You are on page 1of 10
Jacques d’Hondt Matérialisme, Idéalisme et Révolution frangaise Les problémes que posent les relations multiples de la philosophie matéria- liste et de la Révolution frangaise restent d'un abord difficile parce qu'’ ma ‘connaissance du moins, aucune étude systématique ne leur a encore été con- sacrée, II s'agit done d'abord d'une simple exploration de ce vaste domaine, car une telle enquéte ne peut se montrer dabord que lacunaire, hésitante, hhasardeuse et elle appelle tout naturellement & son aide, ou méme a son se cours, les corrections, les précisions, les compléments que les personnes ‘compétentes voudront bien lui apporter. Les probltmes Les relations du matérialisme et de la Révolution frangaise se nouent en quatre directions principales. (On peut réunir en un premier groupe toutes les questions que souléve explication matérialiste de la Révolution, La philosophie matérialiste pro- ccure-telle aux historiens la base thes permet de rendre compte des événements? Sur ce point, es historiens matérialistes témoignent d'une grande assurance. Ils accomplissent un vaste travail d’investigation etd élu- cidation, leurs ceuvres font souvent autorté. Pour s'en convaincte il suffi de penser, par exemple, aux ouvrages €”Albert Soboul. Mais, bien entendy, ils ne tiennent pas eux-mémes pour absolument dé- finitifs, et comme intouchables, les résultats dja obtenus, La recherche continue et elle remet sans cesse en question les acquis parcellaires. Elle oblige aussi inévitablement & éprouver le systéme explicatif lui-méme. On se demande si 'historien reste indéfectiblement fiddle au matérialisme qu'il proclame, et de quel matérialisme il s'agit, La teneur du matérialisme n'actelle pas varié pendant le temps qu'il wavaillait? option matéralisteelle-méme se voit d'alleurs contestée par de nom- breux autres historiens, par exemple, actuellement, par M. Furet. Que valent les reproches qu'on lui adresse? La mettentils en péril? Voila un champ immense "investigation ot de controverse, 258 Jacques &'Hondt Une deuxidme problématique s'en détache. Si on admet, par hypo- these, Ia validité et Ia fécondité de I'explication matérialiste de la RE. volution frangaise, doiton en induire que ce type d’explication a été engen- dr, de quelque fagon, par la Révolution elle-méme? Celle-ci a-telle produit In philosophic qui se charge rétrospectivement de la comprendre? Cette Philosophie consisterait alors, au fond, en une sorte de réflexion de la Ré- volution sur elle-méme. Dans cette perspective, quelle est la dette, par exemple, de Marx et &'Engels & la Révolution? A ce propos, beaucoup dhistoriens s'en tiennent ce que ces deux auteurs écrivent, et c'est ts précieux, Je songe A ce sujet au récent recueil de textes établi par Lucien Calvi et préfacé par Frangois Furet, Mais ne conviendrait-il pasde s'intéresser aussi & 1a mani@re dont la Révolution frangaise a fait exister Marx et Engels, els qu’en eux-mémes ils furent? A a manigre dont elle a créé les conditions socio-culturelles et pra liques dans lesquelles seules ils purent penser, agit, écrire? L'intérét de ces questions se justifie et & la fois s'accroft par la considé- ration du fait qu’elles ne concetnent pas uniquement Marx et Engels, Quel- ques historiens, et en premier lieu Jean Jaurds, ont attiré Pattention, ps exemple, sur l’euvre d'un révolutionnaire dont les réflexions sur les événe- ‘ments qui lui étaient contemporains, et dans lesquels il intervint éminem- ‘ment, présentent un caractére nettement matérialiste: Barnave, II serait laut- eur dune sorte de matérialisme historique selon lequel la Révolution résulte de causes matérielles, et non de l'influence des idées. Ce matérialis ‘me historique ne semble pas s'accompagner dun matéralisme ontologique, ‘mais, comme le dit Albert Soboul: Les causes profondes de la Révolution frangaise sont & rechercher dans les contradictions soulignées par Barnave entre les structures et les institutions de I'Ancien Régime dune part, le mouvement économique et social de l'autre“* ' Le matéralisme historique de Bamave estil le fils de la Révolution? Méme si l'on contestait une telle paternité révolutionnairo, on pourrait encore du moins se demander si la Révolution n'a pas infléchi le destin des doctrines matérialistes antérieures & elles, ou simultanges. A-t-lle conttibué a tes répandre, a les contenir, & les modifier, & les disqualifier? Lit-on et aime-ton davantage Epicure ou d’Holbach avant, pendant ou aprés la Ré- volution? Quelle