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Fé.s, navigateu.

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,rrisc.llanées ., T"tr. J. Mili..,

Collecilf
Essais réunis pa, Romainn Ca"ade^ont,
D;J;n, W;ll;',
M"hàr B,crq,
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Note liminaire.... ............"...7
L" J"rnie, chant J" Tor,, B".rrbuJil , " Il étuit une {ois , J" I. R" R"
Kri" SwanL

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l. R. R.TolL;n,

11 et"it J"r, {oi. : réexaminer l" poè-e u I1 étuit un" {oi, ))"....... "".....27
Kris SwanL

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Stéphanie Lorbnrlr,rn

À p.opo, d'rrr" JryuJ" Jé"ir"r"lée."..... .......".".,11


Àlain Lefèr,n

La représentation cartograpLiqr".k",l. R" R T"lhi".r"."...."........."..51


Simon Ayrirhac

Imagination I visualisation" ."""..".."..65


Alai, Let'èure

Naüres..ol..rtr, Ju -ytlre à 1o Mr"kirre......... ............69


Aloi, Lefèure

Les mangeu.. J" ,......111


Viuien StorLn,
"h.rton.............

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"lIiq.,.. Sire Gauuain et le Chnuolin, uert..".."729
Lno Corruthnrc

MytLologie serrnanique et {iction : inspirations et reflet. Jurr, 1'"".r*"


d" T"lLi"rr. "..".."""747
Mohlt B'"rq
Remerciements.".. .".."169
T

Mythologie germanique et fiction :


inspirations et reflets dans l'æuvre de Tolkien
,,,',,,,,,,,*d4iïfuiü&u-...
Mahdî Brecq

Til Elîasar"

Gh) ous allons commencer l'introduction de cette étude par un


PË& d'une lettre que Tolkien a écrit à Charlotte et Denis
"*t.uit
Plimmer, en 1.967.
Lewis m'a dit un jour : « Tollers, il n'y a pas assez d'histoires
-
comme celles que nous aimons vraiment. Nous allons devoir, j'en ai
peur, essayer d'en écrire nous-mêmes. >> Nous sommes tombés
d'accord pour qu'il essaie « le voyage dans I'espace » et que j'essaie
« le voyage dans le temps ». De son côté, le résultat est bien connu.
Mes tentations, après quelques chapitres prometteurs, ont tourné
court : c'était un détour trop long vers ce que je voulais réellement
faire, à savoir une nouvelle version de la légende de l'Atlantide. La
dernière scène a été conservée dans La Chute de Nûmenor.l

John Ronald Reuel Tolkien, avec son ami C. S. Lewis, auteur des
Chroniques de Narnia, voulait offrir à l'Angleterre une littérature qui
lui manquait. Plus jeune, Tolkien rêvait déjà à une mythologie pro-
fondément anglaise, qui n'existe malheureusement pas, et qu'il
évoque avec une certaine mélancolie, notamment dans une lettre
qu'il adressa à Milton Waldman, éditeur chez Collins, en 1951 :
Par ailleurs, et j'espère ici ne pas paraître absurde, j'ai très tôt été
attristé par la pauvreté de mon propre pays bien aimé : il n'avait
aucune histoire propre (étroitement liée à sa langue et à son sol), en
tout cas pas de la nature que je cherchais et trouvais (comme ingré-
dient) dans les légendes d'autres contrées. Il y avait les grecques,
les celtes, et les romanes, les germaniques, les scandinaves et les
finnoises (qui m'ont fortement marqué), mais rien d'anglais [...].'
Voici le constat que fit Tolkien dans ses jeunes années. L'Angie-
terre, si chère à son cæur, avait besoin d'une littérature et d'un passé
qui lui feraient honneur. Bien sûr, il y a les textes médiévaux que

1 Lettres,n" 294p.528.
2 Ibid.,n" 131 p. 208.
t47

lilllLliiill
Mytlologie germanique et t'iction : inspirations et reflets lorc l'*uurn Jn TblLln"

Tolkien connaissait par cæur, tels Beowuf ou encore Sire Gauvain et Hist
le Chevalier Vert3, mais aucun ne pouvait s'apparenter à une épopée pour
nationale, comme la Chanson de Roland chez nous, comme le Gauvav
Nibelungenlied allemand, comme le Kaleyala finnois, comme la Diyine langue
Comédie italienne. Nul texte n'avait de caractère purement anglais (III"- Ir-=
pour Tolkien, tant dans le fond - les mythes relatés dans Beowulf, venu r.
par exemple, sont scandinavesa -, que dans la forme - car la langue langue
vieille anglaise de l'époque fut considérablement bouleversée à cause lement
de l'import de la langue normande par Guillaume le Conquérant à langue
f issue de la Bataille d'Hastings, en 1066, qui remua profondément la manl
société anglaise de l'époque. vralse
Ayant depuis sa tendre enfance lu des livres de mythologies, feu et
Tolkien fut fasciné par certains d'entre eux, qui le marquèrent à sources
jamais, comme il est rapporté dans sa Biographie: appro
Sa
Ce fut surtout à lire les Contes de fées d'Andrew Lang, fameux
mythologue, qu'il prit le plus de plaisir; surtout le Red Fairy Book jamais
dont les pages recelaient la plus belle histoire qu'il ait jamais lue : ensei
celle de Sigurd qui tua le dragon Fâfnir : un récit étrange et puis-
sant qui se passe dans le Nord, dans un pays sans nom. Ronald s'y 6 lbid., :
plongeait tout entier chaque fois qu'il le lisait. « J'avais grande dont il :
envie des dragoris », dit-il longtemps après. << Bien sûr, mon corps Lang
timide ne souhaitait pas les avoir pour voisins. Mais un monde où l'ouvrit.
se trouvait I'idée même de Fâfnir était pour moi plus beau et riche, premièrt
quel qu'en fût le danger. »5 déclin
etTr
Amoureux des mots depuis qu'il était tout petit, Tolkien apprit les d'upp
langues dans lesquelles étaient écrits les textes originaux, afin de pour
pouvoir apprécier davantage les histoires qui lui plaisaient tant. consti
-To
qui fut
3 1) Pour Beowulf, la traduction en anglais moderne du poème vieil
anglais a été très
publiée par Christopher Tor.xrnu, Beowulf A Translation and Commentary, Harper- Road tc
Collins, 2074. 2) Pour Sire Gauyain et le Chevalier Vert, J. R. R. ToLxrsN & E. V. éditior:
Gon»oN ont publié en'1.925 une édition annotée du poème moyen anglais qui fait 7Le
encore autorité aujourd'hui dans le milieu des études anglaises. Christopher quelque'
Tolkien éditera en 1.9751a traduction en anglais moderne de J. R. R. Tolkien dans Sir
rema
Gawain and the Green Knight, Pearl and Sir Orfeo.
trouvalt t
J. R. R. TorrIrN, les Monstres et les critiques et autres essais, trad. fr. Christine
4
mentarr
Laferrière, Paris : Christian Bourgois, 2006, p. 41 : « Beowulf n'est pas une image Bologne
historiquement fidèle du Danemark, du royaume des Gètes ni de la Suède d'environ dant le
500 av. J.-C. Mais dans l'ensemble (si ce n'est certains défauts mineurs), il s'agit dos d'
d'une image cohérente, d'une construction portant clairement la marque d'une gotique
intention et d'une pensée précise. » 2015/3.
s Humphrey CenpsNrrn, [Jne Biographie,
trad. fr. Pierre Alien, édition revue par giques *
Vincent Ferré, Paris : Pocket, 2002, p.33. de l'I.L
148
Fées, nauigateurs I autres miscellanées en Tèrre du Mll;nu

Histoires principalement germaniques : il apprit donc le vieil anglais


pour lire Beowulf dans le texte, ou encore le moyen anglais pour sire
Gauvain et le chevalier vert; il s'appropria le gotique6, la plus vieilre
langue germanique qui soit attestée d'un point de vue diachronique
(rrr"-rv" siècle après J.-c.), dont le principal texte qui nous soit par- -'
venu n'est autre que la Bible, qu'a traduit l'évêque Wulfila dans la
langue que parlait vraisemblablement, ie peuple GothT ; il apprit éga- milil,l,"**
lement le vieux nordique, appelé aussi vieux norrois, qui est une
langue qui fut parlée par tous les peuples scandinaves d'origine ger-
manique, et qui fut le mieux conservée à travers le vieil islandais,
vraisemblablement grâce à l'isolement des locuteurs sur cette île de
feu et de glace, ce qui permit à Tolkien de lire les Eddas, principares
sources de la mythologie germanique ancienne, de manière très
approfondie.
Sa fascination pour ces mythes germaniques anciens ne s'est
jamais altérée" Non seulement sur le plan universitaire, car Tolkien
enseigna les langues germaniques anciennes pendant une quaran-

6 lbid., p.49 : « un de ses amis avait acheté à une vente de missionnaires un lirre
dont il n'avait pas l'usage, et le vendit à Tolkien. c'était le primer of the Gothic
Language (Livre élémentaire de la langue gotique), de Joseph wright. Torkien
l'ouvrit, et éprouva "un sentiment aussi chargé de délices qr.r'.., o.,'riunt pour la
première fois l'Homère de chapman". on avait cessé de parler le gotique àvec le
déclin des peuples Goths, mais des fragments écrits avaient survécu à É postérité,
et Tolkien les trouva extrêmement attirants. Il ne se contenta pas simplement
d'apprendre la langue, mais se mit à inventer des mots gotiques "supplémentaires"
pour remplir les trous du vocabulaire qui avait survécu. À partir de là, il se mit à
construire une langue gotique, supposée historique, qui n'avait pas été conservée" >>

- Tolkien composa un poème en néo-gotique, << Bagme bloma r, (Fleur des arbres),
qui fut publié en 1936 dans songs of the Philologists. Malgré le fait que l'ouvrage soit
très difficile à trouver, le poème est cependant reproduit dans Tom snrrrnv, The
Road to Middle-Earth: How J. R. R. Tolkien created a new mythology, Harpercollins,
édition révisée en 2005, p. 400.
7 Le
corpus gotique se résume, majoritairement, à la Bible. Néanmoins, il existe
quelques textes << mineurs » et un calendrier. parmi ces documents << mineurs », on
remarque deux actes de vente, dont l'un se trouve aujourd'hui à Naples ; l'autre se
trouvait à Arezzo, mais a été perdu. Il existe également la skeireins qui est un com-
mentaire de l'Évangile de Jean ; enfin, on a découvert en 2010, dans Ë cathédrale de
Bologrre, un palimpseste datant de la première moitié du vr" siècle, c'est-à-dire pen-
dant le règne de Théodoric le Grand à Ravenne. sur ce palimpseste découveri au
dos d'une édition de la cité de Dieu, cf. André Roussnau, ., un nouveau manuscrit
gotique découvert à Bologne (codex Bononiensis) ,> in Études Germaniques, no 279,
207513, p. 437-449. voir également le Palimpseste gotique de Bologne. Études phitolo-
giques et linguistiques, édité par Anita Aunn et Michiel de vaaN. Lausanne, ôahiers
de I'I.L.S.L., n' 50, 2016.

