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Aureus
Aureus
AU R E U S
VOLUME DEDICATED
TO PROFESSOR
EVANGELOS K. CHRYSOS
EDITORS
Taxiarchis G. Kolias – †Konstantinos G. Pitsakis
associate editor
Catherine Synellis
ATHENS 2014
ΕΘΝΙΚΟ ΙΔΡΥΜΑ ΕΡΕΥΝΩΝ
ΙΝΣΤΙΤΟΥΤΟ ΙΣΤΟΡΙΚΩΝ ΕΡΕΥΝΩΝ
ΤΟΜΕΑΣ ΒΥΖΑΝΤΙΝΩΝ ΕΡΕΥΝΩΝ
AU R E U S
ΤΟΜΟΣ ΑΦΙΕΡΩΜΕΝΟΣ
ΣΤΟΝ ΚΑΘΗΓΗΤΗ
EΥΑΓΓΕΛΟ Κ. ΧΡΥΣΟ
επιστημονικοι επιμελητεσ
Ταξιάρχης Γ. Κόλιας – †Κωνσταντίνος Γ. Πιτσάκης
επιμελεια υλησ
Κατερίνα Συνέλλη
ΑΘΗΝΑ 2014
Η έκδοση πραγματοποιήθηκε
με την οικονομική ενίσχυση
του Κοινωφελούς Ιδρύματος
Αλέξανδρος Σ. Ωνάσης
ISBN 978-960-9538-26-8
Περιεχόμενα - Table of contents
Tabula Gratulatoria . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XI
Πρόλογος - Preface. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XIII
Ταξιαρχησ Γ. Κολιασ: Ευάγγελος Κ. Χρυσός. Ο ιστορικός, ο δάσκαλος, ο άνθρωπος XV
Κατερίνα Καραπλή: «Περὶ τοῦ οἷον εἶναι δεῖ τὸν στρατηγὸν». Μια άλλη κατη-
γορία «ἡγεμονικῶν κατόπτρων» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297
Πολύμνια Κατσώνη: Ο Ιωάννης Τζέτζης και ο κοκκιάριος: Πληροφορίες για
το φορολογικό σύστημα και τη λειτουργία του στην επιστολογραφία της
ύστερης βυζαντινής περιόδου. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311
Tonia Kioussopoulou: Demeures aristocratiques à Constantinople au cours
de l’époque byzantine tardive. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 329
Johannes Koder: Der Defter-i Sancak-i Arvanid als Quelle für demographische
Informationen über Epirus an der Wende von der byzantinischen zur osma-
nischen Herrschaft. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 341
Athina Kolia-Dermitzaki: Byzantium and the West – the West and Byzantium
(Ninth-Twelfth Centuries): Focusing on Zweikaiserproblem. An Οutline
of Ideas and Practices. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 357
Βούλα Κόντη: Τα θαύματα στο αγιολογικό έργο του Νικολάου Μαλαξού. . . . . 381
Χρύσα Κοντογεωργοπούλου: Το αναφερόμενο στο Πρακτικόν της Αθήνας το-
πωνύμιο Ασκληπιός: Nέα στοιχεία . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 391
Μιχαήλ Σ. Κορδώσης: Η «Ρώμη» του Ινδικού Καυκάσου στις ασιατικές πηγές
και η σχέση της με την Ανατολική Ρωμαϊκή αυτοκρατορία (Βυζάντιο). . . . 403
Ελεωνόρα Κούντουρα Γαλάκη: Ο Μέγας Κωνσταντίνος στο αγιολογικό έργο του
Κωνσταντίνου Ακροπολίτη: Ιδεολογικές επαναλήψεις και νέες προσεγγίσεις. 417
Ευάγγελος Κ. Κυριάκης: Η βυζαντινή Realpolitik απέναντι στους Νοτιοσλά-
βους και τους Βουλγάρους (αρχές 7ου - αρχές 11ου αι.). . . . . . . . . . . . . . 443
Στέργιος Λαΐτσος: “Perfectae fidei et amicitiae vinculo insolubili innodatis”.
