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Du même auteur, chez le même éditeur

Analyser les textes de communication, 2 édition, Armand Colin,


e

2007.
Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris,
Armand Colin, 2004.
Les phrases sans texte, Armand Colin, 2012.
Discours et analyse du discours, Armand Colin, 2012.

Création graphique : Hokus Pokus Créations

© Armand Colin, 2004, 2010, 2015 pour la présente édition


© Éditions Nathan/HER, 2001
© Dunod, Paris, 1999
© Dunod, Paris, 1991 pour la première édition
Internet : http://www.armand-colin.com

Armand Colin est une marque de


Dunod Éditeur, 5 rue Laromiguière, 75005 Paris
ISBN 978-2-200-60386-1
Avant-propos

La première édition de cet ouvrage est parue en 1991 sous le titre de


Précis de grammaire pour les concours. Il a été régulièrement révisé et
amplifié au fil des éditions successives. C’est une nouvelle édition que
nous en proposons aujourd’hui, avec un titre qui explicite mieux ce qui a
été son ambition constante : faciliter la préparation des étudiants de
lettres aux épreuves de grammaire française des concours de recrutement
des enseignants, CAPES et agrégation.
Ce manuel n’est en aucun cas une grammaire, c’est-à-dire un ouvrage
qui présente de manière systématique le fonctionnement de la langue
française, mais un outil qui vise avant tout à aider les candidats à
structurer leur bagage grammatical en traitant de manière synthétique
les questions régulièrement posées lors des épreuves d’écrit et d’oral.
Pour ce faire, nous ne proposons pas seulement des connaissances de
grammaire sous la forme de fiches, mais nous essayons d’aider les
étudiants à mieux comprendre la démarche qui est attendue d’eux. C’est
pourquoi nous avons distingué deux composants complémentaires : le
« savoir-faire » et le « savoir ».
Le savoir-faire est ce qui manque le plus à la plupart des candidats.
Dans cette rubrique, nous avons regroupé divers modules destinés à
faciliter les relations des étudiants avec la grammaire et avec l’épreuve
qu’ils doivent passer. Il leur faut d’abord comprendre les « règles du
jeu », ce qui est attendu d’eux (chapitre I), en particulier apprendre à faire
preuve de sens grammatical (chapitre II) et à utiliser à bon escient le
vocabulaire de base (chapitre III). Ils doivent enfin disposer d’un cadre
syntaxique minimal (chapitre IV) pour structurer leurs connaissances et
exploiter efficacement les fiches de la partie « Savoir ». C’est donc sur
« l’intelligence grammairienne » que nous insistons dans cette première
partie.
La seconde partie, intitulée « Savoir », est beaucoup plus longue,
puisqu’elle est constituée d’une série d’exposés portant sur des questions
placées dans l’ordre alphabétique : les sujets qui ne manquent pas de
« tomber ». Quelle que soit l’ampleur du sujet, nous nous sommes efforcé
de ne pas dépasser un certain volume.
Comme l’on peut s’y attendre, il arrive constamment que les questions
se recouvrent partiellement. C’est le cas, par exemple, des libellés
suivants proposés aux concours : « l’interrogation », « les relatives »,
« les phrases en que », « les interrogatives et les relatives », « les emplois
de que », « les pronoms interrogatifs », etc. Plutôt que de faire des fiches,
qui seraient redondantes l’une par rapport à l’autre, nous avons aménagé
un double dispositif :

– à la fin du livre, on trouve une liste des sujets régulièrement posés


aux concours et, en face, le(s) numéro(s) de la (ou des) fiche(s) qui
permettent de les aborder ;

– à l’intérieur de chaque fiche, un système de renvois [ …] signale
que tel problème se trouve développé dans telle autre fiche.

Chaque fiche s’ouvre par un paragraphe détaché qui concentre


l’essentiel de son contenu. L’exposé proprement dit articule les
distinctions qui doivent faciliter l’analyse des phénomènes et la
présentation des résultats par le candidat. Par moments, nous nous
attardons sur l’analyse d’un point précis, de façon à accoutumer le lecteur
à scruter la langue.
La langue est faite de « détails » qui, loin d’être des scories
négligeables, sont l’unique voie d’accès aux processus généraux. C’est à
juste titre que les examinateurs reprochent constamment aux candidats
leur peu de souci de ces « détails », par exemple qu’une complétive
directe se pronominalise par en et non par le (« Je m’étonne que vous
partiez » → « Je m’en étonne ») ou que le pronom interrogatif quoi laisse
la place à que en tête de phrase (« Que veut-il ? »/« Il veut
quoi ? »/« *Quoi veut-il ? »). Bien entendu, il n’est pas requis des
candidats qu’ils trouvent une solution à de telles difficultés, mais ils
peuvent du moins montrer qu’ils ont repéré le problème et qu’ils sont
capables de le formuler avec précision.
À la fin d’un certain nombre de fiches, on trouvera une petite note
intitulée « Diachronie », consacrée pour l’essentiel à quelques
particularités de la langue du XVIIe siècle. Les particularités de la langue
du XVIe sont si nombreuses qu’il était impossible de les évoquer dans ces
notes ; en outre, dans leur grande majorité elles relèvent de l’ancien
français, lequel fait l’objet d’un enseignement spécifique à côté de celui
de la grammaire du français moderne. Les informations qui sont fournies
dans ces appendices ne dépassent guère le stade de l’indication allusive.
Il s’agit seulement de donner un savoir minimal : ne pas ignorer
l’existence d’un accord du participe présent chez beaucoup d’écrivains
du XVIIe, savoir interpréter « les pleurs plus beaux » comme « les pleurs
les plus beaux », etc.
Le projet qui anime cet ouvrage nous a paru difficilement compatible
avec une présentation qui ressortisse au style de la recherche. Aussi nous
sommes-nous décidé à ne pas nourrir nos fiches de références
bibliographiques. Étant donné la quantité d’études qui ont été publiées
sur un ensemble de phénomènes qui est par nature restreint, sur chaque
question il existe une littérature considérable à partir de laquelle nous
avons essayé de construire un savoir adapté aux exigences des concours
et accessible aux étudiants.
Conçu comme un instrument de travail, comme une « trousse
d’urgence » grammaticale, ce livre implique un mode d’emploi. Il est
souhaitable que le lecteur commence par lire attentivement la partie
« Savoir-faire ». Il pourra ensuite construire son parcours en fonction de
l’état de ses connaissances, ou plutôt de ses lacunes : consultant la liste
des sujets qui sont proposés aux concours, il repérera en premier lieu
ceux qu’il se sent incapable de traiter et se reportera aux fiches
correspondantes ; il pourra enfin réviser les questions qu’il pense mieux
maîtriser.
Première partie
Savoir-faire
En quoi
consiste l’épreuve

La première chose à faire quand on prépare une épreuve, c’est


évidemment de la connaître, de façon à évaluer correctement l’obstacle
qu’elle représente.
Il existe plusieurs types d’épreuves en grammaire. On peut distinguer
les exposés théoriques et les études de données. L’« exposé théorique »
consiste à réaliser une synthèse sur un point de grammaire,
indépendamment de tout emploi particulier : l’adjectif, les formes en -
rais, le féminin des adjectifs, etc. L’« étude de données », en revanche,
part d’un ensemble d’énoncés que l’on doit analyser d’un certain point de
vue. Nous précisons « d’un certain point de vue » car tout énoncé est
susceptible d’illustrer un ensemble considérable de phénomènes. Par
exemple, l’énoncé archétypal de la grammaire scolaire :

Le chat mange la souris

peut servir à illustrer l’emploi de l’article défini, celui du présent de


l’indicatif, de l’accord du verbe avec le sujet, de la thématisation, de
l’aspect générique, du genre des noms, de l’ordre des mots, etc. Quand
on soumet un énoncé à l’étude linguistique, c’est seulement pour prendre
en compte tel(s) ou tel(s) de ces problèmes. Si l’on veut faire étudier
l’article défini, l’examinateur construira un corpus où, à côté de « Le chat
mange la souris », figureront des énoncés comme :

Regarde la fusée !
La Marie est malade, etc.

En fait, la notion de « corpus » est trop vague. Il convient de distinguer


entre les corpus artificiels et les corpus attestés.

▶ Les corpus artificiels


On propose aux candidats des énoncés forgés de toutes pièces qui
comportent tous une occurence du fait de langue qu’il leur faut étudier.
On s’arrange en général pour que ce corpus soit relativement exhaustif,
c’est-à-dire qu’on puisse y trouver les divers types d’emplois.

▶ Les corpus attestés


Ils sont constitués d’énoncés effectivement produits. On distinguera
deux cas de figure :

– (a) les énoncés détachés de leur contexte ; ils sont disposés


ensemble parce qu’ils illustrent le même phénomène linguistique.
Celui qui agence un tel corpus est libre de les ordonner comme il
l’entend ;
– (b) les énoncés suivis, qu’il s’agisse d’un texte complet ou d’un
extrait (d’un journal, d’un roman…). C’est ce type de données que
proposent en général les épreuves de grammaire des concours.

Le cas (a) est voisin de celui des corpus artificiels, à la seule différence
que les exemples y sont rapportés à des énonciations particulières. Dans
le cas (b), il est difficile d’atteindre à l’exhaustivité pour certains types de
phénomènes. Par exemple, il y a peu de chances que, sur une page de
roman, l’on rencontre tous les types d’emplois du subjonctif.
Il peut arriver que le corpus à étudier, qu’il soit attesté ou artificiel, se
limite à un seul énoncé. Il s’agit alors d’un énoncé singulier, aux deux
sens du terme. En effet, l’exiguïté des données est ici compensée par leur
aptitude à susciter une réflexion linguistique intéressante : soit parce que
la structure de cet énoncé est d’une grande complexité, soit parce qu’elle
apparaît marginale par rapport à l’usage courant. C’est souvent ce qui
arrive pour les énoncés qui relèvent d’états de langue plus anciens (par
exemple « Je vas vous dire » ou « Je vous le veux dire » dans la langue
du XVIIe siècle) ou d’usages dits « populaires » (cf. « Moi, ton père, sa
voiture, je peux pas m’y faire »).
Les épreuves proposées aux concours, que ce soit à l’écrit ou à l’oral,
se présentent sous deux formes :

– une combinaison d’exposé théorique et d’analyse de corpus attesté ;


– l’analyse d’énoncés singuliers attestés.

La première forme, dite souvent « exposé synthétique », est de loin la


plus importante, mais elle peut être associée à la seconde forme, dite
« analyse de tours particuliers ».
Dans la mesure où souvent l’épreuve de grammaire n’est pas
autonome mais rattachée à l’étude d’un texte, les questions posées partent
toutes des énoncés figurant dans un texte. Cela n’est pas sans danger, car
le candidat peut être tenté de déporter l’analyse grammaticale vers
l’analyse stylistique. Les examinateurs n’y sont pas favorables, surtout
pour la question synthétique : l’analyse stylistique, outre le fait qu’elle
est redondante par rapport à l’explication de texte, risque de nuire à
l’analyse de la langue, de la « court-circuiter » en quelque sorte. Il peut
néanmoins s’avérer indispensable d’invoquer la valeur stylistique d’un
élément pour élucider correctement son fonctionnement linguistique ;
même dans ce cas, il est recommandé de ne pas négliger l’approche
proprement grammaticale.

1. L’EXPOSÉ SYNTHÉTIQUE
Nous avons caractérisé l’exposé synthétique comme une combinaison
d’exposé théorique et d’analyse de corpus attesté. C’est donc une épreuve
qui suppose un jeu d’équilibre entre deux exigences parfois divergentes :
montrer que l’on dispose d’un certain bagage de savoir grammatical,
montrer que l’on est capable d’analyser des énoncés particuliers. En
d’autres termes, il faut savoir faire le chemin dans les deux sens : de la
généralité aux faits, des faits aux généralités. Idéalement, la classification
grammaticale doit être illustrée par le corpus. En réalité, on se heurte ici à
deux difficultés :

– toutes les possibilités prévues par la classification ne sont pas


nécessairement réalisées dans le texte ; si par exemple l’on veut
étudier les subordonnées circonstancielles et que certains types de
circonstancielles ne figurent pas dans le texte proposé ;
– il existe des énoncés qui n’entrent pas aisément, voire pas du tout,
dans la grille grammaticale dont dispose le candidat.

La première difficulté n’est pas très gênante. Le candidat peut se


contenter d’évoquer rapidement un type d’emploi en précisant qu’il ne
figure pas dans son texte. En revanche, la seconde difficulté est plus
embarrassante. Il se peut que le candidat ait utilisé des grammaires qui ne
traitent pas ou traitent mal de certains faits, ou tout simplement qu’il ait
des trous de mémoire ou fasse des confusions. Cette épreuve étant aussi
destinée à évaluer le « sens grammatical » du candidat, il est parfaitement
normal qu’il se trouve dans ce type de situation. La seule issue pour lui
est de disposer d’un cadre grammatical solide et d’avoir à l’esprit un
certain nombre de gestes lui permettant d’analyser les phénomènes. Les
examinateurs tiendront difficilement rigueur à quelqu’un dont on voit
qu’il maîtrise les distinctions essentielles sur un sujet donné et qu’il est
capable d’aborder intelligemment un phénomène jusqu’ici mal connu de
lui.
L’exposé synthétique procède en deux temps : une phrase de cadrage
du sujet et une phrase d’analyse classificatoire.
« Cadrer » le sujet consiste à définir ses frontières et son intérêt
linguistique mais aussi, le plus souvent, à annoncer l’idée ou les idées
directrices qui vont présider à l’analyse classificatoire. Il ne s’agit pas, à
ce stade, de proposer une définition extrêmement fine du sujet puisque
l’analyse postérieure est destinée précisément à affiner le cadrage.
Supposons que la question posée soit : « La place de l’adjectif épithète
dans le texte. » On peut imaginer un canevas comme celui-ci :

(1) L’adjectif est la tête d’un groupe syntaxique qui dépend d’un nom.
Quand il est épithète, c’est-à-dire qu’il figure à l’intérieur du
groupe nominal, il peut se trouver en principe à deux places :
immédiatement devant ou derrière le nom.
(2) Mais l’assignation de cette place n’est pas libre. Elle est liée à des
facteurs de divers ordres : des contraintes sémantiques, selon le
type d’adjectif concerné, mais aussi des contraintes de mise en
relief, de prosodie ou de syntaxe.
(3) Il s’agit donc d’un phénomène complexe qui nous permet de voir
interagir les divers plans de l’activité énonciative.

(1) circonscrit la question ; (2) indique les grandes lignes du plan qui
sera suivi ; (3) souligne l’intérêt du sujet. Chacun de ces trois éléments
sera évidemment étoffé selon les goûts et les besoins.
L’analyse classificatoire doit à la fois présenter des distinctions
simples et rigoureuses et analyser finement les faits de langue. Il ne faut
donc jamais donner l’impression que l’on « ressort » une classification
toute faite, sans se soucier du corpus à étudier.
Le plan s’appuie sur des distinctions qui peuvent être articulées de
diverses manières. L’ordre de présentation choisi n’est pas indifférent.
Supposons que le sujet à traiter soit : « Les démonstratifs ». On peut
adopter un mode de présentation qui commence par distinguer
déterminants et pronoms ; on peut aussi opposer emplois
déictiques/emplois anaphoriques et définir des sous-parties en utilisant
l’opposition pronom/déterminant. En organisant l’exposé autour de la
distinction déictique/anaphorique, on privilégie la dimension énonciative.
Selon l’option choisie, la distinction reléguée à l’arrière-plan devient une
sous-classe : ainsi dans la catégorie déterminants pourra-t-on séparer
anaphoriques et déictiques. Mais il faudra aussi placer où il convient des
oppositions entre formes variables et formes invariables ou entre formes
en -ci et formes en -là… En règle générale, il vaut mieux privilégier la
classification qui éclaire le mieux le fonctionnement de la langue : dans
notre exemple, l’opposition entre formes variables et invariables est d’un
moins grand intérêt que celle entre pronom et déterminant.
Le point délicat, c’est l’articulation entre la grille a priori dont dispose
le candidat et l’analyse des occurrences du texte. Il faut en effet qu’il
fasse sentir aux examinateurs qu’il « se bat » avec les structures
linguistiques, en particulier quand l’analyse des données n’est pas
immédiate. Par exemple, il ne suffit pas de dire : « Les adjectifs non
classifiants peuvent se trouver devant le nom, comme on le voit dans tel
et tel énoncé aux lignes tant et tant » ; on attend aussi du candidat qu’il
montre sur un des énoncés qu’il cite en quoi il s’agit bien d’un élément
qui a les propriétés d’un adjectif « non classifiant ». Si l’on se contente
de proposer une classification et d’indiquer qu’elle est illustrée par tels
énoncés, sans davantage de commentaire, l’exposé sera achevé au bout
de deux ou trois minutes à l’oral et en quelques lignes à l’écrit. On ne
doit pas se contenter de décliner un catalogue, il faut également mettre en
évidence les propriétés des éléments concernés.
Les examinateurs ont tendance à fortement pénaliser les relevés qui
oublient certaines occurrences, surtout quand cet « oubli » porte sur des
énoncés qui posent problème. Ils ont l’impression que le candidat a
cherché à esquiver la difficulté. C’est donc là une stratégie fortement
déconseillée. Le mieux, nous y insistons, est d’affronter le problème en
essayant de montrer, par diverses manipulations, pourquoi il résiste à la
classification usuelle. Peu importe alors le résultat, l’essentiel est de faire
preuve de son sens de la langue. Cela implique que le candidat soit sûr
qu’il n’a pas négligé une distinction essentielle et qu’il ne prend pas pour
une bizarrerie ce qui constitue en réalité un fonctionnement linguistique
tout à fait normal. De là, la nécessité de disposer d’une base de
connaissances grammaticales minimale.

2. LES ÉNONCÉS SINGULIERS


L’étude de singularités ne figure pas dans toutes les épreuves. Quand
elle est présente, c’est à titre de complément des exposés synthétiques.
On la trouve libellée de diverses façons : « Étudiez… », « Rendez
compte de… », « Faites les remarques nécessaires/qui s’imposent
sur… ».
Il est évidemment impossible d’en dresser la liste. On peut les
regrouper en deux catégories principales : les synchroniques et les
diachroniques.
Les singularités diachroniques, les plus nombreuses, correspondent à
un état de langue plus ancien. Certaines relèvent de l’érudition pure. Il y
a donc là une part de chance. Mais souvent elles impliquent, du moins
pour une part, des mécanismes linguistiques sur lesquels il est possible de
dire quelque chose, en particulier en faisant une comparaison avec la
langue contemporaine : la place des clitiques compléments d’un infinitif
(« Je vous l’ose rappeler »), l’adjectif possessif (« Un mien cousin… »),
etc. Ici encore rien ne remplace une bonne analyse du phénomène
appuyée sur quelques manipulations.
Les singularités synchroniques peuvent être des constructions passibles
de plusieurs analyses ou qui amalgament divers processus. Il peut aussi
s’agir de tours qui ne relèvent pas de la langue standard (on trouve en
particulier des énoncés qui appartiennent au registre familier ou à la
langue très soutenue, ou encore à des domaines spécialisés, le discours
juridique par exemple). Bien que de tels emplois soient marginaux, ils ne
sont pas sans intérêt linguistique. C’est bien souvent quand la langue
opère ainsi sur ses propres limites qu’elle fait jouer des ressorts
extrêmement révélateurs. Considérons par exemple ces deux énoncés
relevant du registre dit « populaire » :

(1) La voiture qu’il est rentré dedans, c’est une Fiat


(2) Il m’a agonisé d’injures

L’exemple (1) illustre bien les problèmes posés par la relativisation en


français : au lieu du subordonnant complexe dans laquelle, difficile à
manier, le locuteur utilise un que avec un adverbe de rappel qui indique
le sens et la fonction. L’analyse d’une telle construction permet de
réfléchir sur le fonctionnement des relatives. Quant à l’énoncé (2), il pose
un problème d’ordre lexical, mais qui est lié à un principe de portée
générale : celui de l’intégration de formes qui dans le système
linguistique sont isolées. Ici le problème est résolu par une confusion
entre agonir et une forme mieux connue, agoniser.
On doit donc s’efforcer de montrer, si c’est possible, que la singularité
n’est pas celle d’un « monstre » mais l’indice de régularités
significatives.
En résumé on attend du candidat essentiellement deux choses :

– qu’il maîtrise un métalangage grammatical lui permettant de décrire


et de classer les phénomènes ;
– qu’il donne à ces phénomènes une intelligibilité minimale. Cela
implique qu’il fasse preuve d’un certain « sens grammatical ».
C’est ce point que nous allons considérer à présent.
Qu’est-ce qu’avoir
le « sens
grammatical » ?

L’évaluation d’une prestation grammaticale fait intervenir deux ordres


de critères ; les uns relèvent du savoir, de la connaissance d’un certain
nombre de concepts et de méthodes d’analyse, les autres concernent la
manière dont ces derniers sont mis en œuvre. Parmi ceux-ci, il en est qui
relèvent de principes très généraux : bien définir la tâche à accomplir,
être clair dans son élocution ou dans son style, n’omettre aucune donnée,
ne pas se contredire, proposer une classification qui soit empiriquement
adéquate… Mais ceux qui ont à juger ces épreuves sont également
sensibles à des qualités plus spécifiquement grammaticales dont ils
déplorent l’absence chez beaucoup de candidats : qu’ils parlent de « sens
grammatical », de « sens de la langue », de « finesse d’analyse », de
« compréhension des subtilités de la langue »…, ils visent la même
chose : une démarche qui atteste d’une aptitude à aborder, comme il
convient, les phénomènes de langue. Les candidats sont souvent tentés
d’appliquer à l’étude de la langue la même démarche que celle qu’ils sont
habitués à suivre quand ils abordent un texte d’un point de vue littéraire.
Reconnaissons d’ailleurs qu’ils sont incités à prendre cette voie par le
préjugé très répandu, y compris chez certains enseignants, que les mêmes
vertus intellectuelles (celles d’un « honnête homme ») seraient requises
dans les diverses disciplines auxquelles ils sont confrontés. En réalité, ce
n’est que partiellement vrai.
Il vaut mieux admettre que la grammaire fait appel à une tournure
d’esprit spécifique, et éviter de projeter les qualités requises en littérature
sur une épreuve d’un type distinct. S’il existe une « finesse » littéraire, il
existe aussi une « finesse » linguistique. Dans la mesure où, précisément,
l’épreuve confronte le candidat à des données authentiques, des textes, au
lieu de lui faire seulement réciter un chapitre de grammaire, il est fort
improbable que les énoncés se laissent parfaitement découper par simple
projection d’une classification élémentaire. Le réflexe de la plupart des
candidats est de rechercher une étiquette pour nommer le phénomène
qu’ils maîtrisent mal : ils ont l’impression qu’on attend surtout d’eux
qu’ils reconnaissent telle ou telle forme comme appartenant à telle ou
telle catégorie. Quand les rapports de concours leur rappellent qu’il est
moins important, pour des données complexes, de trouver une
hypothétique étiquette que de faire preuve de sens grammatical, ils ont
tendance à percevoir ce conseil comme une sorte de piège.
Il est vrai qu’il est très difficile d’expliciter ce qu’on entend par « sens
grammatical » puisqu’il s’agit d’un savoir-faire qui s’acquiert par
imprégnation. On peut néanmoins en repérer quelques traits significatifs.

▶ Donner la primauté à l’étude des fonctionnements


On aurait tort de croire que les catégories que manipule la grammaire
constituent un stock stable qui ne ferait que s’affiner et s’enrichir depuis
les Grecs. Certes, un grand nombre de distinctions fondamentales sont en
place depuis plus de deux millénaires mais elles ne font, comme toutes
les catégories, que résumer un ensemble de propriétés empiriques, et ce
sont ces dernières qui importent. Dire qu’un terme est un « adjectif »,
c’est viser un ensemble de propriétés telles que : dépendre d’un nom,
s’accorder avec lui, être susceptible de degré, pouvoir avoir des
compléments, etc. Mais il existe de nombreuses unités lexicales qui ne
possèdent pas toutes ces propriétés (par exemple « présidentiel » dans
« une élection présidentielle ») : s’agit-il quand même d’adjectifs ? C’est
là un problème délicat. Ce qui est requis du candidat, c’est moins de
décerner la « bonne » étiquette que de mettre en évidence les
fonctionnements linguistiques effectifs.

▶ Savoir suspendre toute interprétation immédiate des


structures
La tentation est grande de rapporter les fonctionnements linguistiques
à quelque principe de bon sens, alors que le bon sens n’a rien à voir dans
cette affaire. Il s’agit plutôt d’accepter que la langue ait ses raisons à elle,
qui ne sont pas accessibles au premier coup d’œil. Les structures,
considérées isolément, ne peuvent pas s’expliquer à l’aide de principes
interprétatifs indépendants du système de la langue. Dire par exemple
que dans une interrogation comme :

Que veut Paul ?

l’objet est en tête parce qu’on place en premier ce sur quoi porte la
question, c’est substituer une explication immédiate et rassurante à un
phénomène qui obéit à une économie qui lui est propre. On sait en effet
qu’il existe des interrogatives sans mot interrogatif en tête (« Paul veut
quoi ? »). On remarquera aussi que les phrases interrogatives et les
phrases relatives exploitent les mêmes morphèmes (qui, que, où…), et les
font figurer dans les mêmes positions, en tête de phrase (« Qui
vient ?/L’homme qui vient… ») sans qu’a priori le bon sens perçoive
d’affinité évidente entre relatives et interrogatives.
Le bon sens ne pourrait pas non plus expliquer pourquoi le pronom
interrogatif passe de que à quoi dans certaines positions (comparer : « Tu
fais quoi ? » et « Que fais-tu ? ») ou pourquoi il y a inversion du pronom
sujet (« Que veut-il ? »). Ce n’est pas que les structures linguistiques
soient inintelligibles mais seulement qu’elles s’interprètent grâce au
système linguistique et non par référence à des principes qui relèvent
d’une expérience immédiate du monde.
▶ Savoir se démarquer de toute subordination naïve de la
« forme » au « sens »
Pour la plupart des locuteurs, toute attention à la « forme » est suspecte
dès qu’il leur semble qu’elle dépasse certaines limites : à quoi bon couper
les cheveux en quatre ? On accepte en effet difficilement de replier sur
lui-même l’ordre de la langue, de ne pas y voir le miroir direct de ce que
« veut dire » le sujet.
Prenons un exemple. Le morphème si en français se retrouve dans des
structures variées :

Il est si content !
Si c’est pas triste !
Si on partait ?
Je me demande s’il viendra.
Si j’étais riche, j’aurais un palais.
S’il est bête, en tout cas ça ne se voit pas.
Il n’est pas venu – Si !

Spontanément l’usager dissocie ces emplois : pour lui ces structures


n’ont presque rien de comparable parce que le degré, l’exclamation, la
suggestion, l’interrogation, etc., n’ont pas grand-chose en commun d’un
point de vue interprétatif. En revanche, le premier réflexe du linguiste
doit être de faire l’hypothèse que la présence de ces divers emplois de si
n’est pas due au hasard, qu’elle renvoie à un ordre linguistique dont la
logique échappe au premier abord.

▶ Une telle démarche implique un souci du détail


On ne doit pas procéder à coups de serpe et décréter que ce qui n’entre
pas commodément dans les grandes catégories n’est qu’un ensemble de
« points de détail », de résidus négligeables. En fait, il ne faut pas hésiter
à admettre que la langue telle qu’elle se manifeste ne soit qu’un entrelacs
de détails… Non que tous les phénomènes aient la même importance (il
faut bien hiérarchiser, considérer certains phénomènes comme non
pertinents d’un certain point de vue), mais on ne peut décider a priori de
ce qui est important et de ce qui ne l’est pas. C’est l’économie propre à la
langue qui seule peut permettre d’en juger. Par exemple, beaucoup de
verbes admettent des complétives objets en à/de ce que :

Il s’attend à ce que je parte


Je m’étonne de ce que vous ayez réussi

Que vient faire ici le ce ? Est-ce un détail ? Pour les usagers de la


langue, sans nul doute, mais pour les linguistes, c’est là quelque chose
qui doit retenir l’attention. S’agit-il d’un déterminant démonstratif ? d’un
pronom (comme dans « J’aime ce que vous faites », à supposer que là
aussi il s’agisse d’un pronom) ? Est-il neutre ou masculin ? Si l’on a
affaire à un déterminant, est-ce la complétive qui joue un rôle de nom ?
Faut-il faire l’hypothèse qu’il y a un nom sous-entendu (ce (Nom)
que…) ? On est également obligé de s’interroger sur les complétives du
type :

Il s’attend que je parte


Je m’étonne que vous ayez réussi ?

Sont-elles différentes ou non de celles en à/de ce que, étant donné que,


contre toute attente, elles se pronominalisent avec y ou en (« Il s’y
attend », « Il s’en étonne ») ?
On ne continuera pas plus avant à propos de cet exemple. L’étude
linguistique va nécessairement de détail en détail, pour finalement
remonter à des principes plus généraux. En d’autres termes, il n’existe
aucune contradiction entre détail et généralité : les principes généraux qui
gouvernent les langues se laissent capter à travers des singularités qui
constituent autant de carrefours pour relancer la réflexion linguistique.

Ces quelques caractéristiques du « sens grammatical » pourraient être


regroupées autour de l’idée qu’il est nécessaire de prendre ses distances à
l’égard de la langue en postulant que rien dans son fonctionnement ne va
de soi. Or c’est une attitude qu’il est très difficile de maintenir, surtout
lorsqu’il s’agit de la langue maternelle. De plus, les étudiants et les
enseignants en lettres ont reçu depuis leur plus jeune âge, à travers
l’école, la lecture, l’écriture, un enseignement grammatical tacite ou
explicite qui conditionne leur perception de la langue. Le seul fait
d’écrire, de manier l’orthographe implique des hypothèses de nature
grammaticale. À l’écrit, on sépare par exemple il et le verbe (« Il dort ») :
c’est la conséquence d’une décision grammaticale, et non un découpage
évident. Cette décision va évidemment peser très lourd sur l’analyse des
phénomènes, et inciter à considérer il comme un groupe nominal plutôt
que comme une marque de la conjugaison du verbe.
Se poser des questions au sujet de la langue, s’étonner qu’elle soit
comme elle est, telle est donc l’exigence. On ne peut pas demander aux
candidats d’y parvenir pleinement, mais au moins de saisir vers quoi tend
le regard du linguiste.
Cela doit se traduire par un souci de manipuler les structures
linguistiques. Pour étudier un fait de langue, rien de plus inadéquat que la
contemplation. On aura beau scruter avec intensité une phrase passive, on
ne comprendra guère mieux ce qu’est la passivation. C’est en ajoutant
des éléments, en opérant des déplacements, des substitutions de divers
types qu’on entrera véritablement dans les processus langagiers. Toute
donnée de langue est une invitation à faire apparaître des contraintes
inaperçues.
Vocabulaire
de base

1. LES CONCEPTS CLÉS


■ Grammaire
Terme clé de tout l’édifice, grammaire peut être ou non opposé à
linguistique.

▶ « Grammaire » opposé à « linguistique »


Le terme désigne souvent la grammaire scolaire traditionnelle, parfois
avec une valeur dépréciative, ou la grammaire normative qui, de
Vaugelas à Grévisse, met la description de la langue au service de
l’établissement d’un « bon usage ». De manière plus neutre, le couple
grammaire/linguistique permet de confronter deux approches de la
langue :

– la linguistique, dont l’objet véritable et moins une langue


particulière que le langage ;
– la grammaire, où l’étude de la langue est traversée par des
impératifs sociaux, et au premier chef, bien sûr, les nécessités
propres à l’enseignement. On comprend que « grammaire »
permette de désigner une matière scolaire, une pratique (« on fait de
la grammaire ») liée à des manuels (l’élève dispose de « la
grammaire de 6e, de 4e… »). C’est sans doute pour cette raison que
l’on parle plus volontiers d’une épreuve de « grammaire » pour les
concours de recrutement que d’une épreuve de « linguistique ».

On utilise aussi parfois le terme de grammaire pour désigner l’étude


d’un sous-ensemble de phénomènes, en l’occurrence la morphologie et la
syntaxe, à l’exclusion de la sémantique. L’école sépare ainsi les cours de
« grammaire » et les cours de « vocabulaire ».

▶ « Grammaire » n’est pas opposé à « linguistique »


Le terme désigne les divers modèles (au sens scientifique) qui
entendent représenter la structure d’une langue. Dans ce cas, la
linguistique apparaît comme la science qui se donne pour but de
construire des grammaires, des modèles des langues naturelles.

■ Langage/langues
Le langage est l’objet de la linguistique, mais cette dernière ne peut
l’appréhender qu’à travers la diversité des langues. On parle de langage
quand on réfère à la faculté de parole et de langue pour désigner tel ou tel
système linguistique, actuellement en usage ou dont on a conservé la
trace. Aussi parlera-t-on de l’« origine du langage » ou des « fonctions du
langage » plutôt que de l’« origine des langues » ou des « fonctions de la
langue » ; réciproquement, le français, le chinois ou l’allemand ne seront
en aucun cas des « langages ».

■ Discours/langue
Dans les travaux de linguistique, on rencontre constamment le terme
discours. Son emploi obéit à la volonté de mettre l’accent sur l’usage de
la langue en contexte. On parle de discours lorsqu’on considère les
énoncés à travers leur dynamique textuelle, en les rapportant à des
situations d’énonciation particulières. Les linguistes font ainsi jouer
constamment une opposition entre ce qui est censé relever de la
« langue », c’est-à-dire du système hors emploi, et ce qui relève du
« discours », de l’usage qui est fait de ce système par des sujets inscrits
dans des contextes singuliers.
On ne confondra pas cet emploi de discours avec l’opposition établie
par Benveniste entre discours et histoire, ce dernier terme désignant un
mode d’énonciation sans embrayage.

■ Énoncé/phrase
L’usage d’énoncé se distribue essentiellement sur trois registres :

– on parle d’« énoncé » pour des séquences verbales de tailles très


diverses qui constituent des unités de communication complètes :
un bulletin météorologique, un sermon, un ouvrage de
mathématiques, un proverbe… ;
– à un niveau d’analyse inférieur, certains opposent l’énoncé
(élémentaire) à la phrase en faisant de la phrase un type d’énoncé.
Les séquences suivantes sont alors autant d’énoncés :

Ouf !
Le chat est parti
L’idiot !
Malheur à vous !

La phrase est le type d’énoncé qui se construit sur un noyau [groupe


nominal – groupe verbal] ;
– certains linguistes distinguent également phrase et énoncé pour
opposer « phrase hors emploi » et « phrase en contexte ». Dans cette
perspective, la phrase n’est qu’une abstraction qui peut correspondre à
une infinité d’« énoncés » particuliers. Par exemple :

J’ai vu Paul hier


est une phrase si on considère cette séquence indépendamment de
toute énonciation singulière. En revanche, elle devient un énoncé dès
qu’elle est appréhendée comme un événement énonciatif rapporté à un
locuteur particulier, un destinataire particulier, un moment, un lieu
particuliers. Pour ne pas créer d’équivoque, on use parfois du couple
énoncé-type/énoncé-occurrence en lieu et place de phrase/énoncé.

■ Énoncé/énonciation
On distingue l’énoncé et l’énonciation comme le produit et l’acte de
production. L’énoncé constitue donc le résultat de l’énonciation, c’est-à-
dire de l’acte individuel d’utilisation du système de la langue. On
pourrait penser que l’étude de l’énonciation, en tant qu’événement
unique, ne relève pas de la linguistique, mais plutôt de disciplines d’ordre
psychologique ou sociologique. En fait, le linguiste la prend en compte
parce qu’elle laisse des traces dans l’énoncé, que la structure même des
langues naturelles ne peut être correctement décrite et expliquée si on ne
prend pas en compte cette dimension. Les verbes, par exemple, portent
des marques temporelles et modales ; or ces marques sont liées à
l’énonciation : le mode indique quelle relation l’énonciateur entretient
avec son énoncé, le temps est relatif au moment de l’énonciation (ce
qu’on appelle le présent n’est que la coïncidence entre moment de
l’énoncé et moment de l’énonciation).

■ Énonciateur/énonciataire, locuteur/allocutaire, etc.


Toute énonciation implique un couple indissociable, les interlocuteurs
ou coénonciateurs, dont les deux termes sont marqués par je/tu. On les
désigne de diverses façons : énonciateur/énonciataire,
énonciateur/coénonciateur, destinateur/destinataire, locuteur/allocutaire,
émetteur/récepteur… S’il s’agit d’écrit on trouve également la paire
scripteur/lecteur. Toutes ces oppositions ne sont pas équivalentes. À
l’heure actuelle, émetteur/récepteur ou destinateur/destinataire sont
moins utilisés car ils valent pour tous les systèmes de communication et
ne captent pas ce qu’a de spécifique une langue naturelle.
Locuteur/allocutaire, en principe, s’appliquent plutôt aux énoncés oraux,
mais ils sont employés bien souvent comme des variantes d’énonciateur/
énonciataire, qui sont neutres par rapport à l’opposition entre l’oral et
l’écrit.
Ce qui complique les choses, c’est qu’on utilise également certains de
ces termes pour conceptualiser des distinctions à l’intérieur de la source
d’énonciation, lorsqu’il s’agit de dissocier l’instance qui produit l’énoncé
de celle qui le prend en charge (problématique de la « polyphonie »
énonciative). Par exemple, pour un conditionnel journalistique :

Le général Tapioca aurait pris le pouvoir

on doit distinguer celui qui profère l’énoncé (le journaliste) et


l’instance à qui en est attribuée la responsabilité (par exemple « Les
milieux bien informés »). Pour ce faire, certains linguistes recourent au
couple énonciateur/locuteur : ici le journaliste serait le « locuteur » et sa
source d’information « l’énonciateur ».
Pour lever l’équivoque, quand on ne se réclame pas d’une théorie
particulière il est préférable de recourir à des paraphrases et de distinguer
par exemple entre le « producteur » de l’énonciation et son
« responsable », entre « celui qui parle » et « celui qui prend en charge
l’énoncé ».

■ Synchronie/diachronie
C’est certainement le couple de concepts saussuriens le mieux connu.
Rappelons qu’il s’agit de points de vue différents mais complémentaires
sur la langue. Il n’est pas question d’exclure le diachronique au profit du
synchronique : la compréhension des phénomènes linguistiques s’éclaire
bien souvent quand on considère les évolutions qui les portent. Saussure
compare une synchronie à un état d’un jeu d’échecs pendant une partie et
affirme qu’il n’est pas besoin de considérer autre chose que les relations
des pièces à ce moment-là pour comprendre la partie. En fait, ce n’est
que partiellement vrai ; comme une partie est quelque chose de
dynamique, comprendre un état du jeu, c’est aussi le rapporter aux
stratégies qui ont été mises en œuvre pour qu’on en arrive là.
La distinction synchronique/diachronique n’a rien d’absolu. Dans ce
qu’on appelle un « état de langue » coexistent avec des statuts différents
les traces d’états antérieurs et l’esquisse d’états postérieurs. Le discours
littéraire ou le discours juridique, par exemple, exploitent des structures
linguistiques tombées en désuétude dans la langue courante. Inversement,
bien des usages jugés « populaires » préfigurent l’usage standard à venir.
Dans ces conditions, ce n’est pas parce que l’imparfait du subjonctif, par
exemple, est encore en usage chez certains locuteurs qu’une grammaire
du français actuel doit le mettre sur le même plan que le présent du
subjonctif.

2. LES ÉNONCÉS DÉVIANTS


Pour étudier une langue, on est obligé de construire des énoncés
impossibles, de manière à délimiter le possible, c’est-à-dire les énoncés
qui sont considérés par les locuteurs comme appartenant à leur langue.
Pour comprendre ce qu’est, par exemple, le passif en français, il faut
noter que des phrases comme :

(1) * Paul a été donné un livre


(2) * Un mètre a été mesuré par cette table
(3) * Ce livre est eu par Jules

sont impossibles (ce que l’on indique en les faisant précéder d’un
astérisque). Dire, comme le font les grammaires, que la passivation ne
fonctionne qu’avec un verbe transitif direct, c’est en fait donner sous
forme de règle le résultat du test qu’illustre l’exemple (1), où l’on a placé
comme sujet du passif un complément d’objet indirect. Une telle règle
prédit qu’un objet indirect ne pourra jamais être sujet d’une passive. Pour
démontrer que cette règle est fausse, ou du moins souffre des exceptions,
il suffit de fabriquer une phrase qui soit jugée bonne mais comporte un
objet indirect en position de sujet. Tel est le cas avec :

(4) Paul est obéi de ses soldats


À chaque étape de la démonstration, le raisonnement progresse grâce à
la construction :

– soit de phrases impossibles qui devraient être possibles (cf. (2) ou


(3)) ;
– soit de phrases possibles qui devraient être impossibles (cf. (4)).

Mais pour le moment, cette notion de phrase « impossible » n’est pas


bien claire. Quand on dit d’une phrase qu’elle n’est pas « française », on
mêle en effet souvent des paramètres de divers ordres et qui n’intéressent
pas au même titre la réflexion linguistique. Nous allons donc introduire
quelques dichotomies qui opèrent sur des registres distincts :
correct/incorrect, grammatical/agrammatical,
interprétable/ininterprétable, pertinent/non pertinent.

■ Correct/incorrect
La notion de « correction » fait intervenir la norme. Dans toute langue,
il existe des prescriptions, tacites ou non, qui enjoignent aux locuteurs de
ne pas produire certains types d’énoncés. À vrai dire, les prescriptions
portent essentiellement sur des « fautes » régulières, non sur de purs et
simples ratés de la communication (télescopages de phrases,
bredouillages, etc.). Aucune grammaire normative ne se donne la peine
de préciser que :

Je… tu… par hasard… Marie est là ?

est « incorrecte ». On réserve en général le jugement d’incorrection à


des énoncés régulièrement produits, comme ceux-ci :

(1) Le type que je te dis est gendarme


(2) Il a revenu souvent
(3) C’est-i pas beau !
(4) Il va au coiffeur
(5) Nous avions convenu, etc.
Il s’agit, d’un point de vue descriptif, d’énoncés français puisqu’ils
sont constamment attestés et sont syntaxiquement explicables : l’énoncé
(2), par exemple, aligne l’auxiliation la moins fréquente sur la plus
fréquente, l’énoncé (1) simplifie un processus de relativisation assez
complexe. Mais ils sont tous jugés incorrects, quoique à des degrés
variables (l’énoncé (5) ne serait pas jugé fautif par la grande majorité des
locuteurs).
Quand on décrit une langue, on ne peut pas exclure les énoncés
« incorrects » réguliers, qui enrichissent la réflexion : ils sont révélateurs
de tendances de la langue. Mais on doit aussi tenir compte du jugement
d’incorrection qui pèse sur eux, car ce dernier a une incidence sur la
pratique linguistique.

■ Grammatical/agrammatical
L’« agrammaticalité » est le type d’impossibilité qui intéresse le plus
les linguistes. Ainsi :

(1) * Je veux qu’il viendra.


(2) * Je bois de le lait.
(3) * On doit Paul Luc blesser, etc.

Leur liste est par définition infinie ; car s’il doit être possible de
déterminer quelles sont les structures grammaticales, c’est-à-dire de faire
la grammaire d’une langue, l’énumération des phrases agrammaticales ne
peut même pas commencer. Elles ne servent que dans des argumentations
déterminées, pour étudier un sous-ensemble bien défini de phénomènes.
Elles ont plus d’intérêt pour la réflexion linguistique quand elles sont
inattendues, et donc riches en information. Un énoncé grammatical
comme :

* Cette bol est rond

n’a aucun intérêt dès lors que l’on sait que, dans le lexique, bol est
marqué comme masculin. En revanche, on ne voit pas sur quelle base on
pourrait prévoir que :
* J’espère ne partir pas
* Je lui le donne

ne sont pas grammaticaux, et que :

J’espère ne pas partir


Je le lui donne

le sont.
Même les énoncés condamnés par la norme sont pris dans le réseau de
la grammaticalité. Les puristes condamnent par exemple : « Je vais au
coiffeur » ; mais cet énoncé est soumis à des contraintes très précises.
Ainsi ne peut-on pas dire : « *Je vais à la voisine » ou « *Je marche au
coiffeur ».

■ Interprétable/ininterprétable
Cela peut sembler curieux, mais une phrase agrammaticale peut fort
bien être parfaitement interprétable, c’est-à-dire se voir assigner une
interprétation, alors qu’une phrase grammaticale peut s’avérer
ininterprétable. Par exemple :

(1) * Moi aimer toi

bien qu’il constitue un énoncé lourdement agrammatical ne pose aucun


problème d’interprétation. En revanche,

(2) Qui crois-tu que l’homme, le frère de l’individu dont je


sais qu’il n’a pas été possible d’obtenir le témoignage auquel
tu pensais, a vu l’ami de Jules, hier au petit matin sur le
devant de la maison, assassiner ?

est sans aucun doute grammatical, mais, à moins de procéder à une


lente dissection, ininterprétable. Sa complexité excède en effet les
mécanismes usuels de compréhension. Mais là, il convient d’être
prudent : l’interprétabilité est une affaire de degré, extrêmement variable
selon les contextes d’énonciation. Ainsi à l’écrit, et plus particulièrement
dans certains types de discours, on est capable d’interpréter des structures
très complexes.

■ Pertinent/non pertinent
Un énoncé peut être correct, grammatical, interprétable mais apparaître
déplacé dans un contexte déterminé. Ici interviennent de multiples
facteurs, à la fois linguistiques et psychosociologiques, dont l’articulation
n’est pas aisée. Par exemple après la question :

Quand venez-vous ?

une réponse comme « Sur la table » sera perçue comme non pertinente
(ou inappropriée) dans une conversation ordinaire, mais non dans une
pièce de Ionesco. On rencontre ici le délicat problème des « lois du
discours » qui régissent la pertinence des énonciations. Avec ce type de
considération, on aborde le domaine du discours, c’est-à-dire de l’usage
effectif de la langue.
Quelques notions
de syntaxe*

1. POURQUOI PARLE-T-ON DE SYNTAXE ?


La syntaxe se taille la part du lion dans les questions des concours. Si
l’on parle de syntaxe, c’est parce que l’on peut isoler un composant de la
langue qui a sa spécificité. Considérons ces trois phrases :

(1) Mon frère adore la campagne


(2) Paul est un passionné de la campagne
(3) Le chat redoute la souris

Les phrases (1) et (2) ont à peu près le même sens mais nul ne
songerait à dire qu’elles ont la même structure syntaxique. En revanche,
bien que les phrases (1) et (3) aient des sens très différents on n’hésiterait
pas à dire que d’un certain point de vue, celui de la syntaxe précisément,
il s’agit de la même structure de phrase. En effet, de l’une à l’autre il y a
quelque chose d’invariant : non pas les mots mais les catégories et les
relations entre ces catégories. La syntaxe est donc relativement autonome
par rapport à la signification.
Catégories et relations peuvent ainsi rester stables dans la mesure où ce
n’est pas la simple succession des unités lexicales qui fait une phrase. Par
exemple, redoute ne peut être mis ici en tête de phrase parce que ce n’est
pas un groupe nominal et que dans une phrase de ce type il doit y avoir
un groupe nominal sujet en tête ; cela veut dire que les unités lexicales,
indépendamment de leur présence dans telle ou telle phrase, sont
étiquetées en diverses catégories (nom, verbe, préposition, etc.), qui
contraignent la place qu’elles peuvent occuper.
Le phénomène de l’ambiguïté syntaxique nous montre bien que les
relations syntaxiques existent indépendamment de la simple juxtaposition
des unités lexicales, fussent-elles réparties en diverses catégories. Une
même séquence d’unités lexicales peut en effet correspondre à différentes
interprétations s’il existe diverses manières de distribuer les relations
syntaxiques. Ainsi :

Paulette a appelé la mairie de son domicile

peut recevoir deux interprétations selon que de son domicile est


complément circonstanciel ou complément du nom mairie.
Soit à présent les énoncés suivants :

(4) Paul de Marie veut se plaindre


(5) De Marie Paul veut se plaindre
(5) Paul veut se plaindre de Marie

N’importe quel locuteur dira qu’il s’agit en un sens de la « même »


phrase, en tout cas que les constituants et leurs relations sont identiques,
que la structure syntaxique est la même. Pourtant, de l’une à l’autre les
places de ces constituants sont différentes. On peut donc avoir une
syntaxe invariante en dépit de la place qu’occupent les constituants. La
syntaxe apparaît comme un réseau de relations abstrait, au-delà de la
disposition matérielle des unités lexicales.
On pourrait objecter que dans les énoncés (4), (5) et (6) on n’est pas en
droit de décréter que ce sont les places qui changent et non les relations
syntaxiques. En fait, si on affirme que les relations ne changent pas, c’est
par contraste avec des exemples comme :

(7) Marie veut se plaindre de Paul

pour lesquels on a l’intuition que ce sont les relations qui ont changé,
et pas seulement les places, autrement dit que ce n’est plus, à ce niveau,
la « même » phrase qu’avec les énoncés (4), (5) et (6) : ici c’est Marie
qui se plaint de Paul, et non l’inverse. Force est donc de distinguer entre
places et positions. Les « positions », c’est ce qui reste constant à travers
la variation superficielle des « places », ce qui est commun aux énoncés
(4), (5) et (6). Dans ces trois phrases, les termes sont dans les mêmes
positions, mais pas aux mêmes places (Marie, par exemple, demeure
complément de se plaindre), alors que dans la phrase (7), Marie n’occupe
plus la même position. Les classiques « fonctions syntaxiques »
correspondent aux relations entre positions.
La divergence entre places et positions ne saurait cependant dépasser
certaines limites, surtout dans une langue comme le français où il
n’existe pas de déclinaisons permettant de restituer les relations. Même
si, en principe, bien des variations de places sont possibles, celles qui
éloignent trop la disposition des places de celle des positions apparaissent
peu naturelles : qu’on se souvienne des variations que le maître de
philosophie fait subir à la phrase de Monsieur Jourdain : « Belle
marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. » Celle-ci, par
exemple :

« Me font vos beaux yeux mourir, belle marquise, d’amour »

n’est guère possible en dehors d’un contexte littéraire très particulier.


Pour la comprendre, il faut rétablir les positions : d’amour comme
complément de mourir, vos beaux yeux comme sujet de font…
On est donc fondé à dire que les phrases ont une structure syntaxique,
une organisation spécifique, indépendante des unités lexicales et des
éventuelles variations de places. Le syntagmatique, l’enchaînement
superficiel des éléments, ne se confond pas avec le syntaxique.
L’ambiguïté syntaxique évoquée plus haut correspond aux situations dans
lesquelles des éléments identiques qui occupent matériellement la même
place sont en fait dans des positions distinctes. Comprendre une phrase,
c’est donc un processus beaucoup plus complexe que de simplement
combiner les sens des mots qui la composent.

2. SYNTAXE/LEXIQUE
La syntaxe, on vient de le voir, intervient de manière décisive dans la
signification d’une phrase : « Mon frère aime ta sœur » n’a pas le même
sens que : « Ta sœur aime mon frère », et les ambiguïtés syntaxiques
nous ont montré que, selon les dépendances qui s’établissent, on aboutit à
des interprétations très différentes. Mais une part considérable du sens
échappe à la syntaxe, en particulier le sens lexical, par exemple celui de
frère ou de sœur, qui est indépendant de la position qu’ils peuvent
occuper dans la phrase : qu’il soit sujet ou objet, frère garde le même
sens.
Une unité lexicale constitue un individu, un être singulier qui est défini
par des propriétés de divers ordres : il a une catégorie, une forme
phonologique, un signifié, des propriétés relationnelles.

▶ Une appartenance catégorielle


Ce sont les traditionnelles « parties du discours » que la grammaire
grecque a très tôt identifiées. On voit ainsi dans un dictionnaire que le est
un article, chaise un nom, etc. Ces catégories élémentaires se combinent
elles-mêmes pour former des catégories majeures : par exemple la
voiture grise forme un groupe nominal, lequel et composé d’un article,
d’un nom et d’un adjectif.

▶ Une forme phonologique


L’unité lexicale a un signifiant phonique, elle est constituée d’une suite
de phonèmes qui permet de l’identifier.
▶ Un signifié
Comme on vient de le voir, toute unité lexicale possède une
signification indépendante de son insertion dans telle ou telle phrase.

▶ Des propriétés relationnelles


Les trois types de propriétés que nous venons d’énumérer considèrent
l’unité lexicale comme une entité fermée sur soi. Mais il existe aussi des
propriétés relationnelles, c’est-à-dire qu’un grand nombre d’unités
lexicales peuvent se distinguer par leur aptitude à appeler telles ou telles
autres. C’est ainsi que l’on parle de verbes « transitifs » ou
« intransitifs », « transitifs directs » ou « indirects », selon qu’ils
appellent ou non tel ou tel type de compléments. On fait de même pour
les noms (cf. « le fait/l’idée que je parte… ») ou les adjectifs (rond
n’appelle pas de complément alors que satisfait peut appeler un groupe
nominal ou une complétive : « Il est satisfait de ton départ/que Luc
vienne »). Quand une unité lexicale en appelle ainsi d’autres, la syntaxe
en général s’arrange pour qu’elles soient contiguës, associées dans la
même « catégorie majeure ».
Même s’il est vrai qu’elles sont étroitement liées, on se gardera de
confondre deux sortes de propriétés « relationnelles » : celles qui
concernent le sens et celles qui concernent les catégories des unités ainsi
appelées. La notion de « complément » mélange les deux. Un verbe
comme condamner, par exemple, est suivi d’un animé humain, ce qui
n’est pas le cas d’un verbe comme savoir. Ces deux verbes ont pour sujet
des humains, tandis que rouiller, sauf emploi métaphorique, appelle un
sujet non humain. Ce sont là des contraintes sémantiques, que l’on ne
confondra pas avec les contraintes de sous-catégorisation qui indiquent
par exemple que tel verbe est suivi d’un groupe nominal, d’un groupe
adjectival, etc., ou que son second complément doit être un groupe
prépositionnel (cf. donner + GN + GP). En ce qui concerne les verbes, on
notera une dissymétrie importante entre les sujets et les compléments. Un
verbe a un sujet et un seul, sauf s’il y a coordination, alors qu’il peut être
dépourvu de complément, en avoir un ou plusieurs.
Ici surgit une difficulté ; une unité lexicale a beau appeler des
compléments, il arrive que ces compléments ne soient pas réalisés :

(1) Je bois
(2) Je cède mon livre

Dans l’énoncé (1), l’unique complément appelé par le verbe n’est pas
présent ; dans l’énoncé (2), n’est réalisé qu’un seul des compléments
puisqu’il n’y a pas de complément indirect en à (cf. « Je cède mon livre à
Jules »). En outre, le même verbe peut entrer dans plusieurs systèmes de
complémentation. Par exemple pleurer sans complément ou pleurer un
ami cher ; ou encore souhaiter quelque chose et souhaiter quelque chose
à quelqu’un. Ce sont là des problèmes délicats, qui touchent à la fois à la
question de la polysémie du verbe (s’agit-il du même verbe ou de verbes
distincts ?) et à la distinction entre compléments « essentiels » et « non
essentiels ». Quand on oppose des phrases comme : « Paul vit heureux à
la campagne » et « Paul va à la campagne », on n’a pas de mal à
percevoir que le syntagme, à la campagne est complément essentiel dans
le second exemple et non dans le premier. En revanche, cette distinction
est moins évidente pour vers l’ennemi dans : « L’armée s’avance vers
l’ennemi » ; est-ce un complément essentiel ?

3. LES CATÉGORIES MAJEURES


L’une des tendances majeures de la syntaxe, on l’a vu, c’est que les
compléments soient placés dans la proximité immédiate des unités
lexicales dont ils dépendent, qu’ils forment ainsi avec ces dernières des
groupes qui correspondent à des « catégories majeures » : groupe
nominal (GN), groupe adjectival (GA), groupe verbal (GV), groupe
prépositionnel (GP), qui sont les unités fondamentales auxquelles a
affaire la syntaxe. C’est ainsi que la position de sujet de la phrase est
occupée non par un nom mais par un groupe nominal, que l’épithète est
un groupe adjectival et non un adjectif, etc. En syntaxe, il y a donc
quelque chose d’artificiel à parler de nom ou de verbe comme d’entités
isolées, indépendamment des unités auxquelles ils sont associés.
L’existence de ces groupes est une des conditions du phénomène que
nous avions relevé à propos de l’ambiguïté syntaxique, à savoir que deux
éléments ont beau être placés matériellement l’un à côté de l’autre, ils
peuvent être séparés par une frontière syntaxique. Ainsi dans notre
exemple :

Paulette a appelé la mairie de son domicile

les deux interprétations possible correspondent à deux façons


différentes de marquer la frontière du groupe nominal objet : celui-ci peut
s’arrêter après mairie ou inclure de son domicile. Dans le premier cas, de
n’a pas de relation avec mairie, en dépit de leur contiguïté.
Il faut donc distinguer les relations syntaxiques qui s’établissent entre
éléments du même groupe et les relations qui s’établissent de groupe à
groupe. Un phénomène comme l’accord joue sur les deux registres : il
existe un accord entre les éléments du groupe (par exemple en genre
entre l’article et le nom) et un accord de groupe à groupe, en nombre,
entre le groupe nominal sujet et le groupe verbal.
De quoi est fait un groupe, une catégorie majeure ?

▶ Une tête unique


C’est la nature de la tête qui donne son étiquette au groupe : « nom »
pour le « groupe nominal », « verbe » pour le « groupe verbal »,
« adjectif » pour le « groupe adjectival », « préposition » pour le
« groupe prépositionnel ». Si la voiture grise est un groupe nominal, c’est
parce que sa tête, en l’occurrence voiture, est un nom. Cette tête est donc
obligatoire : on peut imaginer un groupe verbal sans complément mais
non un groupe verbal sans verbe. C’est également cette tête qui confère
ses propriétés de référence au groupe : si par exemple un groupe
adjectival peut référer à une qualité, c’est parce que sa tête est un adjectif.

▶ Il est constitué de trois éléments


On distingue : la tête, son ou ses compléments, placés à droite, et le
spécifieur, situé à gauche de la tête. On parle de « spécifieur » et non de
déterminant parce que l’on réserve en général la notion de
« déterminant » aux spécifieurs du nom. Or l’adjectif aussi peut être
spécifié, en particulier par les marqueurs de degré : « très/le plus
intelligent » ; certaines prépositions également : « très près du bord ».
Pour le verbe, les choses sont beaucoup moins claires. On est tenté de
considérer que les marques de temps, de personne, de mode, en clair la
flexion du verbe, correspondent au spécifieur. Néanmoins, ces marques
ne portent pas seulement sur le verbe ; elles concernent l’ensemble de la
phrase : c’est la phrase qui est au subjonctif et non le seul verbe. En
outre, cette flexion, comme l’indique son nom, est adjointe au radical du
verbe, elle n’occupe pas la même place que les spécifieurs des autres
groupes. Sur ce point comme sur d’autres, le groupe verbal a un statut
privilégié qui le distingue des autres catégories majeures.

▶ La tête a des compléments de diverses catégories


Le nom appelle :

– des phrases : complétives (« L’idée qu’il a tort m’effraie ») ou


relatives (« Le type qui est venu était blond ») ;
– des groupes prépositionnels (« Le livre de Paul », « Le livre sur la
table ») ;
– des groupes adjectivaux (« Un livre très lourd »).
L’adjectif appelle :
– des groupes prépositionnels (« Un employé apte à la gestion ») ;
– des phrases (« Paul est triste que tu partes »).
La préposition appelle :
– des groupes nominaux (« Avant ma sœur ») ;
– des phrases (« Avant que je vienne »).
Le verbe appelle :
– des groupes nominaux (« Je vois un chat ») ;
– des groupes prépositionnels (« Je parle de votre départ ») ;
– des phrases (« Je sais que vous partez ») ;
– des groupes adjectivaux (« Paul devient brutal »).

Il apparaît ainsi qu’un groupe peut être inclus dans un autre. Le GA est
inclus dans un GN ou un GV, le GN dans un GP, etc. Seul le GV n’est
jamais inclus en tant que tel dans un autre groupe ; dans « Paul est triste
que tu partes », c’est que tu partes, la phrase, qui est complément et non
le GV partes.
Une autre particularité remarquable est celle de l’auto-enchâssement :
une phrase peut contenir une autre phrase, qui peut elle-même en
contenir une autre, etc. Ainsi, une relative une autre relative (« L’homme
qui aime la femme qui aime Luc est malade »), une complétive une autre
complétive (« Je crois que Paul croit que Louis sera absent »)…

4. CATÉGORIES MAJEURES, POSITIONS,


COMPLÉMENTEUR

Une phrase est une structure qui définit un certain nombre de


positions, lesquelles sont occupées par des catégories majeures
organisées autour d’une tête. Bien entendu, n’importe quelle catégorie
majeure ne peut pas occuper n’importe quelle position. La grammaire a
toujours admis qu’une phrase comportait au moins deux positions, l’une
pour un groupe nominal sujet, l’autre pour un groupe verbal. Mais les
choses ne sont pas nécessairement si simples ; il existe en particulier des
positions qui semblent pouvoir être occupées par des éléments
appartenant à des catégories très variées. Ainsi la position de
subordonnant ; dans cette liste d’exemples ;

(1) Je sais quand il est arrivé


(2) Je sais si Paul va mieux
(3) Je me demande qui Paul a vu
(4) Je connais l’homme que tu as vu
(5) L’homme avec qui tu as voyagé est un escroc
(6) L’homme qui est venu est médecin

tous les éléments en italique se trouvent dans la même position, au


début de la phrase subordonnée, au contact de la principale. Cette
position est communément appelée complémenteur, et notée COMP. On
y rencontre des éléments de catégories et de fonctions variées :
adverbiaux (exemple (1)), pronom interrogatif objet (exemple (3)),
pronom relatif sujet (exemple (6)), objet (exemple (4)), ou groupe
prépositionnel (exemple (5)), subordonnant interrogatif (exemple (2))…
En fait, cette position de complémenteur n’est pas réservée à la
subordination ; elle est aussi présente en phrase indépendante, en
particulier quand il y a interrogation ou exclamation :

(7) Qu’il fait beau !


(8) À qui Paul a-t-il parlé ?
(9) Comment vas-tu ?

On est donc amené à penser que la structure de phrase comporte


nécessairement cette position de « complémenteur », laquelle a ceci de
singulier qu’elle n’attribue pas de fonction particulière aux éléments qui
l’occupent. Dans une phrase comme « L’homme à qui tu as parlé est
revenu », le GP placé dans le COMP (à qui) occupe en effet une position
qui ne correspond pas à sa fonction, puisque le complément d’objet
indirect se trouve normalement dans le GV.
Cette position COMP en tête de phrase constitue une sorte de position
d’accueil qui, à la différence des positions situées dans la phrase
proprement dite, n’attribue aucune fonction aux éléments qui viennent
l’occuper. En posant l’existence d’une telle position COMP, on fait
l’hypothèse que la structure de toute phrase est censée comporter cette
position, même si aucune unité lexicale perceptible n’y figure. Par
exemple, dans les énoncés « Jean dort » ou « Sonia part quand ? », la
position COMP est disponible mais pas exploitée. Elle sera exploitée
dans « Paul sait que Jean dort » et « Quand part Sonia ? ».
Dans le COMP, on va trouver essentiellement :
– les mots interrogatifs et les pronoms relatifs ;
– les marqueurs de subordination : qu’ils soient « incolores » comme
que ou sémantiquement pleins (depuis que, comme, bien que…) ;
– le marqueur de l’interrogation indirecte si.

Comme on le voit avec les locutions conjonctives (depuis que, du


moment que…), il peut y avoir dans le COMP combinaison entre une
unité lexicale pleine (depuis, du moment) et le marqueur de subordination
que. On retrouve ce phénomène dans les interrogatives familières :

Pourquoi que Paul s’en va ?


Comment que tu vas faire ?

5. LA PHRASE
Jusqu’ici nous avons traité la syntaxe dans le seul cadre de la phrase.
Ce qui peut sembler réducteur. La phrase verbale, rappelons-le, n’est en
effet qu’un des types de phrases. Mais c’est, de loin le plus important.
S’il n’existait que des phrases comme : « Zut ! », « Imbécile ! »,
« Malheur à toi ! » etc., tout l’appareil conceptuel de la syntaxe se
réduirait à très peu de choses. En fait, si l’on peut faire une analyse
syntaxique fine de ces phrases non verbales, c’est en s’appuyant sur les
concepts qui ont été élaborés pour étudier la phrase verbale.
La phrase ne se situe pas sur le même plan que les autres catégories
majeures. Il s’agit en effet de la catégorie maximale, celle dans laquelle
sont incluses les autres. Quand on remonte la hiérarchie des constituants
à partir de l’unité lexicale, on aboutit inévitablement à la catégorie
« phrase ». Certes, il existe des phrases subordonnées, par exemple : qu’il
vient inclus dans le GV de « Paul sait qu’il vient », mais ce GV lui-même
est inclus dans une phrase. À la différence des autres catégories majeures,
la phrase en tant que telle n’a pas de fonction, elle est le cadre à
l’intérieur duquel se définissent les fonctions. Si une complétive peut
avoir la fonction de sujet ou d’objet, c’est parce qu’elle occupe une
position que peut occuper un GN et non parce qu’elle est une phrase.
La phrase possède une structure spécifique mais qui ne se lit pas à ciel
ouvert. Depuis que la grammaire existe, il en a toujours été ainsi. Par
exemple, on a constamment considéré qu’un énoncé comme : « Prenez le
train ! » était une phrase au même titre que « Paul prend le train ».
Pourtant, cet énoncé à l’impératif n’a pas de sujet et son verbe ne se
conjugue qu’à la deuxième personne. De même, on considère souvent
que dans « Paul est plus malin que Luc », la séquence que Luc est une
phrase abrégée à groupe verbal sous-entendu. En revanche, les avis sont
beaucoup plus partagés sur les infinitifs et les participes présents : phrase
ou verbe ? Quoi qu’il en soit des thèses de chaque grammairien en la
matière, on postule toujours que la notion de phrase est construite, qu’elle
ne résulte pas d’un simple relevé des enchaînements de mots offerts à
l’intuition immédiate.
On distingue des phrases qui en incluent d’autres et des phrases qui
sont incluses dans d’autres, les subordonnées, mais fondamentalement
elles ont toutes la même structure, combinant un GN sujet et un GV, et
facultativement un ou des GP circonstanciel(s). À cela s’ajoute la
position de complémenteur.
C’est précisément ici que se pose un délicat problème de délimitation
de la phrase : faut-il y inclure cette position initiale de COMP ou doit-on
considérer que c’est une position extérieure à la phrase proprement dite ?
Le problème peut sembler oiseux pour un exemple comme :

(1) Je veux qu’il vienne

puisque que semble un simple lien, dépourvu de sens. En revanche


dans des exemples comme :

(2) Quand viens-tu ?


