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La condition murcale e¢ atte dernier d'un livre intivulé Le Lied, a langue et UBiStoire (la préoccupation de I Histoire y éait pourrant déja centrale, ce que le titre atest). Crest ainsi que je passai tous ces demiers jours & travers cette montagne de disques et que je m’efforcai, dans la confusion d'un bonheur et d'une impuissance, douvris en moi le chemin que je devine escarpé d'une capacivé nouvelle ’écoute de toute chose. Le 20 janvier 2017 Langsam Teens quriquis nevis, ls annonces de a radio prt cisaient sans défailli lorsquls diffusaient une oeuvre musicale, le tempo des différents mouvements. Certains, mais cest devemu plus are, le font encore en provoquant parfois Tirrtation des auditeurs. ‘Mais quiy préte réellement attention ? Rien, en effet, ne semble plus fascidieux et démodé que ces précisions dont du reste tout le monde peut, sans étre musicien et cout simplement parce que nous parta- eons les mémes repéres temaporels dans la vie de tous les jours, faire Pexpérience. Peut-éere nly a-til au demeurant aucune négligerice dans cete pratique d’annonce et de présentation des oeuvres sans la précision des fempi, seulement une indifférence se nourrissant de Vidée que décidément la mention de ces derniers t'apporte rien 2 leur connaissance et pas davantage & leur simple apprehension. Ec pourtant que de soins mis par les compositeurs, en cout cas ‘modernes, dans ces mentions et 2 leur rédadtion (est-ce pas déj toure une composition 7), au point que certaines, comme chez Beethoven, forment de longues didascalies, et méme se confondent avec elles | Lindifférence a leur propos ne serait & cet égard que de Pignorance. Quon en juge chez Beethoven, donc, mais aussi chez Bruckner et chez Mahler en portant, pour une fois, coute son tection muta Aneel HIRT attention & ces indications dont les listes formeraient & elles seules des compositions et dont on pourrait faire cour un livre... Ainsi* donc Beethoven, Sonate pour piano 28, op. ror: « IT Langsam und sebnsuchesuoll, Adagio ma non troppo, con affesto — Geschwind, doch nicht zu sebr und mit Entschloscenbeis. Allegro. » Comment Y'inter~ préte pourrait il respetter ces injonétions, ces nuances et méme ces indications & la limite, patfois, de a contradiétion ? C'est pourtant sur cette limite, jallais dire par elle et & travers elle que l'ceuvre est possible ; elle nese possible en effet qu’a la condition du respect & la limite de Fimpossibilicé de ses indications. Et comment, dans Jes occurrences du méme genre chez bon nombre de compositeurs, la musique peutelle passer ou glsser d'une langue & Yaucre, sur les mémes instruments, comme si le plano, [e-violon, Ie violoncelle et Vorchestre entier pratiquaient toutes ces langues et discouraient en trouvant le terme adéquat pour expression — un peu comme il nous arrive en rout cas en recourant 2 Vallemand, au lorrain, & alsacien ou au yiddish parce que Ia langue disponible ec commune ne rend ni Pidée, ni image ni la nuance ~, si ce fest quelle parle ex essaie routes les langues pour pouvoir par chance engager la sienne cx par conséquent faire exister Vecuvre ? Toujours est-il quiavec le tempo, et grice & Vindication qui en précise parfois le détail, une couvre trouve dans le langage et grice & fui, et dans les formules tradisionnellement italiennes de la langue pparfois mélangées aux langues modernes comme chez Mahler (dans la IIT* Symphonie on lit concernant les mouvements 2, 3 ex.4:« Tempo di menuetto. Seb langsam : puis Comodo. Scherzando Obne Half; ensuite : Sehr langsam. Mifterioe, attaca ; ex pour fir Sagissant des deux demiecs mouvements : Luitig im Tempo und heck im Ausdruck ex Langsam, Rubevoll, Empfunden) >, sa premiere dézermination, ou plus exiétement celle qui lui est fondamentale ec sans laquelle Poeuvre ne peut tout simplement pas Souvrie e encore moins exister. Le compositeus, en écrivant, ainsi congu son morceau Cest encore ainsi quiil '2 entendu, non seulement sur le plan de la sonorité intéricure, mais sous I’angle de la vision, sans parler de celui, évident, de la représentation et de la compréhension. 