est la nature véritable de la philosophic des Idéclogues? Il convenait de rappeler tous ces problémes et toutes ces questions, leur ampleur et Jour difficulté, pour mieux situer dans ses limites relatives un quatriéme faisceau d'interrogations, avant de s"inquiéter plus longuement de celles-ci.Its‘agit, cete fois, de linfluen ventuelle que Ia philosophie " Albert Soboul La Révolution francais, Paris, Gallimard, col. Tet", p. 128 Matérialisme, Idalisme et Révolution frangaise 259 matérialiste, et spécialement celle du XVIIle siéele frangais, a pu exercer dans le déclenchement et sur le cours de la Révolution. La causalité philosophique estve. Beaucoup dhistoriensrejetent en La question peut paratire intempesive. Beaucoup in tit d'emblge a thse selon laquelle la pilosophie~ de quelque coul sl at ara pa oer un dans a prpraton a onde de a evo, dene adem aon Hs a cpa de mene monde en pda, texters revolutions en paral. Comment choise parm is lnnomiables testes ob tut effcacté se voit contests 8 la pllosopies en cette afar, et on méme temps, aus Bien tout mite que toute fants? Edie Champion, parm eux, sates gia et Jan Jns Rose ne lnc il Se" Commentan eJournal de dArgenson il pa: En marcha dans Ta voie qu condusait a srment du Jou de Paume et aimation des pense de 89, les hommes du XVille idle fret guidés son pa es spe Eclat pilosophigues une doctine abate, mais par ds fis mal Feureuneen! Wop 1 par une experience de, parle onsen" Dans Pensenbl, ce sont bens ls phlosphes os historens mate catisten gut ont le pls dcidSment contest Vefieaté propre des es philosophiques et qui lui ont prsfré une casaité péopliiqu, ou bolog- : Contre eux s’éléve cependant toute une cohorte d'historiens qui Sis imerentin da cour des eee teen de maie riviggiée dans la nassance et le développement de Ia Révoluton fra fais. Sas crane vergogne, va die sans sou is adopent ent Se eu ue atte intellects ait eae ‘tours yeux, 2 sont done des ides, ais des ies lite", si Ton ose dive aia, qui provoguent la grande embardée révolutionaite fan pour la plupart des contemporains de cette révolution, et pour beaucoup ce sesistiens et Paes son cat ln opt te hearox ele et fondant its, Nel pas Yul me ex prcend, fonder in elit sci et politique sur des aux: Tiber, 2 Edie Champion, introduction au Journal du Marquis d’Argenson, Pats, 1898 4, Armand Bret, p. XX 260 Jacques d'Hondt éealité, fraternité, et sur une constitution préméditée, délibéée, rédigée, af- eat jon préméditée, délibérée, rédigée, af. Se construire sur des idées, et sur la déclaration de ces idées, voila le mérite premier et la valeur éternelle de la Révolution! Ainsi Frédéric de Gentz, dont on oublie trop qu’avant de devenit I'en nemi acharné de la Révolution ~ le conseiller de Metternich -, il en avait 6 le partisan enthousiaste -, écrit, encore en fin 1790 & Garve, son maftre favori de philosophic: ,Je ne suis rien moins qu'enclin & douter de la bonne ‘cause, L'échee de cette révolution, je Ie tiendrais pour P'un des plus grands ‘malheurs qui aicnt jamais atteint le genre humain. Elle est le premier triom phe pratique de la philosophic, le premier exemple dune forme de gouver- hement qui soit fondé sur des principes et sur un systéme cohérent, consé- quent avec Iui-méme. Elle est I'espérance, et aussi la consolation pour tant cde maux anciens sous lesquels gémit l’humanité.? Gentz était alors un disciple fervent de Kant, et il interprétait la Révolu tion frangaise, qui ne devait pourtant rien & ce philosophe, comme une ap. plication premiere spontanée de principes semblables & ceux de Kant. Les Frangais, eux, fort ignorants de Kant & cette époque, préféraicnt croire que Voltaire les avait soulevé de terre et que Rousseau les sauvait du Tuisseau. IIs n’oubliaient pas pour autant tous les écrivains moins presti gious Guiles avant aidés, Maly, Raynal, Louls-Sébasten Mercier et tant A leurs yeux ce sont toutes les Lumitres, allumées & Paris, brillant de mille feux divers, qui les ont éclairés : alors, grace aux philosophes clair- voyants, ils ont vu, 3 leur tour, et ils ont vaincu, L'idéalisme révolutionnaire Les révluonnaes point eusmémes aux pilsopes le but de ar: connaiance, Les uses de Vole et de Rousea president lets ase Bes, oment es es evolu, marque Ts empl de aoe ‘Au 24 Décembre 1789, Leray de Marga, suas sslever is meandre Botesition ieee a monde rsrve sae 8 rasoemblce Nato aa enc termes: Tus les membes de ete Anembee seen sok B26 1a diversi de rs vues, avoir cols! pour guide immoral sea ‘Contrat