149
Mythologè germanique et t'iction : inspirations et reflets lor" l'*urrn ln TolL;n,
taine d'années - d'abord à Leeds de 1,920 à 7925 et à Oxford de 1.925 également l'
à 1959 ; mais aussi sur le plan d'écrivain, car les influences de ia my- premiers rois
thologie germanique sont nombreuses dans son æuvre littéraire, et I'époque co
occupent même une place primordiale. I1 faudra donc s'intéresser de équivalent du
près à ces textes anciens, afin de retrouver des traces de ces vestiges connue
dans l'æuvre de J. R. R. Tolkien. second m
Parmi les nombreuses influences littéraires et mythologiques qui dates sont
peuvent se dégager des oeuvres de Tolkien, l'empreinte germanique la même é
est extrêmement présente ; elle mérite de se voir consacrer un sujet à Les Hauts Fair:
part entière. Des Eddas, de la Heimskringla, des Gesta Danorum et du gyrique de la
cycle de Sigurôr, j'essaierai de montrer, par le biais de l'inter- Mais ces
textualité, que les textes médiévaux et leur transposition dans sont régis par
l'æuvre de Tolkien agissent comme un réseau fluctuant, où tout coule donc, c'est-à
naturellement. Moyen Âge. o-
Pour parler de l'importance qu'a eue la mythologie germanique graeca) écrit
ancienne sur les écrits de Tolkien, il serait judicieux, en premier lieu, parfois même
de définir ce qu'est cette mythologie. La religion des anciens Ger- celtiques (i
.rnains a cette particularité, comme la mythologie slave ancienne, de eddique, issu
ne pas nous être parvenue. Nous ne savons pas ce qu'est la mytho-
logie germanique ancienne stricto sensu, c'est-à-dire que si l'on veut allitérée vieux
s'appuyer sur des sources fiables, si l'on fait référence à des témoins erronée du
crédibles, si l'on se reporte à des faits, il n'y a quasiment rien à notre duite en françar.
Peuples, 1991.
disposition. Nous savons des choses, mais uniquement d'après les plus complexe c.
témoignages d'observateurs, comme Tacite dans sa Germanias, ou Londres : Dent.
encore Adam de Brême et ses Gesta Hammaburgensis ecclesiae ponti- 1t L'Histoire des

ficumt; mais d'eux-mêmes, des Germains, nous n'avons pas de François-Xavier


documents sûrs. saga ins helga rc,-
Mais à cela, on pourrait rétorquer que le monde scandinave ancien I'Histoire des ro-,
dans la même
a connu deux mythographes, dont le premier, islandais, est Snorri Lee M. Hoilande:
Sturluson (1179-1.241), l'auteur de I'Edda dite en prose'o. Snorri est Press, [1964] 19ç-
vol.7, The
8 Tecrrn, la Germanie, texte établi et traduit par Jacques Perret, Paris : Les Belles Research, 2011 .

Lettres, coll. des universités de France n' 1,25,1949. Research, 2014.


ele texte a été traduit en français dans Jean-Baptiste Brunet-Jallly, Histoire des Northern
archevêques de Hambourg, suivie d'une Description des îles du Nord, texte traduit du 12 Les
Gesta
Iatin, annoté, Paris : Gallimard, coll. l'Aube des peuples, 1998.
Jean-Pierre
lÙL'Edda se compose de Gylfaginning ou Mystification de Gylfi récit qü met en coll. I'Aube des
scène un roi questionnant trois dieux à propos de l'origine du monde, des différents Danorum. Printu,-:
dieux du panthéon germanique, et de la fin des temps ; la deuxième partie, vol. 1, Textunt
skôldskaparmâ|, ou les Dits sur la Poésie, également traduit par I'Art Poétique, relate verborum, éd. pa:
des récits mythiques au moyen d'une métrique complexe ; enfin la dernière partie, édition du texte
Hâttatal ot Dénombrement des mètres, est composé de cent-deux strophes illustrant the Danes,2 vol .

chacune un genre métrique ou stylistique différent, prouvant ainsi que la poésie sity Press, 2015
r50
Fées, nauigateurs €T autres -iscellanéns nn Tn ,n du M;lin"

également l'auteur d'une æuvre extraordinaire qui retrace la vie des


6ilry
:i: ,'.
premiers rois de Norvège, depuis les origines mythiques jusqu'à
i'époq.r. contemporaine de snorri, et qui est intitulée Heimskringlall,
équivalent du latin orbis terrae (ou terrarum),l'Orbe du Monde donc, /

connue également sous le nom d'Ffistuire des Rois de Norttège. Le


second mythographe est danois et se nomme Saxo Grammaticus. Ses
dates sont inconnues, mais nous savons qu'il a écrit autour de 1200, à
la même époque que Snorri. Il a écrit les Gesta Danorum, en latin, soit
Les Hauts Faits des Danois ou la Gesf e des Danois, qui est un pané-
gyrique de la royauté du Danemark'2.
Mais ces textes à caractères mythologiques posent problème. Ils
sont régis par une loi ancienne, qui est celle de I' imitatiq I'imitation
donc, c'est-à-dire que n'importe quel écrivain, jusqu'à la fin du
Moyen Âge, où qu'il soit, écrit en suivant des modèles grecs (imitatio
graeca) écrit comme faisaient les auteurs iatins (imitatio latina) et
parfois même, ce qui est plus rare, comme faisaient les auteurs
celtiques (imitatio celtica). Il suffit par exemple de lire le poème
eddique, issu de l'autre Edda, plus ancienne et dite poétique, intitulé

allitérée vieux norroise est d'une richesse sans fin qui met à bas la conception
erronée du barbare cornu sanguinolent r.L'Edda de Snorri a été partiellement tra-
du.te en français par François-Xavier Dillmann, Paris : Gallimard, coll. I'Aube des
Peuples, 1991. Pour une traduction en langue moderne complète dont la partie la
plus complexe de I'Edda, Hâttatal, voir snorri sturluson: Edda d'Anthony Faulkes,
Londres : Dent, coll. Everyman, 1987.
11 L"Histoire des Rois de Norvège a été partiellement traduite en français_par

François-Xavier Dillmann, paris : Gallimarà, coll. l'Aube des Peuples, 2000. L'Ôlâfs
saga ins helga (ott Histoire du roi olaf le saint), qui constitue la deuxième partie de
I'Histoire des rois de Nortège (Heimskringla) de Snorri Srunr.usoN, est à paraître
dans Ia même collection. Pour une traduction en langue moderne complète, voir
Lee M. Hollander, Heimskringla. History of the Kings of Norway, university of Texas
Press, Ireo+] 1991. cf. également la traduction d'Anthony Faulkes et Alison Finlay,
vol. l, The Beginnings to Ôlâfr Tryggvason, Londres : Viking Society for Northern
Research, 2011 ; vol. 2, Ôlâfr Haraldsson (the Saint), Viking Socieÿ for Northern
Research, 20t4 ; vol.3, Magnûs Ôlâlsson to Magnûs Erligsson, viking society for
Northern Research, 2015.
12 Les Gesta Danorum ont été partiellement traduits en français (livres I-D() par

Jean-Pierre Troadec et présenté par François-Xavier Dillmann. Paris : Gallimard,


coll. I'Aube des Peuples, 1995. Pour l'édition du texte latin, cf. saxonis Gesta
Danorum. Primum a C. Knabe & P. Herrmann recensita. éd' par J. Olrik & H. Ræder, ,,nllTffimffi

vol. l, Textum continens, Copenhague : Levin & Munksgaard, 1931 ; vol' 2, Indicem
terborum, éd. par Franz Blatt, Levin & Munksgaard, 1957. cf. également la nouvelle
édition du texte avec traduction anglaise en regard, Gesta Danorum: the history of
the Danes,2 vol., éd. par Karsten Friis-Jensen, trad. par Peter Fisher, oxford univer-
sity Press, 2015.
151
Mgtlrologie germanique et fiction : inspirations et reflek Jor" l'*uurn ln'ül|;n,
Rigspula ott chant de Rîgr, autre nom qui désigne le dieu scandinave rend ici
Heimdallrl3. une force
De plus, la christianisation de l'Islande et du monde germanique, quelque
autour de l'an 1000, a eu pour conséquence de déprécier les dieux et La m.,
d'altérer les textes mythologiques, notamment en excluant ces dieux jamais le
germaniques dans un domaine particulier de la littérature scandinave processr-.
ancienne, la poésie scaldiquela. Le panthéon germanique ancien n'est Il lui
pas entièrement authentique à cause des influences énoncé es supra, anglais
et il n'est donc pas possible d'aboutir à des structures stables. ce qui lité an
ou vtven:
ts L'origine linguistique du nom Rrgr n'est pas encore résolue ; elle peut être scan-
dinave ou celtique. Sur ce poème, cf. la trad. fr. de ce poème par Fiançois-Xavier
Abor;fr
Drr.ruaNN, <<La Rigspula. traduction française du poème eddique ,, dans proxima
portera
Thulé, vol. 5,2006, p.59-72. voir également, dans le même volume, l'article dâaron aux ec
J. Gounrvrrcn u À propos des interprétations de la Rigspula , p. 73-g9.
1a
' >>