3 Langan Le zempo donne (et je songe pour la piemiére fois depuis trés long- cemps 4 Fexpression, qui me semble tout & coup si pleine de sens = “donnez-moi le tempo") Yatmosphére du morceau, son allure et s2 respiration bien avant méme qu’on ait 4 Pentendre (ce qui faic que tout le monde sait en gros & quoi sattendre agissant d'un adagio cou d'un allegretto). Mais le terme d’armosphére ne sufft pas : les philosophes de ma génération savent encore que Heidegger avait enseigné que l'existence elle-méme, sur son plan le plus fondamen- tal et Aémentaire, comme le plus commun et banal, rest jamais eure ou abstraite, quelle est toujours en quelque sorte colorée affeBtivement ou, sil’on préfire, diversement, mais toujowts en son fond précisément, accordée. Lallemand posséde un mot ts riche, celui de Smog, qui désigne certes Patmosphére ou l'ambiance, mais aussi Yaccosd, “la tonalité fondamentale” (Grunditimmung) précise Heidegger, et aussi le compre qui est bon, lexaftioude (Es ‘flimme : Je compte est bon, Cest exatt, comme lorsqu’on fait préci- sément les compres). Cette richesse sémantique porte & considérer que le monde de Poruvre est profilé selon un rempa, que ce nlest pas dabord la disposition spatiale des choses qui est mentionnée ou décerminante, mais seulement, diras-, le rythme de la manifesta- sion, engagement ou Pénengie singuliére qui ese a sienne, quelque chose comme un pas ou un régime de traversée. (On se dicalors quill ne faut pas confondee la tonalité de Peeuvre, 1xé mineur par exemple, avec le tempo qui forme une tout aurre sorte de tonalité. Et, dans moi ignorance musicale, je veux dise technique, me vient toutefois qu’il faut se représenter Jé tempo comme le rythme d'ouverture de l'évencail qutese oeuvre Ik ott la ronalité, au sens striét, en définirait la couleur. Du reste, dans la perception, rest-ce pas le mouvement de l'ceuvre qui est sensible fen tout premier lieu et non la couleur dans la mesure ott l'on doit bien reconnaltze que Pun ext la condition de Pautre ? Ou bien ? Mais lorsque Aristore s'incerroge sur la nature dans sa Physique ~ rappelons que les Grees nfont pas de terme pour dire « monde » et que par conséquent ils pensent néanmoins quelque chose de cela dans celui de « nature » — il prend immédiavement aéte quil lui 38 La condition musicale fauc réfléchir sur le mouvement, que ce terme est celui, fondamental, de Ja physique. La nature (la phasis) elle-méme est le dépliage de soi, comme un éveatal, ou bien une ouverture & la maniére d'une fleus, mais sclon un rythme bien déterminé puisque le mouvement exige le vemps ct unc scansion. On songe a ce moment de la nais- sance du jour, & sa torpeur mais aussi & son impatience d’éclater comme au début de Alpensymphonie de Richard Strauss ov de la Crlation de Haydn, ou 2 cet autre moment, plus lent encore et abo- sicux, presque hésitant et résigné de la tombée du jour, comme dans Nach®, ce mouvement qui achéve Peeuvee de Serauss en reprenant le méme terme que celui de Pamorce de Pocuvre — de la nuit & la nuit, donc. Le sempo serait alors & entendre au sein de la naissance de image, de sa venue depuis un fond noétume au sein duquel rien lest discernable, ni mouvement ni couleur: Si l'on accepte, mais comment pourrait-il en écre autrement, que le monde est ce qui nous apparait dans le dépliage de Timage qui Gait par étre, alors dans cette réflexion on ne pourra plus jamais se satsfaire de Vidée aque la musique n'est rien que de la musique. Avvrai dire, ce qui apparait en elle et donc par son truchement, est tour un sythine du monde, comme sil sébrouaie d'une cer- saine manitre ainsi que le ferait un gros animal en manifestant démonstrativement et avec virlié la splendeur de ses couleurs. Et sorte secousse sur laquelle il semble si nécessaire d’ les raisons, on doit bien le supposer er cette prop: doute confirmée par la ledture des pages que Schopenhauer et & sa suite Nietesche ont consacrées 3 la musique, ea y considérant cchacun a sa maniére le premier écho de ce quest Vintérioricé du monde, sa premitze vibration dont image peut dere donnée par Teleurement d'une corde de contzebasse ou de violoncelle, sont de nature sexuelle, en rour cas binaire dans Je mouvement de var ceevient que j'ai pour ma part toujours reconnu par exemple dans le demier mouvement de la JT" Symphonie de Brahms qui ne se concoit que dans son propre épuisement progressif ou encore dans Jes dlans et les retenues tout aussi subites dans de si nombreux mor- ceaux de Schumann. Largan Il va sans dire que pour autres auditeurs, U'affaire serait bien plus simple: il suffiait de prendre aéte que la musique se présente immédiatement comme danse. Et on a incuitivement tendance & leur donner raison bien qu’on a'en ait pas sol-méme fait