(3) Je sais à qui je parle

il n’est pas indifférent que quand ou le complément d’objet indirect à


qui fassent partie de la phrase ou non.
En fait, cela dépend du point de vue auquel on se place. La phrase sans
COMP, c’est l’espace dans lequel sont définies les fonctions, les relations
entre les positions (ainsi l’objet direct à droite de la tête du groupe
verbal), tandis que la phrase avec COMP inclut une position initiale qui,
on l’a vu, n’attribue pas de fonction et qui par sa situation périphérique, à
la fois dans et hors de la phrase, permet éventuellement de gérer les liens
de la phrase avec l’extérieur.
La difficulté de délimiter les frontières de la phrase se retrouve avec le
problème de la dislocation, qu’il s’agisse d’une dislocation gauche (« Ma
tante, je lui ai parlé hier ») ou d’une dislocation droite (« Je lui ai parlé
hier, à ma tante »). Ces deux phénomènes sont de natures différentes
puisque un constituant disloqué à gauche n’indique pas sa fonction alors
que, disloqué à droite, il le fait :

*Je lui parle, ma tante


Ma tante, je lui parle

Mais ils amènent à poser le même problème : le domaine de la phrase


doit-il ou non inclure les positions disloquées ? Comme à propos de la
position COMP, on se demande s’il ne faut pas distinguer entre deux
espaces pour la « phrase » : l’un, étroit, où sont assignées les fonctions,
l’autre, plus large, qui inclut les positions périphériques. Ainsi dans :

Ma tante, elle lui a parlé, à Paul

la partie en italiques correspond à l’espace « étroit » où elle et lui


indiquent la fonction des éléments disloqués, et le tout à l’espace
« large » de la phrase.

6. DES PHÉNOMÈNES NON POSITIONNELS


Pour le moment, nous avons considéré la phrase comme un réseau de
positions occupées par des groupes eux-mêmes analysables en unités
lexicales. Cela ne suffit pas néanmoins à la caractériser. Une phrase n’est
pas seulement un réseau de positions, elle est aussi interrogative,
affirmative, négative, exclamative… Autant de phénomènes que l’on
range traditionnellement dans le registre de la modalité et qui rentrent
difficilement dans le cadre des positions. La négation ou l’exclamation,
par exemple, ne sont pas limitées à un élément dans une certaine
position, elles concernent l’ensemble de la phrase. « Ne… pas » encadre
le verbe mais indique une opération de négation qui porte au-delà du seul
groupe verbal.
Il existe ainsi une tension dans la phrase entre un système de positions
et un ensemble de phénomènes qui, fondamentalement, ne sont pas
positionnels. Il est compréhensible que les éléments qui marquent ces
modalisations se placent dans la phrase dans les interstices ou aux
frontières des relations entre groupes, à des endroits qui n’assignent pas
de fonctions particulières et ne sont pas réservées à telle ou telle
catégorie. Par exemple l’interrogation affectionne la position COMP :
« Que veux-tu ? ».
Une des particularités des langues naturelles, c’est qu’il n’y a énoncé
que s’il y a énonciation, c’est-à-dire prise en charge par un sujet qui
laisse des traces de son activité dans son énoncé. Une énonciation
assertive, c’est-à-dire qui pose un énoncé comme vrai ou faux, n’est
possible que si le verbe porte des marques de temps et de personne, les
traces de la situation d’énonciation. Ainsi « Paul est gentil » peut
constituer une assertion, mais non « * Paul gentil », « *Paul sur la table »
ou « *Paul dormir » qui n’ont pas de verbe ou dont le verbe n’est pas
conjugué. En revanche, rien n’empêche ces suites de devenir
grammaticales dès qu’elles sont subordonnées :

Je crois Paul gentil


J’imagine Paul sur la table
Je vois Paul dormir

mais dans ce cas, c’est le verbe de la principale qui constitue le support


de l’assertion. Dans la mesure où seul l’indicatif en français permet de
marquer le temps, il est logique que seulement les énoncés à l’indicatif
puissent être assertifs : « * Paul vienne » est donc agrammatical, le
subjonctif n’étant pas apte à inscrire dans la temporalité énonciative.
Réciproquement, si la phrase n’est pas assertive l’énoncé n’a pas
besoin d’un verbe à l’indicatif :

Paul !
Qu’il vienne !
Ralentir au tournant !
Tous au rassemblement !

En résumé, la phrase est un domaine qui définit un réseau de positions,


de fonctions, mais elle est aussi l’espace de la modalisation ; elle a donc
une double dimension. La phrase est à la fois un domaine de positions et
le lieu d’investissement d’un sujet d’énonciation.

7. LES DISTORSIONS SYNTAXIQUES


On l’a vu, le complémenteur est une position qui n’attribue pas de
fonction aux éléments qui y figurent. Mais on rencontre aussi dans la
phrase un autre type de distorsion entre position et fonction,
classiquement illustré par le passif. Si dans :

Paul a été vu par Marie

on parle de passif et qu’on le met en relation avec la construction


active « Marie a vu Paul », c’est parce que l’on considère que Paul, bien
qu’il occupe la position de sujet, doit s’interpréter comme l’objet de vu.
De même, dans cette construction dite « moyenne » :

Les camions se vendent bien

le GN en position sujet s’interprète comme un objet. On est alors


contraint de définir quelle est la relation entre la construction
« normale », celle où Les camions ou Paul seraient objets, et la
construction où ils sont sujets. On se demande en particulier ce qu’il
advient de la position objet dans les constructions passive ou moyenne :
disparaît-elle dès lors qu’elle est vide ? Si l’on pose qu’elle disparaît, cela
implique que la structure de la phrase n’est pas quelque chose de stable,
une sorte d’échiquier sur lequel se déplacent les pièces.
C’est pour résoudre des difficultés de ce genre que la grammaire
traditionnelle utilisait l’opposition entre « sujet réel » et « sujet
apparent » (ainsi pour rendre raison de la relation entre « Quelqu’un
vient » et « Il vient quelqu’un », phrase dans laquelle quelqu’un, en dépit
de sa position, s’interprète comme le sujet).

8. UN PRINCIPE D’UNICITÉ
Nous voudrions conclure par quelques considérations d’ordre général
sur le caractère très contraint de la syntaxe.
Une des choses les plus remarquables, c’est le rôle essentiel qu’y joue
l’unicité. Il n’y a par exemple qu’un seul groupe nominal sujet, un seul
groupe objet direct, un seul groupe verbal par phrase. Un énoncé à deux
sujets est agrammatical, à moins qu’on ne recoure à la coordination ou
qu’il y ait apposition :

* Paul le patron sont gentils


Paul et le patron sont gentils
Paul, le patron, est gentil

Plus largement, il ne peut pas y avoir, sauf exceptions, deux éléments


de même nature dans un domaine. Dès que deux termes de même nature
sont contigus, on les répartit dans deux groupes ou deux registres
distincts. L’important n’est donc pas la contiguïté matérielle des unités
mais leur contiguïté au regard des relations syntaxiques. Dans un
exemple comme :

(1) Je nomme mon frère général


la tradition grammaticale se refuse ainsi à considérer que mon frère et
général ont la même fonction ou se trouvent dans le même GN, et préfère
voir dans le second GN un « attribut de l’objet ». Cela revient à dire que
le verbe n’a pas deux objets mais que la relation entre le premier GN et le
second est la même que celle entre un GN sujet et un attribut.
De même, quand deux verbes sont juxtaposés, comme c’est le cas
dans :

(2) Je veux partir


(3) J’ai marché

ils sont dissemblables : dans l’exemple (2), partir est complément


d’objet direct et ne porte pas de marques de personne ou de temps ; dans
l’exemple (3), seul le premier verbe est conjugué et l’on considère qu’il
s’agit d’un auxiliaire, c’est-à-dire que les deux verbes ne sont pas sur le
même plan.
Cette contrainte d’unicité n’exclut pas qu’il y ait des éléments
identiques dans une phrase, bien au contraire (par exemple une identité
de référent entre le pronom et son antécédent), mais cette possibilité est
très réglementée. Dans :

(4) Paul sait qu’il vient (où Paul = il)

les deux éléments qui ont le même référent n’appartiennent pas au


même domaine : il se trouve dans la subordonnée (sinon, il faudrait en
passer par un pronom réfléchi : « Paul se regarde »).

9. LES MANIPULATIONS SYNTAXIQUES


Nous avons à plusieurs reprises parlé des « manipulations » que l’on
doit opérer pour étudier les phénomènes linguistiques. Bien entendu, on
ne manipule pas à l’aveuglette, mais en fonction d’un certain savoir
grammatical. Pour les candidats des concours, le recours aux
manipulations s’impose :

– pour étudier les données qui sont proposées ; si l’on a un doute sur
la nature d’une catégorie, si l’on veut prendre la mesure d’un
phénomène que l’on cerne mal, le plus sûr est d’étudier son
comportement en lui faisant subir diverses manipulations, ou tests ;
– au cours de l’exposé, pour justifier le classement que l’on donne.

Les manipulations se laissent ranger sous quelques grandes rubriques :


la substitution, le déplacement, l’effacement, l’insertion.

▶ La substitution
Elle consiste à remplacer une unité par une autre. Par exemple, ces
deux phrases :

(1) Paul veut dormir


(2) Paul peut dormir

comportent toutes deux un verbe suivi d’un infinitif qui semble leur
complément. Ces deux infinitifs sont pronominalisables par le pronom
invariable le : « Dormir, Paul le peut/veut ». Mais si à l’infinitif je
substitue une complétive objet, j’obtiens pour (2) une phrase
agrammaticale : « * Paul peut que Jean dorme », à côté de « Paul veut
que Jean dorme ». La substitution d’un GN révèle une autre divergence :
veut accepte un GN objet (« Paul veut un livre »), mais pas peut (« * Paul
peut un travail/* un livre… »).

▶ Le déplacement
Il transporte un élément d’une place à une autre de la phrase. On sait
que c’est là un des critères traditionnels de distinction entre compléments
du verbe et compléments circonstanciels (« À midi je dors/Je dors à
midi » opposé à « * À Lyon je me rends/Je me rends à Lyon »). Mais la
même opération révèle des difficultés pour certains types de
compléments habituellement considérés comme circonstanciels : par la
route est très difficilement déplaçable en tête dans : « Martine a voyagé
par la route ».

▶ L’effacement
Il consiste à éliminer une ou plusieurs unités, ce qui revient à
substituer une séquence vide à une séquence « pleine ». Ainsi dans ces
deux phrases, de constructions apparemment identiques :

(1) Paul veut des cigares


(2) Paul fume des cigares

Si j’efface les GN objets directs, (1) devient agrammatical (« * Paul


veut ») tandis que (2) reste grammatical (« Paul fume »).

▶ L’insertion
Elle introduit un élément nouveau dans une phrase. On ne peut pas dire
par exemple : « * Il a battu chiens ». Mais il suffit d’insérer un autre nom
sans article précédé de et pour que la phrase devienne grammaticale : « Il
a battu chiens et chats ». On doit alors se demander pourquoi cette
coordination permet de se dispenser d’article.

* Pour une bonne part, ce chapitre s’inspire, très librement, des travaux de J.-C. Milner.
Nous avons simplifié outrageusement sa démarche et sommes seuls responsables des
déformations, volontaires ou non, que nous lui avons fait subir.
Quelques conseils
à l’usage des
candidats

1. Bien gérer son temps de préparation et d’exposé


Ce conseil n’est pas superflu quand l’épreuve de grammaire est
couplée avec une autre. Les candidats peuvent être tentés de sacrifier une
partie du temps normalement dévolu à cette épreuve. Quant à leur
exposé, il ne doit pas être squelettique (une classification sans
justification linguistique, sans mise en évidence de propriétés).

2. Étudier attentivement le libellé du sujet


Certaines questions sont univoques mais c’est loin d’être toujours le
cas : les « verbes impersonnels » ne sont pas les « constructions
impersonnelles », « les complétives » ne sont pas toutes objets directs. Il
faut prendre garde à la variété et à l’impropriété des terminologies : les
« adjectifs indéfinis » ne sont pas des « adjectifs », les « pronoms
personnels » je ou tu ne sont les substituts d’aucun nom, etc.
3. Ne pas confondre analyse stylistique et analyse
linguistique
Ce n’est pas parce que la stylistique s’appuie sur les propriétés de la
langue qu’il faut mélanger les deux points de vue. On ne s’interdira
cependant pas toute considération d’ordre stylistique quand elle est
indispensable. Ainsi l’analyse du déterminant et de l’adjectif dans Une
eau bleutée ou Les sables d’émeraude exige la prise en compte de l’effet
stylistique associé à ce type d’emploi.

4. Ne pas réciter une question de cours


L’objectif de l’épreuve est double : évaluer le bagage grammatical du
candidat et son aptitude à analyser des énoncés attestés. Toute
classification qui serait détachée des occurrences à étudier est donc
proscrite. Il doit y avoir un va-et-vient entre le savoir a priori et les
données étudiées.

5. Ne pas suivre le fil du texte


Dès lors qu’est attendu du candidat un classement raisonné, on
n’accepte pas la « cueillette » au fil du texte, qui ne peut être que confuse
et redondante.

6. Ne pas taire ce qui est, ne pas traiter ce qui n’est pas


Par là nous mettons en évidence deux défauts symétriques. Le premier
consiste à éviter purement et simplement les difficultés. Les « oublis »
sont particulièrement mal vus par l’examinateur, qui en général a
précisément posé la question parce qu’il avait repéré une difficulté. Le
second consiste à disserter sur des phénomènes qui ne sont pas
représentés dans le texte. Il est souvent indispensable de citer des types
d’emplois qu’on ne trouve pas dans le corpus mais cela doit rester une
mention rapide.

7. Préférer les propriétés linguistiques aux étiquettes


Les candidats sont parfois découragés par la diversité de la
nomenclature grammaticale ; la seule issue est d’indiquer quelles
propriétés linguistiques fondent ces notions. On peut être en désaccord
avec une étiquette, mais pas avec ce qu’elle recouvre si elle permet de
délimiter quelque chose de consistant empiriquement. La classification
des données du texte aura donc tout intérêt à reposer sur des propriétés
plutôt que sur des étiquettes peu sûres, qui souvent occultent les
problèmes : décréter par exemple que certains et mêmes sont dans la
même catégorie pour la seule et unique raison qu’il s’agit d’« indéfinis »
relève davantage de l’argument d’autorité que d’une analyse linguistique.
Affronter les énoncés est la seule façon de traiter comme il convient les
difficultés, qui ont précisément pour effet d’invalider les étiquetages trop
expéditifs.

8. Ne pas confondre fonction et catégorie


Cette recommandation peut sembler ridicule tant elle est répétée à tous
les étages de l’enseignement, mais il n’y a pas seulement des confusions
grossières comme celle entre fonction sujet et GN, fonction épithète et
adjectif…

9. Ne pas voir partout des « expressions figées »


Que l’on parle d’« expression figée », de « locution », de
« lexicalisation », on a souvent tendance à se débarrasser des problèmes
en considérant que les séquences forment des blocs indécomposables.
Dire que « faire du ski » ou de ce que dans « Je m’étonne de ce que vous
fassiez du ski » sont « figés » évite d’avoir à affronter l’analyse de ces
faits de langue.
Deuxième partie
Savoir
Signes de l’A.P.I. utilisés

▶ Voyelles
API Exemples API Exemples

i lit y lu

e dé ø deux

ε dais œ peur

a ta ə de

α pâte dent

c sort don

o sot brin

u loup brun

▶ Consonnes (et semi-consonnes)


API Exemples API Exemples

p pont s saisir

b bon z zèbre

m mon champ

ʒ Jean

t temps f fer

d dent v verre

n neige r rond

l long

k clair j ciel

g gant h lui

agneau w Louis
1. Adjectif

On a tendance aujourd’hui à ne plus utiliser l’étiquette « adjectif »


pour les traditionnels « adjectifs indéfinis », « possessifs »,
« démonstratifs », qui sont traités comme des déterminants. Les
adjectifs proprement dits constituent la tête d’une des catégories
syntaxiques majeures, le groupe adjectival, lui-même dépendant du
groupe nominal. L’accord en genre et en nombre manifeste cette
dépendance. Le GA n’a pas en effet de référent par lui-même, il est
associé à un nom, auquel il attribue une propriété. La catégorie
adjectivale n’est pas homogène : à côté des adjectifs qualificatifs, il
faut accorder leur place aux adjectifs relationnels et aux adjectifs
antéposés.

1. MORPHOLOGIE DE L’ADJECTIF
L’accord de l’adjectif en genre et nombre, avec le nom dont il dépend,
peut provoquer une modification phonétique (beau/belle, trivial/triviaux)
ou non (rouge/rouge(s)). On se reportera aux grammaires de référence en
ce qui concerne les marques de l’écrit. À l’oral, les deux-tiers des
adjectifs n’indiquent pas le genre. Ceux qui l’indiquent font appel à des

ressources variées [ GENRE (MARQUES DU-) – fiche 29]. Pour le nombre,
le fait majeur, c’est le pluriel -aux des adjectifs en -al, avec les
inévitables exceptions (banal, fatal…), de plus en plus nombreuses dans
l’usage courant.
2. LE GROUPE ADJECTIVAL
À la différence de ceux du GN, les spécifieurs du GA marquent le
degré dans la possession d’une certaine qualité, c’est-à-dire une
quantification sur une échelle continue : très beau, peu gentil, le plus

jeune… [ DEGRÉ DE L’ADJECTIF – fiche 18].

■ Adjectifs intransitifs ou transitifs


En tant que tête du GA, l’adjectif peut être intransitif (petit, rond…) ou
transitif. Dans ce dernier cas, il peut appeler des compléments
obligatoires (« *Paul est enclin » vs « Paul est enclin au désespoir ») ou
facultatifs (« Paul est heureux/heureux que Jules vienne »). Ces
compléments peuvent être des groupes prépositionnels (heureux de son
sort, confiant en l’avenir) ou des phrases. Ces phrases peuvent être des
complétives [ ▶ COMPLÉTIVE – fiche 15] ou des infinitifs [ ▶ INFINITIF –
fiche 35] :

Il est content que tu viennes


Il est content de venir

La phrase complément en de ce que :

Il est content de ce que Pierre parte

n’a pas une structure de complétive, mais de GP, dont l’analyse pose

des problèmes [ CE. 3 – fiche 11].

■ Constructions faussement adjectivales


On prendra garde que diverses constructions qui ressemblent à des
compléments de l’adjectif n’en sont pas. C’est en particulier le cas :
– de certaines constructions impersonnelles, où la complétive et
l’infinitif ne sont pas régis par l’adjectif mais constituent le « sujet réel »

de la phrase [ IMPERSONNELLES (CONSTRUCTIONS-). 2 – fiche 32] :
Il est souhaitable que tu partes/de partir

– d’infinitifs placés après certains adjectifs qui impliquent une


évaluation de l’énonciateur :

Paul est idiot de partir

Ici, de partir n’est pas régi par idiot mais la phrase signifie plutôt « de
la part de Paul, qu’il parte est idiot ».

■ Compléments circonstanciels facultatifs


Outre les compléments liés à la transitivité de chaque adjectif, il existe
des compléments circonstanciels facultatifs :

Les gens (tristes en vacances) sont invivables

3. DIVERS TYPES D’ADJECTIFS


Les adjectifs proprement dits n’ont pas tous le même statut
sémantique ; cette diversité a une incidence syntaxique, en particulier sur

leur place [ PLACE DE L’ADJECTIF ÉPITHÈTE – fiche 47].
On oppose les adjectifs objectifs ou classifiants (qui attribuent une
propriété permettant de ranger le référent dans une classe stable, établie
indépendamment de l’énonciateur de la phrase) et les subjectifs ou non
classifiants (qui impliquent une réaction émotive ou un jugement de
valeur de l’énonciateur) : célibataire, carré, rouge sont classifiants, alors
que sympathique ou splendide sont non classifiants. Parmi ces derniers,
on peut distinguer diverses sous-classes :

– les affectifs qui indiquent à la fois une propriété de l’objet et une


réaction émotionnelle de l’énonciateur : émouvant, désastreux… ;
– les évaluatifs, qui font appel à une norme, ou plutôt à l’idée que
l’énonciateur se fait de la norme qui convient à une catégorie
d’objets donnés (une grosse mouche est plus petite qu’un minuscule
éléphant…). Sont « évaluatifs » par exemple : gros, beau, vaste…

Adjectifs classifiants et non classifiants ont des comportements


syntaxiques divergents :

Un effrayant parcours/Un parcours effrayant


*Un régulier parcours/Un parcours régulier

On notera aussi le contraste entre :

(1) Julie n’est-elle pas charmante ?

et :

(2) Julie n’est-elle pas bossue ?

où l’interro-négative (1) avec un terme non classifiant apparaît plutôt


comme une affirmation déguisée.
Parmi les adjectifs non classifiants, on accordera une place à part aux
adjectifs impressionnistes, typiques du discours littéraire, qui indiquent
moins une couleur que l’impression ressentie par le sujet percevant :
vermeil, neigeux, purpurin… Il suffit de comparer le classifïant bleu à
l’impressionniste azuré pour percevoir la différence.

4. FONCTIONS DE L’ADJECTIF
Le GA peut occuper trois positions dans la phrase : épithéte, inclus

dans le GN, attribut d’un GN sujet ou objet [ ATTRIBUT – fiche 9], mis
en apposition au GN. Mais l’apposition ne peut être mise sur le même

plan que les deux autres fonctions [ APPOSITION – fiche 5].
Un adjectif épithète ne peut dépendre d’un pronom (« *il/lui rouge »)
alors que c’est possible avec un GA attribut (« Il est rouge »). La place de
l’épithète devant ou derrière le nom obéit à des règles assez complexes

[ PLACE DE L’ADJECTIF ÉPITHÈTE – fiche 47].

5. RESTRICTIF/NON RESTRICTIF
Pour l’adjectif épithète ou apposé, il faut faire une distinction entre
interprétation restrictive (ou déterminative) et interprétation non
restrictive (ou appositive), distinction qui vaut également pour les
propositions relatives. Il y a interprétation « restrictive » quand le GA
permet de restreindre le référent dénoté par le nom et son spécifieur ;
dans « J’ai cueilli les pommes rouges » ce ne sont pas toutes les pommes
qui ont été cueillies, mais seulement celles qui sont rouges. En revanche,
dans « les pommes, rouges depuis longtemps, ont été cueillies »,
l’interprétation est non restrictive puisque le GA ne limite pas le référent
du GN.
L’adjectif en apposition n’est jamais restrictif puisqu’il n’est pas inclus
dans le GN. En revanche, surtout au singulier et précédé d’un
déterminant défini, le même GA épithète peut selon les contextes être
interprété comme restrictif ou non restrictif :

Il m’a donné son manteau rouge

peut signifier : « Le manteau rouge, et non le noir ou le vert »


(restrictif), ou seulement « Son manteau, lequel était rouge » (non
restrictif). En règle générale l’interprétation restrictive est associée à des
adjectifs postposés au nom.

6. LES ADJECTIFS NON QUALIFICATIFS


Tous les adjectifs ne sont pas qualificatifs, c’est-à-dire susceptibles de
varier en degré, d’être épithètes, apposés ou attributs. À côté des adjectifs
qualificatifs on trouve aussi des adjectifs relationnels et des adjectifs
antéposés.

■ Les adjectifs relationnels


Ils s’interprètent comme des GP : l’élection présidentielle = l’élection
du président ; ils sont toujours postposés au nom : *le cantonal budget.
Ils ne peuvent être en apposition ni attributs (sauf emploi contrastif) :

*La carte, routière, nous a aidés / *La carte est routière

Enfin, ils ne sont pas spécifiables en degré : *un parc très zoologique.
Toutefois, il est toujours possible de faire fonctionner un adjectif
relationnel comme un qualificatif : « Luc a une démarche très
présidentielle » (emploi qualificatif) signifie « une démarche
caractéristique d’un président ».

■ Les adjectifs antéposés


Ils sont en général courts et toujours placés devant le nom. Postposés,
ils changent de sens :

Une sacrée enceinte/une enceinte sacrée Un grand


malade/un malade grand Un ancien temple/un temple ancien

Ces adjectifs antéposés sont inséparables du nom, avec lequel ils


forment un tout, alors que les qualificatifs lui ajoutent une propriété : un
malade grand est malade et grand, un grand malade concerne la
catégorie même « malade » : le « grand malade » est quelqu’un à qui la
catégorie « malade » s’applique de manière maximalement adéquate. De
même, un vrai soldat est un individu parfaitement conforme à la
catégorie « soldat », tandis qu’un petit coureur est un individu qui ne
correspond que faiblement à la catégorie « coureur ». Dans le cas d’un
ancien loubard, la catégorie « loubard » ne s’applique que pendant une
période limitée.
2. Adverbe

L’adverbe constitue traditionnellement une des catégories les plus


floues de la grammaire. La définition morphologique par
l’invariabilité est juste mais insuffisante (les prépositions aussi sont
invariables). On y ajoute l’intransitivité (l’adverbe n’est pas la tête
d’un groupe qui appelle des compléments) et la dépendance (il
détermine une autre catégorie). Aussi classe-t-on en général les
adverbes en fonction du type d’éléments sur lequel ils portent. Depuis
que les travaux sur l’adverbe se sont multipliés, les tentatives de
classification s’appuient sur l’étude des propriétés syntaxiques et font
intervenir des considérations d’ordre énonciatif.

1. MORPHOLOGIE DES ADVERBES


Les adverbes ont des modes de formation divers :

– un nombre réduit est issu du latin : bien, peu, hier… ;


– d’autres ont été formés en bas latin ou en ancien français : avant (ab
ante), assez (ad satis), dedans (de dans), dorénavant (d’or en
avant)… ;
– d’autres adverbes sont empruntés à des langues étrangères : italien
(piano, franco…), latin (ad hoc, sic.) ;
– la majorité d’entre eux sont des adverbes en -ment issus d’une
suffixation sur le féminin de l’adjectif (heureusement, tristement…),
quelquefois sur d’autres catégories (quasiment est dérivé de
l’adverbe quasi, nullement du déterminant nulle…). Tous les
adjectifs n’ont cependant pas un adverbe en -ment qui leur
corresponde (*noirement, *récalcitramment…) ;
– la dérivation impropre à partir de l’adjectif est particulièrement
sollicitée, traditionnellement (pleuvoir dur, tenir ferme…) et dans la
langue contemporaine : manger gai, acheter utile…

On notera l’abondance des locutions adverbiales, construites par


composition (nulle part, à jamais…). Mais il est impossible de tracer une
frontière entre les locutions adverbiales et les groupes circonstanciels :
sur le tard, par hasard, de bonne heure… On est obligé de recourir à des
tests pour trancher : en principe, les constituants d’une locution sont
figés : sur le tard est une locution parce qu’on ne peut avoir * sous le
tard, *sur le tôt, *sur un tard…
Quelques adverbes ont la particularité d’être variables. C’est le cas de
tout intensif [▶ TOUT. 1 – fiche 60] ; de seul signifiant l’exclusivité
(« Seules les feuilles sont vertes ») ; de certains spécifieurs de participes
(« Les mains grandes ouvertes »).

2. CLASSER LES ADVERBES


Les classements purement sémantiques sont insuffisants s’ils ne
prennent pas en compte le type d’élément sur lequel porte l’adverbe.
D’autant plus que le même adverbe est susceptible d’emplois à divers
niveaux. Par exemple, heureusement n’a pas le même rôle dans « Tout
s’est terminé heureusement » et « Heureusement, il est arrivé ».
En outre, certains adverbes sont avant tout des marqueurs d’opérations
linguistiques. S’il est pertinent de se demander quel est le signifié de
lourdement ou sauvagement, on ne dira pas la même chose pour des
unités comme bien ou ne… pas dans des énoncés comme :

(1) Il peut bien crier, je ne bouge pas


(2) Il ne dort pas

Les étudier, c’est en fait étudier les opérations de concession ou de


négation.
On peut répartir les adverbes en divers groupes, selon le niveau auquel
ils interviennent, étant entendu qu’un même adverbe peut figurer à divers
niveaux.

3. LES ADVERBES INTÉGRÉS À LA PHRASE


■ Adverbes qui portent sur une catégorie élémentaire
Il s’agit des adverbes qui portent sur un élément unique auquel ils sont
immédiatement contigus :

– un adjectif : « très souple », « vraiment compliqué… » ;


– un autre adverbe : « particulièrement intelligemment », « peu
honnêtement »… ;
– une préposition : « juste devant la maison », « tout contre moi »…

Dans ces trois types d’emploi, beaucoup d’adverbes ont une valeur
d’intensif.

– un verbe : c’est leur emploi le plus notoire. Ils indiquent en général


la quantité ou la qualité (« Il dort beaucoup/énormément »…, « Il
court mal/bien »…).

C’est ici que l’on trouve l’immense classe des adverbes de manière en
-ment. Rappelons que la présence du suffixe -ment ne suffit pas à assurer
qu’il s’agit d’un adverbe de manière : dans « Vraisemblablement, il est
là » ou « Il est complètement idiot », il s’agit d’autres types d’adverbes.
Si le verbe est nominalisé, l’adverbe devient adjectif : un départ
volontaire, une course prudente.
La plupart des adverbes de manière sont « orientés vers le sujet »,
c’est-à-dire qu’ils permettent de qualifier la façon dont procède l’agent :
dire « Paul travaille calmement », c’est dire que Paul est calme quand il
travaille. D’autres adverbes portent sur le GV seul, n’impliquent pas le
sujet :

Il a classé géographiquement les dossiers


Il l’a atteint psychologiquement

À côté des adverbes de manière on signalera les adverbes restrictifs,


qui portent sur le GV : « Elle aime uniquement/surtout/spécialement…
les caniches ». Par leur portée ils s’apparentent aux adverbes de négation,
dont certains associent un ne devant le verbe et des éléments tels jamais,

nulle part, pas… [ NÉGATION – fiche 39].

■ Adverbes circonstanciels
Ces adverbes jouent le même rôle que des groupes prépositionnels
circonstanciels ; d’ailleurs, un certain nombre de locutions adverbiales
sont en fait des GP figés : sur-le-champ, sur le tard… Il s’agit pour
l’essentiel d’adverbes à valeur locative ou temporelle, ou, plus largement,
qui indiquent dans quel cadre s’inscrit le procès exprimé par la phrase :

Il dort ici
Il nous visite souvent
Habituellement il arrive seul
Actuellement il se repose
Il est finalement arrivé

4. LES ADVERBES NON INTÉGRÉS À LA PHRASE


■ Adverbes de point de vue
Cet ensemble pose problème dans la mesure où il participe à la fois du
circonstanciel et de l’adverbe de phrase (voir infra). En effet, on peut
avoir :

C’est formellement qu’il y a un problème (adverbe de point


de vue)
C’est demain qu’il part (adverbe circonstanciel)

mais non :

* C’est nécessairement qu’il vient (adverbe de phrase)

Le nom de ces adverbes vient de ce qu’ils peuvent être paraphrasés par


« d’un point de vue ». Ils indiquent le cadre non spatio-temporel de la
phrase et supposent un commentaire de l’énonciateur sur son énoncé.
Ceci les rapproche des « adverbes de phrase ».

■ Adverbes de phrase
Ces adverbes se situent nettement dans une position extérieure au
noyau de la phrase ; ils permettent à l’énonciateur de porter un jugement
sur l’ensemble de ce qu’il dit. D’un point de vue syntaxique ils ont un
comportement différent des adverbes qui sont intégrés dans la phrase. Ils
se placent dans des positions détachées, ne supportent pas une
focalisation par c’est… que, peuvent figurer en tête d’énoncés négatifs :

Normalement, il doit venir


Il doit venir, normalement
* C’est normalement qu’il vient
Normalement, il ne vient pas
* Lentement, il ne vient pas

Certains linguistes divisent ces adverbes de phrase en deux ensembles,


les conjonctifs et les disjonctifs. Les « conjonctifs » ne permettent pas
de commencer un discours, ils établissent un lien avec ce qui précède
(cependant, malgré tout, ensuite…). Les autres sont les « disjonctifs » qui
se détachent de la phrase sur laquelle ils portent et peuvent initier le
discours (certainement, malheureusement…)
Les adverbes modaux logiques donnent à l’énonciateur la possibilité
de situer son énoncé par rapport aux modalités logiques
(vraisemblablement, sans doute, évidemment…). Les modaux
appréciatifs ou évaluatifs (heureusement, malheureusement,
curieusement, par chance, sottement…) introduisent des jugements de
valeur de l’énonciateur sur son énoncé. On prendra soin de ne pas
confondre les emplois comme adverbes appréciatifs et comme adverbes
de manière, même s’il peut y avoir ambiguïté :

(1) Paul a agi stupidement (adverbe de manière)


(2) Stupidement, il a voulu faire le malin (adverbe modal)

Dans l’exemple (1), c’est Paul qui agit avec stupidité ; dans l’exemple
(2), l’énonciateur considère que le fait pour Paul de faire le malin était
stupide.
On donne également une grande importance aux adverbes
d’énonciation, qui portent sur l’acte d’énonciation même qui rend la
phrase possible, alors que les adverbes modaux portent sur l’énoncé ;
cette différence se perçoit dans le contraste :

Franchement, vient-il ?
* Heureusement/vraisemblablement, vient-il ?

Une interrogation est incompatible avec un adverbe qui asserterait


quelque chose de l’énoncé.
Certains adverbes d’énonciation sont orientés vers l’énonciateur : ainsi
dans « Justement, je l’ai vu hier », l’adverbe marque la pertinence, l’à-
propos de l’énonciation de la phrase qui suit. D’autres sont orientables
vers l’énonciateur ou l’allocutaire : « Sérieusement, que voulez-vous ? »
(= « Répondez-moi sérieusement » ou « Je vous parle sérieusement »).

5. PLACE DE L’ADVERBE
Le type de dépendance qu’entretient l’adverbe avec l’élément sur
lequel il porte a une incidence directe sur les places qu’il est susceptible
d’occuper dans la phrase :

– les adverbes qui portent sur un adjectif, un adverbe ou une


préposition sont placés devant eux, comme on peut l’attendre d’un
spécifieur : « très chaud/vraiment doucement/tout près de lui »… ;
– ceux qui portent sur un verbe se placent en général après lui dans le
GV : immédiatement (« Il pose lentement le livre ») ou après un GN
complément (« Il pose le livre doucement »). Ils peuvent
s’intercaler entre l’auxiliaire et le second verbe (« Il a doucement
posé le livre »). Une volonté de mise en relief peut néanmoins
provoquer l’éloignement de l’adverbe de manière (« Soigneusement
Paul referme la porte »), en particulier dans les textes littéraires.
Les restrictifs et les négatifs sont plus contraints, se plaçant en
général juste derrière le verbe conjugué ;
– les adverbes circonstanciels ont la même mobilité que les GP
circonstanciels ;
– les adverbes de point de vue et les adverbes de phrase ont une
prédilection pour les positions détachées, en début de phrase et,
dans une moindre mesure, en fin.

Diachronie
Il existe au XVIIe siècle quelques « faux amis », dont le sens a changé. En
particulier des adverbes de temps ; d’abord (= « tout de suite »), déjà (=
« encore »), incessamment (= « sans cesse »), or (= « maintenant »), premièrement
(= « auparavant »), tantôt (= « bientôt »), tôt (= « vite »), tout à l’heure (= « tout
de suite »). Autres faux amis, les deux adverbes de phrase : sans doute (= « sans
aucun doute »), en effet (= « effectivement »). Les adverbes de quantité : tant
(= « si ») et autant (= « aussi ») pouvaient porter sur un adjectif : « Voilà une
malade qui n’est pas tant dégoûtante » (Molière). Quant à très, il pouvait porter
sur un verbe, avec le sens de « beaucoup » ; inversement, beaucoup associé à un
adjectif signifiait « très ». Trop combiné avec un adjectif avait le même sens :
« Vous vivrez trop contente avec un tel mari » (Molière). Un certain nombre
d’adverbes de manière ont disparu. Par exemple confidemment (= « avec
confiance »), vitement, courtement… D’autres ont changé de sens : constamment
(= « avec constance »), vulgairement (= « ordinairement, communément »)…
3. Anaphore nominale

Dans un texte, écrit ou oral, figurent des constituants dont le référent


ne peut être identifié que si l’on prend en compte des segments
antérieurs ou, plus rarement, postérieurs. C’est le phénomène général
de l’anaphore. La relation anaphorique associe un terme
anaphorisant et un terme anaphorisé (un « antécédent »).
L’anaphore peut concerner des unités de longueurs et de catégories
très variées : un adverbe comme ainsi peut reprendre tout un
paragraphe, en revanche celui-ci ou il ne peuvent reprendre qu’un GN.
Le domaine le plus important et le mieux structuré linguistiquement,
c’est l’anaphore nominale, phénomène qui va bien au-delà de la
classique « pronominalisation » et intègre l’anaphore lexicale.

1. UNE RELATION ASYMÉTRIQUE


L’anaphore est une relation foncièrement asymétrique, dans laquelle
un élément a besoin d’un autre pour être interprété, la réciproque n’étant
pas vraie.
On prendra garde que l’anaphore lexicale est une relation plus
contraignante que la simple coréférence. Toute coréférence n’est pas
anaphorique. Ainsi, il n’y a pas anaphore entre « Victor Hugo » et « le
créateur de Quasimodo » mais seulement coréférence : aucune de ces
deux désignations ne dépend de l’autre, elles réfèrent de manière
indépendante au même individu. En revanche, il y a anaphore entre
« Victor Hugo » et « ce grand poète » car « ce grand poète » (à cause du
déterminant ce) a besoin de Victor Hugo pour être interprété, mais
l’inverse n’est pas vrai.
La terminologie n’est pas stabilisée. « Anaphore » est employé avec
deux sens différents :

– au sens large pour référer à n’importe quelle reprise entre deux


unités, l’anaphorisé pouvant se trouver avant ou après
l’anaphorisant ;
– au sens strict pour référer aux reprises où l’anaphorisé précède
l’anaphorisant. Dans ce cas, l’anaphore s’oppose à la cataphore, ou
l’« antécédent » se trouve après l’élément cataphorique :

Paul, je sais que je le regrette (anaphore)


Il a vu sa mère, Paul (cataphore)

Pour lever cette équivoque, plutôt que d’« anaphore au sens large », on
parle parfois d’endophore, notion qui recouvre anaphore et cataphore.
Dans cette fiche, on entendra « anaphore » au sens strict.
Un anaphorisant peut reprendre un anaphorisé de trois points de vue
différents :

– comme ayant le même référent que lui (« Un homme entra dans la


pièce. Il était grand »). Cette « coréférence » peut n’être que
partielle (« Les soldats étaient convoqués, mais certains sont
absents ») ;
– comme ayant le même signifié : dans « Le chien de Jules… le
tien… » il ne s’agit pas du même chien ; seul le signifié est repris
par le tien ;
– comme ayant le même signifiant : « Courage est un mot émouvant ;
il sonne bien. » Ici, il reprend le mot courage, non son référent ou
son signifié.

On distingue également anaphore segmentale et anaphore résomptive.


La première reprend une unité de dimension inférieure à la phrase ; la
seconde reprend une unité égale ou supérieure à la phrase. Il y a
anaphore segmentale en (1) et résomptive en (2) et (3) :

(1) Christine est partie. Elle a laissé un livre


(2) Ils ont eu des difficultés. Nous le savons depuis hier
(3) La terre a tremblé. Cette catastrophe a fait cent morts

2. L’ANAPHORE PRONOMINALE
L’anaphore pronominale s’oppose à l’anaphore lexicale, dans laquelle
le terme anaphorisant est un GN dont la tête est une unité lexicale
pourvue d’un signifié (ce livre, l’homme…).
S’il y a pronominalisation, l’anaphore nominale est grammaticalisée :
les anaphorisants appartiennent à une liste fermée, ils n’ont pas de
signifié propre et le plus souvent s’accordent en genre et nombre avec
leur antécédent. Le plus utilisé, il/elle, tire ainsi son signifié et son
référent de l’anaphorisé et en reçoit ses marques de genre et de nombre
(avec néanmoins des cas délicats : après l’estafette ou la sentinelle, par
exemple, on hésite entre il et elle, selon qu’on privilégie genre

grammatical ou sexe du référent). [ PRONOM – fiche 51]

3. L’ANAPHORE LEXICALE INFIDÈLE


L’anaphore lexicale fidèle suppose la répétition de la même unité
lexicale, mais avec changement de déterminant (« Un chat… ce/le
chat… »). Avec l’anaphore lexicale infidèle, il y a changement d’unité
lexicale. Deux cas majeurs sont à distinguer :

– la relation entre les deux termes est fondée sur le signifié : ainsi pour
la reprise « Le pommier… l’arbre… » tout lecteur qui connaît le
français est capable d’établir le lien puisque dans le lexique arbre
constitue un hyperonyme de pommier ;
– la relation est établie grâce à notre connaissance du monde, notre
savoir « encyclopédique ». Seul un familier de la littérature pourrait
associer « George Sand » et « cette romancière ». En fait, un lecteur
qui l’ignore pourrait l’inférer en présumant que le texte est
cohérent.

L’anaphore nominale par association ou associative est un cas


singulier d’anaphore infidèle, qui implique une relation métonymique, au
sens large, un rapport de la partie au tout. Ainsi dans les enchaînements :
« Une maison… la cuisine » ou « Son uniforme… les épaulettes ». Dans
ce type d’exemple, l’allocutaire est censé savoir (par le lexique ou sa
connaissance du monde) qu’une maison contient une cuisine et un
uniforme des épaulettes.

4. LA REPRISE IMMÉDIATE
Un des points les plus controversés dans l’étude de l’anaphore
nominale est la reprise immédiate, c’est-à-dire la possibilité de
reprendre un GN indéfini immédiatement antérieur :

Il aperçut un garçon. Ce (*le) garçon avait un chapeau


noir…

En général (sauf effet de style particulier) la reprise immédiate par le


est très difficile. Elle devient possible s’il y a mise en contraste :

J’ai vu un lion et un lapin. Le lion…

Mais ce n’est pas toujours si simple. Une chose est sûre : le et ce


n’établissent pas du tout le même type de lien anaphorique. Ce, en tant
qu’élément déictique, met directement en relation les deux termes,
montre l’anaphorisé présent matériellement dans le cotexte (= le contexte
linguistique) [▶ DÉMONSTRATIF – fiche 19]. En revanche, le défini agit
indirectement, il désigne un référent présupposé existant et que
l’allocutaire peut présumer unique (ou non unique si c’est un pluriel) ; en
cherchant l’anaphorisé dans le cotexte, l’allocutaire trouve de quoi

justifier l’utilisation de ce défini [ DÉFINI (ARTICLE-) – fiche 17].
4. -Ant (formes en -)

Cette question classique exige que l’on sélectionne les termes dont le
rôle syntaxique est déterminé par la terminaison -ant. Cela exclut par
exemple auparavant ou un débutant, pour lesquels ce n’est plus qu’un
fait étymologique. Sont donc concernés les adjectifs verbaux,
participes présents, participales, gérondifs. En fait, seuls les trois
derniers intéressent vraiment la syntaxe ; ils s’inscrivent, comme
l’infinitif, dans la problématique des « modes non personnels du
verbe ».

1. ADJECTIFS VERBAUX
Cette catégorie n’a pas grand-chose à voir avec la catégorie
homonyme de la grammaire latine. Il s’agit seulement d’une classe
lexicale, celle des adjectifs dérivés de la forme participe présent du
verbe : « Un homme plaisant, captivant, fuyant ». L’orthographe les
distingue parfois des participes correspondants : fatigant (A)/fatiguant
(V), convergent (A)/convergeant (V)… N’étant plus des verbes, ils n’ont
pas les compléments requis par le verbe ; ainsi dans :

Un livre plaisant à tous est rare

on n’a pas affaire à un adjectif puisque la forme en -ant régit un


complément. En tant qu’adjectif, l’adjectif verbal s’accorde avec le nom,
il est susceptible d’avoir un degré, d’être épithète, attribut ou apposé. On
réservera néanmoins le cas de certains adjectifs verbaux (cf. « Je n’ai pas
les étagères correspondantes ») qui, comme les adjectifs relationnels, ont

des possibilités plus limitées [ ADJECTIF. 6 – fiche 1].

* Les étagères sont correspondantes


* Je veux des étagères plus correspondantes etc.

2. LE PARTICIPE PRÉSENT
À la différence des adjectifs verbaux, les participes présents sont
invariables et ne connaissent pas le degré. Quand ils sont épithètes, ils
sont toujours postposés au nom dont ils dépendent et paraphrasables par
une relative : « Les enfants souhaitant partir… » = « Les enfants qui
souhaitent partir… ». Quand ils sont apposés, ils sont paraphrasables par
une relative appositive (« Les enfants, souhaitant partir, se sont
tus » = « Les enfants, qui souhaitaient partir, se sont tus ».) Quand ils
sont attributs, ils sont attributs de l’objet :

* Marie était dormant à poings fermés (attribut du sujet) J’ai


vu Marie dormant à poings fermés (attribut du c.o.d.)

La seule variation morphologique que connaissent ces participes


oppose la forme simple (criant/ayant crié) ; c’est une opposition

aspectuelle entre l’inaccompli et l’accompli [ ASPECT. 1 – fiche 8].
Il existe deux manières de considérer les participes présents. On peut y
voir une sorte d’adjectivisation du verbe ; c’est le point de vue dominant
dans la grammaire traditionnelle. On peut aussi y voir une phrase dont le
sujet serait phonétiquement nul et qui occuperait une fonction de GA. On
retrouve ici une problématique comparable à celle de l’infinitif, à propos
duquel on discute pour savoir s’il est une phrase ou un verbe nominalisé

[ INFINITIF. 1 – fiche 35].
La similitude entre infinitif et participe présent est en effet
remarquable. Ils ne forment pas de phrase indépendante avec un sujet
exprimé (« *Paul dormant », « *Paul dormir ») ; ils ne varient pas en
temps ni en personne mais disposent d’une forme composée
(dormir/avoir dormi, dormant/ayant dormi) ; ils ont des compléments
d’objet, ils sont passivables (être vu, étant vu) et niables par la négation
de phrase ne… pas. La différence majeure entre eux est que l’infinitif
occupe des positions de GN et le participe des positions de GA.
Mais le participe, à la différence de l’infinitif, n’utilise pas la position
COMP (« *Que disant ? », « *Avant que partant… »).

3. LA PARTICIPIALE
On réserve traditionnellement le nom de participiale à des phrases à
participe et à sujet exprimé qui jouent un rôle de subordonnée
circonstancielle, mais sans subordonnant. Mobiles dans la phrase
principale, elles en sont détachées :

Paul voulant partir, Marie a dû s’arrêter


Marie a dû s’arrêter, Paul voulant partir

Leur valeur sémantique dépend du contexte (simultanéité, causalité,


concession, etc.). Le sujet de la participiale ne doit pas désigner le même
référent que le sujet de la principale. Si le sujet de la participiale était
coréférentiel de celui de la principale, le participe se confondrait avec un
participe présent apposé :

( ) ayant peur, Paul s’est esquivé

4. LE GÉRONDIF
Comme la participiale, le gérondif est un circonstanciel. Il est
invariable, il a un sujet nul dont l’antécédent est en principe le sujet de la
principale et peut avoir des compléments d’objet. Sa singularité tient à la
présence d’un morphème prépositionnel en qui ne peut être séparé du

verbe que par un élément clitique [ PRONOM CLITIQUE. 1 – fiche 52] :

En me le donnant, il sourit
* En demain venant, tu le verras

Parfois en est précédé de tout adverbe : Tout en se querellant, ils


arrivèrent
Comme la participiale, son interprétation varie selon le contexte
(cause, simultanéité, etc.). Dans la langue parlée, le sujet n’est pas
toujours identique à celui de la principale s’il s’agit d’un sujet non
spécifié :

En allant à Pau le paysage est magnifique

La place du gérondif influe sur son interprétation :

(1) En courant il peut traverser la rue


(2) Il traverse la rue en courant

En (1), antéposé, le gérondif sert de point d’appui à la principale qui


suit ; il s’interprétera facilement comme une hypothèse. Postposé, comme
en (2), il a nettement une valeur circonstancielle : il détermine un énoncé
dont la vérité est indépendante de lui.

Diachronie
Au XVIe siècle, comme en ancien français, les participes présents ont tendance à
varier en genre et en nombre. Aujourd’hui on distingue nettement participe et
adjectif mais au XVIIe siècle encore le partage n’était pas si net. De là bien des
difficultés pour savoir s’il fallait ou non accorder. Vaugelas et Malherbe refusent
les accords au féminin. En 1679, l’Académie tranche pour l’invariabilité, mais
beaucoup d’auteurs continuent à les faire varier en nombre (« Les morts se
ranimans à la voix d’Elisée » (Racine)), voire en genre (« La veuve d’Hector
pleurante à vos genoux » (Racine)). Mais la grammaire se heurte ici aux
exigences du style : pleurant est un verbe, pleurante tend à devenir un adjectif,
avec les différences aspectuelles que cela implique. Au masculin pluriel, on
trouvait les graphies -ans et -ants. En ancien français, l’actuel gérondif n’était pas
nécessairement précédé de en ; il en reste des expressions comme « chemin
faisant ». C’est au XVIIIe que ce en se généralise. Mais au XVIIe, le en est souvent
absent : « Tu trouveras la paix quittant la convoitise » (Corneille). Mais sans en, il
est souvent impossible de faire une distinction entre gérondif et participe apposé :
« Quand l’amoureux Titus, devenant son époux, Lui prépare un éclat qui rejaillit
sur vous » (Racine).
L’identité entre le sujet du gérondif ou du participe apposé et celui de la principale
n’était pas obligatoire au XVIIe ; de là bien des obscurités :
I. « Ils avaient toujours été l’objet de ses railleries et de son mépris, les appelant
tantôt grossiers et rustiques… » (Vaugelas).
II. « Vous m’êtes, en dormant, un peu triste apparu » (La Fontaine).
Le sujet du gérondif dans l’exemple est le pronom de la troisième personne du
singulier impliqué par ses ; dans l’exemple II, c’est me et non vous.
5. Apposition

La notion d’apposition, traditionnellement considérée comme une


fonction des catégories de type nominal ou adjectival, est loin de faire
l’unanimité. Elle fait jouer en effet deux critères qui souvent ne
convergent pas : l’un privilégie la relation attributive entre un GN
apposé et un GN antécédent contigu ; l’autre privilégie le caractère
détaché du terme apposé. On voit ainsi la même notion décrire deux
ordres de faits très différents : appositions liées et appositions
détachées.

1. LE PROBLÈME
Soit la phrase :

Paul, mon frère, est revenu

Mon frère serait considéré comme apposé à Paul par tous les
grammairiens. Le GN mon frère n’est pas « apposé » seulement parce
qu’il est placé à côté de Paul mais aussi parce qu’il y a :

– (a) une relation attributive coréférentielle, mais sans verbe, entre


deux groupes de la même phrase : « Paul est mon frère » ;
– (b) une relation entre une phrase et un fragment en retrait, détaché
par une pause et un changement d’intonation, car situé sur un
registre énonciatif distinct (marqué à l’écrit par des virgules).

Si l’on privilégie la relation (a), on étend la notion d’apposition aux


cas où deux GN sont coréférents dans le même GN : la ville de Turin, le
mois de juillet, etc. Si l’on privilégie la relation (b), on étend l’apposition
aux détachements avec relation attributive, c’est-à-dire aux constituants
qui ont un rôle de GA : les vrais GA (« L’homme, furieux, sortit »), les
relatives (« L’homme, qui était furieux, sortit »), les participes détachés
(« L’homme, cherchant à sortir, renversa le vase »).
Nous allons ainsi distinguer les appositions de GN dans un même
groupe nominal (ou appositions liées) et les appositions détachées, qu’il
s’agisse de GN ou de GA.

2. DANS UN MÊME GROUPE NOMINAL


La singularité de ce type d’apposition tient en cela que normalement,
dans la même phrase, deux GN non pronominaux ne peuvent pas avoir le
même référent, sauf si l’un est en position d’attribut : « Paul est le
facteur ». Or ce principe semble violé dans les exemples suivants :

(1) Le prince Léopold


(2) L’écrivain É. Zola
(3) Mon cousin Paul
(4) Mon frère le marin
(5) La ville de Bruges
(6) Le mois de mars
(7) L’imbécile de Jules
(8) Un idiot de pompier
(9) La notion de vérité, etc.

Alors que les exemples (1), (2), (3) et (4) juxtaposent les GN, les
autres exemples les relient par de. Les GN des exemples (7) et (8) nous
présentent des noms de qualité, liés à un jugement de valeur de
l’énonciateur, tandis que (1), (2), (3) et (4) impliquent des classifications
objectives (par la parenté, la profession…).
À chaque fois, on peut restituer des relations de coréférence plus ou
moins strictes entre les deux GN. Mais les tests qu’on peut leur faire
subir révèlent des comportements divergents. Par exemple :

* Léopold le prince
* Bruges de la ville
* Bruges la ville

ou encore :

Jules lui a donné un livre, l’imbécile


* La vérité est une chose admirable, la notion
* Zola a beaucoup écrit cette année, l’écrivain

Toutes ces données sont compliquées et fort discutées. Une chose est
sûre toutefois : il s’agit de constructions marquées, qui sont réservées à
des ensembles très limités de noms. En outre, ces deux GN ne se situent
pas sur le même registre, l’un d’eux est dominant, ce qui atténue leur
identité ; ainsi dans « le roi Albert » associe-t-on un nom propre et un
titre. Il peut d’ailleurs en être difficilement autrement dès que l’on touche
à un principe linguistique aussi essentiel que la nécessité de différencier
les éléments qui appartiennent à un même domaine.
Certains parlent d’apposition pour divers types de composition
nominale : une usine modèle, l’État providence, la ville satellite… Ici le
GN tend à jouer un rôle adjectival, il n’y a plus coréférence. Certains
linguistes parlent dans ce cas de noms épithètes.

3. L’APPOSITION DÉTACHÉE
Au sens strict, l’apposition détachée ne concerne que les GN (« Paul,
médecin, a reçu une médaille ») et les catégories qui jouent un rôle de
GN : les complétives (« Ce projet, que Marie le remplace, lui déplaît ») et
les infinitifs (« Mon rêve, partir en Malaisie, ne s’est pas réalisé »). Dans
ce cas, les GA détachés (« Paul, content, sortit ») ne sont pas dits
« apposés » mais épithètes détachés.
Au sens large, l’apposition détachée met en relation un GN
« antécédent » avec un constituant qui :

– n’est pas nécessairement un GN ;


– se trouve sur un registre énonciatif distinct, séparé par une pause.

Cette rupture syntaxique entre le GN antécédent et l’unité apposée


implique, entre autres, une plus grande mobilité :

Écrivain connu, Zola a été très critiqué


Zola, écrivain connu, a été très critiqué
Furieux, Paul m’a tout dit
Paul m’a tout dit, furieux

Placés ainsi en apposition, les éléments qui jouent un rôle de GA (GA,


relatives, participes) prennent une valeur circonstancielle. Dans cette
position, on trouve aussi des GP à valeur qualificative : « Paul, d’un
courage étonnant, refusait d’obéir. »
Quant aux GN, ils renforcent l’identification du GN antérieur :

– soit en ajoutant une caractérisation d’appartenance à une classe :


« Dupont, (un) marin suisse, est en prison ». Le déterminant,

souvent, n’est pas exprimé [ ARTICLE (ABSENCE D’-). 2 – fiche 7] ;
– soit en lui associant une description définie qui assure
l’identification : « Luc, le fils de Paul est de retour de guerre ».

Les noms de parties du corps posent un problème particulier :

Jean partit, l’œil farouche


Denise, le bras tendu, les regardait
Le poing sur la hanche, il nous narguait
Le GN est mobile et le plus souvent spécifié par l’article défini ; il se
combine nécessairement avec un GA, un participe passé ou un GP (« *
Le poing, il nous regardait »).
On ne peut pas parler ici d’apposition car il y a association entre deux
termes liés par une relation prédicative (« Le bras est tendu », « L’œil est
farouche »…). On a affaire à une construction dite absolue, où la relation
entre les deux termes ainsi que leur relation avec le reste de la phrase ne
sont pas explicitées. Autre exemple de construction absolue : « Paul parti,

la chose s’arrangera » [ PARTICIPE PASSÉ. 3 – fiche 44].
Le fait remarquable dans cette structure, c’est le lien entre les deux
GN : l’apposition constitue une partie du corps de l’antécédent et c’est
cette « identité » très lâche qui permet de compenser l’absence de
relation attributive entre les deux GN.
Un énoncé comme :

* Paul, la veste magnifique, visitait la maison

est agrammaticale parce que la veste n’est pas considérée comme une
partie inaliénable de la personne de Paul.

4. LA RUPTURE ÉNONCIATIVE
Si les appositions détachées permettent de placer dans la même phrase
deux GN qui ont le même référent, c’est que ces deux GN ne se trouvent
pas réellement sur le même plan. Ce qui n’est pas sans poser un problème
de fond : comment se fait-il qu’une phrase puisse contenir des éléments
qui ont une relative autonomie par rapport à elle ? Ainsi une phrase
apposée peut-elle demeurer assertive alors même que l’énoncé est
interrogatif :

Paul, qui voulait partir aussi, a-t-il renoncé ?


Force est de constater ici une hétérogénéité énonciative de la phrase.
Le fragment détaché est présenté sur un autre plan pour rappeler quelque
chose d’établi indépendamment. Les sémanticiens y verraient une
présupposition, soustraite à l’influence de la négation comme de
l’interrogation.
6. Article

L’article constitue depuis longtemps un point très controversé de la


grammaire du français car les relations entre les éléments de cette
catégorie sont complexes. Parmi les déterminants du nom, la tradition
réserve cette étiquette au partitif (de + le), au défini (le/la/les), à
l’indéfini (un/des) et, plus récemment à l’article zéro. Ces unités ne
peuvent se combiner (* un le) et présentent des affinités
morphologiques. Véritable noyau de la détermination nominale, elles
peuvent être associées à d’autres déterminants (tous les, ces trois, mes
quelques…).

1. « ARTICLE » ET « DÉTERMINANT »
Il est difficile d’effacer d’un trait de plume des habitudes bien ancrées,
mais il faut être conscient des limites de la terminologie traditionnelle.
Par exemple, on voit mal pourquoi le démonstratif ou le possessif n’ont
pas eux aussi été dénommés « articles » puisqu’ils commutent avec le, un
ou du : « *ce le livre », « *le ce livre », « *mon le livre », etc. À la
différence de la grammaire traditionnelle qui réserve l’étiquette
« article » à le et un, les problématiques linguistiques nomment
« déterminant » tous les termes qui peuvent s’ajouter à un nom commun
pour former un GN : un, le, mon, ce, du, certains, tout, etc. Un certain
nombre de ces déterminants peuvent se combiner (tout le, mes
quelques…), d’autres non.
2. QUELQUES PROBLÈMES
Il suffit de jeter un œil sur le tableau des articles pour saisir à la source
bon nombre de débats.

Indéfini Article Pronominalisation du GN

Singulier Pluriel Singulier Pluriel

un des (= de les) en… un en

Partitif du, de le, de la en

Défini le/la/l’ les le/la/l’ les

On constate que le partitif comme l’indéfini pluriel incluent un le,


c’est-à-dire le signifiant de l’article défini ; que le pluriel de l’indéfini
comporte un de comme le partitif ; que le un, apparemment isolé au
singulier, entre dans une pronominalisation avec en, c’est-à-dire fait
intervenir un élément de, comme l’indéfini pluriel et le partitif. Cet
enchevêtrement des formes montre que ces articles ne sont pas étanches.
À cela s’ajoutent d’autres difficultés, encore plus radicales : faut-il
analyser des en de les ? A-t-on affaire dans les déterminants du tableau
au même de et au même le ? Pourquoi de + le ou des peuvent-ils se
réduire à de

– si le GN est objet direct d’un énoncé négatif (« Je n’ai pas de pain ;


Je n’ai pas vu de femmes ») ?
– s’il y a un GA antéposé au nom : « De splendides roses » ?

On peut aussi se demander s’il existe réellement un article partitif :


peut-être s’agit-il simplement de la combinaison de la préposition de et
du défini. En d’autres termes, lorsqu’on dit « J’ai pris de la terre » ce ne
serait pas foncièrement différent de « J’ai pris un peu de la terre du
champ ». Le partitif indiquerait seulement que la quantité de terre
prélevée n’est pas précisée.
Comme c’est le cas en pareilles circonstances les données empiriques
sont embrouillées et ne permettent pas de trancher facilement.

3. ARTICLES ET TYPES DE NOMS


N’importe quel article ne peut être combiné avec n’importe quel
substantif : « *Une huile est répandue », « *On voit une blancheur »,
« *J’ai cassé de la table »… Le linguiste A. Culioli a proposé de
distinguer ainsi trois classes de substantifs :

– les discrets (ou « comptables ») sont des éléments distincts, des


unités qu’on peut additionner : un, deux, trois… arbres, lits… Ce
sont autant d’exemplaires d’une même catégorie d’objets ;
– les denses (ou « massifs ») ne peuvent être comptés, et donc mis au
pluriel. On peut les combiner avec un partitif ou un quantifieur de
mesure qui en prélève une partie : de l’eau, un litre de lait, une
tonne de beurre… ;
– les noms compacts sont insécables et donc non quantifïables. C’est
le cas en particulier des nominalisations d’adjectifs (blancheur,
douceur…). À la différence des « denses », il leur faut un support :
la blancheur ou la joie sont rapportés à quelqu’un ou quelque
chose. Il suffit de comparer : « Il y a du beurre » (dense) et « Il y a
de la joie » (compact) : dans ce dernier exemple, la joie n’est pas un
objet autonome mais renvoie à un support implicite, à savoir les
gens joyeux. Lorsqu’un nom compact est quantifié, il s’agit plutôt
d’un marqueur d’intensité que du prélèvement d’une partie : « Un
peu de beurre » est une partie d’un ensemble, alors qu’« Un peu de
bonheur » est plutôt un bonheur d’intensité faible.

Cette tripartition peut être brouillée dans le discours. Ainsi, dans


« Cette semaine, j’ai vendu de la voiture ! », on traite comme « dense »
un nom normalement « discret ». De même, dans « J’ai eu trois bonheurs
dans ma vie » on a recatégorisé un « compact » en « discret » (bonheur =
« Un événement heureux »).

4. LE PARTITIF
Il prélève une partie d’un substantif dense ou, moins souvent, d’un
compact. Alors qu’un quantifieur de mesure (un peu/beaucoup/un verre
de…) prélève une quantité déterminée, le partitif ne précise pas l’ampleur
du prélèvement.
Dans le partitif, l’article le désigne une substance de manière
générique (l’eau, la fumée…). On ne le confondra pas avec des emplois
où le a une valeur spécifique. Un énoncé comme « Tu veux de la tarte »
est donc ambigu, comme le montrent les deux énoncés négatifs, où le
partitif peut faire disparaître le :

(1) Tu ne prends pas de la tarte ? (= il s’agit d’une tarte


particulière (spécifique))
(2) Tu ne prends pas de tarte ? (= il s’agit de la « substance »
tarte (générique))

5 L’INDÉFINI
On distinguera un emploi canonique, avec les substantifs discrets, et
un emploi marqué, avec les substantifs non discrets.

■ Les emplois canoniques


Traditionnellement, on dit de l’article indéfini que, par opposition au
défini, il introduit une entité présentée à l’allocutaire comme nouvelle
dans le discours. Mais cela ne suffit pas à rendre compte de la diversité
des usages.
Fondamentalement, « un » permet d’extraire un élément quelconque
d’un ensemble préalablement donné qui contient plus d’un objet.
En l’employant, l’énonciateur présume que l’objet n’est identifié que
par son appartenance à cet ensemble. Plus exactement, cette notion
d’extraction vaut essentiellement pour les emplois en position non
prédicative. Dans :

Jules est un plongeur

un plongeur est en position prédicative, il verse un élément identifié


dans une classe. Ce n’est pas une extraction, comme dans « Un enfant est
entré » ou « J’ai un chien ».
La pronominalisation de un par en… un rend manifeste ce processus
d’extraction en faisant affleurer une préposition de :

J’ai vu un livre → J’en ai vu un

Certains linguistes, pour expliquer l’apparition de ce en, ont été


amenés à faire l’hypothèse qu’ un + N serait en fait un de N.
Les emplois non prédicatifs, pour lesquels on parle d’« extraction »,
peuvent recevoir plusieurs interprétations :
– générique : « Un ami est une douce chose. » C’est n’importe quel
élément de l’ensemble qui est concerné ;
– non spécifique : « Jean veut cueillir une fleur. » L’interprétation est
non spécifique si Jean ne vise aucune fleur particulière mais une fleur en
quelque sorte potentielle, qu’il n’est pas sûr de trouver ;
– spécifique connu/inconnu : « Jean a cueilli une fleur. » Ici l’objet
visé est particulier. Si l’énonciateur de la phrase a identifié au préalable
cette fleur, l’objet est connu, sinon il est inconnu. Dans ce dernier cas,
l’énonciateur ne sait rien d’autre de l’objet que ce qu’en dit la phrase, à
savoir que c’est une fleur.
■ Les emplois marqués
Il arrive que un soit associé à des substantifs non comptables (denses
ou compacts). Cela devrait pourtant être exclu puisque l’indéfini
implique une numération. En fait, il s’agit d’un usage « stylistique ».
Dans ce cas, le substantif a pour complément un adjectif ou un GP

impressionniste ou non classifiant [ ADJECTIF. 4 – fiche 1].

