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Léonce BERT

Les cours des princes de


L’illu zion

ISBN : 978-2-9535972-0-2

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SOMMAIRE

Avant-propos ….………………… 4

Quand mes yeux se sont ouverts…. 9

Au royaume de Nzim l’eau ………. 15

Au pays des Hommes verts ………. 25

Avec Mbilou l’aigle ……...………. 49

Bienvenu à Epa mbia …………… 55

Sur les terres de Falla …………… 72

Les voix de la forêt ……………… 84

Conclusion …….………………… 93

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Avant-propos

Je suis né au Gabon, un pays d'Afrique


centrale. Avec une superficie de 267.667
km², le Gabon reste un petit pays dans la
région.
Au nord il marque ses frontières avec le
Cameroun et la Guinée équatoriale, à
l'est et au sud avec le Congo Brazzaville,
ses côtes ouest font face à l'océan
atlantique.
De parents aux origines diverses,
(Haïtienne, française, gabonaise et même
hawaïenne) j’ai vécu mes vingt
premières années dans ce beau petit
pays, au climat tropical, traversé par
l'équateur.

Après une enfance partagée entre ville et


village, et une éducation riche en
mélange de couleurs, de cultures et de
traditions, je m'installe en France à la fin
des années 90, avec mon épouse et mes
deux enfants (Sarah 3 ans et Philippe 2
mois), dans les pays de la Loire. Après
deux années passées dans cette belle
région et la naissance d’une jolie petite
fille (Zeînab) nous avons fait nos valises
pour le Royaume Uni.

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Mon amour pour le voyage, mon
insatiable curiosité et mon envie
perpétuelle de faire de nouvelles
découvertes me porteront plus tard au
Japon, en Chine, au Tibet, en Inde, en
Europe... et jusqu'aux terres
d'Amériques.

Ce petit livre est, non seulement, le fruit


de mon expérience personnelle, mais
également, celui d'une vie, celle que l’on
croit parfois différente sous d'autres
cieux.
Parce que je crois que le partage de
connaissances est indéniablement un
multiplicateur de croissance et que nos
différences ne sont là que pour nous
enrichir,
J’ai voulu écrire, mais avec plaisir, j'ai
voulu écrire en gardant le rire.
Cet humble ouvrage est aussi le fruit de
rencontres et d'expériences, celles qui
nous émerveillent, celles qui nous font
pleurer et nous laissent triste, celles qui
nous enrichissent et nous rendent plus
fort.
Certaines situations décrites dans cet
ouvrage sont donc tirées de faits réels.
De nature joviale, et amoureux de
lecture, je n'ai voulu en aucune manière
vexer ou blesser les personnes et les
personnalités citées dans cet ouvrage

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C'est une envie forte de partager, mais
aussi de dire à mon humble niveau ce
que beaucoup, comme moi, crie
silencieusement dans le fond de leur
poitrine, qui m'a porté à écrire ce livre.

Pourtant je tiens à préciser mon


inexpérience en la matière.
Fils d'un père retraité, qui fut longtemps
aux « affaires », et d'une mère au foyer
qui a toujours su nourrir ma passion pour
les livres, c’est naturellement que je me
suis lancé dans cette magnifique
expérience qu’offre le monde des lettres
dans la noble langue française.
J’ai l'espoir que cette lecture (et son
parcours) puisse servir de vecteur et de
pont au delà de nos horizons.
Je dédie cet écrit à mes très chers enfants
qui m'ont donné, de par leur existence, la
force et la volonté d'aller au bout de mon
projet.
Je dédie tout autant cet ouvrage à mon
cher père et à ma chère mère, qui ont su
tout simplement me donner l'amour et
les bons ingrédients qui font mon
indescriptible joie de vivre.

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Je remercie très sincèrement la vie, de
m'avoir permis de vivre cette expérience,
et tous ceux qui m'ont accompagné et
soutenu dans cette magnifique
expérience, dont Francis Guéde pour ses
ingénieuses idées et Paola Anderouin
pour ses brillantes corrections.

Je tiens également à remercier Patricia


Deluc et Jhao Cosperec, Guillaume
Schamelhout et Sévérine Reniaud,
Stéphane et Delphine Cascio, Lucie
Celor, Claudie Metai, Anne Cosperec et
tous les autres.

Léonce Bert

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І
Quand mes yeux se sont
ouverts

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Je suis né un dimanche, en avril. Je suis
né comme on naît presque partout même
si parfois les lieux semblent différents.
Je suis né le jour du soleil, je suis né
dans un petit village perdu au milieu
d'une végétation touffue.
J’ai grandi parmi les miens, j’ai appris à
marcher, à courir sur les chemins, dans
la forêt, assimilant à chaque pas les
règles de mon clan.

J’ai appris, comme on apprend presque


partout, les fondamentaux de la vie,
même si les coutumes, elles aussi
semblent différentes, même si les
senteurs ne sentent pas toujours pareil.
Je suis le fruit du mélange, comme le
reste de mes semblables

J'ai grandi avec l'eau de la rivière, avec


le manioc de la plantation, les fruits de la
nature et le gibier de la brousse.
J'ai grandi avec les poissons des rivières
et ceux de la mer, les contes du village et
les conseils des vieux sages.
Oui, j'ai affiné mes pas et formé ma voix
dans la forêt, sur les terres de mes aïeux.
J'ai appris tout ce que je sais des chants
du village; le partage et le courage, la
souffrance et l'espérance.

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Je ne suis heureusement pas blanc, pas
noir non plus, je ne suis même pas
jaune... Je suis un peu de tout cela... Je
pense donc JE SUIS... Non pardon! J'ai
laissé ma langue répéter ce que mon
oreille a entendu... JE ne SUIS que parce
que VOUS ETES!!!!!.

Les lettres et les chiffres, me furent


enseignés à l’unique école de mon
village, dans la langue de Molière et
avec la «chicote ». C'était presque
théâtral.

Puis je fus initié à la langue de


Shakespeare, par amour du voyage.
D'ailleurs, de la belle île d’Elisabeth, je
garde le souvenir de son généreux et
coloré peuple, et la nostalgie de ses
beaux bus rouges qui m’ont fait visiter
les entrailles de sa charmante et
chaleureuse capitale.
Au pays des Lords et du football, des
pubs et des clubs, j’ai même rencontré
une fille venue du pays du soleil levant.
Une fois l’union scellée, j’ai suivis mon
cœur jusqu’aux portes de l’empire des
grands et valeureux samouraïs.
Sans même essayer de les arrêter, j’ai
laissé mon palais et ma langue déguster
les fines saveurs des mets exquis et
délicieux de la cuisine de ma compagne,

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et ceux de toutes les belles tables du Far
East.
Une fois rassasiés, ceux-ci avaient à
s’accorder pour communiquer dans le
jargon nippon.
J’ai parcouru la terre des sages. Éberlué
et fasciné, je me suis incliné.

Enfin, j’étais rassuré, la race humaine est


adaptable au reste et non l’inverse.
Au pays des temples sacrés et du thé
vert, des oiseaux et de la douce mélodie
des flûtes, « humilité » je t’ai rencontrée.

Sans diplômes, je me suis instruit sur


l’économie et la finance, la comptabilité
et même la bourse, suivant assidûment
les conseils de Warren¹ et ceux d'Alvin².
(Time is your best asset... The stoke
broker is the one who’s going to broke
you). J’ai appris la politique et des
politiques, j’ai suivi l’enseignement des
sciences et des sciences occultes.
De ma chère mère, grâce à la science des
Dieux, je garde encore les souvenirs
premiers, de ses longues mèches de
cheveux lisses me caressant le visage et
de ses doux tétons me nourrissant des
délices du saint breuvage.
La maternelle et agréable odeur chaude
de sa peau rose sur mes nouvelles petites
joues tissa lentement les liens secrets, me

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rassurant aussitôt sur le nouveau monde
et ses innombrables scénarios.
Mes premières lunes, la divine femme
guida mes pas et m’ensemença de
vertueuses et multiples qualités.
De mon père...je sais maintenant et
parfaitement qu'il est plus près de moi
que mes côtes.
Sans crier grâce ni prétention, je reçus
ensuite des anciens de mon enfance, des
pères de mon père, l’enseignement sacré
des ancêtres du monde.
Avec hâte j’ai tourné la couverture d’or
du livre où tout est marqué; la véritable
mémoire du temps.
A l’envers j’ai paginé les feuilles du
grand manuscrit, pour lire ce qui allait
plus tard féconder dans mon cœur, les
indélébiles parcelles de MAESTRO l’
INCONTESTABLE.
J’ai été formé au parcours du loyal
combattant, celui qui ne combat que lui-
même, celui qui ne combat que pour la
justice.
J’ai été initié à la nature, à ses
incontournables et justes lois. Au vent, le
virtuose, le Grand souffle, l'inspire et le
dernier soupir.
J’ai été guidé par les chants de la forêt,
par les notes des premiers jours, les sons
de l'arc et de sa liane bien tendue.

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J’ai été transporté par la musique pure
des cordes de la harpe sacrée et
accompagné des petits Hommes de la
forêt aux savoirs sans limites.

1 & 2) Warren Buffet & Alvin D. Hall – Americans


Investor & Financial adviser.

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П
Dans les profondeurs de
Nzim l’eau

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Au pays des merveilles, j'ai traversé le
miroir, mué comme le serpent, le maître
qui enseigne le voyage au-delà des
mondes.
J'ai baigné dans le limpide et le
mystérieux des océans et des rivières,
j’ai été transporté jusqu'au fin fond des
fonds marins et des eaux douces.

Avant le saint baptême, celui qui précède


notre renaissance sur la terre, les anciens
du village firent la grande prière.
Ils invoquèrent, supplièrent et même
pleurèrent les Dieux et tous les anges du
ciel et de la terre.
Les paroles sacrées résonnaient dans mes
oreilles et dans l'univers. Les Dieux et
leurs anges étaient contents. Je savais
maintenant que je n'étais plus un enfant.

Les couleurs qui annoncent les grands


évènements s'emparèrent aussitôt du
village : le feu et les lances, les parures
et les masques, les perles et les
coquillages, les nattes de raphia et les
clochettes.
Les plus belles peintures se dessinaient
lentement sur les visages, les
audacieuses et colorées plumes
dansantes couronnaient fièrement les
têtes.

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Sur un rythme trépidant et envoûtant, les
danseurs et les danseuses sautaient,
bondissaient...Ils volaient et se
tortillaient. Les chants accompagnaient
merveilleusement bien la pièce magique.
Quand le départ pour les rives pures et
sacrées fut annoncé, les hommes étaient
exaltés, ils allaient m'accompagner.
Ainsi, le signal était donné, un homme
souffla dans la corne du bovidé.
Les femmes, qui devaient rester au
village, pleuraient des chants, c'était des
chants de joie;

( Ignéwé nya kogoui ambè owanan a


diano, owanan wa diano aténo nomé,
onomé a kalouo' ma) la grossesse a
éclos et le bébé est né, le bébé a éclos et
l'enfant est né, l'enfant a éclos ...
l'Homme est.

La marche jusqu'au lieu dit était


entamée, les chants, la lumière des
torches et leurs délicieux parfums ne
s'étaient pas arrêtés.

