Ouverture Politique Et Libération de L'esprit

UFR : Sciences Sociales et Humaines
UJLOG
Octobre - Novembre - Decembre 2017 Université Jean Lorougnon Guédé de Daloa
Vol. 2 - N°3, 2017
Revue du Laboratoire des Sciences Sociales et des Organisations
UFR : Sciences Sociales et Humaines
Revue du Laboratoire des Sciences Sociales et des Organisations

Octobre - Novembre - Decembre 2017 Université Jean Lorougnon Guédé de Daloa
Vol. 2 - N°3, 2017
UJLOG
ISSN 2434-561X
Laboratoire des sciences sociales et des organisations
Laboratoire des sciences sociales et des organisations

9 772434 561006
LONNIYA
Revue du Laboratoire des Sciences Sociales

et des Organisations
de l’Université Jean Lorougnon Guédé de Daloa
Sciences Sociales et Humaines
Vol. 2 - N°3 - 2017
ISSN : 2434-561X
Université Jean Lorougnon Guédé de Daloa

LONNIYA
Revue scientiique
Sciences Sociales et Humaines
Vol. 2, n°3, 2017

Octobre - Novembre - Décembre 2017
Dépôt légal : Troisième trimestre 2017
© UJLOG 2017
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation

réservés pour tous les pays.
Côte d’Ivoire
Maquette et mise en pages :

ISSN : 2434-561X
DIRECTEUR DE PUBLICATION
Prof. KONE ISSIAKA,
Professeur Titulaire de socio-anthropologie des organisations
Doyen de l’UFR : Sciences Sociales et Humaines de l’Université

Jean Lorougnon Guédé Daloa, BP 150 Daloa
Directeur du Laboratoire Interuniversitaire des Sciences Sociales et
des Organisations
REDACTEUR EN CHEF
Dr. Guéhi Zagocky Euloge
REDACTEUR EN CHEF ADJOINT

Dr. Goin Bi Zamblé Théodore / Dr Mazou Hilaire
Correspondance : www.lasso-ci.com
E-mail : eulogemomo@yahoo.fr
goinbited@gmail.com
koneissiaka2@yahoo.fr
hilairemazou@yahoo.fr
COMITE SCIENTIFIQUE INTERNATIONAL
Présidents d’Honneur
Professeur KOUAKOU N’GUESSAN FRANÇOIS,
Académicien (ASCAD), Professeur Titulaire (Emérite) Sociologie/
Anthropologie, Président Honoraire de l’Université de Bouaké
aujourd’hui Université Alassane Ouattara
Professeur TIDOU ABIBA SANOGO, Professeur
TitulaireHydrobiologie/Ecotoxicologie
Présidente de l’Université Jean Lorougnon Guédé de Daloa,
Présidente de l’Association des Femmes Enseignantes-Chercheures
de Côte d’Ivoire
Membres
- Pr. Mouckaga Hughes, Histoire ancienne, Université

Oumar Bongo, Libreville, Gabon
- Pr KARIM traoré, african studies,
Mande studies association, university of Georgia
- Pr. Nouhouayi Jovite Albert, Sociologie et Philosophie,
Université d’Abomey-Calavi, Benin
- Pr. Tingbé-Azalou Albert, Sociologie, Université
d’Abomey-Calavi, Benin
- Pr. Maïga Alkassoum, Sociologie, Université de
Ouagadougou, Burkina Faso
- Pr. Ibo Guehi Jonas, Environnement, Université d’Abobo-
Adjamé, Côte d’Ivoire
- Pr. N’goran Kouakou François, Sociologie et
Anthropologie, Université Alassane Ouattara de Bouaké,
Côte d’Ivoire
- Pr. Koné Issiaka, Sociologie et Anthropologie, Université
Jean Lorougnon Guédé de Daloa, Côte d’Ivoire
- Pr. Andji-Yapi Yao Jonas, Représentant de l’AUF, Côte
d’Ivoire
- Pr. Tamba Moustapha, Sociologie, Université Cheick Anta
Diop de Dakar, Sénégal
- Pr. Koné Tidiani, Hydrobiologie, Université Jean
Lorougnon Guédé de Daloa, Côte d’Ivoire
- Pr. Brou Emile Koi, Géographie, Université Alassane
Ouattara de Bouaké, Côte d’Ivoire
- Pr. Dedy Seri Faustin, Sociologie et Anthropologie,
Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, Côte
d’Ivoire
- Pr. Azoumana Outtara, Philosophie, Université Alassane
Ouattara de Bouaké, Côte d’Ivoire
- Pr. Yahaya Diabi, Communication, Université Félix
Houphouët-Boigny de Cocody, Côte d’Ivoire
COMITE DE LECTURE INTERNATIONAL

- Kouaro Ouassa Monique (Maitre de Conférences)
Sociologie. Université d’Abomey-Calavi (Benin)
- Nassa Dadié Axel Désiré (Maitre de Conférences),
Géographie, Université Félix Houphouët-Boigny de
Cocody (Côte d’Ivoire)
- Vanga Adja Ferdinand (Maitre de Conférences) Sociologie
et Anthropologie. Université Péleforo Gon Coulibaly
Korhogo (Côte d’Ivoire)
- Imorou Abou Bakari, (Maitre de Conférences), Sociologie
et Anthropologie, Université d’Abomey-Calavi (Benin)
- Gbémou Kokou Mawulikplimi (Maitre de Conférences)
Sociologie. Université de Lomé (Togo)
- Hetcheli Kokou Folly Lolowou (Maitre de Conférences)
Sociologie. Université de Lomé (Togo)
- Dodji Hypolithe Amouzouvi (Maitre de Conférences)
Sociologie. Université d’Abomey-Calavi (Benin)
- Kibora Ludovic (Maitre de Conférences) Anthropologie.
Centre National de Recherche Scientiique et
Technologique (Burkina Faso)
- Palé Augustin (Maitre de Conférences) Anthropologie.
Centre National de Recherche Scientiique et
Technologique (Burkina Faso)
- Paterne Mambo (Maitre de Conférences Agrégé) Droit.
Université Jean Lorougnon Guédé de Daloa (Côte d’Ivoire)
- Kouakou Augustin (Maitre de Conférences Agrégé)
Sciences économiques. Université Jean Lorougnon Guédé
de Daloa (Côte d’Ivoire)
- Gnabro Ouakoubo Gaston (Maitre de Conférences)
Histoire. Université Péleforo Gon Coulibaly Korhogo
(Côte d’Ivoire)
- Edinam Kola (Maitre de Conférences) Géographie.
Université de Lomé (Togo)
- Fourn Elisabeth (Maitre de Conférences) Sociologie.
Université d’Abomey-Calavi (Benin)
- Gueu Dénis (Maitre de Conférences) Sociologie/
Criminologie. Université Félix Houphouët-Boigny de
Cocody (Côte d’Ivoire)
- Zerbo Yacouba (Maitre de Conférences) Histoire et
Archéologie. Université Ouaga I Professeur Joseph Ki-
Zerbo (Burkina Faso)
- Fatoumata Badini / Kinda (Maitre de Conférences)
Sociologie. Université Ouaga I Professeur Joseph Ki-Zerbo
(Burkina Faso)
- Pohor Rubin (Maitre de Conférences) Sociologie.
Université Alassane Ouattara Bouaké (Côte d’Ivoire)
- Akafou Dofou Sélastique (Maitre de Conférences)
Génétique et Amélioration des plantes. Université Jean
Lorougnon Guédé de Daloa (Côte d’Ivoire)
- Kouassi Kouakou Lazare (Maitre de Conférences)
Hydrologie-Sédimentologie. Université Jean Lorougnon
Guédé de Daloa (Côte d’Ivoire)
- Traoré Karidja (Maitre de Conférences) Botanique.
Université Jean Lorougnon Guédé de Daloa (Côte d’Ivoire)
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publié
SOMMAIRE
1- KONE Issiaka, CAMARA Oumar
Crise postélectorale et efritement de la cohésion sociale
en Côte d’Ivoire : une étude à partir de la catégorie
des jeunes des villages Ebrié d’Abobo..........................11-31
2- KOUKOUGNON Wilfried Gautier,
LOBA Akou Don Franck Valery
Les stations de lavage auto, une activité pourvoyeuse
d’emplois dans la commune de Yopougon
(Abidjan)................................................................................33-65
- N’DA Kouassi Pékaoh,