* Un sable
Un sable bleuté
* Une blancheur
Une blancheur de neige

Cela vaut également pour les noms à référent unique :

* Une lune
Une lune pâle

Dans ces exemples, on ne réfère pas au sable, à la blancheur ou à la


lune de la même manière que dans les emplois classifiants : l’énonciateur
ne découpe pas le monde mais exprime plutôt l’impression produite sur
la perception d’un sujet.
Sur l’article on se reportera aussi aux fiches [ ▶ ARTICLE (ABSENCE d’-)

– fiche 7] et [ DÉFINI (ARTICLE -) – fiche 17].
Diachronie
En ancien français on utilisait peu l’article indéfini, qui s’impose définitivement
aux XVIe et XVIIe siècles. À cette époque, il restait néanmoins absent dans certains
contextes où il figure aujourd’hui :
– devant autre, même, tel, demi (« L’amour a tel pouvoir que… », « Il arriva
demie heure après ») ;
– en position d’attribut avec c’est : « C’est crime. » Vaugelas juge ce tour
archaïque ;
– dans certaines locutions verbales : faire bouclier, faire festin, faire habitude… ;
– après certains verbes impersonnels ou en position « extraposée »
[▶ IMPERSONNELLES (CONSTRUCTIONS-) – fiche 33] : « Il faut retraite », « Il y a
grande disette », « Il arrive miracle ».
C’est au XVIIe siècle que l’on a formulé la règle qui impose de au lieu de des
devant un adjectif. On la doit à Maupas. Vaugelas la reprend, excluant des
excellents hommes au profit de des hommes excellents et d’excellents hommes.
Cette règle n’a d’ailleurs pas été respectée dans la mesure où elle ne tient pas
compte de la valeur sémantique de l’adjectif : des grosses barriques ou des belles
fleurs est constamment employé.
L’usage du partitif s’est généralisé aux XVe et XVIe siècles. Pour certaines
locutions verbales, il y a divergence avec l’usage actuel : gagner temps, témoigner
joie… Souvent, on trouve de mais sans article défini : « Il faut avoir de pain. »
Pour l’absence d’article défini [▶ DÉFINI (ARTICLE -), Diachronie -
fiche 17].
7. Article (absence d’-)

On pose régulièrement cette question, également libellée « absence de


déterminant » ; on la trouve aussi sous la forme « l’article/le
déterminant zéro », formulation qui n’est d’ailleurs pas synonyme.
Contrairement à un préjugé répandu, l’absence de toute
détermination, l’emploi du nom « nu », n’a rien de marginal en
français et mérite davantage que d’être évoquée comme une bizarrerie.
Elle concerne la manière dont réfèrent les GN mais dépend de facteurs
variés.

1. ABSENCE D’ARTICLE ET ARTICLE ZÉRO


La notion d’« absence d’article » peut être source d’équivoque, selon
que l’on entend par là la disparition de la position de spécifieur du GN ou
seulement l’absence d’unité lexicale phonétiquement perceptible dans
cette position. En règle générale, les syntacticiens optent pour la seconde
hypothèse, se refusant à penser que la structure du GN et, plus largement,
des catégories majeures, varie en fonction des termes qui s’y inscrivent.
Mais l’absence d’article dans la position de spécifieur n’est pas
nécessairement la même chose que la présence de l’article zéro. Parler
d’« article zéro », c’est faire une hypothèse très forte : il existerait un
véritable article qui aurait la particularité d’avoir un signifié mais un
signifiant phonétique nul. En revanche, si l’on parle d’« absence
d’article » on affirme implicitement que la position de spécifieur est
inoccupée. Ce sont deux hypothèses très différentes.

2. LES GN FORMANT UN ÉNONCÉ


Quand le GN peut à lui seul former une phrase, dans certaines
constructions il se construit sans déterminant. C’est le cas en particulier
avec les apostrophes et les noms associés à un objet.

■ Les noms associés à un objet

Petit lapin !

Ici le GN est identifié par la situation de communication : est


destinataire celui qui est sélectionné comme tel par l’énonciation.

■ Les noms associés à un objet


Il peut s’agir de catégories très diverses : titres de romans (Amour
d’été), de tableaux (Soleil couchant), d’enseignes (« Boulangerie »),
d’étiquettes dans un magasin (« Laitages »), de rubriques dans un journal
(« Politique intérieure »), de panneaux (« Voie sans issue »)… Ce qu’ont
en commun ces emplois, c’est que le GN est physiquement contigu à son
référent. La détermination se fait donc par le contexte le plus immédiat.

3. L’ABSENCE DE DÉTERMINANT LIÉE À LA NATURE DU


GN
L’absence de déterminant peut tenir à la nature ou à la structure du
GN, et non à la position qu’il occupe dans la phrase. Sont concernés
surtout les cas suivants.
■ Les noms propres
Les noms propres ne sont pas toujours sans déterminant (cf. Le
Marseille d’autrefois, un Picasso, etc.), mais il est caractéristique de la
catégorie du nom propre de pouvoir s’en passer. En effet, par définition,
un nom propre réfère à un être singulier, non à une classe.

■ Les coordinations
Elles peuvent correspondre à deux phénomènes distincts :
– une coordination en et ou ni qui combine des GN complémentaires
formant un tout : « Chiens et chats s’amusaient ». Suivis du pronom tout,
les séries de GN peuvent se passer de déterminant : « Voitures,
téléphones, radios, tout est cassé » ;
– une coordination dans laquelle le second terme doit avoir le même
référent que le premier : un voisin et ami (deux catégorisations du même
individu), l’ophtalmologiste ou médecin des yeux (reformulation par un
synonyme).

■ Les autonymies
C’est-à-dire les emplois où l’on réfère au signe linguistique :

But est un nom


Les dérivés de fleur sont peu nombreux

■ Quand le référent est saisi comme virtuel


– avec la négation et l’interrogation :

Jamais homme ne m’a autant déçu


Connais-tu histoire plus triste ?

– quand le nom est associé à des indéfinis qualitatifs (même,


semblable, pareil…) :

Semblable histoire n’arrive qu’aux malchanceux


4. L’ABSENCE DE DÉTERMINANT LIÉE À CERTAINS
GENRES D’ÉNONCÉS

■ Les textes elliptiques


Il s’agit des télégrammes, des petites annonces en particulier.

Jeune fille sérieuse cherche homme sérieux pour sorties

Ici l’absence de déterminant n’est pas seulement liée à une contrainte


matérielle (abréger le texte) ; le GN réfère à un individu caractérisé
uniquement par son appartenance à une classe : être une jeune fille
sérieuse, par exemple.

■ Les proverbes

Cœur qui soupire n’a pas ce qu’il désire

L’absence de déterminant permet de référer de manière générique mais


aussi de conférer un caractère archaïsant à l’énoncé, censé venir du fond
des âges.

5. L’ABSENCE DE DÉTERMINANT LIÉE À CERTAINES


POSITIONS DU GN

■ Dans les relations attributives


Les attributs du sujet ou de l’objet sont dépourvus de déterminant
lorsqu’ils marquent simplement l’appartenance à une profession, une
nationalité, un statut social quelconque :

Paul est médecin militaire


Jules a nommé Paul conseiller
La présence d’un déterminant modifie le sens : « Paul est un médecin »
tend à être évaluatif (= « Paul agit, pense en médecin », « C’est un bon
médecin », etc.).
Les appositions étendent cette absence de déterminant à un éventail
plus large de noms :

Ce village, zone historique protégée, a mille habitants

Mais certains GN apposés sans déterminant peuvent recevoir une autre


interprétation que l’appartenance à une classe :

Roland apparut, ombre immense


Cette femme, statue de soleil, le regardait

Ici, le GN apposé doit avoir un complément à valeur non classifiante ;


l’apposition exprime plutôt une caractérisation passagère de l’antécédent,
une impression.

■ Dans les locutions verbales


De nombreux GN dans les locutions verbales n’ont pas de
déterminant : tenir tête, faire peur, donner soif… Ces locutions ne sont
pas nécessairement figées. Beaucoup sont en effet passivables (« Raison
a été donnée à l’arbitre », « Rendez-vous a été pris… »), et acceptent
l’insertion d’adjectifs (faire mention répétée de ce crime, donner mission
expresse, prendre effet immédiat…). Le GN, selon qu’il est ou non
pourvu de déterminant, change légèrement de sens : donner ordre n’est
pas donner un ordre, mais cette nuance est difficile à caractériser.

■ Dans les groupes prépositionnels


Dans divers types de groupes prépositionnels le GN est dépourvu de
déterminant :

– un principe général veut que le défini et le partitif du, de la, des


disparaisse après la préposition de dans les GN compléments :
Un litre de ce bon vin/*un litre de du vin/un litre de vin

– dans de nombreux compléments du nom où le GN n’a pas de référent


particulier :

Un collier d’ivoire, une chaise à pédales, une femme


d’intérieur…

– dans des compléments circonstanciels : par hasard, par avion, sous


quinzaine, à pied, sous contrat, avec joie, etc. Parfois il n’y a même pas
de préposition : jeudi, rue Dupont…

6. TROUVER UNE EXPLICATION


Nous avons distingué divers facteurs qui provoquent l’apparition de
GN sans déterminant. Nous n’allons pas nous demander ici s’il s’agit
d’un déterminant zéro ou d’une absence pure et simple de déterminant. Il
est probable que la réponse à cette question varie selon les phénomènes
concernés mais la solution d’un tel problème exige de longues
argumentations et des analyses détaillées.
Une chose est sûre : pour qu’il y ait absence de déterminant, il faut que
le GN ait une relation à son référent qui le permette. Il ne peut y avoir de
nom « nu » en position sujet quand le GN réfère à des êtres particuliers,
spécifiés :

* Table est ronde

Quand le GN réfère à un être ou un ensemble d’êtres particuliers,


l’absence de déterminant n’est possible que si le contexte d´énonciation
supplée : c’est le cas avec l’apostrophe, les noms associés à un objet, les
noms propres…
Cette absence de déterminant peut aussi être liée à un type de référence
où l’on ne sélectionne pas des êtres particuliers : cas des GN attributifs,
des GN dans des proverbes, des GN compléments du nom…
8. Aspect

La catégorie de l’aspect est traditionnellement négligée dans la


grammaire française au profit de celle du temps. En effet, la
morphologie du français ne dispose que marginalement de marques
propres à l’aspect. Alors que le temps situe le procès par rapport au
moment de l’énonciation, l’aspect concerne la manière dont
l’énonciateur présente le déroulement du procès. A priori, il peut
toucher diverses catégories, mais c’est essentiellement le verbe qui est
impliqué. On ne confondra pas la valeur aspectuelle attachée à chaque
verbe en tant qu’unité lexicale (le mode de procès) avec l’aspect
grammatical ou avec la valeur aspectuelle de chaque énoncé, qui
résulte de facteurs divers.

1. ASPECT ET MORPHOLOGIE VERBALE


La morphologie du français n’accorde pas un rôle important aux
phénomènes aspectuels. Il existe néanmoins une opposition régulière
entre l’accompli (forme « composée ») et le non-accompli (forme
« simple ») : manger/avoir mangé, je mange/j’ai mangé, etc. L’accompli
indique que le procès est achevé au moment considéré, que l’on envisage
donc son résultat. « À huit heures il avait mangé » peut se paraphraser :
« À huit heures il était dans la situation de quelqu’un qui a fini de
manger. » Le non-accompli, en revanche, saisit le procès dans son

accomplissement. [ PASSÉ COMPOSÉ – fiche 45].
Mais l’aspect peut aussi être amalgamé aux marques des temps de
l’indicatif. C’est le cas de l’opposition entre le perfectif et l’imperfectif.
Le perfectif saisit le procès globalement et de l’extérieur, comme un
point (cf. le passé simple) tandis que l’imperfectif le saisit en voie de
réalisation, sans prendre en compte son début et sa fin (cf. l’imparfait).
Chaque temps de l’indicatif est a priori perfectif ou imperfectif, mais le
contexte peut les affecter de la valeur opposée. Ainsi le présent,
normalement imperfectif, devient-il perfectif au présent historique

[ DISCOURS/RÉCIT. 3 – fiche 22].

2. LES MODES DE PROCÈS


Nous venons d’appréhender l’aspect grammatical. Ce dernier est
indépendant du sens des unités lexicales. Mais chaque verbe, de par son
signifié, implique un certain type de déroulement pour le procès qu’il
exprime. On parle dans ce cas de mode de procès. Parmi les plus
importants, citons :

– le mode de procès itératif/singulier : sautiller est « itératif » car il


suppose une répétition, et s’oppose à sauter, qui est « singulier » ;
– conclusif/non conclusif : acheter, fermer sont « conclusifs » car ils
vont jusqu’à leur achèvement ; ce n’est pas le cas pour détenir ou
souffrir, qui sont « non conclusifs » ;
– ponctuel/duratif : éclater est « ponctuel », tandis que marcher est
« duratif ».

Dans ce domaine il existe de multiples typologies, parfois très


raffinées. On gardera à l’esprit que ces modes de procès sont contraints
par le contexte. Comparons par exemple :

(1) Jean a écrit une lettre hier


(1’) Jean a écrit hier
(2) Luc ramasse un fruit
(2’) Luc ramasse des fruits

L’exemple (1) laisse penser que le procès a été mené à son terme, alors
que l’exemple (1’) n’implique rien de tel ; l’exemple (2) est un procès
singulier tandis que l’exemple (2’) est itératif.
De manière lacunaire il existe dans le lexique certaines marques de
mode de procès : mener/amener, porter/apporter… De leur côté, les
verbes conclusifs tendent à privilégier l’auxiliaire être et les non
conclusifs avoir : être arrivé vs avoir écrit. Mais c’est là un domaine très
complexe : quelle différence aspectuelle, par exemple, doit-on définir
entre j’ai passé et je suis passé ?
L’aspect grammatical vient également interférer avec le mode de
procès. Ainsi ouvrir a beau être conclusif, à l’imparfait il peut être
intégré dans un procès imperfectif : « Jean ouvrait la porte quand je l’ai
vu. » Inversement, un verbe lexicalement duratif figure sans difficulté
dans un énoncé perfectif : « César habita ce palais de marbre. » L’aspect
grammatical se situe donc sur un registre distinct de celui des modes de
procès.

3. VERBES ASPECTUELS
Certaines grammaires parlent de « verbes aspectuels » pour des verbes
semi-auxiliaires qui servent à situer le déroulement du procès par rapport
à un repère. Il s’agit essentiellement de aller/venir de, se mettre à,
commencer à (aspect inchoatif), être en train de, finir de (aspect
terminatif). Il apparaît qu’ici de est réservé aux procès qui s’achèvent et à
pour ceux qui commencent. Dans cet emploi, certains verbes connaissent
des limitations : par exemple, aller n’est utilisé qu’au présent et à
l’imparfait, être en train de exclut le passé simple et le passé composé.
On ne confondra pas cet aller aspectuel avec celui du futur périphrastique

[ FUTUR – fiche 28] ; la différence est perceptible dans ce contraste :
Quand il va (= est sur le point de) pleuvoir, ma jambe me fait
mal (aspectuel)
Quand il va pleuvoir, je rentrerai (futur)

Diachronie
Au XVIIe siècle, la périphrase être à permettait d’exprimer la même chose que
l’actuel être en train de (cf. « Éliante là-bas est à l’entretenir »). En revanche, être
en train de pouvait signifier « être dans une disposition à ». Au début du siècle
tombent en désuétude les périphrases avec – ant. C’est ainsi que disparaissent les
périphrases avec être (cf. « Ils furent jouissant… »). Celles avec aller ont
beaucoup mieux survécu, mais elles ont perdu peu à peu la valeur aspectuelle de
développement du procès (aspect « progressif ») qu’elles avaient en ancien
français, pour devenir une périphrase élégante de la forme simple du verbe.
Vaugelas les juge vieillies et veut les réserver aux véritables mouvements ; il
accepte donc : « Elle va chantant » et refuse : « Ces arbres vont croissant. » C’est
le signe que la valeur aspectuelle de la périphrase n’est plus comprise.
9. Attribut

Placée dans le GV, une catégorie (GN, GA, Phrase) en position


d’attribut du sujet forme avec le verbe un prédicat qui exprime une
propriété, un état, l’appartenance à une classe. Cette relation passe
par une liste fermée de verbes (être, rester…). Certains autres verbes
(nommer, rendre…) appellent des GN ou des GA « attributs de
l’objet » : dans ce cas, il y a relation attributive sans verbe
intermédiaire. La relation entre l’attribut et le terme dont il dépend est
sémantiquement hétérogène.

1. L’ATTRIBUT COMPOSANT DU GV
■ Attribut du sujet et complément d’objet direct
En tant que composant du GV, l’attribut partage certaines propriétés
avec le complément d’objet direct. Comme ce dernier :

– il est appelé par une classe définie de verbes ;


– il figure dans le GV à droite de la tête et n’est pas déplaçable ;
– sa position peut être occupée également par un infinitif ou une
complétive :

Je regrette de venir/L’idée est de refaire tout


Je vois qu’il dort/Son espoir est que je parte
– il est pronominalisable par le/que/en…un :

Il l’a vu (l’ = mon frère)/Il l’est (l’ = médecin/intelligent)


Qu’a-t-il vu ? Qu’est-il ?
Il en a vu un/Il en est un

En français contemporain, cette pronominalisation de l’attribut en le


est neutre en genre et en nombre (« * Je la/les devins »).
Cependant, l’attribut diffère du c.o.d. sur quelques points majeurs :

– l’attribut est obligatoire (« Paul fume »/« *Paul est ») ;


– il peut être GA ou GN (« * Je vois heureux ») ;
– s’il est GA, il s’accorde en genre et nombre avec le sujet ;
– s’il est GN, il est souvent dépourvu de déterminant (« Il est
médecin/marin… »), ce qui lui ôte de son autonomie référentielle

[ ARTICLE (ABSENCE D’-). 5 – fiche 7] ;
– les verbes qui appellent un attribut ne sont pas passivables (« *Une
ouvrière est devenue par Marie ») ; corrélativement, dans les
phrases au passif, les verbes au participe passé tendent à devenir
attributs : « Il est aimé », « La maison est habitée ».

■ Les attributs qui ne sont pas des GN ou des GA


La plupart des attributs du sujet sont des GN ou des GA, mais peuvent
aussi être attributs de constituants qui jouent un rôle équivalent à ces
deux catégories :

– équivalents à des GN : des pronoms (« C’est lui »), des relatives


sans antécédent (« Le vainqueur n’est pas qui l’on pensait »), des
infinitifs (« Mon souhait est de partir »), des complétives (« Son
intention est que je parte »), certaines circonstancielles (« Le
désespoir, c’est quand on n’attend plus rien ») ;
– équivalents à des GA : des GP (« Pierre est en rage »), des adverbes
(« Marie est bien »).
À côté de verbes qui régissent toujours un attribut (être, sembler,
devenir…), il existe des verbes, transitifs ou intransitifs, qui ne régissent
qu’occasionnellement des attributs :

Il a vécu tranquille, il est mort désespéré

Ce type de verbes ne permet pas la pronominalisation de l’attribut par


le :

Il est tranquille/il l’est


Il vit tranquille/*il le vit

Il arrive que l’attribut du sujet soit placé en tête de phrase, mais dans
des constructions particulières : « Sombre était son visage » ; « Si
courageux qu’il soit, il sera surpris » ; « Généreuse comme elle est, elle
comprendra »…

2. PROPRIÉTÉS SÉMANTIQUES
Dans la position d’attribut du sujet, le GA entretient la même relation
de sens avec le nom dont il dépend que lorsqu’il est épithète ou
apposition. Mais les GN ont ici un statut singulier puisqu’ils se trouvent
avoir le même référent que le GN sujet ; c’est précisément en cela que
réside la spécificité de l’attribut. Alors que dans :

Le marin voit le frère de Luc

le marin ne peut pas désigner le même individu que le frère de Luc,


dans :

Le marin est devenu le frère de Luc

la coréférence est possible dans la même phrase.


Il faut néanmoins prendre garde que la relation attributive n’est pas
sémantiquement homogène. On doit distinguer entre :

– la relation équative qui identifie les deux termes, symétriques l’un


de l’autre : « Paul est le frère de Luc » = « Le frère de Luc est
Paul ». L’énoncé indique qu’un même référent peut recevoir deux
désignations différentes. La pronominalisation se fait alors par le :
« Paul l’est (= le frère de Luc) » ;
– la relation prédicative qui attribue une propriété à un sujet (« Léon
est gentil ») ou l’inclut dans une classe (« Bob est un ami de
Jules »). Cette relation est foncièrement asymétrique (« *Gentil/un
ami de Jules est Léon »).

Les verbes attributifs (ou « prédicatifs ») appartiennent à des classes


sémantiques bien spécifiées : outre la copule être, qui marque seulement
la relation, il s’agit de verbes de changement ou de permanence dans un
état (devenir/rester…), ou de verbes opposant l’être à l’apparence
(sembler, paraître…).
Ainsi, à la différence du complément d’objet, qui pose un être distinct
du sujet, la relation entre l’attribut et le terme auquel il est lié suppose
une relation d’« identité », en un sens très large. Il peut s’agir d’une
identité stricte, comme dans l’interprétation « équative », ou d’une
identité lâche quand il s’agit seulement d’indiquer une propriété
inhérente du sujet ou un état.

3. L’ATTRIBUT DE L’OBJET
Ce qu’on appelle « attribut de l’objet » est une relation entre deux
compléments du même verbe :

– deux GN : « Je nomme Paul directeur » ;


– un GN et un GA : « Elle rend Paul heureux. »
On parle ici d’« attribut de l’objet » parce que la relation sémantique
entre le premier GN et le second élément est de même nature que celle
entre sujet et attribut : « Paul est directeur », « Paul est heureux ». Cette
possibilité est réservée à un ensemble limité de verbes (appeler,
imaginer…) ; parfois une préposition vient s’intercaler entre les deux
termes (« Je considère Paul comme mon fils »). Étant donné la position
du GA attribut de l’objet, on est souvent confronté à des ambiguïtés
syntaxiques. Ainsi, « J’ai trouvé les dessins amusants » peut s’interpréter
comme « J’ai trouvé (les dessins amusants) » (épithète) ou comme « J’ai
trouvé ((les dessins) (amusants)) » (attribut de l’objet).
La relation de l’attribut de l’objet au groupe c.o.d. et au verbe
correspond à des interprétations variées. En particulier,

– l’équivalent d’une complétive : « Je crois Paul intelligent » = « Je


crois que Paul est intelligent » ;
– le résultat d’une transformation du c.o.d. : « Il a rendu Jules
malade », « On a élu Jules général » ;
– un rapport de partie à tout si le c.o.d. a un article défini : « Il a la
main brûlée, les dents jaunes. »
10. Auxiliaire

On parle de verbe auxiliaire, ou simplement d’auxiliaire, pour des


verbes qui, indépendamment de leur emploi comme verbes autonomes,
ont une propriété remarquable : quand ils se combinent avec un autre
verbe et portent les marques de personne, de temps et de mode, c’est le
verbe qui les suit qui constitue la tête du GV. On ne parle donc pas
d’auxiliaire pour veux dans « Je veux voir Sophie » (car il y a deux
têtes verbales) mais pour avais dans « J’avais vu Sophie », parce que
dans ce dernier cas, en dépit de la présence de deux verbes, on
considère qu’il n’y a qu’un seul verbe qui régisse des compléments.

1. PROPRIÉTÉS DE L’AUXILIAIRE
Un verbe auxiliaire V1 précède un verbe V2, lequel est au participe ou
à l’infinitif, c’est-à-dire à une forme non fléchie (on dit aussi « non
finie »). Cela permet de ne pas transgresser les principes fondamentaux
de la syntaxe : d’un point de vue lexical, il y a deux verbes dans la même
phrase, mais pour la syntaxe il n’y en a qu’un.
L’auxiliaire est « transparent », ce n’est pas lui qui contraint les
compléments du GV. Ainsi dans :

Paul a vu un chat noir


un chat noir et appelé par vu et non par a, bien que ce dernier porte les
marques de flexion. Tel est le paradoxe qu’implique la présence de
l’auxiliaire. La séquence V1-V2 est considérée sémantiquement et
syntaxiquement comme un bloc : on dira par exemple que suis arrivé est
une forme d’arriver et non du verbe être. Dès lors, les opérations qui
portent sur le verbe manipulent V1-V2 comme un seul élément ; ainsi le
pronom clitique complément se place-t-il devant V1 et non devant V2
dont il est pourtant complément :

Paul l’a dit/*Paul a le dit

Ces auxiliaires sont les verbes être et avoir. À ce couple traditionnel on


peut ajouter aller dans le futur périphrastique [ ▶ FUTUR. 2 – fiche 28],
qu’on ne confondra pas avec le semi-auxiliaire d’imminence aller
[▶ ASPECT. 3 – fiche 8]. Néanmoins, avec le futur périphrastique, le
clitique vient se placer entre les verbes : « Paul va le faire un jour ».

2. ÊTRE ET AVOIR
[▶ ÊTRE/AVOIR – fiche 26].

3. LES SEMI-AUXILIAIRES
On parle de semi-auxiliaires pour certains verbes qui, dans des
combinaisons V1-V2, avec V2 à l’infinitif, ont perdu une part de leur
autonomie syntaxique au profit de V2. Il s’agit essentiellement de deux
groupes : les verbes aspectuels et les verbes modaux. À la différence des
auxiliaires, ces semi-auxiliaires ne font pas véritablement partie de la
conjugaison du verbe.
Les verbes aspectuels [ ▶
ASPECT. 3 – fiche 8] connaissent en
particulier des restrictions en matière de temps (cf. « * J’irai partir ») et
ne peuvent intervenir dans la sélection des compléments : dans « Je viens
de voir Paul », le complément de voir est indifférent à viens et de voir
Paul n’a pas les propriétés d’un complément d’objet.
Les verbes modaux tels pouvoir ou devoir connaissent des limitations

comparables [ POUVOIR/DEVOIR – fiche 49].
11. Ce

À la fois déterminant du nom et pronom, comme le, le morphème ce


suscite régulièrement des questions aux concours. Cet intérêt
s’explique par la variété de ses usages syntaxiques mais aussi par les
problèmes que soulève son analyse, en particulier devant les
subordonnées.

1. CE DÉTERMINANT
Ce peut être le masculin singulier du déterminant démonstratif : « Ce

chien est malade » [ démonstratif – fiche 19].

2. CE PRONOM
Si l’on excepte quelques tours figés (sur ce, pour ce faire…), ce
pronom se trouve dans une position de clitique sujet neutre [ ▶ PRONOM
CLITIQUE – fiche 52], le plus souvent sous sa forme élidée c’, associé au
verbe être.

■ Valeur anaphorique

Vouloir, c’est pouvoir


Paul, c’est mon frère
Qu’il me déteste, c’est possible

etc.

■ Valeur cataphorique

C’est bon, de dormir


C’est beau, la vie
C’est dommage, qu’il parte

Comme substitut d’une phrase, ce a un comportement très différent du


il impersonnel, qui exclut toute pause à l’intérieur de la phrase :

* Il est heureux, que Bob soit venu


* Que Bob soit venu, il est heureux
Il est heureux que Bob soit venu
C’est heureux que Bob soit venu
Que Bob soit venu, c’est heureux

Alors que ce, en véritable pronom, peut reprendre un GN ou une


phrase en position détachée, il impersonnel semble surtout servir à
remplir la position sujet, qui doit être occupée dans les phrases à verbe à
temps fini.

■ Autres emplois
Les locuteurs hésitent continuellement sur l’accord en nombre du
verbe quand le GN occupe ainsi la position d’attribut : « C’est des amis »
ou « Ce sont des amis » ? Hésitation compréhensible puisque ce est le
sujet syntaxique mais c’est le GN qui donne l’interprétation.
Dans les interrogatives, c’est joue un rôle important. Soit inversé en
tête de phrase (Est-ce que/Est-ce Paul qui… ?), soit après les pronoms
(Qui c’est que/Qui c’est qui… ?). On ne confondra pas les interrogatives
partielles, qui focalisent un élément (« Est-ce Paul (= et non Luc,
Maurice) que tu as vu ? »), et les interrogatives totales (« Est-ce que tu as
vu Jeannette ? »).
Avec les structures dites clivées, identiques aux précédentes, mais sans
inversion du clitique sujet, on peut focaliser un constituant en l’extrayant
de sa position pour le placer en tête :

(1) C’est Paul que je vois


(2) C’est hier que ça s’est passé
(3) C’est ta sœur à qui j’ai parlé
(4) C’est à ta sœur que j’ai parlé

L’énonciateur dispose de deux stratégies. Il peut utiliser c’est… que


avec un élément focalisé qui indique quelle est sa fonction (cf. à ta sœur
dans l’exemple (4)) ; il peut aussi faire varier la fonction du relatif dans
le complémenteur (cf. exemple (3)).
Tous les groupes ne sont pas susceptibles d’être ainsi extraits et mis en
tête de phrase. Les attributs, les compléments du nom ou les épithètes ne
le peuvent pas :

*C’est heureuse que Marie devient

Dans une phrase clivée, la partie qui suit le relatif est présupposée ;
ainsi, dans « C’est Paul que je vois », le présupposé « Je vois quelqu’un »
est soustrait au doute.
À côté de cette structure clivée, on en trouve une autre, pseudoclivée,
d’un type très différent :

Ce que j’aime, c’est la vérité

Une telle structure implique à la fois un clivage et une dislocation que


l’on peut comparer à celle des pronoms (« Je l’aime, la vérité »). Dans les
deux cas, il y a dans le membre gauche de l’énoncé un élément
sémantiquement incomplet (ce que d’une part, l’d’autre part) qui est
complété, saturé dans le membre droit, mais par des voies syntaxiques
différentes (cf. infra, 3 « Ce devant une subordonnée », pour l’analyse de
ce que).

3. CE DEVANT UNE SUBORDONNÉE


■ Les relatives
On trouve souvent ce placé immédiatement devant le pronom relatif :
« Je vois ce que tu vois », « Je répète ce qui te convient »… Le pronom
ce peut précéder qui, que, dont ou quoi précédé d’une préposition (« Ce à
quoi je songe »…). Ici, le ce invariable est la forme d’antécédent non
animé qui correspond au pronom démonstratif celui, qui est réservé aux
humains : « Celui qui me cherche me trouve ».

■ Les complétives
Bien des complétives, outre le classique subordonnant que, utilisent un
à/de ce que :

Paul est content que/de ce que je parte


Il cherche à ce que vous partiez

Cet emploi de ce peut être analysé de deux façons :


– il y a un nom sous-entendu ; la compléxtive serait alors complément
de ce nom, comme dans le fait que : « Je suis content de ce N [que tu
partes] » ;
– la complétive elle-même joue le rôle du nom déterminé par ce : « Je
suis content de ce [que tu partes] ».

■ Les interrogatives indirectes


Un point particulièrement curieux est l’agrammaticalité de « *Je
demande que tu veux » alors qu’on peut avoir « Je demande qui vient »
ou « Que veux-tu ? ». On recourt en effet à ce que quand le pronom
interrogatif n’est pas un animé humain : « Je demande ce que tu veux ».
Autrement dit, l’interrogative indirecte cède ici la place à une structure
relative. En usant d’une relative, on vient pallier une lacune dans le

système de l’interrogation. Sur cette question, [ INTERROGATIFS (MOTS -).
4 – fiche 36].

Diachronie
En ancien français, ce pouvait s’employer comme les formes accentuées actuelles
ça, ceci, comme sujet de venir (« ce vient ») et comme objet direct dans les incises
(« ce dit-on ») du discours cité. On le trouvait aussi avec faire (« ce faisant »,
« pour ce faire »), et après
quelques prépositions (« de ce », « à ce », etc., et surtout « pour ce »,
jugé par la suite désuet par Vaugelas).
Là où la construction moderne exige ce qui… c’est (« Ce qui m’ennuie, c’est… »),
la langue du XVIIe ne l’exigeait pas, en particulier quand le sujet de la seconde
phrase était au pluriel : « Ce qui me plaît sont tes idées. » Les grammairiens ont
beaucoup débattu pour savoir s’il fallait ici une anaphore pronominale en ce.
Vaugelas préférait l’anaphore mais elle ne lui semblait pas obligatoire.
On rencontrait souvent cela à la place de ce s’il y avait un adjectif attribut suivi
d’une complétive ou d’un infinitif : « Cela est vrai, que… », « Cela est étrange,
que vous partiez/de partir… ».
12. Circonstanciel
(Complément -)

La fonction de circonstanciel est singulière en ceci qu’elle n’a pas de


place fixe, qu’elle n’est pas obligatoirement remplie et qu’elle peut
être occupée par un nombre indéterminé de compléments. Elle peut
être occupée par des GP, certains types de GN, d’adverbes ou de
phrases subordonnées. À la différence des compléments d’objet, le
complément circonstanciel ne dépend pas de la tête d’un groupe
syntaxique mais de l’ensemble GN-GV dont il définit en quelque sorte
le cadre. Mais il n’est pas toujours aisé de faire le partage entre
compléments du verbe et circonstanciels.

1. DIVERSES CATÉGORIES
Le circonstanciel définit une fonction dans la phrase, fonction qui peut
être occupée par des éléments de diverses catégories. Il s’agit
essentiellement :

– de GP : « Il dort dans la chambre » ;


– d’adverbes : « Dorénavant il ne sera plus invité » ;
– de phrases : à verbe à temps fini (« Il vient quand on l’invite ») ou à
temps non fini (« Paul partant, Marie a pu rester », « Avant de
venir, il s’est reposé ») [ ▶ CIRCONSTANCIELLE (SUBORDONNÉE -) –
fiche 13] ;
– de certains GN, mais il s’agit de séries lexicales particulières : « Il
part le soir ».

En dépit de cette diversité catégorielle, la position de circonstanciel est


fondamentalement une position de GP. Les phrases circonstancielles se
laissent souvent analyser en (Préposition + Phrase) : avant + que je
vienne, outre + qu’il est tard… Quant aux adverbes, ils se paraphrasent le
plus souvent par des GP : habituellement = « de manière habituelle »…
L’intérêt pour la problématique de l’énonciation a attiré l’attention sur
un type particulier d’adverbes, ceux qui portent sur l’acte d’énonciation

ou qui modalisent l’énoncé [ ADVERBE. 4 – fiche 2] :

Sans doute, il arrivera demain


Heureusement, il est seul
Paul, à vrai dire, n’est pas ravi
Franchement, je regrette

Ces adverbes de phrase en sont détachés : ils se situent à un niveau


supérieur pour commenter la phrase proprement dite. On ne les
confondra pas avec les circonstanciels qui, eux, sont intégrés à la phrase.

2. LA PLACE DU CIRCONSTANCIEL
Fonction extérieure au noyau que forment le GN sujet et le GV, le
complément circonstanciel n’a pas de place fixe. Cette mobilité est liée
au fait que les éléments en position de circonstanciel d’une phrase ne
dépendent pas de la tête d’un groupe. Mais la place du circonstanciel a
une incidence importante sur la progression thématique, c’est-à-dire la
manière dont le texte hiérarchise et répartit les informations qu’il pose
comme données et celles qu’il pose comme nouvelles. Les places les plus
fréquemment occupées se trouvent au début et surtout à la fin de la
phrase, à sa périphérie donc. Mais ici interviennent de multiples facteurs :
en particulier la longueur et la signification du circonstanciel, la nature
du GN sujet et du GV, etc. Ainsi :

Le général, dès son arrivée, m’a téléphoné

passe mieux que :

Celui-ci, en dépit de mon ordre, boit

Mais de toute façon, le circonstanciel ne peut s’intercaler qu’entre des


catégories majeures : « *Le fils, malgré son courage, de ma tante a
renoncé/Le fils de ma tante, malgré son courage, a renoncé ».

3. COMPLÉMENTS CIRCONSTANCIELS ET
COMPLÉMENTS DU VERBE

Ce n’est pas son sens qui suffit à définir le caractère circonstanciel


d’un complément mais son mode de dépendance. Même s’il possède une
valeur spatiale, un complément peut fort bien être complément d’un
verbe ; on retrouve ici la classique distinction entre compléments
essentiels, appelés par le verbe et inclus dans le GV, et compléments
circonstanciels, qui sont en nombre illimité. Dans « J’habite à Laon » ou
« Je pars à Laon », on parle de complément essentiel du verbe, mais on
parle de complément circonstanciel pour « J’ai vu Paul à Laon ». En
principe, le complément du verbe n’est pas déplaçable (« *À Laon je
pars ») et il est obligatoire (ou sous-entendu : « Paul fume »). Le
complément du verbe participe du sens de ce verbe, lequel infléchit
l’interprétation de la préposition. Ainsi dans les exemples ci-dessus, la
même proposition à prend une valeur différente selon le verbe auquel elle
est associée : habiter implique un lieu appréhendé dans son intériorité,
partir le passage d’un lieu à un autre.
Les cas ne sont malheureusement pas toujours aussi tranchés. Pour un
énoncé comme « Je travaille avec joie », on peut penser que le GP
appartient au GV, où il joue le même rôle qu’un adverbe de manière
orienté vers l’agent du procès. Mais ce n’est pas si clair pour « Paul
voyage par plaisir » où le complément n’est pas aussi indépendant du
procès que des compléments de lieu ou de temps ?

4. LES CIRCONSTANTS DANS LE GN


On oublie souvent que les GN également peuvent contenir des
circonstanciels. C’est particulièrement évident pour ceux dont la tête est
un nom déverbal [ ▶ nOM (COMPLÉMENT DU -). 2 – fiche 41], puisqu’ils
sont construits en parallèle avec des phrases :

(La rééducation de Luc dans un camp) m’a choqué

Mais les possibilités de déplacement sont très limitées (« ?? La


rééducation dans un camp de Luc »…).
Les noms déverbaux ne sont pas les seuls concernés ; les GA aussi :

Un homme (célèbre à Rome) peut être ignoré ici

En effet, ici la relation entre les constituants du GN est la même


qu’entre un GN sujet et un GV en être : « Un homme (est) célèbre à
Rome ».
13. Circonstancielle
(Subordonnée -)

On a tendance à dénommer « circonstancielle » toute subordonnée qui


n’est ni complétive ni relative. Il vaut mieux s’appuyer sur
l’équivalence fonctionnelle entre groupe complément circonstanciel et
phrase circonstancielle. Il faut aussi prendre en compte les
circonstancielles à temps non fini et considérer le niveau auquel
s’inscrit la subordonnée dans la hiérarchie de la phrase.

1. DÉLIMITATION DES CIRCONSTANCIELLES


La définition la plus rigoureuse de la circonstancielle suppose sa mise
en correspondance avec les éléments à fonction circonstancielle,
adverbes ou GP. Comme eux, elle est mobile dans la phrase, n’est pas
obligatoire, n’est pas pronominalisable par un clitique et peut se
combiner avec un nombre ouvert d’autres circonstanciels :

Léa est partie quand on le lui a dit, bien qu’elle préfère


dormir

Si on admet de tels critères, il est impossible de considérer comme des


circonstancielles certaines comparatives [ ▶ COMPARAISON – fiche 14]
et les consécutives. Regardons par exemple ces consécutives :
(1) Il est tellement gentil qu’il ne verra rien
(2) Il a mal agi, si bien qu’on l’a désavoué

Dans l’exemple (1), la subordonnée, qui n’est ni déplaçable ni


supprimable, est incluse dans le GA. Dans l’exemple (2), on n’a pas
affaire à une phrase subordonnée ; ce sont deux assertions successives
liées par un connecteur.

2. PHRASES À TEMPS FINI ET À TEMPS NON FINI


La plupart du temps on considère comme prototypes de la
subordonnée circonstancielle les phrases à verbe fini introduites par une
conjonction ou une locution conjonctive :

Il est malade depuis que je suis là

Cette subordonnée montre son parallélisme avec les GP ; elle combine


une préposition et une phrase-GN :

Depuis (que je suis là) Depuis (mon anniversaire)

Mais les choses ne se présentent pas nécessairement de cette façon.

■ Circonstancielles sans prépositions


Parmi les circonstancielles, il y en a, les constructions absolues, qui ne

sont pas introduites par une préposition [ PARTICIPE PASSÉ – fiche 44 ; -
ANT (FORMES EN -) – fiche 4] :

Le livre déchiré, il passa à autre chose


Paul refusant, on devait agir différemment

■ Infinitif circonstanciel
La préposition peut régir un infinitif :
Il et parti avant de le revoir
Après avoir tout lu, il fit un rapport

On retrouve ici le parallélisme entre infinitif et phrase en que, tous



deux susceptibles d’occuper des positions de GN [ COMPLÉTIVES – fiche
15]. Certains infinitifs se construisent directement, d’autres après de (ou
quelquefois à), qui joue un rôle comparable à celui de que dans les

phrases à verbe fini. [ INFINITIF. 3 – fiche 35].

■ Prépositions et conjonctions de subordination


Le parallélisme entre GP et phrase circonstancielle introduite par une
préposition souffre bien des lacunes :

– certaines prépositions ne peuvent introduire des subordonnées : *


avec que…, * par que… ;
– certaines locutions conjonctives n’ont pas de préposition
correspondante : *tandis mon départ, *alors ton retour… ;
– certains subordonnants ne sont pas la combinaison d’une préposition
et d’un que/de : en particulier comme, si, quand… Néanmoins on
peut penser qu’il existe un niveau de représentation où la différence
morphologique entre ces deux types de subordonnants s’affaiblit
puisque l’on peut reprendre ces conjonctions par que :

Quand/comme tu viens ici et que je suis absent…

– certains subordonnants autorisent des ellipses, c’est-à-dire des


phrases à qui il manque des constituants, qu’il faut rechercher dans la
principale :

Il est intelligent, bien que/quoique/parce que… (il est/soit)


travailleur

Mais on n’est pas obligé d’y voir des circonstancielles ; on peut


considérer qu’il s’agit d’une sorte de coordination de GA (cf. « Il est
intelligent mais/néanmoins paresseux »…).
3. LE MODE DANS LA CIRCONSTANCIELLE
Chaque circonstancielle à verbe fini se voit imposer un mode par son
subordonnant. Ce choix entre indicatif et subjonctif est donc étroitement
lié à l’interprétation de la circonstancielle (temporelle, concessive, etc.).
On distingue habituellement :

– les subordonnées à l’indicatif : dès que, alors que, étant donné que,
de même que… ;
– les subordonnées au subjonctif : avant que, bien que, pour que… ;
– les subordonnées qui sont à l’indicatif ou au subjonctif : de façon
que, de sorte que… Mais on peut douter qu’à l’indicatif il s’agisse
réellement de subordonnées (cf. infra).

Il en ressort des tendances nettes. On constate en particulier que les


subordonnants qui appellent le subjonctif sont aussi ceux qui appellent
l’infinitif :

Avant/pour que je parte/(de) partir Dès/tandis que je


pars/*dès/tandis (de) partir

Ce n’est pas surprenant : le subjonctif comme l’infinitif ne permettent



pas l’assertion [ INFINITIF – fiche 35 ; SUBJONCTIF – fiche 57], qui est liée

à l’embrayage temporel [ EMBRAYEURS – fiche 23]. La seule exception
est après que. Mais l’usage a précisément éliminé cette exception en
substituant le subjonctif à l’indicatif, contre l’avis des puristes.
Les circonstancielles de cause (parce que, puisque, comme…) utilisent
l’indicatif ; les circonstancielles de temps, sauf pour l’antériorité ou la
postériorité (après que, avant que), privilégient l’indicatif ; quant aux
circonstancielles de but, elles sont associées au subjonctif (pour que, afin
que…).
Si l’énonciateur a le choix entre indicatif et subjonctif, ce choix a une
incidence sémantique évidente. Il permet en particulier de marquer
l’opposition entre conséquence et but :
(1) Il travaille, de sorte qu’il réussit
(2) Il travaille de sorte qu’il réussisse

L’exemple (1) indique la conséquence, mais, comme le montre la


pause entre les phrases, on a affaire à deux assertions successives, non à
une subordination. Avec l’exemple (2), il n’y a qu’une seule assertion : la
phrase forme un tout, la subordonnée circonstancielle de but dépend
directement de la principale.

4. HIÉRARCHIE DES CIRCONSTANCIELLES


Dans la mesure où les subordonnées circonstancielles ont un
fonctionnement analogue à celui des autres circonstanciels, GP ou
adverbes, on retrouve à leur propos la même hiérarchie entre les
subordonnées qui relèvent plutôt du GV, celles qui sont compléments de
la phrase (les circonstancielles proprement dites) et celles qui se situent à
un niveau supérieur. Cette diversité est elle-même étroitement liée aux
possibilités de déplacement des circonstancielles.

■ Circonstancielles intégrées au GV
Certaines sont intégrées au GV. Ainsi dans ces exemples :

Il agit de façon à ce qu’on le déteste Il travaille autant qu’il


peut

la subordonnée se trouve dans la dépendance immédiate du verbe et ne


peut être déplacée.

■ Les circonstancielles canoniques (de temps en


particulier)
Elles sont beaucoup plus aisément déplaçables, mais c’est souvent au
prix d’une modulation sémantique, selon le contexte antérieur ou la
volonté du locuteur d’insister sur tel ou tel constituant :
Quand il vient il est seul
Il est seul quand il vient
Parce qu’il dort trop il est inefficace
Il est inefficace parce qu’il dort trop

■ Circonstancielles portant sur l’acte énonciatif


Enfin, il est des circonstancielles qui portent non sur la phrase mais sur

l’acte énonciatif qui la rend possible [ ADVERBES. 4 – fiche 2]. Ainsi :

(1) Avant de partir, pourquoi le quittes-tu ?


(2) Puisque tu aimes Bach, on donne deux de ses cantates au
théâtre

L’exemple (1) pourrait se paraphraser : « Avant que tu ne partes, dis-


moi pourquoi… » ; quant à l’exemple (2), il nous montre un énonciateur
qui commente son propre dire : « Puisque tu aimes Bach, je te dis
que… ». Mais tous les subordonnants ne sont pas capables de porter sur
l’énonciation : « Parce que tu aimes Bach, on donne une cantate » aurait
une tout autre signification.

Diachronie
La locution pour que se répand au début du XVIIe ; bien que Vaugelas et Thomas
Corneille en aient condamné l’usage, elle s’est imposée au XVIIIe. Certaines
locutions ont aujourd’hui disparu : même que (= « au cas où »), mais que (=
« pourvu que »), désormais que, auparavant que, paravant que, cependant que,
soudain que, durant que, d’abord que, devant que, parfois que (= « à certains
moments où »), premier que, moyennant que, à cause que, pour ce que, à ce
que = « pour que »), hors que (= « sauf si »), sans ce que (= « si ce n’est que »),
combien que (= « bien que »), nonobstant que.
Certaines pouvaient avoir un sens différent : tant que (= « jusqu’à ce que »),
depuis que (= « dès que »), tandis que (= « tant que »). Il y avait également des
divergences quant au mode appelé par les conjonctions. Sans que pouvait appeler
l’indicatif ; au début du XVIIe, quoique, bien que et encore que étaient souvent
suivis de l’indicatif. Comme, par imitation du latin, permettait le subjonctif. Quant
à la combinaison de d’ après que et du subjonctif, aujourd’hui dénoncée par les
puristes, elle était déjà vivante à cette époque.
Au XVIIe, le -s- de puisque et de lorsque ne se prononçait pas. On pouvait en outre
dissocier puis et que, de même que par et ce dans parce que.
14. Comparaison

Bien que les systèmes comparatifs puissent concerner d’autres


catégories, ce sont surtout celles qui sont susceptibles de degré
(adjectifs, nombreux d’adverbes et quelques prépositions) qui sont
impliquées. On y distingue l’évaluation sans référence à un repère
extérieur (très/peu… doué/doucement/près de…) et la comparaison,
qui suppose un repère, attesté dans l’énoncé ou implicite. La
comparaison prend deux formes : le superlatif relatif (« le plus malin
de l’équipe ») et les comparatifs d’égalité, d’infériorité, de
supériorité, qui souvent reposent sur l’association d’un marqueur de
comparaison (plus, moins…) et de que. Les comparatives sont loin
toutefois de former une classe homogène.

1. LE SUPERLATIF RELATIF
Dans un ensemble donné, un élément est distingué comme le plus ou le
moins pour la détention d’une certaine propriété. Par exemple, dans les
phrases :

Paul est le moins courageux du bataillon


Paul répond le plus rapidement de tous

un quantum de courage ou de vitesse de réponse est affecté à chaque


élément de l’ensemble considéré (le bataillon, tous) et Paul est désigné
comme la limite inférieure ou supérieure [ ▶ DEGRÉ DE L’ADJECTIF. 4 –
fiche 18]. Quand il est explicité, le complément du superlatif est introduit
par de, parfois parmi : « Léon est le plus malin de/parmi ces curistes ».

2. LES SYSTÈMES COMPARATIFS D’ADJECTIFS ET


D’ADVERBES

Les comparatifs sont sémantiquement très divers. À côté du système le


plus connu, celui de l’adjectif ou de l’adverbe :

(1) Paul est plus/moins/aussi doué que Luc


Paul court plus vite que Jean

où l’on compare le degré d’une même propriété attribuée à deux


termes de la phrase, on trouve aussi :

– la comparaison du degré de deux propriétés chez le même individu :

(2) Paul est plus peureux que bête

– la comparaison avec des circonstances différentes :

La vie est plus chère qu’en France

– l’invocation d’une source d’évaluation distincte du locuteur :

Marie dort moins longtemps qu’on ne croit

Dans les exemples (1) et (2), un seul groupe (GN ou GA) figure après
le que. Mais ce peut aussi être une phrase complète :

(3) Il est aussi blond que Marie est douce


Ici l’on compare deux propriétés distinctes de deux individus distincts.
S’il s’agit du même individu, on retrouve pour le sens le système illustré
par l’exemple (2) :

(4) Il est aussi brun qu’il est gentil

Il n’est nullement requis que les objets comparés possèdent à un haut


degré la propriété évoquée. Si l’on dit : « Pierre est moins intelligent que
Marie », cela n’implique pas que Marie soit intelligente. Il en va
différemment dans des énoncés tels :

(5) Luc est aussi génial que Molière


(6) Luc est aussi fort qu’un Turc

Dans cet emploi, le GN après que représente un modèle, un type


exemplaire : ici Luc doit posséder à un degré élevé la propriété indiquée
par l’adjectif. Mais le plus souvent, pour cette interprétation on recourt à
comme associé à des stéréotypes :

(7) Il est fort comme un Turc


(8) Il est bête comme ses pieds

On signalera le cas particulier des comparatifs qui portent sur le


signifié même :

Il agit plus subtilement qu’intelligemment

Dans ce cas, souvent dans un contexte polémique, c’est la pertinence


des termes employés qui est l’objet de la comparaison. L’énoncé pourrait
se paraphraser : « Il est plus approprié de dire qu’il agit avec subtilité que
de dire qu’il agit avec intelligence. »
L’analyse syntaxique des comparatifs est traditionnellement source de
difficultés quand le morphème que n’est suivi que d’un GN ou d’un GA.
Dans une phrase telle :

Paul est plus fort que Mariette


Mariette est-il un GN isolé, ou le sujet d’une phrase introduite par que
et dont le GV serait sous-entendu ? Cette dernière solution permettrait de
rendre compte de l’interprétation et d’homogénéiser syntaxiquement les
comparatifs. Il resterait quand même à déterminer si cette phrase réduite
contient véritablement un GV sous-entendu, ou si l’allocutaire se
contente de la compléter en recourant à diverses stratégies.

3. LES DIFFÉRENTS TYPES DE COMPARATIVES


La notion de comparaison déborde largement le cadre du degré des
adjectifs ou des adverbes. Les systèmes comparatifs comprennent des
constructions variées, qui portent sur la dimension quantitative ou la
dimension qualitative.

■ Comparaison de qualités
Ce type de comparaison met en relation deux phrases pour poser une
équivalence entre elles, prises globalement, ou bien pour rapprocher deux
GN qui ont des propriétés communes, explicitées ou non. Ces
comparaisons sont introduites par des subordonnants tels comme, de
même que, ainsi que, tel que :

Paul travaille comme il joue


Il est mutin comme les enfants le sont dans ce pays
Elle dort ainsi qu’une nymphe

La conjonction comme est également utilisée pour indiquer la


conformité à la catégorie à laquelle appartient l’élément comparé :

Il vit comme un débauché (= qu’il est, « en débauché »)


Dans une situation comme celle-ci je renonce

On trouve également des constructions qui reposent sur des marqueurs


placés symétriquement dans les deux phrases du système comparatif :
De même qu’il rejette Luc, de même je rejette Lucie
Tel général, tel soldat

S’il n’y a pas similitude mais dissemblance, on peut recourir à


autrement que ou plutôt que :

Il vit autrement que je ne pensais


Il s’agite plutôt qu’il ne travaille

■ Comparaison de quantités
Les constructions qui comparent d’un point de vue quantitatif peuvent
faire appel soit à des adverbes autres que plus, moins, aussi, en particulier
les adverbes davantage, autant, soit à des déterminants de quantité suivis
par de (davantage de, autant de, plus de, moins de). Tous ces éléments
sont corrélés avec que :

Il mange davantage de (déterminant) navets que de salsifis


Il pleure autant (adverbe) qu’il rit/que Luc

Il existe en outre des constructions qui mobilisent des marqueurs


symétriques dans les deux phrases. Il peut s’agir de quantités
équivalentes ou de quantités qui varient proportionnellement :

Autant il est froid, autant elle est chaleureuse (équivalence)


Plus on travaille, moins on a envie de travailler (variation
proportionnelle).

Ici il y a parataxe et non subordination ; les deux phrases, quoique


inséparables, sont juxtaposées.
Pour le ne explétif que l’on trouve dans les subordonnées qui

expriment la dissemblance ou l’inégalité [ NÉGATION. 1 – fiche 39].

Diachronie
Au XVIIe siècle il existait des marqueurs de comparaison qui ont aujourd’hui
disparu, en particulier avec comme :
– autant… comme :
« Tout chevalier est obligé autant à l’honneur des dames comme au sien propre »
(H. d’Urfé).
– ainsi comme :
« L’ennui qui vous emporte ainsi comme un torrent » (Montchrestien).
– si/aussi… comme :
« Il n’est rien de si beau comme Caliste est belle » (Malherbe).
– tant/autant… comme :
« Il ne sert de changer sa peinture en tant de façons comme Glycera faisait ses
bouquets » (François de Sales).
– autant… que (= « aussi que ») :
« Croire la vie et la mort autant dissemblables que les uns et les autres nous le
figurent » (Bossuet).
15. Complétive

Bien qu’elle ne soit pas particulièrement problématique, puisqu’il


s’agit de phrases subordonnées occupant des positions de GN, la
notion de complétive est souvent réduite aux seules complétives sujets
ou objets directs. L’existence de complétives objets en à/de ce que
contribue à rendre hétérogène cette catégorie. Une bonne part de la
réflexion tourne autour du mode (indicatif/subjonctif) qui y est
employé.

1. PROBLÈMES DE DÉFINITION
En règle générale on définit la complétive comme une phrase :
– subordonnée ;
– qui occupe une position de GN ;
– qui est introduite par un que sémantiquement vide (ni interrogatif ni
relatif).

Qu’il vienne m’étonne


Je crois qu’il est là
L’idée qu’il parte me révolte, etc.

À strictement parler, un certain nombre de circonstancielles pourraient


être analysées comme la combinaison d’une préposition et d’une
complétive (avant + que je parte/mon départ…). Mais on a l’habitude de
ne pas dénommer « complétives » les phrases ainsi régies par une
préposition.
Les complétives peuvent être coordonnées à d’autres phrases qui ont
un statut nominal, à savoir les infinitifs ou les interrogatives indirectes :

Il désire partir et que Marie vienne avec lui


Il sait que je viens et quand je viens

2. FONCTIONS DES COMPLÉTIVES


Par définition, elles peuvent occuper les positions d’un GN : sujet,
attribut, apposition, complément du nom, de l’adjectif, du verbe… :

L’idée qu’il part me réjouit (sujet)


Ton idée, qu’il est parti seul, est stupide (apposition)
Mon idée est qu’il est parti seul (attribut)
Je suis heureux qu’il parte (complément de l’adjectif)
etc.

Lorsqu’elle est objet après certains verbes, la complétive peut être


précédée par de/à ce : obligatoirement (« Je me refuse à ce qu’il
parte/*Je me refuse qu’il parte ») ou facultativement (« Je suis content de
ce qu’il vienne/qu’il vienne »). Selon la manière dont on catégorise ce,

on analysera diversement la complétive [ CE 2 – fiche 11].
Quand la complétive est complément du verbe ou de l’adjectif, la
pronominalisation par un clitique [ ▶
PRONOM CLITIQUE – fiche 52] est
possible :

Je suis heureux qu’il parte → J’en suis heureux


Je suis enclin à ce qu’il parte → J’y suis enclin
Je veux qu’il parte → Je le veux
Je consens à ce qu’il vienne → J’y consens
A priori, l’apparition après heureux du clitique en, c’est-à-dire d’un
de + GN, peut surprendre, puisque la complétive que régit heureux est
construite directement, sans de. En fait, cette bizarrerie s’efface si l’on
admet que la complétive se pronominalise comme le GN correspondant :
si l’on trouve en pour une complétive régie par heureux, c’est parce
qu’avec « Je suis heureux de sa venue » on aurait « J’en suis heureux ».
À travers ce phénomène, il apparaît que la complétive, par certains
aspects, a bien un comportement de GN.

3. LE MODE DANS LES COMPLÉTIVES


Les complétives posent le problème des emplois du subjonctif
[▶ SUBJONCTIF – fiche 57]. En position de sujet, le subjonctif est
obligatoire (« *Qu’il part m’étonne », « *Qu’il est content est normal »).
C’est en position de complément que les données sont complexes :

– certains V, N ou A imposent l’indicatif, d’autres le subjonctif :

*Je veux qu’il part


*Je vois qu’il parte
J’ai fourni la preuve qu’il est là
Il est regrettable qu’il soit là
* Il faut que tu viens

– d’autres laissent le choix entre les deux modes :

Je comprends qu’il est/soit venu


L’idée qu’il est/soit parti me rassure

Mais dans ce cas, on peut détecter une différence sémantique entre la


phrase à l’indicatif et celle au subjonctif. Par exemple comprendre suivi
du subjonctif signifie : « Je discerne les raisons pour lesquelles il est
venu. » Avec comprendre suivi de l’indicatif, on a affaire à un
commentaire de l’énonciateur sur sa propre pensée.
Il existe des opérations linguistiques qui peuvent déclencher
l’apparition du subjonctif, l’interrogation et la négation :

*Je crois qu’il vienne


Je ne crois pas qu’il vienne/vient
Crois-tu qu’il vienne/vient ?

Là encore le choix de l’un ou l’autre mode a une incidence sémantique


indéniable, mais qu’il n’est pas facile de caractériser [▶ SUBJONCTIF –
fiche 57] ;
Certains verbes qui appellent le subjonctif peuvent aussi appeler un ne
dit explétif :

Je crains qu’il ne parte

Ils forment une classe sémantiquement bien caractérisée : craindre,



redouter, avoir peur… [ NÉGATION. 1 – fiche 40].
Dans la subordination du discours indirect, les complétives sont
soumises à la concordance des temps [ ▶
DISCOURS RAPPORTÉ. 2 – fiche
21].

Paul a dit que Marie partirait (= partira)


16. Conditionnel

Le conditionnel, que certains préfèrent nommer « formes en -rais »,


constitue l’un des points les plus sensibles de la grammaire du
français, car l’on discute depuis plus d’un demi-siècle pour déterminer
s’il s’agit d’un mode à part entière ou seulement d’un temps de
l’indicatif. Aujourd’hui la plupart des linguistes l’intègrent dans
l’indicatif ; la question se déplace alors : étant donné leur
hétérogénéité, ses emplois peuvent-ils être expliqués par un principe
unique ?

1. LE DÉBAT SUR LE CONDITIONNEL


La grammaire traditionnelle a longtemps considéré le conditionnel
comme un mode, au même titre que le subjonctif ou l’indicatif.
À présent, on le considère en général comme un temps de l’indicatif, en
s’appuyant sur deux ordres de considérations :

– morphologiques : les formes du conditionnel combinent le -R-du


futur simple et le -ais de l’imparfait aux deux formes non
accomplie et accomplie : mangerais, aurais mangé. Elles
s’intègrent donc parfaitement à l’indicatif ;
– théoriques : le conditionnel était considéré comme un mode
(totalement ou partiellement) quand on avait une conception

essentiellement temporelle et aspectuelle [ ASPECT – fiche 8] des
temps verbaux. Or, en fait, l’ensemble de l’indicatif contribue à la
modalisation. Si l’imparfait, le futur simple, en particulier, ont eux
aussi des valeurs modales, il n’y a pas de raison de rejeter le
conditionnel, sous prétexte qu’il est riche en valeurs modales.

Se pose néanmoins la question de savoir si le conditionnel est


homogène, si ses emplois peuvent se ramener ou non à une valeur
fondamentale. On distingue en effet depuis longtemps entre des emplois
temporels et des emplois modaux, et beaucoup doutent que ces deux
ensembles puissent sans artifice être regroupés en un seul.
Dans ce manuel, nous nous contenterons de relever quatre grands types
d’emplois :

– ceux où le conditionnel intervient dans un système hypothétique ;


– ceux où il est lié à une prise de distance de l’énonciateur à l’égard
de ce qu’il dit ;
– ceux où il marque la postériorité par rapport à un repère passé ;
– les autres.

2. DANS LES SYSTÈMES HYPOTHÉTIQUES



Sur ce sujet on se reportera à la fiche [ HYPOTHÉTIQUES (SYSTÈMES -) –
fiche 30]. Le conditionnel peut apparaître ou non dans les deux membres
de l’hypothèse :

Je le saurais, je le dirais
Si tu le pensais, tu le cacherais

3. LA NON-PRISE EN CHARGE
Le locuteur en usant du conditionnel marque qu’il ne prend pas à son
compte ce qu’il dit. À cette valeur correspondent divers emplois.

■ L’information rapportée
C’est le cas du conditionnel journalistique (« Le général X aurait pris
le pouvoir ») qui rapporte les propos d’une source distincte de
l’énonciateur (« l’AFP », « les milieux bien informés »…). Plus
largement, on recourt au conditionnel pour énoncer une opinion ou un
propos que l’on se refuse à assumer :

Descartes développe une théorie nouvelle : la connaissance


serait…

■ La reprise
Le locuteur reprend le propos de son interlocuteur ou une proposition
impliquée par le propos de ce dernier, mais sans en assumer la
responsabilité. Selon les contextes, on aura divers effets de sens :

A : Paul est de retour


B : Il serait donc brouillé avec Hélène
Serait il malade ?
Quoi ! Il serait de retour ?

C’est quand il y a rejet que le refus de prendre en charge est le plus


net :

A : Tu veux m’aider ?
B : Moi, je t’aiderais ? Pourquoi je t’aiderais ?

Dans ce dernier exemple, la possibilité de paraphraser par « veux-tu »


(« Pourquoi veux-tu que je t’aide ? ») indique bien l’écart entre
l’énonciateur et l’instance qui prend le propos à son compte.
4. POSTÉRIORITÉ PAR RAPPORT À UN REPÈRE PASSÉ
Les emplois « temporels » du conditionnel sont liés à la concordance
des temps dans la complétive objet :

Je pensais/disais qu’il viendrait

On retrouve cet emploi au discours indirect libre [ ▶ DISCOURS


RAPPORTÉ. 4 – fiche 21].

Ce conditionnel de concordance est une forme symétrique du futur :

Je dis qu’il viendra


Je disais/j’ai dit qu’il viendrait

Entre le futur simple et le conditionnel est conservé le morphème -R-


de ce qui n’est pas réalisé. Le -ait permet d’indiquer qu’il ne s’agit pas

d’un vrai futur [ FUTUR. 1 – fiche 28], c’est-à-dire d’une visée à partir
du présent.

5. AUTRES EMPLOIS
Certains emplois font l’objet d’analyses diverses, qui les rapprochent
tantôt du conditionnel hypothétique, tantôt du conditionnel de non-prise
en charge qui impliquent tous deux une non-coïncidence de l’énonciateur
avec son assertion. C’est le cas en particulier des énoncés ludiques (« Tu
serais le roi et je t’aurais délivré… ») ou oniriques (« Nous aurions des
journées merveilleuses… »).
Le conditionnel permet également d’atténuer les énonciations qui
risquent d’être perçues comme agressives (« Je voudrais vous
demander… », « Seriez-vous disposé à l’aider ? ») ou les assertions trop
péremptoires (« On jurerait un bateau », « On dirait qu’il attend… »). Ici,
le recours à on permet d’affaiblir la frontière entre l’énonciateur et
d’autres sources d’énonciation, et ainsi de jouer entre ce qui est assumé et

ce qui n’est pas assumé [ ON. 2 – fiche 43].

Diachronie

Le conditionnel n’existait pas en latin classique. Il est issu d’une périphrase


modale du latin vulgaire qui combinait l’infinitif et l’imparfait de habere. De là
son étroite affinité avec le futur simple, constitué de l’infinitif et du présent de
habere. Ses emplois actuels sont déjà vivants en ancien français.
Au XVIIe siècle, l’association, aujourd’hui dénoncée par la norme, de si et du
conditionnel (« Si j’aurais su, je serais pas venu ») est en usage chez les meilleurs
auteurs :
« Je meure si je saurais vous dire qui a le moins de jugement » (Malherbe).
« S’ils auraient aimé ces promesses spirituelles […] leur témoignage n’eût pas eu
de force » (Pascal).
Là où aujourd’hui l’on utilise plutôt le conditionnel composé, on employait
souvent devoir, pouvoir, falloir à l’imparfait ou au passé composé : « Ah ! Vous
deviez (= “auriez dû”] du moins plus longtemps disputer » (Racine).
« Vous dont j’ai pu [= “aurais pu”] laisser vieillir l’ambition […] » (Racine).
17. Défini (article -)

Un GN est dit défini quand il est déterminé par le. Mais la diversité
des emplois de cet article est très grande, selon le type de noms
auxquels il est associé et le type d’énoncé dans lequel il s’insère. Il est
susceptible d’emplois où le référent du GN peut être identifié
indépendamment du contexte (valeur « générique ») et d’emplois
comme « désignateur », pour isoler un objet particulier dans un
contexte. En dépit de zones de recoupement, il a un fonctionnement
très différent des articles indéfinis et démonstratifs.

1. INTERPRÉTATION GÉNÉRIQUE ET NON GÉNÉRIQUE


On isole classiquement un emploi où l’article défini singulier réfère à
une classe (emploi générique). C’est le cas en (1), où le prédicat « – est
un produit culturel » empêche d’interpréter le livre comme désignant un
livre particulier (emploi spécifique), comme en (2) :

(1) Le livre est un produit culturel


(2) Le livre était sur la table

L’article indéfini lui aussi peut avoir ces deux valeurs, mais il ne
construit pas la référence générique de la même manière : alors que le
défini désigne directement l’espèce « livre », l’indéfini n’atteint l’espèce
qu’à travers l’individuel (« Un livre est un produit culturel »).
Un test qui permet de distinguer interprétations générique et
spécifique, c’est la dislocation du GN et sa reprise par ça :

Le livre/un livre, ça plaît à tout le monde (générique)


Le livre de Luc, *ça/il plaît à tout le monde (spécifique)

Le GN défini pluriel également peut désigner une classe : « Les chiens


sont des animaux fidèles » ; mais dans ce cas, la valeur générique est plus
faible, la classe est construite comme une totalité d’individus distincts
appréhendé collectivement.
Pour les noms qui ne sont pas comptables, la notion de « classe » n’est
pas pertinente. Ainsi le défini permet de désigner les espèces naturelles
« massives » (comme l’or, l’argent, l’eau…) ou les abstractions (la vérité,
la beauté…) ; autant d’entités qui n’ont pas de pluriel.