Pexpé- rience. Quoi qu'il en soit, ce qui 2 observation semble ieréfutable, est que la danse exprime la fois le recueil d'un mouvement qui Pantécéde ec qui vient la posséder pout la faire ére, et incarnation de ce mouvement en conférant forme 3 son énergie. * Mais puisqu’ll agit de musique, on fera cas ici de Ia Jentetx, cen songeant au Jangsam dont Mahler a fait un usage insistant plus haut. (Je mapergois, songeant une fois de plus & Montaigne e & ses divagations, en souriant pour moi-méme, que je nai toujours pas abordé ex thématisé mon sujet, ce mot, urts doux et beau, de « lengsam »), Sans faire éat de son. gol propre, sans préju- ger davantage d'une préférence peut-éxre anthropologique pour la lenteur comme dans le registre des couleurs il en existe une pour le bleu, considérons donc les mentions de la lenteur en musique, surtout s'agissant de Mincerprécation qui en assume la nature et le contenu au point den faire un probléme (les lenteurs excrémes fun Klemperer, d’un Celibidache ou encore dun Bernstein pour fen rester ati registre orchéstral), voire méme le signe d'une sorte de pathologie musicale. Que calle-ci qu'elle apparaisse ou non comme telle, dise quelque chose de la musique est une hypochise d’écoure, de compréhension comme de travail. Prendze en consideration la Jenteur et parler & son sujet de probléme ex méme de pathologie signifie seulement qu'elle souléve, & sa manire mais avec insistance et méme lourdeur et gravité, Cest selon, une question & propos de Ja musique ou plutdt qu’elle améne celle-ci& se réféchir et nous & Son ans, dane, comme adj et comme adverb : len, earns, ale eu douce- ‘next, comme dns Pamour dont aude alter dane le de sen quo en ie repos de la seule musgue Er encore demain water cia croisement rele adceaie des Abe Qualquesincicaios sone données parla suze sous forme volostaranest ave Lacondition musiele Paccompagner dans ce mouvement et ce sempo, Cest-i-dire dans la pensée quelle porse, 5 Car la question se présente ainsi dans Pinverprétation, Cesta-dire Je moyen dlextraie d'une ceuvre son contenu de vérité : pourquoi Jes grands chefs que l'on vient de nommer achéventils leur cartigre ct surtout leur travail interprétatif en Sabandonnant & des longucurs parfois déroutantes au risque de déséquilibrer oeuvre ? En cout érat de cause, ce nlest pas en meant au compte de la wieilesse ou de la maladie (on peut lire cela & propos de Klemperer, également au sujet de Léonard Bemstcin mais en occurrence cela a moins de sens encore si Yon considére la dépense ct la vigueur qui engage dans ses demiers enregistrements de Sibelius, de Mahler et dela VI" Symphonie de Tchathovsky) la préférence, & ce stade on ne dispose pas d’un autre terme, de [a lenteur quon sera en mesure de lever ce mystére. Sinon, en coure logique, Pinterprétation feraic souffir Loeuvre & tel ppoint que personne, plus personne nly percevrait ce quen réilité on y cconnait, i savoir une mise ea relief incomparable de sa figure, une scrudture jusque-IA2 peine devinés ou entrevuc qui la soutenait et qui fen constiuait avec touce la force del évidence la raison. Une interpré- tation de cere sorte erat done encendre Pinoul et peut-étre méme, est évident, entendre tout court. * Que donc la musique se fasse erés-singuligrement entendre dans ec A travers la lenteur, quelle sy déploie daventage que dans tout autre tempo, ne constitue pas 2 proprement patler une hypothése. On aTintuition, au contraire, quil Sagic d'un wrait de réel. En effet, pour le suggérer a défaut de pouvoir le prouver, prenons en compte arcificialité de la vitesse qui est devenue et le mode et la norme du contemporain. Ainsi, ce qui est doit ~ cette injondtion, quon connait également dans la mode, est la marque de Partifice et sa preave ~ aller vite de telle sorce que la valeur d'une aétion, d'un esprit et d'un homme se jugerait, économiquement et en termes Langan de civilisation, en fonétion de la vitesse. La séle€tion des indivi- dus comme celle des domaines, ainsi ceux de la vie psychique ou de Fentreprise, a donc trouvé son critére, On peut trouver et com- prendre davantage dans le théorie elle-méme : ainsi la vitesse de Trécriture et dela pensée de Spinoza dans Eshique, si vantée de nos jours ~ et méme la mode philosophique sese jamais le fruic d'un simple hasard -, est tlle quelle se confond avec l'éternité (en tout cas, Cestléternité qu'elle sefforce de rejoindre, de méme quelle en est issue comme son éjeétion ou sa