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ANNEXE VI séminaires Le désir et son interprétation (CE Bullen de psychologic, XIII 5, n°I71 et XIII 6, n°172, 1959-1960. Au centze de la psychanalyse comme trai- tement et comme théorie, nous trouvons le désir. Clest dans les mécanismes du désir que Freud a vu Ie ressort des symptémes, des inhibitions, de V'angoisse ; et, sous le nom de libido, ila désigné I’énergie psychique du désir. Or cette libido, il est frappant de voir un auteur comme Fairbairn la définir comme «object-secking », a la recherche de objet et_non plus du ‘plaisir, « pleasure-seeking », Glissement significatif : dans toute la concep- tualisation actuelle, le mot méme de désir est comme voilé. Que gagne-t-on a le réintroduire? IL suffira que nous parlions par exemple de désir génital au liew d'objet génital pour que T'idée d'une libido lige A objet par une sorte d'harmonie préétablie et vouée demblée a la réalisation de l'unité de l'amour et du désir, devienne beaucoup moins évidente, Autre exemple : le phénoméne de transfert est aujourd'hui trop souvent masqué par une ré- férence molle au terme daffectivité qui or- donne son imprécision en deux séries, posi- tive et négative, de sentiments ; mieux vaut parler de désir sexuel, de désir agressif a Vendroit de V'analyste et s'apercevoir que ce n'est pas 1a tout le transfert. Sur Ia nature du désir, si nous ne cher- chions a rester au plus prés de Texpérience analytique, il conviendrait dinterroger les podtes. 11 témoignent en effet du rapport profond entre Ie désir et Ie langage en méme temps quills montrent —ce qui doit aussi retenir T'ana- lyste — & quel point le rapport poétique au désir s'accommode mal de Ia peinture de son objet : le désir est micux évoqué par Ia poé- sie dite métaphysique (lire The exstasy, de John Donne) que dans la poésie figurative qui prétend Ie représenter. Et les philosophes? Nous rencontrons dabord la tradition hédoniste qui admet Jacques LACAN Compte rendu de J-B. PONTALIS Legons des 12, 19,26 novembre 3. 10, IF décembre 1953, 7 janver’ 1950 — pour reprendre la distinction entre « pleasure- seeking » et «, isolé, ne veut rien dire. Ce qui est en cause, c'est & proprement parler une 267 Glision de signifiant, c'est elle qui produit un effet de signifié, ce que nous avons appelé un effet de métaphore. Prenons maintenant exemple des « reves denfants », ces réves qui donneraient un pre- mier état “du désir dans le réve. Le réve ne connaissant alors pas de déformation (Entstellung), le désir irait 14 tout droit. Qu’on veuille bien se référer au réve célebre de la petite Anna Freud (Traumdeutung, ch. I, p.100, &4. fr.) en réaction contre « la police sanitaire’ de la mai- son». On peut parler & son propos de nudité du désir, mais il faut ajouter que le mode de révélation est ici inséparable de la nudité elle- méme. Le réve d’Anna est articulé & haute voix pendant Ie sommeil ; les images du réve trou- vent un affixe symbolique dans ces mots ot nous voyons le signifiant se présenter & Tétat floculé, “dans une séquence oi le choix des ns nest pas indifférent ; il représente en effet tout ce qui a été interdit a la petite ‘Anna, commun dénominateur qui introduit une uunité dans la diversité en méme temps que la diversité désigne ici V'unité. En note, Freud cite un proverbe apporté par Ferenczi : «le cochon reve de glands, Voie de mais»: il y a ici uunité lective de la satisfaction du besoin. Alors que dans le réve d’'Anna —et cest ce qui fait sa valeur exemplaire aux yeux de Freud — le signifiant est présent; le réve se présente «éralement comme un message: Anna Freud Slannonce, produit sa séquence, on s'attend presque ace quelle achéve en disant: terminé! Hl convient ici de distinguer entre la directive du plaisir et celle du désir. On con- ait Tusage que fait Freud de la notion de Vorstellung (représentation) dans ses. premiers schémas. Lorsque le processus primaire est seul en jeu il aboutit & 'hallucination par un proces de