2. LES DESCRIPTIONS DÉFINIES


Lorsqu’il désigne un être particulier, un individu, le GN à article défini
constitue une description définie. Une description définie limite la
classe dont le nom présuppose l’existence à un seul individu, ou à
plusieurs si l’article est au pluriel : par exemple la classe des enfants à un
seul dans « L’enfant de Paulette est malade ». Le destinataire doit
disposer de connaissances extralinguistiques et mettre en œuvre diverses
stratégies pour reconnaître l’être ou les êtres particulier(s) qui dans un
contexte donné satisfont à cette description. En revanche, des GN comme
le chat (dans « Le chat est toujours rusé »), l’or ou la vérité ne
constituent pas des descriptions définies : la seule connaissance du sens
des noms suffit à les interpréter. Il en va de même pour des GN comme la
notion de justice ou le bonheur de dormir, qui sont « autonomes », qui
n’ont pas besoin d’être rapportés à un contexte particulier pour être
interprétés.
La description définie se distingue du nom propre en ce qu’elle décrit
son référent par une propriété, alors que le nom propre le désigne
directement. Le nom propre, en outre, doit désigner un objet déjà connu
du destinataire : pour comprendre « Paris est magnifique » il faut savoir
ce que désigne Paris, alors que dans « La capitale de la France est
magnifique », on identifie le référent à travers la propriété « être la
capitale de la France ».
Les descriptions définies sont parfois ambiguës. Dans la phrase :

L’auteur de ce roman est un homme sensible

le GN l’auteur de ce roman peut référer à un individu, par exemple


Balzac, que l’énonciateur connaît par d’autres propriétés (usage
référentiel), ou à un individu dont on ne sait qu’une seule chose, c’est
qu’il a écrit ce roman (usage attributif). Dans l’usage référentiel, on
pourrait substituer Balzac à L’auteur de ce roman.

3. ARTICLE DÉFINI ET CONTEXTE


Quand il désigne un individu, ou un groupe d’individus (cf. « Les
livres que j’ai achetés ») l’article défini doit présupposer que le
destinataire sera capable d’identifier le référent. Avec des GN tels le
président de la République ou les maisons de Paris, il suffit de savoir de
quelle République il s’agit ou de savoir ce qu’est Paris pour parvenir à
cette identification. Mais le plus souvent on doit faire appel à un contexte
plus immédiat. Ce contexte peut être :

– le contexte situationnel : « Prends la table », « La robe est


mouillée »… ;
– le contexte linguistique (dit aussi cotexte) : « Il était une fois un roi
et une reine. Le roi… ».

Mais l’identification du référent dans le contexte situationnel n’est pas


nécessairement évidente. Il peut être exigé du destinataire un
raisonnement plus ou moins compliqué, au succès incertain. Si
l’énonciateur dit :

À cette heure le bureau est fermé

il peut se faire que le destinataire hésite entre plusieurs référents. Il est


obligé de présumer que l’énonciateur respecte les normes de la
conversation et qu’il lui parle d’un bureau qu’il peut identifier : soit parce
que le destinataire le connaît déjà, soit parce qu’il dispose de
suffisamment d’indices pour le trouver.
Lorsque l’identification s’opère à travers le contexte linguistique, par
reprise d’un GN antérieur, celle-ci peut se faire par anaphore fidèle ou
infidèle [▶ ANAPHORE NOMINALE. 3 – fiche 3]. Dans ce cas, c’est parce
qu’il a déjà été mentionné, directement ou indirectement, que le référent
est présumé identifiable par le destinataire.

4. DÉFINI, INDÉFINI, DÉMONSTRATIF


Les locuteurs ont constamment le choix entre ces trois articles, dont les
interprétations se recoupent souvent (un comme le peuvent avoir valeur
générique, le et ce permettent tous deux de reprendre des GN
spécifiques…) mais qui obéissent à des logiques différentes :

– par opposition à l’indéfini, l’article défini spécifique est très


dépendant du contexte. L’indéfini se contente d’extraire un élément
quelconque d’une classe alors que le défini spécifique doit
s’appuyer sur une mémoire, un savoir acquis pour identifier le
référent. Il est relatif à un domaine de la réalité, à l’intérieur duquel
il doit isoler un ou plusieurs éléments ;
– les GN définis et démonstratifs permettent tous deux de référer à des
individus. Mais le défini est moins étroitement dépendant du
contexte d’énonciation que le démonstratif. Alors que le GN défini
donne une propriété qui permet de sélectionner un référent, le GN
précédé d’un démonstratif sélectionne celui-ci par proximité : soit
le référent est perceptible dans le contexte situationnel (« Prends ce
marteau »), soit il a été mentionné juste auparavant dans l’énoncé
(« Un homme entra. Cet homme… »).

Diachronie
À l’époque classique, dans certains cas, on n’employait pas l’article défini là où il
est à présent requis :
– avec des êtres uniques : Christ, ciel, enfer, terre, diable… ;
– avec des noms abstraits, personnifiés ou non : amour, nature, hasard… ;
– devant même antéposé à un nom : « Ils ne faisaient pas même jugement que lui »
(Vaugelas) ;
– dans certaines locutions verbales : avoir assurance, dire vérité, envoyer ordre,
couper chemin… Inversement, on mettait l’article défini là où aujourd’hui on ne le
met plus : faire la justice, lâcher le pied, faire la retraite… ;
– dans les superlatifs relatifs : les personnes plus élégantes (= les plus élégantes) ;
– devant des noms de pays, de fleuves ou de montagnes, mais c’est déjà archaïque
à cette époque : Égypte, Bretagne, Loire, Etna, Parnasse… Cet emploi était
essentiellement réservé aux GP : au bord de Loire, partir pour Égypte, etc.
Inversement, on trouvait le roi de la France ;
– dans les coordinations de parasynonymes : la vertu et bonté… Ce tour était très
prisé des écrivains du XVIe et du début du XVIIe. Vaugelas l’accepte encore.
Néanmoins, la tendance des grammairiens classiques est d’exiger partout la
présence de l’article.
18. Degré de l’adjectif

L’énonciateur ne se contente pas de qualifier les noms en employant


des adjectifs. Il peut aussi indiquer à quel degré cette qualification
s’applique au nom considéré. Mais cela implique un repère, un étalon,
qu’il soit explicite ou non. Ce sont les adverbes et les subordonnées,
surtout comparatives, qui sont les moyens privilégiés pour marquer
cette évaluation. Par ailleurs, les énoncés exclamatifs sont eux-mêmes
étroitement liés à l’expression du haut degré.

1. DEGRÉ ET NORMES
L’évaluation en degré suppose une norme tacite, relative à des
représentations socioculturelles. Dire de quelqu’un qu’« il est très bête »,
c’est dire qu’il possède un degré élevé de bêtise eu égard à la norme
d’intelligence de l’objet considéré. En effet, selon que « il » désigne un
chien ou un humain, la norme de référence change d’autant. De là parfois
le besoin de préciser cette norme : « Il est peu intelligent pour un berger
allemand. »
Si le degré affecté à un terme est inférieur, supérieur ou conforme à
une certaine attente, on fait intervenir des adverbes comme trop/trop peu,
pas assez, insuffisamment/assez, suffisamment… Dans ce cas c’est
l’adéquation à ce degré attendu qui est évaluée et nullement la propriété
en elle-même. Si l’on dit de quelqu’un qu’il est « très intelligent » on
affirme qu’il est intelligent ; en revanche, si l’on dit qu’il est « trop
intelligent pour ce poste », on parle seulement de l’intelligence requise
pour ce poste.

2. L’ÉVALUATION SANS REPÈRE EXPLICITE


Un certain nombre d’adverbes et de locutions adverbiales jouent le
rôle d’intensifs forts ou faibles :

Il est vraiment/peu intelligent


Il marche peu/extrêmement lentement
Il est gentil au plus haut point

Un marqueur de degré peut même porter sur un autre :

Il est très modérément doué

Pour l’intensité forte, citons très, beaucoup… mais aussi un ensemble


considérable d’adverbes suffixés par -ment : énormément, vachement,
extrêmement, rudement… Pour l’intensité faible le couple peu/un peu ou
encore faiblement, vaguement… Entre les deux l’intensité moyenne n’est
pas riche en marqueurs : moyennement, plutôt, passablement, assez… En
règle générale, il y a une disproportion considérable entre l’abondance
des marqueurs d’intensité forte et le caractère réduit des deux autres
ensembles.
Pour marquer l’intensité forte ou faible, la langue dispose d’autres
procédés que les adverbes : l’emploi d’adjectifs de sens intensif (génial,
extrême, infime…), de préfixes (hypermalin, superdoué, archinul,
ultrarapide, suractif/sous-doué…), de locutions (« On ne peut plus bête,
« Bête comme tout »…), la répétition de l’adjectif (« un monde fou fou
fou »). Le suffixe -issime (brillantissime) n’a jamais vraiment réussi à
s’implanter.
On recourt souvent à des comparaisons avec des stéréotypes qui
incarnent en quelque sorte la possession d’une qualité à son degré le plus
élevé : « Fidèle comme un chien », « Fort comme un Turc »…
On peut aussi recourir à des compléments figés, à l’infinitif : fou à lier,
bête à pleurer, etc.
Mais tous les adjectifs ne sont pas susceptibles de variation en degré :
outre les adjectifs relationnels [▶ ADJECTIF. 6 – fiche 1], c’est le cas de
ceux qui expriment des propriétés non graduables : rectangulaire,
dernier, principal, éternel…

3. LA COMPARAISON
Quand il y a comparaison, le contexte fournit un point de repère ; le
plus souvent il s’agit d’un autre terme affecté de la même propriété ou de
deux propriétés distinctes affectées au même individu (comparatifs de
supériorité, d’infériorité, d’égalité) :

Elle est plus/moins/aussi bête que Luc


Il est aussi stupide que méchant


[ COMPARAISON – fiche 14]
C’est ici que se rencontrent les exceptions morphologiques
bon/meilleur, petit/moindre, mauvais/pire héritées de l’ancien français ;
mais seule la première paire est vivante. Moindre relève de l’usage
soutenu et l’on entend « plus/moins pire », indice que pire tend à être
remplacé par plus mauvais.

4. LE SUPERLATIF
Le degré peut également se marquer en plaçant le terme sur la limite
supérieure ou la limite inférieure d’un ensemble de référence. Dire de
Paul qu’il est « l’élève le plus/le moins intelligent de la classe », c’est
prendre un ensemble d’éléments affectés d’une propriété (l’intelligence)
et isoler celui ou ceux qui se trouvent au minimum et au maximum.
Comme pour la comparaison, il s’agit d’une évaluation relative ; « le plus
intelligent » d’un groupe peut fort bien ne pas être intelligent, « le moins
intelligent » être quand même intelligent : tout dépend de l’ensemble de
référence. Le caractère superlatif est à son tour renforçable en degré :

La fille de loin/de beaucoup la plus gentille

L’ensemble de référence peut être limité (« le moins beau de la


maison », « le plus intelligent que j’aie rencontré ici ») ou illimité (« le
plus beau du monde », « le plus intelligent qui soit ») ; dans ce dernier
cas, on parcourt mentalement un ensemble maximal pour dire qu’on a
beau envisager quelque élément que ce soit, aucun n’est supérieur à
l’élément considéré. Quand l’ensemble de référence est fourni par une
relative, celle-ci est au subjonctif, précisément parce qu’il y a parcours

d’un champ de possibles [ SUBJONCTIF. 3 – fiche 56].
La syntaxe de ces superlatifs relatifs pose de délicats problèmes. Elle
mobilise deux structures de GN, l’une avec antéposition du GA, l’autre
avec postposition :

(1) Le chien le plus gentil


(2) Le plus gentil chien

Dans l’exemple (1), il y a deux occurrences de le et dans l’exemple (2)


une seule. L’existence de ces deux structures embarrasse les
syntacticiens : s’agit-il de deux structures distinctes ou de la même avec
seulement une variation de la place de l’adjectif ? Dans l’exemple (2), le
se trouve-t-il placé en facteur commun ? Les deux le de l’exemple (1)
ont-ils la même valeur ?
On prendra garde à ne pas confondre le plus gentil chien et le plus
gentil des chiens. Le premier est le superlatif d’un ensemble délimité. Le
second est ambigu, puisqu’il peut aussi recevoir une valeur d’intensif : si
« les chiens » désigne tous les chiens imaginables, le GN s’interprète
comme « un chien extrêmement gentil ».
5. EXCLAMATIVES
Les marques de degré entretiennent une relation essentielle avec les
phrases exclamatives, qui ont la particularité de permettre à leur
énonciateur d’exprimer le haut degré d’une propriété.
Même si l’on se limite aux adjectifs et aux adverbes, leur
regroupement s’opère sur des critères interprétatifs, et non sur la base
d’une identité de structure. On trouve en effet des constructions très

variées [ TYPES ET FORMES DE PHRASES. 2 – fiche 61].
Le haut degré permet également de construire un certain type de
subordonnées consécutives : « Il est si malin qu’il a fait illusion ».

Diachronie
Au XVIIe, l’interprétation superlative s’appliquait à des structures qui aujourd’hui
sont comparatives : « les personnes plus galantes » pouvait ainsi signifier « les
personnes les plus galantes ». C’était l’absence d’une comparative qui orientait
vers l’interprétation superlative. Ce tour était possible même lorsque le superlatif
était suivi d’une relative :
« C’est une des grandes erreurs [= une des plus grandes erreurs] qui soient parmi
les hommes » (Molière).
À cette époque, dans ce type de relatives, on employait beaucoup moins le
subjonctif que l’indicatif (en y incluant le conditionnel). Tout au long des XVIe et
e
XVII siècles, les grammairiens ont réclamé l’insertion d’un article défini, lequel
s’est imposé définitivement à la fin du XVIIe.
Le superlatif en -issime a été emprunté à l’italien au XVIe siècle, mais sauf
exceptions (rarissime, richissime) ou volonté de calquer le latin, son emploi a le
plus souvent témoigné d’une intention plus ou moins ludique.
19. Démonstratifs
(déterminants
et pronoms)

Quand on évoque les démonstratifs on pense habituellement à des



éléments déictiques [ EMBRAYEURS – fiche 23] qui sont censés montrer
en quelque sorte du doigt des référents visibles dans la situation
d’énonciation. En réalité, la valeur du démonstratif, qu’il soit
déterminant ou pronom, ne se ramène pas à ce geste élémentaire
d’ostension comme le révèlent nombre de ses emplois (en particulier
les anaphores ou les formes renforcées en ci/là).

1. MORPHOLOGIE DES DÉMONSTRATIFS


Pronoms ou déterminants, les démonstratifs sont construits sur une
base c- et susceptibles d’une forme simple et d’une forme renforcée qui
utilise – ci/là. Le déterminant varie en genre au singulier mais le pluriel
neutralise cette opposition.

■ Déterminants

Masculin Féminin
Forme simple Singulier ce (t) cette

Pluriel ces

Forme renforcée Singulier ce (t)… ci/là cette… ci/là

Pluriel ces… ci/là

À la forme renforcée, le nom s’intercale entre la partie variable et la


partie invariable du déterminant.

■ Pronoms

Masculin Féminin Neutre

Simple Singulier celui celle ce/c’


ceci/cela
ça

Pluriel ceux celles

Renforcée Singulier celui-ci/là celle-ci/là

Pluriel ceux-ci/là celles-ci/là

Les éléments de la série celui-celle-ceux-celles sont toujours


déterminés par un complément, dans leurs emplois anaphoriques (« Mon
chien est malade ; celui de Sophie non/*celui non ») comme dans leurs
emplois non anaphoriques (« Ceux qui ont de l’argent s’en sortent
toujours »/« *Ceux s’en sortent toujours »). En revanche, la série en
celui-ci n’a pas besoin de détermination supplémentaire : « Je préfère
celui-ci. »

2. SÉMANTIQUE DU DÉMONSTRATIF
En employant le démonstratif déictique le locuteur réfère à un objet
qui est présupposé exister et se trouver dans l’environnement immédiat
de l’occurrence de ce démonstratif. Comme pour tout embrayeur, il faut
donc prendre en compte le moment et le lieu de l’énonciation. Mais le
démonstratif est beaucoup moins précis que des embrayeurs comme je ou
demain, lesquels fixent un référent bien identifié : hors d’une énonciation
singulière, ce + Nom et ça visent un référent indéterminé. Bien souvent le
démonstratif désigne un référent que l’on ne peut pas isoler et montrer
effectivement : cette nuit, cette vie…
On ne peut pas disjoindre les emplois anaphoriques et déictiques.
Dans :

Regarde ce livre/ça

les démonstratifs qu’ils soient anaphoriques ou déictiques, jouent un


rôle comparable, permettant de référer de manière directe à un objet
présent dans le contexte énonciatif, mais la notion de « contexte » n’est
pas identique dans les deux cas. On doit distinguer en effet entre :

– les démonstratifs pour lesquels le contexte est d’ordre textuel


(« co-texte ») ;
– les démonstratifs dont le contexte est l’environnement physique
des interlocuteurs.

Il existe toutefois des emplois où le déterminant démonstratif n’est ni


anaphorique ni situationnel, mais où sa référence est donnée par le
groupe nominal même qu’il introduit. Certains parlent d’emploi
« cataphorique » [ ▶ ANAPHORE NOMINALE. 1 – fiche 3], mais cette
dénomination ne fait pas l’unanimité. Ce type de démonstratif entre dans
trois structures distinctes :

– la généralisation de cas particuliers : « L’homme portait cette veste à


carreaux que les marins affectionnent. » La subtilité de ce tour est
de susciter une connivence avec le destinataire ; on feint de lui
rappeler un référent qu’en fait il reconstruit grâce aux éléments qui
complètent le nom ;
– le rappel d’une expérience personnelle : « Élise songea à cette
maison qu’elle aimait tant » ;
– une relation d’identité entre le nom tête et son complément : « Ta
solution a cet avantage qu’elle ne dérange personne » (= ne
déranger personne est un avantage).

3. L’OPPOSITION « -CI/-LÀ »
On a coutume d’interpréter en termes naïvement spatiaux l’opposition
entre les formes en -ci et celles en -là : à l’un le proche, à l’autre le
lointain. En fait, la plupart du temps, la forme en -là neutralise
l’opposition, si bien que l’on est obligé de recourir à des formes
renforcées (celui-là là, celui là-bas…) pour désigner un référent non
proche.
Ceci se distingue de cela moins en termes de proche ou de lointain
qu’en ce que ceci réfère à quelque chose de bien délimité alors que cela
n’est pas contraint. On comprend, dès lors, que ceci ne puisse
anaphoriser un générique, qui par définition ne vise pas un objet
particulier : « La paresse, ça/cela (*ceci) ne mène à rien. »
Le morphème -là peut être exploité à des fins d’évaluation : cet
homme-là peut prendre soit une valeur péjorative, soit une valeur
laudative, la distance pouvant être interprétée dans les deux sens. Quant à
la notion même de « non proche », elle est également ambiguë : il peut
s’agir de ce qui est distant des interlocuteurs mais dans le même espace,
ou de ce qui appartient à un espace tout autre :

En ce temps-là vivait un roi… (légende)

4. LES PRONOMS NEUTRES


Pour ce, on consultera la fiche correspondante [ ▶ CE – fiche 11].
Les pronoms ceci, cela, ça permettent de désigner des référents qui ne
sont pas rangés dans une catégorie : « Prends ceci ! », « Tu appelles ça
comment ? ». Dans ces conditions, s’en servir pour référer à un humain
est perçu comme très péjoratif : on le présente comme in-nommable. On
l’a vu, ça, et plus rarement cela, peuvent reprendre un GN à valeur
générique.
Ces pronoms sont également très utilisés pour les anaphores

résomptives [ ANAPHORE. 1 – fiche 3] quand il faut reprendre une unité
de taille égale ou supérieure à la phrase, unité par définition dépourvue
de genre et de nombre :

Paul est tombé malade. Ceci/cela/ça l’a déprimé

Mais l’emploi de ceci comme anaphorique est peu fréquent, si l’on


excepte des tours tels ceci dit.

Diachronie
Alors qu’en ancien français des éléments comme cist ou cil étaient à la fois
pronoms et déterminants, au XVIIe siècle il se produit comme pour les possessifs
une dissociation entre les formes des deux catégories.
Le déterminant actuel ce(t) est issu de cist et non du pronom neutre ce. On
l’employait dans certains contextes d’où il a disparu, en particulier pour les dates :
« Paris, ce huit mai. » Sa forme renforcée en -ci était en concurrence avec ce N ici.
On a discuté pour savoir s’il fallait préférer « cet homme-ci » ou « cet homme
ici ». Vaugelas préférait ici pour la conversation. À la fin du siècle ici est jugé
archaïque mais -ci passe encore pour légèrement familier. Quant à celui/celle
déterminants, ils sont alors perçus comme franchement désuets, sauf dans
quelques tours (cf. « à celle fin que… »).
Par calque du latin, on employait parfois le déterminant démonstratif avec une
valeur de possessif de 1re ou 2e personne : ce dans « les maux de ce cœur abattu »
(Corneille) réfère au cœur de l’énonciateur.
Les pronoms renforcés ceci/cela sont des créations du moyen français, à partir de
ce. Quant à ça, c’est une forme abrégée de cela. Au XVIIe, ça est perçu comme
marqué, tantôt vulgaire, tantôt élégant.
Il subsiste quelques archaïsmes dans la première moitié du XVIIe. Ainsi le pronom
icelui ou cestui/cettui déterminants et pronoms (plutôt cettui comme déterminant
et cettui-ci/cette-ci comme pronoms). Ils sont remplacés par celui/celle-ci.
Là où le français moderne emploie celui/celle devant un relatif ou un GP, le début
du XVIIe utilisait parfois l’archaïque cil ou celui-là : « Un mari de ceux-là qu’on
perd sans pleurer » (La Fontaine). Il existait par ailleurs un emploi de celui-là
comme pronom neutre : « Celui-là se pourrait faire » (Molière).
On notera un tour fréquent : ceux de pour « les gens de ». Ainsi ceux
d’aujourd’hui, ceux de Paris, etc. L’expression « Il n’y a celui qui », vivante au
début du XVIIe, signifiait : « Il n’y a personne qui ».
20. Dérivation

La notion de dérivation recouvre à la fois la préfixation et la


suffixation. Elle s’oppose à ces autres modes de construction d’unités
lexicales que sont la composition et la flexion. La tradition
grammaticale parle de « dérivation impropre » pour un processus
d’une nature très différente : les recatégorisations d’unités. En
français, la dérivation pose de nombreux problèmes, en particulier
parce que beaucoup de dérivés sont construits directement à partir des
étymons latins et que les préfixes ou suffixes de bien des mots sont
désémantisés.

1. PROBLÈMES DE DÉFINITION
La dérivation est une procédure de construction d’unités lexicales par
adjonction d’un affixe (préfixe ou suffixe). En principe, le sens de la
nouvelle unité « dérive » de celui de la première de manière plus ou
moins prédictible. La suffixation diffère de la flexion, qui ajoute elle
aussi des affixes mais pour constituer des paradigmes morphologiques
fermés et au sens totalement prédictible (conjugaisons d’un verbe,
déclinaisons d’un nom…). On oppose la dérivation à la composition qui
combine des unités susceptibles par ailleurs d’un usage autonome : porte-
clés sera donc un mot « composé » puisque clé et porte s’emploient dans
d’autres contextes en tant qu’unités autonomes. En revanche,
recommencement sera un dérivé puisque ni re- ni -ment ne peuvent
fonctionner indépendamment du terme auxquels ils sont adjoints. Mais il
n’est pas toujours facile de trancher entre composition et dérivation :
avant-coureur ou notion clé, par exemple, peuvent poser problème.
Les préfixes sont adjoints devant le « terme de base », les suffixes
après lui. Mais cette différence est associée à une autre, décisive : les
préfixes, en général, ne modifient pas la catégorie du terme de base alors
que les suffixes le font (à l’exception des suffixes péjoratifs (noir →
noirâtre) ou diminutifs (maison → maisonnette). On notera néanmoins
que le préfixe anti- tend à convertir les noms en adjectifs : femme
(nom)/antifemme (adjectif). Alors qu’un certain nombre de préfixes
jouent par ailleurs un rôle de prépositions ou d’adverbes (sur ou contre
par exemple), les suffixes n’ont jamais d’emploi autonome. En outre, les
mêmes préfixes peuvent s’ajouter à des termes de catégories variées (pré-
dire (verbe), prédiction (nom), pré-électoral (adjectif)), tandis que les
suffixes sont spécialisés : -tion pour les noms, -al pour les adjectifs, etc.
On parle de parasynthétique quand un terme reçoit à la fois un
préfixe et un suffixe : désinsectiser ou aguerrir, par exemple, car il
n’existe pas de verbe *insectiser ou *guerrir.

2. LA DÉRIVATION IMPROPRE
Alors que dans la dérivation canonique c’est seulement l’adjonction
d’un suffixe qui peut déclencher le passage à une nouvelle catégorie
(passer (verbe) → passeur (nom)), dans la dérivation impropre le
changement de catégorie n’implique aucune suffixation : passant (verbe)
→ un passant (Nom).
La dérivation impropre concerne surtout les noms, qui jouent un rôle
d’adjectif (une ambiance banlieue), ou les adjectifs, qui jouent un rôle
d’adverbe (taper fort).
Mais cette notion de « dérivation impropre » recouvre des phénomènes
hétérogènes. Par exemple le fait que la préposition sauf provienne de
l’adjectif sauf, ou l’interjection Diable ! du nom diable n’a pas grand-
chose à voir avec le fait que l’on puisse utiliser un nom comme adjectif
(« Il a l’air très député de droite ») ou comme adverbe (« Pensez
France »). Dans le premier cas, il s’agit de phénomènes diachroniques
lexicalisés, dans le second, de processus réguliers, liés à la créativité
lexicale.

3. PRODUCTIVITÉ ET IMPRODUCTIVITÉ
En matière de dérivation on ne confondra pas le point de vue
synchronique et le point de vue diachronique. Nombre d’affixes en
effet ne sont perceptibles que si l’on fait intervenir l’étymologie : ainsi
re- dans remuer ou très- dans tressaillir, ou -age dans rivage. La
commutation le montre bien : muer n’est plus aujourd’hui à remuer ce
que faire est à refaire. En principe, pour qu’il y ait dérivation, il faut
qu’en synchronie le mot puisse s’analyser en ses divers composants à
l’intérieur de paradigmes. Malheureusement, la perception de ces
composants varie selon les individus, en particulier selon leur degré
d’instruction.
Le français, comme les autres langues romanes, présente un système
dérivationnel complexe, qui fonctionne tantôt à partir des étymons latins
(dérivation dite savante), tantôt à partir de mots français (dérivation dite
populaire). On a même quelquefois des processus parallèles : loyal
adjectif dérivé du français loi fait ainsi face à légal dérivé du latin legem,
l’étymon de loi. Alors que l’on s’attendrait à trouver des suffixations
comme concevoir → concevage/conceveur on utilise
conception/concepteur, fabriqués à partir du supin latin conceptum. Cette
situation oblige les lexicologues à postuler des formes qui n’existent que
pour l’analyse lexicologique : ainsi, pour décevoir, une forme décept-
permet de rendre compte de termes comme déception ou déceptif.
Ce qui importe, c’est la productivité des affixes, c’est-à-dire leur
aptitude à permettre la création de mots nouveaux, puisqu’un affixe qui
n’est plus productif tend à se désémantiser. À la différence des affixes
flexionnels (par exemple les désinences des conjugaisons), les affixes
dérivationnels sont en prise directe sur l’évolution culturelle. Certains
préfixes savants sont très productifs (archi-, extra…) alors que d’autres,
populaires, sont devenus stériles (mes-, très-). De même, il y a des
suffixes pratiquement tombés en désuétude (-ard, -oir) alors que d’autres
sont très vivants (lav-euse, centrifug-euse…) ; pour les noms de lieux
d’activité, la palme revient sans conteste à -erie (jardinerie, solderie…).

4. CLASSEMENT DES SUFFIXES


On classe les suffixes de diverses manières : selon leur origine
(française, latine, grecque…), selon leur caractère savant ou non, selon le
type de discours qui les emploie, selon leur productivité… Mais
l’essentiel, c’est évidemment leur sens et la catégorie qu’ils confèrent au
terme de base. Signalons :

– parmi les suffixes nominaux : les suffixes d’action (-tion, -age…),


ceux de qualité (-isme, -ité…), ceux d’origine (Land-ais, Chin-
ois…), etc. ;
– parmi les suffixes adjectivaux : certains s’associent à des verbes (-
able, -ible, -uble (= « qui peut être ») ou -ant (= « qui fait l’action
de »)), d’autres à des noms (cultur-el) ou à des adjectifs (bleu-
âtre) ;
– parmi les suffixes adverbiaux : -ment est aujourd’hui le seul
productif ;
– parmi les suffixes verbaux : -ifier, -ailler, etc.

Comme le suffixe modifie la plupart du temps la catégorie du terme de


base, il a une grande incidence sur la syntaxe. Comment en rendre
compte ? Sur ce point il existe deux tendances. Beaucoup considèrent
que les suffixes sont des morphèmes grammaticaux, au même titre que la
marque du pluriel ou celle de l’imparfait ; d’autres y voient de véritables
unités lexicales, qui en tant que telles auraient un signifié, un signifiant et
une appartenance catégorielle. Dans cette perspective, on dirait que -age,
par exemple, est un nom, mais qui aurait la propriété de ne pas avoir
d’emploi autonome. Cela impliquerait que -age dans un mot comme
ratage ne soit pas considéré comme un suffixe du verbe rater mais que le
radical rat- selon l’élément qui lui est adjoint serait un verbe (rat-er) ou
un nom (rat-eur, rat-age…). Ce sont là des problèmes ouverts.
21. Discours rapporté

Pris au sens large, le discours rapporté inclut toutes les formes de


présence d’un discours dans un autre discours : allusions, mots entre
guillemets, modalisation diverses (« d’après X », « selon Y », etc.).
Mais les grammairiens s’intéressent traditionnellement surtout aux
procédés véritablement grammaticalisés. La langue dispose de deux
stratégies complémentaires pour inclure une énonciation dans une
autre, pour gérer la relation entre un discours citant et un discours
cité : le discours direct et le discours indirect. Comme ce sont deux
procédés indépendants, que le discours indirect ne résulte pas d’une
transformation du discours direct, il faut envisager chacun d’eux dans
sa spécificité énonciative. À côté de ces deux stratégies majeures, le
discours indirect libre offre une troisième voie à la citation, mais il ne
possède pas de structure linguistique propre.

1. DISCOURS DIRECT
Le discours direct n’est pas la reproduction fidèle du discours cité
mais un mode de présentation de celui-ci dans lequel le rapporteur met en
quelque sorte en scène la parole de l’énonciateur cité, qu’elle soit réelle
ou imaginaire (« Il pourrait me dire : “Viens !” »). Le discours direct
dissocie les deux situations d’énonciation, citante et citée, il conserve à
chacune son JE, son TU, ses repérages spatiaux et temporels, ses traces

de subjectivité énonciative [ EMBRAYEURS – fiche 23]. À l’écrit, ce sont
les guillemets qui matérialisent la frontière entre ces deux domaines
énonciatifs :

« Je pars, idiot », m’a-t-il dit hier

Le fragment de discours cité (« Je pars, idiot ») relève d’une autre


situation d’énonciation que le discours citant : les deux je ne renvoient
donc pas au même énonciateur, le présent de pars correspond à un passé
(hier) pour le discours citant. Quant au nom de qualité, idiot, expression
d’un jugement de valeur, il est attribué à l’énonciateur du discours cité,
nullement au rapporteur.
Il existe une forme atypique, le discours direct introduit par que. En
voici un exemple :

Il ajoute que « Luc ne doit pas se laisser faire. Moi, je vous


dis que ça évolue maintenant dans le bons sens »

En dépit de que, il y a ici discours direct et non discours indirect parce


que le repérage des embrayeurs se fait par rapport à la situation
d’énonciation du discours cité. Cette forme de discours rapporté,
constamment présente dans l’histoire de la langue, mais marginalisée,
connaît aujourd’hui un développement certain dans la presse écrite, qui
voit là un moyen de préserver l’authenticité des propos sans recourir au
discours indirect libre (voir infra 4).

2. DISCOURS INDIRECT
Le discours indirect, au contraire, ne dissocie pas les deux situations
d’énonciation : celle du discours citant ôte toute autonomie à celle du
discours cité. D’un point de vue syntaxique, le discours indirect est une
complétive objet du verbe ou une interrogative indirecte que rien ne
distingue des autres complétives ou interrogatives. Seul le sens du verbe
introducteur indique que l’on a affaire à du discours rapporté dans
l’exemple suivant :
Paul a dit que j’avais tort

Comme il n’y a plus qu’une seule situation d’énonciation, les marques


de subjectivité, les repérages spatiaux et temporels, les personnes sont
ceux du discours citant. La concordance des temps (ainsi dans l’exemple
ci-dessus l’imparfait du verbe de la complétive) manifeste cette perte
d’autonomie du discours cité. Dans l’énoncé :

Paul m’a avoué que ce salaud m’avait fait du tort

le TU du discours cité est ainsi converti en un JE (m’), le JE en une 3e


personne (Paul) ; quant au nom de qualité salaud, il est attribué au
rapporteur bien qu’il soit placé dans la complétive. Certes, il n’est pas
exclu que Paul partage ce jugement de valeur mais rien dans
l’énonciation ne permet de l’affirmer.
Le discours indirect, à la différence du discours direct, ne prétend
restituer que le sens du discours cité, non ses mots, même si, de fait, il
reprend le vocabulaire de celui qu’il cite. À moins que l’on ait une
indication explicite :

Il m’a raconté que je risquais gros ; ce sont là ses propres


termes

Citer au discours indirect donne ainsi toute latitude pour paraphraser le


discours cité comme on l’entend, pour l’allonger ou le raccourcir. Ce type
de citation s’appuie sur l’extraordinaire possibilité qu’offre la langue de
condenser ou de développer l’information autant qu’on le veut.

3. L’INTRODUCTION DES DISCOURS DIRECT ET


INDIRECT

Pour être interprété comme tel, le discours rapporté doit être signalé.
L’écart entre discours citant et cité n’est pas marqué de la même manière
dans les deux stratégies.

■ Discours direct
Au discours direct les moyens sont variés : un verbe de communication
en tête (il a dit : « … ») ou en incise (dit-il), ou simplement une rupture
syntaxique (il s’est assis : « … »). À l’écrit, on dispose de signes
typographiques (tiret, guillemets, deux points) ; à l’oral on peut changer
d’intonation, d’accent, etc., pour manifester le changement d’instance
d’énonciation.

■ Discours indirect
Son identification est liée à la présence d’un verbe approprié dans la
phrase principale : dire, répondre, murmurer… Ce verbe, à l’exception de
dire, oriente l’interprétation du discours cité. Si l’on dit : « Paul a avoué
qu’il avait vu Marie », cela présuppose que le fait de voir Marie constitue
une faute. Dire : « il a rétorqué » donne une tournure plus agressive
qu’« il a répondu », etc.

4. LE DISCOURS INDIRECT LIBRE


À côté des discours direct et indirect, il faut faire une place au
discours indirect libre (DIL) qui se situe sur un autre plan. Ce n’est pas,
en effet, une forme grammaticalisée de discours rapporté : on interprète
comme discours indirect libre des énoncés qui, dans un autre contexte,
pourraient être interprétés autrement.
À un premier niveau, on peut caractériser ce DIL de manière négative,
comme du discours rapporté qui présente des traits de discours direct et
de discours indirect mais ne coïncide ni avec l’un ni avec l’autre :

Elle souffla un moment. Mon Dieu ! qu’il y avait donc une


mauvaise odeur, dans la loge de cette sans-soin de
Mathilde ! Il y faisait bon, une de ces tranquilles chaleurs
des chambres de Provence, au soleil d’hiver ; mais,
vraiment, ça sentait trop l’eau de lavande gâtée, avec
d’autres choses pas propres. Elle ouvrit la fenêtre […].
Zola, Nana, chap. IX.

En dehors de ce contexte, rien ne permettrait de voir là du discours


rapporté. La présence d’imparfaits (il y avait, il y faisait, etc.) à la place
de présents rappelle la concordance des temps du discours indirect. D’un
autre côté, les expressions exclamatives, le caractère « parlé » du
fragment relèvent plutôt du discours direct.
Pour donner une caractérisation positive du DIL, on se réfère en
général à la théorie polyphonique de M. Bakhtine pour qui le DIL
laisserait percevoir la « discordance de deux voix », celle du narrateur et
celle du personnage. Ce ne sont pas deux véritables locuteurs qui sont
perçus à travers cette citation mais plutôt deux points de vue énonciatifs ;
si bien que le destinataire est incapable de séparer rigoureusement dans
l’énoncé les mots qui viennent du narrateur et ceux qui viennent du
personnage.
Le DIL n’a pas de mode d’introduction spécifique, comme le discours
direct ou le discours indirect ; c’est le contexte qui oriente le destinataire
vers l’hypothèse qu’il s’agit d’une citation. Mais sa parfaite intégration
dans le fil du récit a pour conséquence que bien souvent il est difficile,
voire impossible, de déterminer exactement où il commence et où il finit.
Le DIL joue un rôle important dans la narration littéraire car il permet
de restituer la subjectivité du personnage tout en intégrant sa parole ou sa
pensée à la dynamique de la narration. Mais on le rencontre aussi à
l’oral :

J’arrive. Il se met à crier. On l’a roulé, mais il va pas se


laisser faire, il va prévenir la police. J’ai eu du mal à le
calmer
22. Discours/récit
(plan embrayé/
non embrayé)

Établie par É. Benveniste à la fin des années 1950, cette distinction


destinée à analyser les temps en français a permis de mettre en
évidence l’hétérogénéité de l’indicatif, partagé entre deux types
d’énonciation, le discours et le récit. Contre une vision réductrice des
langues naturelles, il apparaît ainsi impossible de séparer la référence
au monde et la manière dont l’énonciateur se situe par rapport à son
propre énoncé.

1. PASSÉ SIMPLE ET PASSÉ COMPOSÉ


Contrairement à un préjugé très répandu, ces deux « temps » ne sont

pas réellement en concurrence comme deux passés perfectifs [ ASPECT.
1 – fiche 8] ; on ne peut pas non plus dire que l’un soit plus élégant que
l’autre. En fait, ils appartiennent à deux systèmes énonciatifs distincts : le
discours et le récit (Benveniste parle en fait d’« histoire » non de
« récit »). L’indicatif n’est donc pas homogène : le passé simple
(Benveniste le nomme aussi « aoriste ») est le temps de base du récit ;
quant au passé composé, c’est le passé perfectif du discours. L’imparfait
est commun à ces deux sous-systèmes ; en tant que forme imperfective, il
s’oppose de la même manière à la perfectivité du passé composé et du
passé simple.

2. UN RAPPORT DIFFÉRENT À LA SITUATION


D’ÉNONCIATION

Le récit est le système à travers lequel le locuteur pose son énoncé


comme coupé de sa situation d’énonciation. Le texte semble s’énoncer
tout seul. En sont exclus le couple JE-TU, les oppositions temporelles
entre présent, passé et futur, puisqu’elles sont fondées sur le présent de
l’énonciation, mais aussi les multiples traces d’intervention de
l’énonciateur (exclamations, jugements de valeur, interrogations…). Il
s’agit en général de narration où les verbes au passé simple assurent la
dynamique, tandis que ceux à l’imparfait s’inscrivent dans les énoncés

qui ne font pas progresser l’histoire [ IMPARFAIT. 2 – fiche 31] :

Luc prit le livre et l’ouvrit. Il était écrit en grec. Il le


referma. Le froid l’envahissait

Un texte au « récit » est un système clos dans lequel les énoncés


s’appuient les uns sur les autres. En revanche, les énoncés qui relèvent du
« discours » prennent leurs repères dans la situation d’énonciation, celle
d’une interaction entre un JE et un TU inscrits dans un ICI-

MAINTENANT [ EMBRAYEURS – fiche 23]. Le « discours » est de loin
le système énonciatif dominant puisque la très grande majorité des
énoncés sont en prise sur leur situation d’énonciation.
On peut synthétiser cela dans un tableau :

Discours Récit

Repérage par rapport à la situation En rupture avec la situation


d’énonciation d’énonciation
Passé composé/Imparfait

Présent Passé simple/Imparfait
↓ ↓
Futur simple/périphrastique (Prospectif)

Oral et écrit Écrit

Usage non spécifié Usage surtout narratif

Traces de subjectivité énonciative Sans traces de subjectivité


énonciative

Par « prospectif », Benveniste entend non un véritable « temps » mais


les périphrases dont dispose le « récit » pour anticiper sur la suite des
événements (« César devait/allait mourir peu après »). Ce n’est pas un
vrai futur, soumis à l’incertitude, mais plutôt l’expression de
l’inéluctable.

3. QUELQUES CONTRESENS À ÉVITER


La distinction entre « discours » et « récit » est la source de bien des
malentendus. Il s’agit de systèmes d’énonciation et non d’ensembles
d’énoncés effectifs. Les textes attestés mélangent bien souvent des deux
types d’énonciation. Le « récit » est constamment traversé par des
fragments qui relèvent du « discours » (interventions de l’énonciateur,
citations au discours direct…). Il est plus rare que le « discours » soit
traversé de « récit » : la rupture avec la situation d’énonciation implique
en effet une prise de distance contraignante.
Si « discours » et « récit » sont définis par leur rupture ou leur non-
rupture avec la situation d’énonciation, il s’ensuit que le passé simple,
temps de base du « récit », est certes une forme du passé mais une forme
qui marque avant tout une coupure énonciative : de là son emploi
privilégié par la narration littéraire, où l’on n’oppose pas ce passé à un
présent et à un futur. En littérature, un texte au passé simple est certes
une histoire révolue, mais surtout une histoire qui se déroule sur un autre
plan.
La présence du passé simple n’est pas indispensable pour que l’on
puisse parler de « récit » : il suffit pour cela que l’on ait une coupure avec
la situation d’énonciation, une absence d’embrayage. Le « présent
historique » illustre cette possibilité.

Les soldats s’émurent puis ils se calmèrent à l’apparition du


Dauphin : il s’avançait à cheval, comme pour les enlever par
un de ces mots qui mènent les Français à la mort ou à la
victoire ; il s’arrête au front de la ligne, balbutie quelques
phrases, tourne court et rentre au château. Le courage ne lui
faillit pas, mais la parole.
Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, Livre 34, chap. 1

Certains confondent « récit » et énoncé sans présence de je. En réalité,


ce n’est pas l’absence de je qui est pertinente mais l’absence du couple
Je-Tu, c’est-à-dire des interlocuteurs. Rien n’empêche de combiner je et
passé simple ; dans ce cas le je apparaît comme un personnage qui se
trouve coïncider avec l’énonciateur :

Entré à Prague le 24 mai, à sept heures du soir, je descendis à


l’hôtel des bains, dans la vieille ville bâtie sur la rive gauche
de la Moldau. J’écrivis un billet à M. le duc de Blacas […].
Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, Livre 38, chap. 1

On a affaire ici à du « récit ». Le texte conserverait les mêmes


repérages énonciatifs si l’on remplaçait « je » par « il ».

4. PLAN EMBRAYÉ ET PLAN NON EMBRAYÉ


Les concepts de « discours » et de « récit » sont à la source de bien des
équivoques car ils sont très polysémiques. En outre, le terme « récit » est
si étroitement associé à la narration qu’il est difficile de faire admettre
qu’un énoncé non narratif dépourvu d’embrayeurs puisse relever du
« récit » : par exemple un proverbe (« Pierre qui roule n’amasse pas
mousse »), un axiome mathématique (« Deux parallèles ne se rencontrent
jamais »). Pour dissiper ces équivoques, on peut substituer au couple
« discours »/« récit » le couple plan embrayé/plan non embrayé. Le terme
de « récit » serait alors réservé aux énoncés narratifs non embrayés. Ce
qui peut se résumer ainsi :
23. Embrayeurs

Le concept d’embrayeur (certains parlent de déictique) n’appartient


pas au vocabulaire de la grammaire traditionnelle mais il est
aujourd’hui devenu essentiel dans l’enseignement. L’important n’est
pas de dresser une liste de ces embrayeurs mais de comprendre le
phénomène de l’embrayage énonciatif, de saisir ce qui distingue les
embrayeurs des signes linguistiques ordinaires. On les divise en
personnes, en déictiques spatiaux et temporels.

1. L’EMBRAYAGE ÉNONCIATIF
Une caractéristique très remarquable des langues naturelles, c’est que
les énoncés sont repérés par rapport à l’acte d’énonciation même qui les
rend possibles. Ils ne peuvent référer au monde que s’ils réfèrent aussi à
eux-mêmes. Un fait simple le montre : les énoncés ont une marque de
personne et de temps dès qu’ils sont assertifs, dès qu’ils disent quelque
chose de vrai ou de faux. Or la catégorie de la personne comme celle du
temps impliquent un repérage par rapport à la situation d’énonciation :
la 1re personne, par exemple, indique que le sujet de l’énoncé coïncide
avec l’énonciateur, le présent indique que l’état des choses évoqué par
l’énoncé est valide au moment où il est énoncé.
La notion d’embrayage, introduite par R. Jakobson, insiste sur le fait
que pour parler il faut convertir le système de la langue en discours. Il
existe dans la langue des unités qui permettent cette conversion en tirant
leur référence de la situation d’énonciation particulière dans laquelle elles
sont produites. C’est le cas des personnes, JE et TU, des déictiques, qui
donnent les coordonnées spatio-temporelles (ici, là-bas, demain,
aujourd’hui…). On ne peut savoir qui est je ou quel moment désigne
aujourd’hui si on ne prend pas en compte ce point de repère ultime qu’est
l’environnement spatio-temporel de leur occurrence : en dehors de telle
énonciation singulière, il n’existe pas de segment de réalité auquel on
puisse référer en disant « je » ou « aujourd’hui ».

2. LES PERSONNES
À la suite des travaux d’É. Benveniste, on a pris l’habitude d’opposer
les personnes, je et tu, qui sont des embrayeurs, à la non-personne,
caractérisée morphologiquement comme la « 3e personne », qui n’est pas
un embrayeur.
Je indique que le sujet de l’énoncé est identique à l’énonciateur ; il est
inséparable de tu, qui est constitué comme tel par l’énonciateur. La
« non-personne », en revanche, permet de référer à des êtres qui
n’appartiennent pas à la sphère de la personne linguistique, qui n’entrent
pas dans l’échange.
Cette différence entre personnes et non-personne se manifeste de
diverses façons :

– je et tu n’ont pas de substituts pronominaux (me/te ne sont que des


variantes casuelles de je/tu), alors que les GN de 3e personne
peuvent être pronominalisés ;
– je et tu sont des êtres parlants (ou posés comme tels) alors que les
GN à la non-personne peuvent désigner toutes sortes de référents ;
– je et tu n’ont pas de vrais pluriels : nous ou vous sont des personnes
« amplifiées », tandis qu’un pluriel comme des chevaux dénote une
pluralité d’éléments. En effet, nous ne désigne pas plusieurs je mais
un je associé à d’autres êtres, de même que vous peut renvoyer à
des combinaisons comme « toi et un/plusieurs autre(s) ». On notera
également qu’il existe des nous ou des vous (de majesté, d’auteur,
de politesse…) qui ne réfèrent qu’à un seul individu ;
– les personnes sont nécessairement définies et en contact dans la
situation de communication, alors que les entités à la non-personne
peuvent être absentes, désigner des propriétés (la beauté,
l’existence…).

Parmi les unités linguistiques qui ont un statut d’embrayeur, total ou


partiel, on signalera également les déterminants possessifs (mon/ton…)
qui constituent en fait une variante morphologique de je/tu dans le

spécifieur [ POSSESSIF. 1 – fiche 48], ainsi que la série le mien/le tien…
qui associe une pronominalisation à un embrayeur de personne (le
mien = « le X de moi »).

3. LES DÉICTIQUES SPATIAUX


Pour référer à un lieu, on dispose de divers types de repérage :

– absolu : par exemple avec un nom propre : à Paris ;


– relatif : on fixe un lieu à partir d’un autre (non loin de Paris, près de
l’arbre…) ;
– déictique : le repérage se fait par rapport à la situation dénonciation.
Ici par exemple désigne un endroit proche de l’énonciateur qui
profère l’énoncé où figure cette occurrence .

Les déictiques spatiaux appartiennent à deux grands ensembles : les


démonstratifs et les éléments adverbiaux.
Les démonstratifs peuvent être des pronoms (ça, c(e), ceci, cela, celui-
ci/là), des déterminants (ce(t)… (-ci-là)), des présentatifs (voici/voilà).
Tous ces éléments sont susceptibles d’un emploi déictique situationnel
ou d’un emploi déictique anaphorique

[ DEMONSTRATIFS. 2 – fiche 19].
Les déictiques adverbiaux ont une fonction de compléments
circonstanciels. Ils peuvent être simples (ici) ou complexes (en bas, à
gauche…) et s’opposent à l’intérieur de micro-systèmes sur divers axes
sémantiques : près/loin, en haut/en bas, etc.

4. LES DÉICTIQUES TEMPORELS


Les déictiques temporels les plus essentiels sont les marques de temps
attachées aux verbes : présent, passé, futur. Le présent est le pivot du
système car il indique qu’il y a coïncidence avec ce repère ultime qu’est
le moment d’énonciation. Est passé ce qui est posé comme antérieur à ce
présent ; est futur ce qui est posé comme postérieur. Néanmoins, tous les
emplois d’un temps n’ont pas de valeur déictique : dans un proverbe (par
exemple « Qui trop embrasse mal étreint »), le présent a une valeur
générique, il ne marque pas la coïncidence avec le moment
d’énonciation.
Les autres embrayeurs temporels sont des GP (depuis deux jours, dans
une semaine), des GN (la nuit dernière, le mois prochain…), des
adverbes (aujourd’hui, récemment…) qui ont une fonction de
compléments circonstanciels. Il ne faut pas confondre déictiques et
indicateurs temporels relatifs ; considérons ces deux couples
d’exemples :

(1) Il est venu hier


(1’) Paul a débarqué la veille
(2) Il partira dans deux jours
(2’) Il partira deux jours plus tard

Dans chaque paire les indicateurs temporels construisent la même


relation : un jour avant le repère pour les exemples (1) et (1’), deux jours
après pour les exemples (2) et (2’). Mais seuls les exemples (1) et (2)
comportent des déictiques, c’est-à-dire des indicateurs temporels dont le
repère est le moment d’énonciation. Dans les exemples (1’) et (2’), le
repère se trouve dans l’énoncé, il a été institué par le texte : ce ne sont
donc pas des déictiques.
D’un point de vue sémantique, les déictiques temporels se répartissent
en deux grands ensembles :

– les uns envisagent le temps comme ponctuel, ils répondent à une


question implicite du type « à quel moment ? » : hier, en ce
moment, l’an dernier, etc. ;
– les autres l’envisagent comme duratif, rétrospectivement ou
prospectivement : depuis un mois, voilà une semaine que…, dans
les trois jours, etc. Pour la durée rétrospective, on distingue entre la
durée ouverte (il pleut depuis trois jours (le procès n’est pas encore
achevé)) et la durée fermée (il a plu il y a trois jours (le procès est
achevé)).
24. Emphase/
Mise en relief

L’énonciateur peut opérer la mise en relief de certains constituants de


la phrase. On désigne par le terme emphase l’ensemble des procédés
par lesquels s’effectue cette mise en relief. Cela peut se faire par un
simple accent d’insistance, qui permet de mettre en valeur un
constituant : J’ai vu Paul hier (= « J’ai vu Paul, et non pas quelqu’un
d’autre »). Cela peut aussi passer par des constructions syntaxiques
spécifiques : en particulier les constructions disloquées, les
constructions clivées et les constructions pseudo-clivées.

1. LES CONSTRUCTIONS DISLOQUÉES


La dislocation consiste à détacher un constituant immédiatement
avant (dislocation gauche) ou après (dislocation droite) la phrase-noyau
– le verbe et ses compléments – et à le reprendre par un pronom clitique
placé à l’intérieur de la phrase-noyau. La fonction syntaxique des
éléments détachés est indiquée par le pronom clitique.

Jean, il est venu (dislocation gauche).


On l’a convoqué, Jean (dislocation droite).
Cette construction disloquée permet à l’énonciateur d’indiquer de quoi
il va parler, de donner le thème par rapport auquel il organise sa phrase.
Cette construction est surtout employée à l’oral. À l’écrit, on place une
virgule entre l’élément détaché et le reste de la phrase.
Il arrive fréquemment qu’on détache deux – et même quelquefois trois
– constituants.

(1) Elle1 lui2 a répondu, Marie1, à Paul2.


(2) Paul1, son oncle2, le disque3, il1 le2 lui3 a donné.

En (2), Paul est repris par il, son oncle par le, le disque par lui. La
dislocation droite n’est pas exactement symétrique de la dislocation
gauche. Comme on le voit en (1), puisque Paul devient à Paul quand il y
a dislocation à droite. Mais cette contrainte n’est pas toujours respectée.
L’ambiguïté suscitée par le fait que les trois GN sont au masculin
singulier est levée par l’ordre des éléments détachés, qui correspond
habituellement à l’ordre des clitiques. Mais parfois l’ambiguïté n’est
résolue que par le contexte extralinguistique ; c’est le cas pour cette
phrase :

Le patron, Paul, il le supporte pas.

Ici le pronom il peut anaphoriser Paul ou bien le patron. C’est avant


tout la dynamique de la conversation, la pause et/ou l’intonation qui
décident.

Le plus souvent, l’élément détaché est un groupe nominal ou un


pronom tonique (Celle-là, Paul n’en veut pas). Mais on peut aussi
détacher un infinitif (Dormir, il n’en a pas envie) ou une complétive
(Qu’il s’en aille, ça ne dérange personne /Je le crois, qu’il est malade).
La reprise pronominale des phrases ou des infinitifs sujets se fait par ce
ou ça :

Partir, c’est mourir un peu.


ça m’est égal, que Léo parte demain.
On notera que la construction disloquée est ici beaucoup plus naturelle
que la construction sans dislocation : Partir est mourir un peu, Qu’il
parte demain m’est égal.

2. LES CONSTRUCTIONS CLIVÉES


Dans les constructions dites clivées, on extrait un constituant et on
l’insère entre c’est et un élément de type qu- : une conjonction (cf. (2))
ou un pronom relatif (cf. (1) ou (3)).

(1) C’est au résultat que je pense avant tout.


(2) C’est hier que le chat a tué le canari.
(3) C’est Marie qui est venue.

D’un point de vue sémantique, cette construction implique qu’ait été


défini antérieurement l’ensemble sur lequel il faut opérer une sélection.
Par exemple en (3) il s’agit de déterminer qui est venu parmi l’ensemble
des gens susceptibles de l’avoir fait.
Ce type de construction peut porter sur des constituants qui occupent
les fonctions de sujet (cf. (3)), d’objet (cf. (1)), de complément
circonstanciel (cf. (2)), de complément de l’adjectif attribut (C’est à la
chaleur qu’il est résistant). Mais on extrait très difficilement un groupe
prépositionnel complément du nom ( ?? C’est de Paul que j’ai lu le
livre).

3. LES CONSTRUCTIONS PSEUDO-CLIVÉES


Les constructions qu’on appelle pseudo-clivées (dites aussi semi-
clivées) combinent l’extraction, caractéristique de la construction clivée,
et le détachement en tête de phrase, caractéristique de la construction
disloquée.
(1) Ce que je veux, c’est un cheval.
(2) Ce qui est efficace, c’est d’apprendre par cœur.
(3) Ce qu’on sait, c’est que Paul est parti tôt.

La phrase est ainsi divisée en deux membres séparés par une pause. Le
premier membre est en règle générale une relative en ce que, le second
est introduit par c’est, qui précède un GN (cf. (1)), un infinitif (cf. (2)) ou
une complétive (cf. (3)) qui ont une relation de complément ou de sujet
par rapport au verbe de la relative. Par exemple, en (2) « apprendre par
cœur » s’interprète comme le sujet de « est efficace » ; en (1) ou en (3) le
GN et la complétive sont objets directs de « veux » et « sait ».
Ces constructions ont pour effet de conférer au premier membre un
statut de présupposé. Ainsi en (1) il est présupposé Je veux quelque
chose, ou en (3) On sait quelque chose.
25. En/Y

Beaucoup de questions posées aux concours portent sur en et y, ou


seulement en, souvent dénommés « pronoms adverbiaux » en raison de
leur invariabilité. Pronoms clitiques, ils ont pour point commun de
pronominaliser des GP. Cependant, les emplois de en sont plus
diversifiés et plus souples que ceux de y.

1. DEUX CLITIQUES
En et y se distinguent des autres pronoms clitiques [ ▶ PRONOMS
CLITIQUES – fiche 52] en ce qu’ils sont invariables en genre et en nombre.
Cette invariabilité s’explique par le fait qu’ils pronominalisent des GP et
non des GN. Or dans un GP, c’est la préposition, invariable, qui joue le
rôle de la tête. Dans les combinaisons de clitiques, la place de en et y est
la même, la dernière :

Je lui en/il m’y/je ne lui en…


* J’en le/*j’en ne/*il y le…

Ce principe est également respecté si le verbe se trouve à gauche


(« Parlez-lui-en », « Tenez-vous-y »), mais la langue courante connaît
quelques flottements (« Parlez-en-lui », « Tenez-y-vous »).
2. DES PRONOMS
En tant qu’éléments anaphoriques, en et y reprennent des GP introduits
respectivement par de et à, c’est-à-dire les prépositions les plus
désémantisées du français. Cette pronominalisation est souvent
mécanique, indifférente à l’interprétation des GP. Il suffit que le
complément du verbe comporte de ou à :

Je viens de Paris → j’en viens


Je bois de la bière → j’en bois
Je suis content de Paul → j’en suis content
Je vis à Lyon → j’y vis
Je recours à la loi → j’y recours
Je suis apte au combat → j’y suis apte

Néanmoins le GP en de doit figurer dans le GV. Cela exclut les


circonstanciels, du moins pour en, car y est plus tolérant :

Je voyage de nuit → *j’en voyage


À Lyon j’ai rencontré Luc → j’y ai rencontré Luc

mais cela ne vaut que pour les circonstanciels de lieu « *j’y (= à la


nuit) serai arrivé »/« *il y (= à sa recherche) parcourt la ville »…). Il
arrive que y pronominalise des GP dépourvus de la préposition à, mais
seulement s’ils ont une interprétation locative :

Léon dort sous la table → Léon y dort


Max viendra sous quinzaine → *Max y viendra

Ces deux clitiques ne sont pas soumis aux mêmes contraintes


sémantiques : alors que en peut anaphoriser n’importe quel GP en de
(même si « Je parle de lui » (= Paul) est jugé plus élégant que « J’en
parle »), le clitique y ne vaut en principe que pour les non animés : « Je
parle à Marie » → « *J’y parle ». Mais dans l’usage, les choses sont
moins strictes : on trouve : « J’y pense » ou « J’y recours », par exemple,
lorsque y pronominalise un humain. De cette façon, les locuteurs
régularisent un paradigme qui exclut « *Je lui pense » ou « *Je lui
recours ». Cette simplification converge d’ailleurs avec la réduction
homonyme que la langue familière fait de lui au profit d’y :

J’y (= lui) ai donné un coup

L’anaphore du déterminant indéfini (« Paul a un lion/Paul en a un »)


pose un problème particulier : elle fait apparaître un en alors que l’article

un n’est pas suivi d’un de [ ARTICLE. 5 – fiche 6].

3. EN ET Y DANS LES LOCUTIONS VERBALES


Un grand nombre de locutions verbales intègrent en ou y : « y aller de
bon cœur », « s’y connaître », « y croire », « s’en prendre à », « s’en
faire », « en vouloir à »…
L’intérêt de ce phénomène, c’est qu’on a une pronominalisation sans
antécédent. Parfois on parvient à en rétablir un pour l’interprétation (s’en
faire = « se faire du souci »…), mais dans la plupart des cas il n’y a
même pas de compléments qui correspondent :

* vouloir à quelqu’un de quelque chose


* se connaître à…

4. EMPLOIS SPÉCIFIQUES DE EN
À la différence du clitique y, le morphème en est susceptible d’emplois
non pronominaux, comme introducteur du gérondif ou comme
préposition.

■ En et le gérondif
Ce qu’on appelle le gérondif [ ▶ -ANT (FORMES EN -). 4 – fiche 4]
correspond en français à une phrase circonstancielle à sujet nul dont le
verbe au participe présent est précédé par en :

Il se lavera [en arrivant]

■ En préposition
À la différence d’une préposition locative comme dans ou sur, la
préposition en n’est pas employée librement. Sa présence est liée soit à
son appartenance à certaines locutions, soit à des ensembles lexicaux
particuliers :

• des locutions : en tête de, en cachette, en foule, en colère, en


connaissance de cause, etc. ;
• des compléments de verbes : croire en, abonder en, s’y connaître en,
etc. ;
• des GP circonstanciels :
– locatifs : des règles complexes associent en avec des
noms de pays, de grandes îles, de provinces non
précédées d’un déterminant : en France, en Corse, en
Bretagne ;
– temporels : en 1477, en été, en un jour, etc. ;
– sont aussi concernées des classes très limitées : véhicules
(en vélo, en train…), vêtements (en bermuda, en veste),
matières (en bois, en marbre)…

De prime abord, on comprend mal qu’on puisse dire chasser en forêt et


non *chasser en bois ou quelle est la différence exacte entre une statue
de fer et en fer. Les locuteurs perçoivent en revanche plus aisément la
différence entre « l’oiseau est en l’air » et « l’oiseau est dans l’air ». Il y a
des régularités derrière de telles données, même celles qui peuvent
sembler erratiques, mais elles sont d’une trop grande complexité pour
être analysées ici.
Diachronie
Au XVIIe siècle, il était fréquent que en signifie « à la suite de cela », « en
conséquence de quoi »… : « Le roi a toujours la goutte et en est au lit » (Racine).
En pouvait aussi signifier « à ce sujet » : « Il mourut. Mille bruits en courent à ma
honte » (Racine).
De son côté y pouvait s’interpréter comme « pour cela » : « L’injuste aura son
tour, il y faut plus de temps » (La Fontaine). Il permettait également d’anaphoriser
des noms abstraits au pluriel (« Ils y (= aux défauts) donnent de beaux noms »), et
même des personnes : « Rien ne peut me distraire de penser à vous ; j’y rapporte
toutes choses » (Mme de Sévigné). Cet usage a été condamné par Vaugelas, qui
rejette : « J’ai remis les hardes de mon frère à un tel, afin qu’il les y [= lui]
donne. »
26. Être/avoir

Être et avoir sont constamment associés parce qu’ils possèdent un


statut singulier parmi les verbes du français. Ce sont à la fois des
verbes auxiliaires et des verbes ordinaires ; mais même dans ce
dernier cas ils ont des propriétés qui les mettent à part.

1. MORPHOLOGIE
Ces deux verbes ont une morphologie particulièrement riche,
« irrégulière », surtout au présent de l’indicatif, irrégularité liée au fait
que ce sont les verbes les plus fréquents.
Être est le verbe du français qui possède le plus grand nombre de
bases : suis, est, sommes, sont, ét-(é/ais…), êt-(es) se-(rai/rions…), soit,
soy-(ons/ez…), fu-(mes/ssent…).
Avoir comporte aussi plusieurs bases : ai, a(s), av-(ons/ait…), ont, au-
(rai/rions…), ay-(ons/ez…), eu-(mes/ssions…).

2. VERBES AUXILIAIRES
Le verbe avoir permet de construire les formes composées et
surcomposées de la grande majorité des verbes, pour les modes
personnels (a/avait/aura/eut/aurait/aie mangé) comme pour les modes
non personnels (avoir/ayant mangé). Mais il est exclu de toute forme
pronominale : « Il a lavé/*il s’a lavé ». Exception d’autant plus
intéressante que l’on a : « Il l’a lavé » ; c’est donc la présence de se qui
empêche avoir d’apparaître, et non la présence d’un clitique complément.

Le verbe être est utilisé pour la passivation [ PASSIF – fiche 46] des
verbes transitifs (« Paul est menacé par Jules »), ou pour les formes
composées des verbes pronominaux et d’un grand nombre de verbes
intransitifs (« Il est arrivé ») [ ▶ INTRANSITIFS (VERBES -) -fiche 38].
Néanmoins, certains verbes admettent être comme avoir. Ce choix influe
sur l’interprétation quand il y a polysémie :

Il a demeuré ici (= « habité »)/Il est demeuré (= « resté »)


debout

Le choix entre être et avoir est souvent lié à une opposition aspectuelle
entre procès (avoir) et état résultant (être) dans le cas de certains verbes
intransitifs : « Il a changé/Il est changé ». Mais la différence de sens n’est
pas toujours claire :

Le manuel a paru l’an passé


Le manuel est paru l’an passé

On notera la complémentarité entre les deux verbes auxiliaires. Si être


se trouve associé à un verbe transitif non pronominal, ce ne peut être
qu’un passif ; réciproquement, si être est associé à un verbe intransitif, il
ne peut s’agir d’une construction passive. Mais entre avoir et être, il
existe une dissymétrie morphologique : alors qu’avoir sert à construire
les formes constituées d’être et de lui-même (avoir été/avoir eu), les
combinaisons *être été ou *être eu, sont exclues. En ce sens, pour la
morphologie verbale, il y a prééminence d’avoir.
Les auxiliaires peuvent se combiner en tant qu’auxiliaires :

– au passif si le verbe principal est lui-même composé (« Il a été


vu ») ;
– dans les formes dites surcomposées (« Il a eu fini en un instant »).
3. VERBES NON AUXILIAIRES
■ Avoir
Avoir est un verbe transitif qui sert de support à cette relation
sémantique privilégiée, la possession, marquée par des déterminants

spécialisés ou des compléments en à ou de [ NOM (COMPLÉMENTS DU -). 2
– fiche 41]

Jean a un livre = le livre de Jean


le livre à Jean (populaire)
son livre

Avoir n’est pas passivable (« *Ce livre est eu par Jean ») et son
complément est obligatoire (« *Jean a »). Ces restrictions ne sont pas
surprenantes : avec avoir, le sujet n’est pas un agent et la phrase
s’interprète comme une relation (« X appartient à Y »), non comme un
procès.
Associé à un GN défini désignant une partie du corps, avoir entre
dans des constructions à attribut de l’objet :

Jean a les yeux bleus (*Jean a les yeux)


Luc a la veste déchirée (*Luc a la veste)

Avoir peut aussi jouer le rôle de verbe support, c’est-à-dire de ces


verbes (surtout avoir, faire, donner) qui se combinent avec un GN pour
former une locution verbale, une suite qui fonctionne comme un verbe :
avoir peur, faim, envie…

■ Être
La singularité syntaxique du verbe être est encore plus grande. Il a
bien des compléments pronominalisables (« Paul est gentil » → « Paul
l’est », « Paul est un marin » → « Paul en est un », « Paul est le mari de
Julie » → « Paul l’est », etc.) mais à la différence des autres verbes, il ne
contraint ni le sens ni la catégorie de ses compléments. C’est ainsi
qu’être peut être suivi d’une phrase (« Le problème est qu’il est là »),
d’un GN (« Paul est mon frère »), d’un GA (« Paul est gentil »), d’un GP
(« Paul est sur la table »), sans la moindre contrainte sémantique (comme
ce serait le cas avec un verbe ordinaire).
Les GN qui figurent à droite ne sont pas considérés comme des
compléments d’objet mais comme des attributs [ ▶ ATTRIBUT -fiche 9].
Alors qu’un attribut suppose l’identité du GN complément du verbe et du
GN sujet, un GN objet direct, lui, possède nécessairement un référent
distinct de celui du sujet (dans « Paul voit le maire de la ville » il s’agit
de deux individus distincts). Ce principe n’est violé que lorsque le
complément d’objet est réfléchi (« Pierrette se lave »).
Être est susceptible de trois interprétations principales :

– interprétation prédicative (il confère une propriété) : dans ce cas, il


peut être suivi d’un GN, d’un GP ou d’un GA, qui sont
pronominalisables ;
– interprétation équative : il s’agit de GN qui peuvent permuter avec
le sujet (« L’auteur du roman est le père de Jules » ↔ « Le père de
Jules est l’auteur du roman ») ;
– interprétation locative, qui correspond à diverses interprétations. En
particulier : lieu (« Il est dans la cour » = « se trouve ») ;
localisation dans le temps (« La réunion est à minuit ») ;
provenance (« Pierre est d’Amiens ») ; matière (« La statue est en
fer ») ; possession (« Les bijoux sont à Marie »), etc.