Τελετουργικές μορφές φιλίας στην Historia Ierosolimitana του Albericus
Aquensis. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 487
Dimitrios Letsios: Byzantium and Ethiopia. The Origins of Byzantium’s Fo-
reign Policy in the Red Sea. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 513
Ιωάννα Λιάκουρα: Γυναίκες ιατροί στην ύστερη αρχαιότητα και το πρώιμο Βυζά-
ντιο. Ζητήματα ορολογίας. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 539
Ljubomir Maksimović: Constantine VII and the Past of the Serbs. On the
Genesis of De administrando imperio, chapter 32 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 553
Athanasios Markopoulos: In Search of the Historical Novel in Byzantine
Literature. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 561
Ζήσης Μελισσάκης: Ἄγνωστα παλίμψηστα φύλλα μὲ τοὺς Διαλόγους τοῦ πάπα
Γρηγορίου Α´ σὲ κώδικα τῆς Δημοτικῆς Βιβλιοθήκης Τυρνάβου. . . . . . . . 577
Γιασμίνα Μωυσείδου: Η αυτοκρατορία της Τραπεζούντας. Ένα «παρασιωπη-
μένο» κεφάλαιο της Βυζαντινής Ιστορίας. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 591
Βασιλική Νεράντζη-Βαρμάζη: Οι Κύπριοι και οι άλλοι κατά το Μεσαίωνα.
Ταυτότητες και ετερότητες . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 603
ΠΕΡΙΕΧΟΜΕΝΑ - TABLE OF CONTENTS IX
L’intérêt pour le passé et le nombre élevé d’ouvrages historiques qui s’ensuit est
un des traits spécifiques de la littérature byzantine et, dans un sens plus large, de
la culture des Byzantins instruits. L’existence de l’Empire byzantin a été accompa-
gnée presque sans interruption de la création d’œuvres historiques, de la rédaction
et du complément des ouvrages existants, de la compilation d’œuvres nouvelles,
ce qui a abouti au corpus impressionnant de la littérature historique byzantine, la-
quelle de nos jours encore constitue un sérieux défi pour la science historique et
philologique moderne. Ce qui nous préoccupe en l’occurrence, ce n’est pas tel-
lement l’analyse de textes au contenu historique, créés à Byzance, mais plutôt le
sort de ceux qui ont été traduits en Bulgarie médiévale et qui nous permettront
de reconstituer, partiellement au moins, la vision de la littérature byzantine, ayant
servie de modèle. C’est une vision aussi bien charismatique pour les hommes de
lettres bulgares (des traducteurs et des copistes surtout) que pragmatique, envisa-
gée comme le chemin menant à la vraie connaissance de la doctrine chrétienne,
qui s’est imposée durant toute la période d’existence de l’État médiéval bulgare,
pour demeurer présente dans la mémoire culturelle des Bulgares après la chute du
Deuxième Royaume bulgare en 1396 et longtemps après la disparition de l’Empire
byzantin de la carte politique du Sud-est européen.
L’adoption du modèle culturel byzantin en Bulgarie médiévale n’est pas le
résultat de l’évolution naturelle des écritures parmi les Slaves en général et dans
l’État bulgare en particulier. Malgré les renseignements que donne l’écrivain bul-
gare, le Moine Khrabar, à la fin du xe siècle, au sujet de la présence d’un alpha-
bet rudimentaire, apparenté à l’écriture runique, chez les Slaves, ils ne parviennent
pas par leurs propres moyens à créer un alphabet, dans le sens philologique du
terme1. Comme il est notoire, après l’adoption officielle du christianisme par l’in-
termédiaire de l’Église constantinopolitaine, réalisée par le prince Boris Michail en
1. Le texte du Traité du Moine Khrabar paraît dans : K. Kuev, Chernorisec Chrabur, Sofia
1967. Dans cette étude sont publiées 78 copies de l’ouvrage. Voir aussi : G. Ziffer, Chrabr Monaco
e le origini della civiltà scrittoria slava, Slavica Ambrosiana 1 (2010) 77-86, y compris la biblio-
graphie.
