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ANNEXE issue de la rencontre entre le Noir et le Blanc dans l’Eglise consti- tue un métissage sonore qui préfigure un nouvel ordre social, et ce, avant méme que la guerre de Sécession ne le concrétise sur le plan constitutionnel. La troisiéme période se situe entre la fin de la guerre de Sécession (1865) et les premiers enregistrements (années 1920)! faits par des Noirs du uptown de la Nouvelle-Orléans. Parce que ces derniers ont retrouvé «leur liberté», certains seraient portés A croire que cette étape fut marquée par un essor d’éléments musicaux de souche africaine. Or, ce n'est pas du tout le cas, puisque la situation sociopolitique se retourne contre les Africains-Américains. Dans le sud des Etats-Unis, la réaction des sécessionnistes vaincus par les Nordistes est d’ourdir une ven- geance. En effet, 4 ce moment, la ségrégation clandestine se conerétise autour de la naissance du Ku Klux Klan? et des actions politiques de la droite américaine, qui iront jusqu’a met- tre en place des lois civiles racistes*. Ces lois ne seront contes- tées de maniére décisive qu’a partir de 1955 avec les campagnes de Martin Luther King. Il faut ajouter que durant cette période, grace a la complicité des nouveaux immigrés juifs et italiens, les oreilles «insouciantes» du grand public américain vont commen- cer a se familiariser avec la musique des Africains-Américains. Finalement, la dericre période (1925-1970) est celle ot vont s‘intensifier les messages identitaires et revendicateurs des Africains-Américains et, parallélement, les constructions 1,En 1923, King Oliver et ses musiciens furent les premiers ains-Américains enregistrer la musique de la Nouvelle-Orléans. 2. Le Ku Klux Klan a été fondé dans le Tennessee a l'hiver 186 1866 par six officiers de l'armée sudiste. Ces derniers s’opposaient aux politiques de reconstruction des Républicains nouvellement au pouvoir dans le Sud, qui accordaient désormais aux Noirs une place au sein de la société américaine. Le terme «Ku Klux Klan» vient du mot grec kuklos, qui veut dire cercle. 3. 1a Cour supréme des Etats-Unis approuve, entre autres, les éta- blissements publics séparés pour les Noirs Af 231 LE JAZZ VU DE L'INTERIEUR symboliques progressistes autour des différents métissages musi- caux afro-américains. Dans un contexte oii la droite maintient fermement sa politique ségrégationniste en colmatant toute forme de débat social sur la question raciale, on verra naitre plu- sieurs mouvements progressistes qui se manifesteront musica- lement, entre autres, par le style jungle, le swing, le be-bop, le hard bop et le free jazz, tous des styles porteurs d’idéologies marginales. On verra aussi naitre des mouvements sympathiques a la cause des Noirs ainsi que des mouvements contestataires de jeunes Blancs, manifestant leur opposition 4 Vordre établi par lentremise de styles musicaux afro-américains. VALIDATION ET CONVERGENCE DE L'INFORMATION Une des préoccupations fondamentales de cet essai est @éviter les projections ethnocentriques occasionnées par une perception occidentalisée de la construction sonore. Nous vou- lons nous rapprocher, de la maniére la plus objective possible, du sens donné a la musique d'une époque par ceux qui y sont directement liés. Les ethnomusicologues connaissent bien les réflexions de Simha Arom (1985) sur ses expériences de terrain avec les Banda, réflexions qui l'ont conduit a élaborer un pro- cessus de validation du matériel musical analysé et qui implique la notion de pertinence!, devenue le symbole du souci ethno- graphique dans linterprétation et l'analyse des musiques extra- occidentales. Ce processus de validation repose essentiellement sur une préoccupation intrinséque a l'ethnomusicologie : tenter de saisir ce que représente la musique pour les acteurs de Vespace culturel étudié. 