manifestation, si du moins cela peut ce concevoix). La substance chez Spinoza, Cest-i-dire le réel Iui-méme, ou ce qui est absolument, est si compaéte que finalement clle nest sien, traversée et explosée quielle esc par une vitesse qui fa palir celle de le lumiére. La pensée est ainsi la fulgurance méme, le rassemblement en un instant & la fois rée! er théorique de ce que le temps met de son cété si longtemps & déplier. Ainsi chacun de ses points d’applicarion rassemble une chaine infinie de causalité. Le sage sait toute chose singulidre dans linstantandicé et la ponétualité de léemité. Mais i ne sagit avec cet vitesse peut-émre que d'une cexpérience de pensée. C'est que I Fvhique ne connalt pas de monde (le terme en est méme absent) : elle parle de féternité, de Vinfinité de le substance quien méme temps quelle enveloppe toute chose est aussi bien fine. amais sans doute ua philosophe nfa-til appro- ché de plus pris ce qui est absolument, mais qui constitue comme le rovers de la rélicé commune, un monde qui n’en est pas un, la subs- tance infinie done le monde nest que l'image toujours représentée, pat conséquent finie et dans les fits illusoice. Il fmdrait donc vivre ct expérimenter toute chose 2 travers les jeter et le silence — cette vvéricé de la vitesse !— des axiomes, des postulats et des théorémes. (Au fond, de quoi pasle au juste 'Ethigue de Spinoza... 3. Or la musique tient par Lorelle au séel le plus sensible, Elle a besoin de lui pour exposer I'absolu. Elle a besoin de temps méme siclle ne lui appartient pas. Le temps lui étant nécessaire pout son déploiement, il n/épuise pas sa provenance pour autant—la musique ne se réduit pas & lui ~ni ce& quoi elle tend, disons précisément son épuisement, un recour sa source comme un fleuve qui éprouverait 8 Ta condition musicale dans son lent et majestucux mouvement la tension qui le fait éere et devenir de se ditiger vers la mer autanc que de remonter vers si source. Et dans ce cas, comme on vient de le suggérer plus haut, quelle pourrait bien étre une musique de Spinoza ? Peut-il cout sim- plement exister une musique de Spinoza (Descartes de son cété a érudi la musique et a écrit sur elle, Leibniz est omniprésent dans Bach) ? Et est bien pourquoi la lenteur, une lenteur toute carcé- sienne en cevanche, finit par témoigner d'un séel, en marquant ce demier de ce qui en constituc la preuve, cest-i-dite un travail, [a disjonétion des moyens et des fins comme P’écart creusé, approfondi ct éprouvé dans la patience et impatience, lattente, angoisse et le bonheur ressentis tout & [a fois entre la cause et 'effer a wansiti- ‘vité par conséquent de la causalité & inverse de la cause spinoziste repliée dans son immanence puisqu’elle enveloppe son effet et dont le seul affest envisageable est celui d'une jouissance sans doute impossible pour le non-sage...) et enfin Timpossibilicé de Vinstan- tandité comprise en termes d’érernivé, Des concraintes, méme la musique en connait nécessaitement. Pour quelle sentende et quielle soit phénoméne, méme pour Beethoven qui, pour finir, ne Peatendait quiincérieurement dans le flux de la conscience ec sans aucun doute par la représentation, Et cere contrainte ne séide pas seulement, comme on le suppose, dans la cemporalité, mais dans Vespace, ou pour étre plus exatt la spatalisation, au sens aGtif du terme comme lorsquon parle de quelque chose comme Peau qui send, en d'autres termes qui produit espace ec ne sy inscrit pas. Il faudeait pouvoir entendze ict comedtement le verbe ausdebnen corzespondant au substantif Ausdebnung qui signific Pextension, Pespace tour court, en lais- sant paraitre Veiensio latine au sens a6&f plus que dans celui du résultar (et on réve, mais on songe déja a Bruckner & propos de la IX: Symphonie, sun morceau S ouvrant par une indication de tempo qui se diraic par oes deux termes...). Car l'espace nest pas ce qui ¥ Finaidon me di que cane cure ou cia comes exist, ec quelle ediene Langoan précxiste & ce qui le remplic, mais plus concréxement méme ce qui partout et tout le emps est infiniment ouvert, dans les fits dira-t- on pour le voyageur, mais aussi pour mon corps qui percoit depuis sa situation et son mouvement, et aussi pou le prisonaier que cer- tains sont séellement et que nous sommes cous dans Ja pensée en raison de Pinscription spatiale. Car toute pensée advient qu’ la condition Pune libération, d'une dilatation, d'un frayage et plus agénéralement d'une sors. En