régression topique. Si Tissue vers Ia motilité ne se séalise as, il y a régression et apparait en P une Satisfaction hallucinatoire qui est une Vorstellung. Ce qui est ici défini, cest done tout autre chose que Ie besoin qui exige lui, pour etre satisfait, le processus secondaire. Ou situer Finstinct @ partir d'une telle bipartition? En effet, les recherches modernes sur instinct. montrent comment une structure —pas absolument préformée, mais capable d'en- gendrer sa propre chaine — dessine dans le éel des chemins vers des objets qui n'ont pas encore été éprouvés: ce que I’éthologie appelle le stade appétitif puis le mécanisme de déclenchement spécialisé (LRM., innate realising mechanism), La conduite hallucinge lige au processus primaire se distingue radicalement d'une telle conduite d'autoguidage. Métaphoriquement, on Peut se représenter la conception de Freud ainsi: une lampe s‘allume dans la machine quand Ja bille tombe dans le bon trou, 2 383 ——————— ANNEXE VI 268 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE savoir celui ob elle est déja tombée ; Vallu- mage de cette lampe donne droit & une prime et crest cela le-principe de plaisir. Mais pour {que la prime soit honorée, il faut une certaine Féserve de sous dans la machine ct cest 1a Quintervient le processus secondaire. En effet Ta lampe qui s‘allume peut illuminer un objet déja éprouvé, non en montrer le chemin. Cette recherche appartient au processus secon- daire —qui en ce sens joue le role du com- portement instinctuel mais sen distingue en ceci quil constitue une mise a T'épreuve de la réalité de cette satisfaction déja éprouvée. La lettre 52 & Flicss est particuligrement dé- monstrative : Freud y fait Thypothese dune suc- cession dinscriptions (Niederschrift) qui cons~ titue une véritable topologic des signifiants. Il n'y a tien Ia qui resemble A un comporte- ‘ment instinctuel dirigeant Yorganisme dans les voies de la réussite, Bien plus, Ia réalité n'est “saisie » (begreifen) que par la voie d'une Critique récurrente des signifiants évoqués dans Te processus primaire, en les connotant d'indi- ces de réalité qui sont cux-mémes des signi- fiants. Loin qu'il s‘agisse de « prises de vrai » (Wahrnehmung = perception, littéralement prise de vrai) capables de conduite le sujet idéal au réel, c'est a T'inverse le réel qui se trouve pris Gans les « prépositions » (Vorstellung = repré- sentation, littéralement position-devant) du su- jet qui ont une organisation signifiante. Revenons maintenant au réve d’Anna. On voit quil ne dit nullement Ia satisfaction pure ct simple d'un besoin. Il nous introduit & ette autre scene (Andere Schauplatz) qu’évo- que Freud et dont il nous dit qu'elle n'est pas 2 chercher dans un Tiew neurologique, mais dans la structure du. signifiant Iui-méme. Des que le signifiant est donné et que le sujet est défini comme ce qui va entrer dans le signifiant, nous avons une topologie dont il faut et il suffit que nous la concevions comme constituge par deux chaines superposées. ‘Au niveau du réve d’Anna il est vrai quill y a ambigaité, justifiant jusqu’a un certain point 1a diffrence faite par Freud avec le reve de Vadulte. Oi inserire ce que dit Anna? Sur la chaine supérieure ou inférieure de notre schéma? Nous avons noté que la premiére est en poin- tillé —ce qui met en évidence Ia disconti- nuité du signifiant ; la seconde est continue : elle se situe au niveau de la demande et ce ‘qui sy inscrit participe de Iunité de la, phrase les linguistes ont parlé dholophrase. Cest par exemple T'interjection : du pain! au secours! Le besoin s'y exprime de fagon déformée mais monolithique). Quand la foule erie: du pain! tout le poids du message porte sur T'émet- teur; le cri a lui soul suffit @ le constituer, méme sil est & cent bouches, en un sujet unique. Ce n'est déja plus ce qui se passe dans le réve d’Anna: le sujet n'y est pas constitué dans et par la phrase. 