La poésie scaldique repose sur des règles relativement complexes qui ne seront
évoquées ici que très brièvement. Sur la poésie scaldique, voir les quelques réfé-
rences bibliographiques qui suivent: Bjarne Fln;rsror, « La poésiè de cour en a) Le.
Scandinavie à l'époque des vikings >> in proxima Thuté, vor. i, rgso, p.90-7r2 ;
Rudolf MnrssNnn, Die Kenningar der Skatden. Ein Beitrag zur skaldischen poetik,
Bonn-Leipzig : schroeder, 1921 [réimpr. anastatique : Hildesheim : orms, L9g4] ; pas
Klaus von ssq, skaldendichtung. Eine Einfi)hrung, Munich-Zürich: Artemis, r9g0 ans_
[réimpr. récente sous le tltre Skalden. Isltindisihe Dichter des Mittelalters, Hei- SO
delberg : universitâtsverlag winte r, 20ll) ; Félix w'ecNrn, << Les scaldes et la poésie meri
scaldique, un chapitre de l'histoire littéraire du Moyen Âge scandinave >>, in Rettue
belge de philologie et d'histoire, vol. 17, fasc.3-4,193s, p. 747-774. La poésie scal-
dique est donc une poésie difficile oir la forme rigoureuse (nombre àe syllabes,
rimes internes, allitérations) se double d'un langage qui ne désigne pas, qui ne dit Les
jamais clairement le nom d'un dieu, d'une déesse, mais recherchè au contraire daire
l'évocation d'images grâce à des heiti << synonymes », ainsi qu'à des kenningar
laquelle
« périphrases ou métaphores filées » : le bateau, par exemple, peut être désigné
comme « cheval de la mer » ou comme « étalon-des-vagues » en poésie scaldi{ue. créaturei
Par ailleurs, en parlant du bateau, le mot « drakkar », création lanhisiste, esl à qu en
proscrire ! Le bateau des vikings ne s'est jamais appelé ainsi. Appelons-le kngrr, proches
langskip, kaupskip, herskip, skeiô, karfi snekkja, byrôingn etc. Le terme o drakkar », Dans
se construit, avec erreur, slur drekar, un pluriel qui signifie « dragons » en vieil
islandais (sing. dreki). Les vikings ornaient la proue et la poupe de leurs bateaux de
Conte ::
têtes de dragons sculptées (drekar, donc). sur ce point, voir François-xavier texte
DrnuaNN, « Navigation et croyances magico-religieuses dans la scandinavie
ancienne : quelques observations au sujet des figures de proue >>, in comptes rendus ts Une E
des séances de I'Académie des Inscriptions et Belles-Lexies, 151u année, n" l, 2007, 16 Sur le'
p.383-420. Ces sculptures devaient effrayer les esprits tutélaires (landvættir, Mittelerx
version norroise du genius /ocf des terres qu'ils souhaitaient attaquer. Lorsqu,ils 2005, p."-
abordaient leurs terres à eux, ils retiraient ces drekar. << Drakkar, désignerait âonc, par un
par synecdoque, le bateau viking. L'orthographe de « drakkar » est proprement françaist
ahurissante : le mot comporte un a sorti de nulle part, un second k poür faire plus ,7J.R,R
scandinave, et enfin, il possède une forme de pluriel, même au singulier.
Bourgoi-..
152
Fées, nauigateurs I autres miscellanén" en Terrn Ju M;l;nu
ffiiltiilinlmm'ru,,
rend ici la tâche de déflnition plutôt ardue. Qroi qu'i1 en soit, c'est
une force magique qui anime les textes germaniques, sans doute
quelque chose qui a charmé Tolkien.
La mythologie pour l'Angleterre que voulait faire Tolkien ne verra
jamais le jour. En puisant ses influences dans les mythes anciens, son
processus de création littéraire s'est complexifié au frl des décennies.
Il lui était impossible de rendre, dans un texte littéraire, le caractère
anglais qu'il recherchait, même si l'on trouve des traces de cette réa-
lité anglaise en Terre du Milieu, plus particulièrement dans le Comté,
oir vivent les Hobbits, petites-gens d'une sagesse remarquable.
Abordons, dès à présent, la première partie de cet exposé, qui
portera sur des figures littéraires communes à l'ancienne littérature et
aux écrits de Tolkien.

1. Points communs entre les personnages des deux légendaires

a) Les dragons
« J'avais grande envie des dragons » dit-il [...] Et il ne lui suffisait
pas de lire seulement des histoires de dragons. Qrand il eut sept
ans, il entreprit d'écrire sa propre histoire de dragon. « Je ne me
souviens de rien d'autre que d'un détail philologique >>, dit-il. << Ma
mère ne me dit rien sur le dragon mais me fit remarquer qu'on ne
pouvait pas dire "un vert grand dragon", qu'il fallait mettre "un
grand dragon vert" [...] ».ls
Les dragons, dans le légendaire de Tolkien comme dans le légen-
daire germanique ancien, occupent une place éminente'6, raison pour
laquelle il serait judicieux de commencer cette étude en abordant ces
créatures fabuleuses, afin de montrer à quel point les rapports
qu'entretiennent les influences littéraires et les textes de Tolkien sont
proches.
Dans le courant de l'année 1919, Tolkien entreprit l'écriture du
Conte de Turambar, également intitulé Turambar et le Foalôkë. Ce
texte deviendra, sous sa forme parachevée, les Enfants de Hûrin'1,

ls Une Biographie, op. cit., p. 33.


16Sur les dragons dans la littérature germanique et chez Tolkien, cf. Rudolf Swmx,
Mittelerde, Tblkien und die germanische Mythologie, Munich : Verlag C. H. Beck,
2005, p. 133-139. Cet ouvrage allemand, bien plus complet que notre étude, écrit
par un scandinaviste également lecteur de Tolkien, fait I'objet d'une traduction
française à paraître prochainement.
rz;. R. R. TolxrnN, les Enfants de H{trin, trad. fr. Delphine Martin, Paris : Christian
Bourgois,2,,8.
153
l
MgthJogie germanique et fiction : inspirations et reflek Jon" |*rurn Jn Tbl|;nn
publication posthume datant de 2007. L'histoire relate la vie d'un On
personnage, Tirrin, à qui il arrive toutes sortes d'aventures ; ce héros Türin, t
mourra, en se jetant sur son épée18, après avoir lutté face au dragon tives21. Ol
Glaurung. égards, a
Dans la première version de 1919, il est un passage où les Dragons épées de
sont décrits : Un
Maintenant ces dragons et vers sont les créatures les plus malé- ché du
fiques que Melko ait façonnées, et les plus étranges, mais encore de de ceux
toutes sont-elles les plus puissantes, sauf les Balrogs peut-être. en l'occ
Grande ruse et sagesse possèdent-ils, de sorte que depuis long- tradition,
temps on a dit parmi les Hommes que quiconque goûte le cæur tion
d'un dragon connaitra toutes les langues des Dieux ou des Parmi I