798 Vasya Velinova
863/64, des représentants du clergé grec s’introduisent dans le pays pour jeter les
bases de la pratique liturgique et des activités qui s’ensuivent : la mise en place de
centres littéraires, d’ateliers de peinture, de monastères, etc. Or, très vite, le sou-
verain bulgare ambitieux entreprend des mesures actives visant la « traduction »
de la culture chrétienne dans une langue parlée et compréhensible pour le peuple
bulgare, en accueillant dans la capitale Pliska, à la fin de 885, les disciples des mis-
sionnaires slaves Cyrille et Méthode, ayant survécu à la mission de Moravie. Ainsi,
à la différence de nombreux autres peuples, dotés d’écriture et de littérature dans
leur propre langue, les Slaves savent exactement quand et comment ont été posés
les débuts de leur tradition livresque. Qui plus est, son apparition est chargée pour
eux d’une signification spirituelle particulière, du fait qu’il ne s’agit pas seulement
de la présence d’un alphabet des Slaves, mais d’un acte sacral, qui les associe à
la Parole Divine. Nombre de textes, liés aussi bien à l’œuvre des frères Cyrille et
Méthode eux-mêmes, qu’à celle de leurs disciples révèlent cette signification cha-
rismatique des caractères de l’alphabet slave, respectivement, des premiers textes,
traduits par les frères de Thessalonique2.
Sur la toile de fond des événements que nous venons de décrire, l’assimilation
de la littérature byzantine doit être analysée comme un processus complexe, qui
inclut non seulement la littérature utilitaire, appelée à desservir strictement le rite
chrétien, mais un éventail plus large de textes, susceptibles d’inculquer à leurs usa-
gers les paradigmes fondamentaux de la pensée chrétienne, des idées théologiques
et des stéréotypes culturels. En pratique, l’élite culturelle bulgare de la fin du ixe
et du début du xe siècle a transféré entièrement le modèle de la tradition littéraire
byzantine en Bulgarie, en l’adaptant aux besoins de l’Église bulgare nouvellement
créée et de la liturgie en langue bulgare. Il importe de noter que quand il s’agit du
modèle littéraire adopté par Byzance, nous ne devons pas perdre de vue son carac-
tère strictement théologique et liturgique. En ce qui concerne le choix des textes
grecs à traduire, ils sont triés sur le volet : parmi les œuvres traduites tout au long
du Moyen Âge bulgare, il n’y a aucune qui dépasse les limites des textes au contenu
théologique et à la fonction liturgique. Ainsi, pour les hommes de lettres instruits
bulgares, la littérature byzantine devient l’équivalent de la littérature liturgique,
sans compter que l’élimination d’un bon nombre d’œuvres byzantines laïques ré-
trécit sensiblement l’idée qu’on se fait de la riche tradition littéraire grecque3.
2. F. Dvornik, Byzantine Missions among the Slavs. SS Constantine Cyril and Methodius, New
Brunswick 1970; R. Picchio, Questione della lingua e Slavia Cirillomethodiana, in: Studi sulla que-
stione della lingua presso gli slavi, Roma 1972, 7-112; R. Marti, Problemi na znacenieto na slav-
janskata leksika ot Kirilo-Methodievsko vreme, Palaeobulgarica 15, 4 (1994) 23-39; V. Velinova, Il
proemio al Santo Vangelo e la tradizione Cirillo-Methodiana, Slavica Ambrosiana 1 (2010) 117-127.
3. M. Spassova, Istoricheski I kvaziistoricheski podhod pri tylkuvaneto na svedenijata za pre-
L’historiographie byzantine et sa vision 799
Antike und Mittelalter in Bulgarien, Berlin 1960, 51-69; B. Croke, The origin of the Christian
World Chronicle, in: History and Historians in Late Antiquity, Oxford 1983, 132-146.
