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COLT ce (OA Kel Ce me el AO 110] a LA LAICITE ? Lorn race QUELLE SOCIETE VOULONS-NOUS POUR DEMAIN ? CeO ee ee Cn eae Pou Ree ee ee uu ea Need Ce eee ee ee Rn eae eee ae aed Cee CCR Ce em oR mea auxquelles nous assistons en France depuis une trentaine d’années Ce CUR URC EC tae ae ee du burkini dans les piscines municipales, ils reviennent sur les événements qui ont conduit Ce Ce oe ec Fesponsables politiques (Frangois Hollande, Bernard Cazenewve, Benot Hamon, Malek Bout...) ainsi que des figures de la société civile (Jean-Pierre Obin, Dilem...), dont ils pee Co eee eee Fee Se ee ee ong attachement rigoureux a la citoyenneté, sans distinction dorigine ou de religion, ainsi qu'aux valeurs de la République, qui protége chacun dans ses convictions en permettant de débattre, Cena ee Ta eee tse eee a Sue ang emer st tse a cet Se eR Te ee ee CT grand reporter pour la tékivision, il a signé de nombreux documentaires investigation Reporter a Charlie Hebdo depuis 2016 oi il a publié plusieurs enqudtes consacrées a la hit, il est I'auteur de MARIKABRET est responsable ressources humaines de Charlie Hebdo, chargée de la wansmissior de la mémoire de Charb, Membre du Comité Laicité République, lauréate 2007 du Prix National Laicité et République, elle est par ailleurs chroniqueuse a Clara magazine-Fenmes solidaires. NADEGE HUBERT est jo e ixlépendante. Collaboratrice réguliére de Charlie Hebdo, co- auteure du documentaire Jeunesse @ vendre sur la prostitution des mineurs en France, auleure-co- alisatrice du documentaire Minerve, un mystére insondable, Elle a été en 2018 membre du jury Prix Jeunes contre I’Exploitation Sexuelle de la Fondation Scelles. Claude Ardid + Marika Bret + Nadége Hubert Illustrations d’ Alice et Biche QUI VEUT TUER LA LAICITE ? @Lditions EYROLLES Exdtions Eyrolles 61, bd Saint-Germain 75240 Paris Cedex 05 www.editions-eyrolles.com ‘Mise en pages :Facompo, Roven En application de la bi du 12 mars 1957, i est interdt de reproduire intégralernent ou partiellement le présent ‘ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de P'éditeur ou du Centre frangais d' exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-A.ugustins, 75006 Paris. © Editions Eyrolles, 2020 ISBN :978-2-212-57350-3 Sommaire Introduction Chapitre 1. Qu’est-ce que la lalcité 2 Chapitre 2. Menaces sur les services publics Chapitee 3. Illusions, désillusions : trente ans, ou presque, de renoncements politiques Chapitre 4. La sphere idéologique : satire et passage a lacte Conclusion. Le Québec annonce-t-il la France ? Introduction Depuis cing ans, le poids de notre chagrin ne s’allége pas. C’ est siirement normal. Mais ce qui ne l’est pas, c’est de devoir en plus naviguer entre amertume et colére. Parce que la perte de repéres et de bon sens, les manifestations de lachetés abyssales et !’envie de compromissions ]orsqu’un des socles de notre République, la laicité, est attaqué, sont les meilleurs tremplins pour que la société se fissure chaque jour un peu plus. Les nombreux exemples de ce livre le disent : les conséquences des dégts de cette fracture qui se creuse se voient d’abord sur le terrain. Hélas, 4’ interprétation « frileuse » des alertes lancées depuis des années, se sont ajoutés beaucoup d’hésitations politiques et un manque de courage stupéfiant face 4 des revendications qui participent 4 une offensive menée contre des valeurs issues des Lumiéres, celles qui ont construit notre démocratie. Aujourd’hui, des voix s’étranglent quand il s’agit de manifester un attachement viscéral et rigoureux A ce qui permet I’émancipation : la citoyenneté qui nows réunit sans distinction de couleur de peau, d’origine ou de religion, Aujourd’hui, des mains se tordent parce qu’un journal satirique fait son job notamment celui de se foutre de la gueule du militantisme folklorique ou réactionnaire de |’ extréme droite a l’extréme gauche. Aujourd’hui, la peur gagne du terrain et favorise des silences par crainte d’étre attaqués. La promotion de la laicité est une des plus belles missions politiques, en tout cas devrait |’@tre. Elle nous protége toutes et tous et ici en France, rappelons-le, la manifestation de sa foi s’exerce en toute liberté. Encore faut-il savoir si elle respecte ou s’ oppose a notre idéal républicain. Celui_ qui permet de débattre, d’approuver ou de contester, de se moquer et de rire. A opposé de ce qui se prétend indiscutable, immuable et éternel. Chapitre 1 Qu’est-ce que la laicité ? Le 7 janvier 2015, une question douloureuse, éprouvante, insupportable en réalité, s’est invitée dans tous les esprits ; un retour de baton qui est venu marquer durablement le corps de notre République : « Que s’est-il passé pour que nous en. soyons arrivés la ? » Parce qu’elle était réputée acquise, il semblait inimaginable que la laicité puisse étre ciblée, Pourtant, en ce jour funeste de début d’ année, en plein coeur de Paris, ses plus ardents défenseurs ont été visés et, 4 travers eux, les valeurs de notre République. Parce que rien ni personne ne pouvait effacer le trait de leurs crayons, leurs corps ont été criblés de balies de kalachnikov. Ce jour-la, la haine a été plus forte que V’humour. Et l’impensable s’est répété le lendemain, le surlendemain, le 13 novembre, le 14 juillet, et tant de fois ensuite. Des vies brisées 4 jamais, mortes et blessées, physiquement et mentalement, font désormais réguliérement partie de Pactualité frangaise. Une réalité qui a mis un point final 4 Penvie de penser que « cela ne peut pas arriver chez nous ». Des millions de femmes et d’hommes se souviennent précisément de ce moment intense d’incrédulité survenu en apprenant ce qui venait d’avoir lieu ce 7 janvier 2015, en fin de matinée. Des millions de femmes et d’hommes savent oi ils se trouvaient, parce qu’ils ont été frappés de plein fouet, non seulement par l’atrocité commise par des citoyens frangais, mais aussi par ces mots horlés la France entiére, tels des coups de poignard assenés & notre démocratie : « On a vengé le Prophéte, on a tué Charlie Hebdo. » C’est que le socle commun de notre société républicaine, constitué de libertés fondamentales qui ne devaient plus trouver matiére a négociation, venait de se confronter au pire du pire. Passé le moment d’effroi, les adultes se sont retrouvés en position de devoir répondre a la jeune génération, sidérée par ce corps a corps mortifére entre un journal satirique et le Prophéte ; dans ce champ de ruines, nombre d’entre eux se sont sentis perdus et démunis. Et au moment ot la laicité devait étre urgemment et clairement expliquée, ce fut de fait top souvent un parcours du combatant appréhendé par autant de courants, autant de divisions, autant de versions qui contredisent son essence méme ! En 2015, il a fallu admettre l’échec des derniéres années oii rien ou presque n’a été initié pour expliquer I’état d’esprit de [a laicité. Il aurait fallu raconter la bataille pour la « liberté de conscience », menée par des femmes et des hommes de courage ; une bataille qui a abouti, ensuite, 4 |’écriture de la loi 1905 de séparation des Eglises et de I’ Etat. La CONSTRUCTION DE LA PENSEE LAIQUE EN FRANCE Le cheminement sociétal a été long pour arriver incontestablement a l’unité de toutes et tous dans bien des domaines et atteindre |’objectif d'une humanité capable de faire cesser définitivement toutes guerres civiles. De la premiére guerre des religions qui opposait catholiques et protestants en 1562 4 1598 avec Ja signature de |’édit de Nantes, la France a connu durant trente-six ans de sinistres épisodes faits de massacres et de duels religieux. Ces événements méritent certainement d’étre étudiés plus longuement tant ils comportent de nombreux angles de vue. Néanmoins, il n’est pas difficile d’imaginer les répercussions de ce duel religieux dans la vie quotidienne durant ces longues années. Ni la lassitude immense qui s’est ensuivie dans les foyers de France aprés tant d’actes de barbarie commis par et contre des hommes réduits a |’état de chair A canon, Mais la peur qui les poussaient agir n’était pas seulement liée au risque dune mort prématurée sur un champ de bataille. Des croyances prévoient la proche fin d’un monde parce que les hommes ne savent pas faire preuve de la plus grande pureté dans leurs pratiques religieuses. A I’époque, l’angoisse collective alimentée par |’éventualité de la destruction de la planéte envahissait fortement les esprits et la raison. II fallait bien qu’un jour, cela cesse. . RELIGIEUX : ILS PEUVENT S’ENTENDRE Ws AUP Has a ne L’EMERGENCE DE LA LAICITE Un premier pas est fait lors de la Déclaration des droits de I’Homme et du citoyen en 1789, qui proclame dans son article 10 : « Nul ne doit étre inquiété pour ses opinions, méme religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » Powvoir croire, ne pas croire, ne plus croire, changer de religion sans jamais étre inquiété, fait intrinséquement partie de ce que le Siécle des lumiéres a apporté : les progrés de la raison et la liberté de pensée qui se sont répercutés dans de nombreux domaines. Les développements scientifiques, mathématiques et physiques de Galilée dont les travaux de recherche confirment que la Terre tourne bien autour du Soleil a Descartes, pére du rationalisme, I’homme du Cogito ergo sum, « je pense donc je suis », ainsi que le déploiement de courants philosophique - Diderot, maitre @eeuvre de |’Encyclopédie, Montesquieu avec L’esprit des lois, Condorcet, grand collaborateur de l’Encyclopédie -, vont contribuer 4 la compréhension et au progrés. Choses que | influence superstitieuse et religieuse ne permettait pas. Kant explique que l’ignorance asservit |’ Homme : « Les Lumiéres sont {’émancipation de homme de son immaturité dont il est lui-méme responsable. L’immaturité est l’incapacité d’employer son entendement sans étre guidé par autrui. Cette immaturité lui est imputable, non pas si le manque d’entendement, mais la résolution et le courage d’y avoir recours sans la conduite d’un autre, en est la cause. Sapare aude ! Aie Je courage de te servir de ton propre entendement ! Voila donc ia devise des Lumiéres, » Kant qui ne manquera pas dajouter : « La liberté n’est jamais acquise, elle est sans arrét menacée. Elle doit toujours faire l'objet d’une lutte courageuse. » Cela suppose une société qui protége son unité, reste cohérente dans ses prises de décisions et ne tremble pas lorsque les valeurs qui la constitue sont menacées. La laicisation de I'Etat civil Trois ans plus tard, en 1792, I’Etat se proclame civil, unique et neutre. II en découle le mariage civil comme seule forme valable aux yeux de la loi. La loi autorise le divorce, y compris par consentement mutuel, et positionne a égalité les époux sans qu’aucune autorité religieuse ne puisse plus intervenir. S’ensuit également |’apparition du baptéme républicain, qui formalise un parrainage civil ; celui-ci n’est certes pas reconnu par la loi et ne peut pas étre inscrit dans les registres civils, mais de nombreux maires et élus, bien que n’ayant aucune obligation, satisfont aujourd’ hui cette demande remise au gofit du jour récemment, notamment pour donner une visibilité aux femmes et hommes sans-papiers. Ensuite, adoption de la loi de 1881 met fin au régime spécifique des cimetiéres confessionnels, interdisant non seulement d’en créer de nouveaux, mais aussi @agrandir ceux existants. Puis celle de 1887 permet de choisir librement le caractére civil ou religieux des funérailles ainsi que le mode de sépulture. Dés lors, de la naissance au décés, la morale en vigueur et son code de « bonnes meeurs » dicté par I’Eglise ne peuvent plus s’imposer autoritairement dans la vie civile. Des dents grincent fortement, car le « prestige » religieux va immanquablement s’ affaiblir et son influence en tous domaines reculer. La laicisation de I'enseignement Dans le domaine de la scolarité, en 1882, Jules Ferry propose le vote d’une loi pour un enseignement primaire obligatoire, gratuit et laique, pour les filles et les garcons Agés de 6 a 13 ans. Un temps d’instruction continu est imposé, y compris en période de récolte, moisson, vendange ou gardiennage de roupeaux, autant de travaux pour lesquels les enfants étaient 4 |’époque réquisitionnés. Des sanctions sont prévues en cas dabseniéisme de plus de quatre demi-journées par mois sans raison valable. En méme temps, |’enseignement de |’ éducation morale et civique se substitue a celui de l’éducation morale et religieuse. Au-dela de l’autorité religieuse, |’autorité parentale est aussi bousculée. La toute- puissance du pére de famille est confrontée a la volonté farouche d’un ministre de V'Instruction publique qui met |’ égalité d’éducation au coeur de son programme politique. Ainsi I’enfant n’est plus une « simple » propriété obéissante et gratuite, mais bel et bien un étre a part entiére avec un droit majeur et une priorité : l’accés a l’instruction, quels que soient son sexe et son lieu d’habitation. L’apparition d’un idéal émancipateur Avec ces rendez-vous de notre Histoire, débute une prise de conscience sur les bénéfices de |’émancipation dans la vie quotidienne. Un idéal émancipateur, inconcevable dans |’ordre catholique, commence 4 s’appréhender et a se vivre. Chercher 4 s’épanouir sans emprunter les routes bordées de panneaux de signalisation religieux et patriarcaux, sans avoir 4 se justifier, ni a rendre des comptes, s*installe peu a peu dans les tétes. Le poids lourd de la culpabilité que l’Eglise catholique faisait porter & tous ceux qui contredisaient ses préceptes, s’allége considérablement Des lumiéres s’allument et, avec elles, un questionnement sur la foi et sur les croyances. L’émancipation des femmes a la m8me période illustre bien cet idéal porté par la laicité. Dans ce cadre inédit, les femmes vont en effet se rendre compte qu’ elles peuvent remettre en cause l’autorité du curé, du pére, du frére, du mari. A l’époque, a chaque instant de leur quotidien, elles devaient se montrer silencieuses et jolies, discrétes et obéissantes, et entiérement dévouées a satisfaire les désirs masculins tout en ignorant les leurs. La lutte du féminisme s’inscrit ainsi dans le combat pour la laicité. Et comme celui-ci, elle sera semée @embiiches, de douleurs et de larmes, de cris et de menaces. De ce point de vue, aujourd’ hui n’a parfois rien a envier a hier. /émergence du féminisme dans le contexte de laicisation ‘Crest Olympe de Gouges qui en 1791 élabore la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne qu'elle adresse & Marie-Antoinette pour dénoncer « ignorance, foubll ou le mépris des droits de la femme [qui] sont les seules causes de malheurs publics 'et de la corruption des gouvernements ». Le 6 décembre 1900, soit quelques jours seulement aprés la promulgation de la loi