Le vent était doux. Dans le ciel, les


étoiles brillaient de tous leurs feux. Nous
empruntâmes un chemin étroit à travers
les bois. La forêt silencieuse semblait
s'être arrêtée de vivre le temps de notre
passage.

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La grande expérience qui « ouvre les
yeux et les oreilles » venait de
commencer.
Un bruit léger de vagues qui s'échouaient
les unes après les autres sur des rives que
je ne voyais pas encore, m'annonçait que
le moment était enfin venu pour moi de
passer la porte étroite.

Les plus jeunes eux se chargèrent


aussitôt de faire un feu sur le sable fin et
encore tiède.
Les anciens, les gardiens de l'héritage
ancestral, entonnèrent ainsi les chants du
feu ; ils chantaient sa lumière et sa clarté,
ses flammes jaunes et rouges qui
grimpaient dans le ciel.

La danse autour des flammes venait de


commencer... Les hommes de la terre
dansaient autour d'un feu... Les Hommes
de la terre dansaient autour du soleil.
Puis, la corne du bovidé parla encore,
cette fois fut la dernière. J'étais sorti du
cercle, j'étais face à l'océan, face au
grand miroir que j'approchais le pas lent
et décidé.
Le liquide recouvrait doucement mon
corps d'enfant, et m'éloignait des autres
restés sur la plage. Maintenant je ne
pouvais plus me retourner.

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Une fois dans l'eau, la fraîche
température de l’immense endroit vexa
brusquement ma peau, gagnant ma chair,
mes membres, puis même mes os.
Le souffle brûlant et la vision brouillée,
je me laissais envahir par cette étrange et
bienfaisante sensation.
Soudain, de mes côtes émergèrent de
puissantes nageoires occupant
simultanément la place laissée par mes
bras qui avaient alors disparus.
Quant à mes pieds, ils étaient maintenus
joints et se terminaient en queue de
poisson.
Dans ma poitrine, la terrible brûlure
s’était estompée.
Un complexe branchement de branchies
coordonnait parfaitement la distribution
de souffle divin.

Traversant mon dos en son milieu, et


solidement fixé à mes vertèbres, un
gracieux aileron, tel une lame de
samouraï, fendait silencieusement les
eaux pures du domaine.
L’œil pétillant, le corps lissé et affiné, je
pouvais, maintenant sans peine, suivre
l’hôte de ces lieux, c’était Ndégo le
magnifique dauphin.
Rapide et vif comme l’éclair, le
mammifère des mers et quelques
confrères cétacés, marsouins et

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cachalots, m’offrirent l’ultime voyage, le
suprême pèlerinage.

« La route sera sûrement longue avant le


but final, mais au moins elle sera
paisible. A nos côtés tu ne risques rien,
les miens et moi t’assisterons tout au
long. »

Sur ces mots, Ndégo donna le signal qui


annonçait notre départ et… Mon
retour…
Comme les saumons, refaire le grand
chemin en sens inverse pour goûter
encore les quintessences de la sainte
coupelle.
Revivre les joies du commencement et
redécouvrir l’enchantement de la source
céleste.
Mes honorables guides me firent prendre
les plus beaux chemins, traversant tous
les territoires des peuples d’en dessous
l’eau.
De tous les côtés, des champs de coraux
et d’algues de toutes sortes, des familles
d’hippocampes et des bandes de
limandes, par ici, un groupe d'espadons,
par-là, des calamars et des homards.
Des villages immenses d’huîtres et de
coquillages aux couleurs d’un autre
monde, nous faisaient signe de
bienvenue à nos passages.

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Émerveillé, l’iris affûté et chercheur, je
prisais goulûment chacune de ses
nouvelles et insolites captures.
Le cœur exalté, et battant aux rythmes de
l’harmonie, je savourais chacune de mes
nouvelles et étonnantes rencontres.
J'effleurais de mon fier aileron des
colonies de sardines, des poissons de
tous genres, daurades et capitaines,
rougets et exocets et que sais-je encore ?
Nous passâmes même aux abords du
royaume de la géante et monumentale
baleine, la reine de toutes les mers. Le
temps d’une brève halte, marquant la
respectable distinction, le magique
voyage reprenait son cours.
Je découvrais le ventre de notre monde,
m'immisçant innocemment de tout mon
être dans ses viscères et ses repaires, me
laissant aller, joyeux comme un têtard,
ondulant et zigzaguant dans tous les sens
avec pour seule volonté de tout saisir.

«Nous serons bientôt aux portes du saint


endroit, tu devras y entrer tout seul. »
me dit Ndégo « mais avant » reprit-il
« nous marquerons une pause ici »

Réunis autour de galets, disposés en


cercle, au milieu d’une grotte, au lieu
tenu secret, nous entonnâmes l’hymne
sacré qui purifie l’âme et l’esprit.

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Après le glorieux chant, nous restâmes
silencieux le temps d’un coucher de
soleil.
Puis, nous reprîmes la route, cette fois le
temps d’une aurore, jusqu’aux portes de
l’impériale entrée.

« Notre voyage ensemble s’arrête ici »


Me dit Ndégo « Nous sommes enfin
arrivés. »

En face de nous je pu admirer la


grandiose et magnifique entrée ovale.
Les bords étaient en forme de lèvres.
Tout autour, de fines mèches ondoyantes
dansaient un drôle de ballet. De chaque
côté se tenaient deux sentinelles à sept
têtes, toutes voilées, pour l'une, d'un
ruban rouge et l'autre d’un blanc.

« Derrière cette porte, tu passeras le


soyeux et visqueux couloir qui conduit
aux extases de lumières, dans le placenta
de toutes les descendances. Une fois de
l’autre côté, tu connaîtras tes origines,
celles de toutes les créatures qui vivent
sous l’eau, sur la terre et dans les airs…
et celles de milliards d’autres choses. Tu
connaîtras les félicités du lait du lac
originel. Ainsi, tu témoigneras des
bontés de l’immense royaume de Nzim
l’eau.»

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« Au commencement » poursuivit-il « Le
royaume de Nzim occupait toute la
surface du lieu choisi par
l’ Incontestable Maestro pour la
grande expérience. Ni rien avant, ni rien
après, jusqu’aux confins de tous les
horizons.
− Kombé, roi et Grand Feu qui brillait
dans ses hauteurs, envoya ses rayons
messagers auprès de la belle Nzim.

Émue, la ravissante Nzim répondit


favorablement aux avances du lumineux
chevalier. Alors, et seulement à ce
moment précis, MAESTRO
l’ Incontestable, envoya Opounga le
vent, s’assurer de leur union.
Kombé grand soleil et Nzim l'eau
consultés, le mariage fut prononcé.
Opounga en scella ainsi le lien sacré».
Ainsi, continua Ndégo, «de chaleur et
d’humidité les deux époux étaient à tout
jamais liés»
Dans les profondeurs mouillées du
royaume de Nzim, toute la vie a
commencé : de celle des fourmis noires
de Ndéndé¹ à celle des lapins de
Garenne, jusqu'à celle de notre
fantastique et longue existence.
Dans les profondeurs de Nzim, j’ai
rencontré Tum l’atome, traversé les sept
portes, visité l’espace, vu des milliards

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d’étoiles et les treize maisons. J’ai vu
tout ce que l'on ne voit pas, ni d’en bas,
ni même d'en haut.

1) Ndendé est une petite ville du sud du Gabon


située dans la province de la Ngounié près des
frontières congolaises

- 24 -
Ш

Au pays des « Hommes »


verts

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Les indélébiles instants passés dans la
douceur des rivières et la houle des
océans m’accompagneraient, je le savais,
tout le restant de mon temps, sur la belle
planète mère.
Corps à corps, sous son étreinte
ensorcelante, j’ai pénétré les vertes et
denses forêts inexplorées du premier
jour. Foulant, de mes juvéniles pieds,
l’argile sacrée qui a tout façonné, je
marquais ainsi de mes empreintes le
vierge limon des prairies de l’auguste
verger. Accompagné des surveillants de
ces lieux, comme Blanche Neige… Les
sept nains... les sept métaux...ou les sept
cavités...?

Les anciens de mon village avaient si


bien tout préparé, et comme pour mon
voyage au royaume de Nzim l'eau, ils
m'accompagnèrent jusqu’ aux portes de
l'irréel réel.
Le moment venu pour mon départ au
pays des Hommes verts, les vieux et moi
nous assîmes autour d'un feu. Les chants
aux esprits de la forêt furent entonnés, et
en symbiose, les tambours, les clochettes
et les hochets accompagnaient.
Sur un côté, des hommes aux visages
peints de rouge, de blanc et de noir,
étaient vêtus de peaux et de raphia, de
clochettes et de colliers, de belles plumes

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rouges, de belles plumes de coq, d'aigle
et de perroquet.
Torche enflammée dans une main, lance
dans une autre, ou même couteau, canne
et chasse- mouche, ils emboîtaient leurs
plus beaux pas de danses, ils étaient tous
en transe.
De l'autre côté, ornées de parures et de
perles, de coquillages et de pierres, de
plumes et de peintures fines et
soulignées, les femmes, elles aussi,
esquissaient leurs pas magnétiques et
sensuels.
Nos mères et nos sœurs étaient devenues
des guerrières... des lionnes et des
panthères.
Nos mères et nos sœurs étaient devenues
des fées... des biches et des gazelles.
Elles chantaient pour me rendre plus
fort... Elles chantaient pour continuer la
vie...Elles chantaient parce que tout avait
commencé par un chant.

« Les astres dans le ciel sont disposés, tu


vas devoir nous quitter. Les Dieux et
tous les esprits de la forêt veulent te
recevoir. »

Après ces mots qui me furent adressés


d'un ton sec et ferme, l'homme qui venait
de parler salua l'assemblée et se rassit.
Tous les autres, qui s'étaient arrêtés de

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chanter et de danser, restaient silencieux.
Une femme se mit à chanter...Elle
chantait et elle marchait, elle chantait et
elle allait du coté des hommes, puis celui
des femmes, elle chantait toute seule...
Elle chantait le chant de la naissance... et
il coulait des larmes sur ses joues... elle
chantait celui de la mort... Et il
s'échappait des soupirs, des sourires...

Elle chantait le chant de la


renaissance...Encore des larmes... Et
encore des soupirs...et des sourires.
Puis, trois hommes vinrent me chercher.
L'un se mit à ma gauche, l'autre à ma
droite, et le troisième devant moi. Celui-
ci tenait une torche dans sa main droite
et un chasse-mouche dans l'autre.
Nous le suivîmes dans la forêt, il prit un
sentier noir que sa torche éclairait
faiblement. La lueur d'une grande torche
qui était allumée, là dans un coin de
l'endroit, m'apprit notre destination.
Nous marchâmes jusqu'à elle.
Ses flammes rouges orangées éclairaient
parfaitement les lieux.
Celui qui tenait la torche me demanda de
m'asseoir sur une natte, faite de paille et
de raphia, à côté de la grande torche et se
retourna.

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« Tu vas faire le voyage de tes ancêtres,
celui de tes aïeux, tu vas prendre la
route que nous avons déjà prise, celle de
tes pères et celle de tes aînés.»

Cette voix que j'entendis, ferme et


calme, attira mon attention. C'était celle
d'un vieil homme qui se tenait assis, à
l'ombre d'un arbre que la grande torche
ne pouvait me dévoiler. Je distinguais à
peine ses formes dans l'ombre. Les trois
autres, eux, avaient disparu sans que
j’eusse le temps de les voir partir.