8. V. Istrin, Chronika Ioanna Malaly v slavjanskom perevode, Moscow 1994.
9. Voir la plus récente édition de la première traduction de la Chronique chez V. Matveenko
– L. Scegoleva, Knigi vremennye i obraznye Georgija Monacha, t. I, c. 1 I 2, Moscow 2006. La
deuxième traduction est attestée par onze copies serbes allant de 1386 au xviie siècle, ainsi que par
une copie incomplète bulgare du xve siècle. L’œuvre est connue sous les titres de Letovnik ou de
Tsarostavnik.
10. L’œuvre est conservée dans quatre copies. Vers la fin du xe siècle, on traduit en bulgare non
pas la Chronique de Georges Syncellos, mais une compilation attribuée à cet auteur. Les différences
relevées à plusieurs reprises entre la traduction slave et l’original grec trouvent leur explication
dans la circonstance qu’une grande partie de l’ouvrage renferme en réalité un extrait assez étendu
de la Chronique de Julius l’Africain. Elle était connue des traducteurs vieux bulgares grâce à un
extrait en grec, composé au xe siècle, et devenue la base de la compilation chronographique traduite.
La traduction est transcrite en caractères glagolitiques, probablement d’un lettré de l’entourage de
Jean l’Exarque.
11. V.I. Sreznevskij, Slavjanskij perevod Chroniki Symeona Logotheta s dopolnenijami, Saint-
Petersbourg 1905 (München 1971) [= Slavische Propyläen 99]. La traduction est connue d’après
une seule copie, conservée à la Bibliothèque nationale de Russie, F. IV. № 307 du xviie siècle, por-
tant les traces d’une rédaction linguistique médio bulgare. Un des premiers chercheurs qui a étudié
le texte slave, Vassiljevskij, est d’avis que la traduction reflète fidèlement la copie grecque, qui est
beaucoup plus proche de l’original que les copies grecques dont on se sert actuellement. V. Vassil-
jevskij, Chronika Logofeta na slavjanskom i grečeskom, VV 2 (1895) 77.
12. Cfr. A. Jacobs, Die byzantinische Geschichte bei Iohannes Zonaras in slavischer Über-
setzung [Slavische Propyläen 98], München 1970. La version abrégée serbe de la chronique est
connue sous le nom de Paralipomène de Zonaras.
13. La traduction slave de la Chronique de Constantin Manassès est conservée dans quatre co-
pies intégrales et plusieurs fragments, dont nous exceptons les nombreux extraits insérées dans les
Chronographies russes. Elle a subi plusieurs éditions: J. Bogdan, Cronica lui Constantin Manasses
traducere mediobulgarâ fâcuta per la 1350, Text şi glosar de J. Bogdan, cu prefată de prof. I. Bia-
nu, Bucureşti, 1922; I. Dujčev, Letopista na Konstantin Manasu, Fototipno izdanie na Vatikanskija
prepis, Sofia 1963; Srednebolgarskij perevod Hroniki Konstantina Manassii v slavjanskih literatu-
rah, introduction D.S.Lichceva, Sofia 1988; Hronika Constantina Manassija, t. I Fascimile edition,
t. II Studies, Athens 2007.
L’historiographie byzantine et sa vision 801
mun, en tant que facteur principal de l’ethnogenèse, était présent dans le Premier
Royaume bulgare avant la christianisation. Il trouvait son expression dans les
conceptions traditionnelles pour la culture préchrétienne du principe familial, en sa
qualité de consolidateur et de générateur de l’histoire. Un monument précieux, la
« Liste onomastique des khans bulgares », nous donne une idée du style lapidaire
et du procédé narratif dépouillé de fonctionnalité, typique pour ce genre de textes14.