Hommes, d'oiseaux ou de bêtes, et ses oreilles attraperaient les


trouve
murmures des valar ou de Melko comme jamais ils ne les auraient
entendu
entendus auparavant. Rares sont ceux qui jamais réussirent une
telle prouesse que la mise à mort d'un dragon, et aucun même par- pere,
mi ces Hommes de bravoure ne saurait goûter leur sang et vivre zoomo
encore, car il est tel un poison de feux qui tue tout être qui ne pos- cette versi
séderait pas la force d'un Dieu.le anneau
Il faut ;
Pour le connaisseur de la res germanica, cet extrait n'est autre
n'en est
qu'une référence au passage de l'histoire de Sigurôr-Siegfried qui,
eponyme
une fois Fâfnir terrassé, cuisit le cæur du dragon, comme le rapporte
du dragc:
une des variantes de l'histoire,la Vglsunga saga:
manique
Sigurôr alla et fit rôtir [le cæur] sur une broche. Et quand il trou >>,
écuma, alors il mit son doigt dessus et se demanda si c,était cuit. il emprunir
porta rapidement le doigt à sa bouche. Et quand le sang du cæur du évoqués :
serpent rencontra sa langue, alors il comprit le langage des oi- se rapp
seâux.'o
une cou:tr
18
Cette mort est une référence explicite à celle de Kullervo dans le Kaleyala: votr
les vers 319 à 360 du trente-sixième chapitre du Kaleyala, trad. fr. par Gabriel
Rebourcet, op. cit., ÿol. Z, 199t, p. 207-208.
21
Il est
héros dar-.
"J.R.R. Torrrpru, le Liyre des Contes perdus, vol. 2, traduit de I'anglais par Adam leur drag..:
Tolkien. Paris : Pocket,2006, p. t20-121. dessous. L':
æ La traduction française est nôtre. Elle suit le texte norrois donné par R. G. Finch saga ok i
dans rhe saga of the volsungs, Londres Édimbourg, Nelson, 1g6s, p:32. ce passage meme
ou sigurôr comprend le langage des oiseaux '
rappelle fortement l;épisode ôeltique sagnamaë-
ou Flnn.\{ac cumaill fait rôtir le saumon de la sagesse (bradân dragon
feàsa), et, voyànt
apparaitre une bulle sur la peau du poisson, pose le doigt dessus qui le brûle il le Tristam. C.
;
porte alors à sa bouche et acquiert ainsi la sagesse. Dans /e ttobbit, Bard suit les jour. , Â
conseils d'une grive, car « il était de lignée du val (donc royale) ». L'antique lignée saga de T
de ce héros, également tueur d'un dragon (smaug), donnerait à ce personnug. d", présentés :r"
pouvoirs magiques sans qu'il n'ait besoin de goûter à quelque mets extraordinaire. 22
Lettres.'-
1-§4
Fées, nauigateurs €d autres miscelldnées en Tàrre d" M;l;n"
On pourrait donc établir ici des comparaisons entre Sigurôr et
Tririn, tous deux meurtriers de dragons dans leurs histoires respec-
tives2l. On peut également dire que Glaurung ressemble, à certains
égards, à Fâfnir, car ces deux dragons meurent sous les coups des
épées de nos deux héros.
Un autre dragon, dans le légendaire de Tolkien, peut être rappro-
ché du dragon Fâfnir. I1 s'agit de Smaug. Ce dragon, comme la plupart
de ceux de son espèce, s'approprie un trésor, celui des Nains d'Erebor
en l'occurrence. Cette caractéristique est un héritage des anciennes
traditions, comme le Dragon du Jardin des Hespérides dans la tradi-
tion grecque.
Parmi les dragons qui peuplent les textes germaniques, on en
trouve certains qui sont gardiens de trésors : le plus connu, bien
entendu, est Fâfnir, qui garde le trésor que les dieux versèrent à son
père, Hreiômarr, après que Loki ait tué un de ses fi.ls, Otr (prénom
zoomorphe qui signifie la Loutre), au cours d'un voyage. C'est dans
cette version scandinave (Reginsmâl) qu'apparaît l'Andvarilaut, un
anneau qui sera évoqué plus loin.
Ii faut à présent évoquer un autre dragon ; il n'a pas de nom, mais
n'en est pas moins redoutable. I1 s'agit du dragon que Beowulf, héros
éponyme du poème vieil anglais, combat à la fin de I'histoire. Le nom
du dragon Smaug provient selon Tolkien du parfait d'un verbe ger-
manique primitif, * smugAn, qui signifie << se faufller à travers un
trou >>, une mauvaise blague de philologue selon 1ui22" Mais ce dragon
emprunte des caractéristiques aux deux dragons qui viennent d'être
évoqués. Smaug est gardien d'un trésor comme ces deux créatures. Il
se rapproche du dragon de Beowulf, parce qu'un voleur lui dérobe
une coupe ouvragée, ce qui va provoquer la fureur du dragon, dans le

21Il est impossible de donner tous les exemples de comparaison entre ces deux
héros dans cette étude. Remarquons, cependant, que les deux personnages tuent
leur dragon de manière peu glorieuse (mais sans doute la seule possible), par en
dessous. Un troisième héros, rattaché au cycle arthurien, Tristam, dans la Tristams
saga ok Îsoddar, abat un dragon qui sévissait dans une montagne d'Irlande de la
même manière ; mais la monture du héros meurt sous le poids de la bête. Le
sagnamaôr (auteur de saga) ajoute cette remarque : << Au moment où il fut frappé, le
dragon tomba dans I'abîme qui se trouvait devant la grotte, sur le cheval de
Tristam. Ce dernier, s'il était resté en selle, n'aurait plus jamais vu la lumière du
jour. » Âsdis Rôs Magnüsdôttir & Hélène Tétrel, Histoires des Bretagnes 3 : La petite
saga de Tristan et autres sagas islandaises inspirées de la matière de Bretagne, textes
présentés et traduits, CRBCÂJniversité de Bretagne occidentale, 2012,p.49-52.
22 Let-tres, n" 25 p. 52.
155

,\

L
MgthJogie germanique et t'iction : inspirations et reflets Jor" l'*rurn Jn TolL;n"

texte vieil anglais, comme dans le texte de Tolkien. Voici tout d'abord La
I'extrait de Beowulf, puis l'extrait du Hobbit. men
deuxiè
Ainsi, pendant trois cents hivers, I'ennemi des gens régna, enter-
rement
ré, sur cette chambre au trésor avec une incroyable efficacité
jusqu'à ce qu'un individu excitât sa fureur en dérobant une coupe Frotho.
ouvragée pour la porter à son maître. Le trésor se trouva pillé [...]'" pere
d'indie;
Bilbo s'empara d'une grande coupe à deux anses, tout juste assez
qu un
légère pour lui, et leva des yeux craintifs. Smaug remua une aile,
dragon
ouvrit une griffe et se mit à ronfler sur une nouvelle note. [...]
Smaug avait quitté son repaire à la dérobée, puis, s'élançant silen- le
cieusement dans les airs, il s'était laissé flotter dans l'obscurité
comme un monstrueux corbeau, lourd et lent, porté par le vent,
vers I'ouest de la Montagne, dans l'espoir d'y surprendre quelqu'un
ou quelque chose, et de repérer I'issue du tunnel emprunté par le
voleur." F
égal
Le passage dans /e Hobbit est donc calqué sur le poème vieil Shelob
anglais. Il ne s'agit pas là, de la part de Tolkien, de simplement vou- que
loir recopier le passage pour son histoire à lui. Cet élément emprunté Frothc
à Beowulf rend hommage à ce poème que Tolkien aimait énormé- dont
ment. C'est une manière originale que de déclamer son amour pour
les textes anciens à travers les siens! l'autre
Dans ce même chapitre, la conversation de Bilbo avec Smaug est
un coup d'éclat, car Tolkien rend ici hommage non seulement à devait
Beowulf, mais aussi au premier dragon qu'il rencontra dans ses portée
lectures, Ie fameux Fâfnir scandinave. Le chapitre a donc également longue
pour modèle un poème tiré de I'Edda poétique, FâfnismâI ou les Dfrs inédit
de Fâfnirzs, dans lequel le dragon, avant d'expirer, rappelle à Sigurôr Ca
la malédiction qui pèse sur le trésor dont il avait la garde" Comme
Bilbo, Sigurôr refuse de dire au dragon quel est son nom, de peur .rirrl

d'être maudit, car dans la tradition germanique, on croyait que les cec
paroles d'un homme voué à la mort avaient grand pouvoir, s'il 26 Ceüt
maudissait son ennemi par son nom. Sigurôr et Bilbo se prêtent à un Tom
jeu d'énigme, ne voulant être maudits par le dragon'u. 27 La
28 Les
ses pat:
:3André CnÉprN, Beowulf, traduction avec le texte vieil anglais en regard, une core de
introduction et des notes, Paris: Le Livre de Poche, coll. Leltres Gothiques, 2007, pointe
vers 2279-2283, p. 182-183. l'ac
:= Le Hobbit, nouvelle trad. fr. Daniel Lauzon, Paris : Christian Bourgois, ch. 1'2. guerrie:
:3 Cf . Edda. Die Lieder des Codex Regius nebst verwandten denkmiilern, éd. établie
par dis que
Gustav Neckel, Heidelberg : Carl Winter, Universitâtsverlag, vol. 1, Text,5" édition pareille
rér'rsée et augmentée par Hans Kuhn, 1983, p. 180-188. et cruell
156

I.
mF
Fées, nauigateurs I autres miscellanén" e, Tàrrn J" M;l;n"
La mort de Smaug peut trouver son inspiration dans un texte
mentionné plus haut, Ies Gesta Danorum de Saxo Grammaticus. Le 4]lI

deuxième livre de cet immense ouvrage nous intéresse particuliè-


rement : il s'ouvre sur la présentation d'un nouveau personnage,
Frotho, fils du roi Hadingus. Un jour, constatant que le trésor de son
père avait été englouti dans des dépenses militaires, une voix
d'indigène (originaire du pays donc) nous dit le texte, apprit à Frotho
qu'un trésor était caché non loin de son royaume et gardé par un
dragon. L'indigène raconte à Frotho comment il doit s'y prendre pour
le battre, lui indiquant notamment que :
Certes, les écailles du dragon résistent aux armes offensives, mais
sache (c'est I'indigène qui parle) qu'il y a un endroit, à I'extrémité
inférieure du ventre, où on peut plonger le fer."
Frotho suivit ses bons conseils et devint riche. Cette mort peut
également renvoyer au combat opposant les Hobbits à l'araignée
Shelob dans le Seigneur des Anneaux2u. Dans l'histoire de Saxo ainsi
que dans l'histoire de Tolkien, les personnages portent 1e même nom :
Frotho est la forme latinisée de Frôôr (ou Frôd en vieil anglais), nom
dont dérive très certainement celui de Frodo. Ces deux personnages
combattent un monstre en vue pour l'un de trouver un trésor, pour
l'autre d'en détruire un,l'Anneau !
Enfin, il ne faut pas oublier qu'à l'origine, dans le Hobbit, Bilbo
devait tuer le dragon Smaug. Cette première version nous a été rap-
portée dans The History of The Hobbit de John Rateliff, qui est une très
longue analyse ùa. Hobbit et qui propose des versions du texte
inédites. Cette version est également évoquée dans la Biographie de
Carpenter, où ii est dit qu'au cours de l'écriture de la mort de Smaug,
[Tolkien] hésita et indiqua en quelques notes la suite du récit -
ce qu'il allait souvent faire pour le Seigneur des Anneaux mais
26 Cette brève analyse de la discussion entre le héros et le dragon doit beaucoup à

Tom SnrppEv, The Road to Middle-Earth, op. cit.,p. 102.