tout cas, la pensée est ce qui sozt de son liew et de son support. Ce faisant, ele est la puissance dela spa- tialisation. Er, se définissane en quelque maniéze par l, elle rejoine le mouvement fondamental de la musique. * Ce quil faue bien comprendse, Cesticdire entendie, car come prendre, pas méme expliquer ne suffisent jamais en ce que le rempo leur fait défaut, tout comme Tamorce du geste et du mouvement général du corps. Ainsi en va-vil jusque dans la pédagogie oit la pure théorisation, quia fait le désespoir ec méme le malheur de tant enfants qui ne saisissent pas les mathématiques et que Pon a sco- Jairement et socialement rangés dans la catégorie des iiors, fac fi de Paffedt eta, ou plutée, pour revenir un instant et une derniére fois 2 Spinoza et plus largement aux mathématiques, cherché & produire un affect trés spécial, dont nous n'avons pas idée, celui-l8 méme qui colnciderait avec les lois de la nature, en toute rigueur un affegkrrés indifférent 4 "homme comme celui qui produisait le rire de Spinoza ‘en contemplant le droit naturel et les lois de la nature se déployant dans un combat d'araignées (ce rire-lR, cete joie spéciale, tbs pure sans étre innocente mais au contraire instruice, mathématicienne, voila done la « musique » de Spinoza). Descartes, quant a lui et rmalgré une répuration trés fausse, ne valorisait pas dans ['absolu les mathémariques, parce qu’elles nlont de pertinence que dans le champ de la théorie et ne sone daucun usage dans celui de Pexis- tenice, cette union réellement indéfectible de 'ame et du corps qui 4“ La condision musicale est jamais qu'un pli, qu'une atmosphére et le tempo spécial d'une eee pI tempo sp e Ourte la démonstration de la nécessité de la lenteus, parce qu'elle relive et du réel et du travail de la pensée, on se rend a Pévidence avec Descartes que la méme nécessitérégit existence, parce quelle est profonde et nese laisse jamais réduire aux simples surfaces. Eton ne peut rire en effet, et ttre joyewx que des surfaces, et, ajouterons- ‘nous, qu’en sucface (ne rit-on pas essemtellement des appatences ?), lorsquil n'y a pas de profondeur, lorsque le temps, comme dans Tenfance, ne s'est pas encore dilaté et qu'il se confond avec Pinstant. Le bonheur, au sens de la joie, apparcieneil esc vrai & cercains enfants gui sont spinozisces sans le savoir, Ce sont les plus vfs, les plus intel- ligents les plus mathématiciens. Gloire & eux, Ec ily ales aucres, une cout autre typologie d’enfants bien plus avachants, d’éties et finalement d'adultes, Bien plus secrets aussi, ‘comme rentrés en eux-mémes er creusant les guleries de temporali- és et d'espaces dans lesquels ils sont jamais perdus. Ex, en général, «es méditations profondes, lorsquelles trouvent 8 SobjeStiver on ne sait mop par quel miracle — mais sans doute est-ce cela, au moins ‘en partic, art -, par Tattention soutenue quelles requiérent, se manifestent dans les lenteurs de la musique (ec pour tout dire, Jintuiionne & Vinvetse, certes de fagon bien peu instruite et par conséquent irresponsable, quiil en va de méme pour les arcs plas- iques eux-mémes : ainsi la vitesse de Picasso, dans les films que Pon peut en voir, et toute révérence due & con génie qui heurcusement ne se résume pas 4 ce trait, mfa toujours intcigué comme n'écant aque de Vare au sens esthétique du cerme. Au fond, il ¢agit de la vie- tuosité, cevte forme mondaine et esthérisante de la vitesse, prise en clle-méme et ea 'écat sur le vif, qui mappara ainsi, au-dela de son allure éémoniaque donc, douteuse). * 46 Langan ‘Mais enfin pourquoi cette lenteur et comment l'expliquer et la justfier ? Pourquoi aussi cette douceur qui 'eccompagne hod elle serait incompatible avec la vitesse jusque dans les ren- sions les plus exacerbées de la musique (ainsi, le mouvement lent de la II" Symphonie de Schumann, marqué adagio expressive), ou les entames et les grands moments de tension (pour en rester & la musique dorchestre de Schumann, la IV" Symphonie gravée en moi par la pourtant tris énergique et d’autant plus bouleversante version de Furewdingler de 1953, respeétivement le premier mouve- ment noté Ziemlich langsam (assez lentement), la seconde partie du deuxitme mouvement & nouveau noxé Ziemlizh langsam ec enfin le magnifique moment d'entrée des cors dans le IV* mouvement nové tout simplement Langsam avant d'étre abandonné & Paccélération Lebhafi (@f)-Scbneller (plus vite)-Preffe) ? On peut & ce sujet invo~ quer tout