1. Depuis lapparition de la notion de pertinence, I'éthique de Fethnomusicologue se tourne résolument vers la quéte du sens donné ala musique par ceux qui la font. II s'agit d'un cadre herméneutique ot Von recherche, dans l'interprétation des fragments musicaux recueillis, ce qui est pertinent pour la culture étudiée, 232 ANNEXE Nous proposons dans cet essai un élargissement du concept d’Arom, plus précisément une extension vers l'idéologie. En fait, nous nous posons les questions suivantes : qu’est-il pertinent de retenir pour mieux comprendre les significations implicites dans les différents métissages afro-américains? Quelles relations perti- nentes peut-on établir entre les idéaux des musiciens créateurs et leur musique? Dans cette approche, il est essentiel que les questions soient tournées non pas vers les auditeurs anachro- niques que nous sommes, mais vers ceux qui concoivent la mise en scéne sonore de leur vision sociale et historique. Pour ce faire, V'ethnomusicologue doit constamment se référer aux témoignages des intervenants de premiére ligne: les musiciens, les critiques, les producteurs, en fait tous les acteurs qui soutien- nent les différents croisements musicaux afro-américains des €poques concernées. Pour terminer, ajoutons que la pertinence des éléments idéologiques et esthétiques présentés dans cet ouvrage se vérifie par la convergence entre les différents propos des médiateurs! du jazz 1. Le concept de médiation, tel que développé dans La passion musicale de Hennion (1993), resitue la pratique musicale en tenant compte des intermédiaires qui la soutiennent. Assurément, le concept s‘applique dans cet e: ans les propriétaires de clubs, les produc teurs de disques ou les journalistes culturels, en fait sans tous les inter- venants qui sont directement ou indirectement liés 4 sa pratique, de la production a la diffusion jusqu’a la réception du public, le jazz ne peut se tenir, car il n’existe pas par lui-méme. I fait partie d'un systéme glo- bal de négociations et d'activités orientées par des agents fonctionnels. NOTICES BIOGRAPHIQUES ROSETTA THARPE (1915-1973) Chanteuse de gospel, auteure-compositrice et musicienne, soeur Rosetta Tharpe a créé son style en s‘inspirant du R&B tout en conservant des paroles liées a l’évangile, et ce, non sans créer quelques remous dans les milieux conservateurs. Elle commence a chanter vers l’ge de 4 ans et devient la premiére 4 enregistrer de la musique gospel en 1938 avec Vappui d'une importante maison de disques (Decca Records), Durant cette période, elle donne des concerts au Cotton Club et au Café Society avec Cab Calloway et Benny Goodman. Elle collabore aussi avec des musiciens de R&B tels que Muddy Waters, Otis Spann, Sonny Terry et Brownie McGhee. Elle décéde dune crise cardiaque en 1973, mais son ceuvre reste bien vivante, grace entre autres, 4 Elvis Presley, Jerry Lee Lewis et Aretha Franklin. BE: SIE SMITH (1894-1937) Sumommée «l'impératrice du blues», Bessie Smith a été la plus grande chanteuse de blues des années 1920 aux Etats-Unis. Née au Tennessee, elle fait ses débuts en chantant dans les rues a Tage de huit ans et se joint 4 une troupe ambulante a Vadolescence, od elle rencontre Ma Rayney, son mentor, qui lui apprendra les rudiments du métier. Elle enregistre une premiére piece avec Ja maison Columbia en 1923: »Dowhearted Blues », 235 LE JAZZ VU DE LINTERIEUR qui se vend 4 plus de 750 000 exemplaires. Pendant les années 1920, elle enregistrera avec les plus grands noms du blues, dont Benny Goodman et Louis Armstrong. Son style, qualifié