You are on page 1of 205




    

 

   
 

 
   
     
  
 

   

 
!


"

!

  

# $ $ %  & 
$   
 
      

 

   
  '  
   # 
  

 

  
( 
  
   
   #  ##
 
     ) 
 
 

   
 
  
  
       # 
  

&
#

 ##

 * 
&



  
 
 $  ##
 
  $
  
$  $ 
      
  
 
    
 '        
 &   $


&
&
(




+
 

 

 
%
&
  , 
   
&

#
 
 & 

 
 
   

 

-
 #
 &  #


 



 .
 
/0
$ 
 /

   

 



 

    
 
 


 

 



 
 

 

 



 
 




 
 
    

 
     
 
  

  
           
                

 
     !  
  
"        #      $  !%
 !      &  $   '     
'    ($     '   # %  %
)   %*   %'   $  ' 
   +  " %    &
 '  !  #     
    $, 
 ( $



    - .           /   
         0       
 
.   - . .     01    !
  
2   -        .          
   - %  - . .   %   - 
 -  . .     .    
 /1     - %   
 %    %     3%      %  % 4 
-1  . 
5  6    
  
5-
  4 .     01.  .    
  -   - . .   4 .  - -

7  $$$   

8 9
:    .
   -. .
;& )*<7 +)
* != !& >!?%>>@A@&  %  " 
9 
B ! 

*   &


  6 


7C 1 DAE@F;& )*<7 +)


"G   2  . . &  AE@F
1

TABLE DE MATIERES

INTRODUCTION 3

PREMIERE PARTIE
Evolution d’une idéologie dans l’histoire moderne 9
Identité, altérité et valorisation 25

Exotisme et stéréotypes 41

Apports des enquêtes sociologiques 51

L’attrait du bouddhisme : différents modèles explicatifs 58

Formes contemporaines du croire 80

DEUXIEME PARTIE
Analyse des représentations 96
La traduction et l’interculturel 99

Le « succès » de certaines idées 116

Rhétoriques : la construction symbolique de la réalité 122

Contexte socioculturel des discours 131

TROISIEME PARTIE
L’analyse des médias 134

La presse 135
Internet 147

D’autres matériaux d’appui 161

CONCLUSION GENERALE 177

BIBLIOGRAPHIE 183
2
3

BRANCHE(E)S SUR LA DIVERSITE CULTURELLE

INTRODUCTION

Dans le contexte de l’intensification et la mondialisation des flux


d’information qui ont lieu entre groupes sociaux déjà multiculturels,
nous considérons que les études sur les relations interethniques
doivent prendre en compte les effets de ces flux d’information sur les
représentations de l’altérité.
Dans cette problématique, nous nous interrogeons sur la forme et
la diffusion des représentations publiques qui peuvent contribuer à
créer une image valorisée d’un Autre « ethnique », et plus
particulièrement, une image spirituelle de l’Orient. Nous allons étudier
le cas des représentations de la culture tibétaine en France, en
particulier du bouddhisme tibétain, mais il faut insister, d’ores et déjà,
sur le fait que l’idéalisation de l’altérité au travers d’une certaine
spiritualisation de sa culture, constitue un fait social dont nous
pouvons trouver maints exemples dans notre modernité tardive.
Cette étude constitue donc une contribution à la compréhension d’un
phénomène plus large caractérisé par la valorisation de certaines
formes d’altérité culturelle (nommées, de plus en plus fréquemment,
sous le terme de « diversité »), une valorisation qui se présente, par
ailleurs, comme le contraire des tendances racistes qui ont peuplé
l’histoire de l’Occident.
Face à ces tendances historiques de rejet de l’Autre culturel, il est
important de comprendre également pourquoi et comment elles
semblent avoir changé, de sorte que les individus en Europe
4

s’intéressent et valorisent une culture étrangère et lointaine comme la


culture tibétaine. En considérant qu’il s’agit d’un phénomène collectif,
il est question de trouver les sources d’information qui touchent un
secteur de la population et qui peuvent être à l’origine de cette
valorisation récente. C’est ainsi que nous proposons, à la fin de ce
texte, un échantillon des représentations publiques qui circulent dans
les médias francophones sur cette culture orientale.
Ces flux d’informations à travers les médias constituent un facteur
prépondérant dans ce phénomène, dans la mesure les enquêtes
sociologiques ont démontré que le contact personnel entre les
Occidentaux et les tibétains est tout-à-fait négligeable. En revanche,
nous avons constaté une consommation très importante
d’informations sur le Tibet et sa religion prédominante, le
bouddhisme. Ces informations nous viennent notamment sous la
forme de discours (à l’oral et à l’écrit) et d’images, ce que nous
analyserons dans cette enquête, en privilégiant les textes qui ont été
écrits à ce propos dans le monde occidental.
C’est donc à partir de ces discours et, d’une manière plus
générale, de ces représentations publiques, que la population
française construit un imaginaire sur l’altérité. Pourtant, ces
représentations populaires de la culture et de la religion des autres,
sont souvent considérées comme des déformations par un bon
nombre de chercheurs, raison pour laquelle il existe peu d’études sur
ce sujet. Or, c’est là une grave erreur, car ces représentations
constituent en vérité un facteur déterminant de la réussite ou l’échec
des rencontres interethniques : elles sont au fondement et du mépris
et de l’idéalisation des autres cultures en Occident. Loin d’être
rejetées en tant que « déformations » ou de les étudier dans le seul
5

but de les dénoncer, nous les considérons comme un véritable objet


de recherche, un élément constitutif de l’interculturalité.
Il faut rappeler, d’ailleurs, que tous les imaginaires des cultures et
des religions sont nés de ces « déformations », c’est-à-dire, de ces
nouvelles versions créées à partir d’un héritage du passé et à partir
des échanges. Toutes les cultures ont été construites à partir de ces
réinterprétations et transformations. De même, toutes les croyances
sont constamment en cours de métissage. Les nouvelles
interprétations ne sont pas moins légitimes que les anciennes, à
moins que l’on veuille garder des cultures figées dans leur passé
(comme des pièces dans un musée pour la contemplation et
l’investigation) ou isolées des autres pour empêcher toute
« contamination ». Considérer un ensemble de représentations
comme des « déformations » constitue un jugement d’ordre moral qui
ne fait pas partie de nos objectifs en tant que chercheurs. « Il n’y a
pas de ‘vrai’ bouddhisme, si ce n’est celui prôné par chaque groupe
humain qui le pratique : l’argument de l’authenticité renvoie à celui du
‘génie’ d’une culture, d’une religion, d’une Nation » (Obadia, 1999, p.
35).
Dans la mesure où il s’agit de comprendre les flux des
représentations publiques qui contribuent à la construction des
imaginaires sur la culture tibétaine –« spirituelle » et « ancestrale »–
l’étude des moyens de communication s’avère un outil important. Il
est important pour nous que ces sources d’information aient une
large diffusion, puisque notre but est de comprendre le point de vue
du lecteur non-spécialiste. C’est ainsi que la brève étude empirique
présentée en troisième partie de ce texto se concentre sur la presse
écrite non spécialisée (notamment des journaux et des magazines) et
l’Internet.
6

Le Web, en particulier, nous permet de comprendre la façon dont


les sujets sont reliés –selon des critères qui doivent être déchiffrées–
les uns aux autres dans l’espace des représentations publiques, en
recréant des catégories qui font partie d’une certaine mentalité. Le
Web est un océan de données à l’intérieur duquel l’information est
peu hiérarchisée, extrêmement diverse. Face à cet océan, le
consommateur « navigue » d’un site à l’autre, en ayant une sensation
de liberté, d’accès global, d’absence de frontières (nationales,
religieuses, etc.), tout en se permettant d’appartenir à des
communautés virtuelles de différentes sortes. L’Internet est l’espace
où l’individu consommateur d’information croit pouvoir voyager,
s’enrichir et avoir accès à un ailleurs idéalisé. Enfin, le Web incarne
ce besoin actuel d’être « branché sur le monde » et « en contact ».
Par une approche de type phénoménologique (cf. Berger et
Luckmann, 1996), le chercheur doit s’efforcer de se mettre à la place
de l‘individu consommateur de représentations publiques
susceptibles de construire en lui une image positive du bouddhisme
tibétain. Le processus de cette construction est composé d’une série
d’étapes qui s’enchaînent dans une sorte d’itinéraire que nous, en
tant que chercheur, avons voulu suivre.
Comme il est expliqué dans la deuxième partie de ce texte, notre
analyse aboutit sur une reconstruction des schémas conceptuels
partagés par la population en France à propos de la culture tibétaine
et son bouddhisme. Pourtant, cet aboutissement n’est possible que
grâce à une compréhension globale du milieu culturel et des
pratiques sociales de la population concernée. Ainsi, l’analyse des
représentations doit être complétée par des observations
ethnographiques
7

Par ailleurs, il est important de clarifier que cette étude ne porte


pas sur le sujet traditionnel des changements sociaux et culturels
subis par le groupe minoritaire immigrant, comme il serait le cas
d’une enquête sur les bouddhistes tibétains en France. Au
contraire, nous nous intéressons aux Occidentaux et aux
représentations publiques qui circulent dans l’espace culturel français
contemporain à propos de la culture tibétaine et son bouddhisme.
Ces représentations ne sont pas le résultat d’une interaction sociale
entre deux groupes (les Français et les Tibétains), suite à la
migration massive de l’un d’entre eux, où la population d’accueil se
verrait en quelque sorte obligée d’entrer en contact avec le groupe
social étranger.
Nous partons du constat que bon nombre de Français possède
une image valorisée de ce qui est considéré comme « la culture
tibétaine ». Cette valorisation se manifeste par une sorte de
sympathie ou envie d’« en savoir plus ». En effet, le phénomène
d’engouement pour le bouddhisme tibétain se matérialise par
l’augmentation d’un type de consommation culturelle et,
éventuellement, par un contact ponctuel et sporadique avec des
personnes d’origine étrangère. En même temps, nous témoignons
d’une médiatisation remarquable d’éléments liés symboliquement au
bouddhisme tibétain.
Selon Frédéric Lenoir, « il y a indéniablement une très forte
croissance du nombre de gens qui se sentent proches du
bouddhisme tibétain et zen. En 1994, à la question ‘de quelle religion
vous sentez-vous le plus proche ?’, 2 millions de Français
répondaient le bouddhisme. En 1999, ils étaient 5 millions. Mais cette
catégorie des sympathisants est floue. Elle va de l'individu qui va
faire un stage de méditation d'une semaine à celui qui va acheter un
8

livre, en passant par celui qui va s'intéresser ponctuellement au


bouddhisme, à l'occasion de la visite du dalaï-lama » (Lenoir, 2003,
p. 32). Quelles sont donc les facteurs qui interviennent dans un
changement si remarquable et, qui plus est, en contradiction avec les
tendances du passé où l’Autre culturel a été considéré comme
inférieur ou méprisable ? L’hypothèse que nous proposons ici porte
sur l’importance des changements culturels en Occident, où les
médias jouent un rôle prépondérant. Cette hypothèse est justifiée
dans la mesure où –comme nous l’avons dit– l’immigration tibétaine
n’a pas grandie proportionnellement à l’intérêt des Occidentaux pour
cette culture asiatique. En outre, nous vivons dans une culture
médiatique ; il s’en suit que l’altérité culturelle soit également un
produit médiatique. Et un des plus porteurs, comme nous le verrons !
9

PREMIERE PARTIE

EVOLUTION D’UNE IDEOLOGIE DANS L’HISTOIRE MODERNE

Pour comprendre la construction des représentations et


imaginaires au fil du temps et sur une longue durée, nous pourrions
aborder une étude historique. Pourtant ce type d’explication n’est pas
l’objet principal ici, de sorte que nous ne prétendons pas donner
d’explications exhaustives concernant les facteurs socio-historiques
qui seraient à l’origine de ces représentations. Ceci dit, nous
reconnaissons les contributions historiques dans la mesure où elles
peuvent donner des pistes quant aux processus de formation des
imaginaires et donner une vision plus claire et étendue de la
complexité du phénomène qui nous occupe à présent. A travers des
exemples historiques, nous pouvons voir comment les imaginaires
sont façonnés autour de certains concepts, et que ces concepts sont
le résultat d’un contexte culturel particulier, de la même façon que les
imaginaires (et peut-être la connaissance savante aussi)
d’aujourd’hui s’articulent et se soutiennent grâce à des concepts qui
nous viennent du passé.
L’histoire des représentations du Tibet en France est intimement
liée à l’histoire des représentations de l’Orient en Occident, des
représentations qui ont vu le jour dans le contexte des explorations,
des conquêtes et de la Modernité toujours en contact avec l’altérité.
Pourtant, comme le montre Lopez (2003), l’idée romantique pro-
tibétaine d’une sorte de paradis peuplé par des gens adonnés à la
spiritualité n’est nullement la réalité d’une société avec une
10

aristocratie attachée à ses privilèges, des monastères qui bloquaient


les réformes pour conserver leur pouvoir, des complots et des
intrigues politiques, etc. Depuis les premières rencontres avec les
missionnaires catholiques et les explorateurs vénitiens, les
Occidentaux ont transféré leurs fantasmes et leurs rêves sur le Tibet,
et l’échec des pouvoirs occidentaux à le dominer n’a fait que nourrir
ces fantasmes. Bon nombre de Tibétains de la diaspora ont redéfini
leur propre identité selon ces images, quoique certains s’y soient
opposés. Pourtant, durant les deux derniers siècles, l’image a
beaucoup varié. Sa religion a été considérée tantôt comme la forme
la plus pervertie du bouddhisme, tantôt comme l’héritier le plus direct
du Bouddha. L’image d’un peuple traditionnel, non contaminé par la
modernité, caractéristiques considérées aujourd’hui comme un atout,
étaient pour certains un argument pour les considérer arriérés, vivant
dans l’obscurité du Moyen Age.
Les réinterprétations des religions orientales ont été très variées
dès le début des rencontres. Une source d’exemples ce sont les
documents des jésuites missionnaires dans les territoires de ce qui
est aujourd’hui la Chine et le Tibet. A propos des pratiques
religieuses, ils écrivaient : « Nous croyons que l’on fait des offrandes
aux ancêtres défunts dans le seul but de leur témoigner nos
sentiments d’amour et de regret, et non pas, selon le sens des livres
chinois, ou des lettres, pour les prier de nous protéger (…)
Pareillement, la Tablette érigée en l’honneur des ancêtres et des
proches est faite, non pour que leurs âmes y prennent résidence ;
mais seulement pour les représenter, comme s’ils étaient là » (cité
par Li, 2001, 218-19). Ainsi, les jésuites français étaient
généralement tolérants envers ces deux rites confucianistes, par le
biais de leur interprétation en tant que « rites civils ». Les
11

missionnaires déclarent donc que ces pratiques n’ont aucune


signification religieuse. Ainsi, on voie comment les Occidentaux, en
projetant leurs propres interprétations des pratiques orientales, en
attribuant des catégories telles que « témoigner ses sentiments »,
« en l’honneur de », « représenter comme si », « rites civils »,
permettaient de classifier les manifestations des autres religions de
sorte qu’elles devenaient acceptables. Par contre, et en guise
d’exemple contraire à l’idéalisation dont fera l’objet le bouddhisme
tibétain après et jusqu’à nos jours, Li (2001) nous signale que ces
missionnaires considéraient les bonzes bouddhistes et les prêtres
taoïstes comme des « hypocrites, des égoïstes, ou des faux
docteurs, des prêtres de Satan. Ils traitent leurs doctrines d’idolâtries
et de superstitions » (Li 2001, p. 219). (Cette offensive est
comparable à celle menée par les missionnaires espagnols pendant
la colonisation contre le chamanisme des amérindiens). Pareillement,
Lopez (2003) signale que « Pour les orientalistes […] de l’époque
victorienne, le bouddhisme du Tibet n’était pas un bouddhisme
authentique. A cette époque on décrivait souvent la société tibétaine
comme corrompue et statique. La littérature savante dénigrait
largement sa religion. » (p. 203).
Vers la fin du XVIe siècle on voit déjà se manifester la distinction,
par rapport au Tibet, entre les formes religieuses « idolâtres », des
masses, plus proprement culturelles et mélangées avec les cultes
locaux, et d’autre part la religion des élites qui se caractérisait par les
pratiques ascétiques et l’étude des textes, une version savante,
parfois même conçue comme « athée ». Cette différenciation,
caractéristique de la tradition occidentale, est un autre élément qui
aurait façonné l’approche contemporaine que nous faisons du
bouddhisme. Il semblerait que c’est la deuxième version de la religion
12

tibétaine qui a été reprise comme la plus valable, celle qui intéresse
les Occidentaux, comme c’était déjà le cas pour les missionnaires.
Un autre élément qui marqua les imaginaires sur les cultures
orientales, c’était la recherche des « racines » de la civilisation
occidentale en Orient, projet alimenté par l’évolutionnisme qui se
développa dès la fin du XVIIIe siècle jusqu’au début du XXe et qui
imprégna non seulement la littérature et la philosophie, mais aussi les
sciences sociales. Ces idées des « racines » trouvaient un appui
dans le fait que les linguistes avaient en effet trouvé la « parenté »
entre les langues européennes, celles de l’Asie mineure, et celles de
l’Inde. On voulait donc reconstruire une histoire des religions suivant
le modèle de l’histoire de ces langues. Par la suite, on commença à
rechercher des liens entre la culture et la pensée européenne et
l’indienne (et entre les « races », postulant une origine « Arya » ou
« indo-européenne »). L’Inde est devenue le « berceau » de la
civilisation occidentale. Désormais, les parangons et les
interprétations des traits culturels orientaux en des termes
occidentaux étaient une chose commune et avaient un appui
« historique », puisqu’il s’agirait d’une même « tradition ».
Nous pouvons trouver dès la fin du XVIIIe siècle une idéalisation
des sagesses orientales, qui consistait en de nombreux ouvrages, en
allant de l'exotisme et le mysticisme sur la vie des maîtres tibétains,
jusqu'aux raisonnements de philosophes reconnus « Ainsi peut-on
parler pour tout le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle
d'une influence intellectuelle des religions orientales en Occident.
Durant ces cent cinquante ans, d'innombrables écrivains - de Goethe
à Borges en passant par Emerson, Hesse ou Tolstoï - furent
profondément marqués par les spiritualités orientales. Celles-ci
influencèrent également les travaux de nombreux philosophes
13

comme Schopenhauer, Nietzsche, Bergson, Heidegger ou


Wittgenstein et passionnèrent des penseurs aussi divers que Jung et
Einstein. » (Lenoir, 2000 p. 2403) Désormais, les spiritualités d'Orient
et d'Extrême-Orient ont été « intellectualisées », elles ont été
incorporées au savoir non religieux en Occident, étant ainsi mises à
la disposition d'un public cultivé. Ceci « malgré les innombrables dif-
ficultés de traduction et d'interprétation auxquelles les spécialistes
furent confrontés pour transposer les notions philosophiques et
religieuses entre deux univers conceptuels fort éloignés l'un de
l'autre. » (ibid.)
En général, L’ « Orient » aurait été un concept creux et flou :
« …la matrice de l'Europe, une civilisation à restaurer[…]. Pour
l'Europe, l'Orient est une des images de l'Autre, une figure nécessaire
pour entretenir sa propre identité. L'Orient se mesure toujours à
l'aune de l'Occident. (Souty, 2001, p. 36). Il s’agissait donc d’une
vision essentialiste qui donnerait lieu à une série de généralisations,
d'affirmations totalisantes, d'interprétations par trop globales.
Pendant la période romantique du XIXe siècle, l’Inde et la Chine
étaient plutôt idéalisées. Particulièrement l’Inde était considérée
comme la région de « l’Esprit » par excellence. Pourtant, avec la
colonisation, ces terres ont été aussi chargées d’images négatives
pour justifier la colonisation et le besoin de les civiliser par les
Européens, mais il restait le Tibet, une terre au-delà des plus hauts
sommets symbolisant la « pureté froide et immaculée » (Lopez 2003,
p . 20). L’image de cette barrière naturelle serait reprise comme une
paroi de protection.
La plupart des romantiques appartenaient à des sociétés secrètes
et il existait l’idée d’une « grande chaîne des philosophes et mysti-
14