Organisations paysannes et sécurité alimentaire
dans le département d’Abengourou ..............................67-86
- GUIPIÉ Gérard Eddie Marc,

Les Forces Armées de Côte d’Ivoire à la croisée
des chemins : entre déis sécuritaires et nécessaire
recomposition.....................................................................87-115
5- KRA Adingra Magloire,

Les Bron d’Hani et le processus de fondation du royaume
Koulango de Nassian au XVIIIE siècle....................117-136
6- ADOUBI Thierry Hugues, DEA Lékpéa Alexis,

Ouverture politique et libération de l’esprit
en Côte d’Ivoire : la percée fulgurante du pentecôtisme
ivoirien de 1990 à nos jours........................................137-159
7- SANOGO Yanourga Moussa,

Les intérêts de la protection des indications
géographiques dans l’espace OAPI..........................161-159
8- Fulbert TRA, Abel K KONAN,
Les déterminants sociaux de la dégradation des forêts
sacrées de la ville de Kounahiri..................................181-223
9- NGAWANDJI Brigitte Nicole,

Glissements de terrain et notion d’instabilité
des pentes dans la zone périphérique de Libreville :
Quartier PK6....................................................................225-253
ÉDITORIAL
L
’Afrique, le continent aux
55 Etats caractérisés par
la pérennisation des tra-
ditions, des us, des coutumes,
la perpétuation des pratiques
culturelles, sociales, politi-
ques et économiques. Les
dynamiques qui se dégagent
de ces modus vivendi seront
questionnées par l’islamisa-
tion, la christianisation, la
traite des esclaves, la colo-
nisation, les luttes d’indépen-
dances, les programmes
d’ajustement structurels
inadaptés, les sempiternelles bref, l’Afrique est passée par
crises politico économiques, ces étapes qui ont produit des
les bouleversements des mutations diverses.
équilibres sociaux, la crise du
lien social. Les vissicitudes de Aujourd’hui il est ques-
la vie dans un espace urbain, tion de commerce équitable,
rural, les avatars de choix d’alter mondialisme, de chan-
politiques et économiques gement climatique, de déve-
inadaptés, la migration, les loppement durable, en un mot
problèmes fonciers, l’accès de bonne gouvernance. C’est
à l’eau potable, la santé, dans ce contexte que la Revue
l’éducation, les religions, la ʺLonniyaʺ la connaissance,
mondialisation, la mauvaise (le savoir en langue malinké)
gestion de la biodiversité du Laboratoire interuni-
et de l’environnement, les versersitaire des Sciences
efets induits et pervers du Sociales, et des Organisations
changement climatique et (LA.S.S.O), dans une appro-
du réchaufement de la terre che pluridisciplinaire des
9
sciences sociales, des scien- cheurs vont ouvrir la voie
ces humaines, en un mot des à d’autres pistes, axes
sciences tout court, se propose de rélexion et domaines
de mettre à la disposition de plus ou moins complexes
tous les résultats des études implémentant le secteur de
capitalisées par lui. la recherche fondamentale,
la recherche action, voire la
Gageons que les investi-
recherche développement !
gations et articles des ensei-
gnants chercheurs et cher- Professeur Koné
10
OUVERTURE POLITIQUE ET LIBÉRATION
DE L’ESPRIT EN CÔTE D’IVOIRE : LA PERCÉE
FULGURANTE DU PENTECÔTISME IVOIRIEN
DE 1990 À NOS JOURS
ADOUBI Thierry Hugues1, DEA Lékpéa Alexis2

1-Université Alassane Ouattara de Bouaké, departement d’histoire
2-Université Lorougnon Guédé de Daloa,
departement d’histoire
Résumé
Le pentecôtisme tire son origine des exercices spiri-
tuels de Charles PARHAM, en 1901. Très vite cette spiri-
tualité nouvelle se répand un peu partout dans le monde.
En Côte d’Ivoire, ce mouvement commence véritablement
son action à partir des années 90 suite aux grands boule-
versements opérés par l’avènement du multipartisme. Son
inluence grandit avec l’accession de Laurent Gbagbo, un
pentecôtiste, à la magistrature suprême. Le pentecôtisme va
impacter considérablement la Côte d’Ivoire tant au niveau
politique qu’au niveau religieux. Sa présence quasi-totale
en Côte d’Ivoire propulse ce mouvement au rang des ac-
teurs clefs de la vie religieuse ivoirienne.
Mots clés : Pentecôtisme, pentecôtiste, prospérité, pasteur,
culte, temple.
Summary
Pentecostalism originated in the spiritual exercises of
Charles PARHAM in 1901. Soon, this new spirituality is
LONNIYA, Revue du Laboratoire des Sciences Sociales et des Organisations
Octobre - Novembre - Décembre 2017 - Vol. 2 - N°3 - 2017 137
Ouverture politique et libération de l’esprit en Côte d’Ivoire :
la percée fulgurante du pentecôtisme ivoirien de 1990 à nos jours.
spreading all over the world. In Côte d’Ivoire, this move-