« Nos traditions viennent de la forêt »


continua t- il « c'est elle qui nous a tout
appris, c'est elle qui continue de nous
apprendre. Va et parle à l'éléphant!!!
Écoute la gazelle!!! Parle au lion!!!
Écoute les plantes et parle aux arbres!!!
Va! Et contemple l'espace, l'univers et
toutes les galaxies ! Va et touche les
étoiles! Car tu es un peu de tout cela. »

Puis, il se leva et s'approcha de moi très


lentement, le pas sûr et juste des félins
de la savane. Je pouvais maintenant voir
son visage se dessiner à la lueur des
flammes. Tacheté, rayé de noir, de blanc
et de rouge...Les hommes de mon village
étaient devenus des léopards.

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Puis, le vieil homme me tendit une
torche qui n'était pas encore enflammée
et ajouta:
« tu trouveras ton chemin grâce à la
lumière qu'elle t'apportera, prend du feu
de la grande torche. Avant ton départ
au royaume de ce qui n'est toujours pas
visible, prends cette feuille, elle vient de
l'arbre qui sait tout, garde la sous ta
langue, quand tu en auras besoin,
n'hésite pas, consulte- là, elle te guidera
toujours vers les bons chemins et vers les
bons choix.»

Après ces mots, il fit demi-tour et


repartit comme il était venu, puis
disparut derrière le grand arbre.
J'étais maintenant seul, assis sur la natte,
la torche dans une main, le chasse-
mouche dans l'autre, la feuille magique
cachée sous ma langue.
Je me levai, enflammai ma torche des
flammes de la grande torche, puis me
rassis aussitôt. Soudain, le vent se mit à
souffler dans mon dos.
Mais la flamme de ma torche était
protégée, je la tenais près de ma poitrine.
Puis il se mit à souffler plus fort. La
grande torche ne supportant pas les
rafales, s'éteignit et tout devint noir
autour de moi. Heureusement, il me
restait encore la lumière instable de ma

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petite torche, que je protégeais tant bien
que mal des caprices du vent.
Quand le calme sembla revenir, le vent
se mit soudainement à redoubler
d'intensité et la flamme de ma torche ne
résista pas et s'éteignit à son tour. Cette
fois tout était sombre, même les étoiles
dans le ciel avaient disparu.
Puis...!!! Lumières et scintillements,
formes et difformes, étranges couleurs,
drôles de figures.
Dans le noir de mes yeux, dans la
lumière de mon cœur, je voyais le
nouveau monde, enfin … le même
monde.

A travers monts et vallées, j’ai visité les


territoires de l’insondable jardin d'éden.
Sur les terres d’Adam et Ève, Nkunu la
tortue et Ngando le crocodile furent mes
premières rencontres.
Sans me presser, j'ai suivi les sages de la
forêt. J'ai marché, clopin-clopant, près
du témoin des premières aurores: le
gardien de la Grande Porte de Thot, le
féroce et brave Ngando. J'ai trotté
derrière les pas de celle qui ne marche
que sûrement, transportant sur son dos sa
maison et toute la sagesse du monde.

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La nouvelle aventure venait à peine de
commencer, quand soudain sur notre
chemin se dressa, telle une montagne,
une énorme créature qui bloquait de son
imposante et magistrale stature, le
passage dans toute sa largeur. C’était
Njogou l’éléphant.
De sa gracieuse trompe, le père de ceux
qui vivent sous les feuillages et dans les
arbres, dans les plaines et les savanes,
nous salua chaleureusement.

Les présentations faites, mes trois amis


se consultèrent un bref instant. Puis, la
sage tortue prit la parole la première, me
proposant de me conduire auprès du
grand Roi de la forêt, Douboungou le
Lion. Ngando le crocodile et Njogou
l'éléphant acquiescèrent aussitôt.

« Douboungou est notre roi, le garant de


nos traditions, et des décisions de la
forêt »

dit Ngando, comme pour me rassurer sur


notre destination.
Je n'étais pas seulement heureux de
suivre les hôtes de ces bois, j’étais
surtout épris d'une sensation de joie
calme.
Dans mon petit corps d'homme, les mots
n'avaient plus leur place.

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Maintenant je pouvais communiquer
avec une tortue, un éléphant et même un
crocodile...Et qui sais-je encore... ?
La grande expérience commença ainsi
dès nos premiers pas.

Entourés d'une végétation verdoyante et


flamboyante, nous nous enfoncions de
plus en plus dans la forêt touffue, dans le
secret et l'intimité des «Hommes verts».

Les pieds nus, je pouvais ressentir


l'herbe sèche craqueler à chacun de mes
pas. Mes pieds fourmillaient au contact
de Ntchenguè la terre humide et tiède qui
me transmettait maintenant ses énergies
divines et toute la puissance qui donne la
vie.
La force tranquille et sûre gagnait sans
peine tout mon être. Je vibrais
d'harmonie, en accord avec toutes les
notes que la nature sait généreusement
offrir. Nous prîmes un chemin parsemé
de plantes et d'arbres aux formes et aux
senteurs si différentes.
J'avais hâte de rencontrer Douboungou le
lion, Roi de tous les animaux.
Un craquement de bois sec soudain se fit
entendre. Puis, un autre encore plus
audible. Nkunu la tortue, en tête de
marche s'arrêta brusquement, le fil de
mes pensées avec. Mes guides n'avaient

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pas l'air d'avoir peur, ce qui me rassura
instinctivement.
Njogou élança silencieusement sa belle
trompe dans les airs, comme pour
s'informer du responsable de cet étrange
vacarme. Sans se faire attendre, la
réponse arriva d'un arbuste à l'épais
feuillage.

« Ces petits cris entrecoupés sont ceux


de Ngoso le perroquet » me souffla
Ngando. « Je vois, cher ami, que tu as
encore manqué ta branche! »

renchérit amicalement Nkunu, comme


pour entamer la conversation avec le
volatile qui n'avait pas encore montré le
bout de son bec.
L'air craintif et surtout embarrassé, le bel
oiseau au plumage gris et la queue ornée
de plumes rouges sortit finalement de sa
cachette.

« Cette fois je crois que c'est toi qui a


fait la mauvaise déduction » dit-il en
s'adressant à Nkunu la tortue.
« Je n'ai pas manqué ma branche,
comme tu l'avais cru, mais, vous ayant
aperçu au loin, je me suis tapis derrière
cet arbuste, et... »
Il allait continuer dans cette conversation
unilatérale, quand, d'un assourdissant et

- 34 -
inattendu barrissement, Njogou
l'interrompit dans son élan.

« Tu pourrais au moins te rapprocher de


nous et te présenter à notre hôte, la
plaisanterie n'exclut pas les bonnes
manières, l'aurai- tu oublié... » Ajouta
Njogou.

Ngoso ne se fit pas prier. De quelques


bonds en avant, entrecoupés de joyeuses
envolées, il se tînt devant nous et
s'excusa aussitôt de sa réaction.
Puis, sans rien dire, il se retourna en
direction du touffu feuillage d'où il était
sorti.

Fouillant avec son bec dans les


branchages, comme pour retrouver
quelque chose qu'il aurait caché, au bout
de quelques minutes, il se retourna après
avoir discrètement dissimulé sous son
aile l'objet de ses recherches, nous
privant ainsi du fruit de ses trouvailles.
J'essayais tant bien que mal de
comprendre le manège de l'habile et
intelligent oiseau.
Mon vœu se réalisa quand une fois près
de moi, celui-ci me tendit de son bec une
belle plume rouge.

- 35 -
« Accepte cette plume de ma part en
guise de bienvenu, même si nous
n'aurions pas dû nous rencontrer avant
la décision du roi » me dit-il.

J'étais ému et le remerciais de son


présent que j'avais maintenant entre les
mains. Puis, je me mis instantanément à
penser à ce qu'il m'avait dit : le roi des
animaux allait-il m'accepter?
J'avais presque envie de lui demander
plus de détails, mais n'osais pas.

Maintenant il était hors de question pour


moi de faire demi-tour, car je savais que
ma rencontre avec Douboungou, le lion,
serait déterminante pour la suite de mon
voyage.
La route reprit ainsi à travers les bois.
Nkunu la tortue, toujours en tête de fil,
suivit de Ngando le crocodile qui
marchait à mes côtés.
Derrière nous, Njogou l'éléphant, et
Ngoso le perroquet qui était monté sur la
tête du pachyderme, fermaient la
marche.
Dans ma tête, une pluie de pensées
incohérentes battait son plein.
Les mots de Ngoso sur ma rencontre
avec le lion résonnaient sans cesse.

- 36 -
« Nous allons devoir traverser ce terrain
marécageux, et rejoindre la plaine de
l'autre côté.»

Sur ces mots, Nkunu m'interrompit une


fois de plus dans mes pensées. Tout en
montrant la direction à prendre, elle me
proposa de monter sur le dos de Njogou
l'éléphant.

« Tu seras bien plus en sécurité sur


Njogou, nous sommes aux portes des
terres de notre roi.»

Ngoso, des hauteurs du majestueux


mammifère s'empressa de m'inviter à
monter. J'acceptai volontiers l'invitation
du petit oiseau et remerciai Njogou de
me porter.
La traversée venait à peine de
commencer, que Ngoso se mit à me
parler.

« Après le grand conseil qui se tiendra


se soir, sous l'autorité du roi
Douboungou, celui-ci décidera de te
laisser séjourner parmi nous ou pas. »

Nous étions maintenant au milieu du


terrain marécageux. J'apercevais au loin
une grande clairière, entourée d'arbres et
d'arbustes. Derrière cette clairière, une

- 37 -
petite forêt, comme une île verte, perdue
au milieu d'une vaste plaine aux couleurs
de feux, s'étendant jusqu'à l'horizon.
De loin, le beau soleil couchant savait
répandre généreusement ses belles
couleurs. Comme si le ciel touchait la
terre. J'étais fasciné et détendu par la
magnifique vue que m'offrait la nature.
Une fois de l'autre côté, nous
traversâmes la clairière que j'avais vue
de loin. Puis, nous entrâmes dans la
petite forêt. Descendu du dos de Njogou
l'éléphant, je pus maintenant ressentir la
douce fraîcheur de la terre. Au milieu
des bois, les criquets et les oiseaux du
soir annonçaient la nuit qui arrivait
lentement, colorant silencieusement et
graduellement de son manteau noir
l'ensemble de ces lieux. J'étais sur les
terres de Douboungou le roi des
animaux, dans le pays des « Hommes
verts », du Baobab et de l'Okoumé, du
Mbilinga¹ et de l'acacia. J'étais dans le
village de l’Iboga² et du Moubengo³.

« Vaa et dit au roi que nous sommes


arrivés» dit Nkunu en s'adressant à
Ngoso le perroquet.
Sans mot dire, celui-ci sauta sur une
branche, s'élança dans les airs, se faufila
entre les arbres et disparut à travers les

- 38 -
feuillages. En face de nous se tenait un
gigantesque baobab.

Nkunu, me regarda un instant, puis


silencieusement se retourna, contourna le
géant arbre et disparut de notre vue.
Njogou, de sa trompe me fit signe d'en
faire autant. Sans attendre, je me
retrouvai de l'autre côté du grand arbre,
aux côtés de Nkunu la tortue, sur les
bords d'un paisible petit ruisseau
englouti par la forêt.
Peu de temps après, ce fut au tour de
Njogou et Ngando de nous rejoindre.

