Perlaboration et transfert
Le travail psychanalytique de l'association libre suppose que va
se trouver ainsi émergé ou dévoilé, un savoir sans sujet. Ce que l’as-
sociation a de libre correspond & faire apparaitre ce sujet lui-méme,
non pas sujet du savoir, puisque ce savoir a été l'objet du refoule-
_ ment, mais plutét sujet de la méconnaissance, qui, de se mécon-
naitre lui-méme, ne peut avoir quelque émergence qu’a travers
L-Aufhebung que rend possible a son insu, l’association libre. Des
lors se pose la question du voisinage entre l'association libre et la
Verneinung.
Voila donc cette association libre qui est en quelque sorte une
invite faire l'économie de la dénégation parce que cette dernitre
est tout sauf libre. La dénégation n'est absolument pas libre parce
que justement le patient dans sa Verneinung renie l'idée qui pour-
rait lui venir, association qui pourrait se présenter entre le per-
sonnage du réve et sa mére, pour prendre l’exemple de Freud. C’est
donc le contraire de la liberté que cette Aufhebung qui vient soule-
ver un espoir au prix de la dénégation. Entre l'association libre et
la dénégation, le prix 4 payer nest pas le méme. Dans la Verneinung
peut-on dire par exemple qu’il s’'agit d’empécher & tout prix que le
refoulé concernant la mére n’émerge par la négation entrainant sa
nomination ? Pour Freud, cette Verneinung sert a dire « mére », 2
prononcer le mot. Evidemment ceci n’est pas une association libre.
Vassociation libre n’a rien a voir avec le fait de dire « j’ai révé 8 une92 Psychothérapies denfant, enfants en psychanalyse
sorciére, ce n’était siirement pas ma mére », c'est P inverse. Entrainé
par la supposition que je fais que l'autre va penser que je pense que
c'est ma mere, je suis contraint de dire « ce n’est stirement pas elle »,
association libre vient s’opposer de facon logique a la Verneinung.
Ici, cette assertion « ¢a nest pas ma mére » apparait en somme
comme la condamnation de cette association possible : sorcitre-
mére, comme la condamnation de cette association prétée 4 autre,
quel qu’il soit. C’est 4 cette condamnation, c'est a cette Verneinung
que se déyoue sans cesse le sujet du cogito cartésien. Le sujet du « je
pense, je suis », Cest A ce travail qu'il est voué, penser quil est
« celui qui ne voit pas sa mére dans la sorciére ». Travail en quelque
facon incessant non pas de construction ni de reconstruction mais
au contraire de destruction de ce que l'association libre pourrait
apporter comme discours. Dans le courant de |’analyse elle-méme
est un travail incessant de l’analysant. C’est que l'association libre
est tellement difficile : en cela elle vient en quelque sorte ruiner
tous les efforts de la Verneinung pour porter une négation sur un
refoulé. C’est un point qui n’est pas jusqu’a présent trés exploité
dans la théorie de analyse mais qui 4 notre avis a une force dia-
lectique qui n’est pas négligeable et Cest un des aspects pensons-
nous dont Freud voulait rendre compte quand il faisait état de ce
quil appelle la perlaboration.
Ce travail, ce concept de perlaboration, de durcharbeitung qui
a été traduit par perlaboration et méme par translaboration en uti-
lisant le sens de durch en allemand qui est « trans », la traversée.
Dailleurs quand on voit cette traduction on se demande comment
P- Ubertragung qui est le transfert a bien pu étre traduit par transfert
Puisque normalement uber ca n’est pas transférer mais sauter.
Uberiragung Cest en quelque sorte ce qui est au-dessus, qui saute,
ce qui passe par-dessts voire méme ce qui est au-dessus de tout.
__ Dans les dictionnaires donc, si nous cherchons ce que veut
dire le verbe durcharbertung nous apprenons que ¢a signifie exami-
het, étudier 4 fond, travailler sans s'arréter, procéder 4 une étude
_ approfondie. En psychanalyse, le mot a été traduit essentiellement
_ par perlaborer, notamment dans le Vocabulaire de la psychanalyse de
Laplanche et Pontalis : « C’est un processus par lequel I’analyse
" integre une interprétation et surmonte les résistances qu'elle sus-
_ Cite. » Ainsi la perlaboration est un processus qui concerne les résis-
“tances, les résistances qui sont produites par l’interprétation93
«Il sagirait la d'un travail psychique qui permet au sujet d’ac-
r certains éléments refoulés et de se dégager de 'emprise des
écanismes répétitifs. » Ainsi pourquoi linterprétation produit-
le des résistances ? Elle en produit parce qu'elle améne a la
mscience du refoulé. Elle a d’autre part pour conséquence de
réduire l’emprise des mécanismes répétitifs. « La perlaboration est
constante dans la cure mais plus particulitrement 4 l’ceuvre dans
certaines phases oi le traitement parait stagner et oii une résistance,
bien qu’interprétée, persiste. » Le processus met en question la
fonction et la valeur de l’interprétation : en portant sur le matériel
refoulé qui apparait, des résistances émergent.
La perlaboration ne porte pas seulement sur les résistances,
elle porte aussi sur l’interprétation. De sorte qu’en dévoilant du
refoulé, elle aussi provoque de la résistance. Comment technique-
ment surmonter une telle difficulté ? Lanalyste dira : « Mais sou-
venez-vous il y a de cela six mois quand vous parliez de ce que je
vous dis 12 4 propos de votre voiture, souvenez-vous quand vous
parliez du berceau ott vous étiez, je vous ai dit la méme chose. » La
perlaboration se propose donc d’opposer a la force de la répétition
celle de la répétition d’une signification que l’interprétation repére
dans des contextes apparemment différents. Cette part que pren-
drait ’'analyste a la perlaboration, « c'est essentiellement 4 Melanie
Klein qu’on Ia doit », disent les auteurs. Lors de l’analyse du petit
Richard, elle écrit : « Perlaborer est une exigence essentielle posée
par Freud comme requise par I’analyse » ; elle ajoute : « La néces-
sité de perlaborer est encore et encore démontrée par notre expé-
rience quotidienne ; nous voyons par exemple le patient qui avait
un certain moment acquis tel apercu, le récuser dans les séances
suivantes, semblant méme parfois oublier qu'il l’ait jamais fait
sien ; c'est uniquement en tirant nos conclusions du matériel tel
quil réapparait dans différents contextes et en l’interprétant de
facon identique que nous aidons progressivement le patient 4
prendre durablement possession de son apercu. Un proces de per-
laboration mené efficacement améne autant de changement dans le
_ —_aaractére et la force des divers mécanismes de clivage rencontrés
chez le névrosé que n’en entraine une analyse conséquente de
Tanxiété paranoide ou dépressive ; & la fin, cela aboutit 4 une plus
: grande intégration » (Klein, 1961, p. 12) (de moins en moins de
E clivages),
: _ Cette répétition de Pinterprétation aboutit 4 quelque chose
. qui permet de soulager la répétition chez le patient, son automa-Psychothérapies d'enfant, enfants en psychanalyse
¢ si l'automatisme de répétition de Melanie Klein
substituer 4 l’automatisme de répétition du patient, per-
At ainsi a celui-ci de découvrir, d’entendre ce que cette inter-
avait de général.
mble donc quil ne soit plus question de résistance, mais
ositif de répétition de la part de l’analyste pour arriver a
er la résistance : ce n'est pas une analyse répétitive de la résis-
€, mais plutét en travaillant ainsi par la perlaboration, en rap-
it ce qui est découvert dans des contextes différents, que peut
: une analyse conséquente. Freud lui, ne fait état que de la
_ seule perlaboration des analysants : les mots durcharbeiten et dur-
_ charbeitung sont déja mentionnés dans les Etudes sur l’hystérie pour
indiquer comment la malade n’est préoccupée a travailler quun
seul souvenir a la fois. Au point que sa perlaboration fait comme
un écran contre tout ce qui pousse par-derriére et tout ce qui a déja
forcé le chemin. A propos de la perlaboration, il est aussi question
de résistance, de refoulement, « de mutilation de la réminiscence
pathogéne venant s'opposer a la maitrise du souvenir en question »
et dajouter : « On parle non sans raison d'une étroitesse de la
conscience », bref quand une réminiscence est finalement analysée
le travail pour ce faire a été si complexe, « si multidimensionnel »,
souligne Freud, qu'un tiers 4 qui I’on en ferait part ne manquerait
pas de se demander comment pareil chameau a pu passer par ce
chas d’aiguille, encore ajoute-t-il « cette fente étroite », ce sont ses
termes, « peut-elle se boucher, ou ne s’ouvrir qu’avec parcimonie ».