ques occidentaux, de Pythagore à Boehm, qui s'inspirent d'un ‘Orient


éternel’. (ibid.) ». L’éclectisme est évident dès cette époque.
Ce mouvement, selon Lenoir (2000), aurait servi de rampe de
lancement aux multiples études orientales, mais aussi aurait favorisé
la diffusion du mythe d'un « Orient merveilleux », d’une religion
« sublime et mystérieuse » auprès d'un plus large public en Occident.
Les humanistes du XVe siècle -ancêtres de l’ésotérisme moderne-,
parlaient déjà du principe de la concordance et donc de la possibilité
de s’approprier de diverses traditions du passé comme le
néopythagorisme ou la Kabbale juive. La mouvance « syncrétique »
moderne y aurait ses origines.
Il nous semble nécessaire de décrire très brièvement la Société
théosophique, une des plus importantes « sociétés secrètes » de la
seconde moitié du XIXe siècle, car elle « joua un rôle crucial dans
l'introduction en Occident des spiritualités orientales » (Lenoir 2000,
p. 2404), idée partagée par Lopez (2003). Fondée par Helena
Blavatsky et le colonel Henry Steel Olcott, ses principaux buts
seraient de: « Former le noyau d'une fraternité de l'humanité, sans
distinction de race, credo, sexe, caste ou couleur ; promouvoir l'étude
des littératures, religions, philosophies et sciences de l'Orient, et en
montrer l'importance pour l'humanité ; investiguer les lois
inexpliquées de la nature et les pouvoirs psychiques latents dans
l'homme.» (ibid.) Cette Société prétendait arriver à l’établissement
d’une « convergence universelle des religions ». Dans « La Doctrine
secrète », livre écrit par Blavatsky en 1888, la Théosophie est
« l’essence de toutes les religions ». La Société est un des principaux
promoteurs du bouddhisme en Occident à la fin du XIXe siècle, non
sans y avoir ajouté une coloration « ésotérique ». Les idées de la
Société théosophique sont considérées par Hannegraaf (1998)
15

comme étant d’origine ésotérique occidentale mais dites en des


termes exotiques empruntés à l’hindouisme ou au bouddhisme.
N’empêche que leur engagement et conviction auraient été sans
précédents en Occident, puisque, selon Obadia (1999), ils sont les
premiers Occidentaux à se déclarer bouddhistes. (Il ne serait pas
trop osé de dire qu’aujourd’hui, la mentalité qui fait l’objet de notre
enquête, est liée à la recherche d’une convergence universelle des
religions).
Ils proposaient aux gens un enseignement alternatif à la science
matérialiste et à la religion dogmatique et partaient du principe qu’il
existe des connaissances cachées pouvant offrir des solutions aux
problèmes spirituels de l’humanité.
Il faut pourtant mentionner que, selon Lopez (2003), la signification
du terme spirituel « n'est pas la même au début de cette décennie
[1990] qu'à l'époque de Mme Blavatsky. ‘Spirituel’ ne renvoie plus au
contact et à la communication avec les esprits des morts. Le terme
évoque au contraire un ethos au-delà des confins du purement
religieux, qui se réfère à ce qu'était la sève originelle des traditions
religieuses, libérée de son carcan institutionnel et historique. Au
début du XXème siècle, le spirituel était au contraire à la fois
universel et individuel, accessible à travers les expériences des
mystiques des grandes ‘religions du monde’ et peut-être, sous une
forme plus pure, à travers les traditions orientales ou le chamanisme,
l'adoration de la nature ou le culte de la déesse, jadis considérés
comme primitifs. » (Lopez, 2003, p. 97)
L’ésotérisme occidental a donc contribué grandement à
l’interprétation actuelle des religions non-occidentales. Selon Faivre
(1998), le mot « ésotérisme » apparu semble-t-il pour la première fois
en 1828 et en langue française, et il aurait au moins deux sens : la
16

connaissance ou science secrète réservée à une élite, ou la


connaissance et les moyens renvoyant à un « lieu » ou « centre »
spirituel au fond de l’être. Cet auteur cite 6 caractéristiques de
l’ésotérisme moderne. 1) L’idée des correspondances ou
l’interdépendance universelle de toutes les parties de l’univers. 2)
L’idée que la nature est un être vivant. 3) Le rôle de l’imagination et
des médiations qui, par exemple à travers les images symboliques,
permettent d’accéder aux différents niveaux de réalité. 4) L’idée de la
transmutation : l’homme ainsi que la nature, peuvent subir, suivant
certaines voies, des transformations radicales. 5) Un troc commun,
base de toutes les traditions, aurait peut-être été oublié ou caché.
Ces caractéristiques, quelque peu modifiées ou dites en d’autres
termes, nous les avons trouvées dans l’idéologie qui met en valeur
d’autres religions comme le bouddhisme ou le chamanisme.
L’ésotérisme est lui-même un discours syncrétique qui mélange,
étonnamment pour certains, des arguments rationnels avec des
idées mystiques. On y compte des dérives mystiques dans les
discours scientifiques, et des mystiques qui reprenaient de temps à
autre des données et des explications légitimées par la Science. Pour
certains, la science moderne ne faisait que redécouvrir ce que les
religions occidentales connaissaient déjà (ce qui est un argument
repris aujourd’hui aussi).
Une autre source importante des imaginaires sur l’Orient, et
particulièrement sur le Tibet, c’est l’œuvre d’Alexandra David-Neel,
exploratrice française qui arriva clandestinement à Lhassa en 1924.
Elle était aussi adepte de la Société théosophique avant la
publication de ses livres qui se vendent par millions, prétendant
transmettre le Tibet authentique. Parmi les plus importants de ces
livres, on trouve « Mystiques et magiciens du Tibet » publié en 1929
17

(David-Neel, 1985). Il s’agit de morts qui parlent, de gâteaux volants,


de lamas télépathes, de dédoublements, de moines qui passent des
hivers dans les hautes montagnes sans nourriture. Ces récits
extraordinaires, nous signale Lenoir, auraient été assimilés en France
au bouddhisme tibétain. (Lenoir 2000, p. 2406)
Le « texte tibétain » le plus connu en Occident (Lopez, 2003) est le
livre de Walter Y. Evans-Wentz, « Le livre des morts tibétain ». Il
s’agit d’un amalgame de ce qui, selon l’auteur, est une simple
transcription de la parole d’un sage tibétain, et des préfaces,
introductions, avant-propos et commentaires qui constituent la moitié
du livre. « Son attrait initial est peut-être en partie dû à une
réapparition du spiritisme à l’issue de la première guerre mondial et à
un nouvel intérêt pour le destin après la mort. » (ibid. p. 64). Evans-
Wentz était, à son tour, influencé par les idées de Madame
Blavatsky. A cette époque, les croyances populaires autochtones,
sont traitées comme des versions « exotériques », des interprétations
littérales avec peu de valeur pour le savoir universel, tandis que la
version « ésotérique », ou interprétation symbolique, est celle à
laquelle seul les initiés ont accès et qu’il faudrait retenir.
Ce type d’interprétations « ésotériques » peuvent toujours faire
l’économie d’une confrontation avec une version asiatique,
puisqu’elles se revendiquent a priori comme la « vrai »,
l’« authentique », celle qui a une véritable valeur, celle qui contient le
sens occulte et profond. Cette attitude a ouvert la possibilité aux
interprétations les plus diverses et occidentalisées par la suite. C’est
ainsi que dans les années soixante, par exemple, les idées du « Livre
des morts tibétain » sont associées aux expériences psychédéliques
très à la mode en Occident à ce moment-là, et ces expériences sont
censées être la confirmation de l’unité mentale et spirituelle
18

proclamée par Evans-Wentz. La doctrine bouddhiste concernant les


étapes de la mort devient donc une sorte de guide aux étapes dans
la consommation de drogues psychoactives. Cette interprétation
« spirituelle » et de la connaissance de la psyché à travers les
drogues peut être fondamentale pour comprendre les idées actuelles
concernant la participation à des « rites chamaniques » où la
consommation de drogues est présente.
Un deuxième « livre des morts » et qui a été aussi un best-seller,
apparaît en 1992 en anglais, écrit par Sogyal Rimpoché (1993).
Selon Lopez (2003), « l’immense popularité des versions d’Evans-
Wentz et de Sogyal repose peut-être sur leur homogénéisation du
texte tibétain en sagesse atemporelle et universelle. » (p. 97) En
effet, Sogyal dit que pour les tibétains, Gandhi, Shakespeare,
Einstein, mère Théresa ou encore Michel-Ange, seraient des
« bodhisattvas » (des illuminés qui restent sur terre pour aider les
autres à atteindre l’éveil), ou il compare le Dalaï Lama à saint
François d’Assise.
Chacune des différentes versions proposent que le texte original
tibétain doit être interprété à travers une référence extérieure pour
dévoiler son vrai sens, que cette référence soit le développement
personnel, les fondements de la psychologie ou les étapes d’un trip à
l’acide. C’est dans son potentiel évocateur que nous croyons que
réside le succès de la diffusion de ces textes « bouddhistes ».
Chaque époque, chaque groupe l’interprète à sa façon, tout en
maintenant la référence à une identité traditionnelle, en l’occurrence,
la tibétaine.
Les jeunes Occidentaux issus de la contre-culture des années
soixante s’intéresseraient de nouveau aux gurus orientaux,
notamment tibétains. Cette période connaît ce que l’on a appelé la
19

deuxième « vague » d’intérêt pour l’Orient, mais celle-ci se distingue


de la première par une diffusion et une popularisation beaucoup plus
larges. L’existence de plusieurs publications, les documentaires et la
présence des lamas en Occident, donne la sensation aux
Occidentaux que le bouddhisme est beaucoup plus accessible, que
l’Autre est à la portée de tous, connaissable par tous. C’est l’Orient
« à domicile ». Par exemple, Arnaud Desjardins présente un
documentaire sur les maîtres spirituels intitulé « Le message des
tibétains » qui rencontre un très grand succès dans sa transmission à
la télévision française : Ce succès provoquerait l’invitation de
plusieurs lamas à venir en France transmettre leurs enseignements.
Dans les années 1960 et 1970, la recherche d’approches
« alternatives » dans des domaines aussi divers que l’économie, la
médecine, la politique ou la religion, et d’une façon plus générale, la
quête de nouvelles formes de penser et de vivre, font que les idées
d’origine lointaine deviennent particulièrement intéressantes et les
formes de pensée non traditionnelles se multiplient.
Malgré leur très grande diversité, ils ont en commun la critique des
modèles occidentaux de pensée comme le réductionnisme au
matérialisme et le dualisme entre l’esprit et le corps. Ils prônent une
culture holiste : tout est relié, « la totalité de l’univers est reflétée
jusque dans ses particules les plus minuscules » (Hannegraaf 1998,
p. 943). La place de l’Autre y est très importante car les alternatives
qu’ils cherchent peuvent être empruntées aux diverses traditions,
grâce au principe de la concordance entre ces traditions du monde
entier (et qui est, nous l’avons vu, une caractéristique de
l’ésotérisme).
Dès cette époque l’invasion chinoise du Tibet des années 1950 est
perçue comme un nouveau cas de barbarie totalitaire contre un pays
20

pacifique, gardien de riches traditions, voué à la spiritualité. Les


victimes ne sont pas seulement les millions de Tibétains, mais aussi,
et souvent en priorité, le dharma bouddhique préservé jusqu’à
présent dans ces terres immaculées. Le conflit vient représenter pour
certains la lutte entre la liberté spirituelle et le pouvoir matériel, le
développement personnel et l’accroissement insensé des biens de
consommation. Au Tibet il y aurait de nombreux véhicules pour la
libération spirituel. Dans les années 90, on allierait la cause tibétaine
à celle de la préservation de l’environnement et à la défense des droit
de l’Homme, et des femmes ! ; la défense du Tibet devient une forme
indirecte de la défense de toutes ces valeurs.
Un autre aspect de cette idéologie moderne est la
« psychologisation de la religion » ou la « sacralisation de la
psychologie ». Ici il faut souligner l’importance des idées du
psychologue Carl G. Jung. Dans cette mouvance on retrouve dès les
années 80, des idées comme le « positive thinking » et les livres
consacrés au « self-help », des genres littéraires d’un succès de
diffusion énorme. La « psychologisation » des croyances religieuses
et de symboles d’autres cultures est une tendance très forte
aujourd’hui.
Par exemple, comme d’autres éléments de l’art tibétain, le
mandala n’échappa pas à la ‘psychologisation’ » (Lopez 2003, p.
169). Jung le considérait comme une image centrale du
« bouddhisme ésotérique ». Pour lui il s’agissait d’un schéma de
l’univers, représentant le passage du chaos à l’ordre. L’art devient
ainsi « symbolique ». Ce procédé de « symbolisation » est central
dans notre analyse. L’art, ainsi que les concepts, au lieu d’être
rejetés, peuvent avoir une signification importante à découvrir.
21

Un des mouvements récents les plus représentatifs de cette


tendance, c’est le New Age, qui trouva son plein essor dans les
années 1980 et qui est constitué de formes de pensée syncrétiste
tendant à unifier les différentes voies spirituelles d'Orient et
d'Occident dans un même courant de type humaniste. On y parle de
néonaturisme, magnétisme, acupuncture, Gestalt, bio-énergie,
expression sensitive, etc. : « Des nouvelles thérapies compor-
tementales ou corporelles qui visent à unifier le psychisme, l'âme et
le corps [...] L'Orient tient une place centrale dans les thématiques et
les techniques du Nouvel Âge, soit à travers le recours à des
techniques psycho-corporelles (yoga, méditation), soit à travers des
emprunts philosophiques (croyance au karma et à la réincarnation).
Mais ces emprunts à l'Orient sont intégrés dans une vision
occidentale de type ésotérique et syncrétique. En fait, le Nouvel Âge
est l'expression contemporaine du vieux courant ésotérique
occidental dont la Société théosophique avait été l'expression la plus
typique à la fin du XIXe siècle. (Lenoir 2000, p. 2414)
Parmi les principes fondamentaux des tendances New Age, on
trouve la critique d’une science positiviste qui serait trop rationaliste
et mécaniciste. Pour le New Age, le holisme (le « tout est dans le
tout ») est une idée fondamentale. Celle-ci implique des relations
entre les entités de l’univers d’une manière qui semble rompre avec
la rationalité traditionnelle. Egalement, « Le pluralisme y est une
valeur essentielle. Chamanisme, expériences des initiés et mystiques
(chrétiens, bouddhistes ou soufis), ‘transformation de la conscience’,
[…] programmation neuro-linguistique, etc. »(Kubler, 2004) « Au
rayon médecine, l’allopathie est largement décriée : il importe de
soigner le corps dans sa globalité. […] médecines traditionnelles des
Africains ou des Amérindiens, toutes les techniques médicales
22

douces, parallèles, exotiques, naturelles ou psycho-corporelles, sans


oublier leurs déviances et croisements divers, prolifèrent. » (ibid.)

Cette panoplie d’idées diverses est largement répandue de nos


jours dans la culture occidentale, se manifestant, par exemple, dans
la publicité : « Lorsque Yoplait lance un nouveau yoghourt Ofilus,
c’est avec une affiche présentant une femme en posture de yoga,
mains jointes et yeux fermés, avec un slogan : ‘la source du bien’.
[…] les eaux minérales vantent leur pureté à grand renfort de lents
mouvements de gymnastique chinoise. Le nouvel âge est bel et bien
devenu une mode. » (Kubler2004 [en ligne]). Ce type d’associations
entre des valeurs actuelles et images qui renvoient à une Altérité,
sont une piste essentielle pour notre recherche.
Le nouvel âge, ou, préférons-nous dire, ses idées, ont gagné le
reste de la société et sont maintenant valorisées par de divers
secteurs. Un autre exemple de la sortie de ces idées de leur milieu
mystique-ésotérique minoritaire auquel elles étaient confinées dans
les années 80, ce sont les sportifs ou les grandes entreprises, qui
apprécient les apports de la méditation ou d’autres techniques (jadis
considérées nouvel âge) pour motiver à la production et conforter le
bien-être des professionnels. C’est ainsi que, « après les stages où
l’on apprend à dominer son corps et à marcher sur des braises, des
cadres se retrouvent pour pratiquer le rebirth, mimer des
psychodrames ou découvrir la bioénergie. Clients des boutiques
d’alimentation « bio », amoureux du yoga, militants écologistes, férus
du paranormal, fervents des doctrines philosophiques orientales ou
des médecines parallèles : tous ces passionnés intègrent –
sciemment ou non – une part du nouvel âge dans leurs modes de
vie » (Kubler, 2004 [en ligne]). Il faut considérer d’autre part, que
23

cette idéologie peut exister chez quelqu’un d’une façon qui n’est pas
toujours manifeste dans sa vie publique. Elle est avant tout une
attitude et un discours qui « spiritualise » ou donne un certain sens
mystique ou transcendantal à ce que la personne fait, sans forcément
changer ses activités quotidiennes.
Dans les années 90, suite à une sur-abondance de courants du
New Age qui avait commencé dan les années 80, les bouddhistes,
notamment les Tibétains, font un effort pour se détacher de ce
supermarché de croyances de toutes sortes, et ressortir comme une
tradition « authentique » (ce qui n’a pas empêché tout de même que
les syncrétismes continuent à se faire jusqu’à nos jours). Le
traditionnel et l’ethnique deviennent alors des éléments
fondamentaux de valorisation dans cette idéologie, et ils prennent le
rôle de fournisseur de signifiants. En France, le bouddhisme tibétain
y prenait une place primordiale.
En somme, le Nouvel Age peut être un mot qui n’est plus utilisé
aujourd’hui ; il est vrai que nombre des mouvements qui y étaient
associés sont franchement dévalorisés car une très forte
effervescence de groupes, de sectes, de gurus, etc. a été perçue
comme un abus, un manque de sérieux et même comme un danger.
Il n’empêche que l’étude de cette idéologie est une démarche très
proche de la nôtre. Nous rencontrons le problème de ne pas savoir
comment l’appeler aujourd’hui. Les chercheurs utilisent des
catégories comme « spiritualité », « mysticisme », « ésotérisme », la
pensée des « nouveaux mouvements religieux », ou de la
« nébuleuse mystique-ésotérique », mais ils nous semblent tous trop
étroits, et certains, comme l’ésotérisme ou le mysticisme, connotés
négativement aujourd’hui. Certains de ses éléments, grâce à la
nature « intégratrice » de cette mouvance, ont influencé des
24

domaines de la société qui ne peuvent plus être appelés religieux, ni


appartenant à un mouvement particulier, et bon nombre d’entre eux
restent encore dans l’imaginaire de personnes qui appartiennent à
plusieurs secteurs de la société apparemment de plus en plus variés
et de plus en plus nombreux. Pourtant, nous savons que les idées
sont là, nous savons qu’elles constituent une idéo-logique, c’est à
dire qu’elles font partie d’une structure d’idées où les unes supportent
les autres, et nous savons qu’elles sont culturelles, c’est-à-dire
qu’elles se diffusent dans une collectivité. Cette idéologie nous la
définirons comme une forme contemporaine du croire.
Pour récapituler, plusieurs mouvements de la pensée ont repris le
thème de la valeur des cultures orientales selon leurs façons de les
réinterpréter : les romantiques qui voulaient opposer ces
connaissances mystiques aux Lumières et au rationalisme, - les
universalistes et syncrétistes qui voulaient trouver une parenté entre
les religions, notamment entre les religions orientales et le
christianisme, - les mécontents du catholicisme et ses dogmes ainsi
que les adeptes de l’ésotérisme occidental qui voyaient dans les
religions orientales la confirmation d’une sagesse primordiale
antérieure à toute forme institutionnelle de religion.
Les spiritualités orientales ont été réinterprétées à travers des
sujets et des mouvements de la pensée occidentale qui existaient
déjà avant leur arrivée (peut-il en être autrement ?). Elles ont
« souvent servi au XIXe siècle à assouvir une curiosité, épancher un
besoin récurrent d'exotisme et donner matière à des polémiques
‘occidentalo-occidentales’ auxquelles elles étaient fondamentalement
étrangères. » (Lenoir 2000, p. 2408)
Des idées créées dans ce passé récent semblent avoir eu une
influence qui demeure jusqu'à nos jours: - les religions « exotiques »
25

en tant que « sagesses », - certaines figures étrangères considérées


comme des « maîtres », - la croyance en un sens « caché et
éclairant » de ce qui est à première vue bizarre ou incompréhensible,
- les cultures Autres considérées comme des sanctuaires qui
sauvegardent une connaissance dont nous pouvons tous profiter
(« patrimoine culturel de l’humanité » peut-on dire aujourd’hui). Nous
trouvons le même mélange d’exotisme, mysticisme et intellectualisme
que pendant la première vague du XIXe siècle, mais, aujourd’hui il
semble exister un plus fort intérêt pour la pratique et l'expérimentation
personnelle.