354 11 faut distinguer entre le procés de V'énoncé (ligne inférieure) et celui de l'énonciation ligne supérieure), Ce sont 1a deux lignes, non deux fonctions, mais cette duplicité se retrouve dans toute opération de langage. Il faut qu'un pas soit franchi pour que la distinction du je fen tant que sujet de V'énoncé et du je en tant que sujet de T'énonciation soit faite; elle ne Test pas d'emblée. Que I'on songe par exem- ple a cette étape dégagée par le test de Binet : « j'ai trois fréres, Paul, Ernest et moi ». Tl faut ui certain temps avant que Yenfant ne s‘apergoive quil y a dans une telle formule quelque chose qui ne va pas. Le sujet hu- main, quand il opére avec le langage, se compte, Dans le réve d’Anna, Ténonciation se présente comme un empilement, une succes- Sion de métaphores ; mais le je qui s'énonce en se nommant au début de la séquence n'est pas encore authentifie Dans le réve de 'adulte, c'est un fait que le désir prend une forme plus compliquée et que Tinterprétation en est plus difficile. La réponse de Freud est ici sans ambiguité : cela vient de la censure. Lienfant a affaire Tinterdit, au dir que non et tout le proces de Véducation vise & le constituer de telle sorte que la vérité du désir devient a elle seule une offense & Tautorité de Ia loi et que la censure va sexercer aussi sur cette vérité, Ce qui est alors visé, c'est le proces de I'énonciation. Seulement, pour que la censure puisse s'exer- ‘er, il faut bien supposer quelque préconnaissance du proces de T'énoncé, Il y a Ia un paradoxe qui a été souvent noté & propos de la censure, tine contradiction interne, qui est celle du non- dit au niveau de T'énonciation (« celui qui dira telle chose aura affaire 4 moi », moyen pour moi de dire cette chose), Pour surmonter ce paradoxe, il faut com- prendre que le refoulement est lié & la néces- Sité d'un effacement du sujet dans le proces de Ténonciation, Par quelles voies ceci est-il pos- sible? On peut se représenter les choses ainsi toute parole, en tant que le sujet y est impli- qué, est discours de l'Autre, part de A. Crest ainsi que Venfant ne doute pas d'abord quion ne connaisse ses pensées ; la pensée est de Tordre du non-dit, mais le non-dit suppose tune énonciation primordiale. Cette croyance sub- siste aussi Iongtemps que les deux lignes ne sont pas maintenues 2 une certaine distance. Puis Tenfant s'apergoit que Vadulte ne sait pas ses pensées et cest I la voie du refoule- ment. A Texemple de cet Autre, le sujet s'ef- face ; en lui s‘introduit le proces du refoulé. ‘cJe ne dis pas que»: cest Ia phrase que Freud met & la racine de la Verneinung, de la dénégation, quand le sujet se constitue comme inconscient. La fonction du ne dans je ne dis pas met en évidence la propriété Ia plus radi- ale du signifiant qui se présente comme pou- vant étre effacé et qui, dans cette opération GRAPHE J. LACAN deffacement subsiste: Ia trace du pas de Ven- dredi dont Robinson, en Veffagant, fait une croix. Les logiciens, pour étre trop psycholo- ‘gues, ont mangué quelque chose dans la néga- tion, Cest Pichon, qui était un excellent ob- servateur, qui a proposé, touchant la négation, uune distinction utile entre le forclusif et le discordantiel. Dire: «il n'y a personne ici », est une forclusion ; il est exclu quill y ait ici_quelqu'un, Notons qu’en frangais il’ y a toujours deux termes : ne-personne ou ne-rien ow ne-point, etc. Quand au ne livré a lui- méme, tout seul, il exprime Ia discordance ; a savoir quelque chose qui se situe entre le pro- ees de l'énonciation et celui de l'énoncé. Soit Temploi de ce ne qu’on appelle & tort explé- rif; par exemple: je crains quill ne vienne. Le Francais saisit 1a Ie ne dans le moment ot il glisse de l'énonciation vers V'énoneé, du je ne dis pas que je sois ta femme au je ne suis pas ta femme. Bn Anglais, la négation ne peut pas s‘appliquer de fagon’ pure et simple au verbe de l'énoncé. On ne dit pas: I eat not mais I don’t ou 1 won't eat. Ici Vénoncé est amené & emprunter une forme calquée sur celle de Tauxiliaire, qui est typiquement ce qui, dans