qui permet aux femmes dexercer en tant qu'avocate, Olga Petit préte serment rapidement suive par Jeanne ‘Chauvin. En 1903, Marie Curie regoit le prix Nobel de physique. Hubertine Auclert estime, elle, que les droits civls pour les femmes ne suffisent pas et quil faut aussi revendiquer des droits pottiques. Hubertine, née en avril 1848, cinquigme enfant dune famille aisée, passe la majeure partie de sa jeunesse dans un couvent avant de rejoindre Paris. Ce qu‘écrit Vietor Hugo en 1872 va profondément la marquer : « lest douloureux de le dire : dans la civilisation actuelte, il y a une esclave. La loi a des euphémismes : ce que j'appelle une esclave, elle 'appelle une mineure ; cette mineure selon la loi, cette esclave selon la réalité, c'est la femme... [homme a fait verser tous les droits de son cété et tous les devoirs du c6té de la femme. » Hubertine Auclert ne cessera ensuite, tant par des textes que par des actes militants, de lutter ‘contre Vexclusion des femmes de la vie civique. Ce qui se concrétisera bien aprés sa mort en 1914, La promotion de la liberté, de l'égalité et de la fraternité La laicité, c’est donc la « liberté de conscience », et non la liberté religieuse comme entendu trop souvent. Car si la premiére inclut évidemment la seconde, Vinverse n’est pas vrai. Solliciter Dieu, au singulier ou au pluriel, Dugenou, Dupont, ou doudou, peu importe, a la condition non négociable que ni le sollicité ni ses représentants ne prétendent régir, 4 nouveau, la vie civile A quelque niveau que ce soit. Dans cette quéte éclairée qui a construit un socle commun de valeurs pour notre société, la laicité promeut |’égalité entre croyants, athées, agnostiques. Il faut regarder au-dela de nos frontiéres pour s*apercevoir que cette envie d’égalité qui nous parait naturelle et qui est force de propositions en tous domaines, n’existe absolument pas dans de trés nombreux autres pays dans le monde. Sans compter que le mot « laicité » ne se traduit pas en anglais, comme s’il s’agissait dun « simple concept » franco-frangais que ne sauraient comprendre d’ autres citoyens du monde. Enfin, dans la continuité du raisonnement, la 1: conforte la fraternité, parce qu’elle a aboli toute hiérarchie et tout privilege, entre les personnes inscrites ou non dans une pratique religieuse, c’est-d-dire... ’humanité tout entiére. La laicité s’attache au choix individuel, celui de se forger ses propres convictions en toute conscience, et affirme la liberté de les partager avec d’autres. Ne pas Ventendre, plus souvent faire semblant, participe 4 une campagne de désinformation nocive a tout point de vue, qui voudrait assimiler la laicité 4 une contrainte ou 4 un empéchement. Les débats philosophiques et historiques qui ont remis |’ Eglise catholique a sa place, n’ont pas été menés dans un sens exclusif ou restreint, mais au contraire pour traduire dans la loi une méme liberté sans distinction de convictions spirituelles. Raison pour laquelle la laicité ne gomme pas les « différences » comme certains le prétendent. On ne le répétera jamais assez : aprés des années de pouvoir exclusivement religieux et de guerres meurtriéres en conséquence, le but recherché, et atteint, est d’instaurer une paix civile durable entre citoyens libres. Pourquoi avoir souligné ce qui a précédé la loi 1905 et la rupture entre les Eglises et l’Btat ? Parce que la « laicisation » s’est instaurée auparavant : la loi 1905 est venue confirmer ce qui avait été conquis avant elle. LaLot 1905 DE SEPARATION DES EGLISES ET DE L’ETAT Ce que dit réellement cette loi Qu’est-il écrit dans cette loi ? Dans son premier article : « La République assure ia liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées [...] dans !’intérét de Pordre public. » Das les premiers mots, Aristide Briand, Jean Jaurés, Ferdinand Buisson, Francis de Pressensé, ses plus célébres rédacteurs, énoncent une liberté dont personne ne saurait étre privé, et laquelle la République doit veiller sans reldche. Is affirment aussi que, comme toutes les libertés, celle-ci s’inscrit dans |’ordre public, c’est-a-dire en conformité avec les régles édictées dans |’intérét général, démocratiquement définies. Marianne, qui porte sur elle le symbole de l’esclave affranchi, protége ses citoyens, tous ses citoyens. Et dans son article 2 : « La République ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, @ partir du 1% janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de !’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives a I’exercice des cultes. » C’est une suite logique et... mathématique : a partir du moment oi un culte considére de fait un nombre limité d’adhérents, leur exercice n’engage qu’eux- mémes ; il leur revient donc de l’organiser et de le financer dans les régles de droit. L’argent public, lui, est au service de tous, finangant a ce titre les services publics dans bien des domaines. Les pratiquants doivent autant en bénéficier que les non-croyants ou que ceux qui ne portent aucun intérét a la question religieuse. Le reste de la loi édicte le mode d’ organisation indispensable pour déterminer le cadre de la laicité. Précisons qu’a aucun moment il n’est demandé a qui que ce soit de se cacher ou de se taire. L’exception de l’Alsace-Moselle et de la Guyane Comme toutes les lois, elle devrait s’appliquer de la méme maniare sur tout le territoire frangais. Hélas, i] n’en est rien puisque ni |’Alsace, ni la Moselle, ni la Guyane ne sont concernées, et manifestement aucun dirigeant politique au pouvoir ne se précipite pour faire cesser cette anomalie. En 1905, |’Alsace et la Moselle, annexées par |’Allemagne depuis 1871, ne faisaient plus partie du territoire frangais ; et ce fut le cas jusqu’a la fin de la Premiére Guerre mondiale. Le régime en vigueur sous |’ occupation allemande et qui perdure, est de type concordataire. Le régime concordataire de |’Alsace-Moselle Le Concordat est né dun accord entre te pape Pie Vil et Napoléon Bonaparte. Les précédentes, années révolutionnaires avaient mis 'Eglise dans une position qui ne pouvait que lui déplaire ; elle aura de cesse de passer & offensive pour retrouver un statut dindispensable interlocutrice, osant toutes formes de chantage et daccusalions, contre I'Etat si indigne envers sa « fle ainée ». Signé en 1801, cet accord diplomatique vise officiellement une réconciliation afin de pacifier la tres tumulueuse relation EtavEglise. En réalié, il accorde une reconnaissance de limportance de exercice du cute catholique et, & travers lui, d'une communauté catholique, nommée alors comme celle de « la grande majorité des Francais ». Ensuite, pour ne pas créer de jalousies et conflits supplémentaires, ce qui est reconnu pour les catholiques fe sera pour d'autres religions. Toutes ? Non. Le Concordat en Alsace-Moselle reconnait uniquement les cultes catholique, protestant et juif. Est-ce & dire que islam niexistait pas & Yépoque ? Si bien sGr, mais étant peu présent, il était peu représenté. Il est mensonger de crier aujourd'hui a foul volontaire. Ce régime « spécial » exige aussi que largent public finance les wois cues cités : sont notamment payés les salaires des préires, pasteurs et rabbins au tire de ministres de cultes : et ces derniers doivent @tre logés par les’ municipaltés. Les paroisses étant considérées comme des étabissements publics, leurs frais de fonctionnement sont également pris en compte sur le budget municipal, Enfin, tenseignement religieux a &é rendu oblgatole dans les écoles publques primaires. Seuls sont exonérés les éléves dont les parents ont signé une dispense. Quant 4 la Guyane, bien que devenue un département frangais en 1946, c’esi toujours l’ordonnance royale de Charles X du 27 aoit 1828 qui s’y applique. Cette ordonnance ne reconnait qu’un seul culte, le culte catholique. Son financement d’un million d’euros par an est assuré par la collectivité territoriale et par tous les contribuables ! En 2017, un mouvement social de grande ampleur a révélé d’importantes souffrances économiques et sociales, paralysant le fonctionnement de la Guyane et obligeart a la fermeture d’écoles. Comment ne pas relever qu’un million d’ euros par an n’est pas utilisé au service de tous les Guyanais ? En Guadeloupe, en Martinique et la Réunion, un décret de 1911 impose que la loi de 1905 soit appliquée. Pourquoi une semblable démarche ne s’impose-t-elle pas en Alsace-Moselle et en Guyane, en vertu du principe d’égalité, malgré de multiples demandes formulées en ce sens ? Est évoquée une forte résistance locale. Mais de la part de qui ? Quant 4 l’ Assemblée nationale, elle invoque le fait que les propositions de loi déposées auraient d étre des amendements. Mais lorsque ceux-ci sont rédigés avec toute la précaution nécessaire, les votes sont défavorables. La citoyenneté différenciée ainsi d’un espace frangais a |’autre ne peut que générer un classement de premiére et seconde zone. La LAicITE DEVOYEE AU PROFIT DES REVENDICATIONS RELIGIEUSES La défense de « communautés religieuses » au nomde la I é Protéger l’exercice d’une religion en dénoncant les insultes ou menaces a son encontre, et en s’opposant 4 toutes atteintes 4 sa libre pratique, s’inscrit certes dans la défense de la laicité, Néanmoins, cette cause concerne tous les laiques, et non pas seulement une ou des « communautés religieuses ». Ainsi, il ne s’agit pas de défendre la liberté particuliére d’exercer telle ou telle religion, mais de protéger la liberté de conscience de facon générale. Une liberté ne sera jamais « top » défendue, a condition qu’elle le soit dans sa totalité, pour tous, et pas seulement pour le cas particulier de certains, c’est-d-dire sous un angle qui va créer des sous-ensembles voués inéluctablement a se communautariser. Cette notion de « communautés religieuses », réguliérement mise en avant de maniére impérieuse, pose le probléme de faire primer la référence du sacré sur celle de la citoyenneté et du bien commun. En octobre 1997, Amar Lasfar, recteur d’une mosquée de Lille et chef de file des Musulmans de France, avait trés clairement exprimé cette prédominance de Didentité religieuse sur |’identité citoyenne : « L’intégration est possible mais elle repose sur ia reconnaissance, par les lois de la République, de la notion de communauté. L’intégration signifie l'existence d’une communauté obéissant a ses propres lois au sein des groupes de citoyens de la France actuelle, » Dans ce paysage 100 % confessionnel, il faut savoir que, qui veut sortir de la « communauté » parce que sa réflexion personnelle |’y invite, se confronte 4 un conflit de loyauté pour le moins insoutenabie, pris en étau entre fidélité et trahison, avec le lot de culpabilités qui l’accompagne toujours. Subséquemment, le pas est vite franchi pour des revendications de défense de la communauté, et non pas de défense de la laicité. Petit a petit, 1’« appartenance » religieuse, réelle ou supposée, devient unique référence et le seul caractére valable d’identité. S’ensuit des comparaisons pour tenter de démontrer que telle appartenance religieuse est plus discriminge que telle autre, plus détestée, plus haie, plus et plus et plus. Au nom de la défense d’une « communauté » et pour accorder une place primordiale aux pratiques religieuses, tous les espaces sont investis : I’école, un lieu d’acquisition de connaissances, celles qui forgent ensuite I’esprit critique — et non l’inverse ; |’hépital, qui regoit tout le monde sans distinction d’ aucune sorte ; le sport, qui met la fraternité au coeur de sa pratique ; |’entreprise et les institutions publiques ; etc. Aucun espace n’échappe aux polémiques 4 répétition autour de la défense des pratiques religieuses. Entre concours d’aboiements, embarquement dans une grande confusion, ammalgames en tout genre, et convocation de la religion émise en injonction au nom », le marasme a pris le dessus et avec lui, une perte de repéres et Il ne s’agit pas de nier la réalité des injustices et des inégalités sociales qui affectent tous les domaines et peuvent se produire en tous lieux. Des discriminations et des préjugés s'additionnent dans nombre de vies. Cette réalité ne doit pas étre mise sous le tapis. Le tas de poussiére ne disparaitra pas d’un coup de baguette magique. Mais comment lutter le plus efficacement ? En affirmant fermement, rigoureusement et réguliérement les valeurs et principes républicains, ou en ceuvrant pour I’intérét d’une communauté religieuse aux dépens d’une autre ? Accepter un « pourquoi pas » dévastateur concernant ces revendications religieuses, c’est admettre que le dialogue social a perdu : lorsque celui-ci n’est plus porteur d’espoir et d’avancées concrétes, il est récupéré par certains. Admettre ce « pourquoi pas », c’est commencer a voir se créer des murs entre les gens. Si la République accepte que des kilométres de parpaings s’élévent partout, qui réunira ensuite l’humanité ? Personne. La question de la place accordée aux préceptes religieux Toutes les religions comportent de multiples courants, issus des divergences de ses représentants, elles-mémes liées 4 leur histoire de conquéte des ames, celle Whier et celle qui se déroule aujourd’hui. Toutes s’attachent 4 un projet de société, comprenant des rites, des ragles, des lois, écrits ou transmis oralement. S'y soumettre, dans le sens d’obéir, tant que cela s’avére un réel choix individuel et qu’ aucune pratique ne participe ni de prés, ni de loin, 4 l’effondrement de la société et ne s’oppose jamais aux valeurs républicaines, est et doit rester possible. La laicité dite a la francaise en est la meilleure garante. Il est bien utile de rappeler que 14 oft la religion a conquis le pouvoir, des ayatoliahs appliquent 4 la lettre un programme issu de leur interprétation des textes sacrés. Les apostats, les hérétiques, les mécréants sont condamnés pour insultes envers les valeurs religieuses, a des peines de prison, a des coups de fouet. Leurs familles et amis sont bannis et ’exil définitif reste souvent la seule issue pour rester en vie. Vhistoire de Raif Badawi Raif Badawi, jeune blogueur saoudien, est arrété en 2012 pour apostasie et insulte ervers fistam apras avoir créé un blog, « Free Saudi Liberals », sur lequel il écrivait les phrases suivantes : « Les Etats qui sont fondés sur la religion, confinent leur peuple dans un cercle de foi et de peur. » « La laivité est une solution pour sortir des pays comme le nétre du tiers-monde. » Le 7 mai 2024, a la grande satisfaction du Comité pour la promotion de la vertu et de la prévention du risque d'Arabie Saoudite, Raif Badawi s‘est vu infiger une peine de mille coups de fovet et de dix ans de prison, et une amende d'un million de ryals, soit 225 000 euros. Il croupit dans les gedles saoudiennes depuis sept ans et la flagellation a commencé le 9 janvier 2015. Son épouse