Le verbe être fonctionne également comme verbe impersonnel qui


localise dans le temps :

Il est midi
Il est temps de partir

Dans la langue classique, et aujourd’hui dans la formule d’ouverture


des contes (« Il était une fois… »), il est permettait d’introduire un
référent nouveau :
Il est un village au fond d’un hameau (= il existe)
27. Fonctions du
groupe nominal

Les traditionnelles « fonctions du nom » sont en réalité des fonctions


du groupe nominal. On doit distinguer deux ensembles de fonctions,
qui correspondent à deux types de positions : celles qui se distribuent à
l’intérieur de la phrase proprement dite, et celles qui, sans être pour
autant marginales, se trouvent en retrait.

1. LES FONCTIONS DANS LA PHRASE


Nous ne mentionnons ici que les fonctions caractéristiques du GN,
non celles qu’un GN peut occuper quand il joue le rôle d’une autre
catégorie, en particulier celle d’un GA :

Il y régnait une ambiance supermarché (GN employé comme


GA épithète)
Il faut distinguer plusieurs fonctions.

■ La fonction sujet
Toute phrase dont le verbe est à l’indicatif a un sujet, qui en général est
un GN.

■ Les compléments d’une tête


– compléments du verbe : compléments d’objet direct ou indirect,
auxquels on peut associer l’attribut, qui ne peut figurer que dans le GV

de certains verbes [ ATTRIBUT – fiche 9] ;
– compléments de la préposition : construits directement (après la
rentrée), ou indirectement (auprès de ma blonde…) ;
– compléments de l’adjectif : toujours indirects (heureux de son coup,
propice au combat…) ;
– compléments du nom : toujours indirects (le chat de Sophie, la
dénonciation de Jules…).
Cette liste pose un problème car nous sommes censé énumérer les
fonctions du GN alors que nous avons nombre de compléments précédés
d’une préposition (parler de sa sœur, content de son frère, le frère de
Luc). En fait, dans le cas des compléments de l’adjectif ou du verbe, la
préposition (le plus souvent à ou de) est imposée par la tête : le GN n’est
pas complément de la préposition, comme ce serait le cas pour son vélo
dans la phrase « Paul est venu avec son vélo ». Pour les compléments du
nom, on doit distinguer les compléments qui sont des GN compléments
du nom (le chat de Sophie) et les GN qui sont compléments de la
préposition (le chat sur la table). En effet, dans des GN comme le chat de
Sophie, la préposition de n’a aucun sens, elle sert seulement à marquer la
dépendance entre la tête et le GN complément.
Marginalement, les GN peuvent occuper une position de
circonstanciel, habituellement dévolue aux GP. C’est surtout le fait de
quelques circonstanciels de temps : la nuit, l’hiver, le soir…

[ CIRCONSTANCIEL (COMPLÉMENT -). 1 – fiche 12].

2. LES FONCTIONS PÉRIPHÉRIQUES


Cette notion de fonction « périphérique » n’appartient pas à la
terminologie grammaticale. Elle nous sert seulement ici à désigner des
positions de GN qui sont facultatives et se trouvent sur une ligne en
quelque sorte décalée par rapport à la phrase. Il s’agit essentiellement des
appositions et des dislocations.

■ Les appositions détachées


Elles sont habituellement rangées parmi les fonctions majeures du
nom ; pourtant, ces GN sont placés en retrait, entre deux pauses :

Paul, le gendarme, est en prison

Ils ont le même référent qu’un GN immédiatement antérieur, situé par-



delà la pause. [ APPOSITION. 2 – fiche 5].

■ Les dislocations
Elles ont des propriétés différentes selon qu’elles se situent à gauche
ou à droite de la phrase (certains accepteraient peut-être l’exemple (2)
comme grammatical mais il est nettement plus difficile à accepter que
l’exemple (1)) :

(1) Paul, je lui ai parlé


(2) ?? Je lui ai parlé, Paul
(3) Il l’a vue, Marie
(4) Paul en vient, de la ville
(5) La ville, Paul en vient
(6) *Paul en vient, la ville

[ ▶ EMPHASE/MISE EN RELIEF. 1 – fiche 24].


Signalons aussi la dislocation qualitative, qui concerne les seuls
« noms de qualité » :

Michel, le traître, a tout révélé


Médor a mangé le gigot, l’abruti

Ce ne sont ni des appositions classiques ni des dislocations gauche ou


droite. À la différence de l’apposition, elles attribuent au GN antécédent
une qualité passagère, liée à l’énonciation particulière dans laquelle elles
figurent :

(1) Paul, mon cousin, a été reçu premier à Polytechnique


(2) Paul, le crétin, a été reçu premier à Polytechnique

Dans l’exemple (2), il faut imaginer un contexte très spécial pour


trouver cet énoncé normal car il y a contradiction apparente entre le
jugement de valeur qu’implique le crétin et le reste de l’énoncé. En
revanche, l’apposition mon cousin est une désignation stable,
indépendante des énoncés où elle apparaît.
Il est difficile de voir dans l’apostrophe une fonction du GN comme
les autres, car elle n’entre pas dans un réseau de dépendances, n’est pas
syntaxiquement liée au reste de la phrase. Un GN en apostrophe suffit en
fait à constituer un énoncé élémentaire :

(1) Paul, je te vois


(2) Paul, je le vois (où Paul = le)
(3) Paul, va ouvrir !
(4) Paul !

L’exemple (1), contrairement aux apparences, ne relève pas


syntaxiquement de la même structure que l’exemple (2) ; dans (2), il y a
dislocation gauche avec anaphore de Paul par le. Dans l’exemple (1),
Paul est une apostrophe qui a le même référent que te, mais il n’existe
pas de relation syntaxique entre ces deux constituants.
28. Futur


Catégorie du « discours » [ DISCOURS/RÉCIT – fiche 22], le futur est
source de difficultés. D’abord parce que beaucoup confondent le futur
comme « temps » de la conjugaison et les divers moyens d’exprimer
l’avenir. En second lieu parce qu’il existe une concurrence entre deux
« temps » du futur : le futur simple et le futur périphrastique. Enfin
parce que le futur a une charge modale très forte, aux dépens de sa
valeur temporelle.

1. L’EXPRESSION DU FUTUR
Beaucoup de langues ne possèdent pas de paradigme de futur dans leur
morphologie verbale ; elles recourent plutôt à des verbes modaux ou
simplement à des présents combinés avec des circonstants temporels.
Même en français le futur ne s’exprime pas nécessairement à travers un
paradigme flexionnel spécialisé. Les phrases suivantes :

(1) Il part demain


(2) Il doit partir demain
(3) Paul va partir demain
(4) Paul partira demain

expriment toutes l’avenir, mais seuls les exemples (3) et (4)


contiennent de véritables formes de futur. En fait, si l’on regarde plus
attentivement, on peut voir que ces quatre tours, y compris les exemples
(3) et (4), sont des présents de l’indicatif : part, doit, va, mais aussi
partira qui résulte de la combinaison d’un infinitif et du présent du verbe
avoir (-ai, -as, -a, -(av)ons, -(av)ez, -ont), comme le confirme la
grammaire historique. Ce n’est pas dû au hasard. Il existe en effet dans la
langue une dissymétrie fondamentale entre le passé et le futur : le futur
est une projection à partir du présent, il est radicalement modal (cf.
l’emploi de devoir), tandis que le passé, qui est du révolu, privilégie la
dimension aspectuelle. Il n’y a de futur que soutenu par la volonté,
l’espoir, les craintes, etc., de sujets. Aussi comprend-on que le système
énonciatif « non embrayé » [ ▶ DISCOURS/RÉCIT – fiche 22] exclue tout
véritable futur, lequel implique l’intervention modalisatrice d’un
énonciateur.

2. FUTUR PÉRIPHRASTIQUE ET FUTUR SIMPLE


Le français dispose de deux paradigmes spécialisés pour le futur : le
futur simple (FS) et le futur périphrastique (FP) (qu’on ne confondra

pas avec le futur d’imminence [ ASPECT. 3 – fiche 8]).
Ces deux futurs présentent de grandes similitudes morphologiques, ce
qui renforce leur concurrence :

– le futur simple est constitué de -R- et des flexions du présent


d’avoir : -ai, -as, -a, -(av)ons, -ez, -ont ;
– le futur périphrastique, de son côté, combine le verbe auxiliaire au
présent aller suivi de l’infinitif. Or ce présent utilise les mêmes
désinences qu’avoir : v-ais, v-as, v-a, all-ons, all-ez, v-ont.

Ainsi, le FS mangerai est constitué de l’infinitif + présent d’avoir, et le


FP des mêmes éléments placés dans l’ordre inverse.
Entre ces deux « temps », on ne doit pas faire une distinction d’ordre
temporel (« futur proche »/« futur non proche ») mais d’ordre énonciatif,

comme pour le couple passé simple-passé composé [ DISCOURS/RÉCIT. 1
– fiche 22]. Aussi peut-on rencontrer des énoncés comme :

La maison va s’effondrer dans dix ou quinze ans


La voiture partira dans une minute

Selon qu’il emploie l’un ou l’autre « temps » du futur, le locuteur ne


pose pas de la même manière son énoncé par rapport à la situation
d’énonciation. Employer le futur périphrastique, c’est établir une
contiguïté, une connexion entre le moment de l’énonciation et le procès à
venir, c’est aussi présenter cet énoncé comme certain, validé. Employer
le futur simple, c’est poser le procès comme coupé du moment de
l’énonciation et comme non certain. Comparons ainsi :

(1) Mon fils va être champion du monde

et

(1) Mon fils sera champion du monde

Dans l’exemple (1), l’obtention du titre est présentée comme allant de


soi, dans la continuité du présent ; dans l’exemple (2), l’énonciation est
perçue comme fortement prise en charge, elle suppose un écart à franchir.
Cette différence explique que le futur simple soit préférentiellement
associé à jamais, toujours, ou encore aux ordres, aux prédictions, etc.

3. VALEURS MODALES DU FUTUR SIMPLE


Les grammaires ont l’habitude de distinguer entre valeurs
« temporelles » et valeurs « modales » du futur simple. C’est là une
distinction artificielle car il est difficile, étant donné la nature du futur
simple, de délimiter des usages non modaux, « neutres ». Le choix de la
personne joue un rôle décisif dans l’interprétation de ces prises en charge
modales. Toute assertion sur un événement non réalisé est nécessairement
inséparable du vouloir-faire de l’énonciateur. Par exemple :

(1) Je partirai le plus tôt possible


(2) Tu partiras le plus tôt possible

L’exemple (1) tend à s’interpréter comme un engagement, et l’exemple


(2) comme un ordre. Dans le premier cas l’énonciateur s’oblige lui-même
par le seul fait de le dire, dans le second il oblige son allocutaire.
Parmi les valeurs modales associées à la 3e personne, on accorde une
importance particulière à la probabilité et à la possibilité :

À cette heure il sera dans le train (= « doit être »)


C’est curieux, la crise surviendra (= « peut survenir ») quand
on ne l’attend pas et disparaîtra (= « peut disparaître ») à
tout moment

Dans tous ces cas, le contexte joue un rôle décisif pour permettre à
l’allocutaire de déterminer la valeur pertinente : le moindre changement
peut modifier l’interprétation. Par exemple, « Je partirai un jour ou
l’autre » est moins perçu comme une promesse que « Je partirai quand je
le voudrai ». L’imprécision d’un jour ou l’autre ôte en effet de sa valeur
agentive à l’action du sujet.

4. LE FUTUR ANTÉRIEUR
En tant que forme composée du futur simple, le futur antérieur peut
être employé comme :

– antérieur corrélatif d’une forme simple : « Quand il aura mangé, il


partira » ;
– accompli : « À huit heures il aura mangé ».
Mais il est également susceptible de deux emplois fortement
modalisés : probabilité (cf. l’exemple (1)) et ce qu’on pourrait appeler un
futur antérieur de « bilan » (cf. l’exemple (2)) :

(1) À mon avis, il aura manqué le train


(2) Finalement, il aura réussi son coup

Dans l’exemple (1), dans un contexte de présent, le futur antérieur


s’interprète comme un « doit avoir » de probabilité. Dans l’exemple (2),
il s’agit de clore prospectivement un procès qui en fait est déjà achevé ; il
y a là un paradoxe énonciatif lié à un effet de sens particulier :
l’énonciateur se détache du présent pour se poser en quelque sorte en
historien.
29. Genre
(marques du -)

À la différence du nombre, le genre fait partie de l’identité lexicale :


chaque nom possède un genre, masculin ou féminin, qu’il transmet
éventuellement par accord à des termes qui dépendent de lui. Le neutre
ne concerne que certains pronoms (ce pronom, le attribut, etc.).
Morphologiquement, le masculin apparaît comme le genre non
marqué, celui auquel il faut ajouter quelque chose pour obtenir le
féminin quand ce dernier est indiqué par la flexion. On ne confondra
pas genre grammatical et sexuation : le sexe peut être déterminé par
d’autres voies que le genre grammatical, lequel n’a pas
nécessairement une fonction sémantique. Le français contemporain
marque très différemment le féminin à l’oral et à l’écrit.

1. FONCTIONS DU GENRE
Le genre possède une fonction sémantique et une fonction
syntaxique.

■ Fonction sémantique
Le genre indique le sexe quand le nom s’y prête (chat/chatte) (voir
infra 2), mais aussi contribue à structurer le lexique. Comme la grande
majorité des noms sont dérivés par suffixation et que chaque suffixe a un
signifié et un genre (-ment suffixe nominal est masculin, -tion est
féminin, etc.), cela contribue à renforcer la cohésion des classes lexicales.
Le genre permet également de distinguer des homonymes : un/une livre,
un/une page…
Pour un certain nombre de noms, les locuteurs hésitent dans
l’affectation du genre. C’est en particulier le fait des noms commençant
par une voyelle : entracte, esclandre, orbite, épithète… L’élision de
l’article défini (l’) ainsi que la proximité phonétique entre un et une ne
facilitent pas la discrimination.

■ Fonction syntaxique
L’accord en genre contribue à renforcer le lien entre ces deux piliers de
la phrase que sont le GN sujet et le GV, même si dans le GV ne sont
concernés que les GA attributs et les participes passés. Il renforce aussi la
cohésion à l’intérieur des GN puisque les adjectifs et beaucoup de
déterminants prennent le genre du nom tête. Mais là il faut distinguer
entre l’écrit et l’oral, entre le singulier et le pluriel, entre les types
d’adjectifs et de participes passés. Par exemple les filles intelligentes à
l’oral n’indique pas le genre du déterminant mais celui de l’adjectif ; en
revanche, la fille ridicule indique le genre du déterminant mais pas celui
de l’adjectif.

2. COMMENT EST EXPRIMÉE LA DISTINCTION DE SEXE


Il existe divers procédés pour indiquer quel est le sexe des êtres
susceptibles d’être mâles ou femelles :

– des unités lexicales distinctes : coq/poule, porc/truie ;


– l’ajout d’un terme à valeur classificatoire : une femme
astronome/une astronome femme, un pingouin femelle ;
– un suffixe pour le terme femelle : prince/princesse. C’est rarement
le masculin qui a un suffixe : mule/mulet, dinde/dindon… ;
– une variation du déterminant : c’est le cas des noms dits
« épicènes », qui sont identiques aux deux sexes : un/une enfant,
un/une élève ;
– un changement de suffixe : agriculteur/agricultrice ;
– une variation de la voyelle finale, la substitution ou l’« apparition »
d’une consonne : lion/lionne (lj/ljcn), fils/fille (fis/fij), chat/chatte
(a/at).

Quelle que soit son importance psychologique et culturelle,


l’opposition de sexe reste un phénomène minoritaire pour le féminin
morphologique. La grande majorité des noms a un genre parfaitement
arbitraire d’un point de vue sémantique : pourquoi « une table » et « un
lit » ?

3. LE FÉMININ DES ADJECTIFS ET PARTICIPES


■ À l’écrit
-e est la marque habituelle du féminin (élu/élue), parfois associée à
d’autres modifications phonétiques (heureux/heureuse, pris/prise). Sauf
dans ce dernier cas, ce -e n’a guère d’incidence sur la prononciation, à
moins qu’il ne s’agisse de poésie classique.

■ À l’oral
La plupart des termes ne marquent pas l’opposition de genre. On
trouve diverses possibilités pour ceux qui la marquent :

– ajout d’une consonne finale : permis/permise (pεrmi/pεrmiz),


grand/grande (gr/grd) ;
– variation entre la voyelle nasale et la voyelle orale correspondante
avec ajout d’une consonne nasale : bon/bonne (b/bcn) ;
– variation d’aperture vocalique accompagnée d’une substitution de
consonnes : fonceur/fonceuse (fsœr/fsøz) ;
– variation vocalique et ajout d’une consonne : fou/folle (fu/fcl),
beau/belle (bo/bεl) ;
– substitution de consonnes sans variation vocalique : neuf/neuve
(nœf/nœv).

On constate que la plupart de ces marques ne sont pas spécifiques du


féminin. Par exemple, le -t- qui « apparaît » au féminin de petit est
également présent dans la suffixation (petitement) et la liaison (un petit
idiot). On est obligé de conclure que c’est à l’adjectif lui-même et non au
féminin que cette consonne appartient. Beaucoup d’adjectifs possèdent
ainsi deux formes, l’une brève, l’autre longue, et c’est le contexte qui
sélectionne l’une ou l’autre.
On retrouve ce phénomène ailleurs : par exemple pour l’article défini
singulier, avec sa forme brève (l’) destinée à éviter le hiatus et sa forme
longue (le).
Un certain nombre d’adjectifs, que ce soit à l’oral ou à l’écrit, ne
connaissent pas la variation en genre. Il peut s’agir :

– d’adjectifs qui ne connaissent qu’un seul genre : féminin (enceinte,


poulinière…), ou masculin (aquilin, dispos…) ;
– et surtout d’adjectifs qui s’achèvent par un -e au masculin : pauvre,
noble, stupide…
30. Hypothétiques
(systèmes -)

La notion de « subordonnée conditionnelle » ou « subordonnée


hypothétique » peut s’avérer trompeuse. Il ne s’agit pas, en effet,
d’une subordination, c’est-à-dire de l’inclusion d’une phrase dans une
autre, mais d’une relation dissymétrique entre deux phrases
complémentaires, la validation de l’une dépendant de celle de l’autre.
Cette mise en relation ne passe pas nécessairement par l’emploi du
subordonnant si ; pour l’établir, la langue dispose de ressources
variées.

1. L’HYPOTHÈSE
Considérons tout d’abord un système hypothétique canonique :

Si je suis malade (A), tu resteras chez toi (B)

Il y a là système hypothétique parce que le locuteur construit à travers


(A) une situation fictive et à partir d’elle pose comme valide un énoncé
(B). On ne peut pas dire qu’entre (A) et (B) il y ait subordination,
inclusion ; on parle plutôt d’implication. Ces deux énoncés (A) et (B)
sont indissociables : si l’on remplaçait le présent de (A) par un imparfait,
l’énoncé (B) passerait automatiquement au conditionnel. Chacun des
deux verbes varie ainsi en fonction de l’autre. Avec si l’ordre des deux
énoncés est indifférent : (B) pourrait précéder (A) :

Tu resteras chez toi si je suis malade

La présence de si suffit en effet à indiquer lequel des deux énoncés


pose la situation fictive qui sert de point de repère. Mais ce n’est pas
toujours vrai ; ainsi dans :

Je partirais (A), tu serais triste (B)

l’ordre joue un rôle crucial pour déterminer quel énoncé constitue la


protase (A) et quel énoncé l’apodose (B).
On distingue classiquement le potentiel et l’irréel :

– le potentiel : au moment où il parle l’énonciateur considère (A)


comme possible ;
– l’irréel : l’énonciateur sait que (A) est non réalisé au moment
d’énonciation mais construit quand même (A) pour envisager (B).
L’irréel du présent (« Si en ce moment j’étais en vacances, je me
reposerais » (mais c’est faux)) s’oppose à l’irréel du passé (« Si
j’avais été en vacances, à ce moment-là je me serais reposé »). À
cela on peut ajouter un irréel « absolu », impossible en toutes
circonstances (« Si j’étais un autre, si la terre était carrée, etc. »).

2. LES SYSTÈMES EN SI
Avec si, les systèmes hypothétiques sont assez complexes et ambigus :

■ Potentiel

Si + Présent (A), Futur/Présent (B) :


S’il vient, je partirai/je lui parle
Si + Imparfait (A), Conditionnel (B) :
S’il venait, je partirais

Avec les formes en -ais, la réalisation est présentée comme moins


probable qu’avec le présent/futur.

■ Irréel du présent ou irréel « absolu »


Si + Imparfait (A), Conditionnel (B).

■ Irréel du passé
Si + Plus-que-parfait (A), Conditionnel composé (B).
Le si est fréquemment associé à des morphèmes qui en infléchissent
notablement la valeur modale : si seulement, si jamais, si par malheur, si
encore, si même…
Il existe par ailleurs quelques subordonnants spécialisés dans
l’expression de l’hypothèse : au cas où/à (la) condition que/à moins que/
à supposer que/supposé que… Ils imposent des contraintes spécifiques à
la phrase qu’ils introduisent : tel appelle le conditionnel, tel autre le
subjonctif, etc.
On notera que le subordonnant si peut avoir d’autres valeurs
qu’hypothétiques. En particulier temporelle, pour exprimer une répétition
(« Si (= chaque fois que) Paul était malade, Marie le soignait ») et
concessive (« S’il est intelligent (= en admettant que), il le cache bien »).
Mais on ne peut pas parler de si homonymes ; la valeur hypothétique
n’est qu’une des valeurs possibles de si, dont le sens se calcule en
fonction du contexte où il apparaît.

3. DIVERSITÉ DES SYSTÈMES HYPOTHÉTIQUES


Il existe d’autres tours que ceux en si pour indiquer l’hypothèse.
■ L’adjonction du clitique sujet à droite du verbe associée
à une mélodie montante dans la protase

Vient-il à perdre, tout s’arrangera

On sait que ce type d’inversion a pour effet de suspendre la vérité de la



phrase ; elle est donc compatible avec l’hypothèse [ INVERSION DU SUJET.
2 – fiche 39].

■ Que et le verbe au subjonctif

Qu’il parte (et) je ne pleurerai pas

On retrouve ici la structure de la complétive. [ ▶ COMPLÉTIVE – fiche


15].

■ L’impératif

Critiquez (et) vous serez craint

C’est précisément la valeur de l’impératif de poser un énoncé comme


non validé, en mettant sa réalisation à la charge de l’allocutaire ; l’écart
entre le dire et le faire permet ici d’exprimer le fictif [ ▶
IMPÉRATIF. 2 –
fiche 32].

■ La juxtaposition d’énoncés au conditionnel

J’aurais tout vu, je l’aurais dit


Je serais riche, ça se saurait

Ce tour est rejeté par les puristes mais très vivant à l’oral. Il exploite la

capacité du conditionnel à poser du fictif [ CONDITIONNEL. 5 -fiche 16].

■ La juxtaposition de deux énoncés au présent ou à


l’imparfait avec une mélodie montante, puis descendante
Il vient me voir, je l’invite à rester
Il venait me voir, je l’invitais à rester

Le présent permet d’exprimer le potentiel et l’imparfait l’irréel. On


constate une fois de plus la remarquable symétrie entre le présent et

l’imparfait [ IMPARFAIT. 1 – fiche 31]. Ces deux temps sont précisément
ceux qu’utilise le système en si (« si je suis/étais… »).

■ La juxtaposition d’énoncés non verbaux organisés


autour d’éléments de sens contraires

Rapide à la course, lent au réveil (= « Si on est rapide…,


alors… »)

■ Le conditionnel dans les deux phrases A et B et la


présence de que devant B

Il le dirait (= même s’il le disait) que ce serait inutile

■ Des gérondifs antéposés

En prenant le train, tu arriverais à l’heure

■ Le détachement de divers groupes syntaxiques


qui font fonction de protase : des participes ou des adjectifs, des GN,
des GP :

Vaincu (= s’il était vaincu), il se soumettrait


Heureux (= s’il avait été heureux), il aurait agi autrement
Soldat (= s’il est soldat), il obéira
Avec son matériel (= s’il avait son matériel) il réussirait

Diachronie
Au XVIIe siècle, on trouve encore, à l’état d’archaïsme, le système d’ancien
français :

« S’ils eussent eu raison, je fusse parti. »

Le type actuel (« Si j’avais eu raison, je serais parti ») s’est diffusé au XVIe siècle.
C’est avec les auxiliaires et les verbes modaux [dussiez, eussiez…) que l’imparfait
du subjonctif s’était le mieux maintenu, dans cet emploi comme dans les systèmes
à inversion de clitique :

« Dussé-je après dix ans voir mon palais en cendre


Je ne me balance point […] » (Racine).

On trouvait également un système mixte, qui associait subjonctif et conditionnel


composé :

« Et déjà cette nuit m’aurait été mortelle


Si j’eusse combattu pour ma propre querelle » (Corneille).

Au début du XVIIe, on élide encore parfois si devant un autre pronom que il :


s’elle = si elle.
31. Imparfait

Traditionnellement considéré comme une forme du passé


aspectuellement imperfective et symétrique du présent, l’imparfait
doit s’appuyer sur des « temps » perfectifs, passé simple ou passé
composé. Mais la variété de ses emplois non temporels et non
imperfectifs (emplois narratifs et emplois modaux) suscite un débat :
s’agit-il véritablement d’un temps du passé ?

1. L’IMPARFAIT CORRESPONDANT DU PRÉSENT


À strictement parler, l’imparfait ne constitue pas directement un
« temps » du passé, puisqu’il ne permet pas à lui seul de situer un procès
dans le passé. Il indique seulement que le procès est contemporain d’un
repère situé dans le passé. Sans ce repère, un énoncé à l’imparfait
apparaît incomplet, comme suspendu. Pour que « Paul pleurait » soit
énonçable, il faut donc lui associer un repère : « Quand je suis arrivé,
Paul pleurait. » Rien ne dit qu’au moment où l’on dit cette phrase, Paul
n’est pas toujours en train de pleurer.
Comme l’indique son nom, l’imparfait est d’un point de vue aspectuel

un « temps » imperfectif [ ASPECT. 1 – fiche 8], c’est-à-dire qu’il saisit
le procès dans son déroulement, indépendamment de son origine et de
son terme. Le présent possède la même valeur, à la différence près que
son repère n’est pas donné dans l’énoncé mais coïncide avec le moment
même de son énonciation.
Tout naturellement, l’essentiel des valeurs du présent et de l’imparfait
se répondent donc :

– contemporanéité par rapport à un repère : « Je suis malade (au


moment où je parle) »/« J’étais malade quand vous m’avez vue » ;
– imminence : « Je sors (= je suis sur le point de sortir) »/« Je sortais
quand vous m’avez appelé » ;
– passé immédiat : « J’arrive du marché (= je viens
d’arriver) »/« J’arrivais du marché quand ça a sonné » ;
– habitude : « Je me lève à huit heures en hiver »/« Je me levais à huit
heures en hiver » ;
– propriété : « Marie est blonde »/« Marie était blonde » ;
– état : « La ville est endormie »/« La ville était endormie quand je
suis arrivé. »

Cette symétrie entre les deux « temps » se manifeste aussi dans la


concordance des temps, où le présent se convertit en imparfait (« Je crois
qu’il est malin/J’ai cru qu’il était malin ») ou dans le discours indirect
libre [▶ DISCOURS RAPPORTÉ. 4 – fiche 21] dont nombre de verbes à
l’imparfait s’interprètent comme des présents.

2. LE PROBLÈME DE L’IMPARFAIT
Nous venons de rappeler la définition traditionnelle de l’imparfait,
celle d’un « temps » imperfectif du passé, symétrique du présent.
Mais depuis longtemps il existe un débat à ce sujet, certains linguistes
refusant de voir dans l’imparfait un temps du passé, ou même une forme
imperfective. Pour eux l’imparfait dans certains contextes peut référer à
un procès passé, mais ce n’est pas sa valeur fondamentale. De fait,
nombre d’emplois de l’imparfait ne réfèrent pas à des procès passés et/ou
n’ont pas de valeur imperfective. Ainsi dans ces exemples il est difficile
de parler de « passé » :
(1) Samedi prochain, il y avait une fête, mais j’irai pas
(2) Un mot de plus, et je tirais (= j’aurais tiré)
(3) Je venais vous demander un service
(4) Qu’il était gentil le chienchien !, etc.

Nous ne trancherons pas ce débat et allons seulement évoquer deux


ensembles d’emplois où l’imparfait n’est pas utilisé comme imperfectif
et/ou comme « temps » du passé.

3. L’IMPARFAIT DANS LA NARRATION


La complémentarité entre imparfait et passé composé ou passé simple
est souvent exploitée pour structurer l’organisation narrative. On
distingue trois grands emplois.

■ Premier plan et arrière-plan


Les procès qui font progresser le récit sont à un temps perfectif, alors
que sont à l’imparfait les énoncés qui sont en retrait de cette dynamique.
Suivant une métaphore picturale, on oppose ainsi l’arrière-plan des
énoncés à l’imparfait et le premier plan des énoncés à verbe perfectif :

Luc marcha longtemps dans la forêt (1). Sa tête bourdonnait


(2) et le chemin était étroit (3). Il perdait espoir (4). Il
s’arrêta (5). C’était inutile de continuer (6)

Les énoncés sont répartis sur les deux plans : ceux qui sont à
l’imparfait (ou au plus-que-parfait) s’appuient sur les énoncés de premier
plan au passé simple : (2), (3), (4), sur (1) et l’énoncé (6) sur (5). Ainsi se
dégagent des unités intermédiaires entre les phrases et des séquences
textuelles plus vastes.

■ Les imparfaits conclusifs


Un imparfait placé à la fin d’un récit marque sa conclusion. Dans ce
cas, l’imparfait n’inscrit pas dans le temps, il insiste sur l’événement lui-
même, qui est présenté comme remarquable. Ce type d’imparfait est
associé de manière privilégiée à des verbes qui réfèrent à des procès
ponctuels :

Paul obéit. Trois jours après il était nommé directeur

■ L’imparfait de narration
L’imparfait est utilisé ici comme une forme de premier-plan. Procédé
très fréquent dans les reportages sportifs :

Marseille ne tardait pas à réagir. Dupont lançait Martin sur


sa droite, qui égalisait au terme d’une course folle

On pourrait ici remplacer les imparfaits par des passés simples. Dans
la mesure où par nature l’imparfait n’inscrit pas dans le temps, il
provoque ici un effet d’accélération, il met en évidence l’enchaînement
d’événements étroitement liés. Mais ce type d’emploi est toujours
encadré par des présents, des passés simples ou composés qui mettent en
place le cadre du récit.

4. EMPLOIS MODAUX
■ Dans l’interlocution
L’imparfait permet aussi de résoudre des difficultés qui surgissent dans
l’interlocution. Il « désactualise » le propos de l’énonciateur, le
« décroche » de la situation d’énonciation :

– pour atténuer des énonciations virtuellement agressives pour


l’allocutaire. Ainsi quand on dérange quelqu’un pour une requête :

Je voulais vous demander quelque chose…


– pour s’adresser à des êtres qui ne peuvent pas répondre, petits
enfants ou animaux familiers (imparfait dit hypocoristique). Cet
emploi s’accompagne souvent d’un glissement de la seconde
personne vers la 1re ou la 3e :

Il était gentil, ce toutou-là/le beau bébé


J’étais beau, moi, j’aimais ma maîtresse

■ Les situations fictives


L’imparfait sert également à exprimer des situations fictives : avec si
(« Si j’étais vous, je lui dirais ») ou sans si, par juxtaposition (« Il le

demandait (= s’il l’avait demandé…), Luc partait ») [ HYPOTHÉTIQUES
(SYSTÈMES -) – fiche 30]. Le fictif permet précisément de décrocher du
présent. Parfois l’imparfait semble exprimer le futur (« Samedi prochain,
il y avait une fête, mais j’irai pas ») ; en fait, il marque un décalage par
rapport au projet antérieur de l’énonciateur (aller à la fête) : c’est ce
projet qui est invalidé au moment de l’énonciation, et non la fête.
Associé à si dans une phrase non assertive (exclamative ou
interrogative), l’imparfait permet d’exprimer le regret (« Si je n’étais pas
si pauvre ! »), le souhait (« Si j’avais une voiture ! »), une suggestion
(« (Et) si nous partions demain ? »). Seul l’imparfait est utilisable dans ce
type d’énoncé.
Dans tous ces emplois modaux, que l’on parle de « décalage », de
« décrochement », l’imparfait apparaît comme une forme de non-
coïncidence, avec ces points de repère que sont l’énonciation présente ou
la vérité d’un état de choses au moment de l’énonciation. Même dans un
énoncé comme « Quand il est arrivé je dormais » l’imparfait suppose un
repère décalé du présent, en l’occurrence quand il est arrivé.
32. Impératif

Morphologiquement claire, la notion d’impératif est néanmoins


source de confusions dans la mesure où il se produit souvent un
glissement de l’impératif morphologique à l’expression de l’ordre,
laquelle peut en fait passer par d’autres structures. L’impératif soulève
deux problèmes syntaxiques particulièrement intéressants, celui de son
sujet et celui de la position de ses clitiques compléments.

1. MORPHOLOGIE DE L’IMPÉRATIF
L’impératif se caractérise par l’absence de sujet phonétiquement
réalisé et des lacunes dans sa conjugaison. Il emprunte en effet ses
formes au présent non accompli (« Dormez ! ») ou accompli (« Ayez fini
dans une heure ! »), mais ne recourt qu’à la seconde personne (singulier
et pluriel) ainsi qu’à la première du pluriel (« Partons ! »). En fait même
dans ce dernier cas, il inclut une seconde personne : « Partons ! »
s’interprète comme un JE + TU.
À l’écrit l’impératif ne comporte pas nécessairement le -s de la 2e
personne du singulier : « Tu pleures/pleure » (à côté de « Tu
viens/viens »). Mais le phonème que marque le -s réapparaît dans un
contexte approprié, avec les clitiques en et y, pour se prononcer comme

un z dit de « liaison » (pleure-z-y). Ainsi, comme les adjectifs [ GENRE
(MARQUES DE -). 3 – fiche 29], les verbes se manifestent tantôt sous leur
« forme longue », tantôt sous leur « forme brève ». On le constate
également avec le -t- de la 3e personne (« Pleure-t-il »).

2. IMPÉRATIF ET PRESCRIPTION
Du point de vue « pragmatique » (= de ce qu’on fait avec la parole)
l’impératif permet d’exprimer un ensemble d’actes de discours
prescriptifs : ordre, bien sûr, mais aussi requête, conseil, etc. L’impératif
présente l’état de choses à accomplir en mettant sa réalisation à la charge
de l’allocutaire. Il ne dit pas explicitement qu’il est une prescription mais
il le montre à travers son dire. Toute prescription implique un écart
essentiel entre l’énonciateur et un allocutaire sur qui il entend agir ; il
modifie ainsi les relations entre les interlocuteurs, enfermant l’allocutaire
dans une alternative : obéir/ne pas obéir.
Mais cette valeur pragmatique peut être portée par d’autres structures
en particulier l’infinitif (« Ne pas ouvrir ! », « Ralentir ! ») et
l’association de « que » et du subjonctif (« Qu’il vienne ! », « Que je
parte enfin ! »). Il est compréhensible que ce soit l’infinitif et le
subjonctif qui soient ici mobilisés : l’un et l’autre n’ont pas d’inscription
temporelle et ne peuvent être assertifs [ ▶ SUBJONCTIF. 2 – fiche 57 et
INFINITIF. 1 – fiche 35].

3. LE PROBLÈME DU SUJET
L’infinitif et l’impératif n’ont pas de sujet exprimé, leur position sujet
est phonétiquement nulle. À l’infinitif, le sujet nul s’interprète comme un

agent quelconque ou est spécifié grâce à son antécédent [ INFINITIF. 4 –
fiche 35]. À l’impératif, c’est la situation d’énonciation qui permet de
spécifier le sujet comme étant l’individu ou les individus à qui s’adresse
l’énoncé de seconde personne. Il y a donc circularité, renvoi de la
syntaxe de l’énoncé à l’acte d’énonciation particulier qui le rend possible.
Cela n’exclut pas que ce sujet s’interprète comme quelconque ; il suffit
pour cela que l’allocutaire soit générique (cf. dans les proverbes ou
maximes : « Travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le
moins »).

4. LES CLITIQUES
Une des singularités de l’impératif, c’est que les clitiques compléments
sont placés à droite du verbe, et non à gauche, et liés à lui dans le code
graphique par un trait d’union : mange-le, donne-le-lui, prends-m’en, etc.
Il y a là un phénomène remarquable qui a suscité chez les linguistes des
explications très « techniques » qu’il est impossible d’exposer ici ; a
priori on ne peut pas savoir s’il s’agit ici d’une « inversion du clitique »
ou si c’est le verbe qui passe devant le clitique. En dernière position, à la
1re et à la 2e personne le clitique postposé passe à la forme tonique :
« Regarde-moi/Parle-moi ».
Mais s’il y a négation, on retrouve l’antéposition des clitiques : « Ne
me le fais pas », « Ne lui en parle pas », etc. L’usage familier recourt
souvent à une construction stigmatisée par les puristes (« Vois-le pas »),
qui postpose les clitiques compléments.

Diachronie
Au XVIIe siècle et encore au XVIIIe, si deux impératifs étaient liés par une
conjonction de coordination (surtout et, mais, ou), le clitique objet du second se
plaçait avant le verbe : « Prends ton pic et me romps ce caillou » (La Fontaine).
On rencontrait encore à l’écrit quelques impératifs sans -s, héritage de l’ancien
français (pren, fay…). Les poètes en usaient pour les besoins de la rime :
« Fais donner le signal, cours, ordonne et revien
Me délivrer bientôt d’un fâcheux entretien »

(Racine).
33. Impersonnelles
(Constructions -)

On parle de « constructions impersonnelles » pour des structures de


phrase qui partagent la propriété d’avoir pour sujet syntaxique un il
invariable et dépourvu de sens. On doit distinguer les énoncés dont le
verbe est impersonnel et les constructions impersonnelles, dont le
verbe n’est pas impersonnel par nature. Quelques verbes dits à
« montée du sujet » viennent enrichir cette problématique.

1. LE « IL » IMPERSONNEL
Les constructions impersonnelles ont en position de sujet un il qui
présente des propriétés remarquables :

– il n’a pas de signifié et ne joue pas dans le procès le rôle des GN


habituels (agent, patient, instrument…) ;
– il est invariable ;
– il ne peut être remplacé par aucun pronom ou nom ;

– c’est un clitique, inséparable donc du verbe [ PRONOMS CLITIQUES –
fiche 52] ;
– il gouverne l’accord du verbe en genre et en nombre (« Il est venu
deux personnes »), mais aussi de l’attribut (« Il est curieux que Paul
soit en retard »). L’accord se fait avec les catégories non marquées :
masculin et singulier.

2. LES VERBES IMPERSONNELS


Certaines phrases possèdent pour sujet un il impersonnel parce que
leur verbe appelle un tel sujet. Ce sont donc des verbes qui ne
s’emploient qu’à la 3e personne du singulier. Mais il peut s’agir de deux
classes de verbes aux propriétés bien distinctes :

– des verbes météorologiques (pleuvoir, tonner, grêler…) qui,


associés à il, peuvent former un énoncé complet. On peut y ajouter
les locutions verbales avec faire (faire nuit, beau, chaud…). Ces
verbes météorologiques n’appellent pas de GN objet ; le il n’est pas
totalement vide de sens (on peut dans certains cas le remplacer par
ça : « Ça pleut dur ») et sa réalisation phonétique est obligatoire
(*Tonne). Il arrive que ces verbes soient suivis d’un GN qui précise
comment se manifeste le procès : « Il pleut des cordes » (= c’est un
type de pluie). Quand le verbe est employé métaphoriquement, il
peut avoir un sujet non impersonnel (« Les obus pleuvaient ») ;
– des verbes ou des locutions qui régissent un complément
obligatoire (GN, complétive, infinitif) :

Il faut dormir
Il y a un problème
*Il y a
*Il faut

Ici, le il sujet est sémantiquement vide et parfois supprimé dans


l’usage familier (« Y’a des gens partout », « Faut pas pleurer »…).
Ces deux types de verbes impersonnels ne peuvent être mis à
l’impératif, ni être employés comme forme en -ant (« *En
pleuvant… »/« *Semblant qu’il parte, je sortis »/« *Il pleuvant, nous
sommes rentrés… »).

3. CONSTRUCTIONS IMPERSONNELLES
Les verbes utilisés dans les constructions impersonnelles proprement
dites sont susceptibles de figurer également dans des structures non
impersonnelles où le constituant postverbal peut se substituer à il :

Il est préférable que tu viennes


Que tu viennes est préférable

Quand la construction est impersonnelle, le verbe est en effet


nécessairement suivi d’un GN ou d’une phrase qui s’interprètent comme
son « sujet réel ». Il existe divers types de constructions.

■ Les structures extraposées


Le verbe y est intransitif et le GN postposé non défini. Il s’agit surtout

de verbes inaccusatifs [ INTRANSITIFS (VERBES -). 2 – fiche 37] :

Il vient des gens


Il est tombé trois arbres
*Il s’est levé des gens
*Il vient le marin

Certains verbes transitifs peuvent figurer dans cette structure s’ils sont
dépourvus d’objet et associés à des circonstants spatio-temporels :

Il mange beaucoup de journalistes ici chaque jour

Ces circonstants contribuent à donner à l’énoncé une interprétation


événementielle, aux dépens de l’agentivité, comme dans les autres
constructions extraposées.
■ Les structures en être + adjectif + complétive ou infinitif
Elles sont beaucoup plus naturelles que leur contrepartie non
impersonnelle (« Que tu aies tort est possible ») :

Il est possible que tu aies tort


Il est préférable de fumer

■ Les impersonnelles passives [ ▶ PASSIF. 3 – fiche 46]

Il a été vendu trois voitures de luxe

Ce sont des passives d’un type particulier puisque l’objet direct n’est
pas ici en position de sujet. Mais comme les autres passives, le sujet
appelé par le verbe a été éliminé de la position sujet et le verbe est être +
participe passé.
Dans cette construction, le verbe peut être suivi de compléments
indirects :

On a recouru à cet artifice/* Cet artifice a été recouru


Il a été recouru à cet artifice

Les impersonnelles passives sont paraphrasables par une phrase


personnelle (« On a recouru à cet artifice ») et peuvent parfois avoir un
complément d’agent (« Il a été saisi de la drogue par les douaniers »).

■ Les impersonnelles en se

Il se raconte bien des choses à ce sujet


Il s’achète peu de tabac dans la région

Le GN postposé doit être non défini, comme dans les passives


impersonnelles. Cette construction se trouve en relation systématique
avec la construction « moyenne » (dite aussi « passive en se »), qui
concerne les mêmes verbes associés aux mêmes types de complément
[▶ PRONOMINAUX (VERBES -). 3 – fiche 53]. Mais le passage de l’une à
l’autre n’est pas toujours possible puisque la construction impersonnelle
est soumise à diverses contraintes, en particulier sur le déterminant du
GN :

Les livres se sont vendus ↔ *Il s’est vendu les livres


Quelques fleurs se vendent en été ↔ Il se vend quelques
fleurs en été

D’un point de vue aspectuel, ces deux structures sont fort différentes :
l’impersonnelle s’interprète comme un événement, qui appelle des
circonstants, tandis que la structure moyenne s’interprète souvent comme
une propriété ou comme un procès générique. Mais dans les deux cas,
l’agent du procès reste indéterminé ; en particulier, on ne peut pas
introduire un complément d’agent : « * Quelques fleurs se vendent par
mes amis »/« *Il se vend des fleurs par mes amis ».

4. PHRASES THÉTIQUES ET PHRASES CATÉGORIQUES


On aura noté que les constructions impersonnelles contraignent le GN
qui suit le verbe à être indéfini (« *Il a été vu le livre », « *Il vient les
cavaliers »…). Cette contrainte illustre une distinction importante entre
deux types de phrases : thétiques et catégoriques.

■ Phrase catégorique
Dans une phrase catégorique, on attribue un prédicat à un argument
(GN ou phrase) dont on présuppose l’existence :

Le livre est bleu


Marie est venue
Une voiture a franchi la ligne jaune
Qu’il parte m’étonne
Fumer est malsain…
■ Phrase thétique
Elle ne prédique pas quelque chose d’un argument dont on présuppose
l’existence, elle introduit un état de choses en même temps que le sujet
qui y est impliqué. Si l’on dit :

Il a été trouvé un livre


Il y a des fleurs dans le jardin

On n’attribue pas une propriété à un livre ou à un jardin particuliers,


préalablement identifiés. L’ensemble de la phrase répond à des questions
implicites du type « Que se passe-t-il ? ».
L’intérêt des constructions impersonnelles est qu’elles montrent dans
leur syntaxe même ce caractère thétique, puisqu’elles ne correspondent
pas à une structure GN-GV où le GN sujet serait « plein ». C’est
pourquoi les phrases thétiques personnelles paraissent très maladroites,
comparées aux impersonnelles :

(1) ?* Des enfants pleurent (thétique à GN sujet indéfini)


(2) Il y a des enfants qui pleurent (thétique impersonnelle)

5. LES VERBES DITS « À MONTÉE DU SUJET »


On s’est beaucoup intéressé à un groupe de verbes aux propriétés
singulières (sembler, s’avérer, se trouver…). Ils peuvent figurer dans des
constructions impersonnelles (« Il semble qu’il soit malade ») mais aussi
dans des constructions à sujet « plein » (« Paul semble gentil »/« Luc
s’est avéré un homme subtil »/« Françoise se trouve hériter d’une grande
fortune »). À l’aide de divers tests, on peut montrer qu’en fait dans ces
énoncés à sujet non impersonnel, les GN en position sujet ne
s’interprètent pas comme le sujet sémantique du verbe principal. En
d’autres termes, les deux énoncés :

(1) Paul veut dormir


(2) Paul semble dormir

ont des structures très différentes. On peut en (2), mais pas en (1),
substituer à l’infinitif un GA (« Paul semble très heureux »/« *Paul veut
très heureux ») et (2) se paraphrase par une impersonnelle (« Il semble
que Paul dorme »).
Pour rendre compte de ce comportement surprenant, certains linguistes
font l’hypothèse que sembler est toujours impersonnel mais qu’à la
différence d’un verbe comme falloir, il entrerait dans deux constructions
différentes, illustrées par (3) et (4), cette dernière étant en fait réalisée
sous la forme de (5) :

(3) Il semble que Paul dorme


(4) ( ) semble Paul dormir
(5) Paul semble dormir

En (3), le verbe impersonnel régit une complétive. Mais en (5) le GN


sujet Paul serait « monté » de la position qu’il occupe en (4), masquant le
caractère impersonnel de semble.

Diachronie
L’ancien français recourait beaucoup aux verbes impersonnels, employés sans il.
C’est au XVIe siècle que ce il s’impose définitivement. Au XVIIe siècle, certains
verbes psychologiques entraient dans des constructions impersonnelles, des
latinismes, aujourd’hui marginales (il me déplaît…) ou impossibles (il me fâche
de…) Leur valeur se comprend à la lumière de l’opposition encore vivante dans
l’usage soutenu entre il me souvient et je me souviens (Vaugelas trouvait bons ces
deux tours).
On trouvait quelques archaïsmes : il conste (= « Il est établi ») ou il chaut (= « Il
importe ») ; parfois le verbe était utilisé sans il : semble que, faut, y a…
Là où aujourd’hui on fait usage de on, le XVIIe recourait souvent au passif
impersonnel, comme l’ancien français : « Au dieu d’amour il fut sacrifié » (La
Fontaine).
34. Indéfinis

La grammaire traditionnelle regroupe sous l’étiquette d’indéfinis des


éléments qui participent de la détermination du nom : des déterminants,
les pronoms qui leur correspondent, ainsi que quelques adjectifs. La
plupart varient en genre et en nombre. Cet ensemble hétérogène, d’un
point de vue sémantique, peut être distribué en deux groupes : les
quantifieurs (la grande majorité) et les qualifieurs.

1. UN ENSEMBLE PROBLÉMATIQUE
La tradition a légué cette notion d’indéfini, qui repose sur des propriétés
syntaxiques et sémantiques :

– syntaxiques : ils ont un statut de GN (s’ils sont pronoms) ou de


déterminants du nom ;
– sémantiques : il s’agit surtout de quantifieurs (ou d’éléments dans
lesquels la dimension quantifiante domine), auxquels s’ajoutent même,
autre, tel, qui ont valeur qualifiante.

En ce qui concerne les déterminants, le terme d’« indéfini » n’est guère


approprié. Si c’est le caractère non défini qui sert de critère d’appartenance,
on devrait y inclure un ou l’article zéro. En fait, il s’agit plutôt de l’ensemble
des déterminants du nom auquel on a soustrait les articles (défini, indéfini,
partitif, zéro), les démonstratifs et les possessifs.
2. DÉTERMINANTS
La classe des indéfinis se divise en déterminants et en pronoms. Le
tableau qui suit fait intervenir à la fois les propriétés distributionnelles et le
sens des indéfinis.

■ Quantifieurs
On distingue :
1. ceux qui peuvent commuter avec les articles (aucun/plusieurs ami(s)) ;
2. ceux qui peuvent être postposés à l’article.
Dans ces deux groupes, quelques termes permettent au GN de référer à un
ensemble vide (nul), d’autres à un objet singulier (quelque), d’autres à des
pluralités restreintes (divers), non restreintes (maint) ou à une totalité
distributive (chaque) ;
3. tout antéposé à l’article circonscrit une totalité saisie de manière
globale (tout le/un…) ou distributivement s’il est placé directement devant

le nom (tout homme) [ TOUT. 2 – fiche 60].

Ensemble Singularité Pluralité Pluralité non Totalité


vide restreinte restreinte

1 aucun quelque plusieurs maint chaque


pas un n’importe certains
nul quel

2 certain quelques
divers
différents

3 tout

Dans ce tableau sont notés les déterminants qui s’emploient avec des
noms comptables (ou discrets). D’autres déterminants, qui comportent de,
s’emploient aussi bien pour des noms comptables que non-comptables :
beaucoup de, un peu de, peu de, moins/plus/autant de… Le de permet de
marquer l’opération de prélèvement d’une partie :

Il a acheté beaucoup de livres/de beurre

■ Non quantifieurs
Sont concernés le couple même/autre et tel, qui s’emploient avec un
article ou seuls devant le nom (telle personne, même aventure, une telle
personne, la même histoire…).

3. PRONOMS
■ Quantifieurs
La notion de « pronom » est ici équivoque. Il faut en effet mettre à part les
vrais pro-noms, ceux qui ont un antécédent nominal : « j’ai trois chats ;
aucun n’est affectueux. » Ces pronoms sont susceptibles de deux emplois :
en anaphore, après leur antécédent (cf. l’exemple ci-dessus), en cataphore
[▶ ANAPHORE NOMINALE. 1 – fiche 3], devant leur antécédent (« Quelques-
uns de nos amis… »).
Ceux qui ne sont pas de véritables pro-noms réfèrent directement c’est-à-
dire sans passer par un antécédent. On les appelle parfois pronoms
autonomes. Dire par exemple « Personne n’est venu », c’est dire qu’il
n’existe pas d’individu auquel on puisse associer le prédicat « – est venu ».
Bien entendu, l’ensemble à partir duquel on dira que « personne n’est
venu » varie selon les contextes (aucun client, aucun élève, etc.) mais ce ne
sont pas pour autant des pronoms, des substituts de noms.
Les grammaires incluent parfois le clitique sujet on parmi les pronoms

indéfinis [ ON – fiche 43].

Ensemble Singularité Pluralité Pluralité Totalité


vide restreinte non
restreinte
Vrais aucun n’importe peu beaucoup tous
pronoms nul lequel certains la plupart chacun
pas un l’un quelques-
uns
plusieurs
les uns

« Pronoms » personne n’importe quelques- beaucoup tout le


autonomes nul rien qui uns monde
quelque certains chacun
chose tout
quelqu’un

Aux éléments figurant dans ce tableau on ajoutera les pronoms numéraux


cardinaux (un, deux, trois…), utilisés pour anaphoriser partiellement un
GN :

J’ai acheté cinq vaches. Trois sont malades

■ Éléments non quantifieurs


À même et autre correspondent les pronoms le même, l’autre à tel
correspond le pronom « autonome » tel (cf. « Tel qui se croyait vainqueur a
été déclassé ») mais aussi un tel (cf. « J’ai parlé à un tel et un tel »). Autrui
désigne collectivement ceux qui ne sont pas le sujet.

Identité Non-identité

Pronoms le même l’autre

« Pronoms » autonomes autre chose un tel


autrui tel

4. COMMENTAIRES
Certains de ces indéfinis sont réservés à la langue soutenue (maint,
quelque (singulier), tel…).
Dans nos tableaux, la caractérisation sémantique est élémentaire. Ainsi le
déterminant certain ne fait pas que marquer l’unicité du référent, il indique
aussi la singularité de l’individu. N’importe quel implique une sélection
délibérément aléatoire, tandis que quelque se contente d’extraire un élément
d’un ensemble. Divers et différents, à la différence de quelques, insistent sur
la variété des éléments considérés.
Tous présente des propriétés remarquables [ ▶
TOUT. 2 – fiche 60]. Ce
n’est pas la moindre que d’être un quantifïeur « flottant », c’est-à-dire de
pouvoir occuper diverses places dans la phrase :

Mes frères sont tous venus


Mes frères sont venus tous

Chacun « flotte » aussi, mais moins librement.


Employé comme déterminant singulier, tout est proche de chaque
(« chaque/tout homme est voué à la sagesse ») mais alors que tout peut
référer à des objets qui n’existent pas, chaque présuppose l’existence
effective d’un ensemble. Comparons ainsi :

Tout soldat recevra une musette (règlement)


Chaque soldat recevra une musette (dans un bataillon
déterminé)

Ces quelques remarques nous permettent de prendre conscience de la


complexité de la référence des GN. Sur la fonction quantifiante des indéfinis
se greffent d’autres traits sémantiques, qui rendent les unités difficilement
substituables : ce n’est pas la même chose d’écrire : « certain renard
gascon » et « un/quelque renard gascon ».

Diachronie
Même avait au XVIIe un comportement assez différent de celui qu’il a aujourd’hui.
Ainsi le même + Nom pouvait signifier « le N même ». c’était le contexte qui
décidait :

« Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu… ? » (= « la vertu même »)


(Corneille).

Inversement, le + Nom + même pouvait parfois valoir pour l’actuel


« le même N », mais cet emploi au XVIIe est rare et archaïque.
Même posait par ailleurs un délicat problème de catégorisation, en
particulier lorsqu’il était postposé au nom : adverbe ou adjectif ? Il a fallu trancher
pour les règles d’accord. En ce qui concerne la graphie, on trouvait fréquemment
mêmes pour l’adverbe, survivance de l’ancien français ; il y avait là matière à
confusion entre adverbe et indéfini pluriel.
Autre entrait dans des corrélations élégantes autre… autre :

« Autres sont les temps de Moïse, autres ceux de Josué » (Bossuet).

Autrui est en ancien français le cas-régime de autre ; Vaugelas préfère encore d’autrui,
qu’il juge supérieur à des autres, mais signale que certains considèrent autrui comme
vieilli. On notera que, dans la continuité de son étymologie, ce terme continue
aujourd’hui à ne s’employer que comme complément, sauf dans le discours
philosophique.
Maint était déjà déclaré désuet par Vaugelas ; La Bruyère regrettait son recul. Il a
néanmoins survécu dans la langue soutenue.
Chacun en ancien français était pronom et déterminant. Comme déterminant c’est un
archaïsme au XVIIe : chacun an, par chacun jour qu’emploie Malherbe sont condamnés
par Vaugelas. Chaque, qui s’est massivement diffusé au XVIe, a permis d’enlever à
chacun tout statut de déterminant (cf. le couple analogue quelque/quelqu’un).
Aucun pouvait encore être utilisé comme pronom avec sa valeur positive
étymologique (= aliquis unus) :

« Je crains également l’une et l’autre fortune.


Et le moyen aussi que j’en choisisse aucune ? » (Corneille).

Le pluriel aucuns est également vivant, déterminant (= « quel- conques ») ou pronom


(= « quelques-uns, certains »). Mais il s’efface dans la seconde moitié du XVIIe siècle.
À côté du déterminant certain, on trouvait aussi le déterminant un certain (« un
certain valet », « une certaine grande dignité » (Molière)), et un certain tout seul (=
« un individu »), qui, selon les grammairiens, est analysé comme un pronom ou
comme un déterminant suivi d’un nom sous-entendu.
35. Infinitif

L’identification de l’infinitif, d’un point de vue morphologique, ne


pose pas de problèmes. En revanche, il est source traditionnelle de
débats quand il s’agit de définir sa catégorie : verbale ou nominale,
verbe au mode infinitif ou phrase infinitive ? Comme pour le participe
présent, on est ainsi amené à s’interroger sur le statut de son sujet.

1. L’INFINITIF COMME PHRASE


Sur le plan morphologique, on identifie aisément l’infinitif par la
désinence du verbe. Comme le participe présent, il ne possède pas de
marques de personne, de temps ou de nombre, mais seulement
l’opposition entre forme simple et composée. La tradition y voit le plus
souvent un « mode nominal du verbe », où le verbe jouerait un rôle de
GN. Mais elle reconnaît aussi l’existence d’une « proposition infinitive »
lorsque le verbe à l’infinitif est pourvu d’un sujet exprimé (cf. « Je vois
Paul courir »). En revanche, beaucoup de linguistes modernes, même
pour les infinitifs sans sujet exprimé, parlent plutôt de phrase à l’infinitif,
dont le sujet serait nul phonétiquement.
L’infinitif, outre le fait que son verbe a toutes les propriétés de
complémentation d’un verbe normal, possède en effet un grand nombre
de traits de phrase : il a les mêmes fonctions qu’une complétive et
contient une position de complémenteur (« Je sais quoi dire/je me
demande à qui parler ») ; il peut aussi être passivé (« Je regrette d’avoir
été dupé »), nié avec une négation de phrase (« Je regrette de ne pas
venir »). Il peut même constituer à lui seul un énoncé (« Ralentir au
tournant ! »).
Mais quand il forme ainsi un énoncé indépendant, l’infinitif n’est pas
assertif, il ne peut dire le vrai et le faux. En effet, on a vu

[ EMBRAYEURS. 1 – fiche 23] qu’un énoncé ne pouvait être asserté que
s’il avait des marques de temps et de personne, être rapporté à un
énonciateur. L’infinitif ne connaît donc que deux types d’emploi :

– inclus dans une phrase dont le verbe possède des marques de temps
et de personne (« Je veux dormir ») ;
– non subordonné, mais non assertif :

(1) *Le froid être terrible


(2) Moi, me moquer de toi ?
(3) Ne pas le toucher !

Dans l’exemple (2), il y a reprise et rejet d’un énoncé d’autrui, qui


n’est pas pris en charge ; dans l’exemple (3), il y a injonction (dans
d’autres contextes l’infinitif peut aussi exprimer le souhait). On aura
relevé que la négation de l’infinitif place ne et pas devant le verbe et ses
clitiques compléments, alors que les verbes à temps fini ou au participe
présent s’intercalent entre ne et pas (« Je ne le touche pas », « Ne
dormons pas »). À la forme composée l’usage hésite : n’être pas venu/ne
pas être venu.

2. LES FONCTIONS DE L’INFINITIF


Quand il est subordonné, l’infinitif sans sujet exprimé occupe la
plupart du temps les diverses positions d’un GN :
– Sujet : Dormir est agréable
– Objet : Je souhaite revenir
– Complément du nom : L’idée de partir… etc.
L’infinitif est alors souvent introduit par un morphème de liaison (le
plus souvent de, parfois à) tantôt facultatif, tantôt obligatoire :

Je souhaite (de) partir


(D’) avoir tant d’idées ne sert à rien
Il est heureux de partir
*Il est heureux partir

L’infinitif peut aussi figurer dans des interrogatives indirectes ou des


relatives :

Je me demande quoi lui répondre (interrogative)


Elle est en quête d’un endroit où se reposer (relative)

Il peut aussi se combiner avec un semi-auxiliaire aspectuel [ ▶ ASPECT


– fiche 8] ou modal :

Paul vient de sortir


Paul doit sortir

3. LE PROBLÈME DU SUJET
Si beaucoup de grammairiens hésitent à considérer l’infinitif comme
une phrase, c’est parce qu’il n’a pas de sujet, du moins de sujet
phonétique. En revanche, s’il y a un sujet non nul, ils parlent sans
difficulté de phrase ou de proposition infinitive ; c’est le cas après laisser
ou faire, après les verbes de perception, après certains verbes de
mouvement (emmener, conduire, envoyer) et plus marginalement dans les
« infinitifs de narration » :

Je fais/laisse dormir Luc


Il emmène Luc chasser
Je vois/sens/entends… Léon venir
Grenouilles de sauter dans les ondes
En français, en dehors de ces contextes, l’infinitif n’a régulièrement
pas de sujet phonétique. Ceux qui affectent un sujet à tous les verbes à
l’infinitif considèrent qu’il y a quand même une position sujet, laquelle
serait nulle phonétiquement parce que le contexte permet de restituer
l’élément qui manque.

– Soit parce que ce dernier se trouve dans la principale :

Je souhaite [( ) partir]

– Soit parce qu’il s’agit de n’importe qui ; ainsi le sujet de fumer dans
l’énoncé « Ne pas fumer ! » est tout individu susceptible de fumer
qui lira ou entendra cette consigne.

Cette possibilité d’une double interprétation n’est pas un phénomène


isolé dans la langue ; le pronom relatif, en particulier, peut renvoyer aussi
bien à un individu quelconque (« Qui m’aime me suive ») qu’à un
antécédent présent dans la principale (« Il y a un homme qui me suit »)

[ QUI. 3 – fiche 55].
Si le sujet de l’infinitif n’est pas générique, son interprétation dépend
du verbe de la principale :

Paul dit à Luc de ( ) dormir (le sujet de dormir est Luc)


Jean promet à Luc de ( ) dormir (le sujet est Jean)
Jean demande à Luc de ( ) dormir (le sujet peut être Jean ou
Luc)

Faire l’hypothèse que les infinitifs ont un sujet nul, c’est poser qu’en
français il existerait (sauf pour les quelques exceptions que sont laisser,
voir, etc.) deux types de phrases :

– celles à sujet nul et verbe non conjugué ;


– celles à sujet non nul et verbe conjugué.

Ce qui conduirait à prendre acte d’une corrélation entre présence d’un


sujet exprimé et présence des marques de temps et de personne, ou,
inversement, entre absence de sujet exprimé et absence de marques de
temps et de personne.

4. INFINITIF ET FRONTIÈRES SYNTAXIQUES


On constate une divergence intéressante entre les infinitifs et les
complétives. Regardons ces phrases :

(1) Je le vois disparaître


(2) Je le fais éliminer

Dans l’exemple (1), le est le sujet de disparaître ; dans l’exemple (2),


le est objet d’éliminer. Pourtant, ils se trouvent devant le verbe de la
principale, hors de leur phrase par conséquent. Cette liberté de
mouvement n’existe pas pour les complétives qui ont la même fonction :

*Je le vois que disparaît (avec le sujet de disparaît)


* Je le veux que Paul élimine (avec le objet d’éliminer)

Autrement dit, les phrases à verbe fini et à subordonnant sont étanches,


leurs constituants ne peuvent se trouver dans la principale. Les infinitifs,
en revanche, ont une autonomie plus faible. Cela se manifeste d’ailleurs
sur le plan morphologique : dans l’exemple (1) le sujet de l’infinitif est
le, c’est-à-dire qu’il porte des marques d’objet du verbe de la principale.

Diachronie
L’infinitif de narration, qui combine un sujet non nul et un infinitif dans un
énoncé assertif, a été rendu célèbre par La Fontaine. On le trouve dès l’ancien
français, et au XVIe siècle il caractérise le style dit « marotique ».
Au XVIe siècle, en suivant le modèle du latin, on a fabriqué des propositions
infinitives avec sujet exprimé après des verbes d’opinion ou de dire. Cela se
prolonge au XVIIe, mais dans une bien moindre mesure : « Je crois les orateurs
avoir raison », « Vous reconnaissez ce défaut être une source de discorde »
(Bossuet). C’est typiquement le fait d’auteurs bilingues (latin/français). On ne
confondra pas cet emploi avec les infinitives qui suivent des verbes de perception.
Au XVIIe, l’obligation pour le sujet de l’infinitif d’être le même que celui de la
principale dans une circonstancielle n’est pas encore bien établie, surtout avec
pour ou sans : « Rends-le moi sans te fouiller [= sans que je te fouille] »
(Molière), « L’homme a besoin d’éléments pour le composer » (Pascal). Mais cet
usage a été blâmé par les grammairiens.
On pouvait associer l’infinitif avec les prépositions par ou depuis : « depuis vous
avoir connu »… Certaines prépositions n’exigeaient pas de : « avant partir »…
Là où l’on emploie aujourd’hui que de ou surtout de, on pouvait trouver que : « à
moins que venir », « avant que répondre ». Ce point a été discuté ; Vaugelas et
l’Académie ont refusé avant que ou avant de au profit de avant que de.
Après faire, le sujet de l’infinitif, comme en ancien français, pouvait être mis à
l’accusatif et non au datif comme c’est le cas à présent :

« On ne la fera point dire ce qu’elle ne dit pas »


(Mme de Sévigné).