ment really begins its action from the 90s following the
great upheavals brought about by the advent of the mul-
ti-party system. His inluence grew with the accession of
Laurent Gbagbo, a born again, to the supreme magistracy.
It will have a signiicant impact on Côte d’Ivoire, both
politically and religiously. It’s almost total presence in the
Coast propels this movement to the rank of the key actors
of the Ivorian religious life.
Keywords : Pentecostal, Pentecostal, prosperity, pastor,
worship, temple.
INTRODUCTION
Le pentecôtisme, une des ramiications récentes du
protestantisme, tire son origine des exercices spirituels de
Charles PARHAM et de William SEYMOUR, en 1901.
Très vite cette spiritualité nouvelle se répand partout dans
le monde1. En Côte d’Ivoire, ce mouvement qui s’annonce
déjà sous des préformes variées au début de l’ère coloniale,
prend véritablement forme à l’aube de l’indépendance.
Mais il faut attendre le début des années 1990 pour voir ce
mouvement prendre une ampleur considérable au point de
devenir aujourd’hui l’une des principales forces religieuses
1- Le fondateur historique du pentecôtisme fut Charles F. PARHAM,
pasteur de l'Ecole Biblique de Topeka, Kansas, aux U.S.A. Le Saint-
Esprit serait descendu sur lui, à la in du siècle dernier, comme il
descendit jadis sur les apôtres réunis à Jérusalem. Le 3 janvier 1901,
il fonda en Californie de petites "assemblées de Dieu". Un prédicateur
noir, W.J. Seymour, prit la tête du mouvement en 1906. Ces petits
groupes priaient jusqu'à ce que le Saint-Esprit descendît sur eux,
les mettant en extase et leur permettant de prononcer des paroles
incompréhensibles. L'atmosphère surexcitée qui les caractérisait
attira les foules en quête de surnaturel. Ces gens avaient pour mission
de rester idèles à leurs Eglises et d'y introduire les bénédictions de ce
qu'on appelle le baptême du Saint-Esprit. Cf. Gabriel TCHONANG,
L’essor du pentecôtisme : une conception utilitariste du salut en Jésus
Christ, Paris, l’Harmattan, 2009.
138 Octobre - Novembre - Décembre 2017 - Vol. 2 - N°3 - 2017
du pays.
Il est clair que la littérature abonde sur le multipartisme
et sur le pentecôtisme en Côte d’Ivoire. Pris individuelle-
ment, chacun de ces domaines a fait l’objet de plusieurs
travaux parfois hautement scientiiques. Mais une approche
historique du rapport multipartisme-essor du pentecôtisme
reste encore un projet pour l’historien du religieux en Côte
d’Ivoire. Nous estimons que c’est le multipartisme qui a
favorisé l’essor du pentecôtisme en Côte d’Ivoire ; c’est-
à-dire que la libération politique est l’un des phénomènes
à la base de la libération de l’esprit en Côte d’Ivoire. Mais
comment ce processus s’est-il opéré ? C’est à cette question
que tente de répondre cet article.
La réponse à cette question nous commande de re-
courir à une méthode d’approche2. Cette contribution se
situe dans le sillage de la méthode historique tracé par les
maîtres de l’école méthodique, Charles-Victor LANGLOIS
et Charles SEIGNOBOS. Cette approche se résume en
quatre étapes : il s’agit d’abord de rassembler les docu-
ments ; il faut ensuite les traiter par une série d’opérations
critiques (critiques d’authenticité, de restitution, de pro-
venance, d’interprétation et de crédibilité)3. Après quoi
vient le dégagement des faits4, et enin les organiser en un
2- Ensemble des procédés, quant à un objet à étudier, qui permettent
d’atteindre à un résultat dont la clarté et la précision entraînent
l’adhésion. C’est donc un cadre de rélexion, déini par rapport à
l’objet à connaître, lequel, par sa nature, inlue nécessairement sur les
moyens mis en œuvre. Cf. Joachim TCHERO, Cultures et rapports
de force entre les peuples. Les Africains d’hier à aujourd’hui, Paris,
L’Harmattan, 2009, p. 30
3- Charles LANGLOIS et Charles SEIGNOBOS, Introduction aux études
historiques, 1898. Rééd. Paris, Kiné, 1992, version électronique.
Disponible sur www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales/
4- Par fait historique, nous entendons un choix intellectuel relié à
un événement qui s’est réellement passé et qui, en raison de son
importance, a été jugé digne d’être retenu par l’historien parmi tant
d’autres événements.
«corps de science » par la « construction »5. Notre collecte

nous a amené essentiellement vers les ouvrages d’auteurs
antérieurs dont les plus signiicatifs sont ceux de Bony
GUIBLEHON6, Ludovic LADO7, André MARY8, Marie
Miran GUYON9, Cédric MAYRARGUE10. C’est de leur
analyse et critique que nous avons recueilli la trame de
notre argumentation. Cet acquis a été complété par quelques
sources qui nous ont permis de lever un coin de voile sur
les ouvrages d’auteurs.
Nos objectifs sont de deux ordres : général et spéci-
ique. L’objectif général de cette contribution est de mon-
trer l’impact de la mutation politique sur l’évolution des
forces religieuses en Côte d’Ivoire ; les objectifs spéciiques
se déclinent en trois points : d’abord il s’agit de mettre
en évidence les facteurs et les moyens qui ont facilité le
succès de ce mouvement, ensuite consolider l’idée de l’in-
dissociabilité entre politique et religion, enin montrer la
quasi-inluence du mouvement dans certaines sphères de
la société ivoirienne.
Cette étude est construite autour de trois axes princi-
paux : le premier montre les diférentes stratégies utilisées
par le pentecôtisme pour se frayer un chemin dans le pay-
sage religieux ivoirien, le deuxième axe vient conirmer
5- Charles LANGLOIS et Charles SEIGNOBOS, Op. Cit.
6- « Les mouvements pentecôtistes en Afrique » in Débats-courrier
d’Afrique de l’Ouest, n° 56-57, juillet-août 2008, pp 45-50 ; « Les
jeunes et le marché de la spiritualité pentecôtiste en Côte d’Ivoire » in
European Scientiic Journal, vol. 8.
7- « Les enjeux du pentecôtisme africain », in Etudes, n° 4091, juillet-août
2008, pp. 61-71
8- « Prophètes pasteurs : la politique de la délivrance en Côte d’Ivoire »,
Politique africaine, n° 87, octobre 2002, pp. 69-94
9- Guerres mystiques en Côte d’Ivoire. Religion, patriotisme, violence
(2002-2013), Paris, Karthala, 2015, 268 p.
10- « Les dynamiques paradoxales du pentecôtisme en Afrique
subsaharienne », in Note de l’Ifri, Avril 2008.
la connivence entre le changement politique et essor de

ce mouvement, le troisième axe planche sur la question
de son inluence dans les sphères politique et religieuse
ivoiriennes depuis 1990.
I- Multipartisme et pentecôtisme en Côte d’Ivoire :
une même inalité ?
L’avènement du multipartisme et l’essor remarquable
du pentecôtisme, à partir des années 1990, ne saurait être
une coïncidence ou un simple efet de hasard. Les réalités
sociopolitiques ayant favorisé l’ouverture politique en
Côte d’Ivoire à cette époque, semblent être les principaux
facteurs de la percée pentecôtiste. A voir de près, pentecô-
tisme et multipartisme ivoiriens semblent avoir poursuivi
le même objectif et utilisé des moyens identiques d’ex-
pression.
I.1- Bref aperçu du contexte historique de l’avènement
du multipartisme et de l’essor du pentecôtisme en Côte
d’ivoire
A la proclamation de l’indépendance de la Côte
d’ivoire, en 1960, le mouvement pentecôtiste était presque
inexistant. Sa visibilité ne se fera sentir qu’au lendemain
de l’indépendance avec l’expansion des Assemblées de
Dieu suivies de quelques communautés d’initiatives lo-
cales comme l’Eglise Baptiste Œuvres et Mission d’ins-
piration américaine et l’Eglise Evangélique du Réveil née
d’un schisme évangélique11. Les grandes forces religieuses
étaient donc composées du catholicisme, du protestantisme
méthodiste et évangélique, de l’islam et des religions tradi-
tionnelles locales. Mais à partir des années 90, l’on assiste
à un essor remarquable du mouvement pentecôtiste avec
11- Lékpéa Alexis DEA, Evangélisation et pratique holistique de
conversion en Afrique, L’Union des Eglises Evangéliques du sud-
ouest de la Côte d’Ivoire, 1927-1982, Génève, Globethics, 2015,
p112..
l’apparition sur la scène religieuse de nombreuses commu-