Freud ici, contrairement 4 Melanie Klein, soutient qu’« il faut abso-
lument renoncer a pénétrer jusqu’au coeur de l’organisation patho-
gene quil devine ; le malade ne ferait aucun usage de cette
révélation qu'il lui en formulerait ».
On comprend deés lors que l’association libre soit un dispositif
qui vient traverser la perlaboration, de part en part, et peut 4 tout
moment déclencher un autre travail de la perlaboration. Ce n’est
pas un accrochage & la répétition perlaborante d’un point refoulé :
Passociation libre est un dispositif qui permet au contraire de
moins sombrer dans la résistance.
Il reprend seize ans plus tard, en 1914, la question de la per-
laboration dans « Remémoration, répétition et élaboration »
(Freud, 1975, p. 105-115). Il y est encore question de P’étroit rap-
port entre oubli et résistance mais le nceud de ce rapport, s'il est
toujours le souvenir, est devenu le souvenir-écran « dont la pré-
sence est si générale et dont l’importance est si grande », dit Freud,mm et transfert
95
analyse ne serait possible si elle nen tenait pas
». « Les souvenirs-écrans ne contiennent pas seulement »,
« quelques éléments essentiels de la vie infantile, ils contien-
t Pessentiel, qu il suffit d’extraire par P'analyse. » Mais il est
question dans cet article des souvenirs inconscients qui nais-
‘du fantasme et qui ne sont pas des souvenirs de la réalité infan-
Ces souvenirs-la n’ont pas fait Pobjet d’un refoulement par
Loubli résulte ici essentiellement d'une suppression des liens
les pensées, les représentations, les idées, certaines d’entre
étant refoulées par isolation par exemple. »
Ce souvenir-écran a une fonction puisquil est écran. Est-ce
la perlaboration vient « décortiquer » le cété écran du souve-
ou bien est-ce quelle vient le mettre en évidence pour montrer
patient que c'est une résistance au souvenir ?
Ce lien que fait Freud entre la perlaboration et le souvenir-
est fort instructif et vient ruiner la position de Gardiner, par
emple. Comment parvenir a ce qui est oublié et qui concerne le
ptasme ? Freud assure : « On y parvient. Comment ? par tous les
qu’accomplit le patient, par ses réves ou par ses symptdmes
wi actualisent sans cesse ce qui est oublié et qui sont la compul-
on et la répétition mémes. On finit par comprendre, dit-il, que
la maniére de se souvenir. J’ai des symptémes, mais j’ai des
enirs. Le rapport entre transfert, répétition et résistance va
e en cure une telle intensité que la névrose nest plus de
du souvenir seulement, mais plutét d’une force actuelle-
t agissante. A I’analyste alors la charge fragment par fragment
alysé, de rapporter cette force actuellement agissante, au passé.
augmentation de celle-ci facilite ce rapport tout comme le facilite
la réconciliation du malade avec son refoulé qui se manifeste par les
symptOmes, si motivés qu'il peut enfin en tirer pour lui-méme de
précieuses données. Choses précieuses qui vont rapidement avec
e et absence de scrupules se déchainer par des actes dans le
Cest-a-dire en dehors du transfert : désastre dans la vie privée,
it de toute valeur 4 l’amélioration pourtant voulue au départ.
t cela va se produire par cette allure du symptéme. Comment
onter cette résistance 4 l’analyse, comment maintenir sur le
sychique des impulsions que |’analysant veut transformer
-actes ? Quand Freud dit cela, il dit tout le contraire
r. Il ne dit pas : « Faites passer l’analyse a l’extérieur,
us, défoulez-vous », mais tout le contraire : « Il faut
inement dans le transfert. » Lanalyste y parvientWh Hiphnitidiapser A vnfiot, enfann re prs dercroe
HA PRURIAAE A ROEVETTAE, Wi Hernidiriaration rice au toanstert, prin
cial maeyen A erieayer la coarnpruleian de répécition et de la tang.
fariied 60 ie Faleun de oe eouivenié, Treud qui « pense y parvenie
of leimant du ieanalert une serie d'arbne perneitant siremene d
combéves & tenas len eyrnpidinies morbides une signification de tran
fort weuvelle, Une névinwe de tranatert ve substivue ainsi & ane
névinee ordinaivs, domaine intermnédiaire entre la maladie et bg
idole 4
Advil le teanefert erdectil uni domaine internécdiaire ot & mige
titan, loin de relouler le wouvenit, le rappelle-telle dla méonoim.
La tésloeince que lui oppore l'analysane par la perlaboration geile
connects peut Cte surmontée, analysant et analyste confageame
leurs efloris pour parvenir A découvrir la motion pulsionnelic ge
alimente la résistance, Le lien entre résistance et pulsion est Sande
menial et donne A réfléchir ; le génie de Freud est de Pavoir diame
vert, Ce neat done plus du souvenir oublié quill sagt, wanis de
importance analytique de la résistance, laquelle seule peomen par
ta perlaboration Hf ‘acedder A la pulsion qui lalimente. Ueyacee —
par conséquent qui soit au plus pros de la pulsion que & Sssame,
et le souvenir oublié n'est utile qu’d produire cette nécessaite se
tance, Autrement dit, méme le souvenir oublié nese abit qr
pour la produire, La résistance se soutient ainsi directement & &
pulsion, qui lui confere sa force, Et grice & Lacan, news paerem
soutenir que la résistance, en raison de son éroit commens aR
uilsion, n'est rien d’autre qu'une manidre freudiense de samme
‘objet a. Au fond, le mot résistance nous rappelic combeen ger
nir A objet a est de lordre de impossible, tout comme Eset
parvenir a sa lettre, ou d’accéder au signifiant onaltre de asia
ment primaire. La perlaboration est donc fe moyen dt ROSA
plus pris de cette « résistance », pour permetae ae sat Ge Sa
quelque chose sur elle et sur ses pulsioas. De oder ona Dee
comprend qu'il ne soit possible de parveair 2 aoe AAA
que par une technique qui par elle-méme produit SENN
répétition : la tion, p a
A. Kardiner (1978, p. 95, 125,140) Bt ene anaes dst
avec Freud, Comme il se plaignait, vers la fin de 8 coe
résultat obtenu, il rapporte que Freud bai zerait deck
docteur, un peu de perlaboration. » Scapetait, diPerlaboration et transfert 97
équivoque de la question, Kardiner lui rétorque : « Je pensais que
cétait votre affaire. » Il ignorait 4 'époque que la perlaboration
était Pessentiel du travail de Panalyse, et soutint que Freud consi-
dérait que dés lors qu’avait été compris le complexe d’CEdipe, ses
tenants et aboutissants inconscients, allait se produire une traduc-
tion — au sens propre du terme : conduire a travers.
Kardiner, quand il rédige son livre sur son analyse, considére
que Freud « ne savait pas grand-chose de la Durcharbeitung [...]
cette opération est devenue par la suite la tache essentielle du pro-
cessus thérapeutique ». En quoi consiste ce processus pour lui ? Le
malentendu de Kardiner le conduit & penser que I’analyse améne a
lintégration de l'expérience a des fins d’adaptation ; il ne pense pas
du tout le travail analytique comme « traversée » du symptéme.
Quels sont a ses yeux les dispositifs 4 mettre en ceuvre pour parve-
nir 4 cette adaptation ? Tous ceux que les concepts analytiques défi-
nissent comme intra-psychiques : « Grace a l’intelligence de ces
dispositifs, homme peut acquérir les moyens de se connaitre et de
se diriger. » Voila comment, a partir de ce qu’il a retenu de son ana-
lyse et de ce que Freud lui a dit de la Durcharbeitung, Kardiner fait
de la perlaboration le mécanisme de ladaptation a la réalité, le
mécanisme de I’ égopsychologie américaine.
