garantit qu'un opt ‘mum de Pareto le soit. Historiquement, Pun des premiers exemples appli cation du eteur remonte a 1962 : Gale et Shapley étu- diaient alors ce que Yon sppelle aujourdhui un proleme dle mariage. Le probléme peut se poser dele maniére sui vante : a quelles conditions est possible d'apparier N femmes et N hommes de telle sorte quil n’existe pas de paire consttuée d'un homme et d'une femme apparte- nant & des couples distines, et qui se préferent mutuel- Jement a leur conjoint? Le lecteur n'aura pas de mal & construire un jeu coopératifcorrespondant a cette situa- tion, et @ constater que la question posée se raméne celle de la non-vacuité du cur dudit jew coopera. Crest efectivement ce que frent Gale et Shapley !. De surcroit, ils exhibérent un algorithme permettant de trouver un élément du coeur. C'est ce dernier aspect de leue teavel qui retien Patrention aujourd'hui: Ia mise au 28 LAcTHEORIE DFS JEUX point d’algorithmes de plus en plus performants destinés 2 calculer les solutions de jeux (Finis) associés a des pro- blémes voisins du « probleme de mariage » fait objet d'intenses investigations qui relévent essentiellement de optimisation combinatoire. Le noyau a aussi été utilisé avec succés lors des déli- bérations qui ont présidé au choix de Pallocation des coats au sein du projet de la Tennessee Valley. Enfin, une autre application, non moins spectaculaire, du concept de cerur est due @ Roth qui, en 1984, démontra que la méthode de répartition des internes entre les hopitaux américains mise en ceuvre dans les années cinguante revenait a sélectionner systématiquement un point du noyau du jeu coopératif sous-jacent *! 2. Les jeux balancés Considérons le cas particulier oi la fonction V peut se déduire @’une autre fonction 9 : 2 — R de la fagon sui- vvante Pour toute coalition $I, on a: VS) = fee RN: Dx, < u(S)} Ce type de jeu coopératif est dit « utlité transfé- rable + (jeu UT pour faire court) dans la mesure oi ’en- semble des issues réalisables pour une coalition donnée S se résume a toutes les issues telles que la « somme » de ‘ce que regoit chaque membre de 1a coal ‘pas une certaine quantité fournie par o(S). Ltinterprétation Ja plus immédiate en est la suivante : les issues x du jew sont exprimées en euros, et o(S) est Ia quantité globale euros que peut obtenir la coalition S par ses propres moyens. Le caractére + transférable + de I'utilite provient du fait que chaque curo supplémentaire accordé a la coa- lition $ peut étre attribué aussi bien a Pagent # qu’d agent j (pourvu que tous deux fassent bien partie de S'), En d’autres termes, 'utilité accordée par un joueur 4 une issue peut étre transférée @ un autre joueur. II s'agit LA cooréaation 20 18, bien entendu, d'une hypothése héroique : supposons ue les issues en question soient les futurs programmes musicaux destings étre joués a Vopéra de votre ville natale 5 accepterez-vous de considérer que la valeur que vous accordez aux ceuvres vocales d’Arvo Part puisse se transférer en unités de valeur éprouvées par votre voisin pour les pitees Iyriques de Richard Wagner ? Parcile opération correspondait @ peu prés & additionner des degrés Celsius avec des kilojoules. existe toutefois des situations oi les jeux UT émer- gent plus ou moins naturellement : c'est le cas notam- ment des jewe coopératis de marchés associés 4 une économie d’échange. Supposons qu'une économie soit caractérisée par N individus, qui échangent L biens entre ‘eux, Chaque agent i dispose d'un panier intial de biens, ¢,¢ Rb et apprécie le panier final que lui permertront dobtenir les échanges auxquels il entend se livrer en vertu d'une fonction d’utilité U,: RE» R, qui associe & chaque vecteur x = (xy... x1) un réel représentant le degré de satisfaction que individu i retire du panier de biens x. Sion admet que la fonction U, est continue et concave, alors on peut définir un jeu UT associé a cette Economie de la maniére suivante : v(@) = 0 et, pour toute coalition non vide S, o(S) est égal au maximum de la somme des utiités que les membres de $ pourraient retirer de la consommation de biens sis étaient contrainis 4 wéchanger quientre eux. En. @autres termes, 0(S) est ‘Putte agrégée maximale que les membres de S peuvent s'assurer en redistribuant entre eux-mémes les dotations initiales de Ja