27 Lq Geste des Danois, op. cit., p. 6l-62.
2s LesDeux Tours, trad. fr. de Daniel Lauzon, livre fV, ch. 10, p. 406 : << Écartant alors
ses pattes, elle fit retomber sur lui son énorme masse. Trop tôt. Car Sam était en-
core debout, et laissant tomber sa propre épée ; il tint à deux mains la lame elfique,
pointe vers le haut, parant la chute de cet horrible plafond ; ainsi Araigne, avec tout
l'acharnement de sa propre volonté, avec une force plus grande qu'aucune main de
guerrier, s'empala sur un terrible aiguillon. Il s'enfonça loin, loin dans sa chair, tan-
dis que Sam était lentement écrasé contre le ssl. Araigne n'avait jamais connu
pareille agonie ; elle ne l'avait jamais
-
même entrevue en songe, de toute sa longue
et cruelle existence. t
,r,
MytltJogie germanique et t'iction : inspirations et reflek lon" t*rrrn ln TblL;en

rarement pour le Hobbit" Ces notes indiquent que Bilbo pourrait se être un
glisser dans l'antre du dragon pour le poignarder. « Bilbo plonge mont
son petit couteau magique », écrit-il. « Agonie du dragon. Les murs
même
et I'entrée du tunnel s'écroulent. >> Mais cette idée, qui convenait
occupen:
mal au caractère du Hobbit et n'offrait pas à Smaug une fin digne
de lui, fut rejetée en faveur de la version définitive où le dragon est magie:
tué par l'archer Bard". Peu après la mort du dragon, Tolkien Ferme (
abandonna l'histoire.30 a recu
lui offre
Tolkien, comme nous le dit son biographe, a très certainement dû
avec u
renoncer à cette issue pour le dragon, sans doute trop humoristique,
le solei-
trop décalée, et qui rappelle, à certains égards, l'histoire du Fermier sa pa
Gilles de Ham, récit qui met en scène le fermier Gilles, héros qui
affronte un dragon du nom de Chrysophylax, autrement dit « Gar-
transfi
dien de trésor >> :
Parr-
Le fermier s'aperçut qu'il avait laissé tomber son épée. Il se est un
baissa pour la ramasser, et le dragon fonça. Mais pas aussi vite que de so
« Tailbiter » [coupe-queue]. Aussitôt qu'elle fut dans la main du créatic-
fermier, elle bondit droit dans les yeux du dragon et flamba au clôt p.:
soleil. « Aïe ! » dit le dragon, et il s'arrêta brusquement. « Qr'avez-
con
vous là ? >>

<< Rien que "Tailbiter" qui me fût donnée par le roi » dit le
fermier.
« Aie ! » dit le dragon. « J'implore votre pardon ! » Et il se
coucha et rampa sur le sol, et le fermier commença à se rassurer.3, un pet::
jâres ;..
prese
b) Les Nains
l{alns:-
Après cette réflexion sur les dragons, créatures reprises par 3a
Ciau=
Tolkien, une plus courte étude du peuple des Nains est proposée, de peau i.
façon à ne pas trop empiéter sur la communication portant sur les Se
Nains chez Tolkien32. court
Qri sont les Nains ? Dans la tradition médiévale germanique, le dans r-
ment
Nain peut se représenter de trois manières différentes : ce peut être
2015.
un vieillard, parfois barbu, soit un enfant33; le Nain peut également -- 1l.sLi
2e voir la note
20. Bard tue en logeant une flèche dans le poitrail du dragon, là or)
i6 Fin:-::
une écaille, tombée, laissait une opportunité"
30 Une Biographie, op. cit., p. 796. - Nc:-
3t ll'Iaître Gilles de Ham, tradtction hann
de Simone d'Ardenne, 1975. po1ss.:
32 voir Damien
BRnon, « De deux à sept, le peuple de Durin » (contribution de Regiu-,.
Dijon. non reprise dans le présent recueil). Cf. également Rudolf Srnrx, Mittelerde, Ieçon
Tolkien und die germanische Mythologie, op. cit., p. 103-109" d'un
3r celte apparence
n'est attestée que dans un seul texte médiéval, ortnit, un récit ia fis-;:
écrit en moyen allemand autour de 1250. voir Arthur Amelung & oskar Jânicke, 37CLi
158

-...-,

!,

t'
Fées, nauigateurs (l autres *i""nllonées en Terre J, Milinu
mmiltm'*
être un chevalier de toute petite tailletn. Les Nains vivent dans des
montagnes creuses, de véritables palais souterrains et il en est de
même chez Tolkien. Dans la mythologie scandinave, oir les Nains
occupent une place importante, ils ont souvent un rapport à la
magie : dans une saga légendaire, le Dit de Thorstein le Colosse-de-la-
Ferme (Porsteinn pôttr bæjarmagns),le héros, Thorstein, aide un Nain l

à récupérer son enfant enlevé par un aigle. Pour le remercier, le Nain


lui offre un caillou « triangulaire, blanc au centre, rouge d'un côté
avec une bordure jaune », qui peut provoquer une tempête, invoquer
le soleil, faire jaillir un feu ardent et rendre invisible en le tenant dans
sa paume's. Dans le poème eddique Reginsmôl ainsi que dans les
Skôldskaparmô\, on rapporte qu'Andvari (« le guetteur »), un Narn, se
transforme en brochet pour échapper à sa capture par Loki36.
Parmi les nombreux poèmes qui composentl'Edda poétique. L en
est un qui s'intitule Vgluspâ ot Prédiction de la Prophétesse, Ce poème
de soixante-six strophes est d'un souffle extraordinaire : il relate la
création du Monde, évoque les grands dieux et leurs histoues. et se
clôt par un récit eschatologique bien connu. les Ragnargk .. la
consommation du destin des puissances suprêmes ,r".

Deutsches Heldenbuch,Ill, Berlin, 1878, p. 14, str. 93 : << er sach ein kleinez kint, ilvit
un petit enfant », ou encore p. 15, str. 96 : << Du bist in kindes maze, / des vierden
jâres alt. Tu es dans la conformité de l'enfance, I àgé de quatre ans. >> Pour une
présentation plus approfondie de la figure du Nain, lire Claude Lrcoureux, les
Nains et les Elfes au Moyen /ge, Paris : IMAGO, 1988.
3a Claude Lecoutnux, la Légende de Siegfried, d'après la Chanson de Seyfried à la

peau de corne et la saga de Thidrek de Vérone, Paris: Porte-Glaive, coll. Lumière du


Septentrion, 1995, p. 22-23 : « Ce dernier type, plus compatible avec la littérature
courtoise, a supplanté les deux autres, et son représentant est Laurin, ainsi décrit
dans un roman de la fin du xrrt" siècle. » - Citons au passage que ce livre, difficile-
ment accessible, a connu une réédition augmentée aux Éditions la Vôlva en déc.
2015.
3s Âsdis Rôs MacNûsnôrrrn, funtre sagas légendaires d'Islande, édition bilingue
français-islandais, Grenoble : ELLUG, coll. Moyen Âge Européen,2002, p. 30-33"
36 FinnurJôussoN, Edda Snorra Sturlusonar, Copenhague : Gyldendalske Boghandel

ok kom hann til dvergs pess, er heitir Andvari ;


- Nordisk Forlag, 1931, p. 127 : << [...fjusqu'à
hann var fiskr i vatni. [...] et il alla ce nain, qui s'appelle Andvari ; il était
poisson dans l'eau >>.Le Codex Upsaliensis, antérieur de quelques années au Codex
Regius, serait le plus ancien manuscrit de I'Edda de Snorri. Le manuscrit donne la
leçon suivante : « celui-ci était si versé dans la magie qu'il prenait parfois la forme
d'un poisson » (note 5 p. 201 del'Edda de Snorri). Une fois de plus, on voit bien que
la figure du Nain a un rapport étroit avec la magie.
37 Cf . Edda. Die Lieder des Codex Regius, op. cit., p. 7-16"

159

t.,
MgthJogie germanique et t'icilon : inspirations et reÿets lor" l'*rurn dn TblLin,