Dans La direction de la cure et les principes de son pouvoir,
Lacan évoque la perlaboration, mais pour soutenir que ce travail du
transfert — Cest ainsi quil traduit Durcharbeitung et il aurait
presque pu le traduire par « transfaire » — ne doit servir d’alibi a
aucune relation sécurisante au réel, 4 aucun renforcement du moi :
il sagit de bien autre chose que du rapport du moi au monde. Ce
travail du transfert est un travail ott le désir de P’analyste et de ’'ana-
lysant sont essentiels. Qu’en articuler, pour ce qui regarde la résis-
tance ? Pour Lacan, quand dans l’analyse l’analyste devient présent,
quand Panalysant sent sa présence, c’est la la marque de la résis-
tance. Ce passage a la présence de l’analyste, ruine en quelque sorte
la perlaboration ou la libre association : ’analysant ne peut associer
librement avec l’analyste qui est la, présent de trop. Dans cette
mesure, nous pouvons dire que la psychothérapie est par elle-méme
totalement réfractaire 4 l’association libre, tant la présence du thé-
rapeute y est requise.
C’est une constante clinique : nombre de parents viennent
gratifier le thérapeute des résultats scolaires tellement améliorés
depuis que l’enfant est en cure. Ces résultats sont-ils l’effet, a l’ex-
térieur de la cure du travail thérapeutique lui-méme (par interrup-98 Psychothérapies d'enfant, enfants en psychanalyse
tion du symptéme, c’est-a-dire répétition de P’échec), ou bien les
succés de l’enfant ne sont-ils dus qu’a lui-méme et ront-ils aucun
rapport avec sa thérapie ?
Dans le premier cas, il faut supposer que le travail de perlabo-
ration au méme titre que le travail analytique ou psychothérapique
a permis par la remémoration de dégager dans les circonstances de
la cure une signification qui ne pouvait que répéter ses effets symp-
tomatiques dans la vie courante de l’enfant dont se plaignait la
famille : cette signification dégagée par le travail de perlaboration
serait-elle explicative de ce que l’enfant se situe autrement par rap-
port a la réalité extérieure ot il ne trouve plus seulement a se faire
valoir par des symptémes mais par autre chose : succés scolaires,
etc. C’est évidemment une tentation trés forte de la part des théra-
peutes d’attribuer a leur travail les modifications survenues, ce qui
les incite 4 s'engager activement dans ce travail de perlaboration :
— ils cherchent le souvenir 4 retrouver, par exemple par I’hypnose ;
— ils interprétent dans le cadre thérapeutique de leur méthode la
genése du symptéme, grace a ce qui a été retrouvé, la plupart du
temps traumatique ;
—la révélation du souvenir et la nature de la cause, cest 1a le moyen
du traitement, aboutit 4 une néo-harmonisation du comporte-
ment ;
— la question de l’adaptation au monde extérieur est ’enjeu du gain
thérapeutique ;
—le thérapeute ne suppose aucune place a la résistance dans ce travail.
Dans la deuxitme hypothése ot l’enfant lui-méme serait P’'ar-
tisan de son changement, le thérapeute serait amené A attribuer
tout le travail de perlaboration 4 l’enfant, penchant du cété de
Freud plutét que de Melanie Klein et évoquant ce que Lacan disait
de Panalyste : que c'est un saint.
On peut se demander pourquoi Freud a employé le mot
Durcharbeitung, traversée, pour qualifier cette opération qu'il rap-
proche de celle de analyse du transfert, dbertragung, passage au-
dessus, surmonter, sinon pour évoquer la notion de résistance
totalement absente dans la traduction par « perlaboration ». (Freud
ne cesse d’évoquer la résistance quand il parle de perlaboration). Si
Pon en reste 4 ce en quoi la Durcharbeitung a affaire avec une tra-
versée, on comprend que la lecture que fait Lacan de ce terme le
mine a le faire équivaloir a celui de « travail du transfert ». Cette
équivoque entre Durcharbeitung et Ubertragung est ici & souligner.
De sorte que nous sommes en ce qui concerne cette deuxitmejon et transfert 99
hypothése du travail de l'enfant lui-méme a lassimiler au travail de
transfert. Mais dans celui-ci, le désir de ’analyste est impliqué.
Cest dans la mesure oit par ce désir il n’intervient pas dans le trans-
fert, quill laisse enfant lui-méme faire son travail. C’est peut-étre
ence sens que M. Klein comparait le travail de perlaboration 4 une
psychanalyse.
Finalement perlaborer c’est se souvenir, changer la significa-
tion du souvenir, ne pas répéter, et élaborer c’est-a-dire donner des
effets réels & ce qui est découvert dans le transfert. Prenons
exemple de cet enfant de 11 ans en analyse depuis deux ans car il
se rendait insupportable avec ses copains. Ce cas reléve typique-
ment de la perlaboration puisqu’il s’agit par l’analyse de réduire un
symptéme réel qui affecte les rapports du sujet avec les autres. En
cours d’analyse, il vient 4 découvrir qu'il était lui-méme volontai-
rement insupportable avec sa mére car de cette facon il venait mini-
miser et prendre 4 son compte ce quil considére comme la
conduite inqualifiable et toujours critique de son pére vis-a-vis
delle. C’est en travaillant pendant plusieurs séances cette décou-
verte dont il demandait en vain a l’analyste de 'authentifier qu’a sa
grande surprise, ses copains sont devenus sympathiques et ont cess¢
de se plaindre.
Ce cas nous améne 4 évoquer |’éventualité de la proximité
entre la perlaboration dans le transfert et le transitivisme : lorsqu’il
était agressif avec sa mére puis avec ses copains, c'est son pére qui
était auteur de cette violence ; c'est [A le transitivisme méme de
enfant ; par son identification transitiviste au pére : volontaire-
ment attaquant la mére et ainsi justifiant la conduite du pére et se
Pappropriant, cet enfant par son transitivisme opére sur lui-méme
une veritable subversion : il est un autre. Par sa demande de cure,
il sollicite de la part de l’analyste ’hypothése que lui-méme a fait
une hypothése, moteur de sa propre perlaboration. En n’interve-
nant pas, l'analyste pendant plus de six mois rend possible ce tra-
vail de la part de enfant auquel il n’oppose ainsi aucune résistance,
lui faisant le crédit de pouvoir lui-méme surmonter son probléme.Sytaxe, lettre et refoulement
La résistance telle que Freud I’a introduite par la perlaboration
laisse en suspens la question du refoulement et de son économie
réelle.
Quiest-ce que le refoulement ? N’est-il que totalitaire ? N’est-
il qu'un repoussoir ? Ou bien ne suppose-til pas une autre écono-
mie ? On sait que pour Freud, dans le cadre de la premiére topique,
il Sagissat d’abord de réunir les conditions qui permettent grice au
thérapeute de lever 'amnésie infantile, et en retour de libérer le
contenu du refoulé.
Les psychothérapies, d'une maniére générale, se proposent
chacune selon leurs visées théoriques, de mettre en ceuvre diverses
modalités d'action, dans ici et le maintenant de la séance, pour
aboutir au retour du refoulé.
Essayons d’éclairer cette question par un exemple clinique.
Une mére dit & son enfant : « Si jamais tu guéris, je ’emméne &
Lourdes. » Que pouvons-nous entendre au sujet du refoulement
sur ce point ? Ce n’est pas par la force exercée sur une représenta-
tion que le refoulement se produit seulement, mais aussi la faveur
de la faiblesse de la langue qui présente 2 cété des constructions
dairain de la syntaxe, des failles dans lesquelles vient s'infiltrer et
filer du savoir insu et non pas du sens. Le refoulement ne porte pas
sur la représentation seulement mais sur les représentants, cest-A-
dire les signifiants. Létymologie d'une certaine fagon est un champ102 Psychothérapies d'enfant, enfants en psychanalyse
@élection de ce processus. Quand nous allons chercher I’étymolo-
gie du mot, nous nous rendons bien compte, dans son histoire, de
la dégradation progressive du signifiant.
Cest précisément la faiblesse du discours, la faiblesse de la
chaine qui est infiltrée de cette facon. C'est ainsi que dans
Pexemple « si jamais tu guéris, je ttemméne a Lourdes », la faille
empruntée par le refoulement pour lui permettre de filer a linsu
du sujet se situe entre si et jamais. Condition si totalement impos-
sible parce que barrée du jamais. Ce qui file du refoulement joint
ainsi une lettre en attente de le recevoir, dans les ravinements pri-
maires décrits par Lacan dans Lituraterre.
On voit bien alors la fondamentale différence entre le surmoi
et sa répression et d’autre part, le refoulement permis par les failles
de la langue et de la syntaxe. Dés lors, nous proposons de considé-
rer que le refoulement apparait comme du réel aux prises avec la
symbolique de la langue. Ce bouleversement complet de l’écono-
mie du refoulement est en opposition a une conception du refou-
lement qui le range habituellement du cété de la seule répression.
Il se situe ici, selon nous, du cété du désir, donc du manque. On
refoule car le désir manque de quelque chose.