Social!" * > Priodrich von Gentz, Briefe an Garve, Bresl bre 1790), ‘Réimpression de VAncien Moniteur, Pais, 1847, Tome Il, p. 464, 1857, p. 59, (lettre du 5 Décem- Matérialisme, 1dalisme et Révolution francaise 261 Mais si la philosophic et les philosophes se voient ainsi constamment invoqués, on ne rencontre pas le mot matéralisme, et I’on ne rencontre ‘gudro d’idées matérialistes, dans le diseours révolutionnaire, méme et peut- re surtout quand il prend un tour jacobin, Ces révolutionnaires se ezoient tous idéalistes, tilsafichent parfois un Volontarisme stupéfiant, Parmi les propos qui furenttenus 2 1a Convention, ‘propos toujours inouis, écoutons ceux de Cambon, le 15 Décembre 1792: La France elle-méme ~ sexclame-til -lorsqu'elle vest levée le 14 Juillet 1789, a proclamé ces principes: rien n'était lal, a-telle dit, sous le despo- tisme; je détris tout ce qui existe par un seul acte de ma volonté!" * Des propos qui paraissent dja exorbitants lorsqu’on les lt dans un ou vrage théorique de Fichte, doivent en France justfier et susciter des com- portements pratique, et en Poccurence une mobilisation militaire! ‘Nous voici bien loin du nécessitarisme de Bamave, et de toute forme de matérialisme historique! 1831, Quinet, s'abandonnant un peu top & son imagination, demande 2 s0s lectours de se représenter un philosophe allemand si@geant & la Con- vention aux c6tés de Saint Just ot de Robespierre, et il s’enthousiasme: ,Ce ‘montagnard, s'il a du p6nie, sera Fichtelu-méme. Il régne couronné de son seul vouloi. I décréte il met au ban, i fait, il défait Ia création universell, comme le génie de la Convention dispose de I'histoire qui se fait autour delle. Quand la pensée de I"homme fut si forte, que par la seule énergie <éposée dans un peuple, elle créait& son gré une Europe nouvelle, il sembla que ce qui pouvait ainsi changer & chaque instant histoire, pouvait aussi changer le monde; et cette souveraineté exercée sur I'humanité s‘agrandit dans Ia philosophie jusqu’a 'idée de souveraineté sur Punivers!" ® Cotte frénési idéaliste, d'un c6té, se complétait d'une pistétraition- nelle, de l'autre. Meme les révolutionnaires matérialistes — car il y en eut quelques uns, surtout parm les modérés — se erurent obligés de dissimuler leurs convictions, clandestins comme par habitude. Jaurds se lamente, et sindigne presque, en voyant Mirabeau dont l'athéisme n'est pourtant pas douteux, ménager les sentiments d'un public croyant pour lui faire accepter 1 Constitution civile du clergé. * 5 bid, Tome XIV, p. 759 © Revue des Dewe Mondes, 1831, tome VI, p. 465. "1 Jaures, Histoire socialiste dela Révolution francaise, tome I, 1968, p. 808 et note 35 bis, 262 Jacques d'Hondt La thise de Portalis, au me intervention dea pitsopie dale fant. Certain aateus Iu font tne plat dans engagement de Ia Revol ton, es drs divers selon des malts parts Seanges de Vabus de tesprphilosphiqe, pub en deux volunas, Pais cu 1827. * Le jsconsue ce, conse-éoluonnie qui sous Napléon, co sil principals conte urges de la Revolution, stent Ie thse selon agulle cet a piosopie qui prove les vautons, Cae Mngt ete chagtin, ei se demande par quel ec inva tout syste pilosphique, wa ou fan, prod subitemen, Jo noe jor une commotion générale dans le monde?" * : Tour la Revolution fangs, ce gui «prod philosophic da XVlle stl Or Poni cro pouvoir eter ches ou ls Ii, do atime, du nawalsme A force der la mabe de ous nous sommes habitus Ane pls ecomatve quale” "Il engage dans ds rttons plates et verbeses de ce masala, 2 prope de chacun des philosophies dnt i xan a doce au chap IX Ze ooe 3 quali neteent de mais et athes es penser gi aos pa risen auourd hu Pavoi ts effecivement La Moe, Helv, Dine 1 ke Marquis Argon, die I is inesamamalgane Inputs ben se, une rane responsi & Spinoza dala Jive mute du XVile stl: ode d'une sustance matte et unique a sonuvse cen deers pa Spo, cic tI dee se maealone I teprocera ts vivement 1. B, Robins ce qu'il apple son aii * Jean-Etienne Portalis, De Isa 1827,2 vol. ° Tid. 431 "Wid. p. 149, "Ibid, 1, p. 150, ige et de V'abus de Lesprit philosophique, Pacis, “Matérialsme, léalisme et Révolution frangaise 263 t8res divins traditionnels qu'il n'est plus gure un Dieu. Pourtant, en der nigre instance, il blanchira cet auteur de T’accusation de matérialisme et @athéisme, parce que J. B. Robinet se serait, paraftil, confessé au dernier moment, et aurait alors tenié ses publications". Cest une manidxe d’at- tester que ces publications du moins relevaient du