Dans ce poème, les strophes 11 à 16 attirent particulièrement ton,


l'attention. En effet, c'est à ce moment précis qu'apparaît une thula cien »42.
(énumération, ou poème généalogique, voire comptine mnémo- i'idée
technique), également appelé Dvergatal ou Décompte des nains. Parmi ont très
ces noms figurent certains dvergar que le lecteur des textes de suivi le
Tolkien ne connaît que trop bien. Dans leur forme norroise, il s'agit peut-être
de, Âi, Bâfurr, Bifurr, Bgmburr, Dâinn, Dôri, Durinn, Dvalinn, ce nom
Eikinskjaldi, Fili, Frâr, Frerinn, Frôr, Fundinn, GandâIft Glôinn,
Hânnarr, Kili, Lofarr, Lôni, Nâli, Nar, Nâr, Nâinn, Nôri, Ôri, ôinn, 2.La
Forinn, Drâinn, Dr6r.
Regardons de plus près les noms d'Eikinskjaldi et de Gandâlfr38. a)Un,
Eikinskjaldi est un Nain issu du Dvergatal. Sa forme anglaise, Oaken- La
shield, est utilisée par Tolkien comme surnom attribué à Thorin II. Le ger
chapitre intitulé « Le peuple de Durin >>, qui se trouve dans l'appen- vent d'
dice A du Seigneur des Anneaux, îouts rapporte qu'au cours de la l'usage
Bataille d'Azanulbizar (lors de l'hiver 2799 du Troisième Âge), Thorin invisible
perdit son bouclier et que, pour se défendre, il prit une branche de ture qui
chêne, avec laquelle ii se défendit vaillamment. C'est de là que vient reine Br-:
son surnom. Eikinskjaldi est composé de deux éléments norrois : eik c
<< chêne >> et skjçldr « bouclier »> ; son nom signifie « Celui avec un va voir
écu de chêne >>3e. Certains chercheurs tendent à penser que le premier
élément ne serait pas eik, mais eikinn << violent, enragé >>, ce qui
a2 La
donnerait la signification << l'enragé avec un bouclier >>no. Son surnom
vieillard
évoque donc la force guerrière, le courage de l'intrépide, la force peau à
morale. n'est pas
Passons à Gandâlfr. Avant d'être le nom du célèbre magicien du ga saga,
Hobbit et du §eign eur des Anneaux, Gandalf était, dans les premières from the
p. 20. Oô:
versions du Hobbit,le Nain qui conduisait I'expédition vers Erebor.
pour
Dans les versions ultérieures, Gandalf sera remplacé par Thorin II ; und die
Gandalf prendra alors la place de Bladorthin le magiciena'. Gandâlfr, « Tolkier-.
dans le Dvergatal, est un nom composé des mots norrois gandr <<bà- Trolle ,.
Tolkien
38
niae, 201 -
Pour une étude systématique de chacun des noms des Nains chez Tolkien, voir « Tolkier.
Damien Baoon, « Un peuple secret: Les Noms des Nains dans l'æuvre de J.R. R. und ,,'
Tolkien >>, l'Arc et le Heaume no 4, Histoire d'un aller et retour, 2074, p.86-113. 2011, p.
3e Cf. Lotte Motz, «
New Thoughts on Dwarf-Names in Old Icelandic >> dans Früh- a3 Tom S
minelalterliche Studien, vol. 7, Berlin : De Gruyter, 1973, p. 100-117.
a0 Selon Hans
aa
Voir I
Ross et Sophus Bugge, rapporté dans Nathan G. CHnsrrn, « Dwarf- tion inte
names: A study in Old Icelandic religion >>, in Publications of the Modern Language Bibliotht
Association of America, vol. 44, n' 4, 7929, p. 945.
Maurice
a1 Voir
John D. RanBurr, The History of the Hobbit, Part One: Mr. Baggins, Harper- poeme,
Collins, 2008, p. 455*456. Philolog:.
160
Fées, nauigateurs I autres -i""nllanées en Tàrre J" M;l;n"
Mfiro"*
ton, baguette magique>> et âlfr « elfe » ; il signifie donc « elfe magi-
cien >>a2" L'étymologie de ce nom vient conforter, une fois de plus,
l'idée selon laquelle les Nains, dans la tradition germanique ancienne,
ont très souvent un rapport à la magie. Tolkien avait initialement
suivi le poème norrois en conservant Gandalf parmi les Nains, mais
peut-être que l'étymologie de Gandâlfr l'a poussé à revoir la piace de ilry
ce nom dans son Légendairea3.

2.La rnagie, vectrice de sagesse et de folie

a) Un jeu commun : les énigmes


La magie est l'une des caractéristiques fortes de la mythologie
germanique ; elle structure la religion. Cette magie, comme bien sou-
vent d'ailleurs, peut être bénéflque ou maléfique" Voyons par exemple
l'usage que fait Siegfried de la Tarnkappe,Ia cape follette, qui le rend
invisible dans le Nibelungendlied, de la dixième à la treizième aven-
ture qui composent ce poème moyen haut-allemandaa. Une fois que la
reine Brünhild s'est mariée avec le roi Gunther, celle-ci refuse de
consommer l'hymen, car elle aimait Siegfried. Très embêté, Gunther
va voir Siegfried pour lui demander qu'il l'aide, ce que fit Siegfried en

a2 La description physique de Gandalf(« tout juste dans la lueur du feu se tenait un


vieillard courbé, appuyé sur un bâton et enveioppé d'une grande cape ; son cha-
peauàlargesbordsétaitrabattusursesyeux», lesDeuxTours,livreII,ch.3,p.5l)
n'est pas sans rappeler celle d'Ôôinn, dieu magicien par excellence dans la Vglsun'
ga saga" Cf. Christopher TorrIrN, The Saga of King Heidrek the Wise, translated
from the lcelandic with introduction, notes and appendices, Londres: Nelson, 1960,
p. zo" Ôôinn semble avoir servi d'influence non seulement pour Gandalf, mais aussi
pour Manwë, Sauron et Saruman. Voir à ce sujet Rudolf Srurr, Mittelerde, Tolkien
und die germanische Mythologie, op. cit., p.74-84; cf. également Rudolf Srupr,
« Tolkiens Verwendung der germanischen Mythologie am Beispiel Odins und der
Trolle », dans Hither Shore, Interdisciplinary Journal on Modern Fantasy Literature:
Tolkien and the Middle Ages / Tolkien und das Mittelalter, vol. 8, Scriptorium Oxo-
niae,2011, p.1,0'22; cf. le même article, sous sa forme augmentée, Rudolf Srue«,
« Tolkiens Verwendung der germanischen Mythologie - exemplarisch an ,,Odin"
und ,,Trollen" ,r, dans Zeitschrift für deutschsprachige Kultur und Literaturen, Seoul,
2017, p.229-251..
a3 Tom Snrppnv, The Road to Middle-Earth, op. cit., p" 110.
aa Voir Maurice Colltvrlr.r & Ernest ToNNn n, la Chanson des Nibelungen, traduc-
tion intégrale avec introduction, notes et glossaire, Paris : Aubier-Montaigne, coll.
Bibliothèque de Philologie Germanique, tome VI, 1945, p. 161-189. Voir également
Maurice Colt,nvrr.r.s & Ernest ToNNrler, Der Nibelungenlied, édition partielle du
poème, avec introduction et notes, Paris : Aubier-Montaigne, coll. Bibliothèque de
Philologie Germanique, tome VII, 1.944, p. 139-156.
l6l
Mgthologie germanique et ficüon : inspirations et reflets Jorc l'*rurn Jn TblL;nn

prenant les traits du roias. Siegfried prit à Brünhild sa force contenue donc c
dans sa ceinture, son anneau ainsi que sa virginité. Le temps passe et Heiô
tout semble rentré dans l'ordre, lorsqu'un jour, il y eut une alterca-
tion entre les femmes de Siegfried et Gunther: Kriemhild, la femme
de Siegfried, tend I'anneau qu'il avait ravi à Brünhild, qui se sent
tout-à-coup humiliée et trahie. Elle donne alors l'ordre que l'on tue
Siegfried, ce qui adviendra, au cours d'une partie de chasse dans les
bois, quand Hagen, cousin ou conseilier du roi Gunther selon les
versions de l'histoire, plante un javelot entre les deux épaules de Le
Siegfried, unique endroit où il était vulnérable, depuis qu'il s'était Hobbi:
baigné dans le sang du dragon et que sa peau était devenue très résis- Ces é:
tante. Ainsi mourut Siegfried,le fameux héros germaniquea6. qui s'
La mythologie germanique n'interdit pas l'utilisation de la magie, Mais:
bien au contraire, mais un mauvais usage, comme c'est le cas avec rayax:
Siegfried, peut vite tourner au drame. Le sacré de la magie, dans la nez
littérature scandinave, se manifeste parfois par une technicité de la il re
métrique très élaborée : il est un genre, hautement littéraire, qui se Ges
veut délicat, plein de finesse et de subtilité, le jeu des énigmes. On q
retrouve ce célèbre jeu dans plusieurs poèmes eddiques : Alvîssmâ|a,, Ce
Vafthrûdnismâlnu, ainsi que dans une saga, la Hervarar saga ok e
Heiôreks konungs, texte norrois qui fut d'ailleurs traduit par le fils de jouer
J.R.R. Tolkien, Christopher, en 1960ae. La saga présente de nom- cette
breuses allusions que l'on peut retrouver dans le Légendaire de
Tolkien, comme le nom Myrkviôr qui donna Mirkwood: Sombre-
Forêt50.
Dans cette saga légendaire, il est rapporté une joute d'énigmes srCi
entre le roi Heiôrekr et Gestumblindi (< Hôte Aveugle »); il s'agit pièe;
op. : '"

t'.f
as Der Nibelungenlied, str. 653, p. 749, la Chanson des Nibelungen, p. 170 : << Er r
'
sprach :
'ich kume noch hlnte / zer kemenàten d\n /alsô tougenlTche / in der tarn-
kappen m\n'. Et ii ajouta: "Je viendrai cette nuit dans ta chambre, vêtu de ma et
chape/cape follelte". » p. lt-
a6 La version
germanique continentale de la mort de siegfried, bien que déloyale, unÉ
est certainement moins pathétique que celle de la version scandinave où, dans la
\'çlsunga saga, Sigurôr meurt frappé par I'épée de Gutthormr, alors qu'il était cir.:
endormi. cf. R. G. FrNcn, The saga of the volsungs, op. cit., p.5g, nous traduisons : tro
. Gultormr tira son épée et se jeta sur sigurôr avec une violence telle que la pointe
se ficha dans le lit, sous lui (Sigurôr)" » \'1\'1"
=- Cf , Edda. Die Lieder des Codex Regius, op. cit., p. 124-129. de
1-\ Ibid., p. a5-55.
et-::-
ae
be. -
Christopher Tor«rBN, The Saga of King Heidrek the Wise, op. cit.
50 cf.
t:.:.
Johan FRrrzNrn, ordbog over det gamle norske sprog, Kristiania : Heirberg & n:
r'^
Landmarks Forlag, \867, p. 467 : << tyk, tætvoxet og derfor msrk Skov >>.
162

I
Fées, nauigateurs €l autres -is"nllorén" n, Tàrre J" ÿI;l;n"
donc d'Ôôinn, qui est venu mettre à l'épreuve la sagacité du roi
Heiôrekr. Après une lutte oratoire qui ne départage aucun des deux
personnages, Gestumblindi gagne enfin le duel, sur une pirouette :
l.ll
Qte dit Ôôinn
à I'oreille de Baldr,
avant qu'il ne fût porté au bûcher ?