Le désir est le moteur du refoulement et non pas le surmoi ni
les résistances de censure auxquelles on peut faire appel. On com-
prend que la parole, tenue par la mére a l'enfant, ait son effet de
refoulement décisif. Lenfant est en effet habité par une langue
pleine de trous et de failles qui n’attendaient que le désir maternel
pour se combler. Il faut remarquer que cette perméabilité au
contraire est quasi nulle chez les autistes. Elle est remplacée chez
eux par des phrases toutes faites et bétonnées, pourrait-on dire,
pour leur permettre de faire barrage au voeu de leur mére « on veut
ma perte » — comme nous avons essayé de l’argumenter dans
Psychoses, autisme et défaillance cognitive chez l'enfant (Balbo,
Bergés, 2001) —ce qui constitue leur facon d’esquiver la castration
symbolique. Le mot est pour eux la chose, lesquels ne doivent étre,
en aucun cas, dissociés, d’ot le symptéme fréquent d’une langue
parlée sans faille jusqu’a étre chantée, qui est la rengaine, chez ces
enfants.
Dans la phrase « si jamais tu guéris, je temméne A Lourdes »
on entend : « Si tu ne guéris jamais je temméne A Lourdes. »
Dailleurs cette enfant a pass¢ sa vie a étre malade... Elle a été
emmenée Lourdes ! Le désir et le refoulement que le désir pro-
duit, elle les a bien entendus chez sa mére., lettre et refoulement 103
P i nous pouvons entrevoir que l'association libre constitue
une véritable résultante qui suppose un travail, s’articulant a la fois
ala Verneinung et au refoulement dans ce que peut avoir ce dernier
de dimension lige au langage et jamais complétement levé.
Pouvons-nous établir une différence entre l'association libre et la
pensée incidente, pensée qui vient (Einfall de Freud) ? Si l’on se
reporte au glossaire de CEuvre complete de Freud, des PUF, nous
lisons que Einfall est une idée incidente, une idée qui vient, cest ce
qui vient a l'idée. Venir a l'idée Cest par ailleurs Assoziation einfal-
len, Cest-a-dire : j'ai une idée qui vient ; il me vient A Pidée : « es
fallt mir ein », avoir Vidée de : « Auf den Einfall kommen. » Cet
Einfall est repris dans Le mot d'esprit dans ses rapports avec l'incons-
cient. Ainsi Einfall est une idée qui vient mais c’est surtout aussi un
écroulement, une chute, une invasion, une incidence. Au figuré
Cest une idée, une fantaisie, par exemple avoir ’idée de... ein fallen
cest sécrouler, s'ébouler, se creuser, entrer dans, envahir, inter-
rompre un discours, donner la réponse (quand il s'agit du chceur
au théatre), commencer, survenir ; Cest venir a l’idée, dans Pesprit,
Cest aussi : il ne men vient pas une : « Das fillt mir nicht ein » ;
saviser de : « Sich einfallen lassen. » Evidemment nous remarquons
a quel point Einfallest un effet de surprise. Mais il y a aussi, en alle-
mand, et Cest la un intérét supplémentaire, un voisinage constant
entre einfallen et einfihlen : einfihlen (sich) Cest S identifier A, et
Einfihlung Cest la pénétration d'une pensée étrangére dans lesprit
de quelqu’un.
Cest Pinvasion... Est-ce que l’adjectif « invasive », qui a
affaire avec la chirurgie, avec le fait de rentrer dans le corps, etc., ne
conviendrait pas mieux qu’« incidente » (Einfall) ? Une pensée
invasive, cest une pensée qui ne pénétre pas seulement comme un
rayon incident, mais comme un rayon vers sa cible. L Einfithlunga
donc beaucoup de rapport au corps et il serait intéressant de véri-
fier si ce terme n’a pas A voir avec l’empathie et ce que celle-ci a de
corporel. Pour Freud d’ailleurs, c’est sur une idée incidente que
porte la Verneinung. En quelque fagon, lorsque le patient dit :
« Mais ce n’est stirement pas cela, qu’est-ce que je vais penser 1a ! »,
cette Verneinung porte sur une pensée invasive. Quelle est l’éven-
tuelle distance quil peut y avoir entre l'association libre et cette
idée invasive ? Comme nous avons déja annoncé, l'association
libre fait partie des exigences de l’analyse et peut, en ce sens, étre
pensée comme un résultat de l’effectuation du désir de l’analyste.
Tout comme certains réves lui sont dédiés, par exemple. Et il nest104 Psychothérapies d'enfant, enfants en psychanalyse
peut-étre pas impossible que l’association libre suppose un véri-
table travail, au méme titre que celui du réve, mis en branle par le
transfert et le désir de l’analyste. Travail qui ne se fait pas dans la
logique consciente mais plutét guidé par le type de structure qui
mene la chaine signifiante en ce qu'elle se rapproche, par exemple,
de ce que l’on a pu appeler la structure profonde de la phrase. Ce
travail n’est pas spontané ou automatique, et Freud, pendant un
temps, pensait le faciliter en posant sa main sur le front de ses
patients. Ce que propose hypnose est tout 4 fait équivalent : on
pose les yeux sur quelqu’'un. On comprend que les efforts de
remémoration, de construction surtout, sous-tendent I’émergence
des associations qui apparaissent. Peut-on dire : « Qui apparaissent
comme une autre formation de l’inconscient » ? En effet ce n'est
peut-étre pas si éloigné du symptéme, peut-étre pas de nature trés
différente d’un processus de mise en acte de l’inconscient. Et l'on
peut, 4 certains égards, dans l’abord des effets de cette association,
évoquer la dynamique de l’aprés-coup. Un aprés-coup sans doute
suscité et facilité. Cette notion d’aprés-coup, avec le sous-entendu
du refoulement qu'elle suppose, dans l’association libre, est une
constatation clinique quotidienne : une association libre survient,
et aprés cette association, aprés coup, vient une révélation, un « oh
la la! », « par exemple ! », la surprise, mais aprés coup. C’est-a-dire
aprés l’association, aprés le travail d’association.
Tandis que la pensée invasive, pensée qui vient, se caractérise-
rait plutét par sa spontanéité absolue et surtout par son caractére
invasif direct et non réfléchi dans l’aprés-coup. Illumination,
effraction impérative, sont plus propres a faire valoir le facteur qua-
litatif de la pensée incidente, véritable incident, en effet, qui ne
vient pas s’associer a tel signifiant, 4 tel phonéme, mais qui est
plutét proche d’un réel impossible 4 raccrocher, a articuler, que
étre dans le prolongement imaginaire accompagnant le symbo-
lique du discours. Ici, point de processus de construction, point de
travail ou de perlaboration mais plutét une explosion d'un réel du
discours qui laisse souvent le patient pantois, sans voix, destitué,
expulsé quil est en tant que sujet parlant. Comment rendre
compte sans faiblir de ce réel autrement qu’en soutenant qu'il ne
sagit pas la d’autre chose que de la marque d’un sujet désirant.
Ainsi peut-on souligner combien l’association libre n’est pas une
succession linéaire et continue d’associations que rien ne viendrait
plus interrompre., lettre et refoulement 105
"Dans le processus de libre association, le rapport entre ce qui
est fluctuant, c’est-a-dire continu, avec ce qui fait irruption ou
intrusion, discontinuité, est un rapport essentiel par lequel sont
sans cesse relancés l’inattendu et l’inentendu.
La chaine signifiante n’apparait 4 qui écoute, que lorsque cette
continuité/discontinuité se manifeste dans le discours. Sinon celui-
ci devient une chanson autistique, par laquelle aucun refoulement
ne passe dans le discours mais par laquelle aucun retour du refoulé
ne peut passer non plus. De sorte que nous pouvons avancer que
de méme qu'il existe un parallélisme de structure entre les chaines
signifiantes, de méme nous retrouvons ce méme parallélisme entre
association libre et pensée invasive. C’est peut-étre aussi une fonc-
tion de Pintervention de l’analyste que de chercher a introduire une
coupure dans une chaine d’associations ininterrompues, comme
nous l'avons déja souligné.