Vénoneé, est capable dintroduire la dimension du sujet. J won't go, je n'irai pas n'implique pas seulement un fait mais ma résolution de sujet. Nous trouvons ici une trace de ce qui relie essentiellement la négation & l'énonciation. Ces remarques hitives ne sont destinées qu’ montrer comment la négation, dans sa racine linguistique, est quelque chose qui émigre de Ténonciation vers Iénoncé. C'est un tel glissement qu'impliquent les vues de Freud sur la Verneinung. Freud part de ce paradoxe que comporte toute négation dans I’énoncé puisqu'elle pose quelque chose pour le poser en méme temps comme non existant Dans la constitution du sujet, Ia décou- verte que Tautre ne sait rien de ses pensées découverte faite sur le fond qu'il les con- ait toutes puisqu’elles sont structuralement le discours de Autre — est une acquisition déci sive, Crest par cette voie que le sujet va dé velopper lexigence contradictoire du non-dit et trouver le chemin par oi il a a effectuer ce non-dit dans son étre ; devenir un sujet qui a la dimension de l'inconscient. C'est 1a le pas que, dans la connaissance de Thomme, nous fait faire Ia psychanalyse par rapport & la tra- dition philosophique pour qui le sujet est es- sentiellement défini comme le corrélatif de Tobjet de connaissance, sujet-ombre, doublure des objets, —et on oublie le sujet qui parle. Lexpérience analytique ne définit pas Tobjet dans sa généralité comme corrélatif du sujet, mais dans ses singularités comme ce qui sup- porte le sujet au moment ott il a & faire face son existence (au sens radical d'ec-sister dans le langage), au moment oi Tui, comme sujet, doit s‘effacer derritre un signifiant. En ce point LE DESIR ET SON INTERPRETATION panigue, cest a Vobjet de désir quil se. rac- roche. «$i Ton arrvait & savoir ce que TAvare 2 perdu” quand. on Tui a. volé sa cassette, on apprendiait beaucoup » éerit quelque part Simone Weil Mais. peur-ete VAvare estil un person- nage trop ridicule pour nous servir dexemple. Souvenons-nous. plutét de ce passage du film La reste du jew ot Dalio qui collectionne Tes bottes'& musique, montre sa devaitre touvaille iT rougit il seffice, il disparait Ce qui es i Support? par Tobjet de son desir, cest ce quil ne peut dévoiler, flt-ce A lui-méme, cest ce {ielque chose gui est av bord meme di plus grand. secre. ‘Avon certain moment le sujet se trouve engage 3 artculer son vau en tant que sc: ret. Comment peut sexprimer wn tel vou? Bure une belle fille —blonde et populaire Gui mette de la joie dans Tair — et lors. quelle “sourit —donne ‘de’ Vappétit — aux Guvriers “de st, Denis» (7), Sans doute est ce la forme pure du souiaité; il se. pre Senie a Tinfinitf, placé devant le. sujet et le determinant rétroactivement (peut-eue faut comprendre ainsi Ia phrase célebre de la fin Ge ln Traumdeutung. sar le d&sir indestructible gui modele le present A image du passe en fait Te désir serait devant le sujet, produisant toujours rétroactivement les mémes effets). Ob placer le désir? entre ce point sur le- quel nous" avons inssté en palant de Taligntion Gu sujet dans Tappel di Besoin, ct cot auedela ou va sintroduite comme essenille ce que nous avons appelé la dimension. du non-dit. Revenons au réve de apparition du pére mort, Nous pouvons Tinserire ainsi sur notre sehema : Le il ne le savait pas se rapporte & la constitution du sujet: il a & se constituer lui- méme comme ne sachant pas; c'est 18 son issue pour que ce qui est non-dit prenne cf- fectivement valeur de non-dit, Le if était mort est de Tordre de I'énoneé ; mais, notons-le, il suppose une énonciation sous-jacente. (On sait ———— ANNEXE VI BULLETIN DE que, pour tout étre qui ne parle pas, « il était mort > ne signifie rien: témoin Tindifférence immédiate que. portent la plupart des animaux faux cadavres de leurs semblables). Il suppose que le sujet ec-siste dans le signifiant et ne peut plus se concevoir que comme rejaillis~ Sant toujours dans lexistence. Ce réve est celui dun fils qui est la, devant son pere, pénétré