Les infinitifs objets n’étaient pas nécessairement introduits comme en français


contemporain. Certains pouvaient se construire directement
(permettre/craindre/prier/promette…) ; d’autres usaient de de à la place de à (se
hasarder de, songer de, apprendre de…) ou l’inverse (s’efforcer à, oublier à…).
36. Interrogatifs
(mots -)

On entend par mots interrogatifs des morphèmes (déterminants,


pronoms, adverbes) qui permettent de construire des interrogations
partielles et ont la possibilité de figurer dans deux positions : dans la
position de complémenteur et dans celle qui correspond à la fonction
qu’ils occupent dans la phrase. Leur étude croise constamment celle
des pronoms relatifs, dont la morphologie et le fonctionnement sont

partiellement similaires [ QUI – fiche 55].

1. DÉTERMINANTS
C’est quel qui joue le rôle de déterminant interrogatif : « Tu as vu quel
soldat ? », « Quel soldat as-tu vu ? ». À l’oral il est invariable en genre et
marqué en nombre s’il y a liaison : quels enfants ([kεlzf])̃ .
Dans la langue familière, on trouve également lequel à la place de quel
(« Lequel livre tu veux ? »). Dans ce cas, l’article défini le- permet une
variation en genre et en nombre. Mais lequel ne peut pas toujours
remplacer quel, car il permet seulement de choisir un élément dans un
ensemble restreint d’objets de même type.
Certains emplois de quel posent problème. Ainsi, dans un énoncé
comme :
Quel est ton pays ?

il semble que l’on soit confronté à un « déterminant attribut » (ce n’est


pas un pronom puisqu’on ne peut pas dire « *Quel ? », ni un adjectif
puisque quel n’est jamais épithète). On peut réduire cette apparente
bizarrerie en considérant que ce quel spécifie un nom « sous-entendu »
qui serait interprété grâce au GN qui suit. Mais d’autres solutions sont
envisageables.
Lorsqu’il s’agit de quantifier, on recourt à un déterminant interrogatif
invariable combien, qui se combine avec les substantifs comptables
comme avec les non-comptables (« Combien de lait as-tu acheté ? »/« Tu
vois combien de moutons ? »). Il peut figurer en position d’attribut : « Ils
sont combien ? », « Combien sont-ils ? »

2. PRONOMS ET ADVERBES
On trouve pour les pronoms interrogatifs le même matériel
morphologique que pour les pronoms relatifs, fondé sur la forme de base
qu-. Mais la répartition des emplois est différente :

Non spécifié Animé Non-animé


sémantiquement humain

lequel qui Ø Sujet

lequel qui que/quoi Objet et


attribut

lequel qui Prép. + quoi GP

La répartition entre « non-animé » et « humain » laisse une lacune ;


pour les animaux, on ne peut dire ni « *Qui aboie ? », ni « *Que fais-tu
aboyer ? ». Pour le non-animé, l’absence de pronom sujet est suppléée
par la structure avec inversion du clitique sujet (« Qu’est-ce qui fait
peur ? ») qui, d’ailleurs, est associable à toutes les formes : qu’est-ce
qui… ?, sur quoi est-ce que… ?, etc.
Le pronom sujet régit un accord au masculin singulier, c’est-à-dire
qu’en fait il n’est pas marqué en genre et en nombre :

Qui parlera ?/*Qui parleront


Qui est heureux en France ? (Qui est heureuse ? n’est
possible que si l’on a restreint l’ensemble visé aux seules
femmes)

Pour le GN en fonction d’attribut, le pronom interrogatif


correspondant est que/quoi (que en tête, quoi à l’intérieur de la phrase) :

(1) Elle est quoi ?


(2) Qu’est-elle ?

(1) et (2) permettent des réponses du type : « Elle est mannequin »,


« Elle est étudiante ». Mais avec ce type d’interrogation on ne peut
identifier un individu :

Elle est quoi ?


– *La sœur de Luc
– Mannequin

On comprend pourquoi : le pronom quoi ne peut convenir pour un


animé humain. S’il est néanmoins utilisable ici pour mannequin, c’est
parce que ce GN désigne un métier et non une personne. Pour désigner
un individu il faut recourir à qui :

Qui est-elle ?
– La sœur de Luc

On peut aussi recourir au déterminant quel si le GN sujet n’est pas un


nom propre :
Quelle est cette femme ?
*Quel est Paul ?

Pour l’adjectif qualificatif attribut, on recourt à comment :

Elle est comment ?


– Jolie
– * Institutrice

Le pronom interrogatif peut également se construire sur le paradigme


en lequel. Ce pronom présente l’avantage de marquer le genre et le
nombre et de pouvoir figurer dans toutes les positions :

Lequel est venu ?


Tu as vu laquelle ?
Contre lesquels te bats-tu ?
Lequel est Paul ? Etc.

Mais, comme le déterminant correspondant, il permet seulement de


parcourir les éléments d’un ensemble déjà restreint pour demander à
l’allocutaire d’en sélectionner un.
Quelques mots interrogatifs sont des adverbes circonstanciels,
invariables par conséquent : où ?, quand ?, comment ?, pourquoi ?
Ces adverbes peuvent, comme qui ? être renforcés par un çà à valeur
anaphorique : quand çà ? On peut aussi recourir à des GP intégrant le
déterminant quelle : « avec quelle intention ? », « dans quel village ? »…

3. QUE ET QUOI
L’alternance entre que et quoi est intéressante. Dans les phrases à
verbe à temps fini, que est toujours contigu au verbe, alors que le pronom
quoi occupe les autres positions. Cette distribution complémentaire de
leurs emplois s’explique si l’on admet que le pronom que, mais pas quoi,
est un clitique [ ▶ PRONOM CLITIQUE – fiche 52]. En tant que clitique, il
doit en effet être placé contre le verbe ou n’être séparé de lui que par un
autre clitique :

Que lui donnes-tu ?


*Que demain fais-tu ?
*Que tu dis ?

Si « *Que tu dis ? » est agrammatical, c’est parce que les clitiques


sujets (ici tu) doivent être situés devant tous les autres clitiques ; or dans
cet énoncé, que est devant tu. Pour pallier ce blocage, il suffit que le
clitique sujet se trouve postposé au verbe : « Que dis-tu ? ». Avec les
infinitifs, en revanche, on peut trouver que ou quoi :

Que/quoi faire de lui ?

Diachronie
Au XVIIe siècle, qui en fonction d’attribut pouvait se rapporter à un non-humain :
« Qui sont ces choses ? ». Parfois il était employé dans une interrogative
indirecte : « Vous savez qui[= ce qui] m’amène ici » ; mais le risque de confusion
avec le qui humain était très grand.
Lequel pouvait être neutre :

« Lequel [= qu’est-ce qui] vaut mieux ? ».

Quel s’employait pour un choix, concurremment avec lequel :

« Quel de ces diamants ? ».

Dans certains emplois déjà archaïques, quel attribut avait un statut adjectival :

« Quel devient-il ? », « Je veux voir jusqu’au bout quel sera votre


cœur » (Molière).

On trouvait également des interrogations indirectes dont le subordonnant était le


pronom que, là où on use maintenant de ce que : « Je ne sais que c’est d’aimer » ;
« Il demande qu’est devenue la sévérité des jugements… ». Mais les
grammairiens ont condamné cet emploi, sans doute parce qu’il y avait conflit avec
le que subordonnant des complétives.
Comme au sens de « comment » pouvait introduire des interrogatives directes au
début du siècle, mais cet emploi fut rejeté par Vaugelas :

« Comme a-t-elle reçu les offres de ma flamme ? » (Corneille).

e
Ce comme interrogatif ne survit à la fin du XVII que dans les interrogatives
indirectes.
De quoi ? pouvait signifier « à cause de quoi ? » et à quoi ? correspondre à
« pourquoi ».
37. Interrogation

L’interrogation ne doit pas être confondue avec la structure


interrogative. L’interrogation est un type de modalisation qui s’oppose
à l’assertion ou à l’injonction et qui peut investir des structures
syntaxiques diverses. Elle doit être rapprochée de la négation qui peut
également être partielle ou totale, et de la relativisation, avec laquelle
elle partage une bonne part de son matériel morphologique et de son
fonctionnement syntaxique.

1. INTERROGER
Interroger quelqu’un, c’est accomplir un acte de discours qui place
l’interlocuteur dans l’alternative répondre/ne pas répondre et, s’il répond,
qui l’oblige à le faire à l’intérieur du cadre imposé par la question. Ainsi
à la question : « Quand arrives-tu ? » on n’est pas censé répondre « avec
Marie » mais par exemple « demain ».
On ne doit pas confondre « interrogation » et « demande
d’information ». Un grand nombre d’énoncés interrogatifs sont des
assertions détournées, des questions rhétoriques : certaines sont codées
(« Qu’y puis-je ? », « Que voulez-vous que ça me fasse ? »…), mais la
plupart s’interprètent comme telles grâce au contexte. D’autres
interrogations sont des demandes de confirmation, en particulier à la
forme négative (« J’ai pas raison ? », « N’es-tu pas heureuse ici ? ») qui
appellent une réponse en si, des requêtes indirectes (« Veux-tu ouvrir la
porte ? »), des rappels à l’ordre indirects (« Sais-tu que tu commences à
m’ennuyer ? »), etc. Il faut donc bien distinguer deux niveaux : la
structure interrogative et l’interprétation de l’énoncé en contexte.

2. LES STRUCTURES INTERROGATIVES


L’interrogation totale peut investir diverses structures syntaxiques ;
mais elle est constamment associée à une mélodie montante, suspensive.
Il peut s’agir :

– d’une structure identique à celle de l’assertion mais portée par la


mélodie interrogative (« Tu viens ? », « Paul est là ? ») ;
– de l’inversion du clitique sujet (« Vient-il ? », « Paul vient-il ? »).

Comme le montrent ces deux exemples, il y a deux types d’inversion :


l’inversion simple du sujet clitique, et l’inversion complexe. Dans ce
dernier cas, le GN sujet demeure à sa place, tandis qu’un clitique de 3e
personne est adjoint à droite du verbe. Dans l’usage familier, le clitique
n’apparaît pas nécessairement : « Quand Paul arrive ? ».
L’interrogation en est-ce que est une structure à inversion simple qui
s’est figée. Ce tour présente l’avantage de ne pas modifier la place des
éléments de la subordonnée : « Paul vient » reste ainsi invariant dans :
« Paul vient ? » comme dans : « Est-ce que Paul vient ? »
On s’accorde en général à percevoir une différence sémantique entre
« Tu pars ? », « Pars-tu ? » et « Est-ce que tu pars ? ». En effet, « Tu
pars ? », s’emploie plutôt pour un allocutaire qui semble agir en vue d’un
départ ; en revanche, « Est-ce que tu pars ? » ou « Pars-tu ? » préjugent
moins de la réponse, laissent ouverte l’alternative.
L’inversion du clitique sujet n’est nullement réservée à l’interrogation ;
on la retrouve dans les incises, les hypothétiques, etc. [ ▶ INVERSION DU
SUJET. 2 – fiche 39]. Il semble qu’elle permette de suspendre l’assertion ;
ce qui est requis dans l’interrogation. Mais l’inversion dite « complexe »
(« Pierre est-il là ? ») se laisse moins facilement expliquer.
3. L’INTERROGATION PARTIELLE
On oppose les interrogations partielles, qui portent sur un constituant
de la phrase, aux interrogations totales qui portent sur l’ensemble de la
phrase. Cette distinction peut être égarante. En effet, une interrogation
comme « Es-tu là pour me voir ? » peut sembler « partielle » dans la
mesure où la question porte sur le motif de la venue. En fait, on parle
d’interrogation totale quand on est censé répondre par oui/non ; en
revanche, si l’on dit : « Qui vient ? », on parcourt mentalement
l’ensemble des individus susceptibles de venir et l’on demande à
l’allocutaire d’en sélectionner un parmi tous les possibles. Ces
interrogations partielles sont riches en présupposés, qui contribuent à
enfermer l’allocutaire, à contraindre sa réponse ; demander « Qui
vient ? » ou « Pourquoi est-il en retard ? », c’est présupposer que
quelqu’un est venu ou qu’il est en retard.
Il arrive qu’un même énoncé supporte plus d’une interrogation
partielle à la fois : « Qui est venu quand ? », « Qui a parlé à qui ? »
Cette possibilité qu’a l’interrogation de porter sur l’ensemble de la
phrase ou sur un seul constituant se retrouve dans la négation qui, elle
aussi peut être partielle (« Je n’ai vu personne ») ou totale (« Je n’ai pas
vu Paul. ») Ces deux opérations d’interrogation et de négation ne relèvent
pas du système des fonctions syntaxiques, mais de la modalisation par
l’énonciateur.
L’interrogation partielle exploite le même matériel morphologique que

les relatives [ INTERROGATIFS (MOTS -). 2, 3 – fiche 36], sauf quand il
s’agit de circonstances (quand ?, comment ?, pourquoi ?) ou de
quantifieurs (combien de N ?), qui n’ont pas de contrepartie chez les
relatifs. L’interrogation partielle dispose de deux stratégies :

– maintenir dans sa position l’élément interrogé :

Paul arrive quand ?


Tu as vu qui ?
– le placer dans le complémenteur :

Quand Paul arrive-t-il ?


Qui as-tu vu ?
Quand vient Paul ?

Le dernier exemple nous montre qu’il est possible de postposer le GN


sujet au lieu d’utiliser l’inversion complexe ; la postposition du GN n’est
obligatoire qu’avec que objet direct ou attribut [▶ INTERROGATIFS (MOTS
-). 3 – fiche 36] :

Que devient Paul ? *Que Paul devient ?/*Que Paul devient-


il ?
Que voit Paul ? *Que Paul voit?/*Que Paul voit-il ?

Il existe d’autres impossibilités, en particulier avec qui ou lequel. Le


recours à est-ce que permet de les contourner : « Qui est-ce qui est
venu ? », « Quand est-ce que Paul part ? », etc. C’est probablement une
des raisons de son succès. L’usage familier dispose d’un tour qui élimine
même l’inversion de ce :

Quand c’est qu’il vient ?


Qui c’est qui l’a vu ?

On peut même supprimer le mot interrogatif dans le complémenteur



[ CE. 2 – fiche 11] en utilisant la structure emphatique en c’est… que…

C’est quand qu’il vient ?


C’est qui qui l’a vu ?

4. LE MOT INTERROGATIF DANS LE COMPLÉMENTEUR


L’interrogation partielle, en plaçant des constituants dans le
complémenteur, permet d’établir des relations entre des éléments distants
l’un de l’autre. Considérons les énoncés suivants :

(1) Qui crois-tu que Paul a vu ( ) ?


(2) À qui crois-tu qu’on dit que je parle ( ) ?

Qui et à qui se trouvent dans le COMP d’une phrase dans laquelle ils
n’ont pas de fonction, puisque dans l’exemple (1) qui est objet de a vu et
dans l’exemple (2), à qui objet indirect de parle. Ceci n’est possible que
parce que les COMP inférieurs (encadrés dans les exemples) ne sont pas
occupés. Certes, on y trouve un que mais il s’agit d’un subordonnant
dépourvu de tout contenu. Il suffit que ce COMP soit occupé par une
unité lexicale « pleine » pour que la relation entre l’interrogatif en tête de
phrase et la position qui lui donne sa fonction soit bloquée :

(3) *Qui penses-tu savoir si j’ai vu ( ) ?

L’exemple (3) est agrammatical parce que si n’est pas vide de sens.

5. L’INTERROGATION INDIRECTE
Les interrogatives indirectes sont des subordonnées compléments
d’un verbe et non des actes d’interrogation. Comme ce sont des
subordonnées, elles n’impliquent pas d’intonation montante ou
d’inversion du sujet, c’est-à-dire de marques de suspension de la valeur
assertive. Quand l’interrogation est totale, elle est introduite par un si
(« Paul m’a demandé si j’étais malade ») ; lorsqu’elle est partielle, elle
recourt à un mot interrogatif, placé dans la position COMP (« On sait qui
j’ai vu »). Il peut y avoir une interrogation indirecte incluse dans une
interrogation directe : « Sais-tu si Marie est venue ? »
Certains verbes introducteurs ont un sens interrogatif (demander, se
demander, s’enquérir), d’autres non (savoir, chercher, regarder,…). Dans
une phrase comme : « Je sais s’il est là », c’est donc la présence de si qui
permet de savoir que l’on a affaire à une interrogative et non à une
complétive.
L’interrogation indirecte partielle est lacunaire [ ▶ INTERROGATIFS (MOTS
-). 4 – fiche 36] :

*Je me demande quoi/qu’aime Pauline


Je me demande qui aime Pierre
*Je me demande que tu es

Pour remédier à ces lacunes, on recourt à la structure de relatives à


interprétation interrogative (« Je me demande ce que tu es/aimes ») [ ▶
CE. 3 – fiche 11]. Signalons le cas d’autres relatives, sans ce, qui
s’interprètent également comme des interrogatives indirectes partielles :

« Je sais la personne que tu as vue » [ QUI. 3 – fiche 55].
38. Intransitifs
(Verbes -)

La notion d’intransitivité d’un verbe, définie habituellement comme


absence de complément, est faussement claire. C’est à la fois une
propriété lexicale des verbes et un fait de construction. En outre, il faut
distinguer entre emplois intransitifs et verbes intransitifs ; à l’intérieur
de ce dernier ensemble, on doit distinguer entre deux types : les verbes
inergatifs et les verbes inaccusatifs.

1 VERBES ET CONSTRUCTIONS INTRANSITIFS


La notion de transitivité s’utilise à la fois pour classifier les verbes et
pour analyser des constructions syntaxiques. Or ces deux points de vue
ne sont pas identiques.
On peut en effet diviser les verbes en fonction de la présence ou de
l’absence de compléments, hors contexte. C’est ce que s’efforcent de
faire les dictionnaires de langue : dormir est intransitif, lancer est
transitif, etc. On se sert de cette distinction pour distinguer différentes
valeurs d’un même verbe (pleurer/pleurer quelqu’un), voire des verbes
homonymes (pousser (= croître)/pousser quelque chose).
On peut aussi raisonner en termes de construction avec ou sans
complément du verbe. Or il arrive qu’un verbe censé intransitif soit dans
le discours associé à un complément, même si c’est jugé incorrect :
Luc a dormi sa sieste dans le salon

ou, cas plus fréquent, qu’un verbe censé transitif soit employé
intransitivement :

Luc suit

2. LES EMPLOIS INTRANSITIFS


De nombreux verbes qui, de par leur identité lexicale, sont transitifs,
c’est-à-dire appellent des compléments, peuvent être employés sans
complément. Ce phénomène peut correspondre à deux processus très
différents :

– on peut rétablir le complément en s’appuyant sur le contexte


immédiat (« Luc a mangé des gâteaux ; à présent il regrette ») ;
– ou en rétablissent un complément plus ou moins spécifié (« Luc
fume » = « Luc fume des cigarettes »).

Souvent l’absence de complément opère une modification sémantique,


par exemple :

– elle peut susciter une interprétation en termes de propriété : « Paul


chasse » = « Il est chasseur » ;
– ou restreindre le sens du verbe : « Il boit » = « Il boit de l’alcool ».

Les linguistes sont partagés sur le traitement de ces emplois sans


complément. La plupart préfèrent penser qu’il y a bien une position de
complément mais qu’elle n’est pas toujours remplie. Ils cherchent ainsi à
préserver l’identité de l’unité lexicale, à ne pas distinguer par exemple
deux verbes manger : l’un avec complément et un autre, de même sens,
sans complément.
Il existe par ailleurs des constructions qui ont pour effet d’interdire la
présence d’un complément d’objet direct. Ainsi le passif (cf. exemple
(1)) ou la construction moyenne (cf. exemple (2)) :

(1 ) Le chat a été vendu


(2) Ce livre se déchire facilement

Ces deux constructions exigent en effet que le GN qui s’interprète


comme l’objet du verbe occupe la position sujet. C’est une situation
paradoxale puisque pour comprendre l’énoncé, l’allocutaire doit
interpréter le GN à la fois comme sujet du verbe et pour le sens comme
complément de ce même verbe.
Un ensemble important de verbes dit symétriques ont la propriété
d’accepter les mêmes GN en position objet et en position sujet :

(1) On caramélise le sucre


(2) Le sucre caramélise
(3) On ouvre la porte
(4) La porte ouvre

Dans les exemples (1) et (3), les verbes sont transitifs, et intransitifs
dans les exemples (2) et (4). Ce phénomène, à la différence de la
structure « moyenne », ne concerne qu’un ensemble limité de verbes. En
tout cas, il serait déraisonnable de distinguer deux verbes caraméliser ou
deux verbes ouvrir.

3. LES VERBES INTRANSITIFS


Beaucoup de verbes n’appellent pas de compléments ; c’est à leur
propos que l’on peut vraiment parler de « verbes intransitifs ».
On isolera d’abord les verbes intrinsèquement pronominaux, tels
s’évanouir, s’affairer, s’envoler, qui sont toujours combinés avec se (on
n’a pas *évanouir ou *affairer). Mais les choses ne sont pas toujours si
simples : s’endormir, se réveiller, par exemple, sont-ils des intransitifs ou
le se constitue-t-il un complément réfléchi d’endormir et de réveiller
comme se laver ou se regarder à l’égard de laver ou regarder ? [ ▶
PRONOMINAUX (VERBES -) – fiche 53].

L’intransitivité « pure » est bien représentée par les verbes sans se.
Mais là encore il faut être sensible à leur diversité. On utilise aujourd’hui
une distinction, inconnue de la grammaire traditionnelle, entre les verbes
inergatifs et les verbes inaccusatifs.

– les verbes inergatifs (tels pleurer, danser, souper…) ont pour


auxiliaire avoir et peuvent être surcomposés (avoir eu pleuré) ;
– les verbes inaccusatifs expriment un mouvement (partir, arriver…),
une apparition ou une disparition (survenir), un procès sans agent
(tomber, mourir…) ; ils sont en général ponctuels [ ▶ ASPECT. 2 –
fiche 8], ont être pour auxiliaire et pas de forme surcomposée. Les
GN qui sont interprétés comme leurs sujets ont tendance à figurer à
droite du verbe, dans des structures pourtant non-impersonnelles :

Entre le roi
Survient un événement qui…

ou dans des constructions impersonnelles « extraposées » [ ▶


IMPERSONNELLES (CONSTRUCTIONS -). 2 – fiche 33] : « Il vient quelqu’un ».
Cette postposition est beaucoup plus difficile pour les inergatifs (*pleure
le roi/*dansent les gens…).
Cette distinction qui se retrouve dans d’autres langues, est indiscutable
dans son principe mais la séparation entre les deux ensembles est parfois
délicate à établir (la sélection de l’auxiliaire, être ou avoir, n’est pas
toujours un critère sûr).

Diachronie
La transitivité ou l’intransitivité des verbes sont des propriétés lexicales sujettes à
variation dans le temps. Entre la langue classique et la langue contemporaine, bien
des divergences apparaissent donc
[ ▶ OBJET (COMPLÉMENT D’-) – fiche 42].
39. Inversion du sujet

On demande souvent aux candidats d’étudier l’inversion du sujet


dans un texte. Comme le français est une langue où l’ordre des mots
est étroitement lié aux dépendances syntaxiques, réfléchir sur la
présence d’un GN sujet derrière le verbe permet d’accéder à des
phénomènes syntaxiques intéressants. Il faut néanmoins prendre garde
à bien définir les limites de cette « inversion » et, en particulier, ne pas
confondre l’inversion du clitique avec celle des GN ordinaires.

1. DÉLIMITATION DU PROBLÈME
Relèvent pleinement de l’inversion du sujet des énoncés comme : « Je
ne sais où va Paul » ou : « Vient-il ? ». Sont en principe exclus du champ
de la question des phénomènes comme l’« extraposition » (« Il vient
quelqu’un ») ou l’« inversion complexe » (« Paul vient-il ? »). Dans
l’extraposition il existe en effet un sujet, il, qui occupe la position
normale du sujet, devant le verbe. Dans l’inversion complexe, le GN
sujet n’a pas subi d’inversion et constitue l’antécédent du clitique.
On n’assimilera pas automatiquement inversion du sujet et
postposition du sujet. Rien, en effet, ne permet d’affirmer a priori que le
sujet s’est déplacé à droite : on peut tout aussi bien concevoir, pour
certaines constructions, que ce soit le verbe qui soit passé devant le sujet.
En effet, il n’est pas certain que tous les verbes exigent que le GN soit
placé avant eux. On ne peut pas exclure certaines distorsions, en
particulier avec les intransitifs inaccusatifs [ ▶ INTRANSITIFS (VERBES -). 2 –
fiche 38].

2. L’INVERSION DES CLITIQUES


Les pronoms sujets clitiques [ ▶ PRONOMS CLITIQUES – fiche 52] sont
adjoints à droite du verbe dans un certain nombre d’emplois :

– dans les interrogatives directes, totales (« Vient-elle ? ») ou


partielles (« Que veut-elle ? ») ;
– dans des exclamatives : « Est-il gentil ! » ;
– dans la protase [ ▶ HYPOTHÉTIQUES (SYSTÈMES -). 1 – fiche 30] de
certaines phrases hypothétiques : « Souhaite-t-il quelque chose, on
le satisfait immédiatement » ;
– dans les incises : « Il est vrai, dit-il, que j’ai eu tort. » L’incise,
comme l’apposition, n’est pas subordonnée mais placée en retrait
de la phrase. Elle ne peut figurer en tête : « *Dit-il, vous avez
raison » ;
– après certains connecteurs ou certains adverbes modaux, de sens
consécutif (ainsi, aussi) ou restrictif (à peine, au moins, encore, en
vain, rarement, peut-être, sans doute, tout au plus…) :

Ainsi a-t-il pu nous abuser


À peine Paul avait-il crié qu’il vit Luc surgir

Si le verbe se présente sous une forme composée, le clitique sujet se


trouve adjoint à la première forme verbale :

Est-il arrivé hier ?


Nous sommes tristes, ont-ils déclaré
3. L’INVERSION DES GN
Les GN sujets peuvent être inversés :

– dans les incises (« C’est faux, pensa Jules ») ;


– dans les interrogatives directes partielles (« Que veut Pierre ? »,
« Quand vient Lucien ? »). Mais est exclue pour l’interrogation
directe totale (« *Vient Paul ? ») ou indirecte totale (« *Je demande
si vient Paul ») ;
– dans les subordonnées :

Le garçon qu’aime Lucie est ingénieur


Je veux que partent tous tes amis lorsque reviendront les
beaux jours

Cette inversion dans les subordonnées est dite inversion stylistique ;


elle est facultative et soumise à diverses contraintes : le verbe est
préférentiellement intransitif ou employé intransitivement (« *Je veux
que ratent leur examen tes amis »), mais il peut avoir un complément si
celui-ci est un pronom relatif :

– après laisser/faire et les verbes de perception (« Je laisse dormir


Paul », « Je fais venir Luc », « Je vois arriver mes amis »).
L’inversion est obligatoire après faire, facultative avec les autres
verbes ;
– s’il y a en tête de phrase un circonstanciel de temps ou de lieu (GP
ou adverbe) un GA attribut ou des compléments indirects de
certains verbes :

Ici a vécu Dante


Non loin dormait un homme
Heureux sont les gens qui aiment
À Paul revient la palme
Cette inversion n’est pas obligatoire et en principe réservée aux verbes
intransitifs, ou du moins dépourvus d’objet :

*Ici composa son poème Dante


* À Jean donne ses livres mon frère

– avec certains verbes inaccusatifs [ ▶


INTRANSITIFS (VERBES -). 2 –
fiche 38] (« Arrivent deux hommes », « Surgit le général »…) ou
qui expriment une relation (« Appartiennent à cette catégorie les
éléments qui… », « Sont membres du groupe ceux qui… »). Mais
aussi après des verbes au passif (« Ont été reçus les élèves
suivants… ») ;
– après certains verbes au subjonctif dans des énoncés de souhait
(« Vienne l’heure attendue », « Périsse celui qui a trahi ! »…).

4. INTERPRÉTATION DE CE FONCTIONNEMENT
De prime abord, ces inversions de clitiques et de GN peuvent sembler
disparates. Pourtant des lignes de cohérence apparaissent.
Ainsi pour le clitique il semble que l’inversion soit liée au caractère
non assertif de la phrase. C’est évident pour l’interrogative,
l’exclamative, l’hypothétique et pour l’incise aussi, à cause de sa position
en retrait de l’assertion principale. Quant aux connecteurs et aux
adverbes qui déclenchent l’inversion, ils ont pour fonction d’affaiblir la
force assertive de l’énoncé qu’ils introduisent ou de présenter sur une
ligne en quelque sorte décalée certaines conséquences d’une assertion
antérieure.
L’inversion des GN est possible dans les subordonnées (infïnitives ou
à temps fini) là où précisément celle des clitiques est impossible. Le
caractère non assertif de la phrase à inversion se manifeste ici à nouveau
puisque, par nature, une phrase subordonnée ne porte pas la charge de
l’assertion, qui est associée au verbe de la principale. Cette explication
vaut également pour les interrogatives partielles. Les interrogatives
totales n’admettent pas l’inversion du GN (« *Vient Paul ? ») ; en fait, il
existe bien une inversion mais complexe (« Paul vient-il ? »), c’est-à-dire
sans inversion du GN sujet. On peut enfin invoquer cette non-assertivité
pour l’incise comme pour les énoncés de souhait au subjonctif.
Mais il reste le problème posé par les énoncés du type :

(1) Ici courait un ruisseau


(2) Tristes sont les circonstances
(3) À Paul revient la victoire
(4) Surgit le fils du roi
(5) Relèvent de la syntaxe les faits suivants
(6) Sont condamnés à cinq ans les accusés qui…

pour lesquels la notion de non-assertivité ne semble guère pertinente.


Les énoncés (1), (2) et (3) s’opposent globalement aux énoncés (4), (5) et
(6) : les premiers lient l’inversion à la présence d’un constituant en tête
de la phrase ; les seconds, en revanche, font plutôt intervenir les
propriétés sémantiques des verbes (résultant de leur identité lexicale ou
de la passivation).
Dans ces exemples (1) à (6) d’inversion du GN, il apparaît que le sujet
à droite du verbe se trouve dans la position du GN objet absent. Cette
absence peut être due au caractère intransitif du verbe (cas des énoncés
(1) et (4)), au fait que son complément est objet indirect (cas des énoncés
(3) et (5)) ou GA attribut (2), ou encore à la passivation qui élimine
l’objet, rend intransitif le verbe (cas de l’énoncé (6)). Quelle que soit
donc la raison de cette éviction de l’objet, elle est nécessaire. Autrement
dit, la distorsion que représente l’inversion du GN sujet n’est pas libre :
le GN vient se placer à droite si la place est en quelque sorte libre de tout
GN. Comme si la langue répugnait à ce que deux GN figurent dans la
même position et à ce qu’un constituant occupe une position relevant
d’une autre catégorie que la sienne. Ici, comme pour le sujet d’une
passive, le GN qui n’occupe pas sa place « normale » occupe néanmoins
une place réservée à un GN : les échanges se font de la position objet
vers la position sujet (passif) ou dans le sens contraire (inversion du GN
sujet) ; or, objet comme sujet sont des positions de GN en relation directe
avec le verbe. De cette façon la distorsion est minime.
L’inversion du clitique, par contre, est compatible avec un GN objet :

Chasse-t-elle le lion ?

car dans ce cas le clitique n’occupe pas une position de GN mais se


trouve adjoint immédiatement au verbe.

Diachronie
Au XVIIe, surtout en poésie, on plaçait souvent les GN sujets entre le verbe à temps
fini et le verbe à temps non fini, à la condition toutefois que le verbe à temps fini
ne soit pas au début de la phrase et que les deux verbes aient une relation très
étroite. Cela correspond essentiellement à deux cas :
– les formes composées des verbes :

« À celui qui a le plus reçu sera le plus grand compte demandé »


(Pascal) ;

– les infinitifs compléments d’un verbe modal :

« Quand pourra mon amour baigner avec tendresse/Ton front


victorieux… ? » (Corneille).

Certains éléments (or, seulement, bien, voire et ou mais) qui ne provoquent pas
aujourd’hui d’inversion du clitique sujet le pouvaient à cette époque :

« Or ai-je été prolixe sur ce cas… »


« Seulement est-il certain que… »
« Bien ai-je cru que… »

On trouvait des inversions également dans des corrélations comparatives : autant


que… autant, autant… autant…, plus… plus…, ainsi… de même… :

« Autant avait-il été dans les plaisirs, autant lui rend-on de tourments »
(Massillon).
« Plus elle a d’étendue, et plus ai-je à remercier la bonté de celui qui me
l’a donnée » (Descartes).
40. Négation

La négation constitue un des problèmes majeurs de toute sémantique,


en raison de la relation qu’elle entretient avec le vrai et le faux. Mais
le fonctionnement de la négation linguistique est particulièrement
complexe : non seulement elle peut avoir une portée très variable,
mais encore la présence d’un marqueur de négation ne suffit pas à
conférer une valeur négative à un énoncé.

1. LE SYSTÈME DE LA NÉGATION
En français, la négation repose sur la combinaison obligatoire d’un
élément ne, un clitique [ ▶ PRONOMS CLITIQUES – fiche 52] qui précède
tous les pronoms compléments : je ne le lui ai pas donné/*je le ne lui… et
d’un élément (nom, déterminant, adverbe) que les grammairiens
Damourette et Pichon ont appelé un forclusif : pas, aucun, rien… Ce
forclusif peut précéder ne ou le suivre :

Aucun homme n’est venu


Personne ne l’a vue
Je ne connais personne
Je ne vois aucun chat

À l’oral le ne est souvent élidé.


Le couple que forment ne et le forclusif est soumis à des règles de
placement très strictes. C’est vrai du ne placé entre le sujet et les autres
clitiques, mais aussi des forclusifs hors de la position sujet :

– jamais, pas, plus, rien sont placés après le verbe à la forme simple et
après le verbe auxiliaire à la forme composée :

Je ne viens jamais ici


Paul n’a pas voulu de thé

– personne, aucun + Nom, nulle part sont placés après le participe


passé, non après l’auxiliaire :

Je ne suis allé nulle part/*Je ne suis nulle part allé


Je n’ai acheté aucun livre/*Je n’ai aucun livre acheté

– à l’infinitif ne et les forclusifs pas, plus sont placés devant le verbe :

Pour ne pas fumer, il faut être courageux

Mais après un verbe à temps fini, la place de la négation dépend du


verbe recteur et de sa relation avec l’infinitif :

Je m’efforce de ne pas le rencontrer


Paul ne sait plus travailler

2. NE EMPLOYÉ SEUL
Il arrive que le ne soit employé seul, dans des contextes variés :

– dans des tours figés (« Aux dieux ne plaise ! ») ;


– avec certains verbes, tels oser, cesser, pouvoir, savoir… (« Je n’ose
vous parler ») ;
– après qui interrogatif (« Qui ne songe à partir ? ») ;
– dans des tours dits explétifs où ne n’a pas d’interprétation négative.
C’est le cas après les locutions conjonctives à moins que, avant
que, sans que, dans les comparatives d’inégalité, mais aussi après
de peur que, de crainte que ou certains verbes exprimant un rejet
(redouter, prendre garde, empêcher…) :

Je partirai à moins qu’il ne cède


Il est moins bête qu’il ne paraît
Je redoute que Luc ne vienne
Je le redis, de peur que vous n’oubliez

Pour ces emplois explétifs il semble que la présence de ne soit liée à


une disjonction ; soit parce que la subordonnée ne peut être vraie en
même temps que la principale, soit parce que le sujet de la principale
espère la non-réalisation de la subordonnée.
Il faut isoler le cas de ne… que qui n’a pas non plus une interprétation
négative et indique l’exception. Dire « Je ne vois pas mes amis », c’est
exclure un certain ensemble, mes amis, en laissant ouverte la possibilité
qu’il y ait d’autres éléments (« Je ne vois pas mes amis mais ma
famille »). En revanche, avec « Je ne vois que mes amis », seul le
constituant qui suit que est posé comme valide : la négation porte en
quelque sorte sur les autres éléments que mes amis qui auraient pu ou dû
figurer ici.

3. NÉGATION TOTALE ET PARTIELLE


Comme l’interrogation [ ▶ INTERROGATION. 3 – fiche 37], la négation
peut porter sur l’ensemble de la phrase (négation totale) ou seulement
sur un de ses constituants (négation partielle). Un énoncé comme « Je
n’ai pas vu Paul » est susceptible des deux lectures : « Il est faux que j’ai
vu Paul » (négation totale) et : « Ce n’est pas Paul que j’ai vu/Je n’ai pas
vu Paul, je l’ai entrevu » (négation partielle). La négation partielle
implique une mise en relief intonative de l’élément nié ou un contexte
qui désambiguïse. Des constructions « clivées » en c’est… que (cf. « Ce
n’est pas Paul que j’ai vu ») permettent d’éviter tout équivoque. [ ▶
EMPHASE/MISE EN RELIEF. 2. – fiche 24]

Les forclusifs qui servent à la négation totale sont pas, point,


nullement. Alors que ceux de la négation partielle sont combinables entre
eux (« Rien ne plaît à personne »), ceux de la négation totale sont seuls
dans leur phrase : « *Rien n’est pas arrivé ».
Les forclusifs de la négation partielle peuvent apparaître sans ne, dans
des énoncés qui ne sont pas négatifs. En particulier dans les
interrogatives (« A-t-il jamais réussi ? »), après sans que, avant que (« Il
a réussi sans qu’il ait jamais fait d’efforts ») et dans les comparatives
d’inégalité (« Il est plus malin que personne »). Ils ont alors un sens
d’indéfini (rien = « quelque chose », jamais = « un jour », etc.). La
valeur négative de ces forclusifs partiels résulte donc de leur association
avec ne.
La différence entre les forclusifs de la négation partielle et ceux de la
négation totale se perçoit également dans la distance qui peut les séparer
du ne. Pour la négation totale, ne et le forclusif doivent encadrer le verbe
principal ; pour la négation partielle, le forclusif peut se trouver dans un
infinitif complément :

*Je ne veux [voir pas mes amis]


Je ne veux [voir [venir aucun ami]]

Mais il doit s’agir d’infinitifs (« *Je ne veux que Pierre tue


personne »). Cela illustre la moindre autonomie de l’infinitif à l’égard du

verbe principal [ INFINITIF. 4 – fiche 35].

4. PROBLÈMES DE QUANTIFICATION
La combinaison de la négation et de la quantification est source de
bien des difficultés car elle engendre des ambiguïtés. Ainsi :
Tous les lions ne sont pas ici

ne signifie pas, contrairement à ce qu’on attendait, que tous les lions


sont absents mais seulement certains d’entre eux. C’est-à-dire que l’ordre
des constituants (tous… ne… pas) ne correspond pas à l’interprétation,
qui serait plutôt : « Les lions ne sont pas tous ici. » La négation en langue
naturelle est donc fort différente de celle du calcul des prédicats de la
logique classique.
La variation de la portée de la négation rend ambiguës bien des
combinaisons. Ainsi l’énoncé :

Je n’ai pas vu cinq papillons

peut signifier : « Il y a cinq papillons que je n’ai pas vus » (portée


étroite de la négation) ou « Le nombre des papillons était distinct de
cinq », « Il est faux que j’ai vu cinq papillons » (portée large de la
négation).

5. NÉGATION ET DISCOURS
On peut en effet distinguer trois usages essentiels de la négation que
seul le contexte permet d’identifier. Considérons les énoncés :

(1) Il ne pleut pas


(2) Les vacances ne sont pas faites pour s’amuser
(3) Alfred n’est pas revenu à Rio, il n’y est jamais allé

D’un point de vue syntaxique rien ne les distingue ; leur valeur


pragmatique peut néanmoins être très différente. On peut énoncer
l’énoncé (1) pour décrire un état du monde, asserter un contenu négatif
(négation descriptive). En revanche, on peut utiliser l’énoncé (2) plutôt
pour s’opposer à une assertion antérieure, explicite ou implicite
(négation polémique). Quant à l’énoncé (3), il suppose la présence d’un
interlocuteur qui vient de dire qu’Alfred est revenu à Rio, il conteste les
mots mêmes de l’énonciation précédente (négation métalinguistique).
On notera que l’énoncé (1) pourrait aussi s’interpréter comme une
négation polémique dans un contexte approprié.
Il y a tout un débat pour savoir quelles sont les relations entre ces trois
types de négation et en particulier pour savoir si l’une d’elles est
« primitive », si les autres en dérivent.

6. DU PRÉFIXE NÉGATIF À NON


La langue, à côté d’une négation syntaxique fondée sur le couple ne +
forclusif, dispose d’une négation lexicale, grâce à des lexèmes variés de
sens privatif (« Il est sans intelligence/dépourvu d’intelligence »…),
grâce surtout à des préfixes spécialisés :

Il est in-intelligent
Il devient a-typique

Les deux préfixes réellement productifs sont in- et a- ; l’un et l’autre


connaissent des variations selon le phonème qui les suit
(illisible/irrecevable/immortalité…, agraphique/analphabète…). Des
préfixes comme mal- (malcommode) ou des-/dis- (déshonnête,
discourtois) sont peu ou pas productifs.
L’élément non joue un rôle privilégié, qui le rapproche de la négation
syntaxique. Il se combine avec des noms « déverbaux » : la non-
réduction des armements… Il peut aussi nier des propriétés : la non-
violence, la non-gratuité… On peut le combiner avec des adjectifs (les
éditions non originales, les cadres non susceptibles de progresser…) ou
des participes passés (les livres non restitués…), qui, en tant que GA,
sont exclus de la négation de phrase (« *Les livres ne pas restitués »…).
La langue distingue donc bien la négation de phrase et la négation de GN
ou de GA. Quand il s’agit de noms ordinaires, qui ne désignent ni des
processus ni des propriétés, non ne peut apparaître, à moins qu’il ne
s’agisse de discours philosophique :
*La non-table

Mais cela devient possible avec des noms issus d’éléments à statut
d’adjectifs, pour désigner le complémentaire d’un ensemble (les non-
spécialistes, les non-combattants…).
Non connaît d’autres emplois, liés également à la négation :
– pour former à lui seul un énoncé de contestation ou
d’acquiescement :

Il est là/Il n’est pas là


– Non

D’autres séquences peuvent jouer le même rôle, mais avec des effets
pragmatiques différents : pas du tout, nullement, jamais de la vie, penses-
tu ! etc. ;
– comme substitut d’une phrase négative régie par un verbe de dire ou
d’opinion : « Il a dit/cru que non » ;
– pour opposer deux éléments d’une phrase : « J’ai vu Léa, (et) non
Carole. » Dans cet emploi, il peut être remplacé par pas ou non pas.

Diachronie
Survivance de l’ancien français, au XVIIe on utilise encore non comme négation de
phrase. C’est essentiellement au futur et avec faire ou être pour marquer une prise
en charge forte : « Non ferai-je », « Non sera ». Subsistent aussi quelques
forclusifs médiévaux : ne… goutte/mie.
C’est au XVIIe que ne… pas/point s’impose définitivement aux dépens du seul ne.
En dehors de contextes particuliers comme certaines constructions impersonnelles
avec relative (« Il n’y a roi qui… », « Il ne se passe jour que… ») ou avec
quelques verbes [pouvoir, savoir, oser, avoir garde de…), surtout à la 1re personne
du présent, l’emploi de ne seul est archaïsant. Vaugelas fait des recommandations
qui coïncident à peu près avec l’usage actuel.
Dans les interrogations directes, il est de règle d’utiliser pas/point sans ne : « Vous
ai-je pas dit que… ? ». Mais même là l’Académie va exiger la présence du ne. Les
forclusifs rien, personne, aucun pouvaient encore être combinés avec un
pas/point :
« Ne faites pas semblant de rien »
« On ne veut pas rien faire ici »

Usage condamné par Vaugelas et l’Académie.


Avec ni GN ni GN on pouvait associer pas/point : « Ni les éclairs ni le tonnerre
n’obéissent point à vos dieux » (Racine). Usage également condamné.
Dans la langue soignée, l’emploi de ne dans la comparative n’était pas nécessaire :
« J’ai peur d’y demeurer plus que je voudrais. » Il en va de même après à moins
que ou les verbes de crainte :

« Il court à son trépas et vous en serez cause


À moins que votre amour à son départ s’oppose »
(Corneille).
« Craignez qu’il soit trop tard de la vouloir demain »
(Corneille).
41. Nom
(complément du -)

A priori une question portant sur les « compléments du nom » est


ambiguë. On peut entendre par là tous les constituants régis par la tête
du GN, qui occupent la position de complément, ou seulement une
partie d’entre eux, les GP, auxquels la pratique scolaire réserve
souvent cette étiquette. En fait, même ces GP ne forment pas une
classe syntaxiquement ou sémantiquement homogène.

1. LES COMPLÉMENTS DU NOM


À la différence de la tête du GN, les compléments du nom sont
facultatifs. Peuvent occuper cette position les GA, adjectifs (« un enfant
triste ») ou participes passés (« les chemises décousues »), les GP, les
phrases relatives ou complétives (« L’idée qu’il nous attend me
chagrine »), les infinitifs (« Ton souhait de partir sera exaucé ») ou les
participes présents (« Les enfants ayant réussi partiront en congé »).
Ces divers types de compléments peuvent se combiner. Par exemple, un
GA et un GP (« Le livre bleu sur la table ») ou un GP et une relative (« le
livre de Léon Bloy que tu as acheté »), etc. On se reportera aux fiches
correspondantes pour les compléments autres que les GP.
Les GP compléments du nom sont toujours postposés au nom et
peuvent s’emboîter les uns dans les autres :
Le chien du voisin de la sœur de l’homme dans la rue…

2. DIVERSITÉ DES GP
Tous les groupes qui se présentent comme une combinaison
Préposition + Groupe nominal ne font pas le même usage de la
préposition. Il faut une préposition entre le nom et son complément, mais
celle-ci peut avoir un sens plein et régir le GN qui la suit ou être
dépourvue de sens, servir essentiellement à marquer la dépendance. On
peut ainsi opposer : le livre sur la table et la réduction de la dette ; dans
le premier exemple, sur est une préposition pleine qui contraint ses
compléments ; dans le second, il est impossible d’attribuer la moindre
interprétation à de, la relation s’établissant directement entre le nom tête
et le GN complément. Malheureusement, il n’est pas toujours facile de
déterminer quand on a affaire à un GP régi par une véritable préposition
et quand on a affaire à un GP combiné avec une préposition de liaison :
ce n’est pas parce qu’il y a de que l’on peut affirmer qu’il ne s’agit pas
d’un vrai GP (par exemple, avec un pot de terre cuite, on peut penser que
de n’est pas désémantisé, qu’il indique l’origine). Il faut donc prêter
attention aux fonctionnements syntaxiques.

■ Les vrais groupes prépositionnels


Ils sont en principe reliables au nom tête par être (« le chat sur le
divan » → « le chat est sur le divan », « la sculpture du Bernin » → « la
sculpture est du Bernin »). Ils peuvent être combinés avec une certaine
liberté (« la sculpture en marbre du Bernin sur la table avec le trident »).

■ Possession et noms déverbaux


Parmi les groupes non prépositionnels, on doit signaler deux grands
types de dépendances : celle de possesseur à possédé ; celle du verbe à
son sujet ou à son objet :
– la relation de possession implique la présence d’un GP avec de qui
ne se comporte pas comme un GP vraiment prépositionnel :

*Le chat est de Sophie


*Le chat sur la table de Sophie (où Sophie est possesseur du
chat)

En outre, le déterminant y est contraint : on dira difficilement « un chat


de Sophie » et l’on préférera « un des chats de Sophie ». En revanche,
« une sculpture de Picasso » (où Picasso est créateur, et pas possesseur)
est parfaitement grammatical. L’usage populaire marque souvent la
possession par à (« le chat à Sophie ») et ces GP se comportent plutôt
comme de vrais GP (« Le chat est à Sophie », « C’est un chat à
Sophie ») ;
– avec un nom déverbal, le GP a la même relation avec sa tête qu’un
GN sujet ou objet avec le verbe. On parle de nom « déverbal » (ou « nom
d’action ») quand le nom est morphologiquement et sémantiquement le
correspondant d’un verbe (polir ↔polissage, refaire ↔ réfection), qu’il
appelle les mêmes compléments que lui (polir des lunettes ↔ polissage
de lunettes). En tant que noms exprimant un processus, ils ne sauraient
être mis au pluriel, sauf s’ils changent de sens pour désigner des objets
stables. Ainsi l’arrivée est-il un nom déverbal, dans « l’arrivée de Paul »
mais un nom ordinaire dans : « On a cinq arrivées aujourd’hui sur le
registre. » C’est donc le contexte qui décide.
Selon le verbe et le contexte, certains GP seront interprétés comme
sujet (génitif subjectif) ou comme objet (génitif objectif), ou seront
ambigus :

L’entrée de Marie (= Marie entre)


La réfection du toit (= on refait le toit)
Le vol des soldats (= les soldats volent/on les vole)

C’est en général la préposition de qui est utilisée pour marquer les


dépendances entre le nom tête et le GN objet ou sujet. Mais si le verbe
appelle une préposition autre que de, c’est cette dernière qui apparaît :
« La soude agit sur le calcaire » ↔ « L’action de la soude sur le
calcaire ».

3. LES GP « ÉPITHÈTES »
Nous avons considéré jusqu’ici le cas des GP qui résultent de la libre
combinaison d’une préposition et d’un GN pourvu d’un déterminant.
Mais un grand nombre de GP compléments du nom tendent vers un statut
de GA épithète quand ils sont dépourvus de déterminant [ ▶ ARTICLE
(ABSENCE D’-) – fiche 7]. Il peut s’agir de GP dont l’interprétation est :

– proche de celle d’adjectifs relationnels [ ADJECTIFS. 3 – fiche 1] :

Un moulin à vapeur
Un pot de terre
Un voyage de nuit (= « nocturne »)

Ce type de GP croise la problématique des mots composés, pour


lesquels se pose constamment la question de tracer la frontière entre
lexicalisation et combinaison libre ;

– proche de celle d’adjectifs qualificatifs :

Un homme de valeur
Un roman sans intérêt (= « inintéressant »)

Avec ces GP sans déterminant, qu’ils soient ou non compléments d’un


nom, on entre dans un domaine où l’analyse sémantique doit se faire
particulièrement subtile pour comprendre l’usage. « Un bateau à voiles »,
par exemple, s’oppose à « *un bateau avec voiles » parce que les voiles
sont un constituant nécessaire d’un certain type de bateau, alors que la
préposition avec convient pour des relations contingentes (« un bateau
avec un mât brisé »).
4. DES COMPLÉMENTS ATYPIQUES
Deux constructions posent des problèmes particuliers : celle des GN
épithètes et celle des GP en de qui marquent des relations sémantiques
fondées sur l’identité.

■ Les GN épithètes
Un certain nombre de GN sans déterminant ont un statut d’épithète, ils
s’interprètent comme des adjectifs qualificatifs ou relationnels :

Un mari fantôme
Une température record

Ces GN juxtaposés peuvent exprimer des relations de sens très


diverses : la mémoire relais, un arrêt repas, l’effet Clinton…

■ Une relation d’identité


La préposition de peut lier deux GN liés par une relation d’identité,
au sens large :

– noms de qualité : cet imbécile de Luc (= « Luc est un imbécile ») ;


– appartenance à une catégorie : le problème de l’alcoolisme,
l’obstacle du budget… (« L’alcoolisme est un problème », « Le
budget est un obstacle »).

Dans ce dernier cas, on retrouve la délicate question des appositions



liées [ APPOSITION. 2 – fiche 5].
42. Objet
(complément d’-)

La notion de complément d’objet est une des plus importantes de


l’apprentissage grammatical du français. Pourtant, elle n’est pas
toujours claire. D’abord parce qu’il est parfois difficile de distinguer
les catégories qui dépendent du verbe et celles qui n’en dépendent pas.
Ensuite parce qu’elle mêle deux relations (l’une sémantique et l’autre
syntaxique) entre un verbe et son complément, lesquelles ne
convergent pas nécessairement.

1. DEUX TYPES DE RELATIONS


Tout verbe, et cela fait partie de son identité lexicale, impose certaines
contraintes sémantiques et syntaxiques aux éléments qu’il est susceptible
de régir. Quand on parle d’« objet », par exemple pour « Pierre appelle
son chien », on exprime en fait deux choses :
– son chien dépend du verbe, est inclus dans le GV. Le verbe souhaiter
par exemple requiert comme compléments possibles les GN, les phrases
complétives ou les infinitifs construits directement. C’est là une relation
syntaxique ;
– son chien est l’objet de l’affection de Pierre, le verbe appeler reliant
deux termes, dont l’un est l’« agent » et l’autre l’« objet » de son appel.
C’est là une relation sémantique entre deux actants à l’intérieur d’un
procès.
Il existe d’autres relations que celle entre un « agent » et un
« patient ». Par exemple celles illustrées dans ces énoncés :

Roger ressent une grande émotion


Léon a reçu un coup
Le cheval appartient à Marion

Bien qu’on n’ait pas affaire à des « actions », il s’agit aussi de


« compléments d’objet ».

2. LA TRANSITIVITÉ
Tout verbe exige des compléments de telle ou telle catégorie
(transitivité) ou n’en appelle aucun (intransitivité), phénomène dit de
sous-catégorisation.
On parle de verbe transitif direct si le complément n’est pas introduit
par une préposition et de verbe transitif indirect s’il est introduit par une
préposition, celle-ci fût-elle vide de sens. Cette distinction est importante
car elle conditionne des phénomènes aussi importants que la
pronominalisation ou la passivation. Seuls les compléments directs
peuvent être pronominalisés par le ou être le sujet d’une construction
passive (« Paul a été aperçu hier ») ou moyenne (« Les draps s’achètent

par paires ») [ PRONOMINAUX (VERBES -). 3 – fiche 53].
En général, un verbe n’appelle pas plus d’un ou deux compléments :
un GN et un GP, un GP et une phrase, deux GP…, mais pas deux phrases
ou deux GN (sauf si l’un est attribut de l’objet : « Il a nommé Paul
député »). Si l’on excepte les verbes d’état (être, paraître…) qui peuvent
être suivis d’un GA, ou les verbes qui appellent des attributs de l’objet
GA ou GN, les compléments sont des GN, des GP ou des phrases : voir +
GN, recourir + GP, attribuer + GN + GP, dire + GN/Phrase + GP, etc.
Certains verbes entrent dans plusieurs sous-catégorisations. Par
exemple, savoir est suivi d’un GN ou d’une phrase (savoir sa
leçon/savoir qu’il est là). Mais cela a le plus souvent une incidence sur le
sens du verbe.

3. COMPLÉMENTS DU VERBE OU NON ?


Le plus difficile est de distinguer entre les compléments du verbe et les
compléments circonstanciels [ ▶ CIRCONSTANCIELS (COMPLÉMENTS -). 3 –
fiche 12].
Pour les distinguer, on invoque au premier chef la non-mobilité du
complément d’objet ; mais elle est plus grande avec le c.o.d. qu’avec les
compléments indirects :

?? À Marie j’ai recouru souvent


* Paul j’accompagne souvent

En outre, bien des circonstanciels sont difficilement déplaçables :

*Par plaisir il travaille

On invoque aussi le test de la cliticisation, puisqu’en général seuls les



compléments d’objet sont pronominalisables par un clitique [ PRONOMS
CLITIQUES – fiche 52]. Si c’est un objet direct, il s’agit de le ou en…un :

Je le/la connais (= Paul/Marie)


Je le sais (= qu’il a tort)
J’en connais un (= un Chinois)

Si le complément est indirect, le clitique sera y ou à lui/à elle, en ou de


lui/d’elle selon que la préposition est de ou à. Le choix du type de
pronominalisation dépend du verbe :

J’y recours (= à la magie)


J’en parle (= de la chimie)

Malheureusement, certains compléments du verbe ne sont pas


cliticisables (= « Je compte sur Marie » → « *J’y compte ») et certains
clitiques en y ne pronominalisent pas des compléments du verbe mais des
circonstanciels (« J’y (= dans ma villa) passe mes vacances »).
Avec les autres prépositions que de ou à, la pronominalisation des
compléments indirects se fait par lui/elle pour les animés (« Luc a misé
sur elle », « Jeanne commence par lui »). Pour les non-animés il se
produit souvent une sorte d’effacement du GN avec, parfois,
modification de la préposition :

Il votera contre le projet/Il votera contre


Il s’assoit sur la table/Il s’assoit dessus

Avec certaines prépositions, ce type de construction est impossible


(« *Il a passé par »).
En principe, le verbe peut influer sur l’interprétation de ses
compléments, mais pas sur celle des compléments circonstanciels. Le
partage est relativement aisé à faire pour les circonstanciels spatio-
temporels :

(1) Paul préfère la nuit


(2) Paul voit la nuit ses amis
(3) Paul tire sur l’ennemi
(4) Paul a vu un chat sur la table

Dans les exemples (1) et (3), il s’agit de compléments du verbe, mais


pas dans les exemples (2) et (4), où l’on trouve des circonstanciels, dont
le sens est indépendant de celui du verbe. Dans l’exemple (3), où l’on a
affaire à un complément du verbe, c’est grâce à sa combinaison avec tire
que la préposition sur prend une valeur de mouvement.
Font problème un certain nombre de compléments qui sont
indéniablement des compléments du verbe mais dont on peut penser
qu’ils sont moins essentiels que d’autres. Doit-on par exemple affecter un
ou deux compléments à la sous-catégorisation de verbes comme amener
ou écrire ?

Il a amené un livre
Il a amené un livre à sa sœur
Il a écrit une carte
Il a écrit une carte à sa tante

Mais la nature du complément doit être prise aussi en compte : on ne


peut pas avoir *écrire un livre à quelqu’un.
On rejoint ici le problème que pose l’existence de clitiques dits
d’intérêt qui sont associables à la plupart des verbes agentifs

[ PRONOMS CLITIQUES. 3 – fiche 52] :

(1) Il lui a creusé sa tranchée très vite


(2) Marie leur a tricoté un gilet

S’agit-il de compléments appelés par le verbe ou de compléments dont


la présence, en fait, ne dépend pas de tel ou tel verbe particulier ?

4. DIFFICULTÉS
Dans la relation « complément d’objet », la dimension syntaxique et la
dimension sémantique ne sont pas nécessairement en harmonie. Il arrive
qu’un élément soit syntaxiquement un objet sans que l’on puisse y voir
sémantiquement un objet au sens habituel du terme, c’est-à-dire un être
distinct du sujet sur lequel porte son action. Ainsi dans la phrase :

Paul mesure un mètre et pèse cent kilos

Le verbe, en tant que verbe de mesure, possède un GN complément


direct qui ne peut pas devenir sujet d’une phrase passive car il ne réfère
pas à un objet distinct.
On trouve la même difficulté avec d’autres catégories de verbes :

– les verbes de contenance : contenir, comporter… ;


– les verbes d’odeur : sentir la rose, embaumer le jasmin… ;
– les emplois métaphoriques de nombreux verbes : « Le toit craint
l’eau »/« *L’eau est crainte par le toit » ;
– les verbes attributifs : être, devenir…

Sont également source de difficultés :

– les compléments d’objet internes (tels vivre sa vie, aller son


chemin, pour lesquels la position objet est occupée par un GN
partiellement redondant par rapport au verbe) ;
– les réfléchis des verbes pronominaux : si dans se voir ou se parler
on peut traiter se comme un complément d’objet, qu’en est-il pour
des verbes comme se coucher ou se lamenter ?;
– les locutions verbales (on dit aussi expressions idiomatiques ou
idiomes) : rendre justice, prendre parti, etc. A-t-on affaire à une
expression figée, où le verbe et son complément sont traités comme
un verbe complexe, ou faut-il traiter le GN comme un complément
d’objet ? Pour les locutions réellement figées (prendre la mouche),
il n’y a pas trop de problèmes, mais bien souvent le GN conserve
des propriétés de complément d’objet, et en particulier peut devenir
sujet d’une passive : justice a été rendue, réunion a été tenue, etc.
Cette question est très débattue car elle touche à la nature même de
la catégorie verbale (quelle relation, par exemple, entre skier et
faire du ski, ou entre crier et pousser un cri ?) et à la détermination
du nom (dans tenir conseil, y a-t-il un article zéro ou pas d’article
du tout ?).

Diachronie
Un certain nombre de verbes aujourd’hui transitifs indirects pouvaient être
transitifs directs au XVIIe siècle. Parmi eux : accoutumer qch. (= être habitué à),
approcher qch., contribuer qch. (= par quelque chose), douter qch., obéir qqn.,
pénétrer un lieu, prétendre qch. (= prétendre à), ressembler qch., etc. De même,
certains verbes qui pouvaient être transitifs au XVIIe sont seulement intransitifs
aujourd’hui : crier qqn. (= après qqn.), croître qch. (= faire pousser), etc.
D’autres, transitifs indirects, sont devenus directs (aider à qqn., applaudir à
qqn., empêcher à qqn., ennuyer à qqn…) ou ont changé de préposition (prendre
garde de, penser de…). Ces variations dans la sous-catégorisation n’ont rien
d’étonnant. Elles sont souvent liées à des changements de sens ou à des
phénomènes d’analogie : on connaît par exemple le cas de se rappeler ou pallier,
transitifs directs, qui tendent maintenant, malgré les puristes, à devenir indirects,
par analogie avec se souvenir de et remédier à.
43. On

Singularité de la langue française, on est un morphème déconcertant ;


clitique constamment employé comme sujet, il peut prendre des valeurs
très diverses. Ce contraste entre sa rigidité catégorielle et
positionnelle et sa variabilité interprétative, son omniprésence dans
l’usage courant expliquent que son étude soit souvent proposée à
l’attention des candidats.

1. PROPRIÉTÉS MORPHOSYNTAXIQUES
On est un pronom clitique [ ▶ PRONOMS CLITIQUES – fiche 52] sujet
invariable de 3 personne. En tant que clitique sujet, il peut être adjoint à
e

droite du verbe dans les interrogatives ou les incises [ ▶ INVERSION DU


SUJET. 2 – fiche 39] : part-on demain ? pensa-t-on… Lorsque le verbe ne
comporte pas de -t- de liaison, un -t- apparaît quand même :

Parle-t-on de moi ?

On peut y voir une commodité de prononciation, mais la présence du


même phénomène pour il (« Parle-t-il ? ») incite plutôt à considérer que
le -t- constitue la marque de 3e personne, qui s’élide dans certains
contextes. Le verbe aurait donc une forme longue et une forme brève

élidée [ GENRES (MARQUES DE -). 3 – fiche 29].
Dans la langue soutenue, on peut être précédé de l’, en vertu de règles
d’euphonie qui n’ont jamais été clairement définies par les grammairiens
ni bien maîtrisées par les locuteurs.
On transmet par accord le genre correspondant au sexe du locuteur ou
de l’allocutaire, selon les contextes :

Ici, on est heureuses (= nous)


Alors, on est contente ? (= tu)

Bien qu’il puisse être interprété de multiples façons, il ne peut


reprendre qu’un nous :

Nous, on s’aime
*Je/eux/vous…, on s’aime

Restriction d’autant plus remarquable que on est toujours à la 3e


personne du singulier. Dans la langue courante, on constate d’ailleurs une
très nette tendance à utiliser on à la place de nous :

On y va quand ?
On est vraiment des idiots

Cette tendance est facilitée par un phénomène morphologique : dire


« On mange » au lieu de « Nous mangeons », c’est simplifier la
conjugaison en alignant la 1re personne du pluriel sur celles du singulier et
la 3e du pluriel. Mais cette simplification est rendue possible par une
affinité sémantique entre nous et on : ces deux formes sont en effet très
polyvalentes (nous peut référer à Je + Je, Je + Tu, Je + Il, etc.).
Quand il a une valeur générique, on est anaphorisé par le réfléchi soi,
qui peut également anaphoriser chacun, aucun ou tout le monde. À la
différence de se, le réfléchi soi peut figurer dans une autre phrase que son
antécédent :

On voit avec plaisir [les autres travailler pour soi]


*Mes amis voient [les ennemis se tuer] (avec mes amis = se)
2. L’INTERPRÉTATION DE ON
Le point qui intrigue les linguistes, c’est la polyvalence interprétative
de on, qui peut selon les contextes référer :

– au locuteur : « On a ses faiblesses » (on = celui qui parle) ; ou à un


groupe incluant le locuteur : « On y va dans cinq minutes »
(on = je + tu) ;
– à l’allocutaire : « Alors, on a fait la fête hier ? », « Comment va-t-
on aujourd’hui ? » (médecin à un malade), « On a mangé sa
sousoupe ? » (à un chien)… ;
– à des humains, uniques ou multiples, autres que les interlocuteurs :
« Ils partirent au pas de course. Et comme on avait de l’entrain, on
chantait » (on = ils) ;
– à n’importe qui (valeur générique) : « On a toujours besoin d’un
plus petit que soi. »

La valeur fondamentale de ce on si polyvalent est dans le droit fil de


son étymologie (« l’homme »). Il réfère à un être humain sans prendre en
compte les frontières entre 1e, 2e et 3e personnes. Il est donc
particulièrement utilisé quand on veut créer des relations de connivence,
de solidarité, etc. On le voit par exemple dans le contraste entre (1), qui
semble déplacé si on le dit sur un ton de connivence, et (2) :

(1) Alors, on a brûlé la ville ?


(2) Alors, on a fait la fête ?

(1) semble bizarre (sauf qu’il s’agit d’une reprise) parce que le crime
est incompatible avec la connivence qu’implique le « on », lequel est en
revanche bien adapté aux fautes jugées vénielles, telle (2).
De même, on est employé pour parler aux bébés ou aux enfants
(emplois « hypocoristiques »), avec lesquels le locuteur cherche à établir
une relation affectueuse, en supprimant une frontière (il s’agit en effet
d’êtres non-parlants) :
On reveut de la sousoupe ?