Compte tenu du rôle dominant des clans protobulgares dans le gouvernement du
pays jusqu’à la christianisation et aussitôt après, cette vision des choses devait être
profondément ancrée dans son idéologie officielle. Le fait de les remplacer par la
chronique chrétienne mondiale n’est en réalité qu’un changement de conception,
dans laquelle la version plus ancienne de la Liste onomastique continue à être pré-
sente, mais dans un contexte modifié15. Elle devient partie de l’histoire chrétienne
et les origines des Protobulgares se rattachent symboliquement aux anciens rois de
Judée16. Dans la conscience des Bulgares convertis au christianisme, à l’époque des
clans vient s’opposer la vision chrétienne de la Création, l’histoire se trouve struc-
14. Pour la première fois, le texte a été publié par A.N. Popov d’après deux copies: A. Popov,
Obzor chronografov russkoj redakcii, Moscow 1866, 25-27. Le monument écrit fait l’objet de plu-
sieurs publications dont celle de G. Moravčik, Die bulgarische Fürstenliste, Byzantinoturcica II
(1958) 352-354; M. Moskov, Imennik na bulgarskite chanove. Novo tulkuvane, Sofia 1988. Une
présentation intégrale de la « Liste onomastique des khans bulgares », étant donné son importance
en tant que source de références historique propose M. Kajmakamova, Bulgarska srednovekovna
istoripis, Sofia 1990, 40-42 et 59-65. Parmi les études les plus récentes qui cherchent à situer la
Liste onomastique dans son contexte idéologique, on peut citer celle de I. Dobrev, Prozrenija v
bulgarskata starina, Linz 2007, 256-270 et de D. Peev, Archivskijat chronograph Еlinski i Rimski
letopisec i redakcija, Starobulgarska literatura 39-40 (2008) 104-131, en particulier 112-113. Une
version abrégée de cette étude est publiée dans l’édition électronique Lettera et lingua, 5 (2007):
http://slav.unisofia.bg/liliJournal/summer2007/PeevD_summer2007.html
15. Sans entrer dans les détails à propos du débat concernant la Ière rédaction des Letopisec
Elinski et Rimski (Chronique Hellénique et Romaine) (voir O.Tvorogov, Еlinski i Rimski letopisec,
t. 1 Tekst, Moscow 1999 et t. 2 Komentarii, Moscow 2001), je mentionnerai le fait qu’après le IVe
livre des Rois a été insérée la Liste onomastique des khans bulgares. B. von Arnim a formulé l’hy-
pothèse que la relation entre le premier souverain apparaissant dans la Liste Avitohol et le serviteur
du roi David Achitofel des Ier et IIe Livres des Rois avait déterminé le renvoi de l’histoire protobul-
gare à l’histoire judaïque, pour mieux souligner l’origine ancienne des Protobulgares. B.von Arnim,
Wer war Avitohol ? (Zur Fürstenliste), in: Sbornik v chest na L. Miletic, Sofia 1933, 573-575. Il im-
porte de noter que la Liste onomastique n’a été incluse que dans les compilations chronographiques
et non pas dans les Chroniques mondiales, ce qui est dû probablement à la conscience qu’avaient
les hommes de lettres du caractère monolithe de ces œuvres, à l’opposé de la structure en mosaïque
des chronographies.
16. A notre avis, cette « légitimation » symbolique peut s’appliquer également à la famille des
rois troyens qui, comme il est notoire, sont les patriarches de l’État romain, puisque Jean Malalas
rattache les événements de la Guerre de Troie au règne du roi David. Cette tradition est reprise dans
la Chronique de Constantin Manassès et dans un grand nombre de chroniques russes.
802 Vasya Velinova
turée autour du précepte fondamental du prophète Daniel sur les quatre royaumes
terrestres17, pour parachever son caractère providentiel. Les événements décrits
n’ayant pas de relation de cause à effet, sont représentés comme la réalisation d’un
modèle préalablement conçu, qui a sa propre existence transcendante. Par consé-
quent, les chrétiens se mettent à vivre dans une attente eschatologique, qui se mani-
feste à des degrés dans les moments historiques différents.
Le premier réside dans la possibilité de voir les événements de notre propre
passé « s’inscrire » dans l’histoire actuelle, considérée comme la seule légitime.