de cru et parfois de violent, réussira 4 rallier tant les publics noirs que blancs. Elle décéde a l’ége de 42 ans dans un accident de voiture. ROBERT JOHNSON (1911-1938) Bien qu'il n’ait effectué que deux séances d’enregistrement dans toute sa carriére, ce musicien est devenu une pure légende du blues américain. Née dans le delta du Mississippi, sa musique a été marquée par deux autres représentants du style delta blues, Charlie Patton et Son House. On raconte a son sujet qu’il aurait rencontré le diable 4 un carrefour et que ce dernier lui aurait accordé sa guitare, lui insufflant ce jour-la un immense talent. Johnson nourrira lui-méme cette légende avec les piéces «Cross Road Blues» et «Me and the Devil». En 1962, plusieurs années aprés sa mort, Columbia lance une compilation de ses pieces. V’album «King of the Delta Blues Singers» deviendra un grand classique du blues et le 27° des 500 plus grands albums de tous les temps d’aprés le magazine Rolling Stone. La musique de Robert Johnson a inspiré de nombreux musiciens des années 1970 comme Eric Clapton (Cream), qui lui rend hommage dans «Crossroads», les Rolling Stones dans «Love in Vain» et Jimmy Page (Led Zeppelin) dans «The Lemon Song». LEADBELLY (1885-1949) Figure iconique du folk et du blues américain, Lead Belly, né Huddie William Ledbetter, frappera limaginaire des gens par son passé trouble, et surtout par son talent et son style bien particulier 4 la guitare 12 cordes. Né sur une plantation typique de la Louisiane, il fera plusieurs séjours en prison notamment pour une accusation de meurtre. Derriére les barreaux, il divertit les gardiens et les prisonniers en interprétant des p' du 236 NOTIC BIOGRAPHIQUES folklore américain et des compositions de son cru. II est décou- vert dans les années 1930 par un musicologue et son fils, John et Alan Lomax, qui enregistreront des centaines de morceaux pour le compte de la Bibliothéque du Congrés, et ce, directe- ment de la prison. Son impressionnant répertoire, qu'il chantait d'une voix rude et puissante, sera plus tard repris par de nom- breux artistes, dont Van Morrison («Good Night, Irene»), Woodie Guthrie, Bob Dylan et Creedence Clearwater Revival («Cotton Fields»). II sera intronisé au Rock & Roll Hall of Fame en 1988. MUDDY WATERS (1915-1983) Pionnier du R&B, Muddy Waters, tout comme Leadbelly, a été enregistré par Alan Lomax, un ethnomusicologue passionné qui sillonnait le territoire américain pour retracer le parcours du blues profond. En 1943, Waters quitte définitivement le Sud pour Chicago, of il se produit dans les boites de danse des milieux afro-américains pauvres. Il se procure une premiere guitare électrique qui deviendra son instrument de prédilection et fera de lui le pére du blues électrique de Chicago, un style cru, ut sant une sonorité lourde et dont la base se fonde sur une rémi- niscence du blues du delta. En 1947, le iste de Billboard, Jerry Wexler, baptise cette musique «rhythm and blues ». 'appel- lation, devenue «R&B contemporain», embrasse aujourd'hui plusieurs styles afro-américains, dont le soul, le hip-hop et le funk. En 1958, Muddy Waters part en tournée en Angleterre, ott il fera connaitre son blues électrique aux jeunes musiciens bri- tanniques. Son style marquera les groupes Led Zeppelin, Cream et les Rolling Stones, qui ont justement choisi leur nom d’aprés la composition de Waters « Rollin’ Stone», enregistrée chez Che: Records en 1948. 