De manière générale, à la différence des formes de 1re ou 2e personne,


on exclut les prises en charge fortes, les oppositions, les décisions, les
alternatives, etc., tout ce qui renforce l’altérité des interlocuteurs. Ainsi,
« Vous avez dansé hier ? » est une véritable question, où il faut répondre
par oui/non ; en revanche, « On a dansé hier ? » est moins facilement
perçu comme une vraie question que comme un énoncé dont le locuteur
connaît déjà la réponse.
Mais on reste ancré dans la situation de communication où il est
proféré, il reste en prise sur les partenaires de l’échange verbal. On le voit
en comparant (3) et (4) :

(3) L’homme survit par tous les moyens


(4) On survit par tous les moyens

(3) pourrait être une description neutre, tirée par exemple d’un ouvrage
d’anthropologie, tandis que (4) est plutôt interprété comme une
justification du locuteur.
Étant donné la pauvreté de la valeur fondamentale de on et la
multiplicité des effets de sens qu’il permet, il faut toujours l’interpréter
en prenant en compte le contexte particulier dans lequel il est proféré.

Diachronie
Fabriqué à partir du cas sujet singulier de l’actuel homme (le cas régime était
ome), on est une création du français. Son étymologie permet d’expliquer
pourquoi il peut être précédé de l’article défini (l’on)
Au XVIIe siècle, on est à la mode chez les précieuses avec les mêmes valeurs
qu’aujourd’hui. À cette époque, on a beaucoup discuté pour déterminer quand il
fallait employer l’on et on. Vaugelas a proposé des règles compliquées, fondées
sur l’euphonie ; par exemple il aurait fallu dire : « Je veux que l’on continue »,
pour ne pas répéter qu’on/con. Selon lui, « Au commencement d’un discours, il
faut dire on plutôt que l’on, quoique l’on ne soit pas mauvais »…
44. Participe passé

La terminologie grammaticale rapproche participes passé et présent,


considérant que l’un et l’autre « adjectivisent » le verbe. Néanmoins,
on n’exagérera pas la similitude entre ces deux catégories : si le
participe passé possède l’essentiel des propriétés d’un adjectif, le
participe présent constitue avant tout une forme du verbe.

1. PARTICIPE PASSÉ ET VERBE


Le participe passé présente une morphologie nettement identifiable,
une désinence (-é, -i, -u) dont la nature varie selon le type de verbe. Mais
il y a quelques exceptions (souffert par exemple).
Les unités lexicales qui possèdent une telle marque peuvent se
combiner :

– avec un verbe auxiliaire pour constituer des formes composées ou



surcomposées (avoir dormi, être arrivé, avoir eu tué [ AUXILIAIRE
– fiche 10] ou bien des constructions passives (être mangé, avoir
été mangé) ;
– avec un nom : dans ce cas, le participe passé se comporte comme un
GA. Ne sont concernés par cet emploi que les participes dérivés de
verbes transitifs directs (les voitures cassées) ou de verbes
intransitifs à auxiliaire en être (les fleurs tombées) mais pas à
l’auxiliaire en avoir (*les enfants dormis) [▶ INTRANSITIFS (VERBES
-). 2 – fiche 38]. Avec un verbe transitif, le GN s’interprète comme
un objet direct (on retrouve alors la construction passive) ; avec un
intransitif en être, on l’interprète comme un sujet (les gens arrivés).

C’est le participe GA qui nous intéresse ici. En tant que GA, il est
dépourvu de marques de temps ou de personne, ne peut s’adjoindre des
pronoms clitiques (« *J’ai vu les enfants y reçus »/« *Les livres
m’offerts ») ou une négation en ne… pas (« *Les enfants ne pas
aimés »/« n’aimés pas ») et s’accorde en genre et en nombre avec le nom
tête (même si la plupart du temps le genre et le nombre ne sont pas
perceptibles à l’oral). Sensible à l’opposition entre interprétation
restrictive et non-restrictive, il peut entrer dans des caractérisations en
degré (très/peu ému, plus/aussi détruit que…, etc.) et occuper les
positions d’un adjectif (épithète, apposition, attribut du sujet ou de
l’objet) :

Paul aime les villes détruites


Léon, gavé de conseils, a repris la route
Michel est reçu à l’examen
Je déclare ces candidats reçus

Beaucoup de participes passés relâchent leur lien sémantique avec le


verbe dont ils dérivent et tendent à devenir de véritables adjectifs
qualificatifs (un homme ouvert, un café serré) ou des adjectifs
relationnels (un appartement meublé, un tapis enchanté). Mais ils sont
toujours postposés au nom *un enchanté tapis, *un coincé garçon.

2. INTERPRÉTATION DU PARTICIPE PASSÉ


D’un point de vue aspectuel, le participe passé indique que le procès
est accompli.
La relation du participe au nom dont il dépend peut être paraphrasée à
l’aide de la copule, comme pour l’adjectif qualificatif :
Les enfants malades = « Les enfants qui sont malades »
Les livres brûlés = « Les livres qui sont brûlés »

Mais, on l’a vu, le verbe être peut aussi correspondre à l’auxiliaire


d’un verbe intransitif (les gens arrivés = « Les gens qui sont arrivés »),
associé à un nom qui s’interprète comme le sujet.
Avec un verbe transitif direct le nom s’interprète comme un objet
direct devenu le support d’une propriété :

Paul est déçu

Il suffit d’ajouter des « circonstants » pour que l’on passe à une phrase

passive canonique [ PASSIF. 2 – fiche 46] :

Hier Luc a été déçu par l’attitude de Léon

3. PARTICIPE PASSÉ ET CIRCONSTANCIELLE


Comme le participe présent, le participe passé peut entrer dans une
phrase détachée circonstancielle dont le sujet est distinct de celui de la
principale et qui en général est antéposée à cette principale :

(1) Paul dormant, on dut se passer de lui


(2) Mariette partie, tout changea
(3) Thierry découragé, on dut s’arrêter

Dans les exemples (2) et (3), à la différence du participe présent de


l’exemple (1), il faut rétablir une relation du type être.
De par sa valeur aspectuelle d’accompli, le participe passé
circonstanciel s’interprète comme un procès antérieur à celui de la
principale (« Mariette une fois partie… »). Le lien sémantique de
subordination (cause, temps, concession…) varie selon le contexte,
comme pour les participiales en -ant et les gérondifs.
Diachronie
En ancien français, l’accord du participe passé pouvait se faire avec un objet
direct placé après le verbe. La règle actuelle date du XVIe siècle, formulée par
Clément Marot, qui l’a empruntée à l’italien. Au XVIIe, elle est à la source de
multiples discussions. Vaugelas écrirait par exemple : « La peine que m’a donné
cette affaire » en alléguant que le sujet se trouve derrière le verbe. En général,
suivant une recommandation de Vaugelas entérinée par l’Académie, l’accord ne se
faisait pas lorsque le participe était suivi d’un attribut ou d’un infinitif sans
préposition :

« Les gens que vous avez rendu heureux. »


« Les mois que j’ai vu passer. »

Jusqu’au XVIIIe siècle on accordait facilement les participes passés des verbes
pronominaux avec le sujet, même si le se n’était pas objet direct :

« Ils se sont donnés une promesse. »

Dans la langue soutenue du XVIIe le participe passé entrait dans une construction
qui a disparu ; en voici deux exemples :

« Je sais qu’un père mort t’arme contre mon crime » (Corneille).


« Et faites retentir jusques à son oreille.
De Joas conservé l’étonnante merveille » (Racine).

La combinaison (Nom + Participe passé) s’interprète en transformant le participe


en nom déverbal régissant le GN initial : un père mort = « la mort d’un père » ;
Joas conservé = « la conservation de Joas ».
Comme pour le participe présent, le lien entre le participe passé et le nom dont il
dépend pouvait être moins strict qu’aujourd’hui :

« Et, pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre


Ce que je viens de raconter » (La Fontaine).

Ici pleurés dépend du pronom de 3e personne sous-jacent à leur.


45. Passé composé

Le passé composé désigne un paradigme de conjugaison susceptible


d’emplois variés que seul le contexte permet d’identifier. On aura donc
soin de distinguer la morphologie du passé composé et ses valeurs
sémantiques, qui ne ressortissent pas nécessairement au « passé ».

1. MORPHOLOGIE
Comme l’indique son nom, le passé composé est constitué de la
combinaison du présent des auxiliaires être ou avoir et du participe passé
du verbe principal [ ▶ AUXILIAIRE. 1 – fiche 10]. On réserve toutefois
l’étiquette de passé composé aux formes non passives : « Il a bu » ou « Il
est entré », mais non « Il est connu ».
Il existe également des formes surcomposées, obtenues par un
redoublement de l’auxiliaire, avoir en l’occurrence et non être, et la mise
au participe passé du premier auxiliaire : « Il a eu vu ».

2. ACCOMPLI DU PRÉSENT ET ANTÉRIEUR


Le passé composé peut avoir la valeur d’un présent, et non d’un passé,
qui indique qu’au moment de l’énonciation, le procès est accompli.
Ainsi, « À présent j’ai bu » se paraphrase-t-il comme : « Je suis dans la
situation de quelqu’un qui a fini de boire » ; il s’agit donc du résultat
présent d’un procès achevé.
Placé dans une subordonnée temporelle, le passé composé peut
également entrer dans un système de corrélation avec le verbe de la
principale à la forme simple, de façon à marquer l’antériorité. Ici le passé
composé n’a pas d’emploi autonome, il est le corrélat de la forme simple
(« *Quand j’ai mangé, je sortais ») :

Quand j’ai mangé, je sors

est parallèle à :

Quand il avait dormi, il sortait


Quand il aura couru, il se reposera

3. LE PASSÉ COMPOSÉ COMME PASSÉ


Le passé composé est aussi un des paradigmes du passé (on parle
parfois de « passé indéfini » ou de « parfait »). Sa valeur aspectuelle le
rend complémentaire de l’imparfait à l’intérieur du système énonciatif du
« discours » [ ▶ DISCOURS/RÉCIT – fiche 22]. Il permet de poser comme
passés des énoncés en rapport avec la situation d’énonciation.
Le passé composé a beau être employé comme temps du passé, il
conserve quelque chose de sa valeur d’accompli. Si le passé simple
permet d’enchaîner des procès, le passé composé met en relation chaque
procès, considéré isolément, avec la situation d’énonciation. De là le
contraste entre (1) et (2) :

(1 ) Il acheta un livre et se promena dans la ville


(2) Il a acheté un livre et s’est promené dans la ville

En (1) les actions se succèdent ; en (2) l’ordre entre les deux actions
pourrait être inversé, pour répondre par exemple à une question du type :
« Qu’a-t-il fait hier ? ». Cette difficulté à enchaîner les actes explique
pour une part la valeur stylistique de L’Étranger de Camus, où les actes
se suivent sans s’intégrer dans une chaîne causale cohérente.

4. LES FORMES SURCOMPOSÉES


Les formes surcomposées peuvent avoir valeur d’antérieur si elles sont
corrélées à des formes elles-mêmes composées qui posent un procès
comme passé :

Quand il a eu mangé, il est sorti


Quand il a mangé, il sort

On trouve également un emploi autonome du passé surcomposé


associé avec un circonstant qui exprime la rapidité de l’accomplissement
du procès (en un instant, en un clin d’œil…) :

Il a eu vite avalé sa soupe


*Il a eu avalé sa soupe

Il s’agit alors moins d’évoquer l’existence d’un procès que la rapidité


de l’arrivée à son terme.

Diachronie
La répartition entre passé simple et passé composé était, dans ses grandes lignes,
acquise au XVIIe siècle.
Comme au XVIe siècle le passé composé venait déjà jouer le rôle d’un tiroir du
passé, les grammairiens ont cherché à définir des règles en la matière. En 1569,
Henri Estienne a proposé une règle dite des « vingt-quatre heures » qui s’est
imposée au XVIIe siècle. Selon cette règle, pour que l’on puisse employer le passé
simple, il fallait qu’une nuit se fût écoulée entre l’événement et le moment
d’énonciation. L’Académie reprocha ainsi à Corneille de faire dire à Rodrigue
dans le Cid : « Quand je lui fis l’affront » alors que l’événement s’est produit le
jour même. Corneille corrigea son texte.
Cette règle est en fait artificielle puisque la différence entre passé composé et
passé simple est d’ordre énonciatif, et non temporel.
46. Passif

On parle parfois, abusivement, de « conjugaison passive » alors que le


passif n’a pas de morphologie propre, combinant seulement le verbe
être et un participe passé. D’un point de vue syntaxique, le passif est
souvent décrit comme un double mouvement de montée de l’objet
direct en position de sujet et de descente du sujet en position de
complément d’agent ; mais cette présentation est trompeuse, car elle
marginalise à tort les passifs sans complément d’agent et les passifs
impersonnels.

1. LE PHÉNOMÈNE DE LA PASSIVATION
On parle de « passivation » parce qu’on met en relation des phrases du
type :

(1) Le lion a mangé le rat

et :

(2) Le rat a été mangé par le lion

On considère qu’il s’agit du même verbe et que les relations entre ce


verbe et les deux GN, le lion et le rat, sont identiques dans les deux
phrases : bien que le sujet syntaxique varie, le lion reste le mangeur et le
rat le mangé.
Il n’y a pas symétrie entre sujet de la passive et complément d’agent :
l’objet de l’active quitte une position directe pour une autre position
directe, celle de sujet, tandis que le sujet de l’active devient complément
en par. En outre, le sujet de la passive est obligatoire alors que la
présence du complément d’agent est facultative (« Le rat a été mangé »).
D’un point de vue morphologique, le verbe combine être et un
participe passé, mais ici être n’a pas la même valeur que dans « Il est
venu » où il est auxiliaire d’un verbe intransitif ; il a plutôt sa valeur
attributive habituelle, quand il est suivi d’un GA [ ▶ PARTICIPE PASSÉ –
fiche 44].

2. L’INTERPRÉTATION DU PASSIF
Tous les verbes transitifs directs ne sont pas passivables [ ▶ OBJET
(COMPLÉMENT D’-) – fiche 46]. C’est en particulier le cas de :

– avoir, comporter, contenir… ;


– les verbes de mesure (peser, valoir…) ;
– les verbes d’état (être, devenir…) qui sont suivis d’un GA ;
– les verbes d’odeur (sentir, puer…) ;
– beaucoup de locutions verbales (faire les pieds, prendre son temps,
prendre la mouche…).

Ces verbes ont en commun d’être difficilement rapportables à un


agent, à une instance qui puisse déclencher un processus.
D’un point de vue interprétatif, la passive associe deux choses qui a
priori s’accommodent difficilement :

– la description d’un état (utilisation d’être suivi d’un participe passé,


présence d’un sujet interprété non comme agent mais comme
support d’une propriété) ;
– l’évocation d’un processus, d’un événement, grâce au verbe au
participe passé.

C’est l’association de deux verbes dans la même phrase (être et le


verbe au participe) qui permet cela. Selon les cas, la phrase passive
prendra une valeur plus ou moins stative. Il suffit en effet d’ajouter des
« circonstants » (un agent, une précision de temps ou de lieu…) pour
accentuer le caractère événementiel de l’énoncé. Comparons ainsi :

(1) Le renard est vacciné


(2) Le renard a été vacciné hier
(3) Le renard sera facilement vacciné par le vétérinaire

Dans l’énoncé (1), on décrit un état, tandis que dans les énoncés (2) et
(3), il s’agit davantage d’un événement, inséparable de divers
circonstants.

3. LE PASSIF PRONOMINAL
On a tendance aujourd’hui à ne pas réserver la catégorie du passif aux
seules structures en être + participe passé. Dans la mesure où le passif n’a
pas de morphologie propre et se définit avant tout par diverses opérations
syntaxiques, il n’y a pas de raison en effet pour ne pas parler de passif
pronominal pour des exemples tels ceux-ci :

(1) Les fleurs se vendent mal


(2) Un chiot s’élève avec sévérité

Il y a bien ici montée du c.o.d. en position de sujet, mais ce sujet


continue à être interprété comme l’objet du verbe. À la différence du
passif en être, le passif pronominal peut exprimer le non-accompli ; en
outre, il ne se combine pas avec un complément d’agent, bien qu’il ait
toujours un agent implicite (dans nos exemples cet agent affleure à
travers mal ou avec sévérité). Au lieu d’exprimer un état, il exprime
souvent une propriété et une valeur modale de possibilité ou
d’obligation ; on interprète ainsi facilement (2) comme une obligation :
« Il faut élever les chiots avec sévérité. »
On parle de construction médio-passive quand il y a effacement de
tout agent implicite :

La fenêtre s’est cassée

Mais la distinction entre passif pronominal et médio-passif est souvent


affaire de contexte.

4. LES PASSIVES IMPERSONNELLES


Il peut y avoir morphologie et interprétation passives sans GN objet en
position de sujet. Ce cas de figure est illustré par les passives
impersonnelles (« Il a été perdu un portefeuille noir » [ ▶
IMPERSONNELLES (CONSTRUCTIONS -) – fiche 33].

Dans les passives impersonnelles, la position sujet est occupée par un


il invariable. Comme le GN objet n’est pas mis en position de sujet, il
n’est pas nécessaire que le verbe soit, comme dans les passives
canoniques, transitif direct :

Il a été beaucoup couru sur cette piste


*Cette piste a été courue
Il a été recouru à l’impôt
*L’impôt a été recouru

Mais cette construction impose que le GN objet soit non-défini (« *Il a


été égaré les livres de Paul »), comme pour les impersonnelles
extraposées (« *Il vient les soldats/Il vient des soldats »). Cette contrainte

n’est donc pas liée à la passivation [ IMPERSONNELLES (CONSTRUCTIONS -).
4 – fiche 33].
5. LE PASSIF DANS LES GN
On est obligé de se demander si la notion de passif concerne aussi les

GN dont la tête est un nom « déverbal » [ NOM (COMPLÉMENTS DU -). 2 –
fiche 41]. Dans un GN tel :

La réfection du toit par le couvreur

on retrouve en effet un complément d’agent et un GN, le toit, qui


s’interprète comme le sujet d’un nom morphologiquement lié au verbe
transformer. Si le « sujet » est un pronom personnel, l’analogie avec une
phrase passive apparaît encore plus nettement puisque le GN interprété
comme le sujet se trouve en tête :

Sa réfection par le couvreur


Il est refait par le couvreur

La question se pose alors de savoir s’il faut proposer une définition du


passif assez large pour englober les phrases et ce type de GN ou s’il n’y a
qu’une simple analogie entre ces GN et les phrases passives.

6. PASSIF ET DISCOURS
Comme le passif modifie la position des objet et sujet du verbe et
permet d’effacer l’agent, il a une incidence sur l’enchaînement des
énoncés dans le discours. En ne mentionnant pas l’agent, on peut faire
porter la thématisation sur le GN qui joue le rôle de complément. Que
l’on compare :

(1) Paul a été vu avec Sophie

et :
(2) Luc a vu Paul avec Sophie

L’exemple (1) élimine l’agentivité de voir pour tout focaliser sur Paul.
Dans la progression d’un texte, la passivation met l’objet direct en tête,
facilitant ainsi certains enchaînements d’énoncés. Dans :

Paul a réussi. Il a été élu député

il se trouve en position initiale, grâce au passif, ce qui renforce la


continuité thématique : Paul et il sont tous deux en position sujet. Mais si
l’on a :

Paul a réussi. Le conseil l’a nommé directeur

on déplace la perspective de Paul vers le conseil.


Indépendamment des enchaînements d’énoncés, le passif facilite la
focalisation sur l’objet direct ; ainsi dans un titre de journal :

Trois soldats ont été tués par une mine

plutôt que :

Une mine a tué trois soldats


47. Place de l’adjectif
épithète

Le problème de la place de l’adjectif épithète est souvent soulevé


dans les épreuves de concours. C’est une question intéressante parce
qu’en français la place de l’adjectif n’est pas fixe mais soumise à des
contraintes de divers ordres. Pour les comprendre, il faut prendre en
compte le caractère hétérogène de la classe adjectivale.

1. PLACE FIXE
Un grand nombre d’adjectifs ont une place fixe, devant ou derrière le
nom :
– sont régulièrement postposés les adjectifs relationnels (une élection
présidentielle) et les adjectifs « classifiants », qui découpent des
ensembles d’objets dans le monde (une tour carrée, un canapé rouge…).
La présence d’un GP complément de l’adjectif provoque également la
postposition, quel que soit le type d’adjectif concerné (*un digne
d’admiration spectacle, *un heureux de vivre garçon…) ;
– sont antéposés quelques adjectifs très fréquents, courts, au signifié
pauvre (beau, grand, gros, vrai, pur, riche, bon…) qui fonctionnent plutôt
comme des sortes d’intensifs du nom (un vrai soldat) ou parfois le
contraire (une triste voiture…) [ ▶ ADJECTIF. 6 – fiche 1]. Dans cette
position, on trouve également des adjectifs tels que fichu, satané, sacré…
La postposition de ce type d’adjectif change leur statut ; elle les
convertit en adjectifs ordinaires homonymes : une sacrée ville/une ville
sacrée, une belle fille/une fille belle… On ne confondra pas ces pseudo-
adjectifs antéposés avec les lexicalisations : jeune fille, grande personne,
petites gens, etc.

2. PLACE VARIABLE

Les adjectifs non classifiants [ ADJECTIF. 3 – fiche 1], les affectifs en
particulier, peuvent se trouver devant ou derrière le nom sans subir
d’altération sémantique :

Une bière délicieuse/une délicieuse bière


Un garçon gentil/un gentil garçon

Mais diverses contraintes interviennent :

– de mise en relief : on tend à antéposer l’adjectif si on veut le mettre


en valeur ;
– prosodiques : l’adjectif sera plus facilement antéposé s’il est moins
long que le nom (un sympathique ami passe moins bien qu’un ami
sympathique) mais la volonté de mise en relief peut annuler cette
tendance ;
– syntaxique : la présence d’un complément de l’adjectif interdit
l’antéposition (cf. supra 1).

3. ANTÉPOSITION AVEC ALTÉRATION SÉMANTIQUE


On l’a vu, les adjectifs classifiants sont régulièrement postposés.
Néanmoins, dans des contextes appropriés, ils peuvent être antéposés, au
prix de la perte de leur caractère classifiant. On opposera par exemple :
J’ai un manteau rouge

et :

Il plongea dans le rouge brasier


J’ai fait percer des fenêtres rondes

et :

De rondes servantes amenaient la bière

Quand il est antéposé, l’adjectif classifiant est en quelque sorte


redondant par rapport au nom, du moins à l’intérieur de stéréotypes
culturels (les brasiers sont rouges, les servantes d’auberge sont
plantureuses, etc.). Perdant sa valeur classifîante, l’adjectif se charge de
connotations diverses : rouge dans le « rouge brasier » évoque plutôt la
violence, la chaleur… et rondes dans « de rondes servantes » la joie de
vivre, la féminité épanouie, etc.
On peut ainsi rendre compte de clichés (la verte campagne, les blancs
moutons, etc.) et, plus généralement, des « épithètes rhétoriques » (les
rustiques chaumières, l’ardente fureur, etc.). Dans de tels emplois, il ne
s’agit pas de découper le monde, d’y distinguer des objets, mais
d’inscrire le destinataire dans un univers culturel de connivence.
48. Possessifs

Sous l’étiquette de possessifs, on regroupe deux séries d’unités : une


classe très singulière de déterminants du nom (« adjectifs possessifs »)
et des éléments à fonction anaphorique (« pronoms possessifs ») qui
associent anaphore nominale et détermination. La dénomination de
« possessif » ne renvoie qu’à certaines des interprétations : beaucoup
d’éléments possessifs n’impliquent ni possesseur ni objet possédé.

1. DÉTERMINANT
Morphologiquement, le déterminant possessif varie en genre, en
nombre et en personne : mon est masculin, singulier, de 1re personne. Il
s’accorde en genre et en nombre avec le nom qui suit, mais porte la
personne du possesseur. Comme ce dernier peut être singulier ou pluriel,
cela provoque des difficultés. Ainsi dans leur chat, le déterminant
marque le pluriel du possesseur, tandis que dans leurs chats, le pluriel est
à la fois celui du possesseur et du nom déterminé.
D’un point de vue distributionnel, le déterminant possessif se
comporte comme ce, un ou le, avec lesquels il commute. Il constitue une
projection des pronoms clitiques de 1re, 2e ou 3e personnes qui, en position
de spécifieurs du nom, s’accordent en genre et nombre avec le nom qui
suit (de là la dénomination d’« adjectif personnel » qu’on leur accorde
parfois) :
Mon cheval = (moi) cheval
Ton cheval = (toi) cheval
Son cheval = (il/elle) cheval
Etc.

2. INTERPRÉTATION DU DÉTERMINANT
On distingue deux grands types d’interprétation du déterminant, selon
qu’il s’agit de noms dérivés d’adjectifs ou de verbes [ ▶NOM
(COMPLÉMENTS DU -) – fiche 41] ou de noms ordinaires :

– avec les noms dérivés de verbes ou d’adjectifs, le possessif est


interprété comme le sujet (son arrivée est mis en correspondance
avec il arrive, sa tiédeur avec il/elle est tiède), comme l’objet (son
absorption/il est absorbé) ou les deux (son assassinat/il assassine
ou il est assassiné) ;
– avec les noms ordinaires qui n’expriment pas un processus mais
désignent des référents discontinus, on peut avoir une interprétation
possessive « aliénable » (ma montre) ou « inaliénable » (ma main).
Certains noms permettent une interprétation agentive (ma
peinture = « Celle que je peins ») ou iconique (ma photo = « Celle
qui me représente »). Les interprétations agentives ou iconiques
impliquent un comportement syntaxique différent :

Sa photo de Léon (= agent ou objet représenté)


*Son chat de Marie (= possesseur)
Cette photo est de moi (= agent)
*Ce chat est de moi (= possesseur)

Mais le possessif est susceptible d’autres interprétations, toutes celles


que permet d’exprimer le complément du nom en de : la tête de la
colonne, le chef de Luc, etc. À l’exception toutefois de relations du type
l’imbécile d’Alfred ou la ville de Paris [ ▶ NOM (COMPLÉMENT DU -). 4 –
fiche 41].
3. PRONOM
Comme le déterminant, le pronom possessif varie en genre, en
nombre et en personne : le mien, le tien, etc.
Il est constitué de l’article défini suivi de l’adjectif mien, tien…
L’article indique le nombre et le genre du nom représenté et l’adjectif la
personne du possesseur, singulière ou plurielle. Ainsi, dans l’anaphore de
le chat de Luc par le pronom possessif le leur, le pronom a un référent
singulier désigné par un nom masculin (d’où le) mais dont le possesseur
est pluriel (d’où leur) ; dans l’anaphore de ma chatte par les siennes, le
pronom a un référent pluriel désigné par un nom féminin (d’où les) et un
possesseur singulier (d’où siennes).
L’anaphore par le pronom possessif porte seulement sur le signifié de
l’antécédent, non sur son référent. Ainsi, dans l’enchaînement le chat de
Luc… le leur, il s’agit bien d’un chat dans les deux cas, mais pas du

même [ ANAPHORE NOMINALE – fiche 3].
Il existe un emploi archaïsant dans lequel mien est un GA : « Ce livre
est mien », « un tien cheval ». Quant aux formes les miens/les tiens/les
siens, elles peuvent ne pas être anaphoriques et désigner la famille, ou
ceux qui relèvent du cercle restreint à travers lequel un individu définit
son identité.

Diachronie
En ancien français, mon est uniquement déterminant, tandis que mien, adjectif,
s’emploie à la fois comme attribut (« Ceci est mien ») et comme épithète (« Un
mien ami »). Au XVIIe on trouvait encore la combinaison
(Déterminant + mien + nom), parfois avec postposition du nom, surtout avec les
termes de parenté (« ce mien frère », « l’ami notre »). Vaugelas condamna cette
tournure, préférant un de mes frères à un mien frère. On cherchait en effet à
séparer nettement formes de déterminants et formes de pronoms.
La Grammaire de Port-Royal a cherché à imposer la règle selon laquelle quand le
déterminant possessif son n’est pas dans la même phrase que son antécédent il
faut préférer en… le si l’antécédent n’est pas un animé : « J’en vois la douceur [=
de son visage]. » Mais cette règle n’a pas vraiment été suivie.
Quand deux noms étaient coordonnés, on ne répétait pas toujours le déterminant :
« sa noblesse et grandeur ».
L’évolution de la langue a suscité une fausse étymologie. En ancien français
ma/ta/sa s’élidait devant voyelle : m’espée, t’amie ; la survivance de m’amie l’a
fait comprendre fautivement comme ma mie.
49. Pouvoir/Devoir

On demande habituellement aux candidats de considérer ensemble les


deux verbes modaux pouvoir et devoir, en raison de leur
complémentarité sémantique et de la similitude de leur comportement
syntaxique, qui les place en quelque sorte entre le statut de verbe
auxiliaire et celui de verbe ordinaire. Leur polysémie ne peut être levée
que partiellement, en prenant en compte les contextes où ils
apparaissent.

1. PARTICULARITÉS
Si on les compare aux autres verbes transitifs (cf. vouloir, penser, etc.),
ces deux verbes présentent des propriétés syntaxiques singulières. Ils sont
suivis d’un infinitif pronominalisable en le, mais non d’une complétive
ou d’un GN (lorsque devoir possède un GN objet, il s’agit d’un verbe de
sens différent : devoir quelque chose à quelqu’un) :

Je peux/dois venir
*Je peux/dois que je parte
*Je peux/dois un travail

Ils n’ont pas non plus d’impératif (« *Dois ! »/« *Peux ! ») et ne sont
pas passivables.
Pour certaines de leurs acceptions, ils peuvent être paraphrasés par des
constructions impersonnelles qui modalisent l’ensemble de la phrase :

Je peux venir : Il se peut/est possible que je vienne


Il doit partir = Il est probable qu’il partira

Pouvoir et devoir, à la différence des verbes ordinaires, n’imposent


aucune contrainte sémantique à leur sujet. Dans un énoncé comme « Paul
désire dormir », il faut que Paul soit compatible avec désirer et avec
dormir, qui exigent tous deux un sujet animé ; en revanche, dans « Paul
doit/peut dormir » ou « La montagne peut/doit s’éroder » les verbes
devoir et pouvoir sont comme « transparents », les contraintes s’exercent
uniquement entre Paul et dormir ou la montagne et s’éroder. C’est là une
propriété partagée par des auxiliaires comme avoir ou être.

2. POLYSÉMIE
Pouvoir et devoir sont foncièrement polysémiques : outre leurs
interprétations du type il se peut, il est probable que, on citera :

– pour pouvoir : la capacité.


la permission.
la possibilité.

La phrase « Pierre peut travailler le latin » pourra ainsi recevoir trois


interprétations :

Il a les aptitudes nécessaires pour…


Il est autorisé à…
Il a la possibilité de… (parce qu’il a reçu le manuel, qu’il a
du temps libre, etc.).

– pour devoir :la nécessité.


l’obligation.

L’énoncé « Pierre doit travailler le latin » recevra deux interprétations :

Les circonstances le contraignent à…


Quelqu’un l’oblige à travailler…

Un des facteurs essentiels de cette polysémie, c’est donc


l’indétermination quant à la cause du « pouvoir » ou du « devoir ». Si le
sujet n’est pas doué de volonté, l’interprétation en termes d’obligation ou
de permission sera exclue. Pour que « L’école peut accueillir mille
élèves » indique une permission, il faut comprendre l’école comme une
métonymie, « le personnel de l’école ».

3. LE FILTRAGE PAR LE CONTEXTE


C’est le contexte qui permet d’opérer un tri plus ou moins serré entre
les valeurs possibles de pouvoir et devoir. Si dans chaque contexte toutes
ces valeurs étaient équiprobables, la compréhension en serait gravement
affectée.
Devoir, par exemple, s’interprétera plutôt comme une probabilité si le
verbe est à l’accompli et employé à la 3e personne (« Pierre a dû
arriver ») ou si l’infinitif a un mode de procès [ ▶ ASPECT. 2 – fiche 8]
duratif (« Paul doit voyager »). Associé à je ou tu, à toujours, il prend
plutôt une valeur d’obligation (« Tu dois toujours faire attention »).
Pouvoir n’a pas nécessairement le même sens au passé composé/passé
simple et à l’imparfait :

(1) *Il a pu/put gagner la rive mais il ne l’a pas fait


(2) Il pouvait gagner la rive mais il ne l’a pas fait

En (1) le procès est arrivé à son terme, d’où le caractère contradictoire


de la phrase ; en (2), le procès n’étant pas poussé à son terme, on tend à
l’interpréter comme un irréel du passé (« il aurait pu… »).
En clair, ces verbes sont inséparables de l’ensemble des paramètres de
l’énonciation dans laquelle ils s’inscrivent.
Mais bien souvent le destinataire est incapable de définir de manière
sûre une interprétation pour chaque occurrence de pouvoir ou devoir.
50. Présent de l’indicatif

Des questions sont régulièrement posées sur les « valeurs du présent


de l’indicatif », et sur les types d’emploi possibles de cette forme. Le
présent, paradigme central du système de l’indicatif, peut en effet
prendre des valeurs très diverses. Ce qui nourrit un débat récurrent :
le présent, comme l’indique son nom, exprime-t-il l’actuel, la
coïncidence avec le moment de l’énonciation, ou n’a-t-il par lui-même
aucune valeur temporelle ?

1. LE PRÉSENT, FORME CENTRALE DE L’INDICATIF


Le présent est le temps central de l’indicatif, et de très loin le plus
employé. Il est traditionnellement défini comme la marque de la flexion
verbale qui indique la contemporanéité du moment de l’énonciation et du
procès évoqué dans l’énoncé.

Il pleut beaucoup (= au moment où le locuteur énonce cette


phrase)

Ce caractère central du présent se manifeste dans sa morphologie. Il


s’agit en effet de la forme non-marquée de l’indicatif ; les formes du
passé et du futur sont construites en lui ajoutant quelque chose :
Chant(e) (Présent) > chant (e)-rai (Futur) / chant-ait / chant-
a / a chant-é (Passé)

En outre, d’un point de vue aspectuel, le présent est très souple : il peut
exprimer des procès dans leur déroulement aussi bien que des procès

perfectifs. [ ASPECT – fiche 8]

2. LES VALEURS TEMPORELLES


La valeur temporelle de base du présent est déictique, puisqu’il
exprime la contemporanéité d’un état de choses avec le moment
d’énonciation. L’étendue de ce présent est cependant très variable, en
fonction du procès évoqué par l’énoncé.

La foudre tombe sur la tour (un instant)


Il remonte le terrain, ballon au pied (vingt secondes)
Le moteur tousse pas mal (une durée qui peut être plus ou
moins étendue)
Marie est blonde (état)

Mais il peut avoir d’autres valeurs :

– dans une phrase où le procès se répète, sans que la limite finale soit
précisée (présent itératif ou d’habitude) :

Chaque jour, il se lève à huit heures et se rend à son travail

– pour exprimer le passé immédiat ou le futur imminent :

J’arrive tout juste.


Je ne peux pas te répondre, je pars.

– pour exprimer le futur. Dans ce cas, c’est un complément


circonstanciel qui précise la période concernée :
Dans un mois je suis en vacances

– Le présent omnitemporel couvre à la fois le passé, le présent et le


futur. C’est le cas par exemple dans les définitions, les proverbes,
les généralisations, etc.

Un triangle a trois côtés


Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse
Les Français aiment la bonne nourriture

– Le présent historique (ou de narration) est utilisé dans des suites


plus ou moins longues de phrases qui racontent des événements
réels ou fictifs. C’est le contexte qui précise qu’il s’agit d’un passé.
Il sert dans les récits à l’intérieur de conversations :

Hier, il m’est arrivé quelque chose de bizarre. Je vais faire


des courses et en entrant chez le boulanger j’aperçois Marie
avec son fils. Elle fait semblant de ne pas me reconnaître.
Alors je m’approche d’elle, etc.

comme dans les récits non embrayés où l’on pourrait aussi bien

employer le passé simple [ DISCOURS/RECIT – fiche 22]

« Bonaparte apprit bientôt avec certitude que la ville était


menacée de quelque événement. À deux heures du matin on
lui vient dire que le feu commence. Le vainqueur quitte le
faubourg de Dorogomilow et vient s’abriter au Kremlin :
c’était dans la matinée du 15. Il éprouva un moment de joie
en pénétrant dans le palais de Pierre le Grand. »
(Chateaubriand, Mémoires d’outre-ombe, Livre 21, chap. 4)

En rendant les événements contemporains de l’énonciation, cet emploi


du présent a un effet stylistique certain, où se mêlent accélération et
dramatisation.
3. LE DÉBAT SUR LE PRÉSENT
Pour expliquer la polyvalence du présent, certains linguistes proposent
d’y voir une forme sans valeur temporelle. Autrement dit, sa valeur
déictique « actuelle » – la coïncidence avec le moment d’énonciation –
ne serait pas sa valeur de base, mais seulement un de ses emplois
possibles, son emploi en quelque sorte par défaut. Ainsi, dans une phrase
comme

Paul range sa chambre

le verbe range serait interprété comme référant à un procès actuel


parce qu’il n’y a rien dans le contexte qui oriente vers une autre
interprétation.
Fondamentalement, le présent serait donc une forme zéro, dépourvue
de toute temporalité, à la différence des temps du passé ou du futur. C’est
uniquement le contexte qui permettrait de l’inscrire dans le temps. Cela
permettrait d’expliquer facilement pourquoi il peut être utilisé pour des
procès passés ou futurs.
La thèse contraire, à savoir que le présent sert fondamentalement à
marquer l’actuel, implique que les emplois autres sont des extensions du
présent (cf. le présent omnitemporel) ou des emplois à visée stylistique
(cf. le présent de narration).
51. Pronoms

La catégorie des pronoms est faussement évidente. Elle recouvre des


fonctionnements sémantiques très variés : pronoms substituts,
embrayeurs personnels, pronoms autonomes. On divise
traditionnellement les pronoms en diverses classes (possessifs,
indéfinis…), qui correspondent systématiquement à diverses classes de
déterminants et qui posent chacune des problèmes spécifiques. Cette
hétérogénéité se retrouve dans la variation morphologique des
pronoms.

1. QU’EST-CE QU’UN PRONOM ?


D’un point de vue syntaxique, le pronom est une catégorie le plus
souvent de type nominal, en ce sens qu’il occupe les mêmes fonctions
qu’un GN.
D’un point de vue sémantique, il s’agit d’unités dont le sens donne
des instructions qui permettent de leur associer un référent. Les pronoms
se distinguent en fonction du type d’instruction qui est mobilisé pour
identifier ce référent.

■ Pronoms substituts ou représentants


Un ensemble de pronoms dits pronoms substituts ou représentants,
trouve son référent par un processus endophorique [ ▶
ANAPHORE
NOMINALE – fiche 3], c’est-à-dire en reprenant à une autre unité du
contexte : il, celui-ci, le sien… Le plus souvent ces pronoms reprennent
des GN :

Le frère de Luc est revenu ; il a l’air fatigué


J’ai vu les chiens ; plusieurs ont l’air triste

Parfois ils reprennent d’autres catégories : GA, phrase, infinitif :

Malade, Paul le sera bientôt (GA)


Que Zoé aime Nicolas, j’avoue que ça surprend (phrase)
Fumer des cigares, c’est malsain (infinitif).

À l’exception des reprises de GA attributs, fondamentalement les


termes repris sont des catégories occupant des fonctions de GN.

■ Pronoms déictiques
Un autre ensemble de pronoms trouve son référent de manière

déictique, par embrayage énonciatif [ EMBRAYEURS – fiche 23] :

Je suis arrivé avant toi

On identifie ici le référent des deux pronoms en prenant en compte les


circonstances mêmes de leur énonciation.

■ Pronoms autonomes
Un dernier ensemble de pronoms (personne, rien, aucun…) construit
son référent de manière autonome, c’est-à-dire indépendamment du
cotexte comme de l’acte d’énonciation :

Personne ne doit rien dire

On a affaire à des pronoms « indéfinis » ; personne par exemple ne


désigne pas un individu précis mais parcourt une classe d’individus
possibles pour ne s’arrêter sur aucun.
Un même terme peut, selon l’emploi qui en est fait, trouver son
référent de deux manières différentes. Ainsi ça ou il, qui sont tantôt
anaphoriques, tantôt déictiques :

(Le locuteur montre quelque chose) : Il est beau, non ?


(déictique)
Paul est furieux : il a raté le train (anaphorique)
(Le locuteur montre du doigt) : Je veux ça (déictique)
Un enfant, ça aime jouer (anaphorique)

En revanche, chacun est tantôt autonome, tantôt anaphorique :

Les élèves sont agités ; chacun pense aux vacances


(anaphorique)
Chacun ne se soucie que de ses intérêts (autonome)

2. LES CLASSES DE PRONOMS


On divise traditionnellement les pronoms en diverses catégories, qui
sont en fait le corrélat de celles des déterminants du nom :

Déterminants Pronoms

Définis Personnels
(le, la, les) (il, le, lui…)

Démonstratifs Démonstratifs
(ce, cette, ces) (celui-ci, ceci…)

Possessifs Possessifs
(mon, ton…) (le mien, le tien…)

Indéfinis Indéfinis
(un, plusieurs…) (plusieurs, quelques-uns… )
Relatifs (emploi archaïque) Relatif
(lequel homme) (qui, auquel…)

Interrogatif Interrogatif
(quel homme ?) (lequel ? qui ?)

Nous renvoyons aux fiches correspondantes pour ces diverses


catégories :

– Pronoms personnels : ▶ – fiche 23 ; ▶ EN/Y -fiche 25 ;



EMBRAYEURS
PRONOMS CLITIQUES – fiche 52 ;
– Démonstratifs : ▶ DÉMONSTRATIFS – fiche 19 ;
– Possessifs : ▶ POSSESSIFS – fiche 48 ;
– Indéfinis :▶ INDÉFINIS– fiche 34 ; ▶ – fiche 43 ; ▶
ON TOUT – fiche
60 ;
– Relatifs : ▶ QUE– fiche 54 ; ▶ QUI– fiche 55 ; ▶ RELATIVES – fiche
56 ;
– Interrogatifs : ▶ (
INTERROGATIFS MOTS -) – fiche 36.

3. VARIATIONS MORPHOLOGIQUES
Étant donné l’hétérogénéité de la catégorie pronominale, on ne peut
pas s’attendre à ce que sa morphologie soit homogène.
On trouve des pronoms invariables en genre et en nombre : des
autonomes (personne, rien, quelque chose…) mais aussi quelques
pronoms substituts (ce, le neutre).
D’autres varient seulement en genre (chacun(e), aucun(e)…).
En général, les pronoms substituts varient en genre et en nombre
(il/elle/ils/elles, celui-ci/celle-ci/ceux-ci/celles-ci…). Ils s’accordent en
genre avec leur antécédent, ce qui rend plus facile l’identification de cet
antécédent. Mais ils ne s’accordent pas toujours en nombre avec lui :
Ses chats (plur.) sont gris ; le tien (sing.) est noir
Il avait un chat (sing.) ; il en a maintenant trois (plur.)

En revanche, il y a toujours accord en genre et en nombre s’il s’agit de


pronoms personnels ou de relatifs en lequel, qui sont strictement
coréférents de leur antécédent :

Les enfants (masc. plur.) sont là ; ils (masc. plur.) dorment


La fille (fém. sing.) à laquelle (fém. sing.) je pense

Les embrayeurs personnels (je/tu…) et les pronoms possessifs (le


mien/le vôtre…) varient en personne. La variation en nombre des
embrayeurs personnels n’a pas la même valeur selon qu’il s’agit de la 3e
personne, qui connaît un vrai pluriel, ou des deux autres, pour lesquelles

le pluriel est plutôt un singulier amplifié [ EMBRAYEURS. 2-fiche 23].
52. Pronoms clitiques

Les linguistes qui étudient les langues romanes utilisent constamment


la notion de pronom clitique pour désigner une classe d’unités atones
(je, tu, le…) contiguës au verbe, que ce soit devant (je le vois) ou, plus
rarement, derrière (dit-il). Ils présentent la particularité d’occuper
cette position indépendamment de leur fonction dans la phrase (le
objet direct, par exemple, n’est pas placé en position de GN objet,
après le verbe). À côté de ces clitiques compléments du verbe, il faut
faire une place à d’autres (« datif éthique », « datif d’intérêt »), qui,
paradoxalement, ne sont pas appelés par le verbe dont ils dépendent.

1. LA CLASSE DES CLITIQUES


Les éléments dits clitiques ne sont pas nécessairement les traditionnels
« pronoms personnels » ni même des pronoms. Il peut s’agir des sujets ce
ou on, de se, des « pronoms adverbiaux » (en et y) ou du marqueur de
négation ne. Ces morphèmes qui sont atones et adjoints immédiatement
au verbe ne peuvent se combiner qu’entre eux :

*Je décidément ne veux aucun livre


*Il par malheur le dit

En d’autres termes, un clitique ne peut être séparé du verbe que par un


autre clitique. Les pronoms par leur morphologie indiquent quelle est leur
fonction : je sujet, le objet direct, lui objet indirect, me objet direct ou
indirect, etc. Devant une voyelle, certains s’élident :je → j’, te →t’, me
→m’, le →l’. La langue parlée élide également le tu en t’et il/ils en i’.
Les combinaisons de pronoms clitiques antéposés obéissent à des
règles précises mais très compliquées (pour les clitiques postposés au

verbe [ IMPÉRATIF – fiche 32]). Les clitiques sujets sont toujours placés
en premier et les compléments directs de 3e personne avant les
compléments indirects, sauf s’il s’agit de réfléchis ; en et y sont placés en
dernier :

Les clitiques peuvent être adjoints aux verbes à temps fini comme aux
verbes à temps non fini, participe présent ou infinitif :

Les enfants le lui refusant étaient rares


Pour l’y emmener il faut être riche

En principe, les clitiques sont adjoints au verbe dont ils sont les
compléments ; il existe cependant des exceptions (verbes de perception et
laisser/faire), qui suscitent des analyses variées :

(1) Je le vois ( ) venir


(2) Tu lui as fait offrir un cadeau ( )

Dans l’exemple (1), le pose un double problème : il a la morphologie


d’un objet direct et se trouve placé devant vois, alors qu’il s’interprète
comme le sujet de venir. Dans l’exemple (2), lui est objet indirect d’offrir
mais il est placé devant fait. Dans les deux cas, il s’agit d’infinitif, dont

l’autonomie à l’égard de la principale est limitée [ INFINITIF. 4 – fiche
35].

2. FORMES CONJOINTES ET DISJOINTES


Les formes clitiques – dites conjointes – des pronoms personnels ont
une autre réalisation phonétique, celle de formes disjointes, qui sont
toniques et peuvent occuper les différentes positions d’un GN dans la
phrase : me/moi, tu/toi, il/lui, se/soi, ils/eux…

Il (forme conjointe) est intelligent/Marie pense à lui (forme


disjointe)
Paul me (forme conjointe) vole/Moi (forme disjointe), je
n’aime pas les épinards

Mais certaines formes disjointes sont identiques aux formes conjointes


correspondantes : nous/nous, vous/vous…

Nous (forme conjointe) dormons trop/Marie veut partir avec


nous (forme disjointe)

Le pronom lui est seulement datif quand il est conjoint, mais il peut
occuper toutes les fonctions quand il est disjoint :

Marie lui parle (= à lui)/Lui, il dort/Jean prend tout sur lui


3. CLITIQUES SUJETS ET COMPLÉMENTS
Nous avons dit que les pronoms clitiques n’occupent pas la position
qui correspond à leur fonction. C’est évident pour les clitiques
compléments, qui devraient être placés à droite du verbe, mais peut-on le
dire des clitiques sujets, qui sont en apparence dans leur position
normale, comme n’importe quel sujet, devant le verbe ?

L’ami de Paul vient demain/Il vient demain

En fait, on peut penser que la position du sujet n’est pas la même pour
un GN ordinaire et pour un clitique. Un GN sujet se trouve dans la
position sujet, distincte de celle du GV, alors que le sujet clitique fait
partie du GV, il est adjoint directement au verbe.
À l’appui de cette analyse, on peut invoquer divers arguments :

– la liaison obligatoire des clitiques avec le verbe (« Ils


entrent » = [ilzt R]), que les GN sujets ne connaissent pas, sauf en
poésie (« Les fleurs embaument » = [lεflœRz bom]). La liaison
indique que d’un point de vue phonétique la suite (clitique
sujet + verbe) est traitée comme un seul mot ;
– le fait que les GN sujets non clitiques connaissent deux formes
d’inversion (« Vient Paul »/« Paul vient-il ? »), dont l’une implique
le clitique sujet ;
– la possibilité dans la langue parlée de faire coexister GN et clitiques
sujets : « Paul i’vient demain » (structure à distinguer d’une
dislocation gauche : « Paul, i’vient demain »).

4. DATIF ÉTHIQUE ET DATIF BÉNÉFACTIF (OU


D’INTÉRÊT)

■ Le datif éthique
On rencontre souvent des clitiques datifs qui ne sont pas compléments
du verbe. C’est le cas du célèbre datif éthique :

Paul te lui a donné un de ces coups !

Ici le verbe a déjà un complément datif (lui), qui participe au procès.


L’autre datif, te, participe de l’énonciation, indice d’une prise à témoin de
l’interlocuteur pour un événement qui est posé comme remarquable (de
là, la bizarrerie d’un énoncé tel : « *Marion t’a promené son chien » dont
on ne voit pas en quoi il est digne de susciter l’étonnement). Ce datif
éthique, puisque précisément il ne participe pas de l’énoncé, peut même
figurer à côté de verbes qui n’appellent pas de complément d’objet
indirect :

Le voilà qui te pousse un cri terrible !

Plus marginalement, il existe un datif éthique de 1re personne : « Il me


lui a fichu une bonne claque. »

■ Le datif d’intérêt
On distingue le datif éthique du datif d’intérêt (ou bénéfactif) qui

indique au profit ou au détriment de qui se fait le procès [ PRONOMINAUX
(VERBES -). 6 – fiche 53] :

Il nous a défoncé la porte


Elle vous le rédigera facilement
On se boit un petit apéro ?

Le point essentiel dans ces exemples est que ces verbes n’appellent pas
habituellement de complément indirect en à : *défoncer à qqn, *boire à
qqn., *rédiger à qqn…
Le datif bénéfactif se distingue du datif éthique en cela qu’il joue un
rôle dans le procès, qu’il intervient donc au niveau de l’énoncé, et non de
l’énonciation. Les datifs éthiques de 3e personne semblent impossibles
(seuls les partenaires de l’énonciation sont pris à témoin). Mais à la
seconde personne il est souvent difficile de faire le partage entre datifs
éthique et d’intérêt :

Jacques vous règle tout ça en un rien de temps

Diachronie
À l’état d’archaïsme, au XVIIe, les clitiques sujets étaient parfois omis (surtout avec
des verbes tels croire, savoir, pouvoir…) dans des phrases subordonnées, incises
ou coordonnées :
« …la maison, comme savez de reste,
Au bon monsieur Tartuffe appartient sans conteste » (Molière).
Comme en ancien français et dans le français familier contemporain, on avait
tendance au XVIIe siècle à substituer à le lui un lui qui fondait les deux formes.
Usage condamné par Vaugelas : « Il vaut mieux satisfaire l’entendement que
l’oreille. » La langue soignée a progressivement rétabli le lui.
On a discuté pour savoir où placer les clitiques compléments d’un verbe à
l’infinitif : « Je le puis faire » ou bien : « Je puis le faire » ? Vaugelas acceptait les
deux mais préférait « Je le puis faire », qui était alors plus fréquent. Au XVIIIe,
cette tendance s’est inversée. En réalité, c’est surtout avec les verbes de sens
modal, dont la relation avec l’infinitif est très « serrée », que le clitique montait
ainsi : « Je le dois/peux/veux… croire ».
On pouvait employer le même clitique comme complément de deux verbes
coordonnés : « Vous aimer et servir. »
Dans le prolongement de l’ancien français, il était possible de placer le clitique
complément d’objet de 3e personne avant un complément indirect de 1re ou 2e
personne : « Je le vous avoue » (Guez de Balzac). Mais l’ordre actuel s’est imposé
rapidement.
Le employé comme clitique attribut était source d’embarras. Au XVIIe on accordait
couramment les clitiques pronominalisant des attributs (« Intelligente, je la
suis »/« Rois, nous les sommes »…). Vaugelas avait opté pour le pronom neutre
le, mais cette règle rencontra longtemps une résistance.
Le pronom il pouvait fonctionner comme pronom sujet neutre : « Goûtez bien
cela, il (= cela) est de Léandre » (La Bruyère).
53. Pronominaux
(verbes -)

Les verbes précédés d’un clitique me, te, se, nous, vous sont dits « à la
forme pronominale » si leur sujet se trouve à la même personne. Mais
comme les énoncés de type pronominal ont des propriétés syntaxiques
et des interprétations très variées il apparaît difficile d’établir
l’homogénéité de cette catégorie, qui implique à la fois des
phénomènes syntaxiques (les structures des phrases) et lexicaux (le
sens des verbes).

1. PROPRIÉTÉS COMMUNES
L’ensemble des formes pronominales des verbes partage deux traits :

– devant le verbe (se laver) ou l’auxiliaire (s’être lavé) se trouve un


clitique dit « réfléchi », le plus souvent complément du verbe,
variable en personne, par accord avec les sujets de la phrase. On ne
peut pas parler de variation en nombre pour les oppositions
me/nous, te/vous dans la mesure où la notion de pluriel n’a pas

réellement de sens pour Je et Tu [ EMBRAYEURS. 2 – fiche 23]. À
l’impératif, il est adjoint à droite du verbe et se transforme en
pronom tonique : « Soigne-toi », « Évanouis-toi », « Offre-toi un
livre ». Mais si l’impératif est négatif, il n’y a pas postposition :

« *Ne lave pas toi » [ IMPÉRATIF. 4 – fiche 32].
– les formes pronominales ont le verbe être pour auxiliaire aux formes
composées : « Il a lavé » mais « Il s’est lavé ». Même avec cet
auxiliaire le verbe conserve ses propriétés de verbe transitif ; s’il y a
lieu, il peut ainsi avoir d’autres compléments que le réfléchi : « Il
s’est donné à son travail ». Le fait que la présence du réfléchi
déclenche le passage de l’auxiliaire avoir à l’auxiliaire être
constitue un phénomène remarquable, qui rappelle la passivation.
Ce phénomène semble lié à la disparition du complément d’objet
(devenu sujet dans la passive ou réfléchi dans les formes
pronominales).

2. INTERPRÉTATIONS RÉFLÉCHIE OU RÉCIPROQUE


Les verbes employés à la forme pronominale sont susceptibles
d’interprétations variées.

■ Interprétation réfléchie
La plus immédiate, celle qui donne son nom au clitique, est
l’interprétation réfléchie. Il s’agit de verbes transitifs dont l’objet direct
ou indirect est coréférentiel du sujet : « Paul se voit » = « Paul voit lui-
même ». Il y a donc complémentarité entre le et se : le premier a son
antécédent hors de la phrase, le second dans la phrase.

■ Réciprocité
La forme pronominale permet aussi de marquer la réciprocité, pour
peu que le sujet ne soit pas unique. Avec :

Les enfants se regardent


on hésitera entre la valeur réfléchie (chaque enfant se regarde) et la
valeur réciproque (les enfants se regardent les uns les autres). La
présence de l’un l’autre/les uns les autres permet de lever l’ambiguïté.
Certains verbes donnent à la forme pronominale une interprétation de
succession :

Les jours se suivent…

■ Modification sémantique du verbe


Un certain nombre de verbes subissent une modification sémantique
quand ils passent à la forme pronominale : réveiller/se réveiller,
promener/se promener, endormir/s’endormir, etc. On ne peut pas parler
ici d’interprétation réfléchie (s’endormir = « endormir soi-même »), mais
on ne peut pas dire non plus qu’il s’agisse d’un autre sens du verbe. La
difficulté vient du fait que le procès se déroule à l’intérieur du sujet, qui
n’agit pas sur quelque chose d’extérieur. Certains parlent de construction
pronominale « neutre ». Le verbe devient intransitif.

3. LA CONSTRUCTION MOYENNE
Un verbe qui peut entrer dans une construction passive peut également
entrer dans une construction moyenne (ou passive pronominale) dans
laquelle le GN qui s’interprète comme l’objet direct se trouve en position
de sujet et où le verbe est précédé de se : « Ce tissu se mouille
facilement. » Au présent, cette construction possède souvent une valeur
générique : l’énoncé « Ce tissu se lave » s’interprète donc plutôt comme
« Ce tissu peut être lavé, est lavable », avec un agent indéterminé [ ▶
PASSIF. 3 – fiche 46].

C’est la présence d’un agent implicite qui distingue ces constructions


moyennes des médio-passives :

Les chandelles se sont éteintes


La branche s’est rompue
Ici l’agent est éliminé du procès et il n’y a aucune interprétation
passive.
Souvent le partage entre constructions médio-passives et moyennes ne
peut se faire qu’en contexte. Quand on rétablit un agent implicite on
retrouve l’interprétation moyenne (« Les chandelles se sont éteintes
difficilement »).

4. LES CONSTRUCTIONS IMPERSONNELLES EN SE


Il existe des constructions impersonnelles avec se :

Il s’est dit tant de choses


Il s’est vu des gens pour le critiquer

Comme dans la passivation, le sujet sémantique appelé par le verbe


n’occupe pas la position de sujet de la phrase (il est en effet éliminé) et la
morphologie du verbe est modifiée (par la présence de se). Le GN objet
occupe sa place normale et doit être non-défini [ ▶ IMPERSONNELLES
(CONSTRUCTIONS -). 4 – fiche 33]. Une telle construction implique la
présence d’un agent mais celui-ci doit rester indéterminé. Elle est souvent
très maladroite en l’absence de circonstants, qui donnent un cadre spatio-
temporel :

*Il se boit du vin


Il s’est bu beaucoup de vin ici autrefois

Il s’agit de constructions en relation systématique avec les


constructions moyennes : « Il se dit tant de choses »/« Tant de choses se
disent », « Il s’est bu beaucoup de vin »/« Beaucoup de vin s’est bu »,

etc. [ IMPERSONNELLES (CONSTRUCTIONS -). 2 – fiche 33].

5. LES VERBES INTRINSÈQUEMENT PRONOMINAUX


Jusqu’ici nous avons considéré des verbes qui étaient susceptibles
d’emplois pronominaux et d’emplois non-pronominaux. Mais il existe
une classe de verbes, dits intrinsèquement (ou essentiellement)
pronominaux, qui n’ont d’emploi que pronominal : s’arroger,
s’évanouir, se souvenir, etc.
À côté de ces verbes, il en existe d’autres, les verbes pronominaux
autonomes, qui disposent d’une forme pronominale et d’une forme non
pronominale, mais de sens distincts : douter/se douter, ennuyer/s’ennuyer,
appeler/s’appeler, imaginer/s’imaginer, etc. On est tenté d’y voir des
verbes distincts en raison de l’absence de régularité dans la relation entre
les deux formes.
Ces deux groupes de verbes correspondent à des classes sémantiques
particulières ; il s’agit surtout de verbes pour lesquels la transitivité n’a
pas grand sens puisque leur agent est en même temps le siège du procès :
pour des raisons physiques (s’évanouir) ou psychologiques
(s’ennuyer…).
Se associé à un verbe habituellement non-pronominal peut induire une
valeur aspectuelle imperfective, au présent et à l’imparfait. On connaît le
fameux « Madame se meurt » de Bossuet. Citons aussi Alphonse
Daudet : « Sa photographie se pâlissait dans les combles. » Quoi qu’il en
soit, on ne confondra pas les couples de verbes homonymes
(appeler/s’appeler…) et ces usages à finalité stylistique de Bossuet ou
Daudet, qui ne touchent pas à l’identité lexicale du verbe.

6. LES RÉFLÉCHIS BÉNÉFACTIFS


Dans la langue familière on trouve un emploi d’un réfléchi datif qui
permet de marquer l’intéressement du sujet au procès, dont il se donne
à la fois comme l’agent et le bénéficiaire :

On se prend un bain ?
Je me mange un petit morceau
Le point remarquable est que les verbes auxquels sont associés ces
réfléchis ne sont pas nécessairement des verbes qui appellent des
compléments en à + GN : « Paul se prend un bain »/« *Paul prend un
bain à lui-même ». Il y a donc une autonomie de ces clitiques par rapport

à la complémentation du verbe [ PRONOMS CLITIQUES. 4 – fiche 52].

7. SE PRONOM ?
Traditionnellement on considère se comme un pronom réfléchi, mais
sa valeur de réfléchi ne correspond qu’à une part très restreinte de ses
emplois, comme on a pu le voir. En outre, à la différence des pronoms
substituts habituels, il est invariable en genre et en nombre. Dans ces
conditions on peut hésiter entre deux hypothèses :

– le considérer quand même comme un pronom et faire des emplois


non réfléchis des « extensions » de sa valeur réfléchie ;
– renoncer à voir en lui un pronom et le considérer comme une sorte
d’opérateur très abstrait qui marque par exemple que le procès se
retourne vers le sujet ou qu’un complément d’objet a été supprimé.

Diachronie
Dans la langue classique, comme en ancien français, on pouvait éliminer le
clitique réfléchi devant un infinitif quand son sujet était phonétiquement non nul
(après faire, laisser, les verbes de perception) :

« Je sens refroidir ce bouillant mouvement » (Corneille).

Le caractère intrinsèquement pronominal d’un verbe est sujet à variation dans


l’histoire. Ainsi au XVIIe on avait par exemple s’accoucher, s’apparaître à qqn,
s’éclater, s’éclore, se feindre de, s’oublier de… En revanche, certains verbes non
pronominaux au XVIIe sont devenus pronominaux ; ainsi abîmer (= sombrer),
garder de, promener, relever (= se mettre debout).
Au XVIIe, siècle comme en français moderne, un certain nombre de verbes
oscillent entre forme pronominale et non-pronominale : par exemple abaisser ou
éteindre qu’on employait sous les deux formes.
54. Que

On demande souvent aux candidats d’étudier les emplois de que. Ce


morphème joue en effet un rôle essentiel pour la syntaxe du français. Il
constitue le support morphologique privilégié de la subordination.
Mais il ouvre également des phrases indépendantes non assertives.

1. QUE SUBORDONNANT
Que est l’outil de subordination universel en français. Situé dans le
complémenteur, il marque la frontière entre deux domaines phrastiques
sans avoir par lui-même de contenu sémantique :

Je pense qu’il a raison


*Je pense il a raison

Dans cet emploi il figure en tête des phrases à sujet exprimé et à temps
fini :

*Je crois que vient


*Je veux que venir

■ Dans les complétives sujets à verbe fini


Ces complétives doivent être précédées par un GN (« Le fait qu’il
parte me surprend ») ou seulement par que : « Qu’il parte me surprend. »
Dans ce dernier cas le verbe est au subjonctif.
Quand la complétive est objet indirect précédé des prépositions à, de,
en, sur, elle devient la locution conjonctive ce que :

Je tiens à * que/ce que tu viennes

■ Dans les circonstancielles


Que figure également dans les locutions conjonctives qui ouvrent
nombre de circonstancielles. « Pour qu’il ne vienne », par exemple,
s’analyse comme la combinaison d’une préposition, pour, et d’une phrase
qu’il ne vienne complément de la préposition.
Ce rôle de marqueur de subordination apparaît de manière exemplaire
dans les coordinations. Même des subordonnants comme quand, comme,
etc., peuvent être repris par que :

Quand tu viens et que tu…


Comme je venais et qu’il…

Comme s’il s’agissait de combinaisons Prép + Phrase :

Dès qu’il arriva et qu’il vit…

■ Dans les comparatives



Dans les subordinations comparatives [ COMPARAISON. 3 – fiche 14]
on trouve également que dans le complémenteur. C’est aussi le cas des
consécutives (« Il est si malin qu’il réussira »).

■ Emplois qui posent problème


La langue parlée emploie que pour des subordinations dont la valeur
sémantique varie en fonction de la phrase dans laquelle il s’insère :

(1) Il le ferait que ça ne servirait à rien (conditionnel)


(2) Où vas-tu que t’as l’air si pressé ? (causal)
(3) Sors, que je me repose un peu (final)
En (2), par exemple, pour qu’on interprète la subordonnée comme
causale, il faut que la première partie de la phrase soit une interrogation,
dont la phrase en que permet de justifier l’énonciation.

2. EN PROPOSITION INDÉPENDANTE
Il existe des emplois où que figure dans le complémenteur de phrases
non subordonnées. C’est le cas des énoncés exprimant une visée
(souhait, ordre) : « Qu’il parte ! », « Que je disparaisse ! » Ce type
d’énoncé qui implique l’emploi du subjonctif doit être rapproché des
infinitifs indépendants (« Partir ! »), qui eux aussi associent valeur non

assertive et absence d’embrayage temporel [ INFINITIF. 1 – fiche 35].
On peut rattacher à ce type de phrase certaines phrases des systèmes

hypothétiques [ HYPOTHÉTIQUES (SYSTÈMES -). 3 – fiche 30].

Qu’il vienne (et) nous serons ravis

Ici qu’il vienne suspend la valeur assertive pour construire une


situation fictive.
La présence de ce que dans le complémenteur d’une phrase non
subordonnée constitue un argument en faveur de l’existence d’une
position COMP dans toute phrase, subordonnée ou non, interrogative ou
non.
Les énoncés de ce genre embarrassent depuis longtemps les
grammairiens. On a souvent voulu ramener ce que à un subordonnant en
sous-entendant une principale : qu’il vienne = « Je veux qu’il vienne ».
Mais cette solution est ad hoc, c’est-à-dire qu’elle n’a pas d’autre
justification que de résoudre le problème pour lequel on l’a conçue.
Il existe néanmoins un point commun entre ces phrases indépendantes
en que et les subordonnées : ce n’est pas sur elles que porte le poids de
l’assertion de l’énonciateur ; dans l’indépendante, l’énoncé est donné
comme non asserté, dans le cas de la subordonnée c’est la principale qui
fait l’objet de l’assertion.
3. PRONOM
Que peut également jouer un rôle de pronom interrogatif ou relatif :

– comme pronom relatif lié à un antécédent, que est invariable en


genre et en nombre ; il marque la subordination et donne une
indication de fonction, en l’occurrence complément d’objet direct

[ RELATIVES. 2 – fiche 56 ; SUBORDONNÉES. 3 – fiche 58] ;
– comme pronom interrogatif, il constitue la variante de quoi en tête
de phrase : « Tu veux quoi ? »/« Que veux-tu ? ». Il est réservé aux
GN non animés objets directs. Sur cette alternance que/quoi [ ▶
INTERROGATIFS (MOTS -). 4 – fiche 36].