nautés de « Réveil ». Cette montée pentecôtiste a un lien
avec l’atmosphère sociopolitique de cette époque.
En efet, les retombées de la doctrine libérale des an-
nées 80, l’impact du «vent de l’Est», l’inluence du discours
de la Baule12, la in de la guerre, les crises économique et
sociale de la décennie 80-90 sont autant de facteurs13 qui
ont contribué à établir un ordre nouveau en Côte d’Ivoire
à partir de 1990. Cette année marque le début du processus
de démocratisation de la Côte d’Ivoire qui renoue avec
le multipartisme. Cet ordre nouveau va sonner le glas de
l’idéologie «monopoliste» instaurée à l’aube de l’indépen-
dance : monopole politique avec le parti-Etat, le PDCI. Ce
renouveau politique va aussi favoriser une sorte de «libéra-
lisation» du marché religieux14, qui jusque-là était dominé
par le catholicisme, le protestantisme et l’islam. Le bou-
leversement des années 90 n’a pas que des conséquences
politiques, mais aussi religieuses par le renouvèlement et
l’élargissement de l’ofre religieuse. Cette situation nou-
velle augmente les possibilités de nouvelles appartenances
12- Ce discours marque une date importante dans les relations entre
la France et l'Afrique. 37 pays africains étaient invités à La Baule
en 1990. Selon Roland Dumas, ce discours se résume ainsi : « Le
vent de liberté qui a soulé à l'Est devra inévitablement souler un
jour en direction du Sud (...) Il n'y a pas de développement sans
démocratie et il n'y a pas de démocratie sans développement ». Cf. La
polii ue af icaine de la F ance, Rapport d'information de Josselin de
Rohan au Sénat le 28 février 2011.
13- Pour en savoir un peu plus sur les facteurs explicatifs du retour au
multipartisme, il faudra lire : LOUCOU Jean-Noël, Le retour au
multipartisme, Ed. Neter ; YAO Kouassi, « La vie politique en Côte
d’Ivoire : de l’instauration du multipartisme a l’accord de Marcoussis
(mai 1990 à Janvier). » in Revue Ivoirienne d’Histoire, n° 22, 2013,
pp. 122-134
14- Bony GUIBLEHON, « Les jeunes et le marché de la spiritualité
pentecôtiste en Côte d’Ivoire » in European Scientiic Journal, vol.
8, p. 2.
religieuses et permet l’apparition de nouveaux mouvements

dans l’animation de la vie religieuse ivoirienne. Proitant
de cette situation très favorable, le mouvement pentecôtiste
va tisser sa toile et mettre à mal la quasi domination des
groupes religieux précédents.
I.2- Une volonté commune de rupture
En 1960, quand la Côte d’Ivoire accède à l’indépen-
dance, son choix politique et religieux est sans équivoque :
elle opte pour le pluralisme politique et religieux. Ce choix
est précisé par l’article 2 de sa Constitution en ces termes :
« La République de Côte d’Ivoire est une et indivisible,
laïque, démocratique et sociale15 ». Par ce choix, l’Etat ne
doit pas être un frein ou un obstacle à l’implantation et à
la libre pratique cultuelle. En même temps, il doit garantir
la liberté politique.
Mais pendant les trente premières années d’indépen-
dance, le pays a vécu une sorte de dictature avec un parti
unique, sous la houlette d’un homme, le Président Félix
H. Boigny. Son choix religieux a favorisé plus que tout
le catholicisme, sa religion. Dans l’incapacité de faire du
catholicisme une religion d’Etat, Houphouët-Boigny favo-
rise cette religion qu’il avait embrassée dès l’âge de 10 ans
avec son baptême du nom de Félix16. Pour s’en convaincre
il n’est que d’observer les faveurs exceptionnelles faites au
catholicisme : la nomination dans son premier gouverne-
ment, de nombreux cadres catholiques aux hautes fonctions
de l’Etat17 ; la construction de la plus grande basilique du
15- Cf. Constitution de la République de Côte d’Ivoire du 31 octobre en

son article 2
16- Félicien COULIBALY, « Houphouët-Boigny, le pouvoir politique
et les religions en Côte d'Ivoire: 1960-1990 », article disponible sur
www.e-pe iodica.ch en version Pdf.
17- Ernest YAO BI, Côte d’Ivoire. Un siècle de catholicisme, Abidjan, Ed.
du CERAP, 2009, p. 121
monde pour le catholicisme. Dans ce cas de igure, il était

vraiment diicile à d’autres groupes religieux d’avoir du
succès en Côte d’Ivoire. En témoigne l’Eglise du Fours-
quare qui a traversé des diicultés qui ont failli la faire
disparaître du sol ivoirien à la in des années 198018.
Le bouleversement des années 90 est apparu comme
une boufée d’oxygène pour ces groupes religieux et une
occasion inouïe pour changer cette donne.
I.3- Les moyens identiques d’expression et d’action
La remise en cause du parti unique avec critique acerbe
de tout ce qu’il entraine à savoir la dictature, le régiona-
lisme, constitue l’argument principal de l’opposition poli-
tique qui a favorisé la naissance du multipartisme en Côte
d’Ivoire. A côté de cela, les nombreuses crises inancières
liées à une croissance démographique vertigineuse pour des
ressources très limitées ont favorisé le retour au pluralisme
politique. Les nouveaux partis politiques incarnaient donc
l’espoir de tous les Ivoiriens. Ils le clamaient bien fort à
travers des projets aguichants si bien qu’ils parvinrent à
drainer une partie importante d’une population désemparée
et sans véritable recours.
Tout comme dans ce jeu politique, le pentecôtisme
apparu dans la société ivoirienne en se présentant comme
une panacée à tous les maux qui la ruinaient.
Son discours se fonde quasiment sur la promotion d’un
monde meilleur, un monde sans soufrance. On comprend
dès lors le slogan de l’Eglise Universelle du Royaume de
Dieu qui foisonne un peu partout dans le pays : « Arrêtez
de soufrir ». Cette rhétorique est appelée théorie de la
prospérité ou l’Evangile de la prospérité. S’appuyant sur
18- André MARY, « Prophètes pasteurs : la politique de la délivrance en