IDENTITE, ALTERITE ET VALORISATION

Ces représentations positives qui frôlent parfois l’idéalisation et


même la vénération, contrastent fortement avec le constat que dans
bien d’autres cas de relations interethniques, l’Autre est objet de
stigmatisation, d’exclusion, de rejet, de stéréotypes négatifs qui se
manifestent par des comportements qui vont des blagues
méprisantes au génocide. Même dans sa manifestation la plus
« douce », l’étranger est souvent signalé comme la figure d'altérité
grâce à laquelle l'identité propre s'affirme par opposition et rejet. En
effet, dans ce domaine la plupart des études ont porté sur des
phénomènes comme le racisme, la discrimination et l’exclusion, et
nous croyons qu’il est important de comprendre les idéologies1 qui
les sous-tendent.
Selon Oriol (2001), dans le processus d’accélération des échanges
au niveau mondial, il y a une tendance à la fermeture « hargneuse et

1
Il s’agit de structures de représentations et de croyances propres à un groupe social,
participant à la régulation des opinions, des attitudes et des comportements.
26

meurtrière » à l’Autre. Ainsi, il propose que la tâche la plus urgente


des intellectuels devrait être celle de comprendre l’origine de ces
« fermetures », au lieu de se limiter à leur dénonciation.
Une des attitudes consiste simplement à refuser la réciprocité de
perspectives et de critères d’évaluation ou d’exclure la possibilité de
l’existence de règles et valeurs communes aux différents groupes
humains. Une étape plus avancée de clôture est celle de croire que
les frontières ethniques ne peuvent être franchies ; le métissage est
donc considéré comme une transgression, et comme le signale
Laplantine (1999), pour ce type de pensée il devient inconcevable
que l’Autre puisse changer l’intégralité du soi.
On peut même entendre dire que cette méprise de l’Autre est
nécessaire pour la construction de l’identité du Nous valorisé, ou que
c’est naturel de dévaloriser l’Autre puisque ce qui n’appartient pas au
Nous serait forcément mauvais. Penser qu’il s’agit là d’une question
logique ou d’une évidence nécessaire est une erreur. Ce n’est pas
non plus une description de la réalité, mais plutôt un principe moral,
une décision et non pas une description, une forme de catégorisation
où on allie a priori Nous-Bon et Autre-mauvais, mais cela n’est pas
forcément la seule façon de voir les choses. De plus, c’est une
proposition générale qui se réfère à deux concepts, ou plutôt à deux
oppositions dont la définition est extrêmement relative et nuancée : le
Nous-Autres et le Bien-Mal.
Par opposition à la définition catégorielle arbitraire : « tout Autre est
considéré comme mauvais », on peut montrer des exemples qui le
contredisent : il existe des Autres, bien identifiés comme non
appartenant à notre groupe ethnique, qui ont une valeur, qui sont
dignes d’estime tout en appartenant à la catégorie « Autre ». Après,
on peut discuter (et c’est ce que nous allons faire plus tard) si les
27

actions censées appartenir à cet Autre ont une altérité objective et si


cette objectivité est indispensable. De toute façon ce qui compte pour
notre analyse c’est qu’aux yeux du Nous, la source de ces actions est
manifestement Autre.
D’une façon générale et dans une analyse strictement
philosophique, l’identification est la définition de ce qui est. En traçant
les limites de ce qui est, elle détermine nécessairement ce qui n’est
pas. L’identité est une construction par rapport à un Autre et l’Autre
se définit par rapport à soi. Elle n’existe donc pas sans sa négation,
nommée l’altérité. Inversement, l’autre n’existe pas sans l’identité.
Dans les sciences sociales le concept a pourtant plusieurs
applications selon les différentes disciplines et selon le moment de
leur histoire. Le mot est donc polysémique et désigne différentes
formes de regroupement de la société. Le problème commence à
partir du moment où l’ « identité » devient un concept social très
sollicité avant d’être un objet scientifique. L’identité peut, par
exemple, véhiculer la revendication politique d’un groupe face à un
autre qui le domine.
Le processus d’identification désigne les caractéristiques d’une
entité, mais cette énumération de traits non seulement ne recouvre
pas la réalité complète de l’objet qu’elle prétend décrire, mais elle le
définit, le crée en quelque sorte, parfois d’une façon normative.
S’agissant d’une catégorie, cette définition arbitraire, mais qui se veut
souvent « objective », détermine qui y appartient et qui en est exclu à
partir d’un critère arbitraire. Ainsi, l’identité est liée à une dynamique
d’inclusion et exclusion.
L’identité, « C’est une manière de désigner plutôt que de
comprendre […]. L’identification de ce que l’on tient pour identique
délimite (par exemple géographiquement) et détermine des espaces,
28

des propriétés, des attitudes, voire des essences originelles et


éternelles » (Laplantine 1999, p. 18).
Concernant la culture, ce que Verkuyten (2003) appelle
« essentialisme », c’est l’idée selon laquelle la culture serait liée à
une essence du groupe social, qui fait d’une catégorie sociale
(comme celle de l’identité), une catégorie naturelle avec une essence
sous-jacente. Lorsqu’on « essentialise » un groupe, on assume que
ce que ses membres font, est dû à une essence qu’ils portent en eux,
qui fait en quelque sorte partie de leur « nature ». Des auteurs
comme Yzerbyt et Schradon (1996) montrent comment cette notion
d’essence permet aux individus d’inférer des qualités et d’anticiper
des réactions sur les membres de groupes sociaux. Les théories
cognitives nous expliquent qu’en effet, la pensée essentialiste est
onmi-présente et qu’elle est, à un certain degré, tout à fait normale et
nécessaire. Néanmoins, il faut aussi considérer les pratiques
discursives qui montrent comment cet essentialisme peut être laissé
à côté, voire contredit pour laisser la place à d’autres logiques.
Le racisme a été souvent considéré comme une vision
essentialiste. Ainsi, les idées essentialistes sont de plus en plus
critiquées dans les sciences sociales, au profit de la notion de la
construction sociale des identités. Un exemple est la critique contre la
fixation des représentations et de l’identité qui fait Laplantine (1999).
L’anti-essentialisme est souvent mis en valeur comme un fondement
contre les représentations hégémoniques.
Pourtant, la pensée essentialiste est retrouvée aussi dans les
discours des anti-racistes, puisque ce sont eux qui parlent d’un
respect des races, qui mettent en valeur les luttes raciales et des
termes comme « les blancs », « les noirs », les « beurs » etc., dans
la quête pour l’égalité.
29

Le multiculturalisme est souvent imprégné d’un type semblable


d’essentialisme, en liant culture et ethnicité. Cette liaison est au cœur
de notre réflexion sur la construction d’imaginaires du peuple tibétain,
où il y aurait effectivement cette association entre une culture
(représentée quasi entièrement par l’aspect religieux) et une identité
tibétaine. Cette association, qui revient à une sorte d’argument
essentialiste, est utilisée pour des fins de reconnaissance du peuple
tibétain et de légitimation de leur culture. Dans notre cas, l’image de
la culture tibétaine (riche, ancienne, pacifique, spirituelle, etc.) qui est,
on le sait, valorisée, et qui par conséquent devrait être préservée,
sert la cause sociale et politique de la préservation d’une ethnie
autonome et indépendante. En même temps, une identité essentielle
doit être maintenue pour avoir une visibilité vis-à-vis des systèmes
politiques occidentaux dominants qui suivent une logique
bureaucratique de classification et d’identification. On voit donc
comment l’essentialisme peut servir la cause des minorités.
Cette essence-culture est souvent considérée comme un
« héritage » qui doit être préservé soigneusement, évitant sa
« contamination » (par exemple, l’« occidentalisation »). Pourtant,
l’essentialisme promeut la création de frontières, et peut donc
provoquer de la discrimination au bout d’un certain temps. Cette
essence-culture peut également être utilisée pour dénigrer des
groupes qui ne correspondent pas à l’image de l’essence « pure ».
Par ailleurs (Verkuyten 2003) montre qu’il est possible de trouver
l’utilisation d’arguments essentialistes et anti-essentialistes dans un
même discours pour une même revendication. Cette utilisation
alternative et parfois paradoxale pour étayer une certaine vision des
choses dans un contexte de communication sociale, nous révèle
30

l’importance des stratégies rhétoriques et leur applicabilité selon le


contexte.
Le débat de la représentation des groupes ethniques, et qui peut
contenir en soi ces notions d’essentialisme culturel, peut avoir bien
évidemment des conséquences importantes dans les relations
interethniques. « Scholars from different countries have noted that
the dominant discourse on ethnic minorities has shifted from
biological theories of inferiority to essential and incompatible cultural
differences » (Verkuyten 2003, p. 386). Nous ajouterons que les
cultures peuvent se présenter comme « incompatibles » car elles
sont des essences constituant des identités qui sont par principe
séparées l’une de l’autre. Si elles se veulent uniques et donc
incommensurables, elles peuvent se voir aussi complètement
étrangères et donc isolées, écartées, exclues.
La pensée identitaire valorise ce qui est atavique, elle implique une
origine, elle veut appréhender les groupes sociaux « à partir de ce
qu’ils étaient autrefois, et non de ce qu’ils sont en train de devenir »
(Laplantine, p. 41), elle réifie la recherche de l’autochtonie, de
l’authenticité, elle cherche les fondements dans les « origines ». Elle
peut disposer de plusieurs critères pour différencier, comme la race,
la langue, l’ethnie, la religion, etc. ; tous figés et, le pire pour la
recherche, elle devient souvent une forme d’explication en attribuant
la causalité des comportements aux identités. L’identification à une
race n’est pas très éloignée de l’identification à une « culture » :
«… la culture peut elle aussi fonctionner comme une nature, en
particulier comme une façon d’enfermer a priori les individus et les
groupes dans une généalogie, une détermination d’origine immuable
et intangible » (Balibar, 1990, p. 34). La théorie des « relations
ethniques » (ou, en anglais, des race relations) « naturalise non pas
31

l’appartenance raciale mais le comportement raciste » (Balibar, 1990,


p. 35). « Race » et « culture » peuvent donc servir la même pensée.
Cette pensée en termes d’identités ne veut pas de cultures
polyformes, mélangées, contaminées, réinterprétées. Elle cherche
des spécificités autochtones qui puissent servir pour trancher les
différences avec les Autres. Elle veut être en possession de la vérité
de ce qui est, par exemple, le bouddhisme, et de ce qui ne l’est pas.
Mais elle oublie que les « traditions » inventées, par exemple
l’« Orient », sont « des processus d’acquisition, d’élaboration,
d’interprétation, qui se constituent en permanence dans un
mouvement d’interaction ininterrompue » (Laplantine 1999, p. 50).
Cette idée de cultures séparées nettement identifiables, donne lieu
au concept d’acculturation, comme l’interaction de ces entités, et que
nous analyserons plus tard.
La réalité est que l’ethnicité n’est pas le produit de la séparation
des groupes qui reproduisent leurs caractéristiques de façon isolée.
Bien au contraire, comme le signale Barth (1999), elle surgit de
l’interaction, elle est une réaction face à l’Autre. L’intensification des
échanges ne provoque pas forcément l’assimilation et
l’homogénéisation culturelle entre les groupes : par contre, elle peut
provoquer l’affirmation de leur spécificité identitaire. Dans le même
sillage, Couture (2000), signale que les situations de contact
génèrent des traditions et, ajouterons-nous, des catégories
ethniques.
En société, l’identité est une forme de catégorisation sociale. Le fait
que l’individu puisse déployer plusieurs identités implique qu’elles
résultent de la dynamique socialisation, qu’elles dépendent des
relations sociales, qu’elles se construisent dans l’interaction, et
qu’elles ne sont pas figées une fois pour toutes. Les individus
32

imaginent l’appartenance à un groupe, et les caractéristiques de ce


groupe. Malgré le fait que les groupes sociaux sont hétérogènes et
qu’il y a toujours des différences et donc des possibles lignes de
division, on peut aussi fonder l’unité de l’identité d’un groupe en
fonction de certaines fictions comme des origines communes. Ce
processus implique la disponibilité de ressources symboliques
comme la langue ou la religion.
Ces raisonnements viennent clarifier le concept et ainsi éviter les
nombreuses inférences erronées qui ont été faites à partir de
l’application du simple principe logique de l’exclusion-inclusion en le
rattachant à d’autres concepts et problématiques sociales. Par
exemple, il est une erreur de croire que le sentiment d’appartenance
communautaire (une des définitions possibles d’identité) est contraire
à l’intégration volontaire de manifestations culturelles d’origine
étrangère (une des définitions d’altérité culturelle), seulement à partir
du principe logique d’exclusion selon lequel l’identité se définit en
excluant ce qui n’est pas elle-même. Ou encore est-il une confusion
que de dire que si l’on a besoin de valoriser l’identité propre, on doit
donc dévaloriser l’altérité. Si un tel besoin de valorisation de l’identité
propre existe (ce qui est une supposition), la seule chose que nous
pouvons inférer logiquement c’est que ce qui fait partie de la
catégorie Nous sera valorisé, tandis que pour l’altérité (étant, elle, en
dehors de la catégorie, mais pas forcément son contraire) nous ne
pouvons rien inférer quant à sa possible valorisation. Pouvons-nous
prétendre que les comportements de violence basés sur une idée de
ségrégation (et donc d’exclusion), sont dus à l’existence d’identités
différentes et donc qu’il faut imposer une même identité (par exemple
que nous appartenons tous à la même race humaine) pour en
terminer avec la violence ? Non. L’inclusion ou l’exclusion dans des
33

catégories sociales n’impliquent aucunement, d’une façon nécessaire


ou logique, ni la violence, ni la haine, ni la dévalorisation, ni le mépris,
ni l’évitement. La raison de ces confusions (et tant d’autres de ce
type) c’est le mélange des conceptualisations complexes des
sciences sociales avec un principe qui appartient à la Logique.
S’il est vrai que l’appartenance identitaire peut constituer le
fondement argumentatif d’une action vis-à-vis de l’Autre : « Je suis X,
donc je dois faire… », il ne s’en dégage pourtant pas, comme une
conséquence nécessaire que « Pour conjurer les violences, il faut
dépasser chacune de nos appartenances soit en les combinant avec
d’autres, soit en les déstructurant » (Oriol 2001, p. 113). Peut-on
considérer que le renforcement des appartenances soit un facteur
détracteur des échanges avec les Autres ? En principe, cela ne
semble pas une conclusion nécessaire. La question pourrait
dépendre des conditions symboliques par lesquelles l’identité-
appartenance propre est affirmée ou infirmée.
Barth (1999) dissocie l’identité ethnique des contenus culturels.
Pourtant il n’est pas le premier à le faire. Avant lui, Hughes l’avait
déjà dit très clairement : « Un groupe ethnique n’est pas caractérisé
par son degré de différence, mesurable ou observable, avec d’autres
groupes ; au contraire, c’est un groupe ethnique parce que ceux qui
lui appartiennent et ceux qui sont à l’extérieur le considèrent comme
tel, et parlent, sentent et agissent comme s’il constituait un groupe
distinct. » (Hugues, 1996, p. 202). Dans notre approche, cette
distinction est fondamentale, car nous avons observé que l’idée d’une
identité ethnique distincte, est toujours présente dans l’esprit des
individus qui se sentent attirés par ces « autres cultures »,
indépendamment des différences culturelles réelles. Barth signale
que ce qui compte concernant cet aspect des relations
34

interethniques, c’est l’analyse des liens que les gens établissent entre
une conduite particulière et une identité. Au cœur de notre
problématique est donc la frontière ethnique, et non pas les relations
entre « cultures » définies de l’extérieur par le chercheur qui décide
quels sont les traits qui correspondent à chacune et ses limites. Il
s’agit de relations entre individus qui se considèrent ou s’identifient
entre eux comme appartenant à un autre groupe ethnique.
Par ailleurs, « Seuls les facteurs socialement pertinents deviennent
discriminants pour diagnostiquer l’appartenance, et non les
différences ‘objectives’ qui sont engendrées par d’autres facteurs.
Quels que soient les écarts manifestes de comportement entre les
membres du groupe, cela ne fait aucune différence » (Barth 1999,
p.212).
Face à ces différentes applications du mot identité et les
complexifications qui peuvent y avoir lieu, nous préférons garder
l’approche la plus élémentaire d’identité en tant qu’une catégorie
socialement construite.
Comme toute construction identitaire et « nationale » la
construction de la culture tibétaine, en tant que culture de tous les
Tibétains, est en quelque sorte imaginaire (reprenant le terme
d’Anderson, 2000). Ils ont aussi un mythe d’origine et de leur
caractère national particulier. Mais la réalité c’est qu’il s’agit d’un
pays divisé culturellement, notamment à travers l’adhésion aux
différentes écoles bouddhistes ou différents courants idéologiques.
Pourtant, le Tibet dans le contexte du monde, se présente en
Occident avec une autre image, notamment marquée par « une
emphase exagérée sur la pratique bouddhique dans sa particularité
tibétaine. […] Le Dalaï Lama a observé que les jeunes tibétains de la
communauté réfugiée montraient un intérêt renouvelé pour leur
35

religion parce que ‘les Européens et les Américains montrent un


intérêt sincère pour le bouddhisme tibétain’. » (Lopez 2003, p. 225).
Ce fait est d’une grande importance car il montrerait que les discours
construits par rapport au Tibet s’inscrivent véritablement dans un
phénomène de va-et-vient entre Occidentaux et Tibétains et qu’il a
des effets dans les deux sociétés. Même si le discours auquel le
grand public occidental a accès sur ce qu’est le bouddhisme tibétain
est largement construit en Occident et qu’il ne peut être qu’un
discours occidental puisqu’il doit ‘parler’ aux Occidentaux dans leurs
propres termes, la participation des tibétains dans cette construction
et dans sa diffusion, ne peut pas être niée non plus. Le rôle du Dalaï
Lama et des autres lamas dispersés en occident notamment depuis
1959 en est un exemple. Le processus de brassage est encore plus
complexe dès que la façon dont les Tibétains se présentent reprend
quelques aspects qui, comme la religion, séduisent les Occidentaux
depuis le XIXème siècle (par exemple le Tibet comme lieu de
préservation d’une sagesse universelle). De surcroît, cette
intentionnalité de la part des Tibétains a sûrement à voir avec la
cause de l’indépendance de la Chine, mais elle s’inscrit aussi dans le
contexte de la mondialisation où chaque collectivité a intérêt à se
projeter sur la scène internationale avec une image favorable. Ceci
est d’autant plus important pour les groupes minoritaires qu’ils se
trouvent face à des collectivités dominantes. Ainsi, on peut voir
comment le discours sur une identité culturelle est et a toujours été
syncrétique : une construction dans le contact. Historiquement il est
conséquence de ce contact, mais il en est aussi une cause car il
façonne les rapports culturels entre les individus.
Enfin, un élément qui peut compter dans la dynamique des
représentations qui nous concerne ici, c’est le fait que la valorisation
36