Des exemples de ce genre nous sont présentés dans presque toutes les chroniques
traduites. Nous retrouvons des textes ajoutés, liées à l’histoire bulgare, dans les tra-
ductions des Chroniques de Georges Hamartolos et de Jean Malalas18. Ce processus
de légitimation de l’histoire bulgare est particulièrement mis en évidence dans la
traduction de la Chronique de Constantin Manassès, où les textes supplémentaires
évoluent jusqu’à former un récit historique autonome qui vient s’ajouter à la tra-
duction du récit original. D’une manière analogue, la tradition antérieure à la Liste
onomastique est inscrite dans une compilation chronographique, où l’histoire des
Protobulgares avant leur arrivée dans la Péninsule balkanique se trouve incorporée à
l’histoire mondiale. Ainsi, la chronique mondiale devient un instrument, permettant
d’acquérir un statut déterminé parmi les royaumes et les souverains. Elle est réinter-
prétée de sorte à acquérir le statut d’une lecture « quasi » biblique, ce qui est attesté
par le titre slave donné aux chroniques mondiales Tsarostavnik (Statut des Rois), ce
qui implique sa relation avec la Bible, en particulier, avec le Livre des Rois.
17. Les prophéties du prophète Daniel et l’importance qu’elles ont pour la création de
la « matrice » de l’histoire mondiale sont bien connues. Cela devient évident de leur apparition
fréquente dans les compilations, par exemple dans Arhivski hronograf (Russian States Archives,
fonds 181 № 279), ff. 290, dans Elinskij i Rimskij letopisec, etc. La portée du personnage du prophète
Daniel qui est une sorte de clé vers l’histoire mondiale est particulièrement mise en évidence
dans la tradition apocryphe, où les compilations bulgares au contenu historique, sont présentées
d’habitude comme des visions ou comme des interprétations des prophéties de Daniel. Ainsi, elles
semblent inspirées par le personnage biblique, qui a donné une signification à l’époque historique,
et acquièrent de la sorte un statut divin. Cfr. V. Tapkova – A. Miltenova, Istorikoapokaliptičnata
knižnina v srednovekovna Bulgarija, Sofia 1996. Voir G. Podskalski, Byzantinische Reichsescha-
tologie. Die Periodisierung der Weltgeschichte in den vier Grossreichen (Daniel 2 und 7) und dem
tausendjärigen Friedensreiche (Apok.20), München 1972.
18. Kajmakamova, Bulgarska srednovekovna istoriоpis, 184-191. Les interventions com-
prennent non seulement des textes ajoutés, relatant des événements de l’histoire bulgare, mais aussi
la substitution de toponymes bulgares aux toponymes grecs, la modification de la titulature des
souverains, des commentaires visant à éclaircir des passages obscurs, des gloses, etc. A propos des
gloses dans la traduction de la Chronique de Constantin Manassès, voir : V. Velinova, Chronikata
na Konstantin Manassij v bulgarskata srednovekovna knižnina, Starobulgarska literatura 37-38
(2007) 159-176.
L’historiographie byzantine et sa vision 803
Le deuxième effet des possibilités didactiques que présente la chronique est son
élévation dans la hiérarchie des genres médiévaux en Bulgarie au point d’être considé-
rée comme l’analogue narratif de l’Ancien Testament, dépouillé des exigences cano-
niques rigoureuses à l’endroit de l’hypertexte fondamental de la culture chrétienne, ce
qui le rend plus mobile, mais en même temps suffisamment conservateur pour sauve-
garder la vérité sur l’histoire humaine. Si nous y ajoutons la circonstance que les évé-
nements relatés dans les chroniques étaient toujours construits autour de la personnali-
té du souverain, le messager de Dieu sur terre, nous aurons un tableau édifiant du puis-
sant instrument didactique, susceptible de visualiser les manifestations visibles de la
volonté invisible du Créateur, en la matérialisant dans les personnages des souverains
chrétiens19. C’est exactement ce type d’ouvrages qui correspondait aux nécessités de
la société bulgare. Ils étaient appelés à remplacer avec bonheur l’Ancien Testament,
en reproduisant l’histoire sacrée qu’il renfermait, sous une forme simple et accessible.