4. D’AUTRES EMPLOIS

■ Ne… que
On mentionnera ne… que, qui n’est ni subordonnant ni pronom mais
relève du système de la négation [ ▶ NÉGATION. 1 – fiche 40]. Il est
associé à ne (« Je n’ai vu que Paul ») et se place devant le constituant sur
lequel porte la négation restrictive :

Je ne veux faire partir que mes amis


Je ne veux que faire partir mes amis

Dans la langue soignée, il ne peut pas porter sur un constituant sujet,


mais la langue parlée l’accepte : « Que (= « seulement ») Paul et Marie
aiment le jazz. »

■ Adverbe de quantité
Comme adverbe de quantité placé dans le complémenteur, il marque
une grande quantité ou un haut degré et s’emploie dans les
exclamatives :
(1) Que d’ennuis j’ai eus !
(2) Qu’il est bête !/Qu’il marche lentement !

En (1) que détermine un nom ; en (2) il porte sur un adjectif et sur un


adverbe pour marquer le haut degré.

■ Dans les incises

Il faut venir, qu’il me dit, et très tôt

Cet usage est caractéristique de l’oral familier. Il permet d’éviter


l’inversion du sujet (me dit-il).

Diachronie
Au XVIIe siècle le subordonnant que était souvent préféré aux relatifs où/dont :

« Le jour que vous viendrez… »


« L’endroit que vous allez… »
« La façon que vous agissez… »

Cette simplification du système du relatif a été condamnée par les


grammairiens, si bien qu’aujourd’hui elle est réservée à la langue
familière.
Dans les interrogatives indirectes attributives, au lieu de l’actuel ce
que on rencontrait parfois le pronom que :

« Il demandé qu’est devenue la sévérité des jugements » (Guez de


Balzac).

Emploi condamné par Vaugelas et l’Académie.


À lui seul, que pouvait marquer diverses relations de disjonction : avant que, à
moins que, sans que, si ce n’est que…

« Sors vite que [= avant que] je ne t’assomme » (Molière).


« Ne saurait-il rien voir qu’[= sans que] il n’emprunte vos yeux ? »
(Racine).
On signalera quelques valeurs de que interrogatif qui aujourd’hui seraient
marquées par un GP incluant quoi : en quoi (« Que peut vous offenser sa
flamme… ? » (Corneille)) ; pourquoi (« Que ne me quittez-vous ? » (Racine)) ; à
quoi (« Que sert le mérite ? »).
55. Qui

Le morphème qui appartient à la fois au système des pronoms relatifs


et des pronoms interrogatifs. Ce n’est pas une coïncidence puisque ces
deux systèmes utilisent pour une bonne part le même matériel
morphologique. On attend des candidats qu’ils mettent en évidence les
similitudes et les différences entre ces deux types d’emplois.

1. QUI RELATIF
Le pronom relatif qui, invariable en genre et en nombre, est marqué en
cas puisqu’il est réservé à la fonction sujet. Ce n’est pas l’unique relatif
qui puisse être sujet (lequel peut aussi jouer ce rôle) mais c’est le seul qui
soit utilisable aussi bien pour les relatives restrictives que les relatives
non restrictives et qui soit utilisé dans tous les registres de langue.
S’il est sujet il ne connaît aucune contrainte sémantique ; en revanche,
s’il est inclus dans un GP, il ne peut en principe avoir pour antécédent
qu’un humain :

*Le rocher sur qui je suis assis…


Le rocher qui est tombé…

Mais cette contrainte n’est pas toujours respectée dans l’usage courant.
2. QUI INTERROGATIF
En tant que pronom interrogatif, qui invariable en genre et en nombre

est réservé aux animés humains [ INTERROGATIFS (MOTS –). 2 – fiche 36].

■ En interrogative directe
Il peut occuper deux positions : à l’intérieur de la phrase, celle qui
correspond à sa fonction, et dans le COMP :

Tu vois qui ?
Qui aimes-tu ?
Tu parles avec qui ?
Avec qui viens-tu ?

Il peut être sujet, objet, attribut ou être inclus dans un GP (« Sur qui as-
tu parié ? »). Dans ce dernier cas, il peut être extrait d’un GN, à certaines
conditions, mais non d’un GP :

Tu as vu la maison de qui ?
De qui as-tu vu la maison ( ) ?
*De qui parles-tu de la maison ( ) ?

Un principe général de la syntaxe veut en effet qu’on ne puisse pas


extraire un élément d’un élément de même nature (par exemple le GP de

qui d’un autre GP (de la maison de qui) [ RELATIVES. 2 – fiche 56].

■ En interrogative indirecte
Le pronom se trouve obligatoirement en tête de phrase :

Je cherche qui tu as pu voir


Paul se demande près de qui il va dîner

Avec qui, l’interrogation directe comme l’interrogation indirecte


partielles peuvent être à l’infinitif :
Qui questionner ?
Il me demande contre qui jouer

On aura noté que le pronom interrogatif monte en tête de phrase avec


la préposition dont il dépend : « Il se demande pour qui voter » et non « Il
se demande qui voter pour ». Dans ces interrogatives, le français ne laisse
pas la préposition « orpheline », c’est-à-dire sans le GN qui dépend
d’elle.
Quand l’interrogation indirecte porte sur un non-animé sujet, on doit
employer ce qui :

Je te demande *qui/ce qui est arrivé

Ce phénomène est du même ordre que le passage de que à ce que pour



les non-animés objet ou attribut [ INTERROGATION. 5 – fiche 37].

3. L’INTERPRÉTATION DE QUI
La mise en relation de ces deux emplois de qui révèle une
complémentarité sémantique intéressante :

– le qui relatif tire son interprétation de son antécédent ;


– le qui interrogatif n’a pas d’antécédent et reçoit donc une
interprétation non spécifiée. Plus exactement, quand on demande :
« Qui est venu ? » on pose le prédicat « -est venu » et l’on demande
à l’interlocuteur d’indiquer quel est l’élément d’un ensemble qui
satisfait ce prédicat. Il existe aussi une interprétation du type
« Existe-t-il quelqu’un qui… ? », par exemple si l’on énonce :
« Qui le sait ? ».

Or cette double possibilité (interprétation par


l’antécédent/interprétation indéterminée) n’est pas un phénomène isolé
dans la langue. On la retrouve avec le sujet des infinitifs [ ▶ INFINITIF. 3–
fiche 35].
On pourrait donc résumer ainsi les données :

– si qui est précédé d’un GN, c’est un relatif ;


– s’il n’est pas précédé d’un GN, c’est un interrogatif.

Malheureusement, deux phénomènes, de portée limitée toutefois,


viennent brouiller cette complémentarité.

■ Les relatives sans antécédent


Dans un exemple comme : « Qui sème le vent récolte la tempête », qui
est interprété comme un relatif mais n’a pas de GN antécédent. Cette
absence n’est pas étonnante car le GN en question n’est pas spécifié

(« (l’individu quel qu’il soit) qui sème le vent ») [ RELATIVES. 4 – fiche
56].

■ Les relatives à interprétation interrogative


Dans l’énoncé :

Je veux savoir la personne qui est venue

l’interprétation a beau être interrogative (= « Je veux savoir quelle


personne est venue »), le qui a un antécédent. En fait, c’est grâce au
verbe qu’on opère cette réanalyse interprétative (savoir ne peut appeler
un GN de ce type pour complément : « *Je sais la personne »).

Diachronie
Au XVIIe siècle, le relatif qui avec préposition pouvait référer à un non-humain (cf.
« Un mot pour qui il a de l’aversion »), mais cet usage fut condamné par Vaugelas
et l’Académie.
Devant est le pronom relatif qui pouvait s’employer, comme en ancien français,
sans ce : « Il se sauve, qui est honteux. » Mais cet usage était réservé aux
appositives ; on n’avait donc pas : « *Je fais qui me plaît. » De même, qui pouvait
valoir pour celui qui avec davantage de liberté qu’en français moderne. On
trouvait en effet des énoncés dans lesquels la principale possédait un sujet
distinct : « Qui donnerait ces fleurs, elles lui porteraient malheur. » La relation
entre les deux phrases pouvait même être très lâche :

« Qui sait parler aux rois, c’est peut-être où se


termine toute la prudence et toute la souplesse du
courtisan » (La Bruyère).

Ici qui est coréférentiel de courtisan. Mais ce dernier GN doit prendre une valeur
générique puisque qui sans antécédent ne peut référer à un individu spécifié.
56. Relatives

La phrase subordonnée relative se trouve le plus souvent dans la


position de complément d’une tête nominale. Ce qui la différencie
d’une complétive, c’est la présence d’un « pronom relatif » qui joue un
rôle dans la subordonnée tout en entretenant une relation avec son
antécédent, situé dans la principale. Mais l’existence de relatives
« sans antécédent » vient compliquer ce fonctionnement. D’un point de
vue morphologique, le système des relatifs français est assez complexe
et hétérogène, ce qui explique certains flottements dans l’usage.

1. LA RELATIVISATION
Ce qui caractérise la structure relative classique, c’est l’incomplétude
d’un élément de la subordonnée (le « pronom relatif ») placé dans le
complémenteur et qui reçoit ce qui lui manque d’un antécédent nominal
(« L’homme que j’ai vu était blond »), pronominal (celui qui), parfois
adjectival (« De paresseux qu’il était, il est devenu travailleur »). La
position COMP, on le sait, n’attribue pas de fonction ; pour s’en faire
assigner une, le pronom relatif varie morphologiquement (qui sujet, que
objet…) :

Le garçon que j’ai connu était différent


Dans l’exemple ci-dessus, c’est la variation morphologique de que qui
indique cette fonction ; avec un énoncé comme « La fille à qui j’écris
doit venir » c’est la préposition, à en l’occurrence, qui le fait. En français
(mais non en anglais, par exemple) c’est le GP en entier qui se trouve
dans le complémenteur et non le seul GN : « *La fille que j’écris à doit
venir ».
Dans la langue très soutenue on rencontre des relatives dont
l’antécédent est séparé du pronom :

L’homme est faible qui ne s’avoue pas mortel

Mais cette tolérance est très contrainte : il ne s’interpose aucun autre


GN entre l’antécédent et le relatif : « L’homme aperçut le chien qui
courrait » serait agrammatical si qui avait l’homme pour antécédent.

2. RESTRICTIVES ET APPOSITIVES

Dans le cas d’une relative restrictive ou déterminative [ ADJECTIF. 5
– fiche 1], le GN inclut deux constituants qui tous deux réfèrent de
manière incomplète. Pour l’énoncé : « Le chat que tu as recueilli est
malade » aussi bien le chat que la relative que tu as recueilli sont
incomplets ; ils ne peuvent désigner un référent que si on les associe.
L’article le annonce la relative, dont il est inséparable ; de son côté, la
relative a besoin d’un antécédent, en l’occurrence le nom qui la régit.
La relative appositive ou explicative, en revanche, ne fait pas partie
du GN, elle n’en est pas complément :

Léon, qui dormait encore, fut blessé

Ici le GN est complet, il réfère sans la relative ; le pronom relatif


constitue une sorte de pronom de rappel qui a la propriété d’avoir son
antécédent placé immédiatement à côté de lui.
D’ordinaire, la relative est à l’indicatif. Mais dans les relatives
restrictives on peut trouver le subjonctif. Dans deux cas essentiellement :

– quand l’antécédent contient un superlatif relatif ou des adjectifs tels


dernier, premier, seul… ;
– quand le verbe de la phrase qui contient l’antécédent exprime une

volonté, une recherche… [ SUBJONCTIF. 2 – fiche 57].

3. DIVERSITÉ DES RELATIFS


La morphologie du relatif français est hétérogène :

– une série qui/que/quoi invariable en genre et nombre mais pas en


cas. Qui est sujet, que objet. Après préposition, quoi s’oppose à qui
comme l’animé humain au neutre : l’homme à qui…, *l’animal à
quoi…, la chose sur quoi… Mais l’usage familier n’hésite pas à dire
« Le mur sur quoi je suis assis »… ou « Le livre contre qui je me
bats »… Quand la norme est respectée, le système apparaît
lacunaire puisqu’on ne peut pas dire : le chien/le livre à qui… ;
– deux éléments invariables, où et dont. L’élément où est toujours
circonstanciel, de temps ou de lieu. Quant à dont, il pronominalise
n’importe quel GP en de + GN complément du verbe ou d’un nom :

La ville dont je viens


Le livre dont tu parles
La femme dont je connais la fille

Son emploi est très mal maîtrisé par les francophones. Il est à la fois
plus contraint que la série en de + lequel (cf. « L’homme pour la vie
duquel on se sacrifie… »/« * L’homme pour la vie dont on se
sacrifie… ») et sur d’autres plans moins contraint :

La fille dont (*de laquelle) je sais qu’elle a été malade


Cette nouvelle dont (*de laquelle) certains déplorent qu’elle
ait transité par d’autres agences a été bien accueillie

Dans ce dernier type d’emploi, dont se paraphrase plutôt par « au sujet


de laquelle ». C’est la valeur circonstancielle qui l’emporte ;
– une série variable en genre et en nombre (lequel/laquelle…) qui peut
se combiner avec les prépositions (à laquelle, pour lequel…). Ce dernier
ensemble est de fabrication savante et tardive. Réservé à un usage
soutenu, il a l’avantage d’être précis et sans lacunes. Il n’est pas sensible
en effet aux blocages liés à l’opposition humain/non animé et, par sa
variation en genre et en nombre, permet de renforcer le lien entre le
relatif et son antécédent.
Il n’est néanmoins pas sans contraintes. Ainsi lorsqu’il est sujet ou
objet, ce qui n’est pas courant, il ne peut recevoir que l’interprétation
appositive :

Mes amis anglais, lesquels d’ailleurs sont en retard, sont


arrivés hier (appositif)
*Les hommes lesquels j’aime m’ont écrit (restrictif)

En revanche, précédé d’une préposition, il peut ouvrir des relatives


restrictives ou non restrictives :

Les livres auxquels il manque une page seront pilonnés


Ces peuples, contre lesquels on s’est acharné, n’ont jamais
trouvé de défenseur

Si le GP relativisé est inclus dans un autre GP, c’est le GP entier qui se


trouve dans le complémenteur :

J’ai vu l’auteur sur le livre duquel je travaille…


*J’ai vu l’auteur duquel je travaille sur le livre…

La langue ne permet pas en général d’extraire un groupe inclus dans


un groupe de même catégorie : c’est le groupe entier qui est concerné.
Par exemple : « J’en ai vu la fin »/« *J’en ai parlé de la fin » : comme on
a un GP (en) inclus dans un autre GP (de la fin), il faudrait
pronominaliser le GP le plus grand (« J’en ai parlé »).

4. LES RELATIVES SANS ANTÉCÉDENT


Il existe des relatives sans antécédent, dites aussi relatives
substantives. En effet, elles jouent le rôle d’un GN. Comme il n’y a pas
d’antécédent, c’est la relative qui permet de donner un contenu au
pronom relatif. Dans :

Qui sème le vent récolte la tempête

le pronom réfère à tout individu qui satisfait le prédicat de la relative


« – semer le vent ».

■ Si le pronom réfère à un humain


On utilise qui et parfois quiconque. Il peut occuper diverses fonctions :
sujet, objet indirect (« Parle à qui tu veux »), objet direct (« Je veux qui je
veux »). Comme tout GN, la relative substantive peut même être
disloquée (« Qui voit grand, la vie ne le ménage pas »).

■ Si le pronom réfère à un inanimé


Il prend la forme quoi. Il est précédé de à ou de :

Il possède de quoi vivre

La relative est souvent introduite par des tours tels il y a, voilà, c’est :

Il y a/voilà de quoi manger


C’est à quoi je m’occupe
Certaines relatives sans antécédent sont introduites par le relatif où,
complément du verbe ou circonstanciel :

Je pars où vous voulez


Il est placé où on ne s’y attend pas

Les relatives sans antécédent sont a priori passibles de deux analyses :

– la première rétablit un antécédent phonétiquement nul mais qui


serait syntaxiquement présent ; la non-explicitation de cet
antécédent s’expliquerait par le fait qu’il n’a pas à être mentionné
puisqu’il est non spécifié ;
– la seconde considère qu’il n’y a pas d’antécédent du tout ; dans ce
cas, il faut renoncer à y voir une vraie relative.

5. UNE DOUBLE RELATIVISATION


Le système du relatif est assez complexe, et donc mal maîtrisé par la
plupart des francophones, en particulier pour les fonctions non directes,
c’est-à-dire autres que celles de sujet ou d’objet (qui/que). L’usage
familier a tendance à recourir à des stratégies plus simples, mais rejetées
par la norme. Par exemple :

(1) La fille que j’en suis fou est revenue


(2) La fille que je suis fou d’elle est là
(3) La fille que je suis venu avec m’a laissé
(4) La fille que je te parle est partie hier

Alors que dans la relativisation correcte le pronom relatif indique la


fonction du terme et sert en même temps de subordonnant, dans cette
relativisation « populaire », les deux choses sont séparées (phénomène de
« décumul ») : le que invariable marque la subordination et un « pronom
de rappel » (cas des exemples (1) et (2)) ou la préposition devant un GN
vide (cas de l’exemple (3)) indiquent la fonction. Sont ainsi évités dont et
la relativisation des GP par la série en lequel. L’exemple (4) illustre la
stratégie la plus courante de simplification : la réduction d’un
complément indirect à un relatif direct.

Diachronie
Le relatif lequel s’est développé en moyen français. Au XVIIe, il est plus souvent
qu’aujourd’hui sujet ou objet, à la place de qui/que (« L’homme, lequel est/lequel
j’ai connu… »), mais son emploi est déconseillé par les puristes, sauf s’il permet
de lever une ambiguïté en ce qui concerne l’identité de l’antécédent. De même, on
usait volontiers de duquel, en lieu et place de l’actuel dont. Inversement, là où
aujourd’hui, pour les êtres ou animés, on utilise plutôt (Préposition + lequel) les
auteurs du XVIIe préféraient (Préposition + quoi) : « la lumière sans quoi… ».
Entre la relativisation et la détermination du nom on recourait souvent, grâce à
lequel, à une structure intermédiaire :

« Il demeura un an avec son beau-père, au bout duquel temps il… »

Nous sommes ici entre la parataxe (« … beau-père. Au bout de ce temps… ») et la


subordination (« … un an, au bout duquel il… »). Parallèlement à l’emploi de qui
à la place de ce qui [ ▶ QUI – fiche 55], on trouve un emploi de que en incise
avec anaphore de la phrase précédente : « Il est fou, que je crois » (cf. le français
familier actuel : « Il vient, que je lui dis »). Comme pour qui, il s’agit de relatives
apposées. Dans le même registre on rencontre dont ; ainsi chez La Bruyère :

« Madame la Duchesse a remis la partie à dimanche prochain, dont j’ai


eu une grande joie. »

Des constructions aujourd’hui jugées incorrectes mais très vivantes dans le


français familier étaient usuelles à cette époque, en particulier celles où que est
employé au lieu de où, dont ou des GP en lequel : « Au moment que je parle »,
« Le prix qu’on la vend », « Les moyens qu’elles ont été acquises… » À l’inverse,
on pouvait user de où et de la combinaison (Préposition + qui) là où maintenant
on emploie que avec c’est :

C’est à la cour où l’on…


C’est vous à qui je parle

La présence de c’est en tête de phrase permet également d’employer dont sans


antécédent : « C’est dont je réponds. »
Le relatif où pouvait alors avoir des humains pour antécédent : « Cet homme où il
n’y a pas de vertu… ». On l’utilisait également pour les combinaisons
(à + pronom relatif), sans faire nettement la distinction entre valeur locative et
complément indirect du verbe : « Les choses où elle s’abandonne. » Plus
largement, où pouvait tenir lieu de GP du type (Préposition + quoi) quand la
préposition était peu spécifiée :

« J’aimerais bien mieux […] à lire le Tasse, où je suis d’une


habileté… » (Mme de Sévigné).
57. Subjonctif

Le subjonctif est un des points les plus controversés de la grammaire


française, car il n’est pas facile d’analyser les facteurs qui
déclenchent son apparition. Une chose est sûre : il tire sa valeur de
son opposition à l’indicatif. En français contemporain, il ne se
comporte pas comme une forme libre : sa présence est étroitement liée
à celle de que.

1. INDICATIF, INFINITIF ET SUBJONCTIF


Le subjonctif se situe du point de vue de ses marques d’embrayage [▶
EMBRAYEURS – fiche 23] entre l’indicatif et l’infinitif : il possède des
marques de personne (comme l’indicatif) mais pas de marques de temps
(comme l’infinitif). Il oppose, certes, une forme simple à une forme
composée (vienne/soit venu), mais il ne connaît pas de véritable
inscription temporelle, même si la grammaire traditionnelle appelle
« subjonctif passé » sa forme composée. Les « subjonctifs imparfait »
(mangeasse) et « plus-que-parfait » (eusse mangé) ne sont plus que des
survivances réservées à un registre de langue très soutenu et sont
employés essentiellement à la 3e personne du singulier.
Dans la mesure où 90 % des verbes sont du premier groupe, il est
souvent difficile de percevoir la marque du subjonctif : « Je mange » est
indicatif ou subjonctif.
2. LES EMPLOIS DU SUBJONCTIF
■ En phrase indépendante ou principale
L’emploi du subjonctif est lié à la présence de que, si l’on excepte
quelques tours archaïques (Aux dieux ne plaise, Fasse le ciel que,
Advienne que pourra…). Associé à que, le subjonctif entre dans des
énoncés non assertifs, qui peuvent exprimer en particulier :

– un ordre (« Qu’il sorte ! ») ;


– un souhait (« Que ma quille éclate ! ») ;
– une supposition rejetée (« Que je fasse une si pauvre
chère ! »).

On notera que l’infinitif possède les mêmes emplois [ ▶ INFINITIF –


fiche 35].

■ En subordonnée
Si l’on excepte le cas de la complétive sujet (« Qu’il soit à l’heure
serait étonnant »), l’apparition du subjonctif est en général déclenchée
par sa dépendance à l’égard d’un autre élément de la phrase :

– un nom, un verbe ou un adjectif :

L’idée (qu’il parte) m’étonne


Je souhaite (qu’il parte)
Jean est heureux (qu’il parte demain)

Pour les complétives objet, la présence du subjonctif ne dépend pas


seulement de la nature du verbe recteur, elle peut être déclenchée par un
morphème de négation dans la principale :

Je crois qu’il vient/*vienne


Je ne crois pas qu’il vienne
– une conjonction de subordination circonstancielle (surtout celles de
but et de concession, mais également avant et après que (en dépit
de l’avis des puristes) :

(Bien qu’il soit là), je reste


Je reste (pour qu’il s’en aille)
Il pleure (avant qu’on l’ait touché)

– une relative dépendant d’un GN indéfini dominé par un verbe de


volonté :

Je désire, rêve de, souhaite… un livre (qui soit utile)

La relative peut aussi avoir pour antécédent un nom associé à premier,


seul, dernier… ou à un superlatif :

C’est le seul homme (qui soit honnête)


J’ai acheté le plus beau livre (qui ait été publié)

3. POURQUOI LE SUBJONCTIF
La relation étroite entre la présence de que et l’emploi du subjonctif
semble s’expliquer par le fait que le morphème que suspend la valeur de
vérité de la phrase où il figure. En effet, en phrase indépendante, l’énoncé
au subjonctif a une valeur clairement non assertive (« Qu’il sorte ! ») et
quand il y a subordination, l’assertion porte sur la principale, non sur la
subordonnée.
Le subjonctif nourrit des débats récurrents parce que son apparition ne
peut s’expliquer à l’aide de principes évidents. On parle souvent dans les
grammaires scolaires de mode du « virtuel » ou encore de mode de ce qui
n’est pas posé comme vrai, mais cette application est insuffisante :
regretter ou bien que déclenchent le subjonctif alors qu’ils expriment des
faits posés comme vrais ; de même, on voit mal pourquoi « Il est
possible » déclenche le subjonctif et « Il est probable » l’indicatif, etc.
Aujourd’hui, certains linguistes font appel à la logique modale
(notions de « monde possible » et d’« univers de croyance » en
particulier) pour analyser les emplois du subjonctif. Par exemple, le
subjonctif de « Bien qu’il soit guéri, il ne peut pas travailler » serait lié au
fait qu’en dépit de la vérité de la proposition exprimée par la concessive,
il y a un écart entre ce qu’on attendrait normalement, que l’on pensait
vrai (« La guérison implique le travail ») et la fausseté de la principale.
Autre exemple : le subjonctif dans les relatives du type « Connais-tu
une femme qui sache jouer du clavecin ? » serait lié au fait que l’on
parcourt mentalement tous les possibles pour en extraire un élément
répondant au prédicat « jouer du clavecin ».
Quoi qu’il en soit, comme beaucoup de phénomènes sémantiques, et
surtout modaux, l’explication de tels phénomènes fait appel à des
principes beaucoup plus abstraits que ceux que l’on manie communément
dans les grammaires scolaires. D’autant plus que dans ce domaine, il
existe dans l’usage de larges zones de variation, liées à des nuances
sémantiques subtiles : on utilise aussi bien « Je ne crois pas qu’il
vient/vienne », ou « Le fait qu’il vient/vienne », etc.

Diachronie
On trouve encore au XVIIe quelques emplois du subjonctif non associés à que,
comme en ancien français :

« Son sang soit sur nous et sur nos enfants ! » (Bossuet), « Je sois
exterminé si je ne tiens parole ! » (Molière).

Certains verbes qui exigent actuellement le subjonctif dans les complétives objets
toléraient parfois l’indicatif : « La providence de Dieu permit que le roi alla porter
la guerre… » (Fléchier). La fréquence des sujets comme « le Ciel », « la
providence », « le malheur » dans ce type d’emploi n’est certainement pas
aléatoire : avec de tels sujets, il n’y a pas la moindre incertitude, il ne s’agit pas
d’une véritable permission.
De même, avec avoir peur, craindre, on rencontrait souvent l’indicatif si le verbe
exprimait davantage une opinion (= « Je crois que ») qu’une crainte ; mais la
norme exigeait déjà le subjonctif. Avec les verbes affectifs (regretter, admirer, être
fâché que, être dommage que…), l’indicatif était également fréquent, comme
après il se peut que, il peut se faire que, ce n’est pas que…
À l’inverse, des verbes qui aujourd’hui appellent l’indicatif pouvaient être suivis
du subjonctif même s’ils n’étaient pas niés : croire, présumer, penser (« Vous
croyez qu’un amant vienne vous insulter » (Racine)). Mais dans ce cas le verbe
exprime une fausse supposition de la part du sujet : « croire à tort »,
« s’imaginer »… Vaugelas condamnait cet usage mais Thomas Corneille
l’acceptait à la 2e ou 3e personne. On comprend pourquoi : un énoncé comme (je
crois + subjonctif) serait paradoxal.
58. Subordonnées

On demande souvent aux candidats d’étudier les phrases ou


propositions subordonnées. Dans les phrases complexes on oppose
les subordonnées aux phrases juxtaposées ou coordonnées. À côté des
subordonnées canoniques, qui jouent le rôle de GN, de GA ou de GP
circonstanciel, il en existe qui posent des problèmes spécifiques. La
subordination amène en outre à retrouver le problème de l’infinitif et
du participe.

1. SUBORDINATION, COORDINATION, JUXTAPOSITION


■ La subordination
Elle est définie comme une relation d’inclusion (ou d’enchâssement)
d’une phrase dans une autre (dite principale ou matrice), la subordonnée
jouant ainsi le rôle d’un constituant de la phrase qui l’inclut. Cela exclut
des subordonnées les incises (« Paul, dit-il, est malade ») et les incidentes
(« Il est – je l’avoue – très subtil ») qui, certes, sont placées à l’intérieur
d’une autre phrase mais qui en sont détachées, qui ne jouent pas le rôle
d’un constituant de cette phrase.
Pour former une phase complexe, constituée de plusieurs phrases, on
peut aussi recourir à la juxtaposition ou à la coordination.
On parle de juxtaposition quand la phrase complexe est formée de
diverses phrases sans que celles-ci soient liées par un mot de relation.
On parle de coordination quand les phrases constituant la phrase
complexe sont liées par des mots de relation, mais qu’il n’y a pas
subordination.

Je sais qu’il fait beau (subordination)


Il fait beau, les oiseaux chantent (juxtaposition)
Il fait beau mais le temps est instable (coordination)

On oppose la relation parataxique (juxtaposition et coordination) à la


relation hypotaxique (subordination), qui repose sur l’enchâssement
d’un constituant dans un autre.

■ Les propositions
La grammaire traditionnelle appelle propositions les phrases qui sont
les constituants des phrases complexes, distinguant proposition
principale, celle dont dépend une autre, et proposition subordonnée.
Cette double distinction n’a qu’un intérêt limité mais elle est encore
largement utilisée. L’essentiel est de ne pas se méprendre sur la relation
entre principale et subordonnée. Par exemple, dans la phrase :

Je vois (que tu es en retard)

la subordonnée est une complétive en position d’objet direct.


Puisqu’une subordonnée est une phrase incluse dans une autre, la
principale n’est pas je vois mais je vois ( ) où les parenthèses marquent la
place du complément d’objet direct. En d’autres termes, la principale
contient sa subordonnée et il n’y a qu’une seule phrase, et non deux.
Subordonnée et principale ne sont que des rôles syntaxiques : une
phrase subordonnée à une première est souvent principale pour une autre.
C’est le cas dans la phrase suivante :

Je crois (que tu sais (que Paul est venu))

que tu sais ( ) est subordonnée par rapport à je crois ( ) et principale


par rapport à que Paul est venu.
2. LES TYPES DE SUBORDONNÉES
On classe traditionnellement les subordonnées selon la catégorie dont
elles jouent le rôle : phrases-GN, phrases-GA, phrases-GP circonstanciel.
Mais cette correspondance entre phrases et constituants de la phrase n’est
pas parfaite (cf. infra 3).
En outre, quand il s’agit de repérer les subordonnées se pose
inévitablement la question de la nature des participes et des infinitifs sans
sujet exprimé. Si l’on admet que ce sont des phrases à sujet
phonétiquement nul, on accroît le nombre de subordonnées.
En combinant cette tripartition (GN, GA, GP) et en tenant compte de
la tripartition des subordonnées selon qu’elles ont ou non un sujet
exprimé et un verbe à temps fini, on peut identifier plusieurs catégories.

■ Les phrases-GN

– À temps fini : complétive (« Je sais qu’il pleut »), relatives


substantives (« Qui a bu boira »).
– À sujet exprimé et temps non fini : infinitive (Je vois Paul venir »).
– À sujet non exprimé et temps non fini : infinitif (« Je désire voir
Paul »).

■ Les phrases-GA

– À temps fini : relatives (« L’homme qui est venu est blond »).
– À sujet exprimé et temps non fini : (Æ)
– À sujet non exprimé et temps non fini : participe présent (« Les
chats miaulant trop fort ont été punis »).

■ Les phrases-GP circonstancielles

– À temps fini : subordonnées circonstancielles (« Il est venu parce


qu’il est malade »).
– À sujet exprimé et temps non fini : participiale (« Paul venant, j’ai
préféré renoncer »).
– À sujet non exprimé et temps non fini : gérondif (« Il est parti en
chantant »), prép. + infinitif (« Après avoir dormi, il se sentit
mieux »).

On le voit, la majorité des subordonnées sont introduites par un


subordonnant, un terme qui marque la subordination. Le plus utilisé est
que ; le pronom relatif cumule marquage de la subordination et de la
fonction dans la phrase. Si l’on admet que les infinitives ou les
participiales sont des subordonnées, avec elles la dépendance est
néanmoins marquée par le fait que le verbe de la subordonnée est à un
temps non fini.

3. PROBLÈMES POSÉS PAR CETTE CLASSIFICATION


Cette classification commode a néanmoins ses limites :

– les subordonnées n’occupent pas toutes les fonctions des catégories


correspondantes : les relatives ne peuvent pas être attributs, tous les
verbes transitifs ne régissent pas des complétives (« *Paul pousse
que »…) ;
– les relatives sont le plus souvent des phrases-GA mais parfois des
phrases-GN (« relatives substantives ») ;
– certaines phrases subordonnées entrent mal dans ce cadre.

Ainsi :

– un grand nombre de comparatives et de consécutives jouent un rôle



de spécifieur du nom, de l’adjectif ou de l’adverbe [ COMPARAISON
– fiche 14] :

Il est si doué qu’il ne peut échouer


Il a moins de livres que Marie n’a de disques

– d’autres consécutives relèvent plutôt de la coordination. Comparons


la subordonnée de (1) avec (2) :

(1) Il agit en sorte que Marie vienne ici


(2) Il a mal agi, si bien que Marie ne vient pas

En (2) il n’y a pas subordination mais deux phrases distinctes qui sont
liées par un connecteur ;

– certaines phrases complexes à structure corrélative ne relèvent pas


exactement de la subordination car il n’y a pas inclusion de l’une
dans l’autre :

Plus on est de fous, plus on rit


Tel il est venu, tel il repartira

– une hypothétique n’est pas véritablement le constituant d’une


principale, elle entretient plutôt une relation d’implication avec

cette dernière [ HYPOTHÉTIQUES (SYSTÈMES -) – fiche 30].
59. Sujet

Les constituants en position de sujet jouent un rôle essentiel puisque,


associés à un GV, ils forment le noyau de la phrase. Malheureusement,
la notion de sujet est loin d’être univoque car on oscille constamment
entre une définition par le sens et une définition par la syntaxe. Or ces
deux définitions ne convergent pas nécessairement. En outre, on est
obligé de se demander si certains GN ont un sujet.

1. UNE FONCTION PRIVILÉGIÉE


La fonction sujet est réservée aux constituants de type nominal, elle
possède une prééminence sur les autres fonctions du GN. Il s’agit en
effet de la position la plus élevée dans la hiérarchie de la phrase, à gauche
du GV, directement dominée par le nœud « Phrase », alors qu’un GN
objet, par exemple, est dominé par le nœud « GV » :
Il s’agit en outre d’une fonction obligatoire : par définition, toute
phrase a un sujet. Ce statut privilégié se traduit en particulier par le
phénomène d’accord avec le verbe.
Bien que la position sujet soit normalement une position de GN, elle
peut être également occupée par un infinitif ou une phrase à temps fini,
complétive ou relative substantive [ ▶ COMPLÉTIVE. 3 – fiche 15 ;
RELATIVE. 4 – fiche 56].

Le sujet est le seul constituant de la phrase qui puisse être encadré par
c’est… qui, à condition qu’il ne soit pas impersonnel :

L’ami de Luc a poussé Jean/C’est l’ami de Luc qui a poussé


Jean
Il paraît que Jean est ici/* C’est il qui paraît que Jean est ici

2. SUJET « RÉEL » ET SUJET « APPARENT »


Cette définition syntaxique du sujet par sa position élevée et l’accord
avec le verbe peut entrer en conflit avec une autre, d’ordre sémantique.
Chaque verbe, ou plutôt chaque GV, sélectionne en effet un sujet qui
convienne à son sens : prendre le train appelle un agent humain, pleurer
un être doué d’affectivité, etc. Or il arrive souvent que ce sujet
sémantique ne coïncide pas avec le sujet syntaxique.
La grammaire traditionnelle a recouru à la distinction entre « sujet
réel » et « sujet apparent » pour résoudre le problème posé par la
distorsion entre une définition sémantique et une définition positionnelle
du sujet. Par exemple dans une construction extraposée (1) ou une
passive impersonnelle (2) :

(1) Il vient un homme


(2) Il a été trouvé un corps dans l’eau

D’un point de vue positionnel, dans ces exemples le sujet est il, avec
lequel s’accorde le verbe ; mais pour le sens c’est le GN à droite du verbe
qui apparaît comme le sujet.
On se gardera de confondre le problème posé par les constructions
impersonnelles avec celui que posent les verbes intrinsèquement

impersonnels [ IMPERSONNELLES (CONSTRUCTIONS -). 1 – fiche 33]. Dans :

Il faut un livre
Il semble que tu sois en retard

le GN ou la complétive qui suivent le verbe ne sont pas des sujets,


comme le montre l’agrammaticalité de « *Un livre faut » ou « *Que tu
sois en retard semble ».
Dans les constructions passives non impersonnelles, le GN sujet joue
deux rôles sémantiques. Ainsi dans « L’avion a été repéré par le radar »,
le GN l’avion est à la fois sujet syntaxique support de la propriété a été
repéré et l’objet de repéré. Pour l’inversion du sujet [ ▶ INVERSION DU
SUJET – fiche 39].

3. L’INTERPRÉTATION DE LA POSITION SUJET


Si l’on fait abstraction des constructions avec il impersonnel, on peut
se demander si la position sujet en tant que telle n’attribue pas une
interprétation aux éléments qui l’occupent. C’est un peu ce que laissait
entendre la grammaire scolaire traditionnelle quand elle disait que le
sujet désigne l’être qui fait ou subit une action ou qui se voit attribuer un
état.
Il est indéniable que bien souvent le sujet désigne l’agent d’un procès
(« Paul cherche ses lunettes ») ou le support d’une propriété (« Paul est
malade »), mais c’est loin d’être toujours le cas. Le sujet peut fort bien
désigner le bénéficiaire d’un procès (« Paul a reçu un prix »), ou celui qui
fait l’expérience d’un sentiment (« Paul aime Lucette »), etc.
En fait, l’interprétation du sujet ne se fait pas sur la seule base du verbe
mais par rapport à l’ensemble de l’énoncé. Le verbe courir par exemple,
est un verbe d’action, mais dans l’énoncé :

Paul court depuis des années

au sens de : « Cela fait des années que Paul est coureur automobile »,
Paul est davantage le support d’une propriété que l’agent d’une action.

4. SUJET ET THÈME
La notion syntaxique de sujet interfère constamment avec la distinction
entre thème (ou topique) et propos (ou commentaire), qui relève d’une
perspective communicationnelle.

■ Thème en position initiale


Le plus souvent, dans une phrase considérée isolément, le sujet, de par
sa position initiale, joue le rôle de thème. Il faut une opération syntaxique
spécifique pour qu’il n’en soit pas ainsi. C’est le cas avec la passivation,
où la montée de l’objet a, entre autres choses, pour effet de le convertir
en thème de la phrase :

Paul (thème) aime Lucette/Lucette (thème) est aimée de Paul


Mais il existe d’autres constructions qui permettent de modifier
l’organisation thématique :

Le détective (thème) a arrêté Paul


Paul (thème) s’est fait arrêter par le détective

■ Des opérations spécifiques


Certaines opérations syntaxiques ont pour effet majeur de désigner un
constituant comme le thème. En particulier :

– la dislocation :

Paul a vu Marie/Marie, Paul l’a vue

– la focalisation à l’aide de c’est… qui/que :

Paul a vu Marie/C’est Marie que Paul a vu

– à l’oral, l’insistance sur tel ou tel constituant :

Marie a vu Paul

[ EMPHASE/MISE EN RELIEF – fiche 24]

5. LE SUJET DES GN

Du fait de l’existence de noms déverbaux [ NOMS (COMPLÉMENTS DU
-) 2 – fiche 41] en correspondance systématique avec des phrases (« La
venue de Jules/Jules vient »), se pose la question de savoir s’il y a des
sujets dans les GN : dans la venue de Jules le GN Jules est-il le sujet de
venue ? Le parallélisme entre phrase et GN est encore plus évident si l’on
fait intervenir des déterminants possessifs, qui sont en fait la projection

de pronoms personnels [ POSSESSIFS. 2 -fiche 48 ; PASSIF. 4 – fiche 46] :

(1) Son interprétation du texte


(1’) Il interprète le texte
(2) Sa blondeur
(2’) Il est blond

Si l’on décide que la notion de « sujet », comme celle de « passif »,


doit être strictement réservée au domaine de la phrase, il n’y a dans ce
cas qu’une simple analogie entre GN déverbaux et phrases.
60. Tout

On demande fréquemment aux candidats d’étudier les occurrences de


tout dans un texte. On veut par là leur faire mettre en évidence la
remarquable plasticité syntaxique d’une unité qui, tout en conservant
un noyau de sens stable, entre dans des environnements très variés.
Par ailleurs, les problèmes posés par l’accord de tout sont source de
difficultés orthographiques.

1. TOUT INTENSIF DE L’ADJECTIF


■ Tout spécifieur de l’adjectif
Tout placé en position de spécifieur de l’adjectif indique que la
propriété concernée affecte intensément et/ou en totalité l’être qui en est
le support :

Henri est tout pâle/agité

Curieusement, alors qu’il a ici un statut d’adverbe, il varie en genre.


En fait, puisque devant un terme masculin commençant par une voyelle
tout se prononce comme au féminin (tout idiot = tutidjo) on pourrait dire
que c’est la « forme longue » (tut) qui est généralement utilisée sauf au
masculin devant consonne, où l’on recourt à la « forme brève » (tu). S’il
y avait une marque de pluriel, si une liaison en -z- se faisait, toutes
s’interpréterait comme un pronom pluriel et non plus comme un adverbe
intensif. On notera que l’orthographe ne reflète pas le fonctionnement
syntaxique : à l’écrit le masculin pluriel n’est pas touts, pourtant
symétrique de toutes.
Tout peut spécifier certains GN ou GP s’ils ont un statut adjectival :
Il est tout en pleurs Il a l’air tout sucre

■ Tout spécifieur d’adverbes


Tout peut aussi être un intensif invariable d’adverbes dérivés
d’adjectifs (tout doucement, tout naturellement, tout récemment…).
Mais ce n’est pas régulier : *tout violemment, *tout longuement… Dans
le même ordre d’idées, on signalera l’emploi de tout comme intensif de
certaines prépositions (tout contre, tout près, tout pendant que…) ou de
marqueurs de comparaison (tout comme, tout aussi…).

■ Tout concessif
Quand l’élément sur lequel il porte est attribut, tout placé en tête de la
phrase permet de construire des tours concessifs :

Tout malin qu’il est/soit, il a échoué


Tout roi qu’il est/soit, il a ses faiblesses

Le nom est ici dépourvu d’article parce que, précisément, on ne réfère


pas à un individu qui serait roi mais à un ensemble de propriétés
attachées à la royauté. L’interprétation concessive attachée à tout peut
s’expliquer : dans la concession, l’énonciateur envisage mentalement le
cas extrême, le possible au bout de tous les possibles, pour affirmer que
même dans ce cas, celui où l’individu est roi ou malin, ce qui est dit est
valide.

2. TOUT DÉTERMINANT DU NOM


En tant que déterminant du nom, variable en genre et nombre, tout
s’emploie de deux manières.

■ Devant un, mon, le, ce


Tout le pays, tout un désert… Au singulier le signifié de tout exclut
qu’une partie puisse faire exception, dans les substantifs comptables
(toute la ville) ou non comptables (tout le vin) ; il est même compatible
avec les noms propres (tout Lyon). Au pluriel il désigne l’intégralité des
éléments d’un ensemble, sans exception (tous les livres de Paul).

■ Immédiatement devant le nom


Il varie surtout en genre et n’est associable qu’avec des noms
comptables (toute femme, tout tableau) ou interprétés comme tels (tout
vin désignerait les divers types de vin). Au pluriel, son usage est très
contraint (à toutes fins utiles, toutes voiles dehors…). Au singulier, il
indique que l’on passe en revue de manière exhaustive les éléments de
l’ensemble. En cela il est sémantiquement proche de chaque ; il s’en
distingue cependant par son aptitude à signifier « toute espèce de ». En
effet, chaque énumère les éléments d’un ensemble qui existe, alors que
tout implique un ensemble virtuel. Dans :

Avec ça nous abattrons tout ennemi qui se présentera

tout peut référer à n’importe quel ennemi, que celui-ci existe ou non.
Comme déterminant de certains noms abstraits dérivés d’adjectifs,
tout peut s’interpréter comme un adverbe spécifiant un adjectif : parler
en toute liberté (= « parler de façon entièrement libre »), un livre de toute
beauté (= « un livre extrêmement beau »), etc. Ces combinaisons de tout
et de noms sont extrêmement irrégulières et partiellement lexicalisées :
on dit à toute vitesse mais pas *à toute lenteur ou *à toute rapidité.

3. PRONOM INDÉFINI
Employé seul au singulier, tout dans une position de GN réfère à un
être envisagé comme une totalité dans un certain contexte :

Tout (dans ce texte, dans cette maison, etc.) est affreux

Au pluriel il peut :

– être postposé à nous/vous/eux/elles. Dans cet emploi tous entre dans


un paradigme où figurent même(s), autre(s), seul(s), deux, trois… ;
– occuper une position de GN sujet (« Tous viennent ») pour désigner
un ensemble d’individus contextuellement défini dans son
intégralité ;
– occuper des « positions » qui n’attribuent pas de fonction, s’il est
associé à un antécédent pronominal :

(1) Mes frères sont tous venus


(2) Je leur ai tous donné un cadeau
(3) *J’ai tous vu mes amis
(4) Je les aime tous
(5) Ils ont voulu tous revoir ma tante
(6) Ils ont voulu revoir ma tante tous

On dit qu’ici tous « flotte », qu’il constitue un « quantifieur flottant »,


placé en quelque sorte en surplus de la structure fonctionnelle de la
phrase. Ce « flottement » se retrouve avec chacun : « Mes amis ont un
vélo chacun »/« Mes amis ont chacun un vélo ».
Comme le montrent ces exemples, tous ne flotte que si son antécédent
est hors du GV ; soit parce qu’il est en position de sujet (cf. l’exemple
(1)), soit parce qu’il s’agit d’un pronom, c’est-à-dire d’un élément qui
appelle lui aussi un antécédent. L’agrammaticalité de l’exemple (3)
illustre cette contrainte : l’antécédent (mes amis) n’est pas un pronom et
se trouve dans le GV où figure tous.
4. AUTRES EMPLOIS
Tout peut être un nom (former un tout, le tout est de rester calme,
accepter le tout…).
Il peut également spécifier facultativement le gérondif [ ▶- ANT (FORMES
EN -) – fiche 42] :

(Tout) en marchant, ils devisaient

Diachronie
Au XVIIe, les grammairiens ont essayé de distinguer clairement tout adverbe
invariable et tout déterminant ou pronom, qui est variable. Mais ils ont échoué en
raison de la combinaison de tout et d’un adjectif (« toute belle ») dans laquelle
l’adverbe est variable en genre. Aujourd’hui tout associé à un adjectif est
orthographiquement invariable devant voyelle (« tout émue ») mais au XVIIe
l’usage n’était pas fixé : on trouvait aussi bien « tous entiers », « tous grossiers »
ou « toutes entières ». Vaugelas refusait l’accord au masculin pluriel mais
demandait qu’il soit fait devant un adjectif féminin commençant par une voyelle :
« toutes étonnées » (sauf devant autres : « tous autres »). En 1704, l’Académie a
défini l’usage actuel : « tout étonnées », « toute belle », « toutes sales ». Mais
cette règle longtemps n’a pas été respectée.
En tant que déterminant du nom, tout s’employait plus facilement qu’aujourd’hui
sans article au pluriel : en tous hommes… Pour avoir un tour concessif, il n’était
pas nécessaire de combiner tout + adjectif/nom avec une phrase en que :

« Tout [= bien que] dédaigné, je l’aime » (Corneille).

La locution du tout au début du XVIIe s’employait dans des énoncés non négatifs
avec le sens de « tout à fait ». Quant à la locution tout un, elle signifiait « tout à
fait la même chose », « indifférent » :

« Ce m’est tout un d’expirer » (Malherbe).


61. Types et formes de phrase

Les phrases ne sont pas seulement des organisations syntaxiques ;


elles sont aussi mises en relation de deux partenaires à travers
l’activité énonciative ; en outre, l’énonciateur y marque son attitude à
l’égard de son propre énoncé. À l’articulation entre syntaxe et
énonciation, on doit donc faire une place à la problématique des types
de phrase (ou modalités de phrases), qu’on ne confondra pas avec
celle des formes de phrase, qui est complémentaire mais opère à un
autre niveau.

1. LES TYPES DE PHRASE


Si l’on entend par « phrase » toute séquence verbale douée de sens et
syntaxiquement complète, on est amené à distinguer entre phrase verbale
et phrase non verbale, selon que la phrase s’organise ou non autour d’un
verbe :

Paul aime Marie ! Que Zoé est belle ! (phrases verbales)


Quel homme ! Pas marrante, cette histoire. Imbécile ! En
avant ! Ah ! etc. (phrases non verbales)

Les phrases verbales présentent des structures très variées mais on les
ramène traditionnellement à quelques grands types, qui correspondent à
des actes de langage fondamentaux et sont identifiables par une
intonation spécifique : le type déclaratif (ou assertif), le type
interrogatif, le type impératif (ou injonctif). Dès qu’il énonce une
phrase, le locuteur est obligé choisir entre ces trois types :

– le type déclaratif permet d’affirmer quelque chose de vrai ou de


faux sur le monde ; c’est le type non marqué, celui par rapport
auquel se définissent les deux autres. Il correspond le plus souvent à
l’ordre GN-GV et son intonation canonique est montante puis
descendante. Il domine largement à l’écrit ;
– le type interrogatif permet de questionner quelqu’un, qui est ainsi
placé dans l’alternative répondre/ne pas répondre. Son intonation
est en général montante. Mais toute structure interrogative n’est pas

une question [ INTERROGATION – fiche 37] ;
– le type impératif est lié à l’injonction ; il s’exprime par une
intonation descendante. Sa structure est celle d’un verbe à
l’impératif, sans sujet exprimé et à la 2e personne ou la 1re du pluriel

[ IMPÉRATIF – fiche 32]. On peut aussi exprimer l’injonction en
utilisant d’autres types de phrases : déclarative (« Vous partirez dès
demain ») ou interrogative (« Pouvez-vous me passer le sel ? »).

2. LES PHRASES EXCLAMATIVES


Les phrases exclamatives permettent à l’énonciateur d’exprimer une
réaction affective forte, le plus souvent en marquant le haut degré. Elles
possèdent une intonation spécifique, qui met en valeur le constituant sur
lequel porte l’exclamation. Mais il y a discussion sur le statut de ces
phrases : s’agit-il ou non d’un type de phrase, au même titre que les trois
autres ? Certains linguistes considèrent qu’il s’agit d’un quatrième type
de phrase, d’autres qu’il s’agit seulement d’un effet de sens qui s’ajoute
aux trois types de phrases fondamentaux.
Les phrases exclamatives correspondent à diverses structures.
L’exclamation peut en effet être marquée :
– par l’intonation seulement, qui s’applique à une phrase déclarative :

Il est intelligent !

– par l’inversion du sujet, dans les constructions attributives :

Est-il bête !

– par l’emploi de mots exclamatifs, placés en tête de phrase : des


adverbes qui déterminent le nom (que de/combien de + GN) ou non
(comme), des déterminants (quel + GN), les marqueurs
d’interrogatives ce que, qu’est-ce que :

Que d’énergie pour rien ! Comme il a arrangé sa maison !


Quel homme ! Ce qu’il travaille !

Le mot exclamatif peut aussi être si :

S’il est bête !

– par diverses constructions qui jouent sur la détermination des noms


ou le degré des adjectifs ou des adverbes :

Il m’a donné un coup ! Il est d’une intelligence !


Il conduit tellement vite ! Il parle si intelligemment !

On peut y voir des structures tronquées (un coup + GA, tellement


vite + que…). Le haut degré serait alors marqué par l’absence de terme
capable de spécifier l’intensité extrême ;

– par des GN déterminés par « le » ou « ce », c’est-à-dire des


définis :

La fusée ! Ce type !

L’emploi de le/ce permet de souligner la singularité du référent.


3. LES FORMES DE PHRASE
À côté des types de phrases on distingue les formes de phrases, qui
sont censées résulter d’un choix de l’énonciateur. La grammaire scolaire
range communément parmi ces formes de phrases la négation (« Paul ne
dort pas »), les constructions passives (« Paul a été vu hier »), les
constructions emphatiques (« C’est Paul qui est venu »), les
constructions impersonnelles (« Il vient un cavalier »).

■ La négation
En réalité, la négation n’opère pas sur le même plan puisque toute
phrase est nécessairement positive ou négative. On notera que cette
opposition positif/négatif ne joue pleinement que dans les phrases
déclaratives (« Il pleut/il ne pleut pas »). Une interrogation négative est
perçue comme une assertion déguisée ou une demande de confirmation
(« Ne vient-il pas ? »). Quant à une exclamation négative, elle n’a rien de
négatif (« Est-il pas beau ! »), quand elle est possible (« *Qu’il n’est pas

heureux ! »). [ NÉGATION – fiche 40].

■ L’emphase
Elle est marquée essentiellement par deux constructions :

– l’extraction d’un constituant en tête de phrase grâce à c’est…


qui/que : « C’est Léa qui/qu’aime Luc » ;
– la dislocation gauche ou droite du constituant avec reprise
pronominale :

Zoé, Élise l’aime (dislocation gauche)


Élise l’aime, Zoé (dislocation droite)

[ ▶ EMPHASE/MISE EN RELIEF – fiche 24]

■ La passivation et les tours impersonnels


Voir [ ▶ PASSIF – fiche 46 ; IMPERSONNELLES (CONSTRUCTIONS -) – fiche
33].
Index des sujets de concours

Les fiches qui précèdent permettent d’aborder la très grande majorité


des questions posées. Nous n’avons pas traité les sujets qui nous
semblaient marginaux ou dont la présentation nous aurait contraint à des
développements d’une ampleur trop considérable. Ce faisant, nous
essayons de ne pas nous écarter de l’objectif que se donne ce Précis.
Nous proposons à présent une liste de questions effectivement posées
au concours. Elles sont données ici telles qu’elles sont libellées dans les
concours, de manière à ce que le candidat s’habitue à leur formulation :
dans tous les cas, il revient au candidat de délimiter le domaine visé et
d’indiquer les critères qui président à sa définition. Dans cet esprit nous
avons pris le parti d’indiquer des questions qui semblent parfaitement
synonymes (cf. « Les tours impersonnels », « Les tournures
impersonnelles »). On prendra néanmoins garde que toutes les
formulations ne sont pas équivalentes ; par exemple, la question « Les
pronoms adverbiaux » diffère de la question « En et y » puisqu’il y a des
emplois de en qui ne sont pas pronominaux ; de même « L’impératif » ne
coïncide pas avec « L’expression de l’ordre », dès lors que l’ordre peut
être exprimé par d’autres voies que l’impératif. S’il subsiste des doutes,
le candidat a tout intérêt à jouer cartes sur table, à expliciter ce qui le
rend perplexe, de manière à justifier son interprétation du sujet.
L’établissement d’une telle liste pose un problème d’organisation. Une
liste purement alphabétique aurait été chaotique et redondante, par
conséquent difficilement utilisable. Mais nous ne pouvions pas non plus
proposer une classification linguistiquement rigoureuse, chose
incompatible avec le projet de ce livre. Dans un souci d’efficacité, nous
avons décidé d’opérer des regroupements autour de quelques « pôles » :
le Nom, le Verbe, Autres catégories, la Phrase, Embrayage énonciatif. Il
ne faut y voir que des moyens d’accès au réseau de fiches. Certaines
questions se retrouvent en divers groupes quand elles peuvent être
abordées de différents points de vue. En face des sujets est indiqué le
numéro de la ou des fiche(s) qui les aborde(nt), totalement ou
partiellement.

1. LE NOM
Noms
L’anaphore nominale 3, 17, 19, 52
Le genre des noms 29
Les noms dérivés 20
Les compléments du nom 41
Les expansions du nom 1, 27, 41, 56
La construction GN de GN 5, 41
Les compléments du nom en de/introduits par de 5, 41
Les groupes/syntagmes prépositionnels 5, 12, 41, 42

Adjectif
L’adjectif qualificatif 1, 4, 18, 47
Le groupe adjectival 1, 4, 18, 47
Les fonctions de l’adjectif 1, 5, 9, 47
La place de l’adjectif épithète 47
Adjectif et participe 1, 4, 44, 46
Les degrés de comparaison de l’adjectif 14, 18

Déterminants
La détermination/les déterminants du substantif 6, 7, 19, 34, 36, 48, 51
Les articles 6, 7, 17
L’absence d’article/la non-expression de l’article/l’article zéro 7
L’article et son absence 6, 7, 17
Articles défini et indéfini 6, 17
L’article/le déterminant un 6, 34
Les indéfinis (y compris les pronoms) 34, 40, 43, 51, 60
Les déterminants/adjectifs indéfinis 34, 43, 60
Les déterminants définis 17
L’emploi de l’article défini 3, 17
Le/la/les (y compris les pronoms) 3, 17, 51, 52
Les possessifs (y compris les pronoms) 48, 51
Les démonstratifs (y compris les pronoms), 11, 19, 23, 51
Les déterminants/adjectifs démonstratifs 11, 19, 23
Articles défini et démonstratif 3, 11, 17, 19, 23
Tout/Les emplois de tout 60

Fonctions
Les fonctions du GN/substantif/nom 5, 9, 27, 41, 42, 59
La fonction sujet 59
La notion de sujet 59
Les sujets non exprimés 4, 32, 35, 58
L’apposition 5
Le complément d’objet 38, 42
Les compléments prépositionnels 12, 15, 25, 42
Les compléments du nom 41
Les expansions du nom 1, 27, 41, 56
Compléments du nom et relatives 27, 41, 54, 55, 56
Les compléments circonstanciels/les circonstants 12, 13
Les compléments circonstanciels de temps et de lieu 12, 13, 23
Compléments d’objet et compléments circonstanciels 12, 13, 42
Les fonctions du GA/de l’adjectif 1, 5, 9, 47
L’épithète 1, 47
Épithète et attribut 1, 9, 26, 41, 47
L’attribut 9, 26
Attribut et complément d’objet direct 9, 26, 38, 42

Pronoms
Les pronoms 3, 11, 19, 23, 25, 34, 37, 43, 48, 51, 52, 53, 54, 55, 60
Les pronoms substituts 3, 19, 25, 34, 48, 51, 52, 53, 54, 55
Les pronoms personnels 23, 43, 51, 52
Les pronoms sujets 23, 39, 52, 59
Les pronoms de 1re et 2e personne 23, 39, 51, 52, 59
Les pronoms personnels de 3e personne 23, 39, 51, 52
Les pronoms personnels compléments 51, 52
Les éléments clitiques 52
Les pronoms clitiques 52
On 43
Le (y compris les déterminants) 3, 17, 51, 52
Il/le/lui 23, 39, 51, 52
Les pronoms adverbiaux/En et y 25
Dont et en 25, 56
En 25
Les pronoms relatifs 56
Les pronoms possessifs 48, 51
Les pronoms démonstratifs 11, 19, 51
Les pronoms interrogatifs 36, 51, 54, 55
Les pronoms qui et que 36, 54, 55
Qui, 36, 55
Que 36, 54
Les pronoms neutres 9, 11, 19, 33, 34, 51, 60
Ce 11
Les pronoms indéfinis 34, 51
Les indéfinis (y compris les déterminants) 6, 34, 40, 43, 51, 60

2. LE VERBE
Verbe
Avoir et être 26
L’emploi du verbe être 26
Avoir 26
Les verbes modaux 49
Les auxiliaires modaux/Pouvoir et devoir 49
Les éléments clitiques 52
Les auxiliaires/l’auxiliation 10
Les périphrases verbales 8, 10, 28
Les séquences verbe + infinitif 8, 10, 28, 35, 49
Transitivité et intransitivité verbales 38, 42
La transitivité du verbe 38, 42
Les verbes intransitifs/L’intransitivité du verbe 38
Verbes et constructions impersonnels 33
Les verbes pronominaux 53

Modes
L’emploi des modes 4, 13, 15, 35, 57
Les modes dans la subordonnée 4, 13, 15, 35, 56, 57
L’opposition de l’indicatif et du subjonctif 22, 57
Subjonctif et conditionnel 16, 57
L’emploi du subjonctif/le subjonctif 57
Les formes/modes non personnels du verbe 4, 13, 35, 44
L’infinitif 35
Les participes 4, 44
Participes et gérondifs 4, 13, 58
Les formes en -ant 4
Participe passé et infinitif 35, 44
Les participes passés 44

Temps et aspect
Les temps de l’indicatif 16, 22, 28, 31, 45
Temps du discours et temps du récit/Discours et récit 23
L’emploi des temps/les temps verbaux 8, 22, 28, 31, 42, 45, 57
Le présent 50
Les valeurs du présent 50
Les emplois du présent 50
Le futur simple 28
Les futurs 28
L’expression du futur 28
Le conditionnel/les formes en -rais 16
Les formes en -ais et -rais 16, 28
L’imparfait/les valeurs de l’imparfait 31
Imparfait et plus-que-parfait 8, 31
Les temps du passé 22, 31, 45
Le passé composé 45
Passé composé et passé simple 22, 45
Formes/temps simples et composé(e)s du verbe, Les formes/temps
composé(e)s du verbe 8, 31, 45
Valeurs aspectuelles des formes verbales 8
Les périphrases verbales 8, 28, 35, 49

3. AUTRES CATÉGORIES
Invariables (mots)
L’adverbe 2, 12, 14, 60
Le classement des adverbes 2
Étude syntaxique des adverbes 2
Les pronoms adverbiaux 25
En et Y 25

Morphologie et lexicologie
Le genre des noms 29
Le genre des adjectifs 29
Les marques de genre/du féminin 29
La dérivation suffixale 20
Préfixation et suffixation/La dérivation 20

4. LA PHRASE
La phrase simple
La place du sujet 39, 59
L’inversion du sujet 39
Le passif 46
Passifs et pronominaux 46, 53
La forme/voix pronominale 53
Les constructions/tours/formes impersonnels, les constructions avec il
impersonnel 33
Constructions impersonnelles et verbes impersonnels 33
Les constructions emphatiques 24
La dislocation 24
Les constructions détachées 24
Phrases clivées et pseudo-clivées 24

La phrase complexe
La subordination/les subordonnées 58
Classification des subordonnées 58
Le mode dans les subordonnées 4, 13, 15, 35, 56
Les complétives 15, 42
Les infinitifs 35
Les infinitifs compléments 35
Complétives et infinitifs 15, 35
Les subordonnées circonstancielles 13
Les comparatives 14, 18
Les hypothétiques/conditionnelles 30
Les (subordonnées) relatives 54, 55, 56
Les pronoms relatifs 51, 54, 55, 56
L’interrogation indirecte 36, 37, 54, 55
Les subordonnées introduites par que 15, 30, 54, 56, 58
Les subordonnées introduites par qui et que 15, 30, 54, 55, 56, 58
Que 54

Modalités de la phrase
Les types de phrases 33, 37, 61
Les modalités de la phrase 32, 37, 61
La négation 40, 61
Négation et mots négatifs 40
L’interrogation 37
Les mots interrogatifs 36
L’interrogation indirecte 37, 54, 55
L’interrogation directe 37, 54, 55
Interrogation et exclamation 37, 61
Mots interrogatifs et mots exclamatifs 61
Les phrases/énoncés exclamatifs 18, 61
L’impératif 32
La modalité jussive/L’expression de l’ordre 32, 61
Impératif et subjonctif 32, 57
L’expression de l’hypothèse/Les tours hypothétiques 30
La mise en relief 24
Les constructions emphatiques 24

5. EMBRAYAGE ÉNONCIATIF
Les embrayeurs 22, 23, 51
Les embrayeurs/Les pronoms personnels de 1re/2e personne 23, 39, 51,
52
On 43
Les embrayeurs/déictiques de temps et de lieu 12, 22, 23
Temps du discours et du récit, Discours/récit 22
Les temps du récit 22
Les plans d’énonciation 22
Le discours rapporté 21
Discours direct et indirect 21
Les marques du discours indirect 21
Le discours direct 21
Le discours indirect libre 21
Les valeurs du présent 50
Ouvrages de préparation aux examens et concours

Éléments de rhétorique et d’argumentation (Robrieux)


Vocabulaire de l’analyse littéraire (Bergez, Géraud, Robrieux)
Précis de littérature française (Bergez et al.)
Précis de grammaire pour les concours (Maingueneau), 5e édition
L’Explication de texte littéraire (Bergez), 2e édition
La Dissertation littéraire (Scheiber)
L’Atelier d’écriture(Roche, Guiguet, Voltz), 2e édition
L’Atelier de scénario (Roche, Taranger)
Lexique thématique de latin (Caron)
Dictionnaire du théâtre (Pavis)
Mythologie grecque et romaine (Commelin, Maréchaux)
L’épreuve orale sur dossier au CAPES externe de lettres modernes
(Baetens)
Réussir la dissertation littéraire. Analyser un sujet et construire un
plan (Adam)
Le Commentaire composé (Jacopin)
Introduction à l’ancien français (Revol)
Table des matières

Avant-propos

PREMIÈRE PARTIE SAVOIR-FAIRE

En quoi consiste l’épreuve

1. L’exposé synthétique

2. Les énoncés singuliers

Qu’est-ce qu’avoir le « sens grammatical » ?

Vocabulaire de base

1. Les concepts clés

2. Les énoncés déviants

Quelques notions de syntaxe

1. Pourquoi parle-t-on de syntaxe ?


1. Syntaxe/lexique

3. Les catégories majeures

4. Catégories majeures, positions, complémenteur

5. La phrase

6. Des phénomènes non positionnels

7. Les distorsions syntaxiques

8. Un principe d’unicité

9. Les manipulations syntaxiques

Quelques conseils à l’usage des candidats

DEUXIÈME PARTIE SAVOIR

1. Adjectif

2. Adverbe

3. Anaphore nominale

4. -Ant (formes en -)

5. Apposition

6. Article

7. Article (absence d’-)

8. Aspect

9. Attribut

10. Auxiliaire
11. Ce

12. Circonstanciel (complément -)

13. Circonstancielle (subordonnée -)

14. Comparaison

15. Complétive

16. Conditionnel

17. Défini (article -)

18. Degré de l’adjectif

19. Démonstratifs (déterminants et pronoms)

20. Dérivation

21. Discours rapporté

22. Discours/récit (plan embrayé/ non embrayé)

23. Embrayeurs

24. Emphase/Mise en relief

25. En/Y

26. Être/avoir

27. Fonctions du groupe nominal

28. Futur

29. Genre (marques du -)

30. Hypothétiques (systèmes -)


31. Imparfait

32. Impératif

33. Impersonnelles (Constructions -)

34. Indéfinis

35. Infinitif

36. Interrogatif (mots-)

37. Interrogation

38. Intransitifs (verbes -)

39. Inversion du sujet

40. Négation

41. Nom (complément du -)

42. Objet (complément d’-)

43. On

44. Participe passé

45. Passé composé

46. Passif

47. Place de l’adjectif épithète

48. Possessifs

49. Pouvoir/devoir

50. Présent de l’indicatif


51. Pronoms

52. Pronoms clitiques

53. Pronominaux (verbes -)

54. Que

55. Qui

56. Relatives

57. Subjonctif

58. Subordonnées

59. Sujet

60. Tout

61. Types et formes de phrase

Index des sujets de concours

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