que les groupes majoritaires (normalement appelés Occidentaux) ont


faite de certaines manifestations ou productions ethniques a parfois
entraîné une valorisation de ces manifestations de la part des
autochtones qu’ils ne connaissaient pas avant le contact avec
l’Occident. Ceci est illustré dans le cas du marché de reliques
archéologiques. Les indigènes perçoivent que la valeur que les
Occidentaux accordent à ces objets leur permet d’avoir une position
avantageuse dans la relation. Ceci peut s’étendre aussi au-delà du
domaine des objets vers celui de l’identité ; des éléments identitaires
attribués par les Occidentaux aux indigènes, peuvent être appropriés
par les indigènes dans le cadre de la relation avec les sociétés
occidentales. Un exemple de ce type de réappropriation des images
construites dans le contexte du contact est documenté par
Malewska-Peyre (1999). Nous voyons comment les lamas tibétains,
s’appropriant ces images pour se présenter sur la scène
internationale, jouent un rôle important dans la reproduction du
discours.
Klein et Licata (2003) nous montrent que les orateurs « ajustent »
leur discours en fonction de l’audience à laquelle ils s’adressent, et
ont recours à des catégories distinctes selon l’idée qu’ils veulent
transmettre. Ceci vient étayer l’idée que les représentations des
objets ou des sujets ne sont pas univoques, qu’il n’est pas question
de penser qu’elles sont le reflet d’une nature objective, et surtout,
qu’il faut être conscient que la réalité culturelle est façonnée à partir
de ces multiples façons de représenter une « même » chose, de
construire des identités en fonction du contexte et de la relation. Ces
différentes façons de représenter l’Autre et soi-même font partie de la
réalité quotidienne, et ces « ajustements » sont notamment une
fonction de la situation sociale, du type d’Autre que nous avons en
37

face : « Different audiences may be thought to endorse different


viewpoints and opinions. Speakers may therefore adjust their
discourse, and hence the content of their representations, to these
audiences. » (Klein et Licata 2003, p. 573). Au niveau cognitif, nous
expliquent ces auteurs, la représentation d’un groupe social est un
processus souple qui varie en fonction des traits saillants que les
acteurs perçoivent dans une situation sociale. Dans leur étude de cas
à partir des différences des discours réalisés par Patrice Lumumba
pendant la décolonisation du Congo Belge, ils ont remarqué, par
exemple, que s’adressant aux Belges, il représentait les Belges
comme des alliés bienveillants (qui pouvaient aider le Congo à se
développer), et les Congolais comme des gens pacifiques et
amicaux. S’adressant à ses compatriotes, il représentait les Belges
comme des oppresseurs, et les Congolais comme des victimes. A
partir de ces différences, ils ont divisé les discours en deux types :
ceux évoquant l’« anti-colonialisme », et ceux évoquant la «
coopération ». Ils considèrent ces différentes formes de
représentation comme une fonction du type de réaction qu’il espérait
éveiller chez ses interlocuteurs, ils analysent donc le rôle performatif
(dans le sens donné par Austin, 1976) des discours en termes de
« stratégies argumentatives ».
Un exemple parmi d’autres de la valorisation de l’Autre culturel,
c’est le bouddhisme tibétain en France. La première question, celle
qui était à l’origine de cette recherche, c’était quelles sont les causes
de l’attraction qu’exerce cette religion chez bon nombre de Français.
Comment se fait-il qu’existe cette « sympathie » malgré l’origine
étrangère de cette doctrine?
Les enquêtes d’auteurs spécialisés dans le domaine du religieux
(que nous verrons en détail dans le chapitre 5) montrent que les
38

sympathisants du bouddhisme tibétain « bricolent » à partir de


plusieurs traditions, passent d’engagement à l’autre suivant une sorte
d’« itinéraire spirituel ».En outre, après une révision bibliographique
comparative, des études qui analysent les raisons pour adhérer à
diverses croyances comme le « chamanisme », le bouddhisme ou
encore l’Islam, nous montrent le recours à des rhétoriques
remarquablement semblables (chapitre 6).
Ces trouvailles nous permettent de supposer que l’engouement
pour le bouddhisme fait partie d’une attitude qui ne concerne pas
uniquement cette adhésion ; que le bouddhisme n’est qu’une étape
dans un parcours, qu’il n’est qu’une pièce pour le bricolage. En outre,
cela implique que notre étude concerne une problématique plus
ample, portant sur la place de l’Altérité dans les nouvelles formes du
croire en Occident.
La valorisation du pluralisme se trouve dans différents secteurs de
la culture et de la pratique sociale. Par exemple, les rencontres
multiculturelles dans les entreprises (cas présenté par Démorgon,
2002), peuvent être considérées comme sources de difficultés, mais
aussi comme des possibilités de découvrir et de développer des
ressources nouvelles. Par exemple, la multiplication d’entreprises
multinationales et la mondialisation des échanges commerciaux ne
fait qu’accroître une tendance qui, semble-t-il, gagne de plus en plus
de terrain dans la culture général. Cette mixité culturelle donne lieu à
certains types de discours par rapport à l’Altérité, et dont Démorgon a
analysé quelques idées de fond : -La culture comme un processus en
formation et non la culture déjà produite, - « La rationalité est
universelle » : tout le monde peut s’entendre grâce à l’utilisation de la
raison et de l’expression claire, -« Il n’y a guère que la barrière de la
langue à surmonter », toute différence culturelle peut être surmontée
39

par de bonnes traductions, l’apprentissage des autres langues, ou


l’utilisation de l’Anglais. Ces idées nous semblent être fondamentales
aussi dans les nouvelles formes du croire par rapport à l’altérité. Par
exemple, nous croyons que l’idéologie qui fait l’objet de notre
recherche suppose l’existence d’universaux et que les traductions
sont des équivalents exacts des originaux.
Pourtant, ces « équivalences » ne font pas disparaître l’élément
identitaire et donc la perception d’une pluralité. Par exemple, l’identité
ethnique joue un rôle important dans l’échange d’objets qui sont
censés avoir cette origine ethnique. La rechercher sur l’interculturel
porte-t-elle sur la « Construction des relations entre ‘sujets
culturellement identifiés’ » (Hily, 2001, p. 9). De surcroît, l’acquisition
de cet objet a la valeur symbolique de réduire la distance à l’Autre.
L’échange marchand est un moyen de cohabitation. Dans notre cas,
nous sommes face un processus d’échange de symboles, et donc
face à une dynamique qui ressemblerait à celle du marché ethnique.
Après tout, notre « objet ethnique » est une croyance investie d’une
identité ethnique ; elles deviennent des « ressources culturelles » et
suivent une logique qui tend à les mettre en valeur et les rendre plus
désirables dans le marché.
Le pluralisme est analysé par Friedman, (2003) dans le contexte
de la globalisation, qu’il associe à la « fragmentation culturelle »
(cultural fragmentation) et que nous entendons comme la dispersion
des éléments (formes, signifiants) culturels au-delà des limites
traditionnelles, comme la Nation, une ethnie ou une religion. Dans ce
contexte, la valorisation de la pluralité culturelle et ses identifications
ethniques, n’est pourtant pas une affaire de tous les secteurs de la
société. Cet auteur signale que « The discourse of cosmopolitan
openness is not coming from people who are integrated socially in
40

the diversity that they espouse. It emanates from the gentrified


fortresses that form the urban centers of global power » (p. 751).
Cette observation coïncide avec les observations notamment des
sociologues (Etienne et Liogier 1997, Le Quéau 1998, Lenoir 1999,
Obadia 1999), par rapport à la prépondérance d’une population
urbaine, de couches plutôt « aisées » et d’individus diplômés parmi
ceux qui adhèrent à une spiritualité liée à une tradition « ethnique »
dans le sens d’un Autre non-occidental, mais avec qui ils ont peu de
relations sociales.
Les traits mis en avant pour représenter une identité, dans notre
cas l’identité de l’Autre, peuvent être choisis d’une façon arbitraire.
Nous pouvons toujours choisir certains éléments qui nous plaisent ou
qui nous déplaisent pour construire ainsi une image, soit positive, soit
négative. A travers la socialisation et à cause de l’information que les
individus reçoivent de leur milieu culturel, ils apprennent et
conçoivent l’Autre à travers ces représentations. Il s’avère donc
nécessaire de connaître les dispositifs culturels mis en œuvre dans la
reproduction et la diffusion de cette information.
On peut constater que la religion est un aspect de la culture
tibétaine qui est très souvent mis en relief en Occident. Désormais, la
religion est prise comme véhicule des imaginaires sur ces Autres. Le
bouddhisme tibétain, comme toute religion d’ailleurs, est un
ensemble de croyances non seulement très vaste, mais aussi
dynamique et ayant des symboles et des consignes qui peuvent être
traduits et interprétés différemment. Même à l’intérieur d’un groupe
culturel relativement homogène, ces interprétations peuvent être si
distinctes, qu’elles provoquent des schismes, comme il a été le cas
dans l’histoire du christianisme de certains pays européens. Les
différences entre les réinterprétations des individus venant d’autres
41

contextes culturels et sociaux, peuvent donc être très importantes.


De ces réinterprétations dépend la bonne image que l’on peut se
former d’une autre identité culturelle.

EXOTISME ET STEREOTYPES

La pensée orientale a souvent été représentée comme étant


opposée à celle des Occidentaux. « L’Occident se serait préoccupé
de la maîtrise de la nature, l'Orient de la connaissance et de la
maîtrise de soi. L'Occident est prométhéen, l'Orient contemplatif;
l'Occident matérialiste, l'Orient spiritualiste, etc. » (Weinberg, 2001, p.
28). Cette simplification extrême va contre les faits que « les
sagesses grecques (stoïcisme, épicurisme) se fondèrent sur des
préoccupations très proches de ce qu’on attribue aujourd’hui à la
‘spiritualité’ » (ibid.), ou que la pensée orientale n'a jamais ignoré les
affaires matérialistes et la pensée rationaliste (Goody, 1999).
Ces images ont été souvent motivées par l’exotisme entendu
comme une idéalisation de l’Autre ethnique à travers des catégories
occidentales comme « naturel », « spirituel », « libre », etc. La
fascination pour l’Autre se trouve déjà chez Christophe Colomb de
manière quasi archétypale, lorsqu’il utilisait des références bibliques
pour décrire les Îles Caraïbes comme un paradis sur terre, et
manifestait sa fascination pour la beauté physique des Indiens.
L’expansion coloniale qui commença dès le XVe siècle et l’arrivée
des nationalismes par la suite, seraient à l’origine d’une classification
et hiérarchisation des peuples en tant qu’ethnies et races, et, comme
le signale Clifford (1996), une tendance à « dichotomiser » et à
« essentialiser » l’Autre, le figer dans une autre nature. La période
coloniale ajouta à ces classifications un critère évolutionniste pour
42

dénigrer les colonisés et justifier ses invasions. Ce dernier aspect a


changé, justement avec la fin du colonialisme, mais la vision
dichotomique et essentialiste reste très présente jusqu’à nos jours.
La dichotomisation joue un rôle important car elle signifie la
perception de l’Autre comme le contraire de Soi. Cette
dichotomisation place les deux parties dans des positions
radicalement différentes, ce qui permet l’idéalisation d’une partie et la
« diabolisation » de l’autre. Citant Freud et Erdheim, Lüsebrink (1999)
montre qu’il serait possible que des formes d’exclusion radicale
comme la xénophobie ou l’exotisme, aient en commun des stratégies
semblables d’évitement psychologique qui détournent l’attention
d’une connaissance plus approfondie de l’Autre.
Un facteur important à prendre en compte concernant les raisons
des représentations valorisées du Tibet aujourd’hui, est le contact
social entre les membres des deux sociétés. Ce contact est très
réduit, et les conflits sociaux n’existent pratiquement pas. Au
contraire, souvent il peut y avoir une sorte de condescendance pour
un peuple qui est ou a été trop long temps opprimé et méprisé.
Les quelques Asiatiques qui se manifestent sur la scène publique
occidentale ont pourtant su s’approprier quelques-uns des éléments
positifs de l’image que les Occidentaux se sont construit du Tibet,
pour se présenter avec cette identité valorisée.
En outre, les ethnies sont pensées en tant qu’unités confinées, à la
manière d’Etat-Nations, avec des frontières bien définies. Des traits
communs à tous les membres (culture, mœurs, religion, voire
phénotype) définiraient ces unités cohérentes.
Les identités collectives stéréotypées ont été reproduites et
diffusées par des écrits comme ceux de Jean-Jacques Rousseau
(avec ses « nobles sauvages »), Châteaubriand, voire ceux des
43

ethnographes. jusqu’aux discours ethnographiques. Certaines de ces


idées sont aujourd’hui utilisées dans la publicité et le tourisme. Les
médias contemporains « contribuent dans une large mesure à ancrer
ces registres dans les mentalités collectives » (Lüsebrink 1999, p.
84). Il existe une « […] forte interdépendance entre la perception de
l'Autre et les formes de représentation discursives, ces dernières
étant chaque fois caractérisées par une diffusion socioculturelle plus
ou moins large. » (ibid., p. 88)
Depuis le XVIe siècle, l’exotisme constitue un des principaux
paradigmes de perception, représentation et d’appropriation de
l’Autre. « Dérive du mot grec « exotikós » qui signifie « étranger » ou
« différent », le terme « exotique » se réfère, depuis cette époque, à
tout un ensemble d’images de l’Autre, cristallisées tant dans des
représentations visuelles que dans des récits et termes, qui
constituent un vaste champ lexical et sémantique : ‘mystérieux’,
‘bizarre’, ‘curieux’, ‘enchantant’, ‘indigène’, ‘paradisiaque’… » (ibid., p.
85) L’amplitude de ce champ sémantique montre qu’il existe toujours
diverses façons de véhiculer les représentations et leurs connotations
à travers des concepts qui changent en fonction du moment culturel.
Ce sont ces concepts que le chercheur doit mettre en évidence, car
le mot « exotique » lui-même est peu utilisé, et dans certains
contextes il peut avoir un sens péjoratif. En tout cas il est important
de souligner que les constructions de l’Autre circulant dans l’espace
culturel d’une société sont variables, multiples et se superposent.
Pour Lüsebrink (1999) la notion de transferts est très importante.
« La construction faite d’une culture et ses représentants est, en
effet, fortement traversée et déterminée à la fois par des transferts
sur le plan réel, - transferts de personnes, d’objets, de modes d’agir –
et des transferts sur le plan symbolique et discursif : traduction de
44

textes, au sens très large du terme, d’une culture à une autre ;


adaptation, réécriture, et transposition de ceux-ci ; mais transferts
aussi de concepts et de modes de pensée, régis souvent par des
volontés de domination politique, culturelle et économique, comme
c’était le cas pour l’expansion coloniale. » (p. 90)
Les études sur la stéréotypie constituent un champ où il y a eu des
découvertes importantes qui peuvent être utiles pour comprendre les
processus qui contribuent à construire les images de l’altérité et par
conséquent pour comprendre les relations interethniques. « Les
relations interethniques au sein d’une société pluraliste se
caractérisent souvent par la pauvreté des formules qui modèlent
l’interaction sociale. Et les rares qui subsistent deviennent
hautement conventionnelles et stéréotypées. » (Douglass et Lyman,
1976, p. 212)
Dans une définition assez consensuelle, selon Bert (2003) « Le
stéréotype est un ensemble de croyances donnant une image
simplifiée des caractéristiques d’un groupe. […] Le préjugé inclut le
stéréotype, qui en constitue l’aspect cognitif, mais y ajoute un aspect
conatif [la prédisposition à agir d’une certaine façon] et un aspect
affectif, fait de sentiments de méfiance, de mépris… Le préjugé, en
effet, est généralement péjoratif » (p. 46). Ce dernier paragraphe fait
penser que le stéréotype n’inclurait pas l’aspect conatif ni l’aspect
affectif, et que ces derniers seraient généralement négatifs. Cette
restriction ne nous paraît pas nécessaire, ni même souhaitable. Pour
nous, qu’elle que soit la définition, l’analyse de cette image que l’on
se fait de l’Autre doit contenir l’aspect conatif et affectif, et doit
considérer aussi les stéréotypes qui donnent une image positive.
« Les gens y tiennent parce qu’ils les aident à donner sens au
monde qui les entoure » (ibid.). Ils font partie de la fonction cognitive
45

générale de la catégorisation qui nous permet de réduire l’immense


quantité d’inputs sensoriels, pour en faire une image simplifiée, une
définition maniable, et réagir d’une façon déjà apprise.
« Notre esprit est meublé de représentations collectives à travers
lesquelles nous appréhendons la réalité quotidienne et faisons
signifier le monde. » (Amossy 1991, p. 9). Les schèmes collectifs plus
ou moins figés et simplifiés conditionnent notre perception et notre
interprétation du réel. Il s’agit d’un acte mental général qui consiste à
ramener le singulier à une catégorie générale constituée de certains
attributs prédéterminés. Le stéréotype serait un de ces schèmes,
mais extrêmement simplifié et surtout aux attributs figés. Bien que cet
aspect extrême des stéréotypes puisse les rendre parfois
inappropriés pour notre étude, le principe cognitif général mis en
œuvre dans la stéréotypie peut être appliqué non seulement aux
images mais aussi aux représentations, concepts, idées, croyances,
nous permettant d’analyser les opinions et les discours.
Les moyens de communication comme la publicité, la presse, les
best-sellers, etc., renforcent constamment nos stéréotypes. Avec la
massification et globalisation de la distribution de l’information, c’est
aussi les stéréotypes qui se massifient. Mais réciproquement, ces
produits culturels se nourrissent des images et des idées qui naissent
dans la société contemporaine.
Les médias font circuler des images simplifiées de personnages
qui, selon Amossy, exercent une fascination puissante sur
l’imagination collective, devenant des mythes. Reste à savoir
comment ces images acquièrent cette valeur et par quel biais
transmet-on cette valeur.
Même s’il s’agit de « descriptions » de la réalité, comme dans le
cas de la presse qui prétend être objective et sans préjugés (encore
46

faut-il voir si le texte l’est effectivement), les textes que nous allons
analyser sont le résultat d’un stéréotypage choisissant certains traits
du réel qui correspondent aux cases des schèmes préexistants. Il
s’agit d’un découpage et d’un effacement des autres traits. Les
variantes de chaque particularité sont réduites et réinsérées dans le
moule auquel on est habitué.
Dans sa manifestation sociale le stéréotype permet de caractériser
l’endogroupe, le nous, par rapport à l’exogroupe, les Autres (ce qui
relève du principe logique A n’est pas B). En psychologie sociale on a
exploré largement les mécanismes de catégorisation qui sous-
tendent ces représentations de l’autre. Il s’agit d’une part d’« Un effet
de contraste qui tend à accentuer les différences entre des sujets dès
lors qu’ils appartiennent à des groupes différents » (Lipiansky 2001,
p. 60), et d’autre par d’un effet qui « conduit à percevoir un étranger à
travers les images toutes faites transmises par la culture et à penser
que tous les ressortissants d’une même nationalité [ou groupe
ethnique] sont porteurs des traits prototypiques qui lui sont
associés » (op. cit, p. 60-61). « Cet effet d’assimilation est d’autant
plus fort qu’il porte sur un groupe étranger » (op. cit., p. 61). En outre
« On perçoit d’avantage ce qui semble prototypique » (ibid.). Par
contre, la fréquentation des individus d’un groupe diminue le recours
au stéréotype qui leur est associé.
Il faut remarquer que ces conclusions sont tirées à partir
d’enquêtes menées auprès d’individus de culture occidentale. Nous
les citons justement parce que nous nous intéressons aux
représentations occidentales, mais nous ne les prenons pas a priori
comme des caractéristiques générales de la cognition humaine.
D’autre part, la méthodologie employée dans ce type d’enquêtes crée
une situation qui est en quelque sorte artificielle. Par exemple, les
47

chercheurs proposent une situation de comparaison explicite entre


groupes, ce qui provoque que les mécanismes de catégorisation
soient plus actifs. En outre, on a démontré que les évaluations que
fait un même groupe, changent de nature en fonction des groupes
comparés.
Lipiansky (2001) rappelle le fait que les stéréotypes peuvent servir
à justifier les relations qui existent entre groupes, relations
influencées par des motifs politiques, économiques ou sociaux.
Ce dernier auteur expose une idée, largement répandue, selon
laquelle la tendance à dévaloriser l’autre viendrait nécessairement
comme conséquence de la tendance à valoriser son propre groupe
pour renforcer l’identité. Pourtant, comme nous l’avons déjà discuté,
nous n’avons pas trouvé d’argument logique comme quoi se
construire une identité positive impliquerait nécessairement une
dévalorisation d’Autrui. Cela dit, il est vrai que les stéréotypes ont
souvent fourni une justification au rejet de l’Autre, par exemple
lorsque deux groupes entrent dans un conflit politique. Ce serait une
forme de « rationalisation » ou légitimation discursive pour
« expliquer » et valider l’hostilité envers l’Autre.
Par ailleurs, parfois « les personnes stéréotypées y croient et
agissent en conséquence, « se comportant conformément à
l’image » (Bert, 2003, p.47) qu’on leur a attribuée. En outre, le cercle
vicieux s’accentue car les pratiques sociales se structurent en
fonction de ces stéréotypes. Ainsi, si « les Noirs sont considérés
comme des êtres inférieurs [peu intelligents], on ne leur accorde pas
suffisamment de chances d’éducation donc ils deviennent
effectivement inférieurs du point de vue de ce qu’ils accomplissent
effectivement. » (Bert 2003, p.47).
48