Ensat Haidar et leurs trois enfants exilés politiques A Sherbrooke au Québec déploient toute leur énergie, ‘chaque jour, pour qu'une mobilisation internationale sorte 'époux, fe pére de I'horreur. En vain. S’interroger sur la soumission a des préceptes religieux, c’est questioner le lien entre les croyances et la réalité. Ce questionnement ne devrait engendrer ni injure, ni diffamation, ni lynchage. Par exemple, d’un cété le droit exclusif 4 la vie qui interdit toute interruption de grossesse y compris préventive. De I’autre, des droits acquis qui donnent le libre choix A disposer de son corps. Pas partout néanmoins, car aujourd’hui encore, 225 millions de femmes n’ont pas accés aux moyens de contraception, et pour 60 % de la population dans le monde, l’interruption volontaire de grossesse est interdite ou fortement restreinte. En mai 2019, le Sénat d’ Alabama ira méme jusqu’a adopter une loi des plus répressives, en prévoyant de lourdes peines de prison, de 10 4 99 ans, pour les médecins pratiquant TVG, y compris en cas d’inceste ou de viol. Quant au Texas, il songe & appliquer la peine de mort pour les femmes qui avortent. Les millions de femmes qui ont recours aux droits de contraception ou de l’IVG he sont pas toutes athées ou agnostiques ! Mais toutes savent ce que le féminisme a apporté a leur vie en écartant l’emprise de la religion sur une décision qui les concerne en premier lieu Toutes ont contourné, plus ou moins facilement, la culpabilité que les militants ultrareligieux voudraient leur infliger. Et ensuite, sont-elles devenues toutes impies ou athées ? Non évidemment. Cet exemple montre que le féminisme et la laicité sont indissociables. En usant de Ja contraception ou du droit 4 |’IVG, toutes ces femmes ont pris en main leur destin, n’acceptant pas que celui-ci soit dicté par la religion. Elles ont refusé @étre influencées dans leur choix d’avoir un enfant ou non, et par 14 méme que leur soit imposée une vocation sociale prédéterminée, celle du réle de mére. PourQuo! LA LAICITE EST-ELLE MENACEE ? Une guerre idéologique Les promoteurs, les agitateurs, les acteurs de ]’islamisme ménent une guerre idéologique pour instaurer un projet politique faisant primer un Dieu barbare, sourd et aveugle, et qui interfére partout, socialement, économiquement, culturellement. Pour l’islam, ce courant s’appelle islamisme, et avec lui, deux groupes, le salafisme et le djihadisme, Les deux s’appuient sur une lecture rigide du Coran dou est extraite la charia, le Code des « bonnes pratiques religieuses » et des sanctions émises en cas de non-respect de celles-ci. Cette justice paralléle s’occupe principalement des affaires... de mariages et de divorces. En 2016, un rapport indépendant commandé par Theresa May — les tribunaux islamiques proliférent au Royaume-Uni — souligne « qu’un certain nombre de femmes auraient éé victimes de ce qui apparait comme des décisions discriminatoires prises par les Conseils islamiques ». Dans ces tribunaux, un homme qui souhaite divorcer doit répéter trois fois a son épouse « Je divorce de toi » et le tour est joué. Une femme, elle, doit solliciter l’assentiment hommes de foi qui ne ’accordent peu prés jamais ! Le passage a V’acte terroriste différencie les deux courants islamistes, mais le premier qui commande de se désintégrer de la société francaise pour mener une vie islamique intégrale, rend possible ce qu’exécute le second. Un méme credo domine : qui s’oppose sera tué, qui n’obéit pas sera diment chatié. La distinction entre espace public et privé s’estompe. II ne subsiste qu’un unique espace dans lequel une mise en scéne « raffinée » donne a voir des images terrifiantes pour bien faire comprendre qui est le Maitre a bord, qui détermine ce qui est hallal (licite) ou haram (inviolable et sacré). Les images en haute résolution d’hommes vétus de larges combinaison orange et décapités au sabre, de cadavres gisant au sol avec le crane défoncé ou celles des femmes yézédis capturées, enfermées dans des cages avant d’étre vendues sur la place du marché comme esclaves sexuelles ont été diffusées dans le but de propager la terreur. Quelques images d’abomination seront d’ ailleurs relayées par Marine Le Pen et Gilbert Collard, avec en conséquence la levée de leur immunité parlementaire et leur renvoi au tribunal correctionnel pour « diffusion d’images violentes », parce que, il faut le rappeler, c’est un délit. De la peur nait le silence coupable ou la collaboration active pour tenter de sauver sa peau. En oubliant un peu vite le programme de l’idéologie qui séme la terreur. Car en réalité c’est ce programme qui est terrifiant. Parce qu’elles sont sources de tentation, il faut que les femmes cachent entiérement leur corps. Parce qu’ une bousculade peut provoquer un frélement des corps, il faut interdire toute mixité dans la rue. Parce qu’ils se gagnent par illusion, il faut imerdire les jeux de hasard. Parce qu’elles som imputables au Diable, toutes ceuvres d’art doivent étre détruites. Parce qu’elle détoume de la seule pensée autorisée, Allah, la musique est prohibée. Parce que I’homosexualité est une déviance antiprocréation, les pervers finiront au bficher. Ceux qui ne sont pas fidéles 4 la coutume véritable parmi ceux qui ont recu le Livre devront verser le tribut de capitulation et ce, de leurs propres mains pour qu’ils en soient humiliés. Qui n’agit pas selon la loi de la fitra (définie dans le Coran, sourate 30, verset 30, « Acquitte-toi du culte, selon la “conception originelle” (fitra) que Dieu a donnée aux hommes, nulle modification a la création de Dieu. C’est la Religion immuable ») marche sur la voie de la mort. Parce que les « juifs sont riches » et qu ils font partie d’un complot judéo-occidental, il faut les anéantir. Du plus petit geste 4 la moindre parole, tout est scruté jour et nuit Atteindre le paradis avec |’ impatience de |’ éternité a repris racine dans la vie courante. La conquéte du pouvoir islamique Linerédulité face 4 la menace d’une conquéte du pouvoir par l’islamisme a longtemps prévalue, malgré de nombreux signes annonciateurs. Mais la réalité de la mise en ceuvre de ce vaste « programme » ne résiste pas aux témoignages de ceux qui ont vécu le califat de Daesh. Ni au fait que la charia s’applique au pied de la lettre en Arabie Saoudite, au Koweit, 4 Bahrein, dans les Emirats arabes unis, au Qatar, 4 Oman, au Yémen, en Iran, au Pakistan, en Afghanistan, en Libye, en Malaisie, 4 Brunei, en indonésie, Le Maroc est dirigé par un roi, « l’ombre de Dieu sur Terre et le commandeur des croyants ». A la fin des années 1920, l’enseignant égyptien Hassan al-Banna a fondé la confrérie des Fréres musulimans. Celle-ci prone un djihad offensif contre toutes les valeurs occidentales, avec en ligne de mire la France et « sa » laicité. Le but de cette guerre sainte étant de conquérir la planéte pour planter un unique drapeau islamique. Le Protocole des sages de Sions, un livre écrit en 1901 par un auteur russe, utilisé comme outil de propagande par les nazis, fait partie aujourd’hui des livres de chevet des Fréres musulmans. Ce livre dévoile les réunions secrétes durant lesquelles juifs et francs-macons conspiraient ensemble pour diriger le monde. II a été prouvé, bien des années plus tard et aprés un succés commercial considérable, que ces rencontres n’ont jamais eu lieu. Ces « Fréres » ont réussi 4 constituer des réseaux influents dans 80 pays, dont la France. Trés doués pour le double discours, ils sont capables, en anglais, de se réjouir des attentats et en francais de les condamner. Exactement ce qu’a fait le prédicateur musulman Tarik Ramadan en janvier 2015. Lors de |’inauguration de la grande mosquée de Toulouse, le 23 juin 2018, |’imam Mohamed Tatai clame haut et fort, aux cétés du maire Les Républicains Jean-Luc Moudenc, de la présidente de région Carole Delga, du directeur de cabinet du préfet de Haute- Garonne Marc Tschiggfrey, que ce nouveau lieu de culte sera un rempart contre Pextrémisme et qu’il n’y sera préché que la paix. Sauf que, 4 El-Nour, une autre mosquée de la ville rose, fin 2017, dans un de ses préches qu’il prononce en langue arabe, il cite un hadith, une parole du Prophéte rapportée : « Les juifs se cacheront derriére les rochers et les arbres, et les rochers et les arbres diront : O musulman, 6 serviteur d’Allah, il y a un juif qui se cache derriére moi, viens le tuer. » Des propos antisémites, d’incitation 4 la haine, 4 valeur de déclaration de guerre sont tenus par cet homme, proche du pouvoir algérien, investi dans le dialogue interreligieux et imam catalogué humaniste. Ses propos sont révélateurs du double langage teu par les imams fréristes, avec en ligne de mire la laicité, ennemi numéro un des fous de Dieu. Comment, compte tenu de cet état des lieux, peut-on encore seriner : « Ca n’a rien a voir avec... » ? Combien de fois faudra-t-il rappeler que lors de la plupart des attentats, est hurlé « Allahou Akbar » (« Dieu est le plus grand »), que sont prononcées des phrases issues du Coran, et que les enquéteurs sont toujours mis rapidement sur la piste de la déclaration d’allégeance a Allah ? Tous les laiques devraient admettre !’existence du courant djihadiste de |’islam afin de mieux lutter contre lui. Au lieu de ¢a, on assiste 4 des débats ubuesques et délirants. Il y a ceux qui expliquent que le terrorisme découle directement de déterminismes sociaux ; ceux qui soupirent parce que la violence exprimée n’est pas celle qui additionne le plus de morts ; ceux qui, comme le journaliste Bric Zemmour, trouvent ces assassins respectables car capables de tuer pour leur foi, ou encore ceux qui, tel le politologue Olivier Roy, estiment que « Le djihadisme est une révolte générationnelle et nihiliste » d’une jeunesse en révolte, aujourd'hui teintée de vert, hier teintée de rouge. Pendant ce temps-la, des arbitres comptent les points pour savoir qui détient la bonne version de l’islam... DEs PRECISIONS NECESSAIRES Le terme « laicité » est aujourd’ hui utilisé a tort et travers dans le débat public. Il faut se méfier des auteurs avant tout soucieux de leur aura médiatique, attirant vers eux les projecteurs 4 coups de buzz et a force d’excitation. Contrairement 4 ce qu’ils soutiennent, |’islamisme ne deviendra jamais soluble dans aucune démocratie. Jamais. L’islam, comme la religion catholique en son temps, ne se sortira de ce conflit ravageur en son sein, qu’en faisant d’ abord et rigoureusement la promotion des valeurs de la République, dont bien sar la laicité. Etre précis dans [’utilisation des mots, c’est aussi éviter d’invoquer La laicité comme la seule réponse a toutes les polémiques : cela ne solutiome rien. Les athées, les agnostiques et les apostats craignent plus que tout la prise de powvoir au nom d'une religion, peu importe laquelle, et avec elle une Législation gui viendra anéantir les progrés issus du Siécle des lumiéres. Leur absence ou refus du divin mettent leur existence en danger dans de nombreux pays ; les apostats sont « légalement » menacés de mort dans treize pays, et dans d’autres, la foule au nom de |’honneur se met en mouvement pour les tuer. Comment peut-on mieux démontrer que ce qui commence par le rejet finit toujours par la destruction ? Les croyances religieuses s’attachent indéfectiblement 4 une Vérité avec une majuscule volontaire, qui ne suppose aucune contestation, ni aucun doute. « Je crois donc je suis » s’oppose a « Je réfléchis donc je suis ». Croire aide 4 défier la peur qui peut prendre le dessus, face au poids des responsabilités, des incertitudes, a une incapacité temporaire ou permanente, voire tout en méme temps. Qui n’a pas ressenti |’envie de se dérober par crainte de ce qui est imaginé comme une descente interminable dans le vide ? Seule la laicité soutient la liberté de s’interroger, de débattre, en toute conscience. Dans le champ de la laicité, le doute existe. Dans celui du religieux, jamais. Les textes sacrés ont été écrits pour donner toutes les clés de la vie et le travail de responsables religieux consiste 4 le prouver. La majorité des pratiquants de religions manifestent avec conviction un attachement sincére et sans réserve 4 la République, conscients et convaincus que, sans elle, ils ne pourraient pas s’exprimer. La oi ca coince, et pas qu’un peu, c’est comment établir le lien entre la Bible, la Torah, le Coran et les lois de la République. La religion comporte un rapport a la transcendance qui peut mettre en difficulté tout croyant lorsque celui- ci enferme [individu sur lui-méme, |’ éclipse du contrat républicain et |’extrait de tout autre rapport social. Des textes fondateurs considérent des propos qui appliqués au pied de la lettre tendent 4 |’ exact contraire de ce qui est promu par la République, égalité, émancipation, voire impliquent des drames, individuels et collectifs. Le nier ou faire semblant de ne pas |’entendre, non seulement ca ne régle jamais rien, mais n’aide pas A comprendre la priorité et l’importance des exigences républicaines. Si l’école doit enseigner |’histoire dont celle des religions, elle le fait pour que chaque éléve se constitue un bagage critique solide qui lui permetwa de faire des choix en toute conscience. Il n’appartient pas 4 V’Etat de juger les qualités et les défauts d’aucun culte lorsqu’il respecte nos régles communes et n’importe quel citoyen a le droit de le faire. Cette maniére républicaine de raisonner peut interpeler un croyant, voire le perdre quand il ne trouve pas d’issue a ses interrogations, ses doutes, le conduire vers un ressenti injustices et de mépris. Alors qui répond ? Des théologiens, femmes et hommes de toutes religions, s’y essaient, la tiche est immense et leur travail mérite considération. Mais, a ce jour en tout cas, la pire interprétation tient toujours les promesses de |’horreur, amplifiant un peu plus leurs difficultés 4 mettre au premier plan les acquis démocratiques pour faire comprendre que la République ne reconnait aucun culte et n’en exclut aucun, Qu’elle protége les cultes pas des dogmes, objets de débats politiques. Que la laicité n’ est ni liberticide ni hostile. Mais reste 4 savoir si |’ambition personnelle et collective de la liberté de conscience, lorsqu’ elle est restreinte 4 une pensée uniquement religieuse, enferme plus qu’elle n’ouvre la vie de l’esprit. Peut-8tre, parce que est oublié que la spiritualité appartient 4 |’imagination, a la réflexion, dans un parcours persomel et collectif : elle comprend donc divers contours et recéle bien des trésors qui, mis en commun, constituent notre bien le plus précieux. Et sirement parce qu'il faudrait défendre la laicité comme un message universaliste. Les bénéfices d’une liberté acquise ne devraient pas avoir de frontiéres. N’est-ce pas un oubli regrettable a I’heure de la suprémuatie de la mondialisation ? c'ES 4 a Chapitre 2 Menaces sur les services publics LE FOULARD D’EPINAL, UN FAIT DIVERS Dans un article du 13 juin 1989 pour le journal Le Quotidien de Paris, Ghislaine Ottenheimer, 4 I’époque envoyée spéciale 4 Epinal — aujourd’hui journaliste a Challenges -, traite |’ affaire du foulard d’Epinal. Sous une chaleur écrasante, la directrice de l’école demande 4 une fillete d’enlever son foulard. Elle refuse. Vhistoire n’en reste pas 1a. Les parents se braquent. Les responsables académiques devront trancher. Ils apportent leur soutien & la directrice de l’école mais, parce qu’il y a toujours un muis, la petite fille pourra garder son voile a l’école. Contactée trente ans aprés le début de ce que les journalistes ont nommé une « affaire », Ghislaine Ottenheimer se souvient a peine de cette histoire qu’ elle a couverte comme un banal fait divers : « J’ai di me rendre sur place, parce que je suivais le RPR et que Philippe Seguin — gaulliste social historique — était député Vosges depuis 1988, et surtout trés implanté @ Epinal. l s’intéressait a la laicité. Ce n’était pas un enjeu, mais un fait divers. Il n’y avait pas hystérie qu’il y a eu par la suite. Hl y avait un entre-deux a cette période. Les positions n’étaient pas assez nettes. Tout se passait comme s’il fallait laisser faire, ne rien dire, oublier les éléments clés de ce qui allait devenir peu de temps aprés un probléme sociétal de premier plan. Aujourd’hui, on n’ose plus couvrir ga. On n’ose plus montrer les images de ce qui se passe. Et, on laisse ga a l’extréme droite. » Le port du voile, la société se fissure Les vacances d’été s’achévent, Nous sommes le 5 septembre 1989, il est temps pow les éléves de retourner sur les bancs de !’