« Nous sommes finalement arrivés au


bout de notre voyage » me dit Nkunu, «
tu vas être bientôt admis dans la grande
cour où se rassemblent tous les animaux
de la forêt, tu vas être admis dans le
secret qui nous lie tous »

« Tu vas être admis dans la grande


école, celle qui te permettra de recevoir
la connaissance » lança Ngando d'un ton
sec. Puis il continua d'un ton encore plus
sec: « en vérité, elle ne te sera pas
donnée, car elle se mérite. Tu devras
t'affranchir de toutes les étapes
nécessaires pour que ses portes sans
limites te soient ouvertes. »

- 39 -
Puis, Njogou l'éléphant prit la parole:

« Avant d'être admis à rentrer dans la


cour sacrée, tu devras ôter tes vêtements
et tes ornements. » Puis il ajouta : «
ensuite, tu devras te baigner dans le
ruisseau, l'eau qui y coule ne provient
que de la rosée du matin, elle te
purifiera de tout ce qui pourrait te nuire
dans le chemin qui te reste à faire. »

Je m'exécutai aussitôt, et commençai à


m'avancer tout nu dans l'eau tiède et
douce du petit ruisseau.
Soudain, j'entendis un son, s'était le son
retentissant de la corne, celui qui
annonce le départ au voyage.
Quelqu'un avait soufflé dans la cavité de
l'organe du ruminant. Mais qui était-ce?
Y avait-il des...Je n'avais pas fini de
formuler ma pensée que d'étranges voix
chantantes venant de nulle part se firent
entendre. J'étais surpris, c'était des voix
d'Hommes.

Mais qui étaient-ils? Pourquoi n'en


avais-je pas rencontrés depuis le début
de mon voyage? Que faisaient-ils dans
cette forêt? Leurs chants harmonieux
étaient accompagnés d'une mélodie aux
notes parfaitement jouées, comme les
mélodies de mon village.

- 40 -
Une voix masculine et prédominante
entonnait et donnait le rythme, un groupe
de voix d'hommes et de femmes dont je
ne pouvais déterminer le nombre
répondaient en cœur et sans fausses
notes.
Était-ce les miens ou bien la forêt n'avait
pas encore fini de me surprendre ? Le
concert de voix magique continua ainsi
jusqu'à la fin de mon bain.
Une fois hors de l'eau, les chants de la
forêt continuèrent de jouer, mais cette
fois, dans ma tête. Les chanteurs, eux,
avaient disparu comme ils étaient venus.
J'étais un peu déçu de cette rencontre
inachevée. Mes yeux n'avaient pas vu ce
que mes oreilles venaient d'entendre.

J'étais maintenant vêtu de feuilles


d'arbres soigneusement choisies par mes
hôtes.
Je savais que le moment était venu pour
moi d'être introduit dans le cercle des
gardiens de la forêt. Nkunu confirma ma
pensée quand celle-ci se mit à reprendre
la marche.
Je suivais sans mot dire. Mes yeux ne
regardaient maintenant plus que le sol, la
terre. Mes yeux regardaient la mère de
toutes les choses. Celles que l'on connaît
et celles que l'on ne connaît pas, celles

- 41 -
que l'on voit et celles que l'on ne voit pas
et même celles que l'on ne verra jamais.
Quand je relevai la tête, nous étions, sans
que j’eusse le temps de m'en rendre
compte, au milieu de la forêt, dans une
autre clairière, avec un grand arbre en
son milieu.
Je fus surpris de constater que tous les
animaux de la forêt étaient présents,
assis sur les abords du terrain.

L'antilope à côté de la panthère, le rat et


le serpent, l'aigle Mbilou et la gazelle, la
girafe et le buffle... tous ensemble dans
l'enclos royal, au milieu de la forêt, sous
un ciel étoilé que la nuit avait maintenant
enveloppé.
Au pied du grand arbre droit et fier qui
laissait planer au dessus de nous sa plus
belle branche, brûlait un feu.

« Nous sommes dans la cour du roi, ici


se tient tous les conseils de la forêt »

me dit Nkunu. Malgré sa bienveillante


confidence, celle-ci ne put m'interrompre
cette fois dans mes pensées.

Comment était-il possible que les


animaux de la forêt puissent se réunir le
temps d'un conseil et pouvoir
communiquer ensemble dans le même

- 42 -
langage, et par-dessus tout sans avoir à
se craindre ? Et moi, perdu au milieu de
cette forêt, dans un rêve... peut être une
réalité.
Soudain l'assemblée tout entière se tut,
seul le passage du vent entre les feuilles
des grands arbres et le crépitement des
flammes du feu au milieu de la cour
continuaient leur complice et douce
conversation.
Un bruit, bref et presque sans pareil me
fit sursauter. Sortant de nul part et tel un
éclair, Douboungou le lion se tenait
perché comme par magie, sur la branche
du grand arbre au milieu de la cour. Le
beau félin qui dominait ainsi de ses
hauteurs tous les convives se mit à
grogner si fort que le sol se mit à
trembler.
« Sois le bienvenu parmi nous.
Maintenant tu sais que nous sommes
tous ici unis les uns aux autres, nous
parlons le même langage, les miens et
moi ne connaissons pas la guerre ni les
maux des hommes. Parce que tu as fait
preuve d'humilité, je t'accorde le droit de
séjourner parmi nous. »

Puis ce fut un bref silence, un silence


total. Mbilou, le grand aigle que
j'apercevais à peine, traversa la cour dans
un vol plané et silencieux, se posa sur

- 43 -
mon épaule et me chuchota quelques
phrases:

« Maintenant que notre roi a décidé que


tu pouvais rester parmi nous, je t'offre
cette plume pour te témoigner mon
amitié, tu es le bienvenu chez moi», puis
il ajouta, « la forêt et tous les peuples qui
y vivent veulent eux aussi te souhaiter la
bienvenue. Va au centre de la cour et
présente toi, tout le monde a hâte de te
connaître. »

Puis, du même vol plané, le majestueux


rapace aux yeux perçants regagna sa
place au milieu de tous les autres.
Comme un automate qui venait de
recevoir une commande, je me dirigeai
au centre de la cour.
J'étais planté là, au pied du grand arbre, à
côté du grand feu.

L'éclat des flammes et l'ombre du


redoutable fauve au-dessus de moi me
cachaient de moitié l'assemblée qui était
restée silencieuse.

« Je suis le fils de l'homme, l'enfant de la


terre, je suis, parce que aussi ce n'est
pas moi. »

- 44 -
Après ces mots, je saluai l'assemblée et
me tus.
Soudain, des notes de tam-tam venant de
la forêt me firent tressaillir, puis une
voix d'homme, une voix de femme... Ce
fut au tour des chants d'accompagner les
tambours. L'euphonie de ces chants que
j'avais déjà entendus se rapprochait
maintenant un peu plus.
Derrière l'assemblée qui semblait figée,
j'apercevais des lueurs de lumières se
faufiler entre les branches des arbres,
entre les hautes herbes que la nuit savait
si bien dissimuler.
Comme une armée de guerriers, des
hommes et des femmes maquillés de
peinture noire, blanche et rouge, les
petits Hommes de la forêt aux pas de
danse magnétiques et captivants faisaient
leur entrée dans la grande cour.
Maintenant j'étais dans la forêt des
merveilles.
Les femmes, vêtues de couleurs, de
coquillages et de parures, et les hommes,
la tête coiffée de plumes élégantes et
colorées, habillés de feuillages, de
peaux, torches enflammées et lance à la
main, emboîtaient des pas que seul l'œil
témoin en rapporterait avec justesse, la
beauté, la grâce et la vivacité.
J'en avais rencontré dans mon enfance,
dans la forêt, à la chasse ou même dans

- 45 -
mon village, mais jamais je n'avais
assisté et partagé pareil spectacle avec
ces magiques petits hommes que la forêt
gardait précieusement. Maintenant je
savais qu'ils étaient les instructeurs de
nos aïeux, les gardiens de la forêt les
maîtres du temps et les ancêtres de
l'humanité.
Jamais des chants ne m'avaient
transporté aussi loin dans ma conscience
et mon inconscience, jamais l'expérience
de la vie ne m'avait porté aussi près des
profondeurs de mon être.
Chaque parole et chacune des notes
libérées des instruments primaires qui
parlaient un langage sans mots,
résonnaient si fort dans tous les millions
de nucléotides de mon A D N.
La troupe qui formait un cercle autour de
moi, les chants et les pas de danses qui
s'intensifiaient chargeaient l'atmosphère
en électricité.
L'assemblée qui était restée silencieuse
et immobile, se joignait maintenant aux
festivités.
Ceux qui peuplent les forêts sauvages et
les montagnes silencieuses, les rivières
sinueuses et les fleuves mystérieux, se
livraient au spectacle. La forêt était
enchantée, je pouvais entendre des
barrissements et des hennissements, des
piaillements et des sifflements, des

- 46 -
bramements et des braiments, des
grognements et des coassements...
La forêt tout entière s'était mise à parler ;
oui, elle s'était mise à me parler et à me
chuchoter. Elle se mit ensuite à me
frapper, m'avaler..., me chanter et même
me bercer.
La nature me livrait la grandeur et la
magie de ses trésors, la terreur et les
abîmes de sa colère.
La nuit était, mais le temps, lui, avait
disparu.

Gagné par la cécité, je venais de passer


une porte, une porte imaginaire, certes
pour le lecteur du récit, mais une porte
réelle qui s'ouvre et vous laisse rentrer.
Une fois passé, je découvris le nouveau
monde, ses contours et ses détours :
l'histoire de Ntchenguè la terre et toute sa
descendance ; les habitants de la forêt,
ceux des airs, des rivières et des mers...
les lois de la nature et les lois de
l'univers.
Traversant le miroir et transcendant le
symbole, je goûtais les saveurs uniques
que procure la connaissance.
Le temps est une histoire d'hommes, une
histoire imposée par les Dieux.

- 47 -
1 & 3) Arbres du Gabon utilisés dans la pharmacopée
2) Arbuste dont les racines sont utilisées pour des
rites initiatiques. Classé patrimoine national au Gabon

- 48 -
ІV

Avec Mbilou l'aigle

- 49 -
Transformé par l'ultime expérience avec
les peuples de la forêt, j'étais de nouveau
prêt pour une nouvelle et riche aventure.
J'allais maintenant connaître les
sensations des grandes hauteurs, partager
le secret des maîtres du ciel et du vent.
Voir d'en haut tout ce que l'on ne voit
pas d'en bas, admirer et regarder presque
sans mot dire se dévoiler les petits et les
grands détails.
Pour prendre moi aussi l'envol aux côtés
des oiseaux du ciel, j'ai traversé les
grandes plaines et les étendues de
savane, puis j'ai gravi la haute montagne
jusqu'à son sommet pour rencontrer celui
qui m'avait invité.
Mbilou était là, il m'attendait, il m'avait
vu venir des hauteurs de son territoire, le
seigneur des airs était ravi de me
recevoir.