Le roi Heiôrekr dit : « Toi seul sais cela, infâme créature ! »s'

Le jeu des énigmes est un genre littéraire que l'on retrouve dans le
Hobbrt, au cinquième chapitre du livre, « Les énigmes dans ie noir ,5:,
Ces énigmes meftent en scène Bilbo et Gollum, créature monstrueuse
qui s'apparentait autrefois à un Hobbit selon les dres de Gandali':
Mais il fut corrompu par l'Anneau et devint cet être difforme et ef-
rayant que l'on connaît. Perdu dans un tunnel. Bilbo se retrour-e lez a
nez avec Gollum. Ce dernier souhaiterait bien ie dér'orer. st touteic,ts
il remportait le concours d'énigmes. De la même tacon qu OÔrn:l-
Gestumblindi, Bilbo gagne le concours d'érugmes en posant u:ne
question à laquelle son adversaire est dans I'rncapacité de reponcire
Ce chapitre du Hobbif est très intéressant : d'une part. Toliuen rend
encore hommage à la littérature germanique ; d'autre part, le fait de
jouer aux énigmes est preuve d'intelligence, de subtilité de l'esprit. Et
cette capacité à faire travailler ses cellules grises semble être une
caractéristique propre à d'autres Hobbits chez Tolkien.

s1 Cf. Christopher Tolxrnr.l


, The Saga of King Heindrek the Wise, op. cit., p. ++. Ôôinn
piège de la même manière le géant Vaftrirônir, cf. Edda. Die Lieder des Codex Regius,
op" cit.,p.55.
s2 Pour une étude plus approfondie sur ces énigmes, voir Jean-Philippe Qa»nt,
,. "... un concours avec nous, mon trésor l" : étude du tournoi d'énigmes entre Bilbo
et Gollum >> inTolkien, Trente ans après (1973-2003),Paris, Christian Bourgois, 2004,
p.49-73. Dans les Gesta Danorurn, Saxo Gnaunanrcus évoque à un moment donné
une série de questions que le roi Frotho III adresse à Ericus, dit le Parleur Habile,
qui n'est pas sans rappeler le titre du chapitre du Hobbit, cf . la Geste des Danois, op.
cit., p. 182: « Frotho : 'Je ne vais pas plus loin. Je ne sais quoi répondre, puisque tu
troubles ma raison par l'obscurité de tes propos énigmatiques." »
s3La Fraternité de I'Anneaq lwrel, ch.2, p.78-79: [...] il y a très longtemps,
"
vivait près des rives du Grand Fleuve, à la lisière de la Contrée Sauvage, un groupe
de petites gens aux mains habiles et à la démarche silencieuse. Je suppose qu'ils
étaient du genre hobbit: apparentés aux ancêtres des Fortauds, car ils aimaient
beaucoup le Fleuve et y nageaient souvent, ou construisaient de petites embarca-
tions de roseaux. Il se trouvait parmi eux une famille très réputée, car nombreuse et
plus riche que la plupart [...]. L'esprit le plus curieux et le plus incisif de toute cette
famille se nommait Sméagol. »
163
MgthJogie germanique et t'icüon : inspiratîons et reflets Jor" l'*rurn ln TblL;n,

b) Frodo et Sam : la sagesse des petites-gens Un


L'histoire de Frotho dans les Gesta Danorum de saxo Grammaticus toute l
a été mentionnée ci-haut. Frodo, comme on l'a vu, le personnage du tenant
seigneur des Anneaux, pouvait se rapporter à frôd en vieil anglaissa. -wise.
Ce mot a des équivalences dans les autres langues germaniques : que 1'

frôôr en vieux norrois, frôps en gotiques5, frôden vieux frison, fruot en allem;
vieil ailemandtu. on pourrait donc aisément remonter, grâce à ra landa:l
reconstruction linguistique, à un mot tel que *frôdaz. La même racine signii
parcourt la majeure partie des langues anciennes germaniques, fait est u-
intéressant pour qui étudie les langues anciennes. comparer les mots, racine
travailler sur leurs histoires, leurs sens, leurs présences dans les plusie
textes anciens, tout cela fait partie du travail d'un philologue, vieil
profession qu'a exercée Tolkien durant une longue partie de sa vie, 'v)tzz€r,
car il appliquait également la rigueur linguistique pour la création de angla
ses propres langues. D
La rapide présentation de la notion de frôds7 permet d'avoir de ancie
fortes certitudes que le nom de Frodo, chez Tolkien, serait un qul
emprunt à ces langues anciennes, comme beaucoup d'autres noms de Sa$e »

lieux, de personnages, dans son Légendaire. Cependant, il ne faut pas souli


oublier que Tolkien, philologue, s'amuse beaucoup avec son lectèur, té: r
notamment par l'onomastique dans ses æuvres ; et l'étymologie de port.:
certains noms n'est parfois pas celle à laquelle on penserait en est "=
premier lieuss. maLi:
pluti:
N-
sa << Savant », << sage », « avisé >>, voire « âgé » (Beowutf,
v.2g00). Même graphie du æu\
mot en vieux saxon (voir par exemple Heliand, l'F,vangile de la mer du Nord,présen- con-(
tation du texte et traduction par Eric vaneufville, Turnhout, Brepols, coll. Miroir du qui
Moyen Âge, 2008, v. 115, p. 40 : << that frod gumo » (le vieil homÀe).
ss « Intelligent >>, <<
corr;
sage >>, << avisé », « prudent ». De la même racine que le verbe
gotique frapjan << penser », << comprendre », << être intelligent ».
s6 Variante graphique : /rôt
s7 De la même racine que notre français « prude », en appliquant la loi de verner. se Pei
s8 L'helléniste
aurait tort de penser que sauron, le seigneur des Anneaux, provien- 60À:
drait de oaÜpa << lézard >> en grec ancien. Tolkien explique dans une lettre là vérita- latin r

ble éÿmologie de Sauron : « Il est donc oiseux de comparer les similitudes fortuites 6l Ie .:.ffm
existant entre des noms propres construits à partir des 'langues elfiques' et des 62 I;:-lil
mots existant dans des langues 'réelles' extérieures, surtout si cela est censé avoir Bilb.
un quelconque rapport avec la signification ou les idées de mon histoire. pour '
chac--..r
prendre un exemple souvent sollicité : il n'y a aucune connexion linguistique entre qul ::"
sauron,
lorme contemporaine d'une plus ancienne "1aurond dérivant de l'adjectif Hob:r'
"1aura (dont la base est JTHAW),'détestable', et le grec oatjpa,'lézau.d,.r, Littres, long
n" 297 p.532. la C-'
r64

lrLi,,,
Fées, nar-:igateurs Ü autres mis"ellorén"

Un autre Hobbit, Samwise Gamgee, compagnon de Frodo pendant


toute l'aventure du Seigneur des Anneaux, a lui aussi un nom entre-
n, Terre J" M;l;n"
JF
tenant un rapport avec la sagesse. Son nom est composé de l'élément
-wise, << prudent, sage >> en anglais, provenant du vieil anglais wise,
que l'on retrouve à travers le vieux norrois v/ssse, le vieux haut-
allemand wrs/wtsi,le vieux saxon wisa,le frison actuel wiis, le néer-
landais moderne ou ancien wijs, l'allemand moderne welse, tous
signifiants également << sage » ; le finnois connaît le terme viisas qui
est un emprunt évident au germanique. Ces mots proviennent de la
*
racine indo-européenne weid- « connaître >>, que l'on retrouve dans
plusieurs langues : witan en gotique, vita en vieil islandais, witan en
vieil anglais, wizzan/wizssanlwizan/wët en vieux haut-allemand,
wizzen en moyen haut-allemand, wissen en allemand moderne, wit en
anglais moderne" o[6a en grec ancien.
D'autre part, l'élément Sam-, est lui aussi attesté dans les langues
anciennes: ce mot vient du vieil anglais sâm- « demr )> : un préfixe
qui dénote une imperfectionuo" Sam est donc celui qul est « moins
sage >>. car issu de la classe populaire des Hobbits. Cependant. r1 faut
souligner que le personnage incarne la valeur du courage. de la fldé1i-
té : regardez-le voler au secours de Frodo à Cirith Ungolu', regardez-le
porter Frodo, sur le chemin qui mène à la Montagne du Destin. Sam
est le personnage qui évolue le plus dans le roman, là ou Frodo,
malheureusement corrompu (à la fin) par l'Anneau unique, incarne
plutôt la figure du martyr.
Néanmoins, les Hobbits demeurent les grands héros dans les
æuvres de Tolkien. Leur capacité exceptionnelle à s'adapter aux cir-
constances qui se présentent reflète tout le génie de ces petites-gens,
qui selon la légende, auraient été inventés au cours d'une ennuyeuse
correction de copies d'étudiants"2.

sePensons à Al-viss et son jeu des énigmes dans l'Alvissmâ1, cf . supra.