école. Une dizaine de jours plus tard, le 18 septembre 1989, |’affaire des voiles de Creil dans |’Oise en région Picardie éclate. A son tour. Comme une trainée de poudre, ce qui devait se tasser rapidement, enflamme le monde politique et les médias. Trois jeunes filles, Fatima et Leila Achahboun, deux sceurs, de 13 et 14 ans, et Samira Saidani, 13 ans, viennent voilées au collége Gabriel-Havez. Le principal, Ernest Chéniére, ancien professeur de lettres modernes, nommé depuis deux ans, adresse une lettre aux parents pour expliquer les raisons pour lesquelles le port du voile n’est pas accepté au sein de son établissement. Une demande qui ne sera pas entendue. Un bras de fer s’engage. La laicité, que l’on pensait aller de soi, est soudainement remise en question... A Paris, le 22 octobre, une manifestation est organisée par ]’Association islamique de France et par la Voix de l’islam contre la décision du principal et pour le port du voile. Le 25 octobre 1989, Lionel Jospin, ministre de I’ Education nationale, se positionne sur le cas des trois collégiennes de Creil devant V’Assemblée nationale. Ul revendique « le respect de la laicité sans signe ostentatoire », mais, rajoute-t-il, « en cas de blocage, l’école doit accepter et accueillir ». Un « oui, mais... » qui crée une confusion et laisse les chefs établissement dans le flou. Une petite lacheté qui a encore des conséquences aujourd'hui. Une facon de ménager la chévre et le chou. Deux jours plus tard, une partie des professeurs refusent et expriment leur désaccord. Le journaliste Claude Cabanes, dans un éditorial publié dans L’Humanité du 26 octobre 1989, critiquera vivement la position du ministre de l Education nationale. Pour lui, elle équivaut a « offrir sur un plateau a la droite le brevet de défenseur intraitable de la laicité ». UAUMOUR pes PROPHETES S0VS- ES+IME * Trente ans plus tard, oi! en est-on ? ‘Trente ans plus tard, dans une interview accordée en septembre 2019 au journal Marianne, Ernest Chéniére, aujourd’hui retraité et retiré dans la région de Saumur, s’explique et précise qu’il n’a jamais exclu ces éléves. Celles-ci ont été priées de se rendre au CDI et non en cours. Une nuance importante donc. Mais la vie du « petit » proviseur de Creil a définitivement changé. Il s’exprime ainsi auprés de Laurent Valdiguié, grand reporter & Marianne : « Pour moi, l’opération des trois fillettes s*est décidée loin de la France et, c’est une forme de djihad qui a commencé a Creil. C’était une attaque délibérée contre la taicité. Le quartier s’y prétait, par sa population peu intégrée et du fait du jeu dangereux joué localement par la mairie... » Et si Emest Chéniére avait tenu les mémes propos en 1989, en brisant son devoir de réserve ? Et si le proviseur du lycée de Creil avait osé prononcer le terme de djihad, qu’A vrai dire peu de monde connaissait, que ce serait-il passé ? On ne refera jamais V’histoire, mais cette affaire de simples foulards pour certains marque un tournant dans I’histoire de la V° République. Elle va marquer les différences entre les hommes et les femmes politiques tous rangés derriére Francois Mitterrand. Celui-ci débute son second mandat et a favorisé la création de l’association SOS Racisme, pour mieux la contéler, voire la manipuler, D’un cGté, les « pro-Tonton », de |’autre les vrais défenseurs de la laicité, eux aussi plutét classés a gauche, et qui n’en démordent pas : Creil, c’est le premier couteau planté dans le dos de la laicité. Dans la foulée, les politiques se déchirernt. Des intellectuels écrivent une tribune dans Le Nouvel Obs pour exprimer leur désaccord avec Jospin. Quant au MRAP — Mouvement contre le racisme et pour Vamitié des peuples — et 4 SOS Racisme, tout comme Lionel Jospin, ils déferdent Vidée que l’école doit accueillir ces trois jeunes filles. Les exclure serait une injure faite 4 la République. Pire, ce serait en faire des parias. Harlem Désir, président de SOS Racisme 4 ce moment-1a, aura cette phrase : « Le jean finira par Vemporter sur le tchador. » Jean-Marie Le Pen reprendra le terme de tchador pour parler du voile afin de jouer sur la peur. Ce voile islamique est alors surtout porté par les femmes iraniennes. La Révolution iranienne de 1979, avec l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeini et ’instauration de 1a République islamique, a marqué les esprits. Elle fut d’une violence extréme avec de nombreuses exécutions, Le chiffre exact est inconnu, Le revirement salutaire de Malek Boutih Contacté en septembre 2019, Malek Boutih, l’un des fondateurs de SOS Racisme, revient sur ce moment de |’affaire du voile de Creil, qu’il est utile de remettre dans son contexte. Comme d’autres, il n’a pas vu venir la montée de |’islam politique : « On applique Ia laicité avec plus ou moins d’autorité en 1989. C’était une autre période. J’étais jeune. A cette époque, on jette les Arabes par les fenétres des trains. Les ratonnades n’atteignent certes pas le niveau de celles que la France a connues pendant la guerre d’Algérie, mais le racisme est extrémement développé. Au moment de Paffaire du voile de Creil, on n’est pas dans la montée de l’islamisme. La cohabitation entre la gauche et la droite est violente. Nous voulions plutét défendre l’intégration des femmes et non les exclure de la soci jous imaginions avec mes camarades et nous le pensons toujours que |’école était émancipatrice, encore plus pour ces jeunes collégiennes souvent écartées de !a vie culturelle, sportive, voire sociale de leur ville. Nous menions un combat naturel, juste, équilibré. S’opposer & leurs évictions de I’établissement scolaire, ce n’était pas donner un blanc- seing @ V’islam radical, mais tout le contraire. » Malek Boutih évoque alors les mois, les années qui ont suivi ce « coup de torchon » de septembre 1989 : « Par la suite, Pislamisme a instrumentalisé Vistam, Je change de position au fur et G mesure. L’ensemble de la société a évolué comme ga. Al’époque quand on croisait une femme voilée on ne faisait pas attention. C’était d’une trés grande banalité pour ne rien vous cacher. » Mais plus Malek Boutih prend des responsabilités au sein du Parti socialiste — ot il est nommé secrétaire national chargé des questions de société en 2003, poste qu'il conservera jusqu’en 2008 -, plus il se durcit contre cet islam qu’il ressent non seulement comme une vraie atteinte 4 la liberté d’expression, mais aussi et surtout comme une maniére d’empécher les femmes de s’épanouir, de vivre leur vie en marge de leur religion, de leur mari, de leurs grands fréres. Le temps n’est plus ala naiveté : « L’évolution de la Politique avec un grand “P” est liée a |’offensive des islamistes, plus nette. J’ai soutenu la loi qui interdit les signes religieux & Vécole en 2004. C’est devenu un combat. Les autres religions ont aussi profité de cette période pour “garder leurs brebis” par rapport aux maeurs, @ l'éducation. Avant, on avait un face-d-face avec |’islamisme, d’oti la création du mot “islamophobe”. Aujourd’hui quand on défend Ia Iaicité on devient islamophobe. La laicité reste une force puissante. L’islamisme politique a un projet totalitariste de ségrégation sexuelle. Cet islamisme a besoin d’un pays en situation difficile pour se développer, pauvre culturellement. Ce n’est pas le cas de 1a France. L’islamisme a du mal a s’adapter. Regardez autour de vous quand l’affaire Tariq Ramadan a explosé, il n’y a pas eu de grandes manifestations, Malgré le soutien de quelques inteilectuels et d’une partie de Pextréme gauche, Ramadan n’a pas réussi @ se faire une place auprés des Jeunes musulmans. » Des combats contre |’intolérance, qu’elle soit politique, sociale, religieuse ou économique, Malek Boutih en a connu des centaines tout au long de sa vie. Pour ce gamin né de l’autre cdté de la Méditerranée, en Kabylie, c’est méme une histoire de famille. Avec un pére membre a part entiére du FLN et combattant de toutes ses forces pour l’indépendance de l’Algérie, il a de qui tenir. Plus tard, en France, la vie ne sera pas facile. Malek Boutih fait partie de ces enfants pas vraiment gatés par la vie : un logement dans un bidonville de Nanterre, un pére qui se déméne sur les chantiers de la région parisienne, une mére femme de ménage, on ne roule pas sur |’or chez les Boutih. Mais on s’accroche. On va méme essayer de tutoyer les étoiles. Malek Boutih rompt les amarres de sa banlieue pour vivre sa vie de lycéen dans |’ des établissements les plus brillants de Neuilly-sur-Seine : La Folie Saint-James. C’est sans doute sur les banes de ce lycée quiil s*est forgé un mental a toute épreuve et surtout une capacité 4 défendre la veuve et |’orphelin. La suite du parcours de Malek Boutih sinscrit dans la ligne droite de tous ceux qui ont voulu échapper a leur destin. Devenu député en 2012, Malek Boutih, qui a vécu la défaite de Lionel Jospin comme un cauchemar le 21 avril 2002 et la longue traversée du désert qui s’est ensuivie, sait qu’il faut se battre jusqu’au bout pour changer les choses. Un vieux slogan, hérité des années Mitterrand, est aujourd’hui dans son répertoire politique : «Je sais que ce sera difficile, que la France traversera encore et toujours de nouvelles épreuves, mais je crois sincérement @ un islam... laicisé. » Le roi du Maroc, Hassan Il, la rescousse de la France Retour cette fameuse année 1989... Pour sortir de cette impasse — l’impasse de Creil -, que les politiques sont incapables de résoudre, il faudra attendre le mois de novembre et |’intervention du roi du Maroc, Hassan Il, sollicité par Pierre Joxe, alors ministre de I’ Intérieur, pour que les trois adolescentes acceptent enfin de retirer leurs foulards : « J’ai convoqué l’ambassadeur du Maroc en France et je tui ai demandé que cela cesse. Le lendemain, sur intervention de Hassan II, l’affaire était réglée...» Joxe-Hassan Il, Hassan l-Joxe, match nul. C’était il y a trente ans et quatre mois. Bizarrement, personne ni dans les médias, ni surtout dans la classe politique tétanisée par la montée de |’ extréme droite aux élections législatives de 1986 - le FN a emporté trés exactement trente-cing siéges, autant que le Parti communiste francais — ne s’émeut de |’intervention d’un chef d’Etat dans la vie politique d’un pays certes ami, mais surtout d’un Etat indépendant, laique, républicain, démocratique. Il aura donc fallu qu’un monarque considéré comme |’un des plus grands tyrans de I’histoire moderne du Maghreb claque des doigts pour que Paffaire des foulards de Creil disparaisse du paysage frangais. La France aurait da s’émouvoir. Rougir de colére. Protester. Défiler dans les rues de Paris et dailleurs, Mais Hassan Il a toujours été considéré comme un « grand ami » de la France. Des voiles et des lois Match nul. Balle au centre. Mais la partie est loin d’étre terminée. Sur la scéne politique, le 27 novembre 1989, aprés avoir été saisi par Lionel Jospin toujours ministre de |’Education nationale, le Conseil d’Etat rendra un avis sur le port du voile, qu’il jugera compatible avec la laicité. Pire, ce méme Conseil d’Ftat considérera que : « Un refus @’admission ou une exclusion ne pourront étre admis que si cela entraine une menace ow un trouble au sein de |’établissement dans le secondaire, » Mais les cas de voiles 4 l’école augmentent. En réponse, Jospin émet une circulaire qui laissera le libre choix aux chefs d’établissement de refuser ou d’accepter les éléves voilées. Une facon de leur domner Ja « patate chaude ». II faudra attendre l'année 2004 pour que la loi interdisant les signes religieux 4 l’école soit votée. Quinze ans pour résoudre au moins partiellement |’affaire des foulards de Creil. Est-ce que ces « voiles » auraient pu @tre percus plus tat comme le signe annonciateur d’une dissolution de l’identité nationale ? Tout comme |’affaire Rushdie qui se tansforme en polémique mondiale avec la fatwa lancée par l’ayatollah Khomeini contre l’écrivain, aprés la publication de ses Versets sataniques. L’idée d’un choc entre les valeurs de I’ Occident et celles de Vislam est lancée dans I’ Hexagone. LE PRINCIPAL QUI REFUSAIT DE DEVENIR UN IMAM Presque dix années aprés |’histoire des foulards de Creil, oii en sommes-nous au sein de |’école ? Les débats d’hier sont-ils encore ceux d’ aujourd’hui ? Dans son livre Principal de collége ou imam de la République paru a l’automne 2017 Bernard Ravet, ancien directeur des colléges Manet, Versailles et Jean-Claude Izzo, & Marseille, allait droit au but : « Je ne pouvais plus me taire, Une fois a la retraite, je me suis dit qu’il fallait que j’écrive, que je raconte tout ce qui se passait dans mes établissements depuis une quinzaine d’années. Certes les violences, mais surtout la montée du péril religieux dans la quasi-totalité de mes classes de la sixiéme G la troisiéme... » Difficile d’évoquer sa propre carriére sans éclabousser ses supérieurs, le recteur, Vinspecteur d’académie ; mais aussi ses collégues chefs d’établissement comme lui, qui lui ont toujours conseillé de se taire : « Ne dis rien, pas de vagues. De toute fagon a quoi ca servirait. Les ZEP!, tout le monde