de Ia plus profonde douleur. En face de lui nous avons le pere qui ne sait pas qu'il est mort, ou plus exac~ tement, car Timparfait a ici toute son impor- tance, il ne le savait pas (notons en passant qu'un’ sujet qui nous rapporte T'énoncé d'un reve le fait pour que nous en cherchions le sens, done cest bien une énonciation quill nous présente). Dans ce réve nous avons un affect, 1a douleur. Douleur de quoi? qu'il était mort, Et de l'autre cété, il ne savait pas. Quoi? qu'il était mort. doucue | ne vt ps quill était mort | quil était mort (selon son vou) De ce selon son veeu, nous pouvons faire plus d'un usage. Nous pouvons désigner par 1a Ee que le sujet a expressément voulu tandis qu'il soignait son pére. Ou bien le désir infantile de Ja mort du pere (ce désir infantile dont Freud nous dit quil est le capitaliste du-réve et trouve dans le désir actuel son entrepreneur) ; mais, & ce niveau adipien, V'interdiction véhiculée par Te pére fournit au sujet un appui, un alibi, une sorte de prétexte moral & ne pas affirmer son désir. Et interpréter Ie réve & ce niveau ne per- mettrait-il pas au sujet de s'identifier & V'agres- seur, ce qui serait une forme de défense? Nroublions pas que le sujet a vu mourir son pere apres une longue maladie pleine de tourments; il a connu une douleur proche de cette douleur de Texistence quand plus rien ne Thabite que V'existence elle-méme et que tout dans Texc’s de la souffrance tend & abolir ce terme indéracinable qu’est le désir de vivre. La douleur de son pére, le sujet Ia savait, mai ce quil ne sait pas, c'est que cette douleur en tant que telle, il est en train de l'assumer, d'od le son absurde du réve (absurde note Freud, est élément expressif d'une répudiation violente fdu sens désigné). Le sujet peut voir que son pére ne savait pas son veru qu'il meure pour en finir avec ses souffrances ; il peut voir ou non (tout dépend du point de analyse) qu'il a tou- jours souhaité que son pere comme rival meure. Mais ce qu'il ne voit pas, c'est quien assumant Ia douleur de son pére, il vise & maintenir de- vant lui une ignorance qui lui est nécessaire : il n'y a rien, au dernier terme de existence, que Ia douleur d'exister. Le sujet rejette sur Vautre sa propre ignorance. Le désir de mort est ici désir de ne pas s'éveiller au message : par la 356 PSYCHOLOGIE mort de son pare, il est désormais affronté & sa propre mort, ce dont jusque la la présence du pére le protégeait. Plut6t assumer la douleur dexis~ ter (Cf. le ui ovat d’'dipe A Colonne, ne pas are né! seule exclamation que puisse proférer celui dont le seul crime est davoir existé dans son désir) comme étant celle de T'autre que de voir se dénuder ce dernier mystére ; au moment de la mort du pére, le vou de la castration du pare fait retour sur le fils, Le sujet consent & Souffrir a la place de autre ; mais derrigre cette Souffrance, ce qui se maintient, c'est un Ieurre = le meurtre du pere comme fixation imaginaire. Tout ce qui peut ici se définir comme désir dé- terminable est en défaut par rapport a la béance quouvre la mort du pére et qui est ce que Te sujet entend ignorer ; le contenu du selon son veeu — par exemple le désir agressif — apparait ‘alors comme protection. Le selon désigne la né- cessité qui défend au sujet d'échapper & cette concaténation de Texistence en tant quelle est déterminée par la nature du signifiant. "Aussi est-ce autour d'un selon, autour de I'élision d'un pur et simple signifiant que Ie reve gravite. La Verdriingung n'est pas ici refoulement de quelque chose qui se nie ou Se comprenne, mais élision d'une clausule, de ce qui signe T'accord ou la discordance entre Vénonciation et le signifiant. Crest pourquoi nous risquons toujours de donner a la ques tion que pose selon son vu quelque réponse précipitée qui négligerait cette donnée fonda- mentale qui fait de Yobjet de tout désir le support d'une métonymie essenticlle. (On apergoit aussi la fonction de Ia castra- tion pour le désir humain. Le désir est