« Je suis content que tu aies accepté mon


invitation. Encore une fois, sois le
bienvenu chez moi ! Nous allons voler
au- dessus des arbres et des montagnes,
nous allons planer au-dessus des océans,
des hommes et de tous ceux qui vivent
en bas.
Je suis heureux d'être ton guide.»
Après ces mots, tout se passa vite pour
moi. Je fus épris d'un froid étrange et
soudain mon corps se recouvrit de

- 50 -
plumes jusqu'à mes jambes, qui se
finissaient par de puissantes serres
acérées à la place de mes pieds. Mon nez
continué en bec et l’œil vif, je déployai
mes ailes aux côtés du puissant aigle
Mbilou, seigneur des airs, le Gardien de
La Porte des Dieux, le royal et grand
rapace du majestueux Kilimandjaro.
D’en haut, le monde s’offre à nous d’une
autre vénusté. D’en haut, et aux côtés de
l'insondable Mbilou, notre regard nous
dévoile, sur vous et par vous, d’autres
connaissances.

C’est le souffle presque coupé, le cœur


rempli de compassion, que j’ai vu mon
nouveau et méchant voisin, levant ses
mains au ciel, les yeux remplis de
larmes, implorer MAESTRO
l’INCONTESTABLE de lui venir en
aide, la santé de sa vieille mère restée au
village se détériorant chaque jour un peu
plus.
J’ai vu aussi mon cousin l’avare… sa
tête coiffée de sa casquette vieux bleu,
qu’il ne quittait pour ainsi dire jamais,
toujours chaussé de ses vieilles sandales
de cuir aux semelles renforcées,
assidûment et sans relâche, aider les
semblables du village d’en face, frappé
de sécheresse dix années durant.

- 51 -
Oui, j’ai vu mon cousin l’avare…leur
distribuer gratuitement, en quantités
gargantuesques, nourriture et
médicaments.
J’ai vu aussi toutes les joies et toutes les
peines de tous mes autres voisins, même
les plus lointains des terres les plus
éloignées. D’avoir vu…
J’ai pleuré mon ignorance et mes
jugements.
De son regard doux et perçant le grand
Seigneur des airs me consola.
De son nid, dominant toutes les plaines
et toutes les cimes de l’horizon, il me
conta son fabuleux destin.
Lui, comme ses ancêtres, est le grand
témoin du temps de ce qui se passe en
bas depuis le commencement. Ils sont les
gardiens divins, ils sont la force.
Détenteur de la connaissance, lui,
comme tous ceux qui se déplacent dans
le ciel, sont là aussi pour nous rappeler
l’existence et la force invisible
d’Opounga le vent, l’alliance et le
témoin des deux époux.

« Au commencement » me dit-il « tout


était obscur et sombre dans le royaume.
En ces temps là, Nzim l'eau, la «
première », n’arborait que sa très froide
et solide monture de glace. De ses
chaudes et fécondes entrailles, de fines

- 52 -
vapeurs jaillissaient continuellement, la
recouvrant entièrement d’un épais et
brumeux voile noir. La ténébreuse
beauté était souvent triste.
Seule dans l’univers noir se trouvait sa
cousine Ngondé la lune.

Elle était son unique confidente et


complice. Celle-ci ne manquait pas
l'occasion de lui rappeler les liens
familiaux : « je serai toujours à tes
côtés» dit- elle à Nzim, « je
t'accompagnerai toute la vie et tant que
nous serons une famille, je viendrai
t'aider quand tu en auras besoin».
Heureusement que peu de temps après,
et dans son parfait et divin plan,
l’illustre rencontre était prévue.
La reine, aux charmes sans égales,
enfanta de son glorieux mari, une fertile
et fragile fille Ntchenguè »… (La terre)

Des hauteurs du majestueux oiseau, j’ai


appris de l’héritage incontournable du
Trois Fois Grand, fils des pyramides et
adoré de Râ.
Longtemps après l’homme des cavernes,
Thalès et son cousin Solon, j'ai
découvert moi aussi la fascination des
mathématiques, de l’astronomie et de
l’univers. J'ai parcouru les terres de
Méroé, visité celle d'Api.

- 53 -
Sur les terres d’Osiris je me suis incliné,
j’ai appris qu’on apprend toute la vie.

- 54 -
V

Bienvenue à Epa Mbia

- 55 -
Je suis né dans un petit pays d’Afrique
centrale aux terres rouges et noires, dont
les côtes ouest se déversent sur l’océan
Atlantique.
Je suis né à Epa Mbia. « Tu es né dans
la main du monde, tu es né dans le
calice sacré » me rappelait souvent un
vieux grand-père.

Situé dans le golf de guinée, le pays de


mon père (comme beaucoup d’autres de
la sous région), vu d’en haut et d’en
dessous, regorge de ressources diverses
et rares.
Falla tient la place de marque dans notre
société.
Sa langue est première au détriment des
langues locales pourtant riches et
toujours existantes.
Le système éducatif et les règles
financières sont un « cadeau » de celle-
ci. Mode et tendance sont plus à la
fallaçaise qu’ailleurs.
Sa communauté y est bien implantée,
cela depuis Voulet et Channoine, le
Capitaine et le Commandant en Mission
Folie Cruelle.
Le honteux passé est caché, pour justifier
la pérennité de ses coloniaux traités.

- 56 -
Florissantes, vivants aisément des
retombées de leurs stratégies, les
entreprises gérées par ces ressortissants
marchent bien et assurent quelques
emplois durables et peut être bientôt les
seuls pour les populations locales.
La rigueur et les méthodes de gestion
font la différence, car ici la corruption
est devenue monnaie courante et cela à
toutes les échelles de la société.
La pauvreté est grandissante, et toujours
grandissimes sont les nouveaux
gisements de pétrole, de manganèse, d’or
et de diamants découverts.
Les villes se remplissent, les villages et
les écoles se vident. Les ventres
gargouillent, le peuple crie famine et le
secrétaire général du grand parti des
Immortels et tout son parti se gavent.
L’artisanat se meurt, la délinquance
prolifère, les arbres disparaissent et les
« Ndoss » (riches) s’engraissent. Tous
sont originaires des neuf villages
alentours.

Les villas façon Vincennes et Santa


Barbara poussent ici et là.
Bientôt la case traditionnelle sera un
lointain souvenir, l’amiante et sa bande
feront ravage comme le sida et ses
associés.

- 57 -
A côté de vieilles carcasses venues du
nord, de gros 4x4 et des Mercedes
défilent déjà dans les rues trouées de la
capitale.
Le ministère de paresseux et insatiables
ministres paye des gros montants aux
concessionnaires et le champagne coule
à flot.
Pendant ce temps, les moustiques nous
font la misère.
Le Paludisme tue nos enfants, nos
femmes et nos vieillards.
Les hôpitaux pour les Immortels et leurs
familles, les morgues pour le peuple !
Et pourtant c’est le même… Patron.
Et pourtant se sont des fils et des filles d'
Épa Mbia.... qui ne sèment pas, mais
vendent toutes les semences, en mode
démence, ils en veulent jusqu'au dernier
grain.
Les Immortels sont d'ici...Ils sont nés ici,
ils ont la couleur des hommes et des
femmes d'ici.

Misère ! Misère ! Mais d’où viens-tu?


Qui est ton père? Retourne dans le sein
de ta mère le veux-tu?

Ha! Nkunu oré guwé? Nkunu gamba!


(Tortue où es-tu? tortue… parle!)

- 58 -
Je me souviens, ta voix retentit encore
dans mes oreilles…Ta sagesse fait frémir
toutes les cellules de mon corps, tu es
vraiment la championne.

Nkunu la Tortue

« Le Grand Ordre (cosmos=Ordre.


Grec) aussi bien que notre inconscient
n’ont en vérité aucun préjugé, ne
l’oublie jamais…en vérité rien n’est bon
ou mauvais, beau ou laid, de valeur ou
sans valeur, positif ou négatif…Homme,
peux- tu affirmer que ce qui te dégoûte
ne fera pas le régal d’un de tes
semblables?
Retient que ces désignations ne sont
valables que pour vous les Hommes,
elles sont les graines de l’illusion et de
la discorde».

Ha! Nkunu mi dé nda ssè? Igamba nia


péndi
(Tortue que puis-je faire? le problème a
grossi)
«La création vous a donné le libre
arbitre pour que vous puissiez
expérimenter la vie dans toute sa
plénitude…Prends garde à tout ce que
tu souhaiteras, car tu l’obtiendras.

- 59 -
La création ne vous ordonne pas
d’expérimenter seulement ce qui vous
semble agréable.
Vous êtes libres d’expérimenter ce que
vous désirez…Surveille avec attention
tous tes désirs».

Mais pourquoi? Comment en sommes


nous arrivés là? Ici...tout...TOUT...a
commencé. Ici, la loi divine vibrait dans
tous les lieux de l'endroit sans exception.
Ici, les Dieux se sont attelés. Ici, de jour
comme de nuit, la nature parle. Ici, les
animaux enseignent. Ici, le vent est un
allié. Ici, les étoiles dans le ciel, le soleil,
la lune et tous les astres ont une vie, une
histoire...à tout jamais liée à notre vie, à
notre histoire. Ici.... Est la « Preuve ».

Ici, maintenant, devient la cour des


méchants qui jadis n'avaient pas accès au
saint endroit, ils se moquent tous des
primaires règles.

« Bienvenue chez Machiavel ! »

Dictature totalitaire et subtil, intimida-


tion, désinformation et désorientation
Crimes et tortures sont les armes de
choix d’une gamme presque sans limite
utilisée sur le peuple et les rebelles du
système.

- 60 -
Bienvenue dans la cour sacrée des
Princes de l’Illu Zion et compagnie.
Ici, règnent les carnivores les plus
féroces et les crocodiles d'outre-tombe.
Ici, jouent parmi les agneaux, les rapaces
les plus voraces et les loups les plus
goulus. Les carnassiers se servent à
volonté. Tambours battants, Satan mène
sa danse et les diablotins emboîtent leurs
plus beaux pas. Les traditions sont
bafouées et dénigrées par les fils et les
filles du pays. Les églises et les divins,
les oblats et les oblates sont dans tous les
coins de rue.
« Bienvenue à Epa Mbia cousin du pays
du bon pain et du bon vin ! Ceux qui
nous dirigent ont signé la charte des
droits de l’homme. Falla son tuteur et
toutes les grandes nations ont leurs
ambassades et consulats dans les
quartiers les plus huppés de la capitale.
Ici cousin, tu peux vivre loin de la
pollution et de la prostitution. Mais,
maintenant, pour assouvir tes «
nouvelles passions», tu en as fait des
institutions. Tes vieilles et asthmatiques
voitures, celles dont tu ne veux plus
parce que trop maladives et
contagieuses...

- 61 -
Les effets redoutables de tes nouvelles
sciences sans conscience : micro (plus
téléphones) ondes maléfiques et
frigidaires à salmonelles polluent la terre
de nos ancêtres, déjà parsemée ici et là
de nombreux champs de sachets en
plastique.
Pour calmer régiments de « Bidasse » et
monsieur Pervers, mes sœurs vendent
leurs corps, pour des miettes et un sida,
dans tes clubs de nuit et discothèques à
militaires.
Ici cousin, tu peux vivre loin des taxes et
loin des masques.
Maintenant, pour étancher leur
gargantuesque soif d’escroc, les grands
princes de l’Illu Zion et leurs complices
se sont masqués pour me taxer tout
l’héritage de mes enfants et petits
enfants.»