En quoi dans cette dialectique « continuité/discontinuité » la
lettre est-elle intéressée ? Abordons cette question par la clinique. A
la fin de sa séance, la petite Anna qui n’a pas encore 4 ans et qui
maintenant n’est plus autiste tourne trés librement dans la piéce
avant de franchir le seuil de la porte que I’analyste n’a pas encore
ouverte. Elle s'arréte au pied du divan et souléve, retourne, replace
un petit tapis qui s'y trouve. « Voulez-vous en dire quelque
chose ? », lui dit Panalyste. « C’est pour quoi faire ? », demande-
telle. « C’est posé 1a pour protéger le canapé des chaussures des
patients qui s’allongent pour parler. » « C’est un canapie ! », dit-elle
alors aussitét en souriant.
Ce «i», cette lettre « i » qui vient fendre le fil du discours et de
ses libres associations, et qui s'y fixe d’un coup, comme le ferait un
menuisier d’un coin de bois planté net dans le fil d’un xylene, sur-
prend l’analyste. Entre le « p » et le « é » s'intercale ainsi un « i » qui
les écarte pour gagner sa place, tout en bouleversant le sens du mot
quils composaient, puisque non seulement le mot perd ainsi le sens
qu'il avait, sens commun, canapé, mais quil gagne un sens qui est
« hors du commun » qui est extraordinaire, échappe méme au sens.
Au point que le mot nouveau, le mot créé de toute lettre, n'est plus
du tout ce mot canapé. Pour rappeler ce qu’en disait Lacan (1977-
1978) : « Le mot-chose », comme il le dit aussi faisant lui-méme de
Pesprit, est un mot qui « fél-a-chose », qui la féle aussi en quelque
sorte. Par la lettre de surcroit, la lettre « i », le mot canapieds pré-
sente bien un féle, une félure, qui le fait devenir mot d’esprit : elle
sest fendue d’un jeu de mots, elle se fend la péche. Ajoutons que106 Psychothérapies d'enfant, enfants en psychanalyse
cette lettre « i», certes féle le mot canapé, mais de plus fait entendre
la derniére lettre du canapé : la lettre « é », puisque sans la lettre « i»,
cette lettre « é » était pour ainsi dire muette. Elle est en effet pho-
nétiquement confondue avec Ia lettre « p ».
La lettre « i » en s'intercalant entre le « p » et le « é » permet
au « é » de faire le « pé » tout en s’en détachant réellement. « P » et
« é» ne sont plus phonétiquement confondus, la lettre « i » permet
de faire entendre toutes les lettres du mot canapé et en en faisant
entendre toutes les lettres distinctement, la lettre qui s’y insére de
surcroit fait entendre un autre mot, un mot inconnu, c’est-a-dire
un réel.
Dans le cas présent, le lieu du code a bel et bien été traversé
par le mot ; l’esprit ici fait la lumiére sur le fait que le code, ce tigre
de papier, non seulement n’a pas impressionné Anna mais a été
pulvérisé par son esprit. Nous voyons bien ici que dans ce mot d’es-
prit, par la lettre « i » en surplus, en plus de jouir, non seulement
celle-ci s'impose au mot et contre lui pour faire de l’esprit, mais
quil a bien fallu pour ce faire que du désir s'impose au lexique,
pour que le refoulement s’abolisse ou soit levé. Quel énigmatique
message le jeu de la lettre adresse-t-il 4 ’'analyste ?
Ce message rappelle 4 l’analyste qu’il n’est pas le grand Autre,
quil est barré. Pour que cette lettre « i » parvienne a un tel résul-
tat, elle a da se libérer du code, pour s’assurer d’une place dans le
grand Autre que I’analyste représente. C’est dans la mesure ot est
ainsi rendu possible le mot d’esprit qu’Anna peut revendiquer son
propre grand Autre avec la vivacité, la rapidité et la fulgurance de
son dit. Par rapport a Ia libre association, en quoi Ia lettre est-elle
en l’occurrence fondamentale ? Quelle est sa fonction ? Par son
émergence inopinée, par son jaillissement inattendu, par son effet
bouleversant, parce que productrice de métaphore et/ou de mot
desprit, la lettre a pour fonction de faire césure, coupure dans une
chaine associative, qui n’est peut-étre bien souvent que métony-
mique du mot, d’un signifiant, ici le signifiant canapé.
Il en est ainsi dans le réve d’un adolescent, réve qu'il rapporte
en disant qu'il est « lepéniste ». Il se défend de cette orientation
politique, et se trouve rendu incapable de toute association libre
sur ce mot. II s’est plaint 4 de nombreuses reprises dans son analyse
des difficultés quil a a aborder une jeune fille qu'il désire.
Vanalyste lui fait remarquer que le qualificatif « lepéniste » n’a pas
obligatoirement le méme sens dans la vie sociale que sur le divan.
Et aprés un silence il éclate de rire, continuant sa séance a partirleoe x refoulement 107
d'associations devenues libres. Vanalyste joue parfois de
lui-méme et de ka lettre pour faire rupture et par B
méme relance, et ce surgissement de ba lettre comme de ce quelle
produit de métaphore ou de mot d’esprit concourt peut-trre ak
relance de ce méme travail chez Fanalysant. Ce concours et cette
fonction posent la question suivante : association libre ne prend-
elle pas quelquefois la liberté d’étre une construction défensive
contre émergence de la lettre ? Quels sont le statut et k fonction
du jeu de la lettre de la chaine associative dans la trace de linscrip-
tion inconsciente dont elle procéde ? Nous proposons un autre
exemple pour montrer l'effet de la lettre dans la pensée incidente.
Tl s'agit d'une jeune femme qui réve que son directeur de thése, une
fois déshabillé, vient dans son lit et la pousse. Elle en condut
quelle attend de lui un coup de pouce. Ce passage des deux « s »
au « C » parait de nature 3 permentre de saisir en quoi la lettre est
articulée & cette pensée incidente et réciproquement. C'est-a-dire
que de son réve elle n’a entendu que le mot pousse et était préci-
sément de cela qu'il s'agissait. Cet exemple permet d’appuyer ce qui
précéde, qu'il s'agisse d'une pensée incidente 2 la suite d'un réve ou
quiil Sagisse d'une pensée incidente a la suite d'un mot desprit ou
dun lapsus. Un adolescent avait ceci de particulier qu'il était pote
tout en étant 2 l'université. Comme Musset dans Les Nuiss, il avait
ses muses. I] les convoquait chaque fois qu’il allait écrire, et aussi
lorsquil passait des examens. Elles s'appellent Odette, Claudette,
Jeannette et Juliette. Ex cest aprés avoir énuméré les noms de ses
muses qu'il assure qu’ils I’intimident fort, au point de l'avoir empé-
ché jusqu'ici de se souvenir que lorsquill avait 4 ans ex demi et quil
était chez des amis de ses parents, il était entré dans les WC 3 la suite
de sa petite copine, qui sappelait Josette: » Tavait vue sur les coilettes
et avait été fasciné par le fait qu'elle était pas faite comme lui.
[association libre a’est pas tour. Ces exemples montrent certes
son importance. mais on ne saurait négliger ce qui peut venir faire
ee bien la lettre qu'un mot d’esprit, qu'une associa-
effraction, aushe nous avons aussi affaire a des associations qui
tion. En revan nstitutives d'un discours vide, qui est la pour faire
sont en réalisé const de Pinattendu. Lanalyste se doit parfois
barrage 2 roure mereet ae
de ponctuer oe maintenant supposer que les mouvements
Ains! por libre, tels que nous venons de les étudier, ont partie
Vassocianot valement. Reprenons l’exemple d’Anna ; quest-ce
on ide surcroit vient faire décroitre par le refoulement ? Est-108 Psychothérapies d’enfant, enfants en psychanalyse
ce que la lettre p de canapé serait difficile & dire ? Cette lettre ne
pourrait-elle s'exprimer que par le moyen d’une autre, la voyelle i?
On ne peut pas exclure que ce qui vient d’étre dit de l’associa-
tion libre a & voir avec le refoulement, puisque cette association
libre serait plutét une association libérée. Mais cette articulation
avec la lettre parait de nature a poser cette question du refoulement
dune maniére plus globale, non pas sous la forme du surmoi, de
Vinterdit, du rejet, mais de la facon dont le refoulement siinfiltre
dans les failles du discours. C’est en ce sens que les failles en ques-
tion ne sont pas des failles syntaxiques, mais plutdt des failles dans
la litcéralité, comme la faille entre « p » et « é »...
Serait-ce que la lettre « é » ne sert 4 rien et serait en surnumé-
raire ou bien pour une autre raison, mais le fait est quil y a tout de
méme une insertion, une invagination du « i » qui vient perturber
évidemment cette dialectique et en faire un « mot d’esprit ». Cest
cela qui est intéressant : Cest un appel a |’Autre.Ily a des réves
qui sont fragments du réel
Nous venons de voir le rapport des associations libres avec le
tefoulement. Notre intention est maintenant de montrer que Pas-
sociation libre a aussi rapport avec le transit
mengons par la clinique d'un réve.