aliéné dans un signe, une promesse, une anticipation qui comporte comme telle une perte possible. Bien des expériences en témoignent — singu- ligrement au détour de 1a puberté (le sujet a il ou non « larme absolue »? et faute de V'avoir, le voici entrainé dans une série didentifications et dialibis) ; ou dans ces cas oii le sujet, quoi- qua portée de latteindre, redoute la satisfaction de son désir: on le voit alors successivement éviter ce qui a toujours été son plus prégnant ésir; non quiil y ait alors simplement crainte du caprice de l'Autre, mais plutot que Autre ne marque ce caprice de signes ; or il n'y a pas de signe suffisant de la bonne volonté du sujet, sinon la totalité des signes oi il subsiste, pas d'autre signe du sujet en définitive que le signe de son abolition de sujet. C'est cela que nous désignons par SCX) . Comme Freud évoque Yombilic du réve, hous pourtions parler dombilication du sujet autour de sorr vouloir. Pour nous T'inconscient freudien ésigne le rapport du sujet au signifiant qui s'or~ ganise et s‘articule a sa place. "Nous avons eu déja l'occasion de citer & propos du désir le terme d'aphanisis (dispari- tion, évanouissement) proposé par Jones et si GRAPHE J. LACAN: LE DESIR ET SON INTERPRETATION an curieusement délaissé par 'analyse. Jones pensait que dans le complexe de castration était en jeu la crainte d'étre privé de son désir. Le terme d'aphanisis Iui permettait de placer sous un dénominateur commun les rapports de homme et de la femme & leur désir; c'était 1 manquer selon nous — comme nous Vavons marqué l'année dernitre — ce quills ont diirréductiblement différent, du fait de leur asymétrie par rapport au signifiant phallus. Quoiquiil en soit, la possibilité de laphanisis ne nous oblige-telle pas & concevoir un sujet qui ec-siste en dehors de son désir, qui a peur que «I'élan vital» ne lui manque et est contraint de tenir compte de ce désir? Crest cela qui nous importe, comme condition de toute la problématique du désir. Pour faire face a cette suspension du désir, Te sujet a devant lui plus d'une astuce, portant essentiellement sur la manipulation de l'objet a. Liinterposition du signifiant rend impossible un rapport immédiat & objet qui se trouve pris, dans la dialectique du sujet et du signifiant (qu'on se souvienne du petit Hans qui, & pro- pos de chaque objet, se demande: a-t-il ou non un phallus?) Liobjet humain subit une sorte de volatisation, par comparaison avec la spécificité, au moins relative, de V'activité ins- tinctuelle. Ceci se vérifie dans le déplacement qui est le moyen pour le sujet de maintenir le fragile équilibre de son désir (alors que pour Yanimal il s'agit seulement d'un déplacement, dobjet en objet) : la satisfaction est empéchée fen méme temps qu'un objet de désir est con- servé, En ce sens In cassette de l'Avare prend une valeur emblématique : le désir subsiste dans une rétention de Tobjet qui ne donne pas d'autre jouissance que d'étre support de désir, son gage, voire son otage. Par cette valorisation qui est aussi volatisation, Tobjet s'arrache au champ pur et simple du’ besoin, ‘Comme solution «ready made» et fic~ tive & la problématique du désir, on pourrait décrire Videntification 4 V'image du pére, pergu comme Gestalt. L'identification n'est alors qu'un cas particulier de Taffrontement ($0a) un moyen pour le sujet de se retenir dans une forme narcissique par l'effet de cette crainte qui le maintient au bord de son propre désir. Si nous revenons maintenant une derni@re fois au réve du pére mort nous le voyons s'ar- cculer ainsi: le il ne le savait pas (ligne su- périeure du schéma) constitue une référence essentiellement subjective ; sont 12 manifestes la profondeur, la dimension du sujet. Le sujet, qui dit que T'Autre ne sait pas se pose, lui, comme sachant. L’Autre dans sa propre posi- tion subjective, est ici en défaut, Sa moins- value ne tient pas & ce quiil soit mort — car Ie simple énoncé de il est mort le fait subsis- ter — mais qu'il Tignore ; bien plus il ne faut pas le lui dire. Ainsi l'ignorance est-elle mise sur I'Autre alors qu'est en cause, comme nous Vavons noté plus haut, 'ignorance du sujet Iui- méme touchant la signification de son réve et surtout Ia nature de la douleur a laquelle il participe, cette douleur de l'existence comme telle quand tout désir s'en efface. Si le sujet assume cette douleur mais en la motivant absurdement de l'ignorance de l'Autre, c'est bien quil se refuse a la prendre sur Iui ‘parce que dans l'agonie de son pére, il a vécu quelque chose qui le menagait Iuicméme. Il interpose done entre lui et cette sorte d'abime qui s‘ouvre chaque fois quill est confronté avec le dernier terme de son existence une image qui sert de support & son désir et qui est a rivalité avec son pére, En faisant revivre celle-ci imaginai- rement, il trouve une mince passerelle grice & quoi il n'est pas directement englouti, Son triom- phe est de savoir alors que PAutre ne sait pas. Mais en fait la mort du pére est ressentie comme la disparition d'un bouclier face au maitre ab- solu, la mort. Le sujet en tant qu'il doit approcher Vobjet le plus élaboré (ce quion désigne fort mal par le concept d'oblativité) se trouve dans une sorte dimpasse. Car il ne saurait atteindre cet objet qu’en risquant sa. propre élision dans la nuit du traumatisme ou en étant subsumé sous un certain signifiant qui est Ie phallus. Dans toute assomption de la position génitale, quelque chose se produit qui a son incidence imaginaire : la castration, Si tout le dialogue entre Freud et Jones autour de Ia phase phallique parait vout au malentendu, c'est que le phallus n'y est pas nettement concu comme soustrait la commu- nauté imaginaire et isolé dans cette fonction privilégiée qui en fait le signifiant du sujet. Nous distinguons deux plans. L'un_im- médiat, qui est celui de Tappel (du pain! au secours!): le sujet est identique pour un mo- ment & son besoin, c'est Ie nouveau quesitif de la demande (quion trouve d'abord articulé dans le rapport de Venfant & sa mere). L’autre est le niveau votif ot le sujet, tout au cours de sa vie, a A se retrouver, a travers tout ce quia échappé a la forme de langage au fur et a mesure qu'elle se développait en transfor- mant, en rejetant ce qui, du besoin tendait & stexprimer. C'est cette articulation au second degré qui est cherchée dans l'analyse. Quand nous parlons de stades oral, anal, nous mar- quons que le sujet est dans un certain rapport avec sa demande. Nous ne faisons pas simple- ment reconnaissance du caractére anal de la demande, nous confrontons le sujet A la struc- ture de sa demande. A ce niveau votif, celui des souhaits inconscients, nous lui apprenons. A parler, a se reconnaitre dans ce qui corres- pond au code & ce niveau, Mais nous ne lui donnons pas pour autant les réponses. Si nous, soutenons 'interprétation entigrement dans ce registre de la reconnaissance des. supports gmifiants cachés dans sa demande, nous ris- quons de produire V'effacement de la fonction ast ANNEXE VI am du sujet comme tel dans la révélation de ce vocabulaire inconscient. C'est bien ce qui se passe dans une certaine analyse des résistan- ces: & le ramener sans cesse au niveau de la demande, on réduit son_désir. Jusqu’a un certain état du développement, le vocabulaire de la demande peut passer par des relations qui comportent un objet amovi- ble (nourriture, excrément). Mais le phallus n'est plus cet objet amovible. Et dans l'achévement génital, la réalisation du désir est ce qui ne peut pas se demander. L’essence de la névrose ow de tout ce qui apparait comme névroti- que chez un sujet— est peut-étre que ce qui est de Vordre du désir s'y formule dans le registre de la demande, Dans sa relation a I'Autre, le sujet cher- che & se faire reconnaitre au-dela de sa de- mande, en un point ott son étre tente de s'af- firmer, au-dela de Vimaginaire od Iui-méme se maintient d'une fagon qui participe des artifi- ces de la défense. La place pour la réponse & ce