un nombre de raisons qui en quelque sorte ¢imposent, comme les dispositions psychologiques dans la musique romantique au moins, ou encore, & Pautre extstme, Pobjettivieé des conventions dans Porganisation contrastée des mouvements de la sonate et de la symphonic (mouvement rapide, mouvement lent, etc ; on novera pourtant que, historiquement, Fintroduétion de la lenteur dans et comme fe premier mouvement n'est pas allée de soi et que cece raison, car elle doit bien exises, reste obscute...), toujours extil que Pidée simpose qu'll peut sagir du fondement méme de la création, an sens fore de cecte assise. En effet, si comme coure ceuvre dart, la musique paratt et que par ailleurs elle est dans son apparattze si dépendance du temps, alors on peut comprendse que la phénomé- nalisation ext une parution qui sefforce de demewrer. Il appartient en effet & Pouvre, pour pouvoir se présentes, de se stabiliser dans tune forme, par conséquent de fieiner son mouvement et son énergie interes, et plus avant de Ja concentrer ou de la mettre pour ainsi dire en charge. Ee cela suffit dé, selon coure vraisemblance, pouz justfier l lenteus, qui ne posséde plus rien de psychologique et qui ne qualifie plus la seule objedivité de ce qulon nomme un mou- vvement lent parmi d'autres qui fone concraste. Lhypothése nait concomitamment que I'interprésation d'une ceuvre ainsi pelotée se a Lecondion musiale devra de la déplier avec at, selon la rigueur de forme quielle @ prise lorsqu‘elle est susie ’elle-méme dans la création, La lenceutt de lexécution, outre quelle se doit de faire entendte ce qui y a a centendre, sinterdit de faire bouger la forme, de Pébranler ou de la dymamiser par d'autres forces que celles qui y président, mais de faire le tour de cette forme conome lorsqu’on observe attentive- ment un objet ou un phénoméne. La lenteur dans 'incerprétation et Fexécution rest que scrupule er Pattention. La musique se noue décidément ainsi avec la pensée en ce qu'elles possédenc en partage la capacité de diftinguer. La distinétion contrecare le confls et se révéle identique & la spatialisation ct & ’extensio dont on a patlé plus haut, Ainsi auraitparlé, aujourd'hui encore, Descartes. * A vrai dire, ce qui lie musique er lentenr se laisserait comprendre et entendee en analogie avec la réponse de Nicolas de Staél & une question & propos de ses tebleaux : pourquoi les exposer? « Pour gion es voie !» 5 de méme on dira pourquoi la lenteur dans Ja musique ? « Pour qaion Ventende !». Voix x entendse ne suffiraient donc pas, il faudrait une insistance dans la présence, une sorte de présentification qu'on ne peut penser en toute intuition et en coure logique sinon comme Yextension de tout & Pheure, une venue & fimage, du moins une spatialisation, une azrivée dans le monde, une mondanéisation de Peeuvre, en définitive comme une installation & la manigze de quelqu’un ou d'une tribu qui décideraienc d élite demeure ici. Une fois cerce sédentarisation acquise pour elle-méme, leuvre peut com- mencer & sinterpréter, 4 étre interprétée par les vistes de ceux qui, a cours de leur promenade existentelle, y préreront au gré des circons- tances, des chances et des hasards attention, * Et i y eue ainsi de grands voyageurs et visiteurs qui nous ont rendus atcentifs, dans le parcours de notre propte existence aux “ Laxgum stations aécessaires, aux embranchements, aut chemins sinuewx, 4 la progression des nuages et & Fimmobilicé des eaux, aux lentes ‘transformations en filigrane des visages, aux Horaisons et & la crois- sance du petit chéne dans mon jardin, au vieillissement enfin, tous ces événements qui dans la falgurance que leur confére le nom dévénement ren sont pas moins & chaque fois index Pun réel, est -dire d’une lenteur marchant sur les partes de colombe dont parle Nietsche: Klemperes, Colibidache, Bernstein, pour se limiter aux chefi, mais aussi Glenn Gould @ la fin de sa vie. Comme pour illustre et préciser les choses, on relevera en effet lexteéme lenteur de son inerprétation 4 la baguerte de Siegftied Idyll de Wagner, une beauté ex dun degré de lévisation seupéfiane, comme sila plus exuéme lenteus, Join d’aggraver la lourdeus, Pannulai et produisaic a Linverse unc légéreré extréme, presque une volatilité, Es, pour en rester cette fois-ci a Gould pianist, ce quil a « fait» aux sonates de Mozart, en les acoélérant de fagon outrancitre au point de les rendre méconnaissables, peut se comprendre d'une part