La création de l’alphabet slave par Cyrille et Méthode a été suivie des premières tra-
ductions, axées essentiellement sur les textes liturgiques. Probablement l’Évangile et
l’Apostolus ont été interprétés dans leurs rédactions liturgiques comme Évangéliaire
(aprakôs) et Praxapostolus20. La même méthode a été appliquée aux livres vétérotes-
tamentaires, la première version traduite étant l’ainsi nommé Parimejnik (Propheto-
logion)21. Les études contemporaines des textes relatifs à la tradition des traductions
bibliques intégrales démontrent que la traduction intégrale de l’Ancien Testament ne
devient accessible pour les Slaves qu’après la seconde moitié du xive siècle22. Il est fort
naturel alors que l’histoire sainte ait été étudiée et commentée à travers les chroniques
mondiales, d’autant plus que celles-ci ne se contentaient pas simplement de la rela-
ter, mais s’engageaient aussi à la commenter, à la compléter d’événements concrets,
d’exemples édifiants, de renseignements légendaires. Dès l’époque vieuxbulgare, on
assiste à la compilation en contexte slave d’un ouvrage intitulé Tâlkovna Paleja, un
recueil-commentaire de la Bible, qui suit les événements depuis la Création du monde
jusqu’au règne du roi Salomon. Ce recueil est également d’origine protobulgare, ainsi
que l’attestent les dernières études des textes23. Une partie des commentaires du texte
vétérotestamentaire de la Tâlkovna Paleja est accompagnée d’extraits de la plupart
19. K. Krüger, Die Universalchroniken [Typologie des sources du Moyen Age Occidental 16],
Turnhout 1976, 23-45.
20. I. Christova-Shomova, Sluzebnijat Apostol v slavjanskata rykopisna tradicija, Sofia 2004.
21. F. Thomson, The Slavonic Translation of the Old testament, in: Interpretation of the Bible,
Ljubljana-Sheffield 1998, 603-920.
22. S. Nikolova, Za naj-starija bulgarski srednovekoven rukopis na Starija Zavet, Starobul-
garska Literatura 28-29 (1994) 110-118. Un des manuscrits les plus anciens, contenant des textes
vétérotestamentaires, c’est la Bible, dite de Târnovo, un manuscrit du xive siècle. Elle est consérvé à
la Bibliothèque nationale de Russie à Saint Pétersbourg, sous la cote F.I.461.
23. Τ. Slavova, Tulkovnata paleja v contexta na starobulgarskata kniznina, Sofia 2002.
804 Vasya Velinova
29. F. Miklošić, Trojanska prića, Starine 3 (1871) 147-188; A. Mazon, Les Dits de Troie et la
parabole des rois, RES 15, 1-2 (1935) 12-52; E. Jeffreys, The Judgment of Paris in Later Byzantine
Literature, Byz 48 (1987) 112-131.
30. V. Velinova, The Translation into Middle-Bulgarian of the Constantine Manasses Chro-
nicle, in: Hronika Constantina Manassija, t. I: Fascimile edition, t. II: Studies, Athens 2007.
806 Vasya Velinova
31. Ioannis Scylitzae Synopsis Historiarum. Codex Matritensis graecus Vitr. 26-2 (Facsimile
edition), scientific consultant A. Tselikas, Athènes 2000; V. Tsamakda, The illustrated chronicle of
Ioannes Skylitzes in Madrid, Leiden 2002
L’historiographie byzantine et sa vision 807
tant que livre non liturgique, ne devait pas obligatoirement être illustrée, mais en
sa qualité d’analogue fonctionnel de la Bible, elle était potentiellement considérée
comme un ouvrage inspiré de Dieu, du moins dans la tradition slave. Comme elle
ne disposait pas de système codifié du cycle illustratif, elle appliquait différents
modèles tirés des livres dont elle se servait : le Psautier en tant que livre du roi
David et lecture obligatoire du souverain, le Livre des Rois, les évangiles. L’ana-
lyse des miniatures dans la copie illustrée de la Chronique de Manassès démontre
parfaitement cet éclectisme au niveau des sources, témoignant de la recherche d’un
langage imagé spécifique32. Ce n’est pas par hasard si Constantin Manassès est dé-
fini comme le « sage des sages »33. Nous sommes de nouveau en présence d’une
piété à l’égard de l’histoire sainte et de son expression matérielle : le manuscrit,
contenant de tels textes.