Côte d’Ivoire », Politique africaine, n° 87, octobre 2002, p. 76.
des textes bibliques relatifs à la prospérité19, les guides re-

ligieux, dans un but purement anagogique, promettent aux
convertis de les faire vivre « dans ce pays où ruissellent le
lait et le miel » (Dt. 6.3). Le plan de Dieu pour l’homme,
à travers la victoire de Jésus sur le péché, est le bonheur et
non le malheur. Ce plan de bonheur « n’est pas seulement
une afaire de l’au-delà : elle se manifesterait aussi dès
ici-bas dans les richesses, la santé, le prestige, la prospé-
rité, etc.20 » La pauvreté est une malédiction, une œuvre
du diable qu’il faille combattre.
Un autre pan de ce programme est la diabolisation
des génies, des esprits ancestraux, surtout les sorciers21
qui opèrent dans le «monde spirituel». En efet, cette thèse
consiste à attribuer aux forces maléiques, tous les malheurs
qui puissent exister dans la vie d’une personne : chômage,
maladie incurable, stérilité, échec à l’école, envoûtement,
folie, cécité, etc. C’est dans cette optique que le pasteur
KOUAME Gnépé Marius de l’Eglise Foursquare airme :
« Tous les problèmes qui arrivent à un peuple ou à une
personne ont toujours une base spirituelle. Les problèmes
que nous vivons chaque jour ne sont que le résultat de ce
qui s’est déjà passé dans le spirituel22. » Le premier pointé
du doigt est le sorcier, détenteur de la clé du monde occulte
et initiateur des attaques mystiques. Il faut donc se proté-
ger contre ce phénomène sociologique qui occupe, dans la
19- Le terme "prospérité" est couramment usité dans la bible. Cf.

Deutéronome 6.3, Esdras 9.12, 1Maccabées 14.9, 1Maccabées 14.21,
Isaïe 48.18, Jérémie 14.13, Jérémie 29.7, Jérémie 33.9, Malachie 2.5,
Proverbes 3.2, Proverbes 8.18, Tobie 4.19, Sagesse 6.24, Siracide
11.14, Siracide 45.26, Psaumes 72.16
20- Ludovic LADO, Op. Cit., p. 67
21- Bony GUIBLEHON, « Les mouvements pentecôtistes en Afrique »,
Op. Cit., p. 49
22- André MARY, Op. Cit., p. 87

culture africaine, une place de premier ordre23. La chris-

tianisation de la Côte d’Ivoire n’a pas pu faire disparaître
ce phénomène très tôt combattu par les missionnaires et
par le prophète Harris. Cette peur des forces occultes est
à l’origine du refus de certains à posséder un quelconque
bien ou à se rendre au village. Tout l’univers africain baigne
dans ce climat délétère marqué par la peur d’être atteint par
les sorciers ou les forces occultes24. Le diable agit sous plu-
sieurs formes, il est quasi présent dans la vie des hommes,
croit-on dans les milieux africains. Les populations ayant
besoin de délivrance ne peuvent qu’être réceptives aux
discours de libération distillés par les leaders pentecôtistes :
« on comprend alors la force d’impact que ces assem-
blées pentecôtistes peuvent avoir sur des populations qui
éprouvent le besoin d’être délivrées des forces occultes par
la puissance de Jésus, puissance qui s’airmant toujours
davantage dans un afrontement constamment renouvelé
avec la réalité des forces du mal25. »
II- De la conirmation d’une connivence entre le changement
politique et essor du pentecôtisme
II.1- L’arrivée au pouvoir d’un born again : Laurent Gbagbo
et la percée pentecôtiste
Depuis son accession à l’indépendance jusqu’à nos
jours, les politiques religieuses des présidents qui se sont
succédé à la tête de la Côte d’Ivoire ont été inluencées par
leurs appartenances religieuses. Félix HOUPHOUËT BOI-
GNY a favorisé, plus que tout, le catholicisme. Sa « mé-
galomanie religieuse26 » va se traduire par la construction
23- Dominique ZAHAN, Religion, spiritualité et pensée africaines, Paris,

Payot, 1970, p. 144
24- Norbert ABEKAN, Mon combat contre le diable
Op. Cit., p. 49
26- Expression empruntée à Félicien Navigué.
d’une somptueuse basilique. Ses successeurs Bédié et Guéï

vont maintenir le statu quo. Partant de ce constat, on peut
comprendre sans trop de diicultés l’essor du pentecôtisme
sous Laurent GBAGBO.
Né le 31 Mai 1945 à Gagnoa (Centre-Ouest de la Côte
d’Ivoire), il commence sa carrière professionnelle, en 1970,
par la fonction de professeur d’Histoire-Géographie au
Lycée Classique d’Abidjan. Sa passion pour l’histoire lui
permet d’être recruté, en 1979, comme chercheur à l’Institut
d’Histoire, d’Art et d’Archéologie Africaines (IHAAA) ; et
soutenir, la même année, une thèse de doctorat de troisième
cycle devant l’Université de Paris VII sur « Les ressorts so-
cio-économiques de la politique ivoirienne : 1940-1960 ».
En 1980, il est nommé directeur de l’Institut d’Histoire
d’Art et d’Archéologie africain (IHAAA). Syndicaliste puis
homme politique, il crée en 1982, le Front Populaire Ivoi-
rien (FPI). C’est sous la bannière de ce parti qu’il afronte
Félix HOUPHOUËT BOIGNY à l’élection Présidentielle
de 1990. Il faudra attendra sa deuxième tentative, en 2000,
pour accéder à la magistrature suprême.
Son passage au petit séminaire de Gagnoa, en 1958,
n’a pu le maintenir dans le catholicisme de façon déinitive.
Pourtant c’est « au petit séminaire que Laurent a commencé
à aimer l’école, qu’il a acquis le goût d’apprendre et qu’il
a eu envie de poursuivre ses études27. » A défaut de faire
de lui un prêtre, le séminaire a allumé en lui le goût de la
politique : « C’est aussi là qu’il commence à s’intéresser à
la politique à travers les articles qu’il dévore dans le jour-
nal catholique Afrique Nouvelle28. » Très vite, il comprend
que le catholicisme, par sa position vis-à-vis du politique29,
27- Simone GBAGBO, Paroles d’honneur, Ed. Pharos/Ed. Ramsay, 2007,
p. 82
28- Ibidem
29- Dans sa lettre pastorale, La politique au service du pays : Regard
de foi et espérance (juillet 1990), la CECCI soutient que la politique
ne peut l’accompagner dans ses nouvelles ambitions30. Il