Ha! Njogou wéée…ndo anaga wi pafé


cotiza ! Oka revouna zouè kokolo…
(Éléphant! Les Hommes n’écoutent plus!
Allez! Conseille- nous s’il te plaît !)

Toi, le majestueux, le puissant des


puissants, lorsqu’un roi te chevauche, tu
rayonnes et le roi qui te chevauche est
illuminé. Aucun des deux n’a de
présence sur l’autre, tu es vraiment l’égal
du roi.

- 62 -
« Ce n’est pas un gain, si l’homme ne se
consume pas dans l’ascèse ; ce n’est pas
un roi, celui qui ne plaît pas aux femmes,
ce n’est pas un roi, celui qui ne plaît pas
aux éléphants. » (Citation-Inde)

Njogou l'Eléphant

«La vie est soumise elle-même, comme le


microcosme et le macrocosme, à des lois
parfaites et justes.
Ces lois vous les trouvez pourtant
partout, dans le système solaire et dans
l’électricité, dans l’air que nous
partageons et dans les cellules de notre
sang…mais hélas cela ne devient évident
qu’à celui qui regarde de plus
près,…Garde toujours ton œil prêt !

Tout est pourtant construit selon un


système vraiment parfait, depuis l’atome
et son noyau de protons et de neutrons,
… Ne vois-tu pas que ce sont les
électrons qui tournent autour du noyau,
qui sont la cause de toute manifestation
dans la matière… ?Rappelle- toi…rien
n’est hors du système…
L’Homme est la copie fidèle de
l’Univers.
Son champ magnétique tournant sur lui-
même ressemble exactement à notre
galaxie tournant sur elle-même…Et les

- 63 -
intervalles dans les gammes ne
correspondent-elles pas aux intervalles
entre les astres?

Le Hasard est la réponse de celui dont


les yeux et les oreilles sont encore
fermés»

Njogou...Grand Seigneur, c'est avec mes


yeux: la flèche qui traversa la « peau »,
aussi perçants et vifs que ceux du
majestueux Mbilou, ...
Et mes oreilles: les germes,...mes deux
pieds... mes reins...D'elles coulent la
sève bienfaisante...
D'elles, et sûrement grâce à elles, je me
suis dressé sur mes jambes pour voir
mon chemin et entendre le prédateur.

Ici l'injustice est saisissante, le chemin


parsemé d'embûches et de pièges de
toutes sortes.
De loin, de très loin, j'aperçois déjà
l'horizon si sombre du destin que je n'ai
pas voulu.
Mon cousin d'en haut, a laissé le froid
pour le soleil et le miel sucré de la vie
simple sous les cocotiers. Transportant
avec lui les bases essentielles de sa
culture et de sa religion, verre à vin et
verre à eau, loin du RMI et presque au
paradis. Alléluia! Que vive le RSA!!!

- 64 -
Pour lui, ici, il y a toujours la «prime de
soleil» sur sa fiche de paye.
-Ah ! s’écrie le poète en levant des yeux
rêveurs.
-Oh ! dit-il, d’une voix presque
chantante, pour louer la magnificence et
la beauté de la nature.

Ah ! Te crie-je douce Falla, belle Falla,


frère de Falla, Epa Mbia c’est chez toi.
De mon boubou tu n’en porteras pas un
bout sauf si tu le désires. De mon
dialecte mot tu n’apprendras sauf si tu le
veux.
L’intégration, ici tu n'en souffriras pas.
Nous t’acceptons malgré nos différences.
Intègre nous te voulons.

Oh ! Falla des initiés, ceux-là qui


observent, de notre sang et de nos chairs
nous avons payé pour ton intégrité afin
que libre sois-tu et grands soient les
champs de liberté que tu auras à semer.
Voici la plus grande et la plus digne de
toutes les marques de fraternité.
Marc Aurel a dit que celui qui sait
observer (Ob / Servar) sait qu’il n’y a
pas que les fruits qui ont une graine,
mais en vérité tout a une graine.
Maintenant, comme une folle endiablée,
tu sèmes à tout vent et sans vergogne les

- 65 -
graines de la discorde, du mensonge et
de la peur, de la faim et de l’inégalité.
Tu sèmes les graines de la mort. La mort
des insectes d' Epa Mbia : par milliers
des royaumes de termites sont en danger.
La mort des oiseaux, et du bouquet de
feuillage sur la branche, la mort des
arbres du berceau de l'humanité.

Tu sèmes la mort juste pour rassasier ton


gourmet et goulu appétit.
L'Homme qui sait vivre mange peu et
mâche longtemps. La salive libère la
ptyaline qui modifie chimiquement le
féculent en sucre de maltose, assimilé
grâce au suc intestinal et pancréatique,
puis dédoublé en glucose par maître
intestin.

Quand l'alchimie opère, le feu de la vie


est nourri en harmonie avec l’univers.

Ha! Cousin du bon fromage et saucisson,


avec qui je partage ma mère et toute sa
descendance, même si tu crois savoir et
même tout savoir, n’oublie pas.
Je suis aussi l’arrière-petit-fils, je suis la
chair et le sang du brave capitaine
Ntchorere¹. Mort dignement dans les
mains de l’ennemi, mort pour ta liberté,
mort parce qu’il croyait en toi. Je suis le
sang versé pour toi.

- 66 -
N’oublie pas que je suis l’œil qui a
traversé le miroir, le spectre de tous ceux
qui ont payé et qui payent chaque jour de
leurs vies les réactions de tes actions.
Je suis aussi celui-là, le corps mouillé et
collant, sous la chaleur tropicale et
souvent pour des pacotilles, qui plante
ton cacao pour tes Kinders, Mars et
Milka and so on…Et depuis longtemps
maintenant pour tes «chocolat tradition »

Je suis celui qui plante ton café, celui


que tu oppresses et compresses, pour ton
Espresso et Nespresso, tes Capuccinos et
Macchiato. Je suis celui qui se lève
toujours tôt, celui qui débroussaille,
porte et creuse, je suis l'ouvrier qui
extrait des entrailles de la terre sacrée de
mes aïeux, son or noir, son bois, son
manganèse, son niobium et son uranium.
Je suis ta ménagère, ta nounou, qui pour
un salaire de misère te sert depuis de
longues années pendant que tu ruines ma
terre. Quand tu seras parti, mes plus
belles années le seront aussi. En retrait et
sans retraite, vivant de ma fille, de son
salaire de misère et de son métier de
ménagère.
L'enfer c'est les autres, disent-ils.
Mais les autres, il faut faire avec.

- 67 -
Ho! Ngando! Ngando…yivira…anaga
wa péri…Nkala yi dirana…Ho! Ngando
wouya!
(Crocodile! Crocodile…répond…les
Hommes sont perdus…le village
s’effondre…Crocodile, dit!)

Le brave, le téméraire et l’illustre, tes


consignes sont pures et vraies, grâce à
toi maintenant je n’ai plus peur. J’ai une
totale confiance en l’Homme…Tu es
sans doute le plus redoutable.

Ngando le Crocodile

«Vous les Hommes, n’êtes que le reflet


de votre âme. Le vice et la jalousie sont
aussi visibles sur votre corps quant ils
sont cultivés dans vos cœurs.
Sur vos visages se dessine ce qu'il y a
dans vos cœurs.
Votre corps vous le fait souvent savoir;
par la maladie et le stress quand vous
cultivez la mauvaise herbe, et par la
forme et la bonne humeur quant vous
cultivez le bon grain.
Vous avez tous pris cette vilaine
habitude d’accuser le monde extérieur
sur tout ce qui vous arrive, et même ce
qui ne vous arrive pas.
Dans la gamme des coupables, il y a vos
sœurs et vos frères, vos fils et vos filles,

- 68 -
vos pères et même vos mères, il y a vos
amis et vos voisins, sans oublier vos
gouvernements. Certains accusent même
Maestro l’Incontestable et son fidèle
Opposant Satan…Et pourtant…Ce que
tu as appris prouve que tous ces maux ne
sont que la manifestation des causes que
vous même les Hommes avez
provoquées…
L’ignorance ne te protégera jamais des
conséquences des actes que tu as
commis dans le passé et... le lointain
passé.»

Ho! Ngando! Vé koundé... A guinda…


Ha! Ngando ariga zouè…yénan zouè
ékèwa, anaga wi pa mian

(Crocodile! rajoute en…Ne part


pas…Crocodile ne nous abandonne
pas…aie pitié de nous, les Hommes sont
ignorants)

« La création qui est à l’origine, a


engendré d‘ELLE même toutes choses, et
est soumise à la loi de polarité, elle n’est
en aucun cas en dehors de vous.
Celui qui n’a pas compris, reviendra de
toutes les façons, l’Homme ne meurt en
vérité que de sa chaire, et revient dans la
chaire de l’Homme, et même dans celle
de l'animal ou même celle des plantes.

- 69 -
Comme l’inspire succède
inéluctablement à l’expire, l’hiver est
suivi de l’été, le lever alterne avec le
coucher du soleil, l’état d’éveil succède
au sommeil, la mort du corps succède à
la vie de l’âme, et la vie succède à la
mort. N'est pas stupide, qui ne l'a pas
encore compris, c'est juste du gâchis
d'humains. »

Ha! Brave Ngando, tes paroles sont si


vraies mais si troublantes pour l'oreille
encore fermée, celle qui ne vibre plus en
harmonie avec les sons de la nature.

Gagnée par la bruyante frénésie des


villes qui encrasse et déclasse les
délicates mélodies construites en
harmonie avec ces structures intérieures.
Pour celui qui n'a pas traversé « La Porte
des Hommes », et passé « La Porte des
Dieux. », le plus grand savoir et ses «
hautes » techniques ne sont qu’illusions
de libération.
Pour celui là, je prendrais « l'aller
presque sans retour », comme mes
malheureux et braves frères de
Tombouctou et du Faso, de Brazza et de
Kinshasa. Oui! Comme eux, je vais
tourner le dos à la ville pour faire face à
la mer.

- 70 -
Bientôt, moi aussi je vais choisir de
prendre l’incertaine embarcation, celle
qui mène aux frontières du « paradis »
sur terre. Il n'y aura, hélas!, plus qu'elle
pour toucher la terre des blancs.
Ces blancs qui viennent ici par milliers
d'avions, comme leurs aïeux venaient par
milliers de bateaux.

L'œil en ce temps là, certes inquisiteur


tout autant que maintenant, regardait les
dents de la bouche, pour s'assurer de la
bonne santé de sa capture.
Aujourd'hui ils veulent voir dans mes
veines, ce sont mes gènes qui gênent, ils
veulent mon ADN.

1)
Charles N’tchorere (1896-1940)
Capitaine dans l’armée française d’origine
gabonaise, exécuté par les Allemands le 7
juin 1940 avec les hommes du 53 RICMS
après les combats d’Airaines.