Doit-on considérer le réve suivant comme un réve, car c'est
sous ce nom que la patiente le rapporte, ow plutét comme un cau-
chemar totalement dépourvu de paroles, ou encore comme un épi-
sode simplement confuso-onirique ? Pendant quelle accouche,
sous l'effet de l’éther d’une anesthésie a la reine, elle reste, dit-elle,
dans un réve. Elle proméne son « petit chien chéri », qui va étre
| dans un instant remplacé par l'enfant en train de naitre. Tele est
peut-ttre la mise en sctne du réve : [effacement du chien. Mais
voici que survient une voiture qui écrase le chien et la patiente
regoit dans la région du ventre tout le sang et les entralles de l'ani-
mal. A son réveil de Panesthésie, ou du réve, en quoi la figurabilicé
dans son horreur avait-elle & voir avec cette mise en scéne animale ?
La figurabilité, Cest le terme que Freud emploie quand il veut
parler du travail du réve ; le réve est leffet de la figurabilité, cest-
A-dire que les images sont la figuration de quelque chose, mais tout
ne peut pas étre figurable, tout ne peut pas bénéficier de la figura-
; bilité. La voiture, le chien, le sang, les entrailles, le ventre, sont 21s
sme. Et nous com-110 Prychothtrapies denfant, enfants en psychanalyse
sans aucune parole, aucun phonéme ; aucun mot n'est prononcé.
De plus, aucun cri de la mére, qui est endormie, auquel ne répond
aucun cri de l’enfant puisque la mére n’entend pas. De sorte qu’a
son réveil, la mére ne reconnait pas cet enfant, ne peut le regarder,
le toucher ou le nommer, ne peut attacher A ce corps éclaté de
chien aucun signifiant. Non seulement elle ne suppose aucune
demande a son enfant, elle ne peut pas le nourrir, mais on peut dire
quil s'agit la pour elle d’un objet a auquel se résume ce nouveau-
né figuré par un animal illettré. C’est en effet d’étre dépourvu de
toute lettre lisible dans le champ de l’humain que cet enfant est
spécifié. Rien dans le grand Autre de la mére ne correspond a ce
nouveau-né qui, par réciproque dialectique, est absolument lui-
méme dépourvu de grand Autre.
Le transitivisme de la mére suppose précisément un processus
inverse. La mére fait la supposition que l'enfant fait une demande.
Cest a ce trou de la demande supposée qu'elle vient, par ses coups
de force « tu as froid, tu as faim, tu as mal », relancer la signifiance
des bords de ce trou et quelle vient préter 4 ce nouveau-né un
grand Autre dont elle constitue les premiers éléments du trésor des
signifiants, dont elle construit le corps.
Rappelons que cette construction du corps en méme temps
que le trésor des signifiants fait dire 4 Lacan : « Vous n’avez donc
pas compris que le grand Autre c’est le corps. » Toute représenta-
tion passe donc par le corps. Ce sont les signifiants qui sont accro-
chés au corps qui font le corps. C’est en ce sens que l’on peut dire
que le grand Autre c’est le corps.
Dans cet exemple clinique, et c'est bien la question que pose
ce réve : « Ott est le corps ? » dans ce qui ne se donne justement pas
a entendre et a lire par le réve que la patiente raconte. Oui est le
corps des signifiants ? C’est en ce sens que la figurabilité du réve
dont parle Freud est tellement importante. En effet, est-ce que le
signifiant est figurable ? S’il n’y a pas de signifiant, qu’est-ce qui est
figuré ? Pour Freud en effet, tout de la figurabilité se raméne au dis-
cours, 4 des mots. Mais ici, ce parcours n’est pas opéré. C’est pour-
quoi l’on peut se demander ce que dit cette femme quand elle dit
« jai révé ». En tout cas, elle rapporte ce qui lui est arrivé comme
un réve, Elle ne dit pas « c’était sous l’effet de I’anesthésie, j'ai
déliré, etc. », elle dit « j'ai révé ». C’est au sujet de ce qu’est un réve
un point qui est problématique : il n'y a pas un mot. Ce réve pose
également la question de la fonction du réveil : la mére ne dit pas
« je me suis réveillée, etc. », mais immédiatement, l’enfant auquel>
pyadesr0es qui sont fragments du réel 111
elle a affaire n'est pas reconnu par elle. Ici, dans ce cas qui nous
occupe, point de demande supposée ; le symbolique et l'imagi-
ire, notamment du corps, sont impossibles 4 nouer a un réel
mnipotent dans le silence : ’absence de tout phonéme.
Reavers cette clinique, nous pouvons peut-étre souligner que
Panalyste transitive, le psychothérapeute, lui, suggére seulement.
Ge qui différencie fondamentalement les deux démarches, celle de
fanalyste et celle du psychothérapeute, tient a la position du sujet
s un cas comme dans l’autre. Il n'y a rien d’autre que de la figu-
ilité dans certains actes, C’est bien en effet le mot qui constitue
le réve. Ici il Sagit d'un réve raconté de telle maniére qu’on le voit
parfaitement. Pas d’ombilic et pas de mystére, seulement du visuel
etun visuel réel. Aucun discours ne vient le reprendre pour faire de
ce réve un refoulé. La conséquence est quaucun processus de
retour du refoulé dans le discours n’est possible, on a la chose &
Pétat pur.
Tant qu'un réve n’est pas dit, qu’en est-il du refoulé ? Le réve
est le résultat d'un travail de refoulement et de retour de refoulé
mais tant qu’il n'est pas dit, le refoulement est-il & Pocuvre ? A partir
du moment oi le réve est dit et non décrit, le dire fait un travail
supplémentaire, peut-étre secondaire, de refoulement. Le statut du
réve peut étre différent selon qu’il est envisagé sous I’angle de la
figurabilité, de la description ou sous l’angle des associations ou
dun discours sur le réve. Il y a le discours descriptif du réve et le
discours sur le réve.
Lhypothése transitivisme que peut faire la mére de la
demande du bébé qui aurait eu un cauchemar ou qui aurait révé,
la conduit & lui en dire quelque chose ou en tout cas 4 lui formu-
ler par exemple : « Tu as révé, tu as fait un vilain réve », ce qui peut
suffire & produire un refoulement. Ce refoulement, c'est peut-étre
ce que rechercheraient la plupart des enfants, qui eux révent, si l'on
peut dire, pour se réveiller, pour aller dire « j'ai révé, j'ai fait un cau-
chemar, etc. », donnant ainsi a la mére l'occasion de refouler, de
répondre & la demande de l'enfant par le refoulement: elle fait P'hy-
pothése qu'il demande a tre rassuré. Ce qu’a cet égard requiert
Pautiste, c'est que lanalyste transitive et fasse Phypothése que Pau-
tisme est un réve qui attend enfin un réveil.
‘A propos de ces réves qui réveillent les enfants, on est toujours
enclin a interpréter leur réveil comme leur désir d’aller séparer les
parents ; mais ce nest pas seulement ca : il faut refouler d’abord.
Ba =112 Psychothérapies d'enfant, enfants en psychanalyse
Lenfant, fort de ce refoulement, peut aller jouer avec la chemise de
nuit de sa mére.
Nous avons signalé dans un de nos livres (Balbo, Bergés, 2001,
p. 125), les rapports de l’accouchement et du refoulement. Ici au
contraire, l’accouchement n’a eu aucune fonction de refoulement.
Du coup ce réve n’est pas vraiment un réve au sens de Freud, qui
ailleurs n’a jamais évoqué cet aspect du refoulement tellement
important concernant I’accouchement. Ce n’est pas un réve, Cest
un réel. La patiente le raconte d’ailleurs comme un événement
dont elle aurait été témoin et A propos duquel elle ne peut faire
aucune association. Ceci montre sans doute que la définition du
traumatisme suppose elle aussi un impossible a dire, 4 articuler. Il
sagit d'un réel sans imaginarisation, qui n’est pas non plus suscep-
tible d’une reprise symbolique : ce « réve » est un réel traumatique.