quitte donc le séminaire, en 1962, pour le lycée classique
pour une formation laïque. Plus tard, il se convertit au
pentecôtisme dont les principes cadrent parfaitement avec
ses propres aspirations politiques. En efet, depuis la défer-
lante des années 90 et la libération du marché religieux, ce
mouvement religieux est crédité d’une très grande inluence
auprès des hommes politiques africains qui recherchent son
parrainage et son service au nom de l’impératif du succès
conditionné par la renaissance31. Ç’a été le cas au Bénin
avec Mathieu KEREKOU qui, revenu au pouvoir en 1996,
se présentait comme un «born gain»32. Ses discours étaient
soutenus par des versets bibliques. C’est fort de ce principe
qu’en 1998, à la veille de l’élection présidentielle de 2000,
Laurent GBAGBO et son épouse quittent le catholicisme
pour rejoindre le pentecôtisme. En 2000, il est élu efecti-
vement à la magistrature suprême de la Côte d’Ivoire. Pure
coïncidence entre conversion au pentecôtisme et succès
politique ou manifestation divine, cette élection de Laurent
GBAGBO venait une fois de plus conirmer la théorie pen-
est au service du pays et doit viser à développer tout l’homme et
tout homme. A défaut d’un engagement direct, elle joue le rôle de
conseillère discrète auprès des chrétiens engagés et des dirigeants
politiques. Cette ligne doctrinale de l’Eglise catholique de Côte
d’Ivoire a été réairmée par Mgr Laurent MANDJO, en 2001, alors
porte-parole de la CECCI au forum de la réconciliation nationale : « Il
ne sied pas de mettre ensemble religion et politique ». On a encore en
mémoire la renonciation de Mgr Fernando Armindo Lugo Méndez
à ses charges épiscopales pour briguer la présidence en Uruguay
(2008-2012). Pour Mgr Joseph Niangoran TEKY, les rapports entre
le catholicisme et la politique sont commandés par une instruction
de Jésus « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à
Dieu » (Mt 22,21). Cette airmation récuse toute identiication de la
religion avec le pouvoir politique.
30- Simone GBAGBO, Op. Cit., p. 83
31- Ludovic LADO, Op. Cit., p. 67
D.C.A.O n°56-57, juillet-août 2008, p. 48

tecôtiste selon laquelle « pour réussir politiquement, il faut

renaître spirituellement33. » A son investiture, il est célébré
comme premier président «born gain»34. Cette conversion
et célébration oicielle va occasionner la prolifération des
églises pentecôtistes, faisant une réelle concurrence aux
catholiques, aux méthodiste et évangéliques traditionnels
en place.
Comme le fait remarquer si bien l’anthropologue
ivoirien Bony GUIBLEHON, les pasteurs pentecôtistes
n’hésitent pas à proposer leur service aux politiques :
conseillers, guides spirituels, etc. Cette connexion avec
le pouvoir politique accroit ainsi leur inluence et leur
montée en puissance35. Laurent GBAGBO n’a pas dérogé
à cette règle. Il nomme, dès sa prise de pouvoir, le pasteur
KORE Moïse, son pasteur personnel – de son vrai KORE
Loussouko Moïse – à la présidence comme son conseiller
spirituel. Parallèlement à ses activités sportives36, KORE
Moïse est le pasteur de l’église Shekinah Glory Ministries
qu’il fonde en 1998. Cette église revendique plus de 3000
adeptes, parmi lesquels le couple présidentiel, Laurent
et Simone. Son inluence est telle au point de lui conier
l’achat des armes pendant la rébellion de 2002 : « Nous
avons appris que les Français empêchaient l’Etat ivoirien
de s’approvisionner en armes pour sa défense. Et le chef
de l’Etat m’a demandé d’aller voir l’Angola pour qu’il
aide notre pays37. » Par ses faits et gestes, il déroule le ta-
pis rouge pour le pentecôtisme en Côte d’Ivoire. On peut
citer entre autres les audiences accordées au pasteur Yonggi
33- Ibidem, p. 67
34- Marie Miran-GUYON, Op. Cit., p. 34.
Op. Cit., p. 48
36- Ancien basketteur, il occupe de 2005 et 2011 le poste de président de
la Fédération ivoirienne de basket-ball
37- Marie Miran-Guyon, 2015.
cho de l’église Yoido Full Gospel Church (Séoul), in août

200138 ; au pasteur Tommy Lee Osborn, in janvier 200239 ;
ses discours trufés de références bibliques ; ses apparitions
dans les milieux pentecôtistes, etc.
En somme, on retient que la conversion et l’accession
au pouvoir de Laurent GBAGBO ont facilité et accéléré
l’implantation et la difusion du pentecôtisme en Côte
d’Ivoire. La décennie passée au pouvoir a été, en quelque
sorte, l’âge d’or de ce mouvement où l’on a vu pousser par
centaines, des missions et ministères pentecôtistes dans
toutes les grandes villes du pays.
A cette raison vient se grefer une autre qui a contri-
bué à un certain niveau, au succès du mouvement, c’est la
conséquence des crises ivoiriennes, surtout celle déclen-
chée en 2002.
II.2- L’impact des crises ivoiriennes à la lumière du discours
pentecôtiste
Un conlit armé, quels qu’en soient l’origine, la nature,
le caractère, engendre des conséquences à tous les niveaux :
politique, économique, social et même religieux. Celui qu’a
connu la Côte d’Ivoire n’est pas une exception. La Côte
d’Ivoire et le Sénégal étaient les seuls pays de l’Afrique
de l’ouest à ne pas connaître de coup d’Etat, à connaître la
stabilité politique. Le 24 décembre 1999, le général Robert
GUEÏ évince Henri Konan BEDIE, successeur, depuis le
7 décembre 1993, de Félix HOUPHOUËT BOIGNY, du
pouvoir. C’est le point de départ de l’instabilité. Dans la
nuit du 18 au 19 septembre 2002, le coup d’Etat de SORO
Guillaume et ses hommes est un échec. Très vite, ce mou-
vement se mue en rébellion armée, consacrant la partition
du pays en deux zones : la moitié nord et ouest, sous le
39- Ibidem, p. 85
contrôle des rebelles et, le sud resté aux mains des forces
gouvernementales. Cette crise atteint son pic en 2010 après
le deuxième tour de l’élection présidentielle.
Pendant cette crise, les principales confessions reli-
gieuses vont manifester les solidarités aux victimes, ç’a
été, par exemple, le cas de l’Eglise catholique qui a été la
première organisation de secours sur le théâtre des opéra-
tions40. Elle a organisé plus de 150 convois humanitaires
sur l’ensemble du territoire national, a apporté une assis-
tance psychosociale, alimentaire, médicale et matérielle à
plus de 3.000.000 de déplacés, pour un coût global de plus
d’un milliard de FCFA41. Le pentecôtisme quant à lui, va
proiter de cette période de détresse pour tisser sa toile et
étendre ses tentacules. En efet, les crises de 2002 et 2011
ont causé beaucoup de dégâts chez les populations. Elles
ont dû fuir les zones de belligérances pour se réfugier dans
des zones plus paisibles. En fuyant, elles ont tout abandon-
né : activités, bien matériels, travail, etc. Cette situation va
augmenter l’état de pauvreté dans lequel vivaient les popu-
lations. Le coup de septembre 2002 a consacré la partition
du pays : le nord et le sud. Les sources de revenus de l’Etat
vont s’amenuiser. Dans ce cas de igure, les priorités de
l’Etat ne sont pas à la création d’emploi. Les populations
fragilisées par cette situation, vont chercher du réconfort
dans la parole de Dieu. Par le message qu’ils véhiculent,
les «miracles» qu’ils opèrent, les guérisons qu’ils réalisent,
ces nouveaux hommes de Dieu parviennent à se faire une
place dans le paysage religieux ivoirien. En 2008, sur les
40- Jean Konan DJOMAN, directeur général adjoint de Caritas Côte

d’Ivoire, entretien réalisé en 2007.
41- « Côte d’Ivoire, déis majeurs 2007, après 5 ans de crise politico-
militaire », Rapport d’activité de Caritas Côte d’Ivoire sur la crise
ivoirienne, mars 2007