237 LE JAZZ VU DE LINTERIEUR B.B. KING (1925-...) Elevé dans une plantation du Mississippi, B.B. King a appris la musique dans une église du Sud des Ftats-Unis. Incontesta- blement un des plus grands musiciens de blues reconnu a tra~ vers le monde, il a introduit une maniére bien a lui de jouer la guitare. Son style particulier donne impression que sa guitare, quiil avait baptisée Lucille, prend vie en nous parlant person- nellement. De nombreux guitaristes de rock, dont Jimmy Page et Eric Clapton, s‘inspireront de sa technique appuyée sur le vibrato et le portamento (corde tirée), évoquant les jeux de cordes glissées du bottleneck utilisé dans le delta du Mississippi. Dans les années 1950, il enregistre une série de succés dont «Three O'Clock Blues» qui sera son premier grand succés aux Etats-Unis et en fera rapidement une vedette de R&B. En 1969, il fait la premiere partie d'un spectacle des Rolling Stones, ce qui Faménera a rejoindre la génération hippie. Il a regu de nom- breux prix et doctorats honorifiques au long de sa car etil a été intronisé au Rock & Roll Hall of Fame en 1987. A lige de 85 ans, il continue toujours a faire vibrer les foules, partout dans le monde BILL HALEY (1925-1981) Aprés que le disc-jockey Alan Freed a remplacé appellation «thythm and blues» par «rock and roll» pour contourner le malaise lié a la marque identitaire noire, Bill Haley est reconnu comme I'un des premiers musiciens blancs de rock and roll. En 1955, pour avoir été entendue dans le film Blackboard Jungle, la piéce «Rock Around the Clock» se hisse a la téte du palmarés pendant huit semaines consécutives pour finalement devenir Tembléme du genre. En sortant le style de sa marginalit ouvre tout grand la porte a Elvis Presley qui, comme on le dominera tous les prétendants au titre de roi du rock. La piéce «Rock Around the Clock» est en fait un 12-bar blues joué de 238 NOTICES BIOGRAPHIQUES maniére rapide et dont la sonorité s'inspire largement des riffs du blues électrique créé par les Noirs des ghettos des grandes villes américaines du Nord. Eclipsés par Presley, Haley et ses co- métes demeureront tout de méme au firmament des étoiles, car au mois de février 2006, Union astronomique internationale donnait son nom (79896 Billhaley) 4 un astéroide pour remé- morer le 25° anniversaire de sa mort, ELVIS PRESLEY (1935-1977) Né en 1935 dans un milieu pauvre du Mississippi, il n’est pas étonnant que le jeune Presley écoute des musiques noires. Le blues et le gospel nourrissent son imaginaire dés ses tout débuts. Durant les années 1940, le R&B se répand dans les radios du Sud, et les studios Sun Records, @ Memphis, sont préts a ac- cueillir le premier Blanc qui chante et danse comme les Noirs. En 1954, l’enregistrement d'une piéce R&B de Crudup devient son premier grand succés. Par la suite, malgré les réactions des conservateurs inquiets des déhanchements de «Pelvis», il ne cessera accroitre sa célébrité qui, bien encadrée par son gé- rant, le colonel Parker, le ménera 4 Hollywood. Plusieurs disent qu'il y aurait perdu son me de musicien pour finir intoxiqué par des rdles insignifiants. En 1977, aprés plusieurs tentatives de réa- nimation, il meurt d’une crise d’arythmie. L’héritage de Presley est gigantesque. Des Beatles aux musiciens de la génération hip- pie, plusieurs artistes se réclament du King. STEVIE WONDER (1950-....) Aveugle de naissance, Stevie Wonder s'intéresse 4 la musi- que 4 un trés jeune Age en participant notamment a la chorale de son église. Enfant, son talent impressionne déja et il ne passe pas inapercu lorsque son frére et sa mére l'aménent chez Motown Records en 1961. Agé de 11 ans, il signe un contrat avec la célébre maison de disques qui sortira la méme année sa 239 LE JAZZ VU DE LINTERIEUR premiére piéce, «I Call It Pretty Music, But the Old People Call It the Blues», sous le nom de Little Stevie Wonder. Ce sera le dé- but d'une carriére phénoménale qui fera de lui une immense vedette. Au début des années 1970, il