coalition. Par ailleurs, méme dans un contexte ot leur interprétation est problématique, les jeux UT constituent un excellent repére pour nous orien ter dans notre enquéte, Pour de tels jeux, un élément x du caer doit dre ralisable (ie. tel que ¥, x, v( {})) et résis- ter aux protestations des coalitions (WZ, , x,> v(S)). Une condition nécessaire évidente pour que le coxur soit non vide est done que, pour toute partition (S,) de I en coa- litions (ée., pour toute famille de coalitions (S,) tele que 30 LA THEORIE DES J5UX union de toutes les S, soit égale & I et intersection de deux quelcongues d’entre elles soit vide), on ait @)E, v8) so). ‘Malheureusement, cette condition n’est pas suffsante : ainsi siN = 3, (S) = I pour toutes les coalitions composées dau moins deux joueurs et x({i})= 0 pour tout singleton {i}, alors la condition (1) est remplie mais le cceur est vide. En autres termes, la contrainte de réalisablité au niveau de la» grande coalition » I entre en confit avec la contrainte de robustesse a ’égard de chacune des coalitions : si les coali- tions sont « trop puissantes «i sera impossible de trouver tune allocation réalisable qui leur résiste, et le coeur sera vide. C'est li, du reste, la principale dificulté a laquelle se heurte usage de la notion de coeur: i s'agit ’un concept tellement exigeant qu'il est vide la plupart du temps ! Une condition suffisante de non-vacuité du cexur a rnéanmoins pu étre dégagée par Bondavera et par Shapley dans le cas UT, et par Scarf dans le cas général (que l'on désigne parfois comme +A utlité non transférable » [UNT] pour écarter toute ambiguité, bien que ce second cas ne soit pas incompatible avec le cas UT) ¢. Elle fait appel au caractére balancé (balanced) d'une famille de coalitions. Une collection (S,, .. S,) de coalitions est «alancée » sil existe des nombres Strictement positifs ‘ys ns hy tels que, pour chaque joueur i dans I, la somme de tous les , sur les indices h tels que # appartienne a la coalition S, soit égale a 1. Ils’agit la d'une généralisation de Vidée de partition. En effet, toute partition de I peut tre vue comme une famille balancée de coalitions cor- respondant a des poids 4, tous égaux 4 1. L’ensemble {1} affecté du poids 1, tout comme Ia partition discrete Ms {2}5 wf) of chaque élément a également une ‘masse unitaire, sont des familles balancées. Un exemple de famille balaneée qui ne soit pas une simple partition est donné par Ia collection de toutes les coalitions S, obtennes en oubliant le joueur hy k = 15 ..y N. (Dy a done N coali- tions, chacune comportant N~ 1 membres) I sufit, dans ce cas, de prendre chaque poids 2, égal a VN = 1. La notion de La coorearion a1 famille balancée de coalitions étant acquis, on définit un Jew quasi balancé comme étant un jeu coopératif tel que, ‘pour toute famille balancée de coalitions (S,,....8,)sl'in~ tersection des V(S,) pour h variant de 1 a est incluse dans V(), Enfin, un jeu balancé est tel que TAVS) cVO pour toute famille balancée. Tout jew balance est claire- ‘ment quasi balancé. Le résultat est alors que tout eu quasi balance admet un coeur non vide et que, dans le cas dum jew UT, ily a équivalence entre la non-vacuité du noyau et le caractire balance du jeu Pour comprendre d’oti provient une telle notion de famille (quasi) balancée de coslitions, il faut revenir & Péquation (1). Nous avons vu qu’elle constituait une condition nécessaire mais non suffisante de non-vacuité du coeur. L’intuition qui a mené les théoriciens des jeux jusqu’’ la notion de famille balancée est qu'il devrait suf- fire de généraiser Pinégaité (1) pour rendre cette condi- tion suffisante, Une manire de généraliser (1) est dexiger qu'elle soit vérifigée méme lorsque chaque coali- tion S, est affectée d'un poids A, compris entre 0 et 1 és lors, on en vient a imaginer qu'une condition di wpe: QE, AyoSp so) pourrait peut-étre faire Vaffaire. Ainsi, dans exemple & trois joueurs donné supra, imposer (2) a la famille de co: litions ((2,3}, {153}, {152}) affectée des coefficients 1/2 pour toutes les coalitions qui la composent implique ‘v(l) 2 1,5, et done garantit que le eceur est non vide. I! ne reste plus alors qu’a constater qu'imposer (2) pour niimporte quelle collection de coalitions et n'importe

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