21 millions d’habitants42 que comptait la Côte-d’Ivoire,

on enregistre quatre millions43 de idèles pentecôtistes,
soit 19% de la population. Selon les chifres du Directoire
National des Églises Protestantes Côte d’Ivoire, rapportés
par Guiblehon BONY, on note plus de 450 dénominations
et 25 fédérations ou confédérations protestantes évangé-
liques dans le pays. Sur les 25 fédérations, les mouvements
pentecôtistes en constitueraient plus de 95% et plus de 80%
des dénominations44.
La libéralisation du marché religieux dès 1990, la dé-
cennie Laurent Gbagbo et les crises ivoiriennes ont permis
au mouvement pentecôtiste de s’implanter solidement en
Côte d’Ivoire. Il constitue aujourd’hui, un acteur majeur
dans la vie religieuse ivoirienne et leur inluence ne cesse
de croître et cela, grâce à l’eicacité de leur système de
communication.
III- Le poids du pentecôtisme dans les sphères politique et
religieuse ivoiriennes depuis 1990
III.1- Une place prépondérante dans la vie politique ivoirienne
à partir de 2000
Longtemps resté en dehors de la politique qu’il consi-
dérait comme un univers corrompu et malsain45, le pente-
côtisme va pénétrer l’espace politique africain à la faveur
des grands bouleversements intervenus en Afrique dans
les années 90. Ce revirement de situation et l’intrusion
dans la sphère politique se justiient par une volonté de
vouloir « moraliser la sphère politique et de promouvoir
un certain nombre de principes46 » évangéliques. A en
42- Bony GUIBLEHON, « Les jeunes et le marché de la spiritualité
pentecôtiste en côte d’ivoire » in European Scientiic Journal, vol. 8.
43- ibidem
44- Ibid.
45- Cédric MAYRARGUE, « Les dynamiques paradoxales du pentecôtisme
en Afrique subsaharienne », in Note de l’Ifri, Avril 2008, p. 14
46- Ibidem
croire le prophète pentecôtiste KACOU Sévérin, la Côte

d’Ivoire a été pervertie « par le fétichisme et le marabou-
tage des hommes d’afaires, par la pédophilie, l’homo-
sexualité, l’adultère et la corruption de ses leaders, elle
s’est convertie à la parole de Satan qui était jaloux47. » Il
y a donc une urgence de repentance et de conversion. Pour
le pentecôtisme, et même les autres confessions religieuses,
la politique doit être empreinte des valeurs bibliques qui
se résument par des vertus telles que la piété, l’amour du
prochain, la probité, l’intégrité, la perfection de soi, etc. En
dehors de cette exigence, la politique est un tonneau vide48
qui court tout droit à la perdition. Le pouvoir appartient à
Dieu, comment serait-il possible d’imaginer une société,
œuvre de Dieu, échappée à la gestion de Dieu ? Comme
l’airme KACOU Sévérin : « Nul ne peut gouverner sans
la volonté de Dieu49. » Cette inluence du religieux dans la
sphère publique peut être perceptible à travers les serments
d’investiture, les jurements au cours des procès sur la bible,
l’inscription divine sur des devises dans des pays comme
les Etats Unis : in God we trust.
L’accession de Laurent GBAGBO, un born gain, à la
magistrature suprême de la Côte d’Ivoire a été une occa-
sion inouïe pour le pentecôtisme de réaliser ce désir cher
de moralisation de la vie politique ivoirienne. Tous ces
discours sont empreints de la bible ; cet historien a rem-
placé les citations et références historiques par des versets
bibliques. Les leaders pentecôtistes, quant à eux, tout le
temps qu’a duré ce pouvoir, seront dans les arcanes du
palais présidentiel. L’exemple type de cette intrusion dans
les arènes du pouvoir est la nomination de KORE Moïse
comme conseiller spirituel du président. La moralisation
48- Marc KOUAME, L’Eglise catholique et l’Etat de Côte d’Ivoire
de la vie publique passe par l’assainissement des comptes

publics, la probité dans la gestion des afaires de l’Etat, la
transparence dans l’attribution des postes et bien d’autres.
Laurent GBAGBO dès sa prise de pouvoir a privilégié la
notion de bien commun qui l’a situé au-dessus des consi-
dérations partisanes et ethniques50 dans la nomination aux
hauts postes de l’administration ivoirienne. On a encore
en mémoire les nominations par appel à candidature de
GNAMIEN Konan à la douane, de FEH Kessé aux impôts
et de Charles Koi DIBY aux trésors. On peut aussi relever
l’opération de l’assainissement du milieu des gestionnaires
du café cacao qui a entrainé l’arrestation des Tapé DOH
Félix, Henri AMOUZOU, Angéline KILI, pourtant tous
partisans du président Laurent Gbagbo. Cela, on peut le
mettre à l’actif du pentecôtisme qui a réussi un vrai coup.
Les leaders pentecôtistes se font aussi entendre dans la
sphère politique à travers les nombreuses prophéties qu’ils
donneront. Après les prophètes Harris, Papa Nouveau,
KOUDOU Jeannot, apparaîtra une nouvelle génération de
prophètes. La caractéristique principale de leurs prophéties,
c’est qu’elles s’adressent toutes aux politiques. Le premier
à s’être illustré est le «prophète de nations» KACOU Séve-
rin qui aurait vu venir la chute de BEDIE en 1999, aurait
aussi prévenu GUEÏ de son échec aux présidentielles de
2000 et enin, aurait prédit l’élection de Laurent Gbagbo51.
De telles prophéties vont se succéder et vont s’intensiier
sous la présidence de Laurent GBAGBO. La plus reten-
tissante fut celle du pasteur KONE Malachie. A en croire
ce dernier, il aurait reçu un message en 2006 annonçant la
crise post-électorale et le dénouement de cette crise avec
50- Joachim TCHERO, Cultures et rapports de force entre les peuples
dans l’histoire. Les Africains d’hier à aujourd’hui, Paris, L’Harmattan,
2009, p. 135.
51- André MARY, Op. Cit., pp. 77-78
la victoire de Laurent Gbagbo. La coïncidence de certains