Pourtant, les stéréotypes ne seraient pas aussi figés et univoques


qu’on ne l’a cru dans le passé : ils sont plutôt des « constructions
élaborées au coup par coup en fonction du contexte, de la motivation,
etc. » (Bert 2003, p. 47). L’importance du contexte, en effet, nous
semble fort pertinente. Les stéréotypes étant une façon de réagir,
chaque circonstance entraîne une réaction spécifique (sans pour
autant vouloir dire que chaque cas implique une réaction différente à
toutes les autres). Un asiatique peut-être investi d’un tout autre
stéréotype lorsqu’on le rencontre dans un temple bouddhiste, ou
dans une entreprise ; ainsi, l’association qu’un Occidentale peut faire
à sa religiosité ou sa « sagesse » dépendraient du contexte et de la
situation d’interaction social.
Selon Amossy (1991) le stéréotype en tant que description, aussi
biaisée soit elle, n’a pas de valorisation. Cette valorisation s’opère
grâce à une « expansion métaphorique » où l’on passe au sens
« figuré ». C’est dans un processus additionnel, activé probablement
par le contexte, que les images, et les éléments qui les constituent,
acquièrent une valeur. Dans notre cas, c’est ce type de
« glissement » de sens et les contenus figurés qu’il faut creuser.
Concernant quelques-uns des stéréotypes occidentaux du Tibet,
on entend souvent dire même aujourd’hui que le Tibet serait resté
fermé aux influences extérieures ; suite à cela on peut lui associer
des images de pureté, d’authenticité, d’un lieu véritablement spécial,
d’alternative véritablement autre. Pourtant, Lopez nos explique que
les compte-rendus des voyageurs du XVIII détaillent de nombreux
contacts avec des marchands asiatiques. Dans son « Livre des
merveilles », suite à son voyage en Asie, Marco Polo « fait parti de
son admiration pour la magie tibétaine. Il est donc jusqu’à un certain
point, l’origine du stéréotype qui associe ‘Tibet’ à ‘magie’ et à
49

‘merveilleux’, qui fut notamment vulgarisé par Alexandra David-Néel


et qui est encore partagé par beaucoup d’Occidentaux. » (Obadia
1999, p. 13).
Parmi ces images, le Tibet apparaît comme une ressource pour la
société occidentale qui souffre les maladies du narcissisme, du
matérialisme, manque de repères, etc. La culture tibétaine serait une
alternative radicalement autre, lointaine, et par là, ambiguë. « […] le
Tibet est à la fois partout et nulle part, fonctionnant comme un
élément de différenciation à partir duquel tout est possible. » (Lopez
2003, p. 27) En France il est une alternative suite à un désir de
changement.
La construction de l’image du Tibet est à commencer par le nom
avec lequel on désigne fréquemment le bouddhisme tibétain en
Occident : le « lamaïsme ». De surcroît, le « lamaïsme » se substitue
quelquefois à ‘Tibet’ et ‘lamaïste’ à ‘tibétain’. Or, il se trouve que « Le
terme lamaïsme n’a pas d’équivalent dans la langue tibétaine ». !
(Lopez 2003, p. 31).
Le Dalaï Lama est la figure la plus représentative du Tibet, aussi
bien pour les Occidentaux, que pour les Tibétains (Lopez 2003, p.
210). Auteur ou co-auteur de plus d’une centaine de livres,
« ambassadeur » infatigable du Tibet partout dans le monde (mais
notamment dans les pays les plus riches) le Dalaï Lama est sans
doute la figure emblématique du tibétain en Occident. Toujours
souriant, suivi par des millions d’Occidentaux, avec un charisme qui
fait de lui une image presque mythique, il a largement contribué à
construire les représentations Occidentales de la culture tibétaine à
travers ses discours et des gestes symboliques qui constituent son
image « sympathique ». Un de ses efforts les plus important a été de
donner une image cosmopolite du bouddhisme tibétain notamment à
50

travers les échanges avec d’autres religions et une idée implicite (et
parfois explicite, puisque ses discours changent beaucoup) que
toutes les religions ont un fonds commun.
Dans un de ses livres (« Le Dalaï Lama parle de Jésus », 1996)
on trouve des commentaires de plusieurs autres auteurs, ce qui
donne l’idée d’une réciprocité dans l‘échange. Dans une postface du
P. Laurence Freeman, il décrit le Dalaï Lama comme un maître
spirituel, ayant une charge spirituelle globale. Il incarnerait les
« valeurs religieuses universelles de paix, de justice, de tolérance et
de non-violence ».
Le Dalaï Lama tente dans ce livre de montrer les points
convergents entre le bouddhisme et le christianisme, à travers des
exemples de textes de chaque doctrine, aussi bien que de la vie de
leurs fondateurs. Il s’oppose ici à la conversion et dit qu’il ne faut pas
tenter d’unifier les religions du monde en une seule, car cela
signifierait la perte des qualités et des « richesses » propres de
chaque tradition. Il serait important qu’il existe plusieurs religions pour
les différents besoins et dispositions des personnes, manifestant par
là une idée très proche de celle de la « religion à la carte ».
La religion y est clairement présentée comme une « voie » ou
plutôt comme quelque-chose à partir de quoi l’individu peut enrichir
sa voie, et la démarche du dialogue interreligieux, qui est celle du
Dalaï Lama et de ceux qui ont contribué à l’écriture de ce livre, serait
une contribution à l’enrichissement de la voie personnelle.
En effet, pour Obadia (1999), le bouddhisme se présente comme
un « enseignement » et les lamas comme des « maîtres » (guru en
sankrit, lama en tibétain). Mais la figure du maître semble aller au-
delà du contexte du bouddhisme, et même des religions
51

traditionnelles. Le maître est celui qui a des réponses, et il peut être


un « coach » ou un chaman aussi.

APPORTS DES ENQUETES SOCIOLOGIQUES

Au niveau sociologique, tous les auteurs consultés et qui se


référent à des statistiques concernant le type sociologique des
personnes intéressées par le bouddhisme, s’accordent sur le fait qu’il
y a une forte représentation des personnes ayant une formation
universitaire. L’un des chiffres les plus significatifs est le taux très
élevé de personnes ayant effectué des études supérieurs longues :
39% ayant un niveau bac + 4 et plus, et 64% ayant bac + 2. Par
ailleurs, « les médias les plus modernes, l'audiovisuel tout
particulièrement - mais aussi désormais le réseau Internet -, servent
de support à la propagation de la foi, et contribuent à bouleverser le
‘message’ » (Kempel 2000, p. 2448). Une forte représentation d'une
intelligentsia scientifique au sein des mouvements politico-religieux
aurait, quant à elle, une influence sur les formes et le contenu de la
prédication. L’influence d’une interprétation « intellectuelle » des
croyances seraient donc un élément essentiel de la lecture et
valorisation des manifestations culturelles et religieuses de l’Autre.
Ce phénomène d’intérêt et revendication des croyances religieuses
est, selon Kempel, assez nouveau: « on était souvent habitué à
considérer que les milieux restés religieux avaient pour caractéris-
tique de ne pas avoir été exposés à la modernité, de recruter
principalement dans les campagnes, les couches âgées ou peu
éduquées de la population ». (Kempel 2000 p. 2448)
Parmi les sagesses orientales, le bouddhisme bénéficie d'un grand
succès en France au moins depuis 1990, et notamment depuis
52

l'attribution du prix Nobel de la paix au dalaï-lama en 1989. Ce


dernier est devenu une icône vivante, non seulement du bouddhisme
tibétain, mais aussi du bouddhisme tout court. L’image très positive
du bouddhisme est attachée de façon prépondérante à sa variante
tibétaine et entraîne sa médiatisation (interviews et dialogues avec le
dalaï-lama et avec d'autres lamas réchappés du Tibet,
documentaires, livres, œuvres cinématographiques...). « Par
comparaison, l'audience des sagesses tirées du Vedanta indien ou
de la voie taoïste chinoise, qui s'expriment dans des formes moins
institutionnalisées, demeure discrète » (Hourmant, 2000, p. 28).
En effet, si le dénombrement des bouddhistes français est difficile
car les engagements ne correspondent pas à des catégories
nettement identifiables ni observables, la diffusion des messages
concernant le bouddhisme tibétain est tout à fait remarquable ; par
exemple plusieurs livres sur le sujet ont eu des tirages supérieurs à
cent mille exemplaires. Cette indéniable « surexposition médiatique »
des manifestations bouddhiques ou tibétaines peut entraîner une
forte visibilité, mais aussi la réinterprétation et la formation de
stéréotypes et d’idées occidentalisées sur le bouddhisme.
Obadia (1999) constate que pour ceux qui ne sont pas convertis
mais intéressés par le bouddhisme, les thèmes traditionnellement
bouddhistes représentent une partie minime du lexique de leurs
discours. Cela met en relief l’importance des contenus qui circulent
dans l’espace culturel général dans la formation d’imaginaires sur le
bouddhisme.
F. Lenoir constate que "... sous des formes et à des degrés très
divers, les sagesses orientales semblent bien implantées en Europe
et aux Etats-Unis. » (Lenoir 2000, p. 2401). Toujours pour Lenoir
(1999), le bouddhisme serait une doctrine qui se prête au bricolage
53

de croyances, de techniques psychocorporelles, de raisonnements,


etc. sans s’imposer à travers des règles ou par la fréquentation d’une
communauté. « Son attrait principal réside, au vu des enquêtes
menées ces dernières années, dans son positionnement comme
religion ‘autre’ : le bouddhisme est perçu comme une voie dont
l'aboutissement principal serait une sagesse de vie proche des
aspirations quotidiennes favorisant l'équilibre psychologique et le
bonheur dans le monde. » (Hourmant, 2000, p. 28)
En général, « L’époque s’intéresse aux sagesses », on aperçoit
partout un « tâtonnement spirituel ». Par exemple : « Un changement
est intervenu dans la manière de lire les philosophes antiques : au
lieu de considérer leur travail conceptuel comme un pur exercice
théorique, on retrouve dans leurs œuvres les efforts quotidiens pour
modifier le rapport à soi, aux autres, au monde. D’une part on lit
aujourd’hui Montaigne, Spinoza ou Wittgenstein avec en tête les
questions du bonheur, de la sérénité. Avec le souci de retrouver des
certitudes autres que celles du marché. Enfin, l’Orient devient une
nouvelle fois matière à rêver et espoir de ressource : on le croit
capable de satisfaire la demande diffuse, parfois confuse, d’une vie
différente. » (Droit, 1999a, p. 135). On ne veut pas de bords tranchés
entre les différentes traditions qui empêcheraient d’accéder à l’une ou
à l’autre librement. On veut du « religieux en général ». On veut
piocher un peu de sacralité ici, trouver un peu de transcendance là,
s’accorder un moment de stabilité, de sens dans une mer
d’informations constamment changeante et peu discriminée. Il faut
pourtant noter que l’idée de sagesse est plutôt une recherche qui
concerne le soi individuel et beaucoup moins la recherche de
principes moraux qui guident la vie collective.
54

Le croire de l’individu ne part plus de la référence à une institution


qui en définirait le contenu. Les fondements de ce changement
peuvent se définir comme le passage d’une autorité subie à une
autorité choisie. La tradition est remaniée. Ce remaniement, ces
manipulations du sens seraient en principe illimitées (Michel 2000,
Hervieu-Léger 1993). Pourtant, à notre avis, le mot illimité est
imprécis dans sa vastitude ; comme dans le cas de tout langage, bien
qu’il y ait d’infinies possibilités de constructions, il y en a certaines qui
ne sont pas permises, qui contredisent les principes généraux et
génératifs des constructions symboliques.
La « quasi-impossibilité des centres bouddhistes à fidéliser les
personnes touchées » (Lenoir 1999, p. 99) montre que l’adhésion
des individus reste très mobile. « Les statistiques de Dhagpo Kagyu
Ling [important centre bouddhiste en France] montrent que 20 %
seulement des personnes reviennent au moins une deuxième fois au
centre. » (ibid. p. 100). Ce fait vient confirmer la fluidité des
engagements et le turnover d’une catégorie à une autre que les
sociologues observent dans la religiosité moderne et qui affectent
aussi le bouddhisme. « Tel bricoleur peut se stabiliser dans le
bouddhisme et tel pratiquant régulier retourner au bricolage » (ibid).
Alors que la popularité du bouddhisme et le nombre de
sympathisants et touchés par ses idées ont explosés durant les
années 90, les centres bouddhistes n’ont pas présenté un
accroissement très sensible de leur taux de fréquentation et le
nombre de convertis est presque stable depuis les années 80. Par
rapport au passé, les engagements sont moins forts et plus
modulables. En outre, ils doivent s’adapter ou encore s’intégrer à la
vie sociale et professionnelle active de l’individu.
55

Pour connaître cette fluidité ou passage d’une catégorie à une


autre, Lenoir (1999) ainsi que qu’Ettienne et Liogier (1997) ont utilisé
la technique d’entretiens en profondeur et ont consacré une large
part au récit biographique en interrogeant les gens sur leurs parcours
spirituelles, leurs motivations, leurs ruptures, etc. Lenoir a noté
l’ « importance primordiale du rapport au religieux vécu par les
interviewés durant leur enfance » (p. 129).
Un fait remarquable c’est la fréquence avec laquelle les personnes
qui ont été concernées par le bouddhisme, remettent en valeur leur
propre religion d’origine, par exemple le christianisme. On peut
trouver par exemple un individu qui fait zazen dans une église
comme quelque chose de tout à fait naturel. Ce comportement paraît
s’inscrire dans une logique syncrétique qui unifie les deux religions,
de sorte que, par exemple, on considère Jésus comme un
bodhisattva. Une immense majorité d’adeptes se considèrent et
chrétiens et bouddhistes. Un témoin commente « …ça m’a touché
d’entendre Dennis Gira, cet excellent spécialiste du bouddhisme qui
est en même temps chrétien convaincu, parler du bouddhisme : il
parle d’une manière compréhensible, mieux qu’un bouddhiste
asiatique, parce qu’il l’exprime avec une sensibilité qui est la
nôtre… » (Lenoir 1999, p. 291) (c’est nous qui mettons en italiques).
Ces enquêtes biographiques sont fort importantes car elles nous
permettent de penser le phénomène des nouvelles formes du croire
en termes de « parcours ». Ces parcours spirituels sont jalonnés de
certains traits typiques : -L’individu prend distance avec la religion de
son enfance, dont il rejette sont caractère autoritaire et son dogme
hérité. Les valeurs technicistes et mercantiles occidentales ne
comblent pourtant pas son besoin de sens, de repères, de se sentir
intégré à un tout au-delà de sa personne. Il décide de chercher
56

d’autres « sagesses » venues d’ailleurs. Il trouve le bouddhisme


tibétain qui « lui parle » en ses propres termes et s’accorde avec ces
besoins. Certains se rendent compte que leur religion d’origine a les
mêmes contenus que ceux qui leur plaisent dans le bouddhisme, et
s’ils sont capables de mettre de côté les idées qu’ils avaient contre
leur religion d’enfance, ils peuvent la revaloriser, reprenant parfois sa
pratique.
Le mérite des discours bouddhistes (et on le verra aussi dans
d’autres mouvements spirituels concernant d’autres identités
ethniques) c’est qu’ils ont su incarner et mettre en pratique des
principes et des valeurs que l’individu avait en soi par sa formation et
qui se manifestaient seulement à travers une certaine motivation.
Ces discours des nouvelles religiosités ont su, par exemple, se
présenter comme des formes de connaissance parallèles et
complémentaires à la psychologie, qui viennent en aide comme une
sorte de « médecine » (Etienne et Liogier 1997) aux personnes en
détresse, désorientées, etc. C’est ainsi que, comme les trajectoires
spirituelles le confirment, les personnes se penchent souvent sur le
bouddhisme pendant une période de crise, bien qu’un engagement
véritable se fasse normalement assez lentement, des années après
leur premier contact avec le bouddhisme.
Mais l’engagement confessionnel n’est pas ce qui compte le plus
pour la plupart des sympathisants du bouddhisme car pour eux, et
même pour les pratiquants, leur adhésion n’est pas spécifiquement
d’ordre religieux. En outre, beaucoup d’Occidentaux hésitent à définir
le bouddhisme comme une religion (Lenoir, 2000, Liogier, 2003). Le
bouddhisme peut être une « philosophie de l’homme », une « façon
de voir les choses », une « manière d’être », un modèle des
« relations avec les autres », un « chemin spirituel » dont le but est
57

une transformation intérieure et il devient un art de vivre. Nous avons


observé que dans certains contextes le mot religion, dans un sens
classique a, au contraire, des connotations négatives, comme le
fanatisme, l’irrationalité absurde, l’aveuglement ou le lavage de
cerveau. Les adeptes aiment trouver l’aspect concret, pragmatique,
existentiel, et rejettent toute doctrine dogmatique.
A la question, « au début, qu’est-ce qui vous a le plus attiré dans le
bouddhisme ? » dans l’enquête qu’a menée Lenoir (1999), les
réponses les plus importantes sont : 1) Son respect de tout être
vivant, sa compassion. 2) Il ne fait pas appel à des dogmes ou à un
Dieu extérieur. 3) La liberté qu’il offre à chacun de suivre sa propre
voie. 4) Son pragmatisme. Il est toujours relié à l’expérience. 5) Sa
tolérance envers les autres religions et voies spirituelles. (p. 256-7)
Seulement en 8e place on trouve « son explication du mal et de la
souffrance ». Cette place plutôt peu importante contraste avec le fait
que l’explication et l’élimination des causes de la souffrance est
considérée comme le but principal du dharma bouddhiste.
Pour Etienne et Liogier (1997) le bouddhisme tibétain intègre des
enseignements de textes divers et venant de plusieurs branches,
dans le seul but d’obtenir de bons résultats, ce qui est une idée très
valorisée par la modernité. Alors, on peut interpréter cela comme un
trait « moderne » du bouddhisme, ou une réinterprétation moderne
du bouddhisme. Nous préférons privilégier la deuxième hypothèse.
Un des éléments pour ce choix, vient du fait évoqué par ces auteurs
eux-mêmes : le bouddhisme pratiqué par les Asiatiques vivant en
France ne correspond pas aux aspirations culturelles des Français
qui pratiquent le « bouddhisme ».
Un des exemples du rôle de l’interprétation, c’est le fait que les
rites pratiqués dans le bouddhisme tibétain peuvent paraître, aux
58

yeux des occidentaux, comme une mauvaise influence des religions


« païennes » ou comme des choses trop bizarres et même
choquantes. Ou bien, au contraire, ces rites peuvent laisser une
place au mystère ou se prêter à toutes sortes de réinterprétations
valorisantes.