produit deux albums indépendants. Non sans quelques heurts, sa maison de disques finit par lui accorder l'entiére liberté artistique ainsi que les droits sur ses propres piéces, du jamais vu a cette époque. Il remporte plus de vingt Grammy Awards aux Etats-Unis et exerce une influence majeure sur l'ensemble de la musique populaire. De nombreux artistes se réclament de lui dont Stevie Ray Vaughan, George Michael, Mariah Carey et Whitney Houston, pour ne nommer que ceux-ci. Trés engagé dans la cause des droits civiques, il a pris part 4 la campagne présidentielle de Barack Obama en 2008. JAMES BROWN (1933-2006) Musicien, danseur et producteur prolifique, James Brown sera l'une des figures les plus importantes de la musique popu- laire américaine. Issu d'une famille trés pauvre de la Caroline du Sud, le petit James Brown se doit d’effectuer toutes sortes de travaux pour aider sa famille, dont participer 4 des concours de chant ou danser pour quelques sous. Il prend ainsi goat a la musique et décide trés jeune qu’il veut évoluer dans le monde du spectacle. Il connait son premier grand succés en 1958 avec la piéce R&B «Try Me» sous le nom de James Brown and The Famous Flames. Puis, a la suite d'un refus de sa maison de disques, il paie avec son groupe 'enregistrement de l'album Live at the Apollo qui le fera connaitre sur tout le territoire américain. Son style musical, emprunt de R&B, de soul et de gospel, évo- luera vers une sonorité nouvelle baptisée «funk», un terme lié aux odeurs corporelles, par autodérision des Africains- Américains. Particuliérement interpelé par la cause des droits civiques, Brown clamera tout haut la fierté noire avec «Say It Loud — I'm Black and I'm Proud» qui en deviendra un symbole. 240 NOTICES BIOGRAPHIQUES Il aura une carriére bien remplie jusqu’A sa mort en 2006 et il sera méme surnommé «I’homme le plus travaillant du show business ». JIMI HENDRIX (1942-1970) Malgré une courte carriére musicale d'une durée de quatre ans, Jimi Hendrix est généralement présenté comme le plus grand guitariste électrique de tous les temps. Américain d'ori- gine, il démarre sa carriére de musicien en Angleterre en 1966. Son groupe, The Jimi Hendrix Experience, se produit alors dans des boites de nuit de Londres, of il est aussit6t remarqué par Johnny Halliday qui lui offre de faire sa premiére partie. En 1967, il compose «Purple Haze», une de ses piéces les plus connues. La méme année, le premier album du groupe, Are You Experienced, devient rapidement un disque culte dans le monde du rock. Les deux prestations les plus significatives de Jimi Hendrix furent, d'abord, celle qui allait le propulser au rang de vedette aux Etats-Unis, au Monterrey International Pop Festival, en 1967, puis en 1969, 4 Woodstock, lorsqu'il interpréta 'hymne national américain en y incorporant des sons de missiles évoquant la guerre du Vietnam. Le style de Jimi Hendrix porte la marque du blues de B.B. King et de Muddy Waters, mais ses effets de pédale révolutionneront la maniére de jouer la guitare électrique. Des musiciens de tous les styles s’en sont directement inspirés, dont Eric Clapton et Miles Davis. Jimi Hendrix décéde dune surdose, au sommet de la gloire, en 1970. La revue Rolling Stone le nommera plus tard le plus grand guitariste de tous les temps. JANIS JOPLIN (1943-1970) Née dans une petite ville du Texas, Janis Joplin s'intéresse toute jeune a la musique et chante dans la chorale de son église locale en s'imprégnant du blues de Leadbelly et de Bessie Smith 241 LE JAZZ VU DE LINTERIEUR pour qui elle a une grande admiration. Marquée par la culture beat de Burroughs, Ginsberg et Kerouac, elle s'inscrit rapide- ment dans le mouvement de la contre-culture