Lévénement, qui est ce qui arrive et vient d’un coup, d'une
fagon imprévue, ne manque pas de nous rappeler l’idée invasive qui
vient a Pesprit et dont l’analysant va se mettre A parler comme s'il
tentait de refouler ce dont il est envahi ; cette idée que Freud vient
substituer 4 la question de l’association, cette idée invasive, cette
idée qui arrive comme ¢a, qui selon l’expression que nous
employons « nous vient a la téte, 4 l’esprit », nous ne pouvons pas
ignorer qu'il s’agit 1A peut-étre d’une tentative de refoulement, et
que c'est précisément le meilleur allié de notre refoulement que
cette pensée invasive ; cette pensée qui vient non pas s’imposer,
nest pas une pensée imposée mais une pensée qui vient occuper le
discours. Pensée qui joue 4 la fois d’une intrusion, d’une invasion
et en méme temps d’une aufhebung, de quelque chose qui vient
soulever, a la fois ce qui permet un retour du refoulé et en méme
temps le repousse. Peut-étre peut-on faire ici allusion 4 la compa-
raison avec une hallucination d’un désir indicible.
Uhallucination est une voix, elle est incidente, elle peut étre
invasive, elle arrive comme une idée, comme une Einfall. De méme
que la pensée invasive, "hallucination a quelque chose 4 voir avec
le désir. Ceci rappelle ce que Freud disait dans sa premiére période,
de l’étroit rapport entre désir et hallucination. C’est en ce sens que
Pidée incidente ou invasive est en quelque sorte une trace, un ves-
tige des rapports de hallucination et du désir, comme si elle ten-
tait donc de refouler ce dont elle est envahie. D’ailleurs il y a des
analysants qui sont tellement envahis qu’ils ne peuvent rien en dire,
et qui font ainsi entendre leur silence.aa des réves qui sont fragments du réel 113
ans les tumeurs du tronc cérébral, on rencontre ce quon
appelle des hallucinoses : le patient entend des choses comme des
hallucinations mais il ne les prend pas pour telles, il les prend pour
sa maladie : « J’entends des choses. » II se rend bien compte qu'il
ny a aucune extériorité & cette hallucination, privée de tout senti-
ment et affect ; il se rend bien compte aussi qu'il ne s'agit pas d'une
idée incidente.
Qui dira jamais assez comment la libre association est un bou-
leversement dont l’analysant ne peut que se défendre ? Tel est le
cété hallucinatoire de l'association libre. Ce nest pas la parole
imposée mais cest Didée, Cest la pensée, c'est pour ¢a que nous
lappelons invasive : on ne nous demande pas notre avis quand une
idée nous vient a la téte.
Cette proximité de lassociation libre avec hallucination
« quest-ce que je suis en train de dire ? Qu’est-ce que je raconte ? »
est 4 rapprocher d’une aphanisis (mot grec : action d’effacer, dispa-
rition) du sujet qui articule un discours & son insu.
Ce dessaisissement de la parole que constitue l'association
libre va donc de pair avec une certaine aphanisis du sujet. C’est
dans cette mesure que certains dispositifs thérapeutiques impli-
quant des séances de trés longue durée nous paraissent dangereux,
Yenchainement des associations libres étant l'occasion ou plutdt la
source d'une désubjectivation. Dans les rapports de l’inconscient
avec la langue et le langage, Lacan vient interposer a ce défilé son
point de capiton, lequel vient obvier cet effet d’aphanisis du sujet,
et loin de s opposer & l'association libre la relance.
Chez Venfant, nous avons déja fait allusion aux diverses
méthodes visant a faciliter cette association, méthodes toutes essen-
tiellement imaginaires. Nous proposons la mise en acte des points
de capiton et de leur relance, sous-entendus et rythmés par le
refoulement a [ceuvre dans les failles de la chaine signifiante,
quand nous proposons a l’enfant de faire une guirlande. Aprés lui
avoir montré comment procéder avec un crayon sur le papier, nous
lui proposons d’en faire autant : invité a ce rythme du point de
capiton, les descentes, les remontées curvilignes agies par enfant
manifestent chez lui un mouvement d’allers-retours symboliques
du refoulement et du retour du refoulé. C’est de ce processus
méme que le dessin de la guirlande nous parait révélateur.
Quand, dans un modile inverse, on lui propose une guitlande
de concavité contraire a la précédente, on assiste souvent une
véritable résistance qui se traduit par une incapacité a suivre la114 Psychothérapies d'enfant, enfants en psychanalyse
consigne, comme s'il lui était impossible de ne pas revenir a la guir-
lande initiale. Il ne peut donner la main au retour du refoul€ : nous
y voyons un équivalent du refus qu’oppose le sujet aux interpréta-
tions que le psychothérapeute propose impérativement. II semble
que cette cérémonie initiale 4 |’entretien avec les enfants est fort
appropriée a lui permettre de démarrer les associations.
Nous pouvons signaler 4 ce sujet que les autistes, au moment
ou ils arrétent les ratures et commencent a dessiner dans le mou-
vement de la guirlande, sont en train de mettre en place quelque
chose du refoulement et du retour possible du refoulé. Quand I’en-
fant autiste se met a parler, ce mouvement d’aller et retour, qui met
donc en jeu l’aprés-coup, est caractéristique d’un moment d’aller et
retour symbolique du refoulement et des retours du refoulé.
Revenons au cas de ces réves qui nous permettent de rappeler
que le refoulement peut étre congu comme sinfiltrant dans les
failles du discours et de sa syntaxe. Ici, cette infiltration est impos-
sible, barrée, obturée par l’événement qui fait réel. Par exemple une
mére réve avant l’accouchement sous péridurale, quelle rencontre
avec sa fille dont elle n’a pas encore accouchée, le chirurgien qui I’a
opérée elle-méme il n’y a pas si longtemps. Celui-ci lui dit : « Je lui
fais un scanner pour savoir si elle est normale. » Devant cet événe-
ment, elle ne peut dans son réve que dire : « Non, ma fille est nor-
male. » Ici aussi ce discours n’en est pas un. C’est comme le
reportage d'un événement qui ne suppose aucune pensée incidente,
aucun dire associatif, Ce réve lui aussi reléve du réel. La parole
méme du chirurgien est réelle : « Je vais faire un scanner pour voir
si elle est normale. » C’est un impératif dans le réve. Le réel de
Pévénement tel quil est rapporté, alors qu'il ne s'agit pourtant que
Wun réve, réel qui devrait étre dit « c'est un réve, c'est un cauche-
mar », ce réel qui procéde pourtant d’un travail onirique est d’une
force démonstrative implacable, contre laquelle rien ne peut étre
inscrit en faux. C’est un reportage sans commentaire, en direct,
sans aucun travail du réve, aucun camouflage, aucun déplacement.
Dans ces deux exemples de réves dont on peut soutenir qu’ils
sont typiques, il n’y a pas de discours qui puisse leur étre associé.
Limage, tant elle est brutale, réelle, fait barrage A tout jeu possible
de la lettre, 4 tout mot d’esprit. Il n’y a aucune distance, aucune
trace d’humour. Pour nous le tiers, ce troisisme sujet qui participe
au mot d’esprit en le rendant possible, le tiers est ce refoulement
qui, avec le retour du refoulé, permet de fagon décalée ce qui fait
appel au grand Autre et produit sidération et lumiére. Ces réves quides réves qui sont fragments du réel 115
constitués de « réalités », qui elles ne dépendent que du
ntexte, sont une effraction du réel dans ce qui serait normale-
ment un reve, a savoir ce qui serait de l’ordre du figurable. On peut
dire de ces réves qu’ils sont sans paroles. La figurabilité du réve y
est destituée au profit du fait que le réve est un calque du réel.
Les autistes n’ont pas de réves a raconter. Ils sont en quelque
sorte privés du travail du réve et de sa figurabilité. Le fait qu’ils en
soient privés nous permet d’évoquer chez eux l’absence de refoule-
ment primaire, dont il suit quils ne peuvent refouler secondaire-
ment dans le réve et par le réve. Mais l’incapacité dans laquelle ils
sont daccéder A quelque figurabilité que ce soit pose une autre
question ; cette non-figurabilité atteste-t-elle d'une absence de
désir, ou celui-ci ne peut-il étre source d’un réve que dans son réel
~ tels les réves des méres évoqués ? Est-ce 18 le prix que paie l’au-
tiste de ne pas étre un parlétre, divisé par le désir de l’Autre, Cest-
a-dire par le désir de sa mére qui ne lui en soutiendrait rien dans
ses articulations ? Peut-on résumer cette problématique et dire :
Fautiste est-il un sujet désirant ? Si nous pouvons tenter de
répondre a cette question, cest alors de ne pas étre sujet que l’'au-
tiste est privé de pouvoir réver.