matérialisme et de I’athé- isme au jugement m@me de leur auteur, et l'on se demande alors pourquoi il semble si difficile pour Portalis de ,reconnaftre en Robinet un sectateur de Spinoza” *. Le procédé de Portalis aboutit & renvoyer du cOté du matérialisme et de Vathéisme tous coux qu'il soupgonne de s'étre inspirés de S| soupgon n'est pas avare. Ainsi prétend-il que ,Je scepticisme de Hume, de cAlembert, et Ia versatilité de Voltaire ont la méme source que le maté- rialisme plus prononcé de leurs contemporains" ®. Portalis ne distingue done guére les uns des autres les philosophes du XVIIle sigcle que par le degré plus ou moins prononeé de leur matérialisme, Cette conception peut choquer dabord, mais elle ne tarde pas 2 séduire, car chacun y trouve son compte, Portalis exile dans le camp des matérialistes bien des philosophes qui n'en peuvent mais, Pourquoi les matérialistes con: vvaincus n'en viendraient ils pas & accueillir et & récupérer ces matérilistes rapsodiques? Ce serait occasion de leur appliquer Ia terrible formule dont Pascal avait usé, dans un contexte certes bien différent: Ils seront tous ‘damnés ces demi-pécheurs qui ont quelque amour de la vertu" Portalis prend l'athéisme pour pierre de touche du matérialisme. Or ce ‘matérialisme, mauvais esprit philosophique, conduit selon lui & la Révolu- tion. Sans doute, concéde-til, ,peu d’hommes avaient et suivaient le plan bbion déterminé de changer absolument toutes les institutions et toutes les ides recues. Il en existait pourtant. Voltaire avait proposé & Frédéric TI, roi de Prusse, de faire I'essai d'un peuple d’athées dans le duché de Cleves, et il s‘offrait d'y devenir V'apétre de l'iréligion et de I'impiéi6." " En tout cas, intentionnellement ou non, tous ces philosophes ont poussé dans le méme sens, dans le sens de la révolution et du matérialisme con- joints. On rencontre done bien, chez Portalis, la thése de influence directe et essentielle, mais non exclusive, de la philosophie matérialiste du XVIIle sidcle, du ,mauvais esprit philosophique", sur I’éclatement de la Révolution frangaise. " tid, pp 484-486, "Tid Ip. 153, Tid I, p. 474 264 Jacques d'Hondt La thése de Damiron siecle, en deux volumes. '* Mais Damiron lui fait subir des modifications ‘quement par le fatalisme, I"égoisme et athgisme. certes bien éloigné de toute conception matérialiste."*” nobles inspirations, puisées heureusement & une plus pure source ". 1 op Pose ainsi, chez les philosophes frangais, ce qu'il appelle leur ,matérialisme de raison“ & leur ,spiritualisme de aeur“ ®. TI croit, pouvoir mettre en éyi- males préjugés de systéme et ses entrainements de doctrine contre les. Brander esd ete masini aves dela Révluion Stent ies matali: Daron put ben, spt ce ” Ibid., p. 336, "*Ibid., p. $37, * Tbid., p. 20, ™ Ibid, p. 539. “Matérialisme, 1dalisme et Révolutionfrangaise 265 Ja, prétendre qu'il a .condamné la philosophie de ce sitcle, mais applaudi & sa politique’ qu'il les a ,distinguées et opposées de maniére & ne Inisser & ‘chacune que sa propre responsabilité" ®, cet éclectisme rétrospectif apparatt comme une gageure. Comment expliquer, si l'on veut la tenir, que les spi ritualistes du XVIlle siecle n’aient pas éprouvé des sentiments aussi géné- reux que ceux des matérialistes, pourquoi la Providence en élevant leurs coeurs a-telle renoncé & éclairer les esprits des matérialistes? Conicernant les relations reconntues entre la philosophie matérialiste et la ise, la these de Damiron paraft, & notre époque, insoutena- Lat e hégélienne Celle que nous offre Hegel se montrera-t-elle plus convaincante? certainement plus profonde. Comme on Ie sait, Hegel, & la fin de sa vie, vers 1830, prononce rétro- spectivement un impitoyable réquisitoire contre I" Ancien Régime, et il fait de la Révolution frangaise une apologie dont la ferveur ne trouve pas d’égale dans la littérature philosophique. Certains de nos contemporains se demandent s'il ya vraiment eu une révolution en 1789, Pour Hegel, qui en a éte le témoin ~ il avait 19 ans en 1789 et il a véeu jusqu'en 1831 -, cela ne fait évidemment aucun doute. A la fin de sa vie, Sous la Restauration, ct alors que la Sainte Alliance et le ‘Traité dalliance régissont l'Europe, il eélébre avec Emotion, dans son cours public, le moment de rupture révolutionnaire qui avait autrefois suscité son ‘adhésion chaleureuse: , Tout Ie systéme de I’Etat apparut comme une unique injustice. Le changement fut nécessairement violent parce que la transfor- ‘mation ne fut pas