américaine. En 1966, elle est repérée par les membres du groupe rock psyché- délique Big Brother and the Holding Company qui jouit dune certaine renommée dans la communauté hippie. Avec sa voix rauque et sa fougue sur scéne, elle se démarque rapidement et on la considére comme une des figures les plus prometteuses du mouvement rock américain. Elle quitte le groupe en 1968 pour se produire en solo avec de nouveaux musiciens de R&B et, en 1969, elle monte sur la célébre scéne du festival Woodstock. Cest avec le Full Tilt Boogie Band qu'elle enregistre son dernier album en 1970: Pearl. Comprenant la populaire reprise de la piéce «Me and Bobby McGee», ce sera celui qui aura le plus grand succés de toute sa carriére, mais Janis décéde d'une sur- dose le 4 octobre 1970, avant méme sa sortie. Rare femme dans le monde masculin du rock and roll, elle sera reconnue au Rock & Roll Hall of Fame en 1995. SCOTT JOPLIN (1867-1917) Scott Joplin vient au monde dans une famille de musiciens. Son pére joue du violon, sa mére du banjo tandis que ses fréres et sccurs chantent dans des chorales et jouent de la trompette et de la guitare. Il a sans doute découvert le piano grace a sa mére qui travaillait comme femme de chambre pour une famille blan- che. Au début du siécle, le piano était un signe de standing social qui représentait un idéal culturel A une époque oi les mouvements identitaires renvoyant 4 la musique noire étaient inimaginables dans la situation sociopolitique américaine. Néan- moins, Joplin arrive A concevoir une synthése entre la musique folklorique rurale et Vidéal pianistique urbain: des réductions pour piano de pieces de compositeurs européens tels Men- delssohn et Mozart. Liajout 4 ces interprétations d’une syncope @origine africaine donne naissance a un nouyeau style musical : 242 NOTICES BIOGRAPHIQUES le ragtime, dont le corollaire dansant est le cake-walk. Il com- pose la piéce «Maple Leaf Rag» en 1899 qui deviendra Pun des plus grands succés du genre. Quelques années avant sa mort, Joplin crée Fopéra Tremonisha, qui représente bien sa vision diintégration de la musique noire a la culture américaine. I] souhaitait ardemment que ses fréres de couleur aient accés a la forme la plus élevée d’éducation, «la clé de l'avenir de tous les Américains», pense-t-il. Scott Joplin a légué a Amérique cette sonorité des années 1900 qui est a la base méme des premiers jazz improvisés. JAMES P. JOHNSON (1894-1955) Considéré comme le pére du piano stride ou Harlem stride, James Price Johnson évolue dans les boites de nuit de Harlem l’époque of la Renaissance de Harlem donne le ton a toutes les manifestations artistiques afro-américaines. L’élan de fierté en- gendré par une élite noire combattant la ségrégation par sa pro- duction culturelle inspire alors les musiciens de Pépoque et les incite 4 mieux assumer leur créativité. Johnson entreprend sa carriére en accompagnant Bessie Smith et Ethel Waters, des chanteuses de blues classique trés populaires auprés des Africains-Américains immigrés 4 New York. composition «Charleston», enregistrée en 1920, est l'une des pieces les plus jouées 4 l'époque et contribue largement a la popularité de cette danse. En 1921, il crée «Carolina Shout», considérée comme la premiére piéce de jazz pour piano seul. Johnson aura une grande influence sur son éléve Fats Waller, mais aussi sur les pianistes new-yorkais Duke Ellington et Thelonious Monk. II assurera la transition du ragtime vers un jeu pianistique davan- riffs dont s‘inspireront les tage marqué par l'improvisation et les geénérations futures de pianistes. 