L’ATTRAIT DU BOUDDHISME : DIFFERENTS MODELES


EXPLICATIFS

La « deuxième vague » dans l’histoire du bouddhisme en Occident


(mentionnée plus haut) et dans laquelle nous sommes encore
aujourd’hui, est analysée par la sociologie des religions en tant qu’un
phénomène plus général d’émergence en Occident d'une nouvelle
religiosité et dans la perspective d’une crise des sociétés
occidentales, incapables de fournir un système de significations
satisfaisant aux besoins des individus.

En essayant de comprendre pourquoi un système idéologique est


adopté par un autre peuple que celui qui l’a produit, Le Quéau dit que
les raisons historiques ont « peu d’intérêt », et que les circonstances
de la rencontre ne fournissent jamais l’explication de cette adoption
idéologique. Il pense, en tout cas, que, tant dans le cas des
syncrétismes entre le catholicisme et les religions africaines au
Brésil, et dans le cas occidental d’adhésion aux idées orientales, il
s’agit d’une Afrique « imaginale » ainsi que d’un Orient « imaginal ».
Un modèle de rencontre de cultures différentes serait basé sur un
principe commun aux parties, un tertium datum qui serait la « nature
humaine ». C’est en effet un principe qui sert de base aux discours
qui intègrent la diversité dans un tout universaliste. Une nature
59

humaine dont toutes les sagesses parlent et grâce à laquelle elles


peuvent communiquer entre elles. Dans le cas de cette rencontre
entre l’Occident moderne et les autres cultures, cette « nature »
s’accompagne de l’idée que toutes les cultures veulent accomplir les
même buts, et qu’elles ont développé des connaissances et des
techniques pour y parvenir, valables pour nous tous grâce au partage
de la même humanité. En effet, « Les historiens de l'appropriation du
bouddhisme par l'Occident soulignent que les orientalistes, en
l'abordant par le biais des textes, l'ont généralement réduit à une
sagesse, sinon une «sagesse athée», et ont considéré ses aspects
religieux comme des superstitions ou des concessions aux
demandes populaires. » (Hourmant, 2000, p. 28)
La réalisation de l’expérience alternative de ces nouvelles
religiosités, se fait par une forme de médiation, une logique
métaphorique, d’intégration, de symbolisation, ce qui permet à
l’individu une sorte d’appropriation de la nouveauté ou de l’altérité. Il
semblerait que ces combinaisons et appropriations se font par le
principe de « coupure » que Bastide aurait définit, et qui permet à
l’individu de passer d’un type de logique à un autre au cours de sa
vie social, permettant ainsi la coexistence des différents registres
chez lui.
Il existe au moins deux types de facteurs pour expliquer cette
nouvelle lecture des textes de l’Altérité, peuvent se diviser au moins
en deux types : les raisons que nous pouvons appeler d’ordre socio-
structurel, c’est-à-dire les caractéristiques sociales générales qui
favorisent ou soutiennent l’avènement de certaines formes
culturelles ; parmi ces raisons, nous pouvons considérer la perte
d’emprise des institutions religieuses, l’effondrement du
communisme, la domination mondiale du marché, et tout l’ensemble
60

de raisons historiques qui ont donné lieu à ces caractéristiques.


D’autre part, il y a les raisons proprement culturelles et que nous
pouvons considérer comme formelles : une idéologie, c’est-à-dire un
ensemble d’idées qui circulent et sont disponibles aux gens
d’aujourd’hui et qui façonnent leurs opinions, croyances, attitudes.
C’est à ce dernier type de raisons que nous nous intéressons
directement, non sans ignorer bien entendu les conditions socio-
structurelles qui les soutiennent d’une façon nécessaire mais non
suffisante.
Traditionnellement l’attrait occidental pour le bouddhisme tibétain a
été analysé par les sciences sociales à travers la conception de deux
cultures qui se rapprocheraient, suivant un modèle bipolaire qui
prétend trouver les explications d’un tel attrait en analysant les
caractéristiques de chaque partie qui les rendraient compatibles. En
l’occurrence, le modèle a été développé sous l’image de l’échange
économique où il y aurait coïncidence entre la « demande »
occidentale (de sens, de spiritualité, etc.) et l’« offre » orientale.
Evidemment, il peut s’avérer utile de connaître les caractéristiques
culturelles de chaque ethnie, mais cette étude n’est pas suffisante
pour rendre compte des particularités que la relation construit. En
particulier nous critiquons la partie « orientale » du binôme, car nous
croyons que ce n’est pas en étudiant le bouddhisme tibétain dans sa
version asiatique ou sa version traditionnelle, que nous allons
comprendre le phénomène d’intérêt pour le bouddhisme tibétain en
France.
Obadia (1999) critique les explications de la diffusion du
bouddhisme en Occident selon lesquelles il y aurait une congruence
entre le contenu philosophique du bouddhisme et la modernité en
général. Il critique particulièrement l’hypothèse selon laquelle le
61

bouddhisme serait une philosophie « rationnelle » et que par ce biais


il s’adapterait très bien à la rationalité occidentale. Il signale à juste
titre que dans la dynamique de circulation d’idées entre groupes
humains et de leur réinterprétation, « il n’est pas étonnant que le
bouddhisme ait été réinterprété en termes rationalistes dans une
société qui valorise par-dessus tout la Raison » (p. 47). En effet, les
discours concernant les raisons pour lesquelles le bouddhisme est
« intéressant » peuvent être la conséquence d’un engagement plutôt
que la cause de celui-ci. Le discours de légitimation est un élément
essentiel de la religiosité. Comme le signalait Durkheim « Les
hommes ne peuvent célébrer des cérémonies auxquelles ils ne
verraient pas de raison d’être, ni accepter une foi qu’ils ne
comprennent d’aucune manière. Pour la répandre, ou plus
simplement, pour l’entretenir, il faut la justifier, c’est-à-dire, en faire de
la théorie. » (cité par Obadia 1999, p. 226).
Par ailleurs, le bouddhisme se présente comme une alternative au
catholicisme ; une sorte d’antithèse à tout ce que l’on critique de sa
propre religion, et même parfois à tout ce que l’on critique de La
Religion, en faisant du bouddhisme un doctrine « athée ». En fait, on
voit plusieurs sortes de réinterprétations : les mystiques y voient une
religion de la contemplation et mettent l’accent sur la pratique de la
méditation ; les adeptes de la philosophie (Schopenhauer, Nietzsche,
etc.), un philosophie universelle ; les athées positivistes, une doctrine
rationnelle. Pour donner un exemple plus concret, ceux qui travaillent
de la santé y voient une explication de la mort et de la souffrance.
Notre questionnement additionnel et qui n’est pas posé par Obadia,
c’est d’où vient la motivation pour donner ce type de réinterprétations
positives, puisque, s’agissant de notions venues d’une autre culture
(ou plus pertinemment d’une autre ethnie), on aurait pu ne pas leur
62

accorder cette « rationalité » ou ce mysticisme selon le cas, et, au


contraire, les dénigrer et les rejeter. Il est possible que ces
interprétations ne soient pas causées par une particularité du
bouddhisme, mais par un discours qui inclut également d’autres
« religions », la seule particularité du bouddhisme tibétain étant qu’il
en est l’exemple le plus visible en France, et que les tibétains ont su
reproduire ce discours (de plus, bien sûr, certaines conditions socio-
structurales le permettent, comme le fait qu’il n’y a pas de conflits
politiques entre la France et le Tibet).
Selon Obadia, la diffusion du bouddhisme tibétain en France est
due à une intense activité missionnaire et de propagande par une
institution religieuse fortement bureaucratisée. A notre avis ce débat
entre les explications qui partent du contenu de la doctrine
bouddhiste, et celles qui partent d’une activité « missionnaire », naît
d’une confusion quant aux termes de la discussion, puisqu’il faut
savoir que lorsque nous parlons du bouddhisme en Occident nous
parlons forcément d’un bouddhisme occidentalisé, et donc, d’une
autre version du bouddhisme. Il ne peut en être autrement dès lors
que les textes sont traduits et adaptés à la mentalité des individus
occidentaux pour qu’ils puissent le comprendre, et ce facteur compte
d’autant plus que cette acclimatation ne date pas d’hier. C’est ce
bouddhisme-là qu’il faut prendre en compte, sa version occidentale,
celle qui s’est propagée en Occident, et non pas la doctrine
bouddhiste tel qu’elle est conçue et vécue au Tibet ou en Inde, ou
celle qui est conçue par les historiens des religions ou les
« savants ». Audinet (2000b) signale que les échanges entre les
discours « savants » et « populaires » sont permanents, et qu’un
« métissage » est inévitable, ce qui disqualifierait l’essai de
déterminer la véracité ou authenticité d’une source ou d’un discours.
63

« La nostalgie d'un retour à un discours unique ne peut que se


révéler vaine. La restauration dans leur pureté des discours
fondateurs, arme de combat de tous les fondamentalistes, est une
illusion. » (ibid., p. 2271). Après tout, le discours qui parvient aux
personnes concernées, et qui est celui qui nous intéresse, est
effectivement un produit du va-et-vient entre toutes sortes de
sources, un processus qui se construit dans l’interaction culturelle.
« La religion est d’abord celle des croyants et non celle des savants »
(ibid. p. 2270). C’est pourquoi nous avons opté pour l’étude des
représentations occidentales d’une forme culturelle Autre pour
expliquer la relation.
D’un autre côté, nous ne pouvons pas nier le rôle actif des moines
tibétains dans la diffusion du message bouddhiste (tel qu’il est
considéré en Occident) ni l’importance qu’ils ont eu pour donner
forme à l’image que l’on a de cette culture asiatique. Pourtant,
l’importance de ce « militantisme » (comme l’appelle Obadia)
prosélyte est pour nous peu importante. Cet auteur base son
hypothèse sur le fait que c’est lorsque les moines tibétains se sont
appropriés du discours, que les conversions sont devenues plus
nombreuses, or la concomitance de deux faits n’implique pas une
relation de causalité. Effectivement les conversions ne peuvent se
faire que grâce à une action institutionnelle, puisque c’est l’institution
qui peut convertir. Néanmoins, les conversions ne sont pas
représentatives de l’importance ou la diffusion de cette religion, et en
outre, l’importance du contenu du discours peut être extrêmement
grande même en absence de conversions. Par contre, l’appropriation
du discours par les moines tibétains, permet que le discours soit
associé à une identité ethnique.
64

En effet, le Dalaï Lama a par exemple participé très activement à


la diffusion du discours. Il a même mobilisé l’O.N.U. et d’autres
organismes internationaux ainsi que certains gouvernements pour
agir en faveur de la culture tibétaine qui, selon lui, serait gravement
menacée par l’invasion chinoise remontant à 1949. Par ailleurs, à
travers ses conférences et ses entretiens, il est présenté toujours en
tant que source de réponses aux crises occidentales, et les thèmes
abordés correspondent presque toujours aux intérêts des
Occidentaux et aux sujets très contemporains comme l’écologie, les
Droits de l’Homme ou l’épanouissement personnel. Il n’est pas
surprenant que selon les sondages, le bouddhisme soit considéré
comme la religion qui « favorise le mieux l’épanouissement
personnel » (sondage cité par Obadia 1999). Le Dalaï Lama prône le
pluralisme en déclarant à maintes reprises qu’il est positif que les
individus adoptent des techniques d’autres religions et qu’ils gardent
leur religion d’origine. En outre, il ne cesse de répéter que le
bouddhisme n’est pas un dogme, et que chacun doit tester sa validité
selon son propre jugement. Ce qui est fortement valorisé par la
modernité contemporaine.
Plus tard, Obadia lui-même semblerait accorder (de façon peut-
être contradictoire) que c’est dans le contenu des discours où
demeure le pouvoir du bouddhisme pour captiver les esprits des
Occidentaux : « Ce qui garantit l’efficacité de la pédagogie des
lamas, c’est tout d’abord le contenu de la propagande » (p. 163), et
que cette pédagogie « s’appuie également sur la mise en œuvre de
moyens rhétoriques […] qui facilitent l’acceptation par leurs élèves
des notions qu’ils cherchent à leur inculquer. » (p. 164). Nous
sommes tout à fait d’accord avec ce point sur la rhétorique, et nous
allons le développer plus tard. En outre, parfois il s’agirait plus d’une
65

séduction que d’une persuasion, ce qui implique des mécanismes


symboliques d’autant plus subtiles. Pour nous, c’est notamment dans
les discours et les représentations où réside une grande partie de ce
succès, bien qu’il s’agisse là, comme dans presque la totalité des
phénomènes sociaux, d’un ensemble d’éléments qui contribuent à
donner un effet particulier. La polysémie des éléments du discours
religieux lui donne son efficacité en ce sens où il peut être
réinterprété par des individus culturellement distincts selon leur
propre vision.
Un concept qui semble central pour expliquer le phénomène du
bouddhisme en Occident est celui de « bricolage », qui révèle le fait
que « …la plupart des bouddhistes français ont une identité
changeante et peu affirmée, […] qui fait de l'adhésion au bouddhisme
une manifestation parmi d'autres de la décomposition du religieux. »
(Hourmant 2000, p. 31). Les enquêtes révèlent des parcours des
adeptes, où l’on observe un intérêt pour d’autres formes de religiosité
qui surviennent suite à des lectures ou rencontres, et plus rarement à
des voyages. Il faut donc se demander quels sont les dispositifs
représentationnels qui permettent aux individus de « bricoler » des
réponses dans les domaines de l’altérité ethnique et du religieux.
Nous ne prenons pas le mot « bricolage » dans le sens d’un travail
peu soigné, sans importance ou même de la falsification d’un objet
authentique - selon quelques-uns des sens signalés par le
dictionnaire Petit Robert -. Pour nous il s’agit d’un travail « en
amateur », c’est-à-dire en dehors du cadre d’une institution ou même
d’une technique institutionnalisée ; un travail qui implique non pas
une « réparation », mais plutôt un aménagement, un arrangement.
« Ce bricolage rend bien compte de la pratique des individus insérés
dans ce nouveau ‘cosmos sacré des sociétés modernes’ où chacun
66

se sent libre de ‘suivre sa voie’, d’utiliser des fragments de croyances


prélevés sur les religions historiques en les combinant selon ses
besoins personnels, de piocher en somme dans le ‘croyable
disponible’ ce qui lui convient à un moment donné » (Lenoir 1999 p.
27). Face à cet éclatement de la religiosité contemporaine, l’approche
psychosociologique a permis d’élaborer des typologies plus
qualitatives qui tiennent compte de ce changement constant dans les
trajectoires individuelles. Les chercheurs ont constaté l’existence
d’une population engagée dans une quête de sens, que l’on peut
qualifier de spirituelle ou philosophique, qui se prête facilement à
toutes sortes de réinterprétations, combinaisons et arrangements. Ce
phénomène n’est pas exclusif à cette population. Après tout, dans les
différentes cultures, les religions sont associées à des pratiques et
des doctrines spécifiques, qui, indépendamment de leur caractère
plus ou moins laïque ou sacré, entraînent une définition de
l'existence humaine, en termes de buts, d'origine, de nature...
Comme le signale Vinsonneau, « Outre les liens que [la religion] tisse
entre les membres d'une même communauté, la religion se pose en
support des interrogations que les individus développent: sur eux-
mêmes, sur le monde, sur leur place dans ce monde... »
(Vinsonneau, 2002, p. 143). Le contexte religieux nous oblige à
considérer les éléments qui peuvent constituer des « supports » pour
les individus, ainsi que leurs intérêts et besoins.
Dans notre cas particulier, nous avons voulu comprendre quels
sont les mécanismes symboliques manifestes dans les discours et
représentations qui permettent ce type de bricolage à partir de
croyances et de traditions culturelles différentes. En outre, les autres
cultures étant sources de connaissances qui contribuent au bien-être
individuel, faut-il se demander dans quelle mesure le « droit au
67

bricolage » serait devenu une valeur culturelle qui sous-tend


l’acceptation et la valorisation des différences culturelles au sein
d’une même société, et donc d’une modalité de pluralisme.
La science aussi fait partie de cette « nébuleuse » de croyances.
Le rapprochement entre celle-ci et les religions est manifeste dans
des travaux comme ceux de F. Varela, pour qui la tradition
bouddhiste a beaucoup à dire sur le fonctionnement de l’esprit (nous
analyserons cet auteur plus tard). Par extension et dans le même
sillage, certains peuvent voir dans les courants ésotériques une
forme de scientisme marginal mais alternatif. En outre, comme le
montre Champion (1993b), l’adhésion de nombreux universitaires et
scientifiques à ces courants de pensée joue un rôle important dans
leur légitimation. De leur côté, les religieux tibétains ont volontiers
collaboré au développement de ces idées organisant des colloques
dans lesquels sont invités des scientifiques du monde entier, et ils se
présentent eux-mêmes souvent comme les transmetteurs d’une
science ou d’une forme de connaissance tout à fait compatible avec
la science. Par ailleurs, les lamas mentionnent rarement la spécificité
culturelle de leur religion. Non seulement on assume qu’il s’agit d’un
bouddhisme en général et non d’un bouddhisme tibétain, mais il est
très rare qu’on mette en question l’applicabilité de ces préceptes en
dehors du contexte socio-culturel d’où ils viennent.
Le bouddhisme est présenté comme une « science intérieure » ou
une « connaissance de l’esprit ». Sa sagesse, dont les Lamas sont
les détenteurs, serait un « trésor inestimable » pour l’humanité et elle
se situe au-delà des cultures et traditions. Le Bouddha et d’autres
sages bouddhistes après lui auraient fait une véritable recherche
d’ordre spirituel. Désormais, on parle de « psychologie bouddhiste »,
de « psychologie des profondeurs ».
68

Pourtant, les motivations des scientifiques ainsi que de la plupart


des gens, sont de l’ordre du sens. Varela lui-même avoue que suite
au coup d’Etat au Chili en 1973, il fut obligé de partir et il a vécu une
crise existentielle globale se demandant quoi faire de sa vie. C’est
ainsi qu’il s’intéressa au bouddhisme (« Rencontre avec Francisco
Varela » cité par Obadia, 1999, p. 198)
En guise de comparaison avec les critères d’adhésion à une autre
religion et les méthodologies employées pour y parvenir, nous avons
analysé l’ouvrage Les convertis à l’Islam : les nouveaux musulmans
d’Europe d’Allevi (1999). D’emblée, nous signale cet auteur, dans les
études scientifiques « c’est encore une approche essentialiste de
l’islam qui prévaut par habitude » (p. 60). Nous constatons cette
même approche essentialiste dans la plupart des études menées sur
le bouddhisme en France. On part d’une version « originelle » ou
« savante » du bouddhisme, qui ne peut être que théorique et idéelle.
Dans l’interprétation du phénomène général des conversions du
point de vue de la sociologie, Allevi dit explicitement qu’ils analysent
le problème du coté de la demande et du côté de l’offre. En essayant
de répondre à la question« pourquoi justement l’islam ? », il tente de
mettre en lumière la spécificité de l’offre religieuse musulmane
comme une des variables importantes qui déterminent la conversion.
A ce moment-là, la question que nous nous posons est de savoir si
ces caractéristiques sont vraiment une spécificité islamique, et quel
est le rôle des interprétations et traductions de la doctrine islamique,
c’est-à-dire, quel est le poids de la création d’une « nouvelle culture »
comme Allevi lui-même l’appelle, et plus particulièrement des
« modèles rhétoriques » qui re-présentent l’Islam d’une façon qui
rend cette religion « intéressante » pour les occidentaux.
69