entreprise par le gouvernement. Or elle ne fut pas entre- prise par Iui parce que la cour, Ie clergé, la noblesse, les parlements méme rie voulaient renoncer a la possession de leurs privileges, ni A cause de la misére, ni pour le droit qui est en soi et pour soi; et encore parce que le gou- vernement, comme centre concret de la puissance de I'Btat, ne pouvait pas prendre pour principe les volontés particulitres abstraites et en en partant, reconstruire I'Etat; enfin, parce qu’il était catholique et que par conséquent le concept de liberté, de la raison dans les lois, n’était pas considéré comme obligation derniare absolue, du moment que le sacré et la conscience reli gicuse en sont séparés. La pensée, le concept du droit se fit tout d'un coup valoir et le vieil édifice d'iniquité ne put Tui résister. Dans la pensée du 266 Jacques d’Hondt 4roit, on construisit donc alors une constitution, tout devant désormais repo- ser sur cette base, Depuis que le soleil se trouve au firmament et que les Planétes tournent autour-de lui, on n'avait pas vu ’homme se placer la téte cn bas, c'est-A-dire, se fonder sur l'idée et construire d'aprés elle la réalité Anaxagore avait dit le premier que le vous gouverne le monde; mais c'est ‘maintenant seulement que Phomme est parvenu a reconnaltre que la pensée Goit régir la réalité spirituelle. C’était done 14 un superbe lever de soleil ‘Tous les étres pensants ont célébré cette époque. Une émotion sublime a ré- fané en ce temps-ld, 'enthousiasme de Pesprit a fait frissonner le monde, comme si A ce moment seulement on en était arrivé A la véritable réconci, liation du divin avee le monde." ® Pour Hegel, la victoire du concept, de I'équité, de la liberté de la Révo- lution, est une victoire de la philosophie. Il ne néglige certes pas les causes concrdtes et immédiates de la Révolution, ct il analyse la situation écono mique, financitre, sociale, psychologique qui a provog volutionnai Mais dans cette causal wuption ré- révolutionnaire il reconnaft une participation Principale de la philosophie, ct il le proclame clairement. Dans la Revol. tion, .on a trouvé pour I’Etat un principe pensé (Gedankenprinzip)... C'est 18 une immense découverte concernant ce qu’il y a de plus in ddement, et le pouvoir est passé ainsi & la philosophi lution frangaise est sortic de la philosophie et ce a’ Von c. On a dit que Ia Révo. ‘est pas sans raison que ‘4 appelé Ia philosophie sagesse mondaine, car elle n’estpas seulement |a vérité en soi ct pour soi, en tant que pure essence, mais aussi la vérité en {ant qu'elle devient vivante dans le monde réel. 11 ne faut donc pas s’élever 1A contre quand on dit que Ia Révolution a regu sa premidre impulsion de la Philosophie. Mais cette philosophie n'est tout d'abord que pensée abstaite, ‘non compréhension coneréte de la vérité absolue, ce qui est une différence immense." ‘Une grande part des mérites, comme aussi des fautes de la Révolution francaise revient donc 8 la philosophic du XVIIle siécle. C'est parce que celle-ci n’était pas parfaite que Ia Révolution connut tant de pétipéties, de dérives, d"égarements, Encore faut bien voir que, our Hegel, la responsabilité de ces erreurs et de ces excds retombe prin t ipalement sur les contre-révolutionnaires. Ciest Vobstination des privilégi¢s qui endit inévitable lexercice de la vio. lence. En refusant toute concession, tout compromis, ils ont empéché une * Hegel, Le Leons sur la 1963, p. 340, * Ibid, p. 339, Philosophie de Uhistoire, trad. J. Gibdin, Paris, Vein, Matéralisme, Idalisme et Révolution frangaise 267 Evolution paisible. Comme ils ne renongaient pas partellement et habile- ment a leurs privileges, ila fallu les leur enlever de force, mais alors totale ment. ; Ce sont les philosophes qui ont dénones ct combattu les tares de I’An- cien Régime, qui ont réprouvé Virationalité politique, qui ont condamné ces privldges que Hegel connaft bien puisqu’il persistent partiellement en Prusse au moment ob il retrace Phistoire de la R6volution francaise En 1831, le roi de Prusse interdt la publication de la deuxiéme parte de Particle de Hegel sur le Reformbill anglais. Mais parm les passages que la censure avait supprimés dans Ia premire parti figure sigaificativement ceite phase: Le préveé selon lequel lorsque In nassanee ot la schesse procurent un emploi, une fonction & quelqurun, elles lui donnent aussi Min- telligence qu'il faut pour lexercer, ce préjugé n'est nulle part aussi solide ment et naivernent établi qu’en Angleterre. * ; Quels