243, LE JAZZ VU DE LINTERIEUR LOUIS ARMSTRONG (1901-1971) Louis Armstrong est né dans une famille pauvre des quartiers chauds de Perdido oi il a pu entendre le blues souvent joué dans les bordels de ce secteur de la Nouvelle-Orléans. C'est dans un foyer pour enfants délinquants (Home for Colored Waifs), o0 il séjournera longtemps en raison d'un délit mineur, qu’Armstrong découvre la trompette. Il devient rapidement un musicien brillant et est remarqué par le célébre Joe (King) Oliver qui, ayant obtenu un important contrat 4 Chicago, Vinvite a join- dre son groupe, le Creole Jazz Band. Sous la pression de son épouse Lil Hardin Armstrong, qui voyait en lui un artiste 4 part entiére, Armstrong déménage a New York pour relancer sa carriére. Jouant d'abord avec lor- chestre de Fletcher Henderson, il enregistre sous son nom avec les Hot Five et les Hot Seven. «West end blues», une composi- tion de King Oliver reprise avec les Hot Five, devient un modéle improvisation grace a son introduction donnant toute la place a la trompette. Son talent de chanteur le conduira a Hollywood qui entretiendra une image stéréotypée du Noir, image que contesteront les musiciens du be-bop. L’héritage musical d’Armstrong est fondamental dans Vhistoire du jazz. Le célébre trompettiste est en effet considéré comme le pére incontesté du jazz: de nombreux trompettistes l'appellent affectueusement «pops. JELLY ROLL MORTON (1885 OU 1890-1941) Drorigine créole, Jelly Roll Morton est né dans le quartier chaud de Storyville, 4 la Nouvelle-Orléans, ot il commence sa carriére en jouant du ragtime dans les maisons closes. Grand voyageur et personnage excentrique aux aventures hollywoo- diennes, Morton aime le billard, 'argent, les bijoux, les femmes et les beaux vétements, et ce, de maniére excessive, faisant de lui une sorte de légende qui inspirera le roman Novecento 244 NOTICES BIOGRAPHIQUES d’Alessandro Barrico, adapté par la suite au cinéma (La légende du pianiste sur Vocéan). Son groupe, les Red Hot Peppers, enre- gistre 4 Chicago en 1926-1927 les meilleures pistes de « Hot Style». En 1938, il accorde une série d’entrevues 4 l’ethno- musicologue Alan Lomax, publiées en 1950 sous le titre Misters Jelly Roll. Il enregistre aussi une série de 78 tours pour le compte de la Bibliotheque du Congrés, léguant ainsi une des premiéres biographies sonores. Cette collection a dailleurs obtenu deux Grammy Awards. Ses derniers enregistrements ont été faits en 1939 avec le célébre clarinettiste créole, Sydney Bechet. Prétendant étre linventeur du jazz, Morton aura a tout le moins dégagé le ragtime de sa rectitude, comme I’ont fait les pianistes de stride, ouvrant lui aussi la voie A un jeu pianistique plus souple et improvisé qui a conduit au swing. FLETCHER HENDERSON (1898-1952) Pianiste, chef d'orchestre et arrangeur, Fletcher Henderson est l'un des premiers architectes du style swing. Faisant partie de Vélite noire de Harlem et parfait modéle du «new negro!» avec son dipl6me de l'Université d’Atlanta, Henderson partageait avec Ellington le haut du pavé des grands orchestres new-yorkais durant les années 1920. Malgré ses études, il n’arrive pas a dénicher un emploi dans son domaine, le marché étant encore difficilement accessible aux Africains-Américains. Cela l'améne a se consacrer enti@rement a la musique. Sa composition «The Stampede » est un véritable archétype de arrangement big band qui donnera ses lettres de noblesse au swing & venir. De nombreux et célébres musiciens joueront dans son orchestre, dont Louis Armstrong, Coleman Hawkins, Joe Smith et Roy Eldridge. Henderson est prisé pour la qualité de ses arrange- ments musicaux et contribue 4 la sonorité du big band de Benny 1. Voir chapitre 5 «Le jazz balance entre lexotisme et l'identité noire « 245,

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