s’en moque... » Les fléches de Versailles La petite histoire finit toujours par rencontrer la grande. Tout comme Jean-Pierre Obin qui apprend par hasard que des enfants juifs sont exfilués de leurs colléges 4 la suite de violences perpétrées contre eux, Bernard Ravet apprend stupéfait que son ancien collége Versailles, dans le II arrondissement de Marseille, a été la cible d’attaques. En novembre 2016, quelques jours avant la visite de Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de |’Education nationale du gouvemement de Manuel Valls, dans les écales les plus pauvres de la ville, Bernard Ravet est contacté par des amis encore en exercice : « Des fléches ont été tirées @ Varc a l’intérieur de notre bahut. Tu étais au courant Bernard ? — Des fléches, tu plaisantes ? —Non, au moins deux d’entre elles étaient mortelles... » Trois ans plus tard, Bernard Ravet finit par nous dire que ces « drdles de fléches » l’ont décidé de prendre |a plume : « Ca faisait suite @ un nombre incalculable de violences dont j’avais été le témoin. La derniére en date, juste avant que je parte en retraite ? Un méme coursé par des ados qui lui couraient aprés en tirant dessus avec des pistolets a plombs. » Accablé, Bernard Ravet concéde que « plus personne n’était en sécurité, que la violence était récurrente, palpable a tous les coins de rues, et que le quartier était abandomné... ». Quelques jours aprés cette série de faits divers, Bernard Ravet, retiré de la vie professionnelle, se met a écrire. L’ancien principal raconte pourquoi les imams de quartiers ont quasiment pris le pouvoir dans les quartiers nord de Marseille avec la complicité d’hommes et de femmes politiques qui ont laissé les idées religieuses les plus radicales s’infilter dans toutes familles. Et dans les associations proches des mosquées. Bernard Ravet enrage en nous montrant une photographie qui symbolise, selon lui, toutes les contradictions et les errements des politiques de Marseille : « Celle-ci est dingue ! Regardez, on y voit une sénatrice de gauche, une adjointe au maire de droite, entourées par des dignitaires du Qatar et du Koweit posant la premiére pierre d’une école coranique sous... contrat d’Etat ! C’est dingue, non ? » Lécole en question n’est autre que l’école Ibn-Khaldoun du nom d’un historien- économiste précurseur de la sociologie moderne du xiv° sidcle, issu d’une grande famille andalouse. L'établissement scolaire dont les enseignants sont payés par l’Etat, revendique 212 éléves de la sixiéme aux classes de terminales. Il n’a jamais fait parler de lui, si ce n’est en bien. Toutes les familles issues de Vimmigration révent ¢’y inscrire leurs enfants pour qu’ils échappent aux cercles de la violence qui se propage partout entre la cité de Fontvert, les Oliviers, les Micocouliers et la Castellane : « Ce n’est pas le probléme, contre-attaque Bernard Ravet. Ce qui est dramatique c’est que cette école est en partie enrichie par des fonds qui viennent de théocraties du Moyen-Orient qui propagent des idées totalement contraires a notre laicité et a notre mode de vie et financent le terrorisme a grands coups de pétrodollars. » Bernard Ravet ne décolére pas au fil des photos que nous visionnons sur son écran. On y voit des salles de classe parfaitement ranges avec d’un c6té les filles, de autre les garcons. Et quel que soit l’age des adolescentes, elles sont toutes voilées : « Que dire ensuite & nos éléves quand elles viennent dans nos colléges et qu’elles exigent de porter le voile ou le hijab ? » « L’Etat est une maison et son détecteur de fumée, c'est la laicité » La veille de la parution du livre, le 23 aofit 2017 donc, Bernard Ravet et son éditeur Philippe Robinet se réunissent, soucieux ’ un comme |’ autre : « Franchement, on n’en menait pas large. On craignait que |’extréme droite ne récupére mon livre et qu’ils s’en prennent comme de coutume 4 tous les musulmans de France pour les traiter de terroristes et surtout que le bouquin devienne un enjeu politique... » Vhistoire est ainsi faite — que de concordances avec |’histoire de Jean-Pierre Obin — que le danger ne vient jamais d’ oti I’ on croit. Dés le livre installé dans les vitrines des librairies, les chefs d’établissement de Marseille tournent le dos a Bernard Ravet. Les professeurs, eux, jurent leurs grands dieux que Ravet a raison, que la République est en danger dans les écoles, que la laicité n’y représente plus grand-chose, mais ils courbent l’échine quand on les sollicite pour les interviewer, méme de maniére anonyme : « Non, je ne peux pas, devoir de réserve...» En publiant les bonnes pages de Principal de coliége ou imam de la République ?, le magazine L’Express explose la chape de béton qui étouffe les colléges marseillais depuis des décennies. Les Francais découvrent avec stupeur la misére du collége Versailles engoncé entre des immeubles menacant de tomber en ruines, une bretelle d’autoroute, des grillages dignes d’un camp de rétention et une... impasse. Tout un symbole. Peu de gens acceptent pourtant de dévoiler les facettes d’un islam radical qui gagne partout 4 Marseille. Excepté une jeune femme de |’école primaire Révolution, révoltée par 'idée que « des gamins de CM2 refusent de regarder leurs maitresses dans les yeux parce que ce sont des femmes... ». Le rapport Obin le disait treize ans plus t6t. Tandis que les ventes du livre ne cessent de grimper et que les médias transforment Bernard Ravet en nouveau... Jules Ferry, Jean-Michel Blanquer, ministre de |’Education nationale, le recoit dans son bureau de Grenelle. L’échange est franc et surtout trés étonnant : Jean-Michel Blanquer : « Tout ce que vous écrivez dans votre livre n’est plus supportable... » Bernard Ravet : « Tout est vrai, monsieur le Ministre. » Jean-Michel Blanquer : « Je n’avais pas mis la laicité @ mon agenda de ministre, mais dés cette rentrée 2017, ce sera fait... » Persomne n’est obligé de croire Bernard Ravet. Mais les faits sont tétus. Dans les semaines qui suivent la parution de son livre, Jean-Michel Blanquer assure personnellement qu’il défendra la laicité plus que tout autre ministre de V’Education nationale depuis la naissance de la V° République. Un an plus tard, les 11 et 12 octobre 2018, le ministre organise un séminaire et y tient un discours qui fera date dans I’histoire de l’école : « Les contestations du principe de laicité dans le cadre des enseignements ou durant les temps de vie scolaire appellent une réponse ferme et unifiée. Elles impliquent un soutien et un accompagnement des professeurs, du personnel @’éducation, ainsi que des directeurs d’école et des chefs d’établissement. Crest pourquoi le ministére de l’Education nationale a mis en place un dispositif spécifique pour assurer @ la fois une bonne transmission du principe de laicité et veiller @ son respect dans les écoles et les établissements. Ce dispositif comprend un comité des Sages de ta iaicité, composé d’experts et placé auprés du ministre, une équipe nationale laicité et fait religieux, et des équipes académiques laicité et fait religieux. Au niveau académique, les équipes laicité et fait religieux sont constituées autour du référent laicité placé auprés du recteur. Elles animent la formation sur les questions de laicité, répondent aux situations de crise comme aux demandes d’accompagnement au sein des écoles et des éablissements. Enfin, elles recensent, analysent et signalent les atteintes au principe de laicité & P’équipe nationale pour contribuer @ un état des lieux sur ensemble du territoire national. » Bernard Ravet en reste coi : « Ce n’est pas grace d moi bien sir. N’oublions pas qu’en 2018, la France sort d’une longue période d’attentats extrémement meurtriers. Et que si lon ne peut pas maitriser les fous d’Allah, on peut faire en sorte que toutes les écoles de Ia materneile, en passant par les colléges et les lycées soient des sanctuaires de la laicité et de Ia liberté. Sinon, on est foutus. L’Etat est une maison et son détecteur de fumée, c’est la laicité... En septembre dernier lorsque nous le rencontrons pour la demiére fois, il évoque la tenve d’un séminaire d’une école supérieure du professorat et de Penseignement, les ESPE — les anciens IUFM — qui sont réparties partout sur le territoire francais : « Interpeliés sur la loi de 1905, les futurs professeurs ont affirmé pour un tiers d’entre eux qu’il fallait se battre pour elle et surtout ne pas changer la loi ; un tiers a juré qu’ils avaient baissé les bras tant il était devenu difficile @enseigner la laicité en classe de nos jours. Enfin, le dernier tiers la remettait en question, et souhaitait l’accommoder en fonction des changements de société. Les bras m’en sont tombés... » Qui est donc aujourd’hui le Beard Ravet principal de collége qui avait osé secouer le cocotier il ya trois ans ? « Le méme, mais soulagé... L’autre jour, j’ai rencontré un prof d’histoire-géo qui avait des problémes incommensurables dans sa classe avec des gamins qui refusaient d’étudier la Shoah. Il a utilisé le numéro vert qui permet aujourd’hui au prof de faire un signalement au rectorat. Quelques jours plus tard, le probléme était réglé. Il y a trois ans, le méme prof aurait demandé sa mutation. Pire, il qurait donné sa démission. On mettra trente ans au moins pour rétablir ta laicité dans son plein droit dans les territoires perdus de la République, mais on y arrivera... » Trente ans. Ou peut-étre jamais. Car si l’exemple du professeur histoire géographie est exemplaire quant 4 sa résolution, il occulte sans doute d’auires harcélements dont sont victimes les enseignants. Selon un chiffre officiel que nous avons pu vérifier, plus de mille signalements ont été effectués par des professeurs depuis le début de l’année 2019, « dont certains émanent de professeurs des écoles qui ont maille a partir avec des gamins de moins de dix ans qui refusent la laicité au quotidien... ». Aprés I’école primaire, le colldge, le lycée, qui aurait pu imaginer que mémes les créches allaient se retrouver dans des situations juridiques et judiciaires inextricables 4 propos de la laicité ? Ce qui suit est d’une effrayante banalité, mais en méme temps l’expression d’un changement de mentalité dans la société francaise, qui annonce 4 partir d’une histoire banale les premiers souffles de islam politique dans un espace livré aux tout-petits, voire aux bébés. L’aFFaiRE BaBy-Loup, L’HISTOIRE SANS FIN Chanteloup-les-Vignes, 10 387 habitants, 64 nationalités et 7 S00 logements sociaux dans de grandes barres d’immeubles. Des transports inexistants, un centre-ville peu dynamique, et une grande difficulté pour les femmes a s’émanciper. La situation est désastreuse. La spirale de la pauvreté est en marche. En 1991, la créche associative Baby-Loup sous contrat privé décide de s’implanter dans cette ville des Yvelines laissée a l’abandon et d’ouvrir ses portes vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Un mode d’accueil adapté aux femmes sans dipléme, pour leur permettre de se dégager du temps, comme un parfum de liberté. Du temps pour se former, apprendre, et réussir 4 s’intégrer dans la société. Pourtant, la créche Baby-Loup aura été au centre de proces longs et tumultueux pour une histoire de voile qu’une des salariées — Fatima Afif — de |’ établissement souhaitait porter pendant ses heures de travail. Cette affaire de bout de tissu va durer plus de dix ans et occuper tous les espaces qu’un tribunal peut offrir 4 un plaignant ou aux parties civiles : premiére instance, appel, cassation, Comité des Droits de !’ Homme de |’ Organisation des Nations unis. Un authentique marathon judiciaire. Pour Richard Malka, l'avocat qui a défendu Baby-Loup et sa directrice Natalia Baléato, ce procés gardera une place de choix au panthéon de ses plaidoiries. Ce procés est, selon lui, plus que jamais révélateur de la société francaise actuelle. Et ce, dans une ambiance tendue et pleine de crispation— nous sommes en 2008 — oi les insultes fusent parfois se souvient Richard Malka : « Quand j’en parle aux médias, il y a la méme fragmentation que pour Charlie. A l’époque, les médias de gauche sont contre nous. Le Nouvel Obs est contre la créche et sa directrice qui refuse le port du voile de I’une de ses salariées. Un parti pris assumé qui le sera une nouvelle fois quand l’ONU rendra son avis G l’encontre de Ia créche. Un avis purement consultatif par une organisation de tradition anglo-saxonne qui ne comprend pas la laicité. Je ne suis pas contacté par le journal, seul l’avocat de Mme Afif s’exprime dons les colonnes. Du coté des politiques, Valls nous soutient, il sera méme présent aux prud’hommes a Mantes-la-Jolie. L’audience est tendue. L’ambiance est lourde. Mais ¢a reste un procés magnifique. L’un des plus importants de ma carriére. » Richard Malka est notamment |’avocat du journal satirique Charlie Hebdo. Dans son livre, Eloge de Virrévérence, coécrit avec Georges Kiejman aux éditions Grasset, paru en mars 2019, a travers de nombreux procés d’ atteinte a la laicité et aux libertés fondamentales, c’est |’évolution de la société qui est mis en exergue. Jusqu’a quand arriverons-nous 4 préserver nos valeurs ? La question reste ouverte. «[...] Quand ily a un probléme de laicité, c’est moi que l’on vient voir. Pour instant, les tribunaux sont de bons remparts aux attaques portées par les religieux quels qu’ils soient. J'ai gagné beaucoup de procés sur ce terrain- la, mais la société céde, elle, bien davantage. La digue judiciaire tient bon. Mais, au bout d’un moment, Ia justice suit la société. Le probléme n’est pas législatif. I! y a un manque de courage politique. La droite et la gauche ont cru acheter la paix sociale et des voix en passant des pactes et pour cela, elles ont cédé sur des principes. Et notamment sur des principes laiques. Et puis il y a la lécheté qui transforme les bourreaux en victimes de la société et les victimes en bourreaux islamophobes. C’est un combat @ Ia fois idéologique et politique. » La créche et ses combats Retour sur la créche, sa fonction sociale, sa place au cceur d’une société qui ne demande qu’a s’améliorer. Natalia Baléato a vécu deux coups d’ Etat : un premier avec le renversement de Pinochet, dans son pays de naissance, le Chili, lorsqu’elle a 17 ans ; et trois ans plus tard, un second, « Videla » ou guerre sale, en Argentine, pays dans lequel elle s’est réfugiée. A propos de manque de libertés, elle sait de quoi elle parle. Plus tard, elle ménera un autre combat, en France, pour |*émancipation des femmes en situation difficile. Sage-femme de formation, elle sera porteuse d’un projet unique en son genre : « J’ai été moteur de l’idée, mais nous étions un collectif d’une trentaine de femmes au début, puis six ou sept d’entre elles sont restées, issues du quartier des Vignes, pour devenir par la suite des