sont done ces philosophes qui favorisérent une évolution que la résistance des privilégiés transforma en révolution? Hegel les évoque ensemble, sans guére signalr les traits individuels de leurs philosophies: ne les appelaiton pas, de leur vivant, les ,Philosophes", indistinctement? Is se chamailiaient ceres entre eux, comme le firent Emi nemment Voltaire et Rousseau, mais leurs ennemis les jetaiont dans le réme sac, et contre ces ennemis ils se trouvaient unis, de fait, dans une améme offensive, $i Hegel, & certains égards, les considére dans leur regrou- pement, il sépare cependant, chez tous, deux aspects de leur philosophie: ce + qu'il appelle la face positive et la face négative, S™ Lemot pov dsign ies aes docile qu oest le contenu alfrmati des doctrines, et qui sont destinées 2 se substituer aux anciennes thases,fausses ou périmées, en science, en politique, en religion, en méta- physique. Hegel reldve Ia platitude, la pauvreté abstraction de ce contenu Positif des doctrines matérialistes, telles, par exemple, que le matérialisme de d’Holbach et le systéme politique de Rousseau, Tl se montre tbs s6vare 2 leur égard, leur contestant méme, parfois, la qualité philosophique. Par contre i approuve passionnément la face négative ~ ou pour mieux dite peutette, activité critique et négatrice de cette philosophie ~ dont il sait bien toutefois que les grands mérites ne peuvent étre isolés des partic larités de la face positive: sans face positive comment pourrait se définir une face négative? Dans cette appréciaion, Hegel se démarque de la plupat de nos histo- riens actuels de la philosophic, fort négligents, en général, & I'égard du XVIlle sidcle frangais. ® Uber die englische Reformbild, dans: Berliner Schriften, Hambourg Meine 1956, p. 482, 268 Jueques d'Hondt Qui done autre que Voltaire, ou Diderot, pourrait mériter les louanges ‘que Hegel prodigue, par exemple, dans ce passage: ,La philosophie fran- saise est done également partie en guerre contre I'Etat, Ces philosophes at- taquérent les préjugés et la superstition, et en particulier la corruption de la sovieté civil, les meeurs des cours et des fonctionnaires gouvernementaux; ils surent appréhender et dépeindre les maux, les ridicules, les bassesses et livrérent toute cette hypocrisie ct cette puissance d'injustice & la risée, au mépris et & la haine du monde, suscitant dans l"esprit et dans l’ame I’indiffé tence envers les idoles du monde, ainsi que I"indignation du sentiment et de esprit contre elles." Ces philosophes, Hegel le précise, ont eu le sentiment de la contradic- tion qui déchirait le monde de leur temps: les institutions vétustes ne cor- respondaient plus & la conscience nouvelle que ’humanité prenait d'elte- méme, & son got juvénile de la liberté. Is se sont attaqués, dans la réalité qui se présentait A eux, a ce qui avait perdu toute justification, et méme toute signification. En pleine période de restauration et de réaction curo- péenne, Hegel prond leur défense, avec audace et avec une indignation semblable & ce qu’avait été Ia leur: ,Ce cOté se comporta de fagon destruc- trice envers ce qui était détruit en soi. Il nous est facile de reprocher aux Frangais leurs attaques contre la religion et contre I’Etat. I faut avoir un tableau de I'horrible condition de Ia société, de la misére, de la bassesse qui régnaient en France, pour reconnaltre le mérite de ces écrivains. Maintenant Uhypocrisie, la tartufferie, la tyrannie qui se voit spoliée de ses spoliations, |a faiblesse d'esprit peuvent dire qu’ils.ont attaqué la religion, Etat ct les mers. Mais quelle religion! Non pas celle qui fut purifiée par Luther ‘mais la superstition la plus honteuse, la prétrailleie, la bétise, la dépravation lesprit, et surtout la dissipation des richesses, Ia débauche des biens tempo- rels au milieu de la misére publique. Bt quel Etat! La domination ta plus aveugle des ministres et de leurs putains, femmes et valets de chambre: de sorte qu’une troupe immense de petits tyrans et de paresseux considérait Comme un droit divin de piller les revenus de I'Etat et 1a sueur du peuple, L’impudence ot la malhonnéteté furent incroyables, les mocuts ne faisaient ue correspondre & I'infémie des institutions. Nous voyons les individus privés de tout droit sur le plan juridique et politique, et il en est de méme & Mégard de la conscience morale, de la pensée," 1 ne prétend pas que ces philosophes ont expressément voulu une révo- tution. Ils demandaient des reformes, une bonne éducation pour les princes, % Hegel, Legons sur l'histoire de ‘ome Vi, 1985, pp, 1723-1724 Ibid, pp. 1724-1725. 