comme une pro- testation contre la démonstration musicale, la nzissance si on veut du w soliste » et de la « star » modernes, mais aussi, et Cest ce qui importe davantage ic, pour les fare entendze autrement et peut-étce ‘méme dans leur vérité insoupconnée, et on voudrait a cette occasion ajouter ceci, qui est pour le moins paradoxal, que clest en les accé- Iérant que Gould ralencit ces sonates, afin qu‘on y entende ce qu'on nly pereevaie pas ou plus. (De fat, ce que Gould fait & ces sonaces rest que la conséquence du « rapide et fécond Mozarr, une preuve en érant que Beethoven ne subit absolument pas le méme sort, lui ui composait, ct cela peut se vétifier sur les partitions originales, Jentement, ms lentement, avec reniements et pesanteurs). Car la lenteur elle-méme ne réside pas nécessairement la oit on croit: loin de nlétre qutune simple impression, & tous égards celle dune pazesse enfin justifiée par la proposition dune musique cool ou zen, ele tient dans la Franchise du dépliage, la mise en évidence de la com- position, le dégagement des arties et des angles, des serudhures et des matrices, en somme ce sur quoi Sarrétent Vorelle, lespric et le *” La condition musicale sentimens, Pespace quis recouvrent et sur lequel ils découvrent leur propre extensio. : En veuton un exemple ? Toscanini afese pas un chef sépuce pour ses lenteuss, plutée pour son c&té impulsif ec colérique, done «rapide » ec expéditif (avec lui Rossini nfest pour le commun jamais uiés loin en raison des montées et des accélérations dans les crescen- dos). Or, voudra-t-on bien soutenir avec nous quil est lui-méme conduit par la lenteur, de celle qui sait nuancer, qui n’enferme pas jusqu’’ Fengloutissement la musique dans le ux de énergie, qui sait parcourir tous les stades de la lenteur, comme lorsqu’on monte un escalir, ainsi, dans le seul 1* mouvement de la VI' Symphonie de Tchaikovsky (24 novembre 1947 au Carnegie Hall) dans lequel il faut (savoix) décliner avec précision et distinétion Adagio — Allegro non sroppo — Andante — Moderato mosio — Andante ~ Moderato assai — Allegro vivo — Andante come prima — Andante mosso \ D'auttes exemples seraient 2 mentionnes, en particulier dans les magistrales versions de La Mer de Debussy ou encore & Vopéra dans la version incomparable ¢’Orelo de Verdi. Sans jouer sur les mots, donc, Toscanini sait étre aussi dans la Jenteus, lorsque la musique lexige. Et elle 'impose si souvent parce quelle n'est pas sans ignorer au titre de sa nature de grand existant quielle expose Hexistence, cest-A-dire son propre excds ~ parce que Ja musique est ce qui ek-siste dans Pexistence en Sarrachant& route essence, toute immobilité et toute image ~ et encore toure I’énergie pulsionnelle qui la traverse et Femporte sans qu’on sache od, si ce lest que le joie 'y méle & la wistesse, sans doute en raison de linsa- tisfaétion qui la régit, ou que la tristesse se retourne en joie lorsque nnait le sentiment avoir trouvé un havre ou du moins la chaleur momentanée de tout simplement exister. La lenteur nest jamais un calme plat. Ce serait le contraire de la musique. De méme, l'absence de résistance qui fait coute vitesse se passe également des reliefs. La musique seule, ec la lenteur avec elle traverse les dénivelés de l'existence comme le voyagear, le Wanderer de Schubert en qui mimporte quelle existence finit par se reconnaitre 50 Langan sur le chemin interminable des demiéres sonates pour piano, Et le fond du vallon, comme celui dont parle Jaccottet dans Truinas, pparalc 2 a fois, dans Pillusion que donnent les grands espaces et les lieux habités par un génie propre, si proche et immédiacement plat la maniére d'un tableau, er si loin et enfoneé, et ajouterons-nous i silencieux dans son dloignement, car le sentiment et d’abord la simple sensation témoignent de ce que plus on sc rapproche plus on @éloigne infiniment du lieu 2 rejoindre (le jeu de la vie ec dela mort, des perspectives et de la certitude de horizon et de la fin, pourrait- on dire aussi a propos de cette perception). Ces impressions qui se superposent et se confondent, en produisant en nous précisément Ja confusion, conférenr un rythme «8s singulier au pas et déces- minent la marche du monde et, partant, la marche en lui. Clest que la lenteur ala lieu que par les longs silences qui la scandent. Dans ces conditions ne seraitelle pas Fopérateur de la césure, en un double sens, celui de distribuer l'espace en brisant et en faisant