professionnelles de ia petite enfance. Son ouverture a été compliquée. On a dii discuter, comme avant de passer des diplémes elles n’en avaient pas, l’administration s’est montrée tatillonne & notre égard... » Le combat est long. Presque impossible 4 mener. Mais Natalia a de la suite dans les idées. Elle sait aussi que toutes ces fernmes autour d’elle méritent d’étre mieux considérées, intégrées & un projet social et professionnel. Etre inégrées tout court... « On nous a dit que certaines personnes qui étaient dans leur situation — donc sans presque aucune qualification — pouvaient créer des difficultés par rapport aux enfants. Nous avons plaidé le projet pendant quatre ans devant les autorités départementales et locales avant son ouverture en 1991, date a laquelle Baby-Loup voit enfin le jour. Une créche alternative qui permet aux femmes d Ia recherche d’un travail, en formation ou qui apprennent la langue frangaise de se dégager du temps pour assister aux cours, c’était formidable, non ? Nous voulions donner aux femmes d’origine étrangére la possibilité de s’insérer dans Ia société en laissant leurs enfants en toute sécurité. II faut appartenir a un groupe pour une bonne inclusion. Au départ, je travaillais dans un hépital, j’ai demandé une année sabbatique, finalement je suis restée vingt-huit ans 4 Baby-Loup. J’ai pris ma retraite en juin 2019. » Combat magnifique. Lutte acharnée. Et au bout du compte le sentiment du travail bien fait pour Natalia. Excepté le cas de Fatima Afif qui va empoisonner la vie de la créche pendant des années... Fatima Afif a été renvoyée de la créche pour faute grave en décembre 2008. La bataille judiciaire s’amorce 4 ce moment-la : « Fatima Afif travaillait depuis 1991 @ la créche, se souvient Natalia. Elle a 66 formée d Baby-Loup, elle a passé des concours. Elle s’est formée durant trois ans pour devenir éducatrice de jeunes enfants. L’association !’a soutenue. Elle a décidé de porter le voile en privé. Aprés deux congés parentaux — deux fois seize semaines qui sont devenues cing années -, elle décide de ne plus travailler @ Baby-Loup, comme elle connaissait notre réglement. Elle voulait un départ arrangé en demandant une somme d’argent. Ce qui a été refusé. Elle porte plainte. Le procés va alors durer de 2008 & 2014. Nous avons subi des pressions. » Des pressions extérieures C’est le début de l’enfer & Baby-Loup. Une sorte d’appel au crime : « C’était violent. Presque insoutenable. Ga allait d’appels anonymes a Passociation pour dire qu’ils allaient “niquer” ta directrice, la massacrer. Drautres fois, des voix trés agressives hurlaient que les voitures seraient britiées sur le parking. On travaillait sept jours sur sept, la police avait du mal 4 rentrer dans le quartier. La secrétaire a été suivie par des motos. Les intimidations étaient permanentes et systématiques envers les personnes qui avaient témoigné au proces. Au début, on allait a la police. Puis, ta lassitude et la colére nous ont contraintes a laisser faire. Notre réglement intérieur a finalement éé validé. Pourtant, ’ONU a &é favorable G Mme Afif. Une décision qui a été vécue comme une victoire pour le quartier et tous ceux qui nous traquaient depuis des années. Ce qui nous a totalement déstabilisés, méme si la décision de ?ONU n’était que purement consultative... » En décembre 2013, la créche fermera ses portes. Le climat délétére en sera la cause. Trois mois plus tard, en mars 2014, non loin de Chanteloup-les-Vignes, dans la ville voisine de Conflans-Sainte- Honorine, Baby-Loup accueillera de nouveau les enfants. « Contrairement @ ce qu’ont pu dire les médias, raconte Natalia, nous ne sommes pas des militants de la laicité. Nous avons défendu des valeurs profondes pour lutter contre tous les déterminismes sociaux, religieux, économiques. La France permet ¢a. On voulait que les enfants mangent la méme chose, de la viande, des fruits. On n’a pas accepté que les enfants aménent leur repas. Le projet, notre projet, c’était l’intégration et c’est possible dans un pays oti !’on peut faire ce que l’on veut dans le privé. Mais dans le public, c’est la collectivité qui doit I’emporter. On ne peut pas faire selon la famille, selon ce qu'elle dit oi ce qu’elle veut. Nous avons un réglement, des régles. » Rappelons que le réglement en question, celui de ia discorde, a été validé. Méme si Baby-Loup est une créche privée — par son statut, elle n’est pas soumise aux obligations du service public -, elle percoit des subventions publiques, car elle est notamment considérée comme une mission d’intérét général. Une subtilité qui a son importance. Depuis trente ans, tout fout le camp Le combat de Baby-Loup a été exemplaire. Tout comme Natalia et les siens |’ont été. Mais 4 quel prix ? Et surtout pour quels résultats partout ailleurs ? « Depuis vingt ou trente ans, constate Natalia, les grands principes s’effondrent. Ce n’est plus fe vivre-ensemble, mais l’un & cété de autre. La vague religieuse, celle qui grandit de jour en jour dans les quartiers, s’apparente d un tsunami. Je ne sais pas comment ceux qui ont recréé Baby- Loup 4 Conflans, vont tenir... C’est trés éprouvant. C’est épuisant. Il y a des complaisances entre les médecins et les parents des enfants quant aux repas qu’on leur sert @ la cantine. Les certificats médicaux sur les allergies fleurissent pour obliger tes cuisiniers 4 préparer ce que les familles exigent. Sinon, c’est la guerre ! Ca fait quarante ans que ¢a dure. Et maintenant, ¢a arrive dés le plus jeune age, chez les tout-petits. C’est inquiétant. C’est un phénoméne récent. Le personnel est seul face dca. Il y a un réglement mais il nest pas respecté. Et les politiques ne sont pas clairs la-dessus. » La défense de Ia laicité, une hystérie collective pour certains Cette histoire a fait les gros titres de la presse partout en France et méme parfois a Pétranger, Mais pourquoi au fond ? Pourquoi un tel déchainement de passions, de coléres, de haines, toujours rappelons-le pour un minuscule bout de coton sur la téte d’une femme ? Pour Me Michel Henry, |’avocat de Fatima Afif, la raison est simple. C’est I’hystérie collective autour de l’islam: « On était dans une campagne anti-islamiste maladive qui s’est atténuée depuis. Cette affaire était un prétexte pour mobiliser contre l’islam. Je ne suis pas islamiste. Je suis méme aux antipodes des manifestations religieuses. Je suis athée, anticlérical. Mais tout le débat de ta part de la créche consistait & exagérer I’importance de ce voile, de lui donner une signification d’islamisme de combat avec en arriére-plan des mouvements féministes qui disaient que c’était la preuve d’un asservissement des femmes de la part des hommes. Moi, j’ai trouvé que c’était une manifestation d’intolérance qui méritait d’étre combattue. » Entre la Haute Autorité contre les discriminations et pour |’égalité (la Halde), le conseil des prud’hommes de Poissy, la cour d’appel de Versailles, la Chambre sociale de cassation, puis la premiére chambre de cassation de Paris... Ce procés qui n’est pas terminé, selon Me Michel Henry, aura établi une sorte de record de longévité dans Vhistoire judiciaire, de quoi domer le tournis. Finalement, Vassemblée pléniére de la Cour de cassation donnera raison 4 la créche Baby- Loup, dans un arrét du 25 juin 2014. Pour la plaignante, il n’est pas question d’accepter ce jugement. Les avocats de Fatima Afif déposeront une requéte devant le Comité des Droits de 1"Homme de |’ Organisation des Nations unis. Un avis consultatif sera rendu le 10 aoiit 2018 estimant que le licenciement était discriminatoire en raison des convictions religieuses. Me Michel Henry ne cache pas les raisons qui l’ont motivé a aller devant la Cour des Droits de 1’Homme de l’ONU : « La France a été condammée par cette Cour. L’affaire n’est pas terminée. » Et quand on demande pourquoi cette affaire n’a pas été portée devant la Cour européenne des Droits de |’Homme, |’avocat répond que « celle-ci serait trop flexible, elle aurait tendance a laisser une marge de liberté aux Etats en raison de leurs traditions historiques. Une marge d’appréciation qui donnait une incertitude a |’ issu du litige ». Oui, la France est laique ! Un principe fondamental qui implique que la religion ne se méle pas des affaires de I’ Etat. Car ce ne sont pas les intér@ts spirituels qui doivent @tre pris en compte et guider son action, mais bien l’intérét général qui distingue individu de sa confession. Pourtant de son cété, Me Michel Henry brandit la laicité qu’il dit défendre et met en avant une cabale organisée par quelques fous furieux : « Il y a eu une manifestation hystérique anti-islamique qui est d’ailleurs défendue par ia ligne de Charlie Hebdo, par Richard Malka qui, comme on le sait, est trés lié d Charlie Hebdo, puisqu’il est !’avocat du journal. Mais cette ligne est aussi défendue par Elisabeth Badinter et Alain Finkielkraut. Autant dire qui il y a un clan anti-islamo identitaire qui s’est déchainé sur cette affaire. Mais l’exemple était mal choisi, que l’on combatte les manifestations religieuses excessives, je suis d’accord ; que |’on combatte pour Ia laicité, je suis encore plus @accord, Mais la, le fait de licencier quetqu’un parce qu'elle porte un foulard qui lui tient les cheveux, c’est absurde... Si Fatima Afif avait été martiniquaise avec un foulard sur la téte, 1a on n’aurait rien dit. » Deux mois aprés |’avis rendu sur le licenciement de Fatima, le Comité des Droits de I’homme de 1’ ONU vise 4 nouveau la France, l’accusant de « violer les droits humains » a la suite de la verbalisation en 2012 de deux femmes portant le voile intégriste intégral : « L’interdiction générale a caractére pénal que la loi francaise impose & ceux qui portent le niqab en public a porté atteinte de maniére disproportionnée au droit des deux plaignantes de librement manifester leur religion. » Ce Comité estime que l’interdiction généralisée du nigab est une mesure top radicale. Une nouvelle fois, la démonstration est faite : c’est 1a liberté religieuse qui prime avant tout. LA NECESSITE DE CHANGER LES LOIS Suite & |’affaire Baby-Loup, le 8 aodt 2016, l'article L. 1321-2-1 sera introduit dans le Code du travail pour autoriser les entreprises 4 inscrire une clause de neutralité : « Le réglement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. » Les entreprises privées peuvent désormais préciser dans leur réglement si les signes extérieurs, notamment religieux, sont acceptés ou pas, en motivant la raison et dans le respect des lois. Par exemple, le contact avec les enfants exige une neutralité. La religion et le travail, débats d’hier et d’aujourd’ hui Aprés des années de salariat dans un cabinet de conseil sur la prévention des risques, Denis Maillard se lance dans une nouvelle aventure. Il décide de prendre un associé et de devenir son propre patron pour créer son cabinet de conseil — ‘Temps commun ~ 4 Paris, en octobre 2017. Plus d’indépendance, de Liberté, et lenvie d’apporter quelque chose de plus aux entreprises. Le fait religieux en entreprise fera partie de ses premiéres missions. Son ouvrage, intitulé Quand la religion s’invite dans l’entreprise et publié aux éditions Fayard, en 2017, aura Veffet d’une bombe. Une véritable onde de choc. L’analyse de Denis Maillard est salvatrice pour comprendre pourquoi les demandes de manifestations religieuses augmentent. L’histoire d’une longue tradition qui date de 1’époque des usines, et des églises construites par les patrons pour veiller sur la main-d’ceuvre : « En France, au xix° siécle, la religion est importante dans !’entreprise. Par exemple, chez Michelin, il y avait une église dans le quartier ouvrier pour les surveiller. Ils devaient aller a la messe et avoir de bonnes murs. Ga venait des patrons. Début xx°, le mouvement ouvrier et le syndicalisme se battent pour qu’on puisse décrocher les crucifix des ateliers, des bureaux. La loi de 1905 va apaiser les choses. Le mouvement anarcho-syndicaliste aussi, parce qu’il a un fondement anarchiste “ni dieu ni maitre” qui va faire en sorte de séculariser et de laiciser les lieux de travail. » Au gré des vagues d’immigration, les mémes tensions apparaitront. Mais cette fois, le schéma s’inverse et les demandes ne viendront plus des patrons, mais des ouvriers. Encore une fois, le fait religieux fera débat : « La question revient au début des années 1980, plus précisément en 1982, a travers les grandes gréves appelées “gréves saintes”, des ouvriers spécialisés immigrés, de Pindustrie automobile. A cété de revendications sur les salaires, sur les conditions de travail, il y a des revendications autour de la dignité et qui concernent beaucoup le fait religieux, la liberté de pouvoir aménager les horaires pour la priére, pour le ramadan. Les ouvriers spécialisés immigrés sont essentiellement marocains, surtout de confession musulmane. Ils vont l’emporter. Les premiéres mosquées seront créées en 1970 a V’initiative des patrons chez Renault, chez Citroén, etc. A partir des années 1980, les revendications religieuses viennent des salariés qui veulent exprimer leur foi dans le cadre du travail. Les choses vont se calmer en 1983 au moment de La Marche des beurs. C’est la génération d’aprés. Les ouvriers spécialisés immigrés, ce sont les parents. Ceux qui marchent en 1983, ce sont les enfants. Et leurs revendications ne sont pas d’ordre religieux, mais d’ égalité républicaine, qu’ils ont appris 4 I’école. » Les années 2000, le temps de la réislamisation Le procés Baby-Loup aura été révélateur d’une société qui n’a jamais arrété de changer. Le monde du travail semble @tre le catalyseur de toutes les tensions, de Vhistoire et des vagues d’immigration. Le travail a un vrai réle d’intégration. Et seules les lois peuvent |’ aider dans sa lourde tache, selon Denis Maillard : « Au début des années 2000, les revendications liées a Ia religion dans le monde du travail augmentent. Le moment de bascule oit ta société prend conscience de ¢a, c’est avec Baby-Loup. Et depuis, ga n’a pas complétement cessé, C’est surtout !a religion musulmane pour plusieurs raisons. Pour des questions sociologiques. » Toujours selon Denis Maillard : « Selon une étude de I’IFOP — enquéte sur “Les musulmans en France, trente ans aprés l’offaire des foulards de Creil”, pour Le Point et la fondation Jean- Jaurés, d’aprés un sondage du 23 septembre 2019 -, qui croit aujourd’hui en France ? Les vieux catholiques et les jeunes musulmans. La deuxiéme raison est d’ordre théologique. Si l'on veut avoir une pratique plus rigoriste notamment de Ia religion musuimane, celle-ci est plus visible. La troisiéme raison est d’ordre identitaire. Dans les années 1980, il y a eu une réislamisation dans |’ensemble du monde musulman qui a touché la France. L’islam apparait comme une ressource identitaire forte