- 71 -

Sur les terres de Falla

- 72 -
Sur les terres de la malheureuse pucelle
d'Orléans, c’est presque vrai, la vie est
belle. Plus de la moitié de l’année toutes
les rues sont climatisées et tout le monde
est bien sapé.
Les oies et les canards sont gavés de
force et les gens sont gras de gré...
«Je mange, j'engrange, je dérange »
Étrange... Les chiens et les chats, eux,
vivent comme des pachas, nourris et
logés « cadeau! »
De toutes les façons, dans tous les films
de toutes les chaînes, pas l’ombre d’un
pauvre au royaume du Roi Soleil. Sur les
photos, même les dents déjà très
blanches de ma cousine Fatou, partie en
avion il y a de cela longtemps, sont
devenues encore plus blanches. A l’école
de tous les villages d'Epa’Mbia, dans les
journaux et même en méga hertz, celui
qui s’approprie les esprits m’a inculqué
cette fausse « vérité »…convaincu !
En vérité, une fois parti de mon Cap
Estérias¹, ou des belles plages de
Ntchenguè², ou même du petit port
d’Owendo³ aux rives de Cocobeach4, je
finirais sans doute dans le ventre de
l’océan.
Sinon, avec un peu de malchance,
j’accosterais heureusement ma petite
pirogue dans une autre de tes cours.

- 73 -
Je connaîtrais enfin le terrible destin que
réserve la vie dans Le pays des Droits
de l’Homme...Blanc, sur les terres de
l'Illu Zion.

Je découvrirais le « nouveau monde », la


« Grande » civilisation de « civilisés ».
Sur le territoire du grand Général ce
n'est pourtant pas comme chez tonton
Sam qui lui est dans une autre cour... La
grande Cour. Là-bas le grand chef est
bronzé, il s'appelle Barack et même
Hussein... Holala!!!
Ici, les gens très clairs (de peau), Martin
et compagnie, occupent déjà toute la télé
et tous les postes de juges...
Ils sont tantôt avocat à la cour… Des
princes de l' Illu Zion, tantôt médecins...
Assassins.
Ils occupent tous les postes de ministres
et de députés d’assemblées… De
malfaiteurs. Il existe, c’est vrai, des
exceptions avec quelque Sargrozyzi de
Hongrie, Beggag et Rachida, quelque
Rama et même Fadela des favelas.
Assidûment, et toujours assisté
d’assistantes trop diables, j’étudierais
l’intégration et la plomberie positive, la
discrimination et la maçonnerie négative.
Avec sa main droite et sa main gauche le
grand prince des lieux a façonné son «
méchant loup », il lui a même donné un

- 74 -
nom, quel Pen! Et pourtant, c'est le seul
gentil.

Au pays de Rabelais et de la magnifique


tour Eiffel, les gens sont stressés et
comme la diarrhée, très pressés ...
Pressés comme des oranges.
S’ils s'arrêtent (pour les couples) de
temps en temps c’est pour se lécher ...
Comme les chiens et les chiennes, et
même comme les chiens et les chiens,
les chiennes et les chiennes.

Here you’ve got to be speed man!

Ça roule vite, et les gros cylindres…


bloquent, ici c'est top ou c'est loques, ça
roule aux médocs et c'est la file chez
tous les docs.
Comme les dinosaures diplodocus et
tricératops, fascinus a disparu.
Fêtard, pétards, avare, trouillard,
pleurnicheur, tricheur, sniffeur et
menteur, « j'ai perdu les grandes
batailles, j'ai perdu ma crête et mon
règne avec. »
Les poulets sont dans toutes les basses
cours, et tous les bas coups. En mode gel
et en mode crème, en mode déodos et en
mode psycho...logues.

- 75 -
L'individualiste, styliste, «je suis trop
timide», en mode psychodysleptique, «je
suis sur meetic».
En reste, les poules. Toujours aux
aboies et heureusement très fortes, les
pauvres cocottes, pour garder la cote et
rester au top, développent sans cesse,
enveloppes et stratégies. Car elles le
valent...Bien
Tantôt célibat-seul, elle tente de vivre,
souvent ivre some time shift in coke. Elle
consomme bling-bling, écoute du Sting
et joue de son string. Tantôt célibat-
maman, many psychothérapies.
Maison, mérule et merde bien
dissimulées.
Marmots,..Souvent désorientés...
« Touche pas aux insectes!...c'est
infecte!!! »
D'avance, les agneaux de Dieux sont
dévergondés. Il pleut des insanités! La
fessée est condamnée.
Ici, tout est marqué dans la Grande
Constitution, et au pays des lois et des
droits, il n’y a pas de place pour les hors
la loi.
La belle et mystérieuse fable de La
fontaine nous rappelle que: Tout flatteur
vit au dépend de celui qui l'écoute. Des
milliers d'années avant lui, les petits
hommes de la forêt enseignaient déjà
que:

- 76 -
Tout flatté vit au dépend de celui qui le
flatte. Le flatteur est un calculateur, le
flatté, lui est fou. La rencontre des deux
n'est possible que dans la folie.

La vie est vraiment « cailloux » au pays


de Gains bourg.

Les sorts divergent me dira t-on, mais


cependant, les destins convergent.
La suite logique : « Le programme »,
d'après Zang...5 Le parcours final d'une
armée d'automates. Voici les vieillards,
les grands-pères et les grands-mères de
la nation.
Ceux qui n'ont pas eu le temps et les
moyens de se préparer pour leurs
derniers jours, laissent, malgré eux pour
certains, tous les souvenirs et tous les
repaires des lieux où ils ont passé les
plus longues années de leur existence,
pour des «maisons à vieilles personnes ».
L’infirmière sorcière, mégère en colère.

« Je te pique, repique, je t'astique, te


nique, je te dose, te surdose et te pose...
Overdose. »
OU alors commence inévitablement le
triste sort de la vie dans les cartons, en
tentes, sous les ponts et dans les rues,
pintes, misère, galère et bières.

- 77 -
Ne pouvant plus compter sur les leurs,
ils finissent ainsi péniblement la Grande
et Belle Expérience qu'est la VIE, aux
yeux et au su de la famille, aux yeux de
tout le monde.

« Mamie, Papi c'est bien, mais de loin


c'est mieux »

Terre de Falla! Et pourtant tu es le cœur


de notre terre. La pompe aspirante
et...Plus foulante je dois dire.
Dans tes rues dorment et meurent des
Hommes, tes pères et tes mères, tes
frères et tes sœurs et leurs enfants...
Dans tes palaces et tes palais, jouissent
d'autres... très peu...d'autres...
Au chaud et confortablement logées, les
chaussures des vitrines de tes rues
huppées passent les rudes moments de
froid sous un toit...
What's going on man?
C'est la faim qui guette dans
l'abondance, « je suis pauvre dans la
richesse, je n'ai plus que mes yeux pour
me nourrir...Mon ignorance c'est mon
errance. »
Les penseurs sont morts, Platon n'est
plus, Socrate aussi. La pensée qui vient
du cœur finit toujours dans la boîte de
réflexion, ici on réfléchit et c'est
réflexogène.

- 78 -
Les drogues circulent, alcool et
antidépresseurs aussi, les mariages
divorcent... .fr.
C'est l'armistice, la terre est en fête! Et le
grand chef est en concert, le grand chef a
bruni car la grande salope est a lui.
L'heure, ne crois-tu pas, est venue
d'enlever ton masque? Le temps est venu
de vraiment se regarder, ne le penses-tu
pas?
Il va falloir que nous fassions réellement
connaissance, nous n'avons presque pas
le choix.
Ou du moins, tu n'as vraiment pas le
choix.
Moi je te connais, je te connais depuis le
jour où nous nous sommes rencontrés.
I play your game for a very long time
you know, and I believe, it's time for
you to know who really I am.
La vérité, disait une vieille grand-mère
de mon village, est comme la grossesse,
elle finit heureusement toujours par
sortir.
Peut-être voudrais-tu retarder
l'accouchement, me laisser ainsi le temps
de rejoindre mon frère Moussa et son
voisin Abdel.
Là-bas au moins, je serai certainement
celui qui ne fait que le sale boulot quand
il a du boulot.

- 79 -
A la boutique de l’emploi, j’achèterai
aux meilleurs prix tous mes CV pour un
Contrat Difficile et Introuvable.
L’étudiant, celui qui ne s’arrête pas, le
dynamique grand causeur et re-faiseur
du monde entier.
A bout de force il sera probablement trop
tard pour moi, mais peut-être pas pour
mes enfants : eux, pourront opter pour
un passeport comme Vierra et Dessailly,
et feront ainsi la gloire des arènes et des
banques de l'olympe.
Je serais celui qui souvent balaie tes
rues, celui qui nettoie ta merde.
Je serais l’éboueur et le maçon, le p’tit
vendeur avec ou sans diplômes, celui
que tu croises dans le métro, ou alors et à
coup sûr, moi aussi je déambulerais dans
les nauséabondes cages d’escaliers des
grandes tours de Babylone.
Comme Moussa et son gang, les yeux
rougis par la confiture verte de
Baudelaire, moi aussi je goûterais les
paradis artificiels, en mode colère « la
vie d’ma mère j’ai la rage cousin », en
mode shit-(sheat-merde) ou en mode
techi - (te chie dessus), en mode bière et
en mode rap, même qui dérape, en mode
raï et wagons de poudre.
Bientôt, comme mes voisins, Moussa et
Abdel, je pourrais te dire :

- 80 -
Bienvenue dans ma « téci ». Ici, on casse
tout, de la cabine téléphonique aux
poubelles de la grande place de l’enfer,
on braque, on vole, on viole et on deal,
on deal tout.
Ici, on ne rêve que de télé, grosse
voiture, champagne et cigare, et comme
Doc Gynéco les « gos» (femmes) à
gogo, puis à bout de mac do on perdra
tous nos abdos.

Ici, on a tous la gueule qui pue, les lèvres


bronzées à la fumée, on veut tous que ça
change, mais nous ne changerons pas.
On se lève tous tard et on se couche tous
tard, on vend toujours la merde et on
consomme toujours la merde.
Le verbe tordu et venimeux, ils croient
qu’ils « rap » tantôt à l’Ouest… Side
quand ils perdent le Nord, tantôt à la
Nique Toi-Même, mais pourquoi même
? Flot de sots, gamin- Gabin, recopier et
coller… Just bull sheat.

Le V de la victoire sur la violence, ils


foncent tout droit dans le décor. Et
pourtant il est question de sort et non de
score.

Ha! bilou! Nkunu! Njogou wéé! Hoo!


Ngando! Zindinani zouwè arinman…Vé

- 81 -
kambéni…Ynkogosani…Ozangué...Ikam
bi sani Onigui...!
(Aigle! Tortue! Éléphant! Crocodile!
Apaisez nos cœurs…Parlez encore…Vos
proverbes sont lumière! Vos paroles sont
si douces !)

A vous, sages de la forêt, vous les


témoins de la chose, maintenant la
gangrène des Princes et Compagnie
touche ma famille, mes frères et sœurs
d'Epa Mbia, mes frères et sœurs des
contrées voisines, ceux de Bobigny et
ceux de Cergy, ceux de Fukuoka et ceux
de Likouala.
La méchante et vicieuse gangrène frappe
dans tous les sens et de tous les côtés.
Les victimes sont innombrables et les
techniques, multiples et imparables.
Les lamentations crient dans mes oreilles
et brûlent ma chaire. Mon sang bout et
les pleurs résonnent dans toutes les
cellules de mon corps.