60À rapprocher du vieux saxon sâm-, du vieux haut-allemand sâmi-, ou encore du
latin semi-.
61 Le Retour du Roi,livre VI, ch. 1.
62Lettres, n" 163 p. 305 : « Tout ce dont je me souviens à propos de la naissance de t,,u,

Bilbo le Hobbit est que je corrigeais des copies de School Certificate, usé comme
chaque année par cette éternelle besogne infligée aux universitaires impécunieux
qui ont des enfants. Sur une page blanche, j'ai griffonné : "Dans un trou vivait un
Hobbit". Sans savoir pourquoi, aujourd'hui encore. Je n'en ai rien fait, pendant
longtemps, et pendant des années cela n'est pas allé plus loin que la réalisation de
Ia Carte de Thor. »
165
MgilrJ"gin germanique et t'icüon : inspirations et reflets Jon" l'*uurn ln'TolL;n,
c) LAnneau L'
Pour terminer cette étude, il faut aborder un sujet très dense, celui Sur
de l'Anneau. I1 y aurait beaucoup de choses à dire sur cet objet Sauron
magique si fascinant, bien trop pour le faire ici63. Nonobstant, il nous qu'il es:
faut montrer des points de comparaisons entre les textes médiévaux
et I'æuvre de Tolkien au sujet de cet objet fabuleux. L'anneau, chez
Tolkien, est un objet bénéfique comme il peut être maléfique : Narya,
Nenya et Vilya, les trois Anneaux des Elfes, ont des pouvoirs de Et.i;
protection et peuvent donner du courage face au danger. A contrario,
l'Anneau Unique, forgé en cachette par Sauron, est un objet qui fut lu
créé dans le but de dominer tous les autres anneaux. Rappelons l'ins- la
cription gravée dessus en parler noir : CO

Ash nazg durbatulûk, ash nazg gimbatul, ash nazg thrakatulûk


s
a gh b ur zum- ishi krimp at ul "

Un Anneau pour les dominer tous, Un Anneau pour les trouver,


L'E
Un Anneau pour les amener tous et dans les Ténèbres les lier.6a
Ce rapport de force existe dans la mythologie germanique , Ôôinn
uI:
ne doit sa suprématie sur les autres dieux qu'à l'anneau magique
Draupnir65. Tous les neuf jours, cet anneau en produit huit autres.
Bien que symbole de richesse et de pouvoir, car Ôôinn règne sur
Âsgarôa il connaîtra cependant la mort de son fils Baldr. Le dieu Le

borgne plaça I'anneau sur le bûcher et lorsque Baldr fut chez Hel, en d'une
enfer donc, Hermôôr, son frère, partit le délivrer. Hel acceptait de le À
laisser partir si tout le monde pleurait Baldr. Avant de partir pour lui é

Âsgarôr, Baldr remit Draupnir à son frère. Une fois que Hermôôr sur ui:
raconta ce qu'il fallait faire, tout le monde pleura alors Baldr, sauf une Hti
géante du nom de Fgkk66. Mordc:
s app

63
Voir Charles DnlarrnE, le Cycle de l'Anneau, de Minos à Tolkien, Paris : Belin, n
2009. Du même auteur: << Du cycle de I'Anneau au Seigneur des Anneaux rr, dans
Tolkien, Trente ans après (1973-2003), op. cit., p. 75-1.02. Cf. également Rudolf Srunr, Ch.:
Mittelerde, Tolkien und die germanische Mythologie, op. cit., p. 763-166. conflr:.
6a Nouvelle trad. du poème par Daniel Lauzon, dans la Fraternité de l'Anneau, p.7 " sages!:
6s « Dégouttant )>, <<
celrri qui dégoutte >>. L'anneau est mentionné dans l'Edda de derre::-:
Snorri à quelques reprises : au ch. 49 de Gylfaginning (qu;i relate la mort de Baldr),
au ch. 5 des Skâldskaparmâl; dans l'Edda poétique: voir le poème eddique -For 5,-
Scîrnis, dans Edda. Die Lieder des Codex Regius, op. cit., p. 69-77 . Le F
rl- -
ô8 LUU
66 << Pôkk ÿersera Des -
larmes sèches / Sur les funérailles de Baldr. / Ni ûf ni mort, du
6e Vorr
fils du yieux / Je n'eus à me réjouir. / fue Hel garde ce qu'elle a I § On devine que -(l r--:
c'était Loki, fils de Laufey, lui qui cause le plus de mal aux Ases ». Edda de Snorri, LU-
Gylfuginning, ch. 49, p. 93. -i I - :

166

t'
Fées, nauiqateurs Ü autres -i""nllonée" en Tèrre d, M;l;n"
L'anneau est à la fois un signe de richesse, d'honneur et de destin.
Sur bien d'autres points, Sauron peut s'identifier à Ôôinn : le trône de
Sauron dans la Tour Sombre est semblable à celui d'Âsgarôr. Voici ce
qu'il est dit au livre VI, chapitre 3 dr Seigneur des Anneaux:
[...] et ilvit alors, noirs, plus sombres et noirs que les
(Sam)
vastes ombres au sein desquelles ils se dressaient, les cruels
pinacles et la couronne de fer de la plus haute tour de Barad-dûr.
Elle ne se révéla qu'un moment, mais comme d'une grande fenêtre
immensément haute, elle darda vers le nord un éclair rouge, telle la
lueur d'un (Eil perçant ; puis les ombres furent de nouveau tirées et
la terrible vision disparut. L'(Eil n'était pas tourné vers eux : il
contemplait le Nord oir les Capitaines de l'Ouest se tenaient aux
abois, et toute sa malveillance y était dirigée, tandis que le Pouvoir
s'apprêtait à donner le coup fatal ; mais Frodo, devant cette terrible
vue, tomba comme un homme frappé mortellement.6T

L'Edda de Snorri Sturluson dit ceci :

Il est à Âsgarôr un lieu appelé Hliôskjâlf et dans lequei se trouve


un trône : quand Ôôinn y prenait place, il pouvait observer tous les
mondes, et de même que l'activité de tout un chacun, et iI com-
prenait tout ce qui s'offrait à son regard.u'
Le nom Hliôskjaif signifie << tour d'observation piacée au-dessus
d'une porte >>ue"
À Amon Hen, peu après l'altercation avec Boromir, Frodo tente de
lui échapper. I1 arrive alors devant une structure en ruine, s'installe
sur un vieux trône qui lui donne une vision, à la manière du trône de
Hliôskjâlf. Frodo, sur le « Siège de la Vue >>, regarda du côté du
Mordor et il vit Barad-dûr, puis l'(Eil. Ce dernier « fondit sur iui » et
s'approchait d'Amon Hen. Frodo quitta le trône et se mit à crier
Jamais, jamais I Ou était-ce : Je ûens, en vérité ie viens à vous ? ll
n'aurait su le dire.To
Chez Tolkien, l'anneau ou les joyaux sont souvent sources de
conflits : aux antipodes de Sam et Frodo, figures de la prudence et de
sagesse, nous avons Sméagol et Déagol qui luttent à mort afin de
devenir maîtres de l'Anneau UniqueT'. Cette lutte rappelle indubita-

67 Le Retour du Roi,livre VI, ch.3,p. 261,.


68 Edda de Snorri, Gylfuginning, ch. 9, p. 39
6e Voir note 10, p. 150 de l'Edda de Snorri.

70 La Fraternité de I'Anneau, livre II, ch. 10, p. 503-504.

71 La Fraternité de I'Anneau, livre I, ch. 2, p. 79.

I
Mgthologie germanique et t'ic$on : inspirations et reflets lon" |*urrn Jn TblL;nn
blement la lutte entre les frères Reginn et Fâfnir, qui veulent s'appro-
prier l'Andvarinaut, anneau maudit, qui est au cæur de la légende des
VglsungarT2. Cette légende est plus connue, de nos jours, dans sa
transposition en opéra par Richard Wagner73.

Conclusion : Tolkien, nouveau Snorri ?

ce titre, provocateur, ne cherche pas à dire que Tolkien et Snorri


sont les mêmes personnages. Nonobstant, tous deux ont écrit sur une
mythologie qui se veut ancienne, tous deux sont des chrétiens prati-
quants qui ont cherché à préserver des éléments de la culture
parenne, cette richesse abondante, par le biais de la liuérature et de la
philologie.
Tolkien joue souvent sur le principe de la réécriture : l'avant-
propos du seigneur des Anneaux dit du livre qu'il est tiré principa-
lement des mémoires des célèbres Hobbits, Bilbo et Frodo tels qulils pr
sont conservés dans le Livre Rouge de Ia Marche de I'ouest oir les Tr
histoires d'antan sont venues jusqu'à Tolkien qui les a traduites en
tr
anglais. Tolkien se présente donc comme un traducteur, un grand
pc.
connaisseur des mythes. c'est aussi un universitaire qui aimait tant
les textes scandinaves qu'il désirait « unifier les lais de I'Edda poé- Sr
tique parlant des vôlsungs, écrite dans la vieille strophe fornyrôislag 6r
b'
de huit vers. ,r7'
En 2009 est parue la Légende de Sigurd et GudninTt, qui, comme l'a
d'
dit l'auteur, est un condensé des mythes anciens germaniques, fondé C
sur la poésie allitérative propre à la littérature ancienne. Tolkien,
conteur de mythes, souhaitait que le lecteur ait accès aux textes fo.
anciens dans une bonne traductionT6, poru ensuite la dépasser, afin de
toucher à l'essence même des mots. Tolkien, c'est donc cela : un
auteur qui répandait dans ses textes un parfum ancien, afin d'amener
le lecteur à se plonger dans les Eddas, les sagas islandaises ou encore
i;
Beowulf.
q-
'6+ ;-
ua

e:

72 Cf. Christopher Tor,xrex, op. cit-, p. 24 sq.


73 cf. Ârni B;ônNssoN, wagner and the volsungs. Icelandic sources of Der Ring des
Nibelungen, Londres : Viking Socieÿ for Northern Research, 2003.
7a Lettres,
n" 295 p. 530.
zsJ. R. R. Tor,«rrN, la Légende
de sigurd et Gudritn, trad. fr. christine Laferrière,
Paris : Christian Bourgois, 2010.
76 ce qu'il
fit avec sir cawain and the Green Knight, pearl, sir orfeo, Beoÿtutf, etc.
168

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