On est bien obligé ici de faire état d’une sorte de réve dont n’a
jamais parlé Freud et qui est un réel dissocié de tout sujet, qui est
donc dissocié aussi de tout travail du réve. Il agit d’une produc-
tion directe du grand Autre. S’agit-il d’un aceés direct & lincons-
cient qui se rapprocherait de ce que l’on appelle chez les
schizophrénes ou chez les psychotiques « linconscient a ciel
ouvert » ? Quand nous disons que cest du réel, c'est peut-étre
quelque chose de l’inconscient qui apparaitrait, venant directement
du grand Autre, et impossible a inverser en son nom par le sujet.
Nous devons ajouter & propos de ces « témoignages-repor-
tages » que les sujets ne présentent aucune dénégation pour énon-
cer ce quiils disent. Il n’y a pas d’aufhebung par exemple, pas de
refoulement concernant ce qui est rapporté. Ce n’est pas « je vais
vous raconter quelque chose d’incroyable », il n’y a pas de dénéga-
tion. On peut d’ailleurs se demander s'il s'agit bien d’un réve tant
le message est direct. Ces sujets, qui nous rapportent ces événe-
ments comme des fragments de réels apparus dans l’onirisme, ne
sont pas en mesure de faire un réve impliquant le travail dont parle
Freud, qui suppose que le refoulement et le retour du refoulé soient
a oeuvre116 Psychothérapies d'enfant, enfants en psychanalyse
Il y a des analysants qui ne révent jamais. Est-ce quils auraient
un noyau autistique comme on parle d’un noyau psychotique ?
Nous soutenons que I’émergence de tels événements reportages qui
ne supposent ni refoulement ni retour du refoulé, implique une
impossibilité 4 transitiver, avec toutes les conséquences qui en
découlent. Pour qu'il y ait du réve, il faut qu'il y ait aussi un transi-
tivisme interne ; il faut donc qu’au niveau psychique le transitivisme
fonctionne, pour qu’en effet, du désir se fasse discours, image, etc.
Ce transitivisme articule la question : « Quel est le grand Autre qui
fait ’hypothése relative aux réves que nous faisons ? » Le transiti-
visme nous conduit nécessairement a penser que le désir qui est
inconsciemment le moteur du réve, est articulable 4 ce qui du désir
de la mére fut impliqué dans l’hypothése qui a été la sienne que son
enfant lui demandait un réve. Soutenir ce qui vient d’étre dit nous
parait plus étayé par la clinique que la position de beaucoup de psy-
chanalystes qui attendent de la mére qu'elle soit capable de réver son
enfant. Lincapacité a transitiver rend impossible en particulier la
double division dont procéde le refoulement et le désir chez la mére
comme chez l'enfant. II n’y a pas de négation, pas de division et
donc pas de sujet. Dans les cures de psychothérapie, le psychothé-
rapeute interpréte de telle fagon que son interprétation fasse événe-
ment, et quil situe ce quil a entendu de la bouche du patient, dans
la recherche de l’exactitude événementielle. II ne s'agit plus d’asso-
ciation libre. La différence entre la psychothérapie et la psychanalyse
acet égard, est de ordre de la différence que l’on peut préciser entre
Pidentification transitiviste et identification projective.
On pourrait avancer une réflexion qui mériterait d’étre appro-
fondie concernant I’étiologie de hystérie dont la structure semble
ne se fonder que sur le triomphe de la méconnaissance. Comme si
c était la méconnaissance seule que la structure semblait avoir pri-
vilégié dans le transitivisme. Contrairement a ce qui est trop sou-
vent stipulé, cest sur la méconnaissance que se fonde avant tout
Pidentification chez lhystérique. Ce qui préctde nous améne a
soutenir de facon plus générale que l’identification transitive est lit-
téralement une identification qui s'identifie le discours de la mére
de fagon active dans un mouvement d’incorporation du corps de la
lettre. Elle n’est pas une identification par laquelle le sujet s'identi-
fie au discours de la mére, comme si ce discours était un objet
comme un autre ou comme si un objet pouvait valoir comme dis-
cours ; ce type d’identification nous parait indirect donc propre-
ment intransitif, plutét passif dans la mesure out, par ce discours, ilIlya des reves qui sont fragments du réel 117
ne sincorpore rien. En ne s'incorporant rien, cette identification
nintéresse pas éprouvé littéral du corps ; il ne s'agit que d’une
identification proprement imaginaire. Dans identification transi-
tive au contraire, cet éprouvé du corps de la lettre est impliqué.
Quand une mére dit 4 son enfant, a partir de ce quelle éprouve
elle-méme d’un cri, d'une attitude qui lui est adressée « tu as faim »,
sa phrase est symbolique car aucun référentiel ne peut en attester la
certitude. D’un cété, cest Pexigence de l’exactitude de la psycho-
thérapie tandis que de l’autre le référentiel transitiviste de l’analyse
implique quil n'y a aucune certitude d’une vérité.
Nous avons soutenu dans notre lecture de ces réves que c’était
bien du réel quil s’'agissait pour ces méres. Dans les deux cas, il
Sagit d'un choc traumatique réel qui devient des lors celui de leur
enfant, ce qui est un facteur essentiel d’identification projective.
Privés de la symbolique que leur aurait apporté le transitivisme
maternel, ces enfants, confrontés 4 un réel non symbolisé, ni ima-
ginarisé, sont réduits a ce que le transitivisme a de défensif, et ils ne
peuvent sadonner qu’é un mécanisme projectif attribuant la
méconnaissance dans laquelle ils sont 4 un savoir extérieur 4 leur
corps. C’est la semble-t-il l’articulation que nous pouvons suppo-
ser entre le transitivisme normal, dont ils avaient été privés et le
tansitivisme pathologique, autrement dit projectif. Rappelons le
premier exemple de transitivisme pathologique projectif donné par
Wernicke. Il accompagnait sur la place publique un patient. Il y
avait une dame qui frappait un tapis sur le bord de sa fenétre au
troisitme étage et 4 chaque coup qu'elle donnait, le patient se tenait
la fesse et hurlait comme si était lui qui avait été frappé. De la
méme fagon, ces deux réves dans leur réel entrainent l’incapacité
complete de la mére a transitiver, obligeant |’enfant a subir le réel
parce quil n’y a aucun symbolique pour venir l’apaiser.
Nous devons rappeler que les psychothérapeutes se donnent
implicitement comme visée d’actualiser sans cesse les choses du
passé et du présent pour en faire des événements, visées abolissant
le retour du refoulé et le refoulement ; une telle négation de l’in-
conscient et de ses processus constitue une entrave a I’émergence
du sujet de Pinconscient donc a celle des énonciations. Le psycho-
thérapeute se sert de ses énoncés impératifs pour s opposer au pas-
sage de l’énoncé 4 I’énonciation chez son patient. Il fait en sorte de
ne jamais faire courir aux énoncés le risque des vérités de ’énon-
ciation. C’est la négation active de l'association d’idée. A l’inverse,
le psychanalyste fait sans cesse courir 4 l’énoncé le risque de |’énon-118 Psychothérapies d'enfant, enfants en psychanalyse
ciation, Cest-a-dire met en jeu sa propre fonction de sujet réputé
savoir. Si l'on fait courir 4 l’énoncé le risque de l’énonciation, c'est
bien dans la mesure ott dans la parole risque d’apparaitre par des
bévues le retour d’un refoulé. On peut noter en cela la chance
ménagée a I’ aufhebung, cest-a-dire a la levée du refoulement pour
que du refoulé se fasse entendre. Linterprétation-sanction du psy-
chothérapeute ruine cette chance et précipite le patient dans un
énoncé qui fait barrage et refoulement 4 toute émergence de son
savoir inconscient : seul le thérapeute sait.
Quant a la position transitiviste du psychanalyste, elle proctde
de l’hypothése que l’analysant lui demande d’avoir le pouvoir de
faire valoir son propre savoir. Ce symbolique coup de force analy-
tique est réalisé en ceci qu'il est prété a l’analysant un savoir auquel
il peut avoir accés. C’est ce que Lacan, nous semble-t-il, avait voulu
spécifier en appelant sa revue Scilicet : On peut savoir.
La dialéctica de la desinhibición. Comunicado de las fuerzas encapuchadas y del desorden. Ante los acontecimientos señalados por la fuerza pública respecto a que algunos integrantes de nuestras filas habrían hecho us