4a philosophie, Trad. P, Garniron, Paris, Vrin, Matésialisme, Idéalisme et Révolution francaise 269 yu’il n’a pas compris." ** La récupération du matérialisme Elle a brisé tous les préjugés et en a triomphé." ® C’est la Révolution ~via * Wid, p. 1719, ibid, ps 1718, 210 Jacques d'Hondt fags gu cate hp inphe dam a Reso See Hoa cn ops epoca a emage Noe vogos iene Ioeont ce eilen cones tape saclay tute determination qui reprsente esprit comme un mish de a cove teins gr pr gules en at gestae ae aon mes par vr dase ne ese qs eens een di cervauy, ui suivent les impressions extames des sens? Hoga Cogs neil 0 Tatsne cama tn nae ne ese a pond neiae ae tin con post csr pomposiom et ossan sonar Auilsagise dol ign dod te lee eeae a vie Bete acuaion do elt puro see a Sun sicu plein esprit, enon Pie de dcamations les substantia, Un mode der de a mate ext penser Ce ‘dans cet objet, que la substance spinoziste trouve pr Gans ext be D ave proprement son accom ” Ibid, p. 1716, * Ibid, p. 1718 Ibid, p. 1717. . SifS. Et ces trois options se heurtent, ensemble, & quantité d’autres, Matérialisme, ldalisme et Révolution frangaise am 1 insiste sur cette parenté d'une manidre fort compromettante pour lui- ‘méme: Dans le eas présent, Cest bien & I’athgisme que cette philosophic est parvenue: elle a déterminé I'ultime, I'actif efficient comme matitre, nature, etc, On peut dire que c’est en somme du spinozisme, qui met & son ‘commencement a titre de principe ultime I’unité de la substance. 11 en fut ainsi surtout chez les Frangais. Il y a toutefois des exceptions, tel Rousseau: sa Profession de foi d'un vicaire contient tout-d-fat le théisme..." Dans l'ensemble, c’est bien une philosophie matérialiste qui produit les sources lointaines de la Révolution frangaise. Mais attention! Ce constat ne contredit d’aucune maniére l'idéalisme hégélien! D'une part, matérialistes ou non, c'est toujours d'idées qu'il s'agit, et les idées matérialistes ne sont pas pour autant matérielles! C’est une philosophie, une doctrine matérialiste qui a changé le monde! L'efficacité de ces idées, de cette doctrine, engagées dans le mouvement objectif de la Révolution frangaise, est un témoignage de la validité de I'idéatisme, D’autre part, Hegel montre comment, son avis, les conceptions maté- rialistes dérivent du développement propre de esprit, dont elles constituent, une étape, et dont elles représentont uno figuro, parmi toutes celles qui se suecedent nécessairement en lui. Pour Hegel, dans l'histoire de la pensée, rien n'est jamais perdu. Nichts it verloren! On le voit, la maniére hégélienne de comprendre le rapport du matéri lisme et de la Révolution francaise retrouve A certains égards celles de Portalis et de Damiron, Mais elle les contredit aussi, et sur des points déci elles 1mémes fort varies. Larécupération de Pidéalisme Un motif de la divergence des opinions considérées se trouve dans la déter- ‘mination, elle-méme variable, de ce qu’est un philosophe matérialiste. Pour que Mallégation d’une influence réelle du matérialisme gagne quelque con- sistance, il faudrait que les matérialistes accueillent dans leur chapelle maté- Tialiste, si l'on ose dire, des penseurs qui ne furent matérialistes que pour lune part, et méme parfois, involontairement et par surprise = de drdtes de Paoissions! En cherchant bien, et avec une intention d’évietion ou au contraire de Fécupération, on découvrirait des éléments de matérialisme chez tous les * Ibid, p. 1720, mm. Tacques d'Hondt philosophes, comme aussi, complémentairement ou contradictoirement, des léments d'idéalisme. Toute la difficulté est celle de la proportion, On a dit de Paul Claudel que si on le coupait en morceaux, chaque mor: ceau serait catholique. Tous les chrétions n'offrent peut étre pas une telle homogénéit, Et les matéralistes? Il serait téméraire de déterminer péremptoiroment qui état et qui n’était ‘pas matérialiste, dans la période qui a précedé la Révolution, alors que les Philosophes ne s'intéressaient pas spécialement & une appellation qui 1'avait dailleurs pas d’usage trés répandu. Elle ne correspondait gure, en tout eas, & ce que nous en retenons maintenant. Rousseau était-il matérialiste ou spiritualiste? On cite la Profession de ‘foi du vicaire savoyard: je suis oiseau, voyez mes sles! Euit-il matérialiste? On ouvre & Ja bonne page le Discours sur l’inéga ixé: La métallurgie et Tagriculture furent