pour des gens qui sont en mal d’intégration ou pour des personnes totalement intégrées. » Quelles que soient les revendications au sein du travail, il faut faire la différence entre Je public et le privé. Qu’accepte-t-on et pourquoi ? Qu’est-ce qui peut étre toléré ? Quels sont les lois et nos droits ? La loi El-Khomri ou loi travail va-t-elle assez loin? Dans le public, pas d’ambiguités. Pour Denis Maillard, dans les entreprises publiques, il ne faut jamais céder a la pression : « Dans le domaine public, les entreprises se posent les questions qu’elles pensent pouvoir théoriquement résoudre. La loi de 1905 donne théoriquement un socle sur lequel s’appuyer. L’Etat s’abstient, donc les fonctionnaires n’expriment rien, c’est clair. Mais pour la société civile ce nest pas aussi simple. » La loi, c’est la loi... « Au travail et dans la rue, vous n’avez pas choisi les gens avec qui vous travaillez ou que vous croisez. Dans la société civile, pour pouvoir vivre les uns avec les autres, ta laicité est pratique, et notamment Ia laicité dans les tétes permet de vivre les uns avec les autres. En quoi la !aicité dans les tétes permet-elle d’accepter !’autre sans imposer ses convictions ? La laicité dans les tétes est un contrat social laique qui lie les Frangais, d savoir que I’Etat est neutre, mais la liberté de conscience dans les sociétés fait que l’on va mettre nos convictions de cété pour les exprimer dans nos vies privées. » Ce qui est un principe nécessaire pour vivre ensemble peut aussi devenir une source de confusion et de problémes au sein de sociétés privées : « Dans le privé ce n’est pas la laicité dans les textes, le Code du travail ne vous interdit pas de vous exprimer — opinions politiques, religieuses, etc. — mais c’est encadré, Sauf que dans I’entreprise privée, on est au cwur de la société civile. Il y a des régles de laicité dans les tétes. La liberté de conscience s’applique a tous, aux croyants comme aux non-croyants. Mais il y @ une contradiction entre 1a régle, l’autorisation de |’expression, et la liberté de s’exprimer. Donc contradiction entre la régle et le principe d’organisation. On ne fait pas peser sur l’autre son identité et en France, dune maniére générale, ce qui est lié & l’argent, au politique, d la religion, donc ce qui nous divise, on le garde pour soi. » Mais parfois, la frontigre est ténue. La société en générale et les entreprises peuvent demander a leurs employés d’exprimer leurs différences, ce qui crée une confusion : « Quand vous avez d’un cété une société qui dit 4 V’individu exprime-toi, affirme Denis Maiilard, sois libre de t’exprimer, sois libre d’étre toi-méme et puis fais de ton identité une fierté. Et d’un autre cété des entreprises qui disent aux salariés d’exprimer leur créativité, leur subjectivité, leur identité, il n’y a plus grand-chose pour s’opposer @ l’expression du fait religieux. C’est le cur du probléme pour les entreprises privées. » Clause de neutralité de l'article 2 de la loi EF Khomri La question se pose déja. Stirement les prémices d’un débat a venir qui agitera encore une fois le monde du travail. « La loi ne peut pas aller plus loin, poursuit Denis Maillard, & savoir que tout en respectant les critéres objectifs qui limitent l’expression de la religion, on peut édicter un réglement intérieur sur la base de raisons objectives — et non discriminatoires. Par contre, son application pourrait aller plus loin. » Oui, mais justement, en quoi ? Denis Maillard revient sur un exemple qui monire déja les limites de cette loi : « La situation est montée @ travers un contentieux d’une dame qui portait un voile et qui ne voulait pas !’enlever. Elle travaillait dans une société microélectronique. Elle est stagiaire, puis embauchée. Au début de son stage elle porte un bandeau qui se transformera par la suite en voile. Elle est embauchée, mais on lui dit que chez les clients, le voile risque de poser probleme. Elle est envoyée chez. des clients pour une prestation informatique. Un jour, un client se plaint en disant au patron de la jeune femme : “La prochaine fois, je ne veux pas de femme voilée qui vienne dans mon entreprise, c’est perturbant.” Elle est convoquée @ un entretien, elle refuse d’enlever son voile, s’ensuit un licenciement. Elle va aux prud’hommes, tout ¢a monte jusqu’é la Cour de justice européenne qui va rendre un avis disant que le client n’est pas roi, et qu’il n’a pas a exiger d’étre ou pas servi par une femme voilée. C’est discriminatoire. » De la Cour européenne a la Cour de cassation, puis 4 la cour d’appel, |’entreprise sera condamnée parce qu’il n’y avait pas de réglement intérieur, « En revanche, s’il y a un réglement intérieur qui dit que vis-d-vis du client on veut donner une image de neutralité de i’entreprise, @ ce moment-ld, on peut mettre dans ce réglement que l’on ne peut pas exprimer ses convictions religieuses, a travers des signes religieux. » Le dispositif de la loi El-Kohmri est ainsi validé. Mais, il reste un interstice qu’il serait mieux de combler. II faudra certainement attendre un énigme procés, une jurisprudence. « Cette dame, donc, n’avait pas étre licenciée, mais cela valide le fait qu’il faut un réglement intérieur et qu’il est possible d’en avoir un. C’est 1a oit la jurisprudence ne va pas assez loin. Qu’est-ce qui est neutralisé dans Ventreprise ? C’est la relation avec le client et ce n’est pas |’ensemble de Ventreprise. Finalement, si vous avez des salariés en relation avec la clientéle, on peut leur demander de s’abstenir de montrer des signes religieux. Mais ceux qui ne sont pas en relation avec la clientéle, le réglement a du mal & s’appliquer @ eux. Je pense que la loi El-Khomri doit étre étendue, notamment la clause de neutralité, a I’ensemble de I’entreprise et pas simplement au front office. » Les entreprises n’osent pas parler du fait religieux et attendent de rencontrer des situations compliquées, tendues, voire inextricables, pour interpeller, comme le signale Denis Maillard : « Dans le privé, le phénoméne religieux est plus complexe et les entreprises privées ne se sentent pas assez armées pour y faire face. La loi El-Khomri et article 2 qui permettent aux entreprises privées ayant ta reconnaissance @un principe absolu qui est la liberté de conscience et le droit d’exprimer ses convictions mais avec des limitations encadrées. On ne fait pas ce que Von veut. Mais elles sont frileuses pour aborder le probléme lié au fait religieux. Elles attendent de craquer. » Ecoles primaires, colléges, lycées, créches... oii s’arréteront donc les attaques contre la laicité ? Force est de constater que notre enquéte nous entraine dans des lieux oft !’on n’aurait jamais imaginé mettre les pieds. Surtout une fois de plus pour évoquer le vivre-ensemble. Les piscines municipales, par exemple... La LAICITE SE NOIE DANS LES PISCINES Dans un communiqué, la ville de Grenoble annonce la fermeture des piscines Jean-Bron et Les Dauphins, & partir du 27 juin 2019, malgré les fortes chaleurs. Peu de temps auparavant, l’association Alliance citoyenne a décidé de monter une opération coup de poing. Des femmes en burkini investissent les lieux pour réclamer « le droit de s’y baigner quelle que soit la tenue ». Pourtant, dans les faits, elles revendiquent le fait de se baigner en burkini. Les maitres-nageurs n’ en peuvent plus. Plus personne n’aura accés aux piscines. Le 1° septembre 2019, la méme opération est organisée dans une piscine du xi° arrondissement de Paris, avec les mémes revendications. Le burkini, une création récente venue de I’ Australie Lorigine du burkini est récente. Il a été créé en 2003 par |’Australienne Aheda Zanetti qui estimait répondre 2 un besoin. Fateh Kimouche, spécialiste de Péconomie islamique, estime dans le magazine Le Point du 24 aodt 2016 que Papparition du burkini — contraction de « bikini » et de « burqa » —remonte en France A 2008. Un habit qui n’est pas inscrit dans les textes religieux, mais qui ferait partie de la « mode islamique ». Concernant le cadre juridique, il est tout a fait possible d’aller a la plage et de se baigner en burkini. Le 26 aoiit 2019, le Conseil d’Btat invalidera l’arrété pris par la ville de Villeneuve-Loubet dans les Alpes-Maritimes, qui interdisait les burkinis sur les plages, considérant qu'il portait « une atteinte grave et manifestement iilégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle ». Cette décision fera jurisprudence pour d’autres villes, une trentaine, mais leurs arréts pourront étre annulé en « cas de contestation judicaire », En revanche, la loi du 11 octobre 2011 interdit que 1’on porte un vétement qui dissimile le visage dans I’espace public. Au méme moment, un débat sur le voile intégral agitait la France. Les fourberies d' Alliance citoyenne L’association Alliance citoyenne créée en 2013 — 4 la base une association de locataires « kidnappée » par ce groupe ~ avec pour slogan, « S’organiser pout se faire entendre », affiche sa volonté de défendre toutes les injustices en interpellant les institutions publiques. L’association n’bésite pas a faire pression, quitte A remettre en question la laicité et les réglements qu’elle juge discriminants, La victimisation devient une arme de destruction massive. Méfiant, Adrien Roux, président de |’association, répond rapidement a notre demande d’interview, fin septembre 2019. La discussion sera de plus en plus tumultueuse. Selon lui, nos {questions sont apparemment idiotes. II pense défendre la cause des ferames : « Cette affaire de piscine a démarré a I'été 2018 avec une pétition signée par plus de 650 femmes de tous ages. Elies pointaient le fait qu’elles devaient choisir entre le respect de leurs croyances et !’accés aux équipements publics. [...] Ces femmes se sont organisées pour interpeller les élus. Et demander dans quelles mesures on pouvait faire évoluer les réglements intérieurs pour a la fois respecter les critéres d’hygiéne et de sécurité et permettre a ces femmes d’aller dans ces piscines. Le petit débat sur la question de l’hygiéne a été jugé aux Pays-Bas, en Allemagne, en Belgique ou Rennes. Pas de raison que les experts frangais fassent autre chose que les homologues allemands. Le principe de laicité ne justifie pas le non-accés aux piscines. » Nous évoquons justement les principes liés a la laicité, et la condition de la femme. Le fait que tout le monde doit s’y plier, non pour contraindre qui que ce soit, mais justement pour que tous puissent vivre ensemble, quelles que soient leur condition sociale et leur religion. Nous parlons tout bétement du réglement de ladite piscine. Mais rien n’y fait. Adrien Roux imagine encore une fois que l’on fait un mauvais procés d toutes les femmes. Ou qu’elles sont victimes d’une sorte de complot ourdi par les médias, les politiques, les institutions, voire les sociétés de production audiovisuelle : « C’est le cas de la chanteuse Mennel, dit-il, qui était voilée dans l’émission “The Voice” en février 2018 ; ou encore exemple de Maryam Pougetoux, présidente de I’Unef @ la Sorbonne-Paris IV. Plutdt que d’étre l'objet passif, elles en sont le sujet. Elles revendiquent leurs droits comme Vont fait avant elles, les homosexuels, les malades du sida, les Noirs-Américains, les minorités. » Les exemples donnés nous sidérent, Nous revenons sur les principes les plus simples de la laicité avec notre interlocuteur, Nous évoquons Ja liberté de la ferme, le droit de choisir sa vie, sa semalité, mais en marge de la religion, en marge de la sourission sexuelle justement aux hommes. Mais nous sommes dans un dialogue de sourds : « Les femmes musulmanes, poursuit-il, sont privées de beaucoup de choses @ cause de leurs convictions religieuses. Beaucoup de plateaux de télévision parient d’elles. Elles revendiquent de vivre dans une société laique avec la liberté de conscience. [...] Une partie des femmes se battent pour porter ce qu’elles veulent. C’est en cela que cela devient un combat féministe. Ce qui est au coeur de leur existence, c’est moins une question de liberté homme- femme, qu’une liberté de croyance et de respect de la laicité en France...» De quoi rendre dingues ceux qui, 4 Grenoble, ont pris laffaire de la piscine municipale a bras-le-corps pour ne pas mourir idiot. Vhistoire du lanceur d'alerte qui ne veut pas voir la laicité mourir... C’est le cas de Naém Bestandji. Il se décrit comme féministe, universaliste et laique. Il a travaillé plusieurs années au sein de centres socioculturels dans les quartiers populaires. En 2004, il a créé et présidé le comité Ni putes ni soumises de l'Isére avant d’entamer des études en histoire, pour aller jusqu’en maitrise, ol il s’est orienté vers « |’ islam radical et les femmes ». Il revient sur ces années ot) il a vu se développer |’ islamisme comme une amibe mangeuse de cerveau : « Auparavant dans les quartiers, vous étiez d’abord “arabe”. Depuis, un glissement progressif s’est produit ; vous étes d’abord musulman, La religion se transforme en ethnie. Ce qui explique la jonction entre le racialisme/’indigénisme et l’islamisme politique. » « A Pépoque ot j’ai commencé a travailler dans le socioculturel, la laicité était quelque chose de vieillot, un principe évident et acquis pour mes collégues et moi. Mais dés 1996, j'ai éé confronté 4 des adolescents qui commengaient a scruter la liste des ingrédients des biscuits distribués aux goiiters, pour vérifier sil y avait de la graisse animale a base de porc. On commencait @ entendre les mots “haram” qui signifie “péché” et “halal” qui signifie “licite” en arabe. Dorénavant, les biscuits devaient étre halal. Sur le plan religieux, cela n’a aucun sens. Le ramadan commencait également a étre pratiqué par des jeunes, plus motivés par le cété identitaire que spirituel. C’est pour ¢a qu’il y avait une sorte de contréle, pour pointer du doigt ceux qui ne le pratiquaient pas. A partir de ta fin de cette décennie, ta mixité des minicamps pour ados organisés par les centres de loisirs commengait a étre remise en question. Cela devenait de plus en plus compliqué @organiser de tels séjours, ou alors ils devaient étre non mixtes. A la méme époque, j’ai commencé @ constater Pinfluence de Pintégrisme musulman sur les filles. C’est @ ce moment-Ié que ma fibre féministe s’est révélée. Plus les discriminations sexistes augmentaient, plus ma fibre féministe grandissait. Pour les ultrareligieux, une fille doit se respecter alors qu’un homme... doit étre respecté. C’est du machisme pur et simple. » La laicité a la frangaise en danger Mais pour Naém, il y a plus grave encore ! « La laicité @ la francaise est en danger. “La laicité est la liberté de croire ou de ne pas croire” selon les politiques. Une phrase juste mais toute faite pour se donner bonne conscience, Dans les quartiers, 1a laicité est brandie uniquement pour “croire”. La liberté de ne pas croire, c’est pour les autres, pas pour nous. Pour rassurer et convaincre les Francais, les Freres musulmans disent défendre 1a laicité. C’est évidemment faux. [...] Les habitants des quartiers populaires de ma génération ont vu |’évolution. Aujourd’hui, les jeunes musulmans sont biberonnés 4 la visibilité islamiste. Pour eux, le voile est devenu la norme, méme pour les non-musulmans. Le voile n’est pas un attribut islamique mais islamiste. II est une discrimination en raison du sexe. L'islam sert de prétexte pour protéger cetie discrimination. Et ¢a marche : on fait passer, au nom de Ia laicité, le respect d'une doctrine “religieuse” avant !’