niveau, nous la désignons par SCA): !Au- te est ici marqué par le signifiant, aboli dans Ie discours. Lianalyse de On bar un enfant (8) éclaire cette sorte de choix crucial & opérer entre la demande et le désir. Le premier temps du fan- tasme, c'est Tinjure narcissique, 1a déchéance totale: le sujet hai est offert en victime au caprice paternel qui vise en lui Tau-dela de toute demande. Le deuxiéme temps —reconstruit, non BULLETIN DE PSYCHOLOGIE rencontré par 'analyste — c'est le masochisme primordial, moment ob le sujet va chercher sa réalisation dans la dialectique signifiante. Quelque chose s‘ouvre en lui qui lui fait percevoir que Crest dans cette possibilité d'annulation subjec- tive que réside son étre, que c'est en la frOlant au plus prés quiil rejoint la dimension dans la- quelle il subsiste comme étre qui peut émettre tun veeu. Quelle est essence du fantasme ma- sochiste? & la limite étre traité comme une chose qui se marchande, se vend, étre annulé jusque dans toute espece de possibilité votive de se saisir autonome. Enfin, dans le troisitme temps, ce qui bat, c'est On, un sujet neutralisé, et ce qui est batty, ce sont beaucoup d'enfants. Aussi, nulle part, le sujet — auteur de, fantasme — ne se situe sans équivoque. Dans le fantasme sadique, l'affect accen- tué porte sur l'image du partenaire, sur I'attente de celui qui va étre battu et ne sait pas comment, il va Vétre. Mais le sujet dans son désir ne se jtue pas plus facilement. Il est entre les deux — celui qui bat et le battu ; sil y a done quel- que chose & quoi il soit identique, c'est a Tins- trument du sévice. C'est sous ce signifiant, ici tout a fait dévoilé dans sa nature de signifiant, quiil peut s'abolir en tant qu'il se saisit dans son @tre essentiel, son désir. N.B. — Les différents symboles utilisés trouvent leur explication dans les cours du com- ‘mentaire des schémas. NOTES ET REFERENCES (1) A Yopposé de cette wadition hédoniste des philoso- pes, on ne wouverait guére que Spinoza: le désir est essence meme de Thomme. Life Spinoza & la lumiere de cce que Texpérience freudienne a apporté touchant le rap- port de Thomme & lui-méme ne manquerait @ailleurs pas Simteret. (2) «Le désir repose sur Ia tendance dont il est un cas paniculier et plus complexe. Il soppose dautre part & {a volonté (ou a la vobtion) en ce gue celle-ci suppose de plus 1° Ia coordination du moins momentanée. des tendances. 2° Topposition du sujet et de Tobjet. 3° la conscience de sa propre efficacité 4° la pensée des rmoyens par lesquels se réalisera la fin voulue » (G)__Autrement dit un signifignt que les linguistes déti- nissent par la classe du shifter, & savoir une forme de symbole 8 prévaut, au dépens’ de toute référence lexi- tale, une référence & T'énonciation du message ct 2 ses oordionnées (attribution, date). Le terme, apporté par Tespersen, a é1€ mis en ceuvre par Roman Jakobson. (@)" Peut-on de cette duplicité —manifeste dans «Je dis 338 ct je le réptte » — faire le critire dune intégration & la [pafole? Le champ enter de Taction humaine en serait dis ots margus. Bornons-nous a rappeler quil nest sans doute ppas de geste qui ninvogue sa place dans un rituel, 2 sa- ‘oir une articulation symbolique; et soulignons la porté= ‘de ce moment ol Taction, « prenant acte » delle-meme, ‘insert manifestement dans un contexte symbolique (5) Freud (S). — Die endliche und die unendliche Analyse. Trad. fr. in Rev. fr. Psychanal. 1939, 2°1, p37. (6) “Article non aduit en francais. GW. VIM, p.279-238, SE XM, p55, Le réve figure dans les éditions de la ‘Traumdeutung postéricures a 1911. (Trad. fr. Meyerson 318) dabord en note, puis incorporé au texte (7) Lise Deharme. Le potme sintitale Vaur secrets. (8) Freud (S), — « Ein Kind wird geschlagen », 1919, ‘Trad. fr. in Rev. fr. Prychanal., 1933, 2°3-4 Cf. Le commentire quien a été donné par J. Lacan au cours du séminare 1957-8 dans notre compte-rendu pu- big in Bullerin de Psychologie.

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