Voici quelques données qui viennent étayer notre hypothèse : 70%


des gens se convertissent pour des motifs de « réalisation
spirituelle ». Ici, donc, il y a aussi la vision de la religion comme un
chemin pour « rejoindre un certain type de réalisation » (p. 68). Il
existe le type de personnes « voyageurs-chercheurs », des
« nomades en quête de sens de la vie » qui, après un premier
contact du type spirituel, ont envie d’en savoir plus, d’aller aux
« sources ». Les « conversions intellectuelles » (qui sont celles des
couches plutôt aisées) sont « généralement liées à un malaise que
l’islam guérirait », malaise « dû à un rejet du modèle occidental, un
refus de la sécularisation et au manque de transcendance de notre
société », « les intellectuels trouvent une stabilisation dans l’islam »
(p. 124). L’intégration de nouvelles idées religieuses est censée
produire une « nouvelle façon de lire et interpréter la réalité, de se
placer à l’intérieur de celle-ci » (p. 220), et constitue une critique de
l’identité antérieure. « Le soufisme, ‘la voie mystique’ de l’Islam, est le
courant spirituel de pensée et le visage de l’Islam qui suscite la plus
grande sympathie et le plus grand intérêt en dehors du monde
islamique » (p. 139). On peut aussi noter l’intérêt éditorial
considérable pour les textes du soufisme. Le rôle des convertis dans
la diffusion et la visibilité de l’islam paraît très important. On parle
d’un rôle de « médiation culturelle, de traduction linguistique,
d’«interprétation cognitive ». La construction de l’image de l’Islam
dans le monde Occidental serait donc largement due à l’action et aux
interprétations d’individus occidentaux. « Il s’agit d’un rôle joué en
particulier par les intellectuels convertis présents entre autres dans le
monde académique (comme orientalistes, par exemple) étant donné
qu’ils font avec leur activité, l’image de l’Islam et ses contenus » (p.
286). La conversion (et médiatisation évidemment) de certains
70

personnages célèbres tels Jacques Cousteau et Niel Armstrog ou


encore Cat Stevens, et le fait que nombre de convertis sont des
intellectuels reconnus, semble aussi jouer un rôle dans l’intérêt et la
valorisation de cette « spiritualité » (le rôle des célébrités
sympathisants du bouddhisme a aussi été très important dans ce
cas-là). Comme caractéristiques générales de la religiosité en
Occident qui doivent être prises en compte pour expliquer les
conversions, il y a la sécularisation, la privatisation et la pluralisation.
Allevi témoigne que ce type de conversions, suite à la « rencontre »
avec une autre culture, n’ont pas pour cause une spécificité
islamique, mais, par exemple, un principe communautaire contre
l’individualisme dépersonnalisant occidental, ou un « comportement
quotidien qui inclut, plutôt que d’exclure, la dimension du sacré » (p.
324). Enfin, c’est une image de l’Autre en général qui serait à l’origine
des motivations pour se convertir. Les attributs sociaux les plus
remarquables « prédisposant » aux conversions de type
« intellectuel » sont : classe moyenne et éducation souvent
supérieure.
Toutes ces données coïncident avec les caractéristiques du
phénomène du bouddhisme en France. Quant aux « spécificités » de
l’islam citées par Allevi, la ressemblance est toujours étonnante :
« …la recherche d’une foi claire, simple, compréhensible,
rationalisable, loin des mystères complexes comme les sacrements,
la trinité […] L’islam, outre que comme religion rationnelle, se
propose comme religion modérée, comme religion du juste milieu… »
(p. 327). L’islam offrirait un rapport avec un maître légitime qui fait
remonter aux origines de la tradition. Les occidentaux apprécient, en
outre qu’il s’agit d’une identité qui vient « de dehors », qui ne serait
pas compromise par l’influence de l’Occident. De surcroît, l’islam est
71

présenté comme plus compact qu’il ne l’est dans le monde islamique.


Il s’agit d’une image essentialiste « véhiculée par les médias, par un
certain orientalisme et par un certain ‘sociologisme’ » qui le fait
apparaître comme un monolithe dans lequel on ignore volontiers la
pluralité interne, et les conflits sociaux, politiques, idéologiques, etc.,
dont parle Lopez (2003) par rapport au bouddhisme tibétain et qu’on
ignore volontiers en Occident.
Dans sa conclusion, Allevi reconnaît que l’étude du phénomène
des conversions c’est comme l’étude que mena Adorno dans les
années soixante-dix sur la rubrique d’astrologie d’un journal, à savoir,
une « excuse » pour analyser un phénomène bien plus ample : la
réceptivité à ce type de discours. L’intérêt pour l’astrologie ou pour
une religion non-occidentale est ici compris comme un « symptôme »
d’une tendance de nos sociétés. Pour ce faire, il nous faut une
analyse sémiologique des dynamiques des croyances dans le monde
contemporain globalisé, et non des religions en tant que traditions
originelles.
Le caractère éclaté de la religiosité actuelle se combine avec le
caractère pluraliste de nos sociétés. Pour Berger et Luckmann (1967)
il existe un vaste « marché » de sens et de croyances, où les
religions traditionnelles participent en tant que fournisseurs. Cette
métaphore nous semble utile dans le sens où les personnes ont une
attitude de « consommateurs » vis-à-vis des symboles et croyances
qui sont disponibles, achetant, c’est-à-dire adhérant à ce qui leur
« plaît », leur « convient », les « intéresse ». Ceci est possible grâce
à un éparpillement des croyances qui n’arrivent plus sous la forme
d’un ensemble compact et strictement codifié. D’autre part, les
individus se sentent « libres » de choisir parmi ces croyances
dispersées, car ils ne sont plus contraints de suivre une seule
72

tradition en fonction d’une imposition ou d’une appartenance


quelconque.
Pourtant, ce même parangon nous permet d’amoindrir le rôle de la
rationalisation et intellectualisation des religions. Tout comme les
consommateurs peuvent justifier d’une façon plus ou moins
rationnelle leurs décisions d’achat, il est déjà connu que les
comportements économiques ne correspondent pas toujours à une
logique rationnelle, et la publicité fait constamment appel à des
critères non-rationnels pour séduire les consommateurs. En tout cas,
la souveraineté de l’individu dans ses choix (de croyances et autres)
n’est pas contestée. En effet, l’adhésion aux croyances bouddhistes
est considérée comme une « affaire personnelle ». Il ne faut pas
oublier, comme le signale Obadia, que malgré cette prétendue
souveraineté, le sujet n’est pas isolé de la collectivité.
L’individualisme, par exemple, est lui-même un phénomène culturel,
socialement construit et qui façonne la mentalité des individus. C’est
justement sur la base de ce caractère collectif, que les discours
religieux peuvent avoir un même effet sur un ensemble d’individus.
Plutôt qu’adhérer à une foi particulière et d’une façon définitive, il
s’agit d’une attitude de quête permanente, ce qui implique une sorte
d’ouverture face aux messages ou « produits » divers. Les religions
et les sagesses offriraient des moyens variés pour atteindre un même
but, que l’on appelle l’amour, la libération, la félicité suprême. La
diversité et l’absence de barrières entre cultures permettent les
échanges et sont considérées comme une chance, un potentiel dont
l’individu peut profiter pour son bien-être.
En outre, il semble bien que les gens cherchent un
bouleversement, un changement radical, peut-être de leur pensée,
de leur façon de voir la vie, de leurs sentiments, mais de quoi
73

exactement ? En tout cas, les autres cultures sont considérées


comme des modèles et des sources de cette altérité désirée.
Suivant un autre modèle d’explication, celui que nous pourrions
appeler un modèle de projection de fantasmes, pour Liogier « Les
éléments du discours bouddhiste occidentalisé diffusé par ses
principaux leaders – le dalaï-lama, le moine zen Thich-Nhat-Hanh
[…] correspondent moyennant quelques variations, aux valeurs
qualifiées par Roland Inglehart de ‘post-matérialistes’ », […] « valeurs
dites de bien-être (autonomie individuelle, tolérance à la marginalité,
sensibilité environnementale, expression de la créativité personnelle,
etc.). » (Liogier 2003, p. 138). « Il n’y aurait pas d’émigration
croyante, adoption d’un nouveau système de représentations, mais
intériorisation de valeurs produites en situation de modernité ou de
post-modernité, et ainsi reproduites à travers le bouddhisme, selon
des modalités religieuses » (ibid. p. 139). Selon l’auteur, il s’agit de
l’incorporation religieuse de valeurs occidentales. Pour nous,
effectivement il ne s’agit pas d’une émigration dans le sens d’un
changement radical, mais cela n’implique pas non plus qu’il n’y ait
pas de changement dans un processus de contact avec l’altérité :
D’abord, l’Altérité y est indéniablement, sous forme d’une identité
« bouddhiste » ou « tibétaine » qui renvoie à un autre ethnique, et
dont on peut constater la présence dans le langage. Essayer de
prouver que ce n’est pas du « vrai » bouddhisme tibétain ou autre,
signifie, à notre avis, rester dans le mauvais débat. D’autre part,
l’attribution de valeurs occidentales à d’autres religions, et par là à
d’autres « cultures » est un processus qui ne va pas de soi et qui n’a
pas été expliqué. C’est dans les principes d’application de ces
valeurs-concepts, c’est à dire dans l’acte de construire un objet (ou
74

une identité), de le qualifier et le valoriser, qu’on trouve la véritable


complexité du phénomène.
Nous acceptons qu’une partie de la dynamique mise en jeu
consiste en l’intériorisation des valeurs contemporaines (ce qui
revient à dire que des notions sont intégrées et valorisées par des
valeurs existantes) reproduites sous une forme religieuse nommée
« bouddhisme ». Pourtant, dire qu’il n’y aurait pas d’adoption d’un
nouveau système de représentations nous semble trop radical, car
parler en termes d’un système est imaginer un tout complexe qui
serait soit complètement intégré, soit pas du tout. A notre avis, ce
type de conceptions totalisantes empêchent la compréhension des
véritables processus de transformation culturelle. Le changement, la
« migration » de croyances, peut se faire pas à pas, par des unités
beaucoup plus élémentaires, c’est-à-dire, des représentations parfois
simples qui commencent à changer suite aux échanges culturels.
Cette discussion a une importance fondamentale puisqu’elle met en
question le concept même de l’interculturalité (que nous aborderons
plus tard). Celle-ci dépend, comme les migrations, des limites que
l’on trace. Peut-on parler de « migrations » de croyances ? Quel type
de changement, quelle frontière faut-il dépasser pour pouvoir utiliser
le terme ? Dans le domaine des croyances et des changements
culturels, cette limite n’a pas été définie. En Occident, on a divisé le
monde, traçant de nombreuses frontières culturelles, les considérant
comme des réalités objectives, et ainsi on parle de relations
interculturelles. Or, ce cloisonnement n’est pas partagé par tout le
monde, et, surtout, à part le fait de diviser les gens, ces lignes ne
sont guère utilisables pour l’étude scientifique des vrais phénomènes
relationnels et d’échange entre les gens.
75

Ce n’est pas dire que nous renions l’importance des valeurs


occidentales dans cette dynamique. En effet, la tendance « post-
matérialiste » est celle de la liberté spirituelle, la sensibilité
environnementale qui est en lien la nature et l’intégration de soi dans
son entourage, la notion que la terre est un être vivant, que tous les
êtres sont liés entre eux ou interdépendance universelle, la
valorisation théorique de la diversité culturelle, la méfiance par
rapport au prosélytisme au bénéfice du dialogue interculturel et
interreligieux. Ses critères étant « spirituels », en opposition avec la
moralité de la modernité industrielle. La place de l’individu est celle
du consommateur individuel inscrit dans un réseau global.
Cette époque en occident, avec ce que Weber a décrit comme le
« désenchantement du monde », se vantait de privilégier la Raison et
l’esprit critique au dépens de la religion et ses dogmes. Pourtant, la
modernité avait, elle aussi, créé des mythes, dont celui du
« Progrès » et une foi en la science et la technologie pour façonner
un monde heureux. Après des années, le même esprit critique s’est
retourné contre ces mythes et les a aussi « désenchantés » ; ils ont
perdu leur valeur absolue. On croit de moins en moins que la science
et la technique puissent résoudre tous nos problèmes, mais l’individu
garde tout de même des caractéristiques de la modernité comme son
autonomisation pour interpréter lui-même les croyances, son souci
d’efficacité, la valeur de la réalisation personnelle (qui est très
imprégnée de la notion de progrès) et la valeur de l’évolution (ce qui
peut également être une dérivation de la notion de progrès). De
surcroît, à notre époque, comme le montre ce dernier auteur, avec la
diffusion industrielle des moyens culturels et l’intervention des mass-
media, « le caractère éphémère des contenus et des formes s’est
accentué », il y a un « travelling continuel ». Le changement « perd
76

peu à peu toute valeur substantielle du progrès qui [le] sous-tendait


au départ, pour devenir une esthétique du changement pour le
changement » (p. 318). Il ne s’agit pourtant jamais d’un changement
radical car seuls certains types de mutations sont permis.
La modernité s’inscrit dans un jeu d’un ou de multiples systèmes
de signes, c’est pourquoi le rôle de l’amalgame est si important. Nous
croyons que parmi ces systèmes de signes, se trouve ceux qui sont
identifiés à une « tradition » ou à une religion. La modernité, selon
Baudrillard (ibid.) noue « de curieux compromis » avec la tradition,
qu’elle fait ressurgir « sans que celle-ci ait pour autant un sens
conservateur ». Modernité et tradition entrent « dans un jeu culturel
subtil », dans un processus d'assemblage et d’adaptation. « La
dialectique de la rupture y cède largement à une dynamique de
l’amalgame. » (p. 318).
L’impératif de changement et le manque de certitudes entraînent
une remise en question de vérités et promesses forgées par la
science et la technique, mais aussi un souplesse étonnante qui
permet l’intégration de croyances fort variées. Même les individus les
plus imprégnés de la culture scientifique et technique recourent au
bricolage, car leur milieu ne leur fournit pas les significations dont ils
ont besoin, les incitant à chercher des compensations dans des
discours dont ils n’ont presque aucun sens critique.
La dichotomie moderne entre le sacré et le profane, semble être en
train de se dissoudre pour les « nouveaux mouvements religieux ».
La religion, ou plutôt les religions, sont de plus en plus considérées
comme des philosophies (d’ailleurs il s’agit souvent du même rayon
dans les librairies), le magique semble avoir sa propre rationalité, les
spiritualités se mélangent de plus en plus avec la psychologie.
Egalement, la dichotomie corps – âme semble être en train de se
77

dissoudre, notamment par les sympathisants des courants alternatifs


où la guérison ou le bien-être dépendent de l'harmonie de l'âme et du
corps, ou pour les adeptes aux courants plus religieux, pour qui la
pratique d’une spiritualité peut apporter la santé physique. La
méditation ou la transe des rituels chamaniques sont des pratiques
qui se trouvent justement au milieu, où l'action sur l'esprit est censée
avoir des effets sur le corps et vice-versa. En tous cas, il s’agit là
d’une idéologie qui semble gagner de plus en plus d’adeptes.
La foi, si l’on peut l’appeler ainsi, est très liée au pragmatisme. On
y croit pourvu que « ça marche », et que « ça » ait des effets
ressentis positifs -et un des effets les plus recherchés est celui de
donner un sens aux expériences de la vie. C’est justement là où on
attaque très fréquemment la science et l’esprit technocratique, qui
n’ont pas su fournir ce sens et ces sensations positives à l’individu.
Alors, si des croyances « te parlent », si elles « te donnent de
l’espoir », ou si « tu te sens mieux parce que plus intégré à
l'univers », par exemple, « pourquoi ne pas y croire ? ».
La science, dit-on, n’a pas été une « science intérieure », une
science de soi, qui permette le « travail sur soi », ce qui est très
fréquemment mentionné dans les discours et qui est considéré
comme essentiel pour le bien-être. Un intérêt primordial des sciences
non-occidentales (bien qu’il y en ait d’autres) est sa contribution au
bien-être individuel.
Notre hypothèse, celle qui nous éloigne d’une étude exclusive du
bouddhisme, vient invalider celle de Lenoir, pour qui le bouddhisme
« possède une réelle affinité avec la modernité – affinité, il est vrai,
souvent exagérément mise en avant, mais néanmoins réelle – que le
bouddhisme permet aux Occidentaux d’avoir recours à cette
tradition ». Nous ne croyons pas non plus à la thèse d’Obadia (1999)
78

(attaquée à son tour par Lenoir), pour qui le succès du bouddhisme


est dû à son caractère « extrêmement prosélyte » et à l’efficacité de
son organisation institutionnelle. L’intégration à la pensée moderne et
l’intérêt qu’il suscite viennent des représentations qu’on s’en ait faites
dans les sociétés occidentales, représentations qui sont évidemment
le produit de notre propre grille de lecture, confirmées par
l’observation biaisée de certains traits de la culture tibétaine et la
diffusion médiatique des mêmes imaginaires, et qui sont à leur tour
confirmés, reproduits et incarnés par certains représentants (les
lamas notamment) de la culture tibétaine. Ils ont su recréer un
discours d’eux-mêmes qui coïncide avec les valeurs modernes et les
attentes que l’on s’est construit d’eux en Occident. Nous ne jugeons
pas ce fait comme une posture ni comme une stratégie
manipulatrice dont les Tibétains ont toujours été conscients (cela
nous ne le savons pas), mais en tout cas ils ont mis en avant et
reproduit certains traits qui s’intègrent mieux à la culture Occidentale
que d’autres.
D’une culture, et quasiment de n’importe quelle chose, on peut
relever certains traits, de sorte qu’on peut l’interpréter positivement
ou négativement. Un exemple : les divinités de la culture tibétaine
prébouddhique, considéré par certains comme franchement
dégoûtantes (et qui en effet sont assez éloignées de l’esthétique et
de la logique commune en Occident), sont maintenant interprétées à
travers des théories pseudo-psychologiques pour en faire des
éléments de l’inconscient et qui clarifieraient beaucoup d’aspects de
la psyché humaine. D’ailleurs, le même type de réinterprétations sont
mises en œuvre par ceux qui valorisent les cultures indigènes et
leurs personnages mythologiques en Amérique Latine.
79

Des aspects essentiels du bouddhisme comme l’abandon de soi, la


cessation de la souffrance et l’atteinte du Nirvana, sont très rarement
évoqués dans les discours occidentaux sur le bouddhisme. On a
choisi d’autres aspects qui s’accordent mieux avec les intérêts et
concepts occidentaux. Lenoir même le confirme « L’enquête a
montré que la motivation principale d’une majorité d’adeptes gravite
autour de l’accomplissement de soi et du développement de leurs
potentialités personnelles, ce vers quoi tend la modernité
psychologique, plus que vers la dépossession de soi ou la perte des
illusions de l’individualité prônées par le Bouddha » (Lenoir 1999, p.
335). Le Nirvana est, en fin de compte, la cessation des naissances,
ce que les Occidentaux n’aiment pas. Ils veulent continuer à vivre,
continuer à progresser spirituellement, revenir sur terre, se réincarner
(ce que l’ « éveil » bouddhiste veut éviter). Pourtant, bon nombre
d’Occidentaux ont très bien accueilli l’idée que les bouddhistes
croient en la réincarnation et considèrent cette idée comme un
argument pour parler en faveur du bouddhisme, ignorant un trait qui
est pourtant le but ultime du bouddhisme : arrêter les réincarnations.
Enfin, nous avions commencé notre recherche avec une question
que se posait Lenoir (ibid.) : le bouddhisme peut-il s’acculturer sans
dommages à l’Occident compte tenu de leurs différences
fondamentales, comme la « non existence du moi » s’opposant, par
exemple, à la conception personnaliste régnant en Occident ?
Maintenant, cette question ne nous paraît plus pertinente, car,
d’abord, il faut se demander à quel bouddhisme nous faisons
référence. Ce que les Tibétains appellent leur bouddhisme, peut
rester pour eux une chose, tandis que ce que les Occidentaux
appellent bouddhisme tibétain est pour ces derniers une autre chose.
Pourtant, ce qui reste dans l’équation est une identification sous le
80

nom « bouddhisme tibétain », ou « culture tibétaine », etc. Le


bouddhisme « naît » dans chaque communauté à un moment donné
de son histoire. Ses transformations (et qui peuvent être considérées
comme de l’acculturation, du syncrétisme ou du métissage), peuvent
être redoutées par certains, mais elles sont inévitables. Lenoir
signale qu’elles se développent même chez les pratiquants fortement
impliqués. Par ailleurs, cela a été le cas tout au long de l’histoire du
message du Bouddha, à travers les différentes aires culturelles où il
est arrivé.
Pour conclure ce chapitre, l’analyse des raisons de l’intérêt pour le
bouddhisme tibétain nous éloigne, apparemment d’une façon
paradoxale, du bouddhisme tibétain en tant qu’objet traditionnel
d’étude, car cet intérêt s’expliquerait par la représentation de ce qui
serait cette identité culturelle à travers la grille d’interprétation d’une
idéologie qui s’inscrit dans un phénomène culturel plus ample, que
l’on peut appeler les formes contemporaines du croire.