Qu'adviendra-t-il de nos enfants, de nos


petits enfants?
Je suis dépité et profondément blessé.
Le fossé est trop grand, et chaque jour un
peu plus, entre le monde où je suis né et
celui que l’on voit à la télé.
La différence, est si grande, entre le sein
de ma mère que j'ai tété et le biberon du

- 82 -
supermarché ; entre son dos que j'ai
longtemps chevauché avant mes
premiers pas et les bébés exposés,
transportés sur des roulettes.
Autrefois les bébés étaient derrière la
mère. Aujourd’hui les bébés sont devant,
face à la furie des villes, face, un peu
trop tôt au grand théâtre, oui! Celui des
grands.
Mais où se trouve la graine qui fait
germer la confiance dans l'enfant qui
sera l'Homme de demain?
Merci maman pour ton dos...Oui! En ce
temps là, tout était si beau.
Mais, O'ndonga le coq, chantera-t-il
toujours cocorico?
1 Situé à une vingtaine de kilomètres au nord de
Libreville, le Cap Estérias marque l'entrée de
l'estuaire du Komo, au Gabon. Situé à proximité de la
forêt de la Mondha c'est un lieu de promenade
apprécié des Librevillois

2 Ville située dans le sud de Port-Gentil, capitale


économique du Gabon.

3 Ville portuaire situé dans le sud de Libreville.

4 Ville située au nord-ouest du Gabon et au sud-ouest


de la Guinée Equatoriale.

5 Né en 1954 au Cameroun, Marcel Zang quitte,


enfant sa terre natale pour la France.
Dramaturge, poète et nouvelliste, il a publié plusieurs
pièces de théâtres.

- 83 -

Les voix de la Forêt

- 84 -
Mbilou l'Aigle

« L'Homme vu d'en haut est si drôle, il


joue tellement de rôles. Il a succombé à
la grande illusion, celle qu'il a lui même
engendrée. Maintenant il croit qu'il est
son corps, il nie de tout son être son
lointain passé, il nie sa beauté et ment
son songe sans vergogne. Sans foi, son
foie en pâtit.

Sans lois justes, il porte le douloureux et


lourd poids des siennes, conçues dans le
tâtonnement et le pourquoi?
Le questionnement est sans fin, la
démence et l'oubli le guette.
Quant à la peur et la solitude, elles lui
ont toujours été fidèles et souvent
fatales. Ce que son œil ne voit pas
n'existe pas, ce que son oreille n'entend
pas, n'est pas.
Ha! Triste Homme.
La brillance est la résultante de la
concentration sur une partie, l'entier est
sans confins.
Et... subtiles sont les justes lois, le diable
est dans le détail... Et Dieu aussi.

Nkunu la Tortue

Vos grandes tours sont peut-être loin et


même très loin de prétendre l'expérience

- 85 -
de mon humble demeure, chaque strie et
chaque marque sur mon toit étant les
preuves de la technique divine.
Pourtant, l'Homme est trop beau et
beaucoup trop précieux, il est la
technique parfaite, l'excellence des
Dieux et sans doute la touche de
l'Incontestable. L'Homme brille sur la
terre, comme les étoiles scintillent dans
le ciel, quand il arrive dans ce monde,
puis...»

Njogou l'Eléphant

« Il y a des lois, les lois divines, celles de


l'Incontestable Nzambe. Elles sont
présentes tout autour de vous, mais
hélas! Vos oreilles, trop petites
comparées aux miennes, et vos yeux sont
trop occupés ailleurs, c'est pourquoi ces
lois vous semblent imperceptibles, alors
qu’elles sont pourtant existantes.

Comme cette loi de ne jamais


volontairement se couper de sa culture
et de ses traditions car elles représentent
les racines et les poils absorbants de
l'arbre qui porte toute ta descendance,
elles sont donc l'unique nourriture de
ton esprit. Cette loi est pourtant inscrite
partout dans la nature ne le voyez-vous
pas ? C’est vraiment la plus évidente.

- 86 -
Tu t'inclineras avec respect devant les
vieilles personnes. Le vieux ou la vieille
que je suis était aussi le jeune homme ou
la jeune fille que tu es, et toi aussi tu es
programmé pour...Ha! Si tu pouvais voir
à travers les yeux d'une vieille personne!

Tu conserveras précieusement tes liens


familiaux, ils sont le tronc de la branche
que tu es.
Vous Hommes modernes, saviez-vous,
que les membres d'une famille qui
partagent leur repas dans le même plat
restent soudés les uns aux autres toute
leur existence ?

La salive partagée dans le même plat


tisse les liens profonds et sincères qui
garde la maisonnée ensemble jusqu'à
l'âge adulte des enfants, et les grands
parents, jusqu'à leurs derniers jours. Les
vieilles personnes peuvent ainsi finir
leurs derniers jours en paix et en bonne
santé, car toujours entourées des leurs,
qui jouissent pleinement de leurs
conseils.

Au nom de quelle dignité humaine peut-


on interner dans une institution créée de
la main de l'homme, le ventre qui nous a
porté et le père qui nous a donné la vie?
Cela n’entraîne inéluctablement que des

- 87 -
souffrances, perte de mémoire et crise
comportementale, isolement et peur pour
ces vieilles personnes qui jadis avaient
une vie si bien remplie.
Quant à leur descendance, pour la
plupart, ils perdent totalement le fil
conducteur de la vie qu'ils auraient dû
avoir, les vieux ne sont plus là pour
guider. Ils s'immergent d' abord dans
l'illusion, puis quand le corps n’y est
plus et que dame vieillesse s'installe et
prend le contrôle, ils subissent les effets
secondaires de toutes les merdes
consommées. »

Ngando le Crocodile

« L' Homme qui mange son repas sans


rendre grâce à l'Incontestable Maestro,
et préfère s'adonner aux multiples
divertissements pendant le moment
sacré, est voué au stress et à la maladie,
il subira chaque jour les revers de
l'avidité et les conséquences de son
ignorance.
Manger, c'est nourrir le feu de la vie,
comme le bois nourrit le feu qui brûle.
Prendre la vie pour conserver la sienne,
l'instant solennel qui confirme le sacré.
Homme, respecte ce que tu manges car
tu ne sais pas qui te mangera... Homme

- 88 -
fais attention à ce que tu manges, car tu
ne sais pas ce que tu manges...
Béni ce que tu manges, car tu ne sais
vraiment pas qui tu manges.

Ngozo le perroquet

Son plan est parfait, cette terre restera à


tout jamais pure, ici est son domaine.
Ces forêts et ces lieux ont accueillis les
premiers Hommes, le berceau du tout
premier. Les fils et les filles d'Epa
Mbia trouveront leur salut dans ces
forêts, ils vivront l'harmonie, la gloire et
l'abondance en retournant à leur source
et leur tradition.

Va et dit aux filles et aux femmes d'Epa


Mbia, qu'elles portent sans doute
l'avenir des Hommes de ce pays, comme
elles portent l'enfant dans leur ventre.
Elles sont celles par qui tout a
commencé, et d'elles tout recommencera
comme aux premiers jours.
Qu'elles nourrissent leurs nouveaux nés
de leurs seins et ils vivront et vieilliront
sains. Qu'elles chantent à leurs enfants
les chants du village, ils grandiront et
deviendront sages.
Qu'elles se tiennent la main et ensemble
qu'elles s'organisent et se battent sans
cesse et sans relâche afin que ne

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périssent les méthodes ancestrales et
leurs multiples et vertueuses qualités,
qui depuis toujours ont su garder vos
aïeux dans l'harmonie et le
discernement. Ce n'est pas une fierté
d'être une fille d'Epa Mbia, d'être une
femme d'Africa, d'être une femme sur la
terre, mais c'est un devoir pour
l'humanité tout entière.

A vous hommes d' Epa Mbia, levez-vous


quand au loin Kombé le roi soleil vous
envoie ses premiers rayons de lumière,
célébrez chaque matin la vie qui
recommence avec le lever du jour.
Retournez sans cesse consulter les
gardiens de vos traditions, ils sont sans
doute une source inépuisable de
connaissance et de savoir acquis depuis
l'origine de votre exceptionnel parcours,
mais également les divins garants que le
ciel a généreusement offert à l'humanité.
Soyez courageux comme vos frères, les
zoulous, soyez unis comme vos frères du
Mali, soyez une famille comme vos
cousins du limousin, soyez volontaires
comme vos frères d'Angleterre, soyez
vaillants comme vos frères du Bhoutan,
soyez des frères comme vos frères du
Niger.

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Ainsi vous vaincrez et remporterez toutes
les victoires contre la division, la faim et
les souffrances qui ruinent tout espoir de
stabilité, d'équilibre et
d'épanouissement.
Reste concentré homme d'Epa Mbia, sois
organisé et prend ton destin et celui de
l'humanité comme ton unique mission, et
n'oublie pas que l'homme n'est que le
fruit de son rêve.
Pour ceux qui ont toujours piétiné
Ntchenguè la terre avec mépris, l'heure
des Dieux est arrivée, le temps du Grand
Maître a enfin sonné.
Les arbres et toutes les plantes ont assez
supporté leurs caprices, et pourtant ce
sont leurs puissantes et multiples racines
qui retiennent la terre où ils posent leurs
pieds, leurs maisons et leurs
orgueilleuses architectures. De leurs
feuilles et de leurs branches ils purifient
sans relâche et sans plaintes l'air que
l'Homme respire.

Les animaux de la forêt et les habitants


des océans et des rivières sont en
colères, ils ont depuis toujours nourri
l'Homme et maintenu l'équilibre de son
environnement.
Ils viendront de tous les horizons, ils
poseront tous leurs genoux sur l'argile
sacrée, la plus vieille terre du monde.

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Ils s'abaisseront devant la grandeur des
savoirs d'Epa Mbia, ils danseront aux
sons des tam-tams d'Africa, ils
respecteront enfin le baobab, ils
respecteront le chêne et le châtaigner...
Ils s'inclineront devant le séquoia et
devant le banian.

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Conclusion

La vie de l'Homme, une histoire ni belle


ni vilaine, qui commence à sa naissance.
C'est le temps de l'insouciance. Notre
venue si douloureuse devient chaque
nouveau jour heureuse ou malheureuse.
Même l'enfance, pleine d'incertitudes, se
réserve toujours l'instant du rêve.
Même dans des conditions
rudimentaires, l'Homme trouve
finalement son nécessaire.

Les enjeux sont sûrement différents pour


chacun d'entre nous, mais le pouvoir de
tout changer heureusement est aussi en
chacun de nous.
Les réalités quotidiennes individuelles
nous rattrapent, ce n'est pas nouveau
hélas! Tout arrive toujours au
commencement.
Notre présent est un fil invisible qui nous
lie à notre passé, notre présent tisse aussi
lentement le fil de notre futur.
Un voile épais nous garde de voir notre
fil, un voile que nous renforçons chaque
jour un peu plus dans notre cécité de
l'esprit.
La vie, c'est comme un chien attaché à
un wagon, ou il suit, ou il est tiré

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« Sinon y a rien hein!!! C’est l'homme
lui-même qui panique » c'était la
citation préférée des vieux de mon
village.

L'instant : voilà le plus beau cadeau,


mais tellement fragile, que les Dieux
nous ont offert, car la vie on en sort, ça
c'est sûr, mais pour y entrer, il faut
d'abord entrer dans l'esprit de soi-même,
ainsi que dans l'esprit de toutes les
choses.

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