cexploser le point qui forme P’élément spatial et qu'on ne peut, quant Alul, que penser dans la vitesse la plus absolue, et celui du geste de se soustrare toute musique qui ne serait pas lesté, grave et néces- saire? On y entend en tout cas un vide ou une sorte de blanc entre chaque respiration et expiration, on y percoit la nudité du monde et du chemin qui le parcourt dans un mélange Pabsolue clareé (Cest ainsi : le cythme naturel et evident des choses et des événements) et obscurité compaéte (0d allons-nous, le chemin dans la forét sen finix pas?) (On peut toutefois se demander, & la réflexion, si rout cet amas de sensations et de sentiments qui se serrent en nous ne chesche pas a désigner Ja beauté. Un instant l'idée se présente, pour sévanouir aussités, qWune beauté rapide wen serait pas une, et que méme une représentation de cela est absurde. La Jenteur permet a nuance que la vitesse interdit, & la maniére dont Machiavel entendait une aucre opposition, en politique cette fois, lorsqu'l soulignaic que le ince doit phutdt se faire craindre qu’aimes, parce que le crainte, qui se manifeste dans Pespace, donne du jeu et que le faic @aimer se a condition musicale finie toujours par faze penser & propos de celle ou de celui qui en est Fobjer quon a des droits sur lui, Nuances ec distinétions, ne fauvil pas en conclure 4 une « ragilité du beau» pour reprendre une expression de Solger et remarquablement travaillée pour elle-méme par Oskar Becker, un éléve de Heidegger ? Lorsqu’on écoure la VII" Symphonie de Mabler qui comporte, Cesc étonnant, deux mouvernents lents, intitulés tous les dese Nachemusik (1 8 U1), mais avec la nuance pour le premier Allegro medersto et pour le second d'Andanse amoroso, entre les deux se tient un mouvement écrange inticulé Scherzo ~ Scharrenhaft (ombra- eux 2) — (fiesend aber nicht schnell) (Buent mais pas rapide), ‘comme souvent, avec ce musicien, tous les degrés de la lenteur sont parcourus en formant parfois, pour un seul mouvement, toute un potme : qu’on lise les indications du IV* et dernier mouvement de la IX" Symphonie : » Adagio. Schr langsam und nach zuriickbaltend. (Gets lent ec aussi retenu) ; Plateich wieder (wie 2u Anfieng) und exwas zigernd ; Molto adagio subito :.A tempo (Molto adagio) ; Stes sehr gebalten ; Fliessender, doch durchaus nicht eilend ; Tempo I. Molto adagio ; Adagissima. » On le constate, il est impossible de concevoir une traduétion de ces indications, elles forment pour elles-mémes une syntaxe, un langage, une musique, toujours un geste du corps et des modifications de la Stimmung. Les indications sont une chose, 'interprétation en est une autre. Sans doute, pour revenir ’ celle dela VET* Symphonie de Mabler par Klemperer atweint-on un degré extréme de lz lenteur (Klemperer fut couturnier du fait : €coutons som Cosi fin tuste dans lequel il contraint les chanteurs & des prouesses de respiration). Mais ce qui est remarquable, c'est qu'en construisant cette grande arche mahlé- Henne, Klemperer parvienne & produire une tension qui revient 2 tune dissolution du zempo sans toutefbis le rompre. La lenteur ateint Jct en quelque sorce son essence, elle devient au sens fort du terme ‘quelque chose, une réalité et un objet musical, en tout point compa- rable i Pexistence qui se tient sur un fil, mais ne rompt pas et résiste Cola est particulitrement sensible dans la seconde Nachtmmusik = Langeans intesprétation, on peut le dite & Pévidence ici, glorfie ce morceau en en exposant toute la podsic et le monde quelle désigne. On peut faire le paralldle avec le Jardin flerique (denice moment de Ma Mere POye) de Ravel, lui aussi masqué « Lent et grave », certe musique avec laquelle, on Pavoue, on aimerait érre accompagné, comme pat des enfants joyeux en éé, au moment de rejoindre, on Pespére, le Paradis. Le plus important, si 'on sefforce de rassembler ses esprits et ses idées concernant la lenteus est que la musique qui en provient fasse monde et pas seulement « musique ». Er si fon veut aller au out de ses impressions, on trouvera ainsi qu'un monde se déplic depuis cette lenteur, qu'elle le dessine presque et que les Zemp! plus rapides ne font que remplir secondairement le monde, a Ja manigre des objets et des événements dans un espace. Alors nous savons que snows sommes au monde, encore au monde, rerenus lui par un peu. de lenteur ex donc par la beauté. Le 20 evrier 2017

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