Cette approche explique pourquoi un certain nombre d’ouvrages historiogra-
phiques byzantins restent en dehors des occupations des traducteurs médiévaux
bulgares. Les œuvres historiques palatines, les expériences littéraires du genre
de l’Alexiade d’Anne Comnène ont beau transporter d’enthousiasme les spécia-
listes contemporains en littérature byzantine, elles n’attiraient guère l’attention au
Moyen Âge du fait qu’elles n’étaient pas marquées du sceau de l’inspiration divine,
caractéristique des chroniques mondiales. C’est précisément le modèle de l’évolu-
tion historique qu’elles traitent qui est cohérent du point de vue dogmatique, qui
explique d’une manière satisfaisante les événements historiques, aussi dramatiques
soient-ils. A cet égard, les stéréotypes selon lesquels sont décrites les invasions ot-
tomanes dans les Balkans, semblent très significatifs. Dans les textes des hommes
de lettres d’expression slave –Bulgares et Serbes– il s’agit de stéréotypes bibliques.
Le modèle de l’histoire, proposé par les chroniques, interprété comme une manifes-
tation de la volonté divine et projeté sur les textes bibliques, formera longtemps la
véritable vision de la littérature byzantine en tant que modèle et norme. Et ce n’est
pas par hasard si des siècles après la chute du Deuxième Royaume bulgare et de
l’Empire byzantin, l’image de leur mentalité historique se trouve réanimée par le
moine Paisios, qui, en 1762, trouve enfin le courage d’écrire une chronique mon-
32. A propos des miniatures de la Chronique de Manassès, liées à la famille royale, voir: A.
Dzurova, The Illustrated Middle Bulgarian Translation of the Chronicle of Constantine Manasses
(Vat. Slav. 2): Description, Palaeographic and Codicological Parameters, and the Concept of the
Illustrative Cycle, in: Hronika Constantina Manassija, Vol. I Fascimile edition, Vol. II Studies,
Athens 2007. Au sujet de la relation entre la miniature et le texte, voir : V. Velinova, Obrazyt na
vladetelja v teksta i miniatjurata, Problemi na izkustvoto 2 (2009) 23-30.
33. Dans le vieux bulgare, il existe une délimitation stricte entre les notions de mâdrost (sa-
gesse), c’est-à-dire la perception des choses terrestre, voire, la connaissance païenne et de premâ-
drost (super sagesse), soit la connaissance de choses divines. Cfr. La Vie de Constantin Cyrille
d’après l’édition : Climent Ochridski. Sybrani sychinenija, III, Sofia 1971, 123.
808 Vasya Velinova
diale bulgare, en suivant à la lettre le canon des œuvres médiévales. Il situe la tribu
des Bulgares à l’époque des descendants de Noé, passant en revue l’histoire des
Rois et des Royaumes, afin de faire connaître par la même occasion la destinée du
Royaume bulgare. Ainsi, au croisement de deux époques : le Moyen Âge bulgare
prolongé et la Renaissance nationale retardée, c’est le langage culturel des histo-
riographes chrétiens, des auteurs des chroniques mondiales, qui jetteront le pont en
direction des temps modernes.
Au début de notre exposé, nous avons promis de cerner la vision qu’on se fai-
sait en Bulgarie de la littérature byzantine. Sur la base des ouvrages historiogra-
phiques, traduits en Bulgarie, au Moyen Âge, nous avons essayé de réhabiliter le
« caractère monacal » des récepteurs slaves des lettres byzantines. Il se peut que,
procédant à un choix minutieux des œuvres à traduire, les hommes de lettres slaves
aient cherché intuitivement l’image cohérente du patrimoine littéraire byzantin.
Car, la culture médiévale dans son ensemble est une culture de l’image. Quant à
l’archétype, l’écrivain vieux bulgare Jean l’Exarque estime qu’il ne peut être atteint
que par l’intelligence, et cela, à condition qu’elle soit pure. De toute évidence, les
traducteurs slaves nous ont légué leurs conceptions de l’archétype : la séduction de
la parole véridique.