LES FORMES CONTEMPORAINES DU CROIRE

Analysant la religiosité moderne, Weber évoquait déjà des


« religions de remplacement », et un « polythéisme de valeurs » qui
constituent le fond de ce paysage religieux. Il s’était intéressé aux
transformations des religions historiques. Le « désenchantement du
monde » qu’il évoque ne serait pas la fin de la religion, ni même la fin
des religions historiques, mais la création de nouvelles formes de
religiosité libérées des contraintes des religions historiques. Pourtant,
Weber ne définit pas ces nouvelles formes comme de la religion.
Séguy (1989) signale « L’importance des phénomènes de religion
analogique de toutes sortes (politiques, militaires, esthétiques, etc.)
81

dans la vie sociale » (p. 192). Il désigne ces phénomènes, étudiés de


plus en plus par la sociologie en utilisant des expressions comme la
floraison de nouvelles « offres religieuses », les mouvements « para-
ou quasi-religieux », et la « néo-religiosité ». La modernité religieuse
vient se poser comme un concept alternatif aux tendances -
aujourd’hui remises en question-, d’opposer la religion à la modernité
et de penser les mouvements religieux modernes comme s’il
s’agissait d’ un « retour ». « La religion (ou le sacré) avait-elle
d’ailleurs disparu ? » (p. 209). Il serait plus prudent de parler de
transformations du religieux qui existent depuis toujours. Evidemment
il s’agit de phénomènes avec leurs propres particularités historiques,
mais ce n’est pas leur aspect religieux qui est nouveau, c’est leurs
transformations vers des formes analogiques.
« Il y a vingt-cinq ou trente ans, les sociologues qui s'intéressaient
à l'évolution religieuse des sociétés contemporaines mettaient très
unanimement l'accent sur la place secondaire faite à la religion dans
le monde moderne. La ‘fin de la religion’ était alors considérée
comme l'un des traits majeurs de la modernité. Sous la triple pression
de l'affirmation de l'individu, de l'avancée de la rationalisation et de la
différenciation des institutions, le rétrécissement continu du champ
religieux des sociétés modernes et la perte d'emprise des religions
historiques semblaient inéluctables. » (Hervieu-Léger 2000, p. 2089).
En effet, selon Rouano-Borbalan (2001) les principaux analystes de
la sécularisation (Berger ou Bell) renient aujourd’hui leurs théories
antérieures. Celles-ci annonçaient le déclin de la religion, qui devait
s'étendre progressivement au gré de la modernisation économique.
Or, la religiosité demeure, les croyances se recomposent.
Dès la fin des années 60, quelques chercheurs avaient remarqué
que certaines formes de dévotion et de religiosité « populaire »
82

persistaient. « […] non seulement les pèlerinages, les rites de


guérison, les cultes des saints locaux, etc., n'avaient pas disparu en
Europe dans la seconde moitié du XXe siècle, mais ils trouvaient
paradoxalement, dans la fièvre modernisatrice des golden sixties,
une capacité imprévue d'attraction et d'innovation. » (Hervieu-Léger
2000, p. 2091).
A partir des années soixante-dix, on a constaté une grande variété
de nouveaux mouvements religieux. A ce propos Champion avait
crée une expression qui serait reprise par nombre d’auteurs jusqu’à
nos jours : la « nébuleuse mystique-ésotérique ». Il s’agit d’une
« nébuleuse de groupes plus ou moins lâches qui conjuguent
références mystiques, ésotériques et psychologiques » (Champion
1989, p. 155). Elle nous parle d’un mélange de « […] stages de yoga,
zen, méditation, bouddhisme, danse derviche, cuisine végétarienne,
rebirth, gestalt, massage californien ainsi qu’un stage-découverte
d’une communauté du ‘Nouvel Age » et un de ‘Célébrations’ visant à
faire ‘retrouver le sens initiatique profond de la fête’. Sont également
proposés des stages qui, tels ‘science et sacré’, ‘la mystique
chrétienne et Jung’, ‘Yoga-symbolisme et vie intérieure’, cherchent
d’emblée une convergence entre savoir psychologique ou
scientifique, et expériences spirituelles. ». (p. 156). Dans une variante
de cette même mouvance on peut trouver des médecines
alternatives et techniques de développement personnel et spirituel, et
des « recherches » qui visent à démontrer que la science la plus
avant-gardiste peut, elle aussi, prouver la validité de ces idées
« alternatives », et qu’elle-même est en train de changer, s’éloignant
des paradigmes positivistes « mécanistes et disjonctives » pour
privilégier une approche holiste et humaniste. Les membres de ces
mouvements estiment qu’il existe plusieurs voies pour atteindre « La
83

Connaissance » qu’il faut faire dialoguer les religions pour y arriver.


Selon Champion, ces mouvements constituent des « réseaux »
extrêmement mobiles, constitués par des publications, conférences,
centres de méditation ou de « développement personnel ». Ces
centres peuvent se structurer en « départements » qui, chacun,
contribue à développer un aspect de l’« homme dans sa globalité »,
d’accéder à la « Réalité Fondamentale » par-delà la diversité des
méthodes, origines ou langages. Ils empruntent des thèmes et des
pratiques librement aux traditions spirituelles occidentales et
orientales. Ces formes syncrétiques sont dirigées par la recherche
individuelle d’un accomplissement, un enrichissement, un
développement intérieur, spirituel et/ou psychologique.
A cette description de Champion nous proposerons deux
spécificités de la réalité actuelle que nous avons pu remarquer :
Premièrement, ces réseaux se constituent notamment en fonction de
l’échange d’information sur certains thèmes d’intérêt commun et le
lieu où se réunissent les personnes a de moins en moins
d’importance. Deuxièmement, il nous semble imprécis de dire que
les thèmes sont empruntés « librement », car tous les thèmes, toutes
les religions ne sont pas « empruntables », et il ne suffit pas de dire
qu’on emprunte selon la correspondance avec les valeurs culturelles,
car, comme nous le précisons tout au long de ce travail, ce sont les
réinterprétations d’une manifestation culturelle quelconque (un
symbole, un discours, par exemple), qui permettent d’adapter ces
manifestations aux valeurs. Notre tâche est justement de dégager les
dispositifs symboliques qui déterminent l’intégration d’un élément à
une structure de sens et de valeur propre.
Ainsi, le phénomène qui apparaît à partir des années soixante en
Occident est considéré, dans cette optique, comme « l’abaissement
84

des capacités des grandes religions historiques à contrôler les limites


symboliques de leurs systèmes de croyances respectifs »,
permettant ainsi aux nouveaux mouvements d’emprunter des
symboles à ces religions et de leur donner de nouvelles
significations. Il y a, par la suite, une forte multiplication de nouvelles
figures religieuses, allant des maîtres spirituels aux téléprédicateurs,
qui interceptent la demande de sens des individus occidentaux
libérés du contrôle des religions institutionnelles. Il y a ce que nous
pouvons appeler une libéralisation du marché des symboles religieux
ou para-religieux. Une immense offre symbolique se présente à la
porté de tous, et c’est aux individus d’en saisir les possibilités.
Chaque individu est censé pouvoir atteindre une expérience
religieuse ou mystique et tester sur lui, par sa propre expérience, un
des « produits » de l’offre, comme la doctrine d’un maître ou une
technique de méditation.
Après avoir rencontré un maître ou ses écrits, l’adepte tend à vivre
son expérience religieuse ou mystique comme une démarche
individuelle, de façon autonome, tout au plus en rencontrant d’autres
personnes qui partagent ses connaissances et ses expériences.
Les communautés qui se créent, communautés volontaires
d’ailleurs, sont des communautés de production et confirmation
sociale des significations individuelles. Ces communautés bénéficient
et font partie des réseaux d’information.
Cette notion se rapproche de celle des « réseaux situationnels »
décrits par Gilles Lipovetsky dans l’Ere du vide. Ceux-ci se créent à
partir du désir des individus d’être en contact avec d’autres
personnes qui partagent les mêmes préoccupations immédiates et
situationnelles. L’individualisme contemporain se manifeste aussi,
selon lui, par un « engouement relationnel » ou l’envie d’établir des
85

connexions ou des branchements. Nous croyons que ces idées sont


encore plus vraies aujourd’hui qu’à l’époque où cet auteur a écrit le
livre auquel nous faisons référence, notamment en ce qui concerne
cette tendance à vouloir être « branché » à une communauté aussi
virtuelle qu’elle puisse l’être, ne serait-ce que pour avoir le sentiment
de partager des informations avec une collectivité qui peut être
complètement délocalisée et composée d’individus que la personne
ne connaîtra jamais.
Le va-et-vient entre la pratique de croyances individuelles et celles
qui sont partagées (par exemple à travers les médias) ou ancrées
dans les grandes traditions constitue partout la dynamique de
transformation religieuse, dans un aller-retour permanent entre local
et global. Il reste à savoir en fonction de quoi change-t-on sa source
et sa référence.
On peut dire que ce processus de va-et-vient se manifeste aussi
dans les échanges interculturels. En tout cas il s’inscrit dans une
caractéristique plus générale de l’Occident moderne, qu’est le
pluralisme des sources de sens, ce qui conduit tantôt à l’intégration
de formes diverses, tantôt à la multiplication et dispersion de ces
formes au-delà de leurs contextes ou « contenants » traditionnels.
Dans ces recherches personnelles décidément « ouvertes »
l’individualisme joue un rôle à la fois de désagrégation et de
recomposition. L’engagement serait une fonction des bénéfices
obtenus, la déception signifiant souvent l’abandon. Le bénéfice est
souvent mesuré sur le plan moral ou psychologique : un
épanouissement de la personnalité et l’augmentation du bien-être.
« […] une adhésion ou un engagement sans promesse
d’épanouissement et de réalisation de soi est difficilement
concevable aujourd’hui. » (Schlegel, 2000, p. 2393). Une sorte de
86

bonheur et de joie doivent en être le résultat, le sacrifice personnel


étant presque inconcevable pour la plupart des individus. Ce n’est
plus le sens moral du bien et du mal qui compte, mais le convenable
pour l’individu.
Puisque c’est à l’individu autonome de décider ce qui fait sens et
ce qui a une valeur, on comprend bien la « psychologisation » de la
modernité (ou « modernité psychologique » selon J. Baudrillard) :
l’individu réifié, maître et constructeur de son monde, doit bien
« fonctionner » pour que son monde soit meilleur, et pour cela, il faut
bien étudier son esprit -dans un sens de plus en plus large et de
moins en moins séparé du corps et de l’environnement.
L’accent est mis sur l’expérience personnelle et son authenticité,
c’est à dire la vérité de son vécu par la personne elle-même. Une
certaine croyance aurait un degré de vérité dans la mesure où elle
apporte du bien-être psycho-corporel à la personne. L’individu doit se
sentir bien, et cela inclut souvent la sensation corporelle, ce qui fixe
un lien avec la médecine et les thérapies qui se multiplient.
Le concept religieux de salut a été réinterprété souvent par celui de
la « guérison » de l’esprit. La religion comme un moyen d’atteindre le
salut dans l’au-delà (notamment après la mort), a été remplacée par
la religion comme moyen d’atteindre le bien-être dans ce monde. Les
religions ne sont plus des dogmes, mais des formes de connaissance
de l’esprit au même niveau que la psychologie occidentale. Ce
transfert de signification met donc les religions à l’intérieur d’un
ensemble d’éléments susceptibles d’être valorisés selon la logique
individualiste et pragmatique.
Les « communautés spirituelles », si communauté il y a, sont
reliées par le « sentiment de communauté mondiale » Il faut
considérer que si dans les années quatre-vingts (moment où
87

Champion a décrit ces réseaux) cette idée était déjà développée, elle
aurait aujourd’hui toutes les chances de s’accroître, le processus de
mondialisation ayant poursuivi sa marche et les technologies de
communication permettant le contact de ces communautés
véritablement à l’échelle globale et en temps réel.
Dans cette religiosité, la religion se définie comme ce qui relie
(selon l’étymologie du mot), elle se manifeste à travers le principe
général de relier les hommes entre eux, sans distinction de culture,
mais aussi les relier avec la nature et le cosmos. « C’est une religion
de recherches mystiques et relationnelles. » (Champion 1989, p. 167)
Pour nous, le mot mystique reste à définir plus précisément, mais
nous pouvons garder le sens de « religare », c’est-à-dire relier
symboliquement, trouver un sens au-delà du sens ancien ou du non-
sens. En outre, en reliant symboliquement, on relie les personnes et
les groupes qui proposent ces symboles et partagent leurs sens.
La quelque peu paradoxale symbiose entre la modernité
rationnelle et sécularisée, et les nouvelles formes de croyances,
montre la capacité des individus à produire des systèmes de
signification malgré l’absence de codes de sens stables hérités de la
tradition, afin de trouver des repères dans un univers complexe et en
changement rapide. La sécularisation ne serait donc pas un
processus d’effacement du religieux, mais de recomposition des
croyances ; il s’agirait d’accorder une transcendance ou une sacralité
à d’autres formes, peut-être d’une façon plus diffuse, redistribuée.
Une condition de cette libéralisation et redistribution des croyances
est le fait que l’appartenance et la croyance ne semblent plus être
une paire dissociable comme l’a montré Grace Davie (1990). Aucune
institution ne peut retenir ses membres dans une culture qui valorise
le changement et l’autonomie du sujet Toute appartenance peut être
88

perçue comme une camisole de force. La séparation entre la


croyance et l’appartenance est d’autant plus nette que l’individu
revendique le pouvoir de choisir ses croyances selon ses
convenances et son critère. Il ne veut pas être contraint par une
appartenance quelconque, ce qui est clairement le cas aujourd’hui,
comme nous l’avons constaté lors des communications personnelles.
Cette division entre appartenance et croyance permet d’ailleurs de
garder sa propre identité tout en acceptant des idées d’autres
origines. Ceci est particulièrement clair pour les identités collectives
comme la nationale ou la culturelle. Ces recompositions font que les
frontières entre différentes confessions, et plus encore, entre
religieux et non-religieux, soient difficile à tracer, mettant aussi en
avant le vieux débat sur la définition de religion qui n’a pas pourtant
été résolu.
Le caractère de « religion volontaire » et sécularisée s’inscrit dans le
principe moderne des droits à la subjectivité, l’importance de
l’expérience éprouvée, une adhérence en fonction des bénéfices
personnels (pragmatisme selon certains) que l’individu croit en retirer,
une méfiance envers les impositions des intellectuelles qui
prétendent avoir l’autorité.
Les emprunts divers et l'apparente capacité de donner son avis sur
n’importe quel sujet font partie des traits typiques de la mentalité
moderne. Dans une phrase couramment prononcée dans cette
idéologie « Chacun doit trouver sa propre voie », nous voyons
condensés plusieurs facteurs clefs. D’abord, le mot « chacun » relève
de l’individualisme. La « voie », ce sont les croyances et pratiques
selon les besoins de chaque individu. Cela laisse entendre qu’il y a
plusieurs voies, et donc la mise en valeur de la pluralité. Il y a là
implicitement aussi le refus d’une autorité dogmatique qui détermine
89

quelle est la voie à emprunter. La voie signifie une sorte d’évolution.


Le critère d’adhésion est souvent celui de l’efficacité, mesuré par
l’expérience éprouvée.
La démarche de ces individus peut commencer par la demande
d’une simple recette anti-stress –et effectivement on voit
qu’aujourd’hui les traditions orientales sont souvent associées aux
méthodes de relaxation, comme l’expression « rester zen » le
démontre-. Il existe un large éventail de voies d’accès pour arriver à
une tradition quelconque
Un facteur qui contribue à ce débordement du « religieux
occidental », souligne Champion, est l’influence du contact entre les
religions des diverses populations migrantes. « Celles-ci sont en effet
souvent des "ethno-religions", ou du moins des religions "holistes",
où la communauté prime sur l’individu » (1999 [en ligne]). A ce
propos, nous voudrions ajouter deux points. D’une part, que
l’important, ce n’est pas le fait que les populations soient
« migrantes », mais qu’elles soient en contact suite à une forme de
migration (par exemple, suite à une migration dans le passé, comme
les amérindiens en contact avec les sociétés occidentales qui
composent aujourd’hui les pays de l’Amérique Latine, ou suite à une
migration de croyances et d’idées favorisée par les moyens de
communication).
La logique de validation subjective du croire qui marque la fin de la
quête spirituelle dans le monde des certitudes confirmées par la
religion, « active, dans des proportions étonnantes, la consommation
de biens culturels (livres, films, revues, etc.) qui soutiennent la
recherche purement individuelle de confirmations croyantes. En
témoigne le succès des ouvrages de genre spirituel, de Bobin à
Coelho, les triomphes éditoriaux des livres de témoignages ou
90

d'entretiens avec des personnalités que les médias désignent comme


des athlètes de la quête du sens, du Dalaï Lama à l'abbé Pierre, ou
encore le boom de la littérature ésotérique qui occupe, depuis une
vingtaine d'années, des rayons entiers dans toutes les grandes
librairies. Le partage de ces lectures constitue d'ailleurs l'un des
ressorts de l'agrégation en réseaux des chercheurs individuels de
sens : réseaux fluides, mobiles, instables et même, de plus en plus,
virtuels » (Hervieu-Léger 1999, p. 181)
Pour Hervieu-léger (1993), la « vague spirituelle » des dernières
années fait partie de ces nouvelles formes qu’on peut définir aussi
comme « phénomènes qui agissent à la place et en qualité des
religions » (p. 42) mais pour lequel il n’existe pas de consensus pour
le nommer. Nous pourrions dire que les attitudes modernes par
rapport à la religion sont la continuation d’un modèle idéologique qui
fait de la vérité religieuse une question d’interprétation personnelle,
laissant le champ ouvert à des interprétations toujours nouvelles. Il
s’agit d’une nouvelle gestion du rapport à la vérité des croyances et à
leur mobilité constante. « La difficulté vient de ce que cet univers
religieux complexe participe du caractère éclaté, mouvant, dispersé,
de l'imaginaire moderne dans lequel il s'inscrit (Hervieu-léger 1993, p.
44). Pour les individus il s’agirait de construire et reconstruire des
structures de sens qui puissent donner cohérence à l’extrême
complexité de l’expérience sociale vécue. « Le religieux moderne
s'écrit entièrement sous le signe de la fluidité et de la mobilité, au
sein d'un univers culturel, politique, social et économique dominé par
la réalité massive du pluralisme. » (ibid. p. 239).
Ce phénomène de pluralisme « spirituel » trouve un exemple dans
les nombreuses combinaisons « thérapeutiques » ayant développé
des croyances quasi-religieuses ou se basant sur elles. Leurs
91

références se trouvent fréquemment dans les rayons « ésotériques »


des librairies. Ces groupes peuvent être nés dans des pays non-
occidentaux comme l’Inde ou le Japon, mais leur