points de la prophétie avec l’évolution de la situation po-
litique, notamment la montée des rebelles avec le repli des
soldats loyalistes (qui devrait être normalement suivi d’un
revirement de la situation conduisant à la victoire déini-
tive) a polarisé les opinions et débats. Tous les meetings
de la galaxie patriotique étaient précédés par des prières
des pasteurs ; les discours oiciels se terminent par des
formules telles que : «Dieu nous garde», «Dieu nous pro-
tège» « Dieu bénisse », etc.
III.2 Impact du pentecôtisme sur la vie religieuse ivoirienne
La percée fulgurante du pentecôtisme va profondément
modiier la géographie religieuse en Côte d’Ivoire. Avant
les années 90, le paysage religieux ivoirien était dominé,
nous l’avons signiié plus haut, par le catholicisme, le
protestantisme et l’islam. Le nord était la zone de prédilec-
tion de l’islam, le centre était dévolu au protestantisme au
point de qualiier la Christian Missionary Alliance (CMA)
d’»église des baoulé», le sud était dominé par le catholi-
cisme et les religions syncrétiques, sur la partie côtière du
pays. Le paysage était quasi occupé par les temples des
groupes religieux sur-cités. Ce pronostic est loin d’être
exact aujourd’hui, les lieux de cultes pentecôtistes ont
considérablement changé cette donne. En efet, les lieux de
culte prolifèrent à un rythme efréné. On ne peut plus par-
courir, aujourd’hui, plus de deux cents mètres sans voir, au
moins un lieu de culte pentecôtiste. Les salles de classe des
écoles ont été envahies, des maisons ont été transformées
pour les cultes, des constructions, aussi bien somptueuses
que précaires, sortent de tout temps, de terre. Dans les
grandes villes, les villages, les hameaux les plus reculés,
on y trouve des lieux de culte pentecôtistes. Leur présence
massive en Afrique et en Côte d’Ivoire est indéniable. Ce

mouvement est solidement implanté et jouir d’une grande

inluence dans les milieux et sociétés où il s’implante. Se-
lon Ludovic LADO, « Le pentecôtisme, toutes tendances
confondues, serait aujourd’hui la seconde plus grande
dénomination chrétienne après l’Eglise catholique. En
un siècle, il est devenu un phénomène mondial, et s’im-
pose désormais comme l’une des igures principales de
la mondialisation religieuse52. » Cette occupation rapide
de l’espace est une source d’inquiétude pour les autres
confessions religieuses qui voient leur membres fuient vers
ce nouveau mouvement. Cette inquiétude est relevée par
Raoul YOBOU Joachim, curé de la paroisse Notre Dame
de l’Annonciation de Yopougon nouveau quartier, dans le
diocèse de Yopougon, dans l’une de ses homélies : « Re-
gardez aujourd’hui autour de nous, nous sommes envahis
et encadrés par toutes ces églises qui poussent comme des
champignons. Il’ y a quelques années de cela, NDA était
la seule église ici. C’est pour dire que nous sommes en
danger53. »
Leur manière de faire va aussi impacter les autres
confessions religieuses, notamment le catholicisme. En
efet, on voit se développer dans le catholicisme les commu-
nautés dites nouvelles. Ces communautés sont inluencées
par le pentecôtisme dans leur manière de faire : les veillées,
les camps de prières, les prêches, les groupes musicaux.
A côté de ces mouvements nouveaux, il faut noter aussi
d’autre comme le renouveau charismatique qui procède
de la manière que le pentecôtiste. Cette inluence est telle
que certains le considèrent comme faisant désormais partir
du pentecôtiste.
52- Ludovic LADO, « Les enjeux du pentecôtisme africain », in Etudes,

n° 4091, juillet-août 2008, p. 61
53- YOBOU Raoul, curé NDA.

CONCLUSION
Le renouveau politique occasionné par le retour au
multipartisme a favorisé la percée du mouvement pen-
tecôtiste en Côte d’Ivoire. Les nombreuses similitudes
entre multipartisme et pentecôtisme ont favorisé l’essor
commun de ces deux mouvements. L’avènement au pou-
voir d’un Born again en 2000 a, à son tour, propulsé le
mouvement pentecôtiste au point d’en faire, en moins de
deux décennies, une des forces religieuses du pays. Par
ses méthodes et stratégies, ce mouvement est parvenu, en
peu de temps, à s’implanter solidement sur tout le terri-
toire ivoirien. Son inluence s’étend aussi bien au niveau
politique que religieux. Cette spiritualité nouvelle semble
s’adapter parfaitement aux réalités ivoiriennes si bien que
de nombreuses églises-missions pentecôtistes se créent
à longueur de journée dans toutes les rues des grandes
villes du pays. Les principaux acteurs s’autoproclamant
«apôtre», «bishop», «évêque», «prophète»54, etc., drainent
des milliers d’adeptes infatigables. On ne plus parcourir
plus de cent mètres sans qu’on ne rencontre des «églises»
ou «ministères».
54- Ibid.
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L’auteur reçoit en revanche deux (02) tirés à part de l’article

- N’DA Kouassi Pékaoh,

- GUIPIÉ Gérard Eddie Marc,

5- KRA Adingra Magloire,

6- ADOUBI Thierry Hugues, DEA Lékpéa Alexis,

7- SANOGO Yanourga Moussa,

9- NGAWANDJI Brigitte Nicole,

ADOUBI Thierry Hugues1, DEA Lékpéa Alexis2

spreading all over the world. In Côte d’Ivoire, this move-

«corps de science » par la « construction »5. Notre collecte

la connivence entre le changement politique et essor de

l’apparition sur la scène religieuse de nombreuses commu-

religieuses et permet l’apparition de nouveaux mouvements

15- Cf. Constitution de la République de Côte d’Ivoire du 31 octobre en

monde pour le catholicisme. Dans ce cas de igure, il était

18- André MARY, « Prophètes pasteurs : la politique de la délivrance en

des textes bibliques relatifs à la prospérité19, les guides re-

19- Le terme "prospérité" est couramment usité dans la bible. Cf.

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culture africaine, une place de premier ordre23. La chris-

23- Dominique ZAHAN, Religion, spiritualité et pensée africaines, Paris,

d’une somptueuse basilique. Ses successeurs Bédié et Guéï

ne peut l’accompagner dans ses nouvelles ambitions30. Il

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tecôtiste selon laquelle « pour réussir politiquement, il faut

cho de l’église Yoido Full Gospel Church (Séoul), in août

40- Jean Konan DJOMAN, directeur général adjoint de Caritas Côte

LONNIYA, Revue du Laboratoire des Sciences Sociales et des Organisations

21 millions d’habitants42 que comptait la Côte-d’Ivoire,

croire le prophète pentecôtiste KACOU Sévérin, la Côte

de la vie publique passe par l’assainissement des comptes

la victoire de Laurent Gbagbo. La coïncidence de certains

LONNIYA, Revue du Laboratoire des Sciences Sociales et des Organisations

mouvement est solidement implanté et jouir d’une grande

52- Ludovic LADO, « Les enjeux du pentecôtisme africain », in Etudes,

LONNIYA, Revue du Laboratoire des Sciences Sociales et des Organisations

COULIBALY (Félicien), « Houphouët-Boigny, le

DEA (Lékpéa Alexis), Evangélisation et pratique

EHIVET (Simone Gbagbo), Paroles d’honneur. La

GUIBLEHON (Bony), « Les mouvements pentecô-

GUIBLEHON (Bony), « Les jeunes et le marché de

GUYON (Marie Miran), Guerres mystiques en Côte

LADO (Ludovic), « Les enjeux du pentecôtisme