les deux arts dont invention produisit ceite grande révolution. Pour Te podte, c'est I’or et l'argent, mais our le philosophe ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes, et perdu le genre humain..." ” Et voici Poiseau devenu souris! Ouant & Voltaire, M. Deprun a mis lumineusement en évidence ses va- Fiations, ses ambiguités, partisan qu’il était certes de ,|’Ame matérielte mais en méme temps, confiant en la justice d'un Etre supréme ,xrémunérar ‘eur et vengeur", et cherchant entre ces attitudes différentes un difficile compromis qui ménage une cohérence. Sion estime, avec Olivier Bloch, que ,ce qu'il y a de proprement max ‘érialiste, c'est en effet une critique radicale des notions clefs de la tradition religicuse ot métaphysique ... le Dieu eréateur et ime immortelle *, alors Hegel lui méme devient fort suspect, ui qui critique sans cesse la représen tation de la Création et dont il n’est rien moins que sar qu’il conctde que que immortalité aux ames individuell Malgré cela, il est difficile de voir en Hlegel autre chose qu’un idéalist, comme il est impossible de ne pas reconnaftte des spiritualistes en Portalis et Damiron, C'est donc lidealiste Hegel! qui soutient que le matérialisme, le natura lisme, V'athéisme ont, pour une part du moins, et importante, suscité une aé- volution sociale, politique et culturelle qu'il approuve globalement, Et il leur en fait gloire! 11 invite les matérialistes du XVII¢ sigcle & entrer, en {grande pompe, dans le Panthéon des hommes illustres de Ia Révolution, Mais quelle surprise! 2 Rousseau, Burres completes, coll Pléiade, tome Hl, p. 171 0, Bloch, Le matérialisme, coll, Que ssis-je, p. 72 i | Matérialisme, lalisme et Révolution frangaise mm Voila nos materalistes tout ébaubis, rouges de confusion! Leur réponse se perd dans un balbuticment & peine audible! ,Vous étes trés aimable, cher ‘Monsieur Hegel, mais vous faites erreur sur nos personnes, vous nous faites trop d’honneur! Nos idées n’ont ni le mérite ni I'efficience que vous leur attribuez, Elles ne sont que bien peu de chose. Nous déclinons votre offre de participation a l'histoire: nous n'y sommes pour rien! Celloci serait tout- a-fait In méme si nous n’avions ni écrit, ni existé. Nous ne sommes que les refles, déformes et inertes d’une existence sociale qu se joue sans nous, [Et méme si nos idées produisaient quelque effet, ce serait d’une maniére tout A fait étrangire & leurs intentions, et comme par inadvertance. Quand nous recourons tout de méme aux idées pour expliquer les choses, il s'agit d'idées sans racines" Quelle humili! ; : ‘Quel paradoxe! L"idéaliste dote les idées matérialistes d'une efficac cexorbitante; le matérialisterenie ses propres idées! Z Ce paradoxe, concernant Influence du matérislisme sur la Révolution frangaise nous renvoie & l'un des autres problémes laissés de cOté au début: le probl&me de I'influence de la Révolution sur le matéralisme. ‘Abin des 6gards, le matérialisme tel qu'il se présentat en France 2 la fin du XVIIle sidcle n’a pu soutenir le choc de la Révolution, qu’il avait pouriant contribué & préparer. Il est tombé avec la Bastille, il a volé en éclats, Encore présent chez certains représentants ~ nobles ou roturiers aux Elats Généraux, il a bient6t fléchi devant le mysticisme idéaliste des grands révolutionnaires. ; ne pouvaient se confier & une doctrine qui réduisait absurde- té, Ia spontanéité humaine, ou bien qui en rendait si mal 274 Jacques d’Hondt vant ce programme qu’Olivier Bloch, dans son ouvrage sur Le matéria- lisme, trace pour eux, comme une condition de leur survie : II ne saurait tre question de njer les déterminations objectives que la science dézage dans le monde dés choses, celles que celui-ci impose au monde des hom. mes, et qui régissent ce dernier, mais il doit y avoir place pour la compré- hension, dans le domaine des choses, de la contingence, du possible, du probable, et de la naissance de "ordre & partir du désordre, et, dans le domaine humain, pour la comprehension de la subjectvite, de initiative et des choix individuels et historiques."* Pourtant, quand nous entendons des philosophes ou des historiens maté- rialistes multiplier et affiner des explications et des élucidations souvent admirables, & l'occasion du bicentenaire de la Révolution frangaise, il nous arrive d’éprouver le sentiment que pour faite leur histoire matérialiste de la Révolution francaise, il leur reste & continuer la révolution permanente de leur matérialisme.

You might also like