égalité des sexes. Le voile est une forme @oppression, une “servitude volontaire” affirmée par le “libre choix” de certaines des concernées, On fait intervenir la laicité sur quelque chose qui ne la concerne pas directement. Le burgini sur la plage, ce n’est pas une affaire de laicité. » Naém Bestandji tire la sonnette d’alarme a propos d’ Alliance citoyeme. Il veut nous interpeller sur le cas de cette association qui concentre toutes les contradictions. Il tente de nous expliquer pourquoi elle met en danger les jeunes musul mans : « C’est la jonction entre une partie de I’extréme gauche et de l’extréme droite musulmane. C’est un cas d’école de tout ce que je décris et analyse depuis 2016. Taous Hammouti est arrivée & l'association en imposant ses combats islamistes 4 travers son sexisme identitaire et politique typique de Pintégrisme musulman. Des réunions ont eu lieu chez les uns et les autres, en dehors du cadre associatif habituel, autour des sujets qui concerneraient “les musulmanes”. Certains militants ont quitté association @ cause de cette dérive. Elle a essayé de convaincre la mairie de Grenoble de modifier le réglement des piscines municipales pour autoriser le burqini. Puis, des actions ont été menées dans deux piscines. Ce mode d’action s’est exporté ailleurs, 4 Paris dans une piscine du XI° arrondissement. Des liens ont aussi é&é créés avec des villes comme Roubaix. Taous Hammouti s’y est rendue, mandatée par Alliance citoyenne. » Militantisme istamiste dévoilé Militante active et téte de file des actions dans les piscines, Taous Hammouti a porté plainte contre Naém Bestandji pour injures publiques. Elle motive sa plainte par le passage d’un écrit de Naém, publié le 4 septembre 2019 : « [...] la militante islamiste Taous Hammouti (celle qui est fan des fréres Ramadan, réve d’étre uniquement soignée par des femmes médecins et milite politiquement inlassablement pour 1a promotion de son sexisme “religicux”) ». C’est vrai : Naém conteste sa vision rétrograde, sexiste et politique de l’islam et argumente avec précision. Ces comptes rendus sont pénibles pour celle qui, en 2015, le jour méme de la prise d’otages a l’Hyper Cacher, publie des dessins de Charlie Hebdo avec un commentaire inscrit dans des flammes (de I’enfer ?) : « N’oubliez JAMAIS que c’est Charlie Hebdo qui a dégainé !e premier », justifiant ainsi les rafales de kalachnikov des fréres Kouachi, encore en fuite ce 9 janvier. Si l’assassinat de dessinateurs, journalistes, correcteur, policiers et d’un homme dentretien ne l’émeut guére, en revanche, le déc&s de Mohamed Morsi, en juin 2019, leader politique des Fréres musulmans en Egypte, le seul d’entre eux qui a réussi a étre élu président de la République, la touche beaucoup. A tel point qu’elle remplace son image de profil Facebook par une photographie du défunt avec formule de condoléance en bandeau. Lors de son audition a I’hétel de police, Naém Bestandji argumente et fournit des preuves sur chacun de ses propos. L’agent de police, stupéfaite par ce qu’elle découvre, reste sans voix. La plainte est classée rapidement sans suite. Celle qui tentait l’opprobre judiciaire sur un militant laique, féministe et universaliste, n’aura réussi qu’une chose : tous ses propos anti-républicains sont désormais consignés dans un procés-verbal ! Discrimination des femmes comme argument de I’islamisme politique Naém Bestandji nous explique que l’enjeu est le corps des femmes. Des corps a dissimuler, idée présentée comme une liberté par les islamistes. Une dictature de la pensée unique qui bafoue tout ce que la femme peut @tre au-dela du désir qu’elle pourrait susciter. Les hommes seraient apparemment incapables de résister. Pour cette raison, il faudrait adapter toutes nos régles et nos lois : « Pour Pécole, on peut comprendre Vargument de ta laicité. Mais elle est moins concernée pour les piscines municipales. Le premier sujet, commun & Pécole et aux piscines, est la discrimination des femmes. La laicité vient en second. On doit y recourir avec justesse, quand c’est nécessaire. Le réglement intérieur des piscines doit étre laique pour étre neutre, pas les usagers. Le burqini est interdit pour des raisons d’hygiéne et de sécurité, mais il y a aussi la dimension sexiste et politique. [...] Pour les islamistes, le champ de bataille est le corps des femmes. [...] Leur voile n’a rien d voir avec le voile des religieuses catholiques. II n’est pas non plus une prescription coranique. Il a tout & voir avec ia sexualité. [...] Plus que la question de Ia laicité, il faut se poser la question du monde dans lequel nous voulons vivre, des rapports entre femmes et hommes. La laicité sert 4 nous protéger. Cette protection se fragilise quand on Ia brandit tort et d travers sur des sujets qui concernent d’abord I’égalité des sexes. » La religion et le féminisme ne font pas bon ménage Dans un communiqué de l'association Alliance, des slogans féministes ont &é repris : « Nos corps nous appartiennent, nous les couvrons ou les découvrons pour des raisons qui nous regardent. Nous dénoncons ces réglements qui entravent nos libertés et notre autonomie [...]. Nos corps de femmes sont des champs de bataille. » En faisant référence aussi 4 Rosa Parks sur les droits civiques. Selon Monique Dental, fondatrice du réseau féministe Ruptures en Mai 68, ces actions n’ont rien 4 voir avec la défense des droits des femmes : « Ce n’est pas une lutte féministe, mais une question de religion. Le féminisme refuse que les hommes s’approprient le corps des femmes. Quand ces femmes luttent, c’est réel, elles veulent porter fe burkini. Depuis les années 1990, on se référe a la conférence mondiale de Pékin ». Cette conférence d’une ampleur extraordinaire s’est tenue en Chine du 4 au 15 septembre 1995, sous l’égide de 1’ONU. Plus connue sous le nom de “Quatriéme conférence mondiale sur les femmes : lutte pour I’égalité, le développement et la paix”, elle a rassemblé plus de 189 pays, plus de 5 000 représentants, et 2 100 organisations non gouvernementales. Une prise de conscience qui se voulait globale et mondiale contre notamment la pauvreté, les discriminations et les violences faites aux femmes. « Le féminisme est progressiste, universaliste, laique, confirme Monique Dental, et englobe forcément Ia lutte écologique, comme Ia lutte contre le racisme. C’est approche du monde pour transformer la société, Et ce n’est pas possible si l’on inscrit une approche religieuse dans un cadre qui met les femmes en infériorité. Ces femmes qui veulent accéder aux piscines en burkini ne demandent pas |’égalité. Elles affichent une revendication religieuse ! » LIBERTE D’EXPRESSION EN SURSIS Catherine Kintzler, agrégée de philosophie, a beaucoup travaillé sur la question de la lai 4 travers différents ouvrages, dont le dernier, Penser Ia laicité, paru en 2014, Elle fait partie du comité Laicité et République. Elle apporte un éclairage sur un militantisme utilisé 4 mauvais escient : « Ga devient gros comme une maison. Le militantisme fait beaucoup de bruit, s’octroie le droit de parler des femmes musulmanes ou de culture musulmane. On n’est pas rivé & une religion, c’est une facon de voir les choses. La liberté veut dire que l’on accepte la régie commune. La piscine a été fermée donc elles interdisent aux autres d’y accéder. Les régles valent pour tous. Le principe de laicité ne va pas s’appliquer comme a ’école. [...} Il faudrait accepter le burkini et étre content. Et toutes les critiques deviennent une insulte. On devient raciste. On a le droit de dire tout le mal qu’on pense. [...] On a le droit de critiquer quelqu’un et une religion, et d’engager le débat critique, sans insulter. [...] Le schéma moralisateur est inquiétant. On respecte les personnes, les droits, mais pas les principes, les croyances, sinon il n’y a plus de liberté d’expression, on ne peut plus douter, il n’y aura plus de discours critique. [...] Ona le droit de croire et de ne pas croire. » Justement, la laicité permet de croire ou de ne pas croire. Pouriant, certaines femmes, pour éviter des représailles et des pressions des plus rigoristes, portent le voile. Ainsi, Catherine Kinwzler pose une question pleine de bon sens : « Que fait-on pour les filles qui ne veulent pas porter le voile ? Est-ce qu’elles sont protégées ? Si l’on appliquait vraiment ta laicité ! Mais, c’est un combat politique. » discriminante » Les services publics continuent de subir les affres d’une société qui s’oppose et qui se déchire sans jamais chercher 4 se comprendre. Dans un rapport parlementaire du 26 juin 2019 sur les services publics et la religion, le syndicat UNSA Rapt, arrivé en téte, parle « d’une laicité discriminante ». Contacté a plusieurs reprises, personne n’a souhaité répondre a nos sollicitations. La politique de |’autruche ! Pourtant, nous vouliors simplement comprendre ce qu’est «une laicité discriminante »... Catherine Kintzler explique en quoi une laicité ne peut pas étre discriminante : « Quand on parle de laicards, on attaque tous ceux qui sont favorables a la laicité. Ca n’a pas de sens ! Par exemple, Lettre aux escrocs de Pislamophobie qui font le jeu des racistes, de Charb, est salutaire, Il faut remettre les choses a I’endroit. Il ne s’agit pas d’exclure. Le déni des lois, c’est de la discrimination. La laicité ne s’applique pas dans toute la société civile, mais dans un service rattaché @ une institution publique. Si l’on accepte d’un agent du service public I'idée qu’il a ses propres lois, alors la discrimination entre un homme et une femme deviendra le... droit. C’est absurde. Si on admet ¢a, il y aura une dérive et le droit s’adaptera selon les principes de chacun. » Uhépital, la faille exploitée en défaveur de la laicité L/hépital n’est pas en reste. Dans le rapport parlementaire sur les services publics et la religion du 26 juin 2019, le directeur général de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) parle des services publics hospitaliers comme I’un des secteurs les plus touchés — avec l’administration pénitentiaire et I’Education nationale. Christophe Prudhomme, médecin urgentiste depuis trente-cing ans, porte-parole de ’Association des médecins urgentistes de France, parle d’un phénoméne qui touche surtout les étudiants en médecine. Les patients, eux, ont bien compris que les régles de |”hépital s’appliquent a tous : « On a plus de problémes de laicité avec des étudiantes en médecine converties ou sur le versant militant qu’avec des patients. Par exemple, certaines ne veulent pas quitter le voile quand elles arrivent dans les services. Avec les patients, le probléme se trouve plus dans le cadre de visites @ domicile. A Pappel du centre 15 quand on a une demande de médecin femme, on n’accéde pas 4 la demande. Au SAMU, on va aussi l’extérieur, les problémes de refus d’un médecin homme sont anecdotiques. Les gens qui voudraient se replier sur eux-mémes, vivre dans leur communauté, que dans leur communauté, ont fini par comprendre que nous n’allons pas accepter leurs demandes. Nous ne sommes pas un service @ la carte ! » Evoquant la vie a l’extérieur de ’hépital, Christophe Prudhomme explique qu’en réalité, les musulmans les plus stricts ont fini par contourner le probléme : « En marge des urgences, ils vont voir les médecins qui correspondent 4 leurs souhaits dans la vie de tous les jours. Et quand ils viennent aux urgences, ils savent bien qu’ils doivent faire des concessions. En vérité, ceux qui posent probléme sont des étudiants avec des bacs + 8, A Vuniversité, ils jouissent d’une totale liberté, Mais nous, en tant qu’hospitaliers, nous n’avons qu’une seule régle @ leur proposer : la laicité ! C’est d ces étudiants-la de s’adapter, pas au service hospitalier ! » Cet entre-deux, cette absence de consensus, fragilise et oblige les hospitaliers 4 faire face 4 des problémes liés a la laicité. Des affaires qui peuvent aller jusqu’ en justice. Du temps perdu. La tolérance de certains professews de médecine fragilise leurs collégues, et donc le systéme hospitalier. Faut-il attendre que les atteintes a la laicité se multiplient pour que les politiques s’emparent enfin de la question ? « Les professeurs de médecine sont bi-hospitaliers, c’est-d-dire qu’ils appartiennent au milieu universitaire et hospitalier, donc ils ont tendance @ étre trop tolérants. A Puniversité Paris XIII par exemple, il y a un vrai probléme de liberté, il existe des lieux universitaires ot: les islamistes sont trés présents et font pression sur les étudiants. On a eu récemment une affaire & V’hépital de Saint-Denis. On a refusé de prendre en stage un étudiant parce qu’il voulait conserver son habit traditionnel lors des interventions ! Il a eu le soutien des autorités universitaires, mais pas des autorités hospitaliéres. Il a porté plainte, l’affaire a été en justice et il a été débouté, Tant qu’il n’y aura pas d’unanimité entre le monde universitaire et Punivers hospitalier, nous serons confrontés 4 ce type de situations. » Les conséquences du chacun pour soi Mais, selon Christophe Prudhomme, le repli communautaire concerne toutes les religions. Pas seulement la religion musulmane. L’entre-soi gagne du terrain au détriment du vivre-ensemble. Finalement, c’est la société qui y perd : « Derriére, constate-t-il, il y a toute une machinerie militante religieuse musulmane. Le changement est clair, mais il n’est pas lié aux musulmans, c’est la méme chose avec les juifs, les catholiques. Dans les années 1980, on n’avait pas ces problémes-la. » La faute a qui ? La cible est toute trouvée pour Christophe Prudhomme : « Aux politiques, tout bétement parce qu’ils ne jouent plus leurs réles de régulateurs de la vie publique. Le systéme des petites phrases du genre “Tu n’as qu’é traverser Ia rue pour trouver du boulot”, c’est fini. Aujourd’hui, il faut que ta classe politique comprenne que nous sommes confrontés a un immense probiéme lié @ toutes les formes de communautarisme. Et que la laicité doit retrouver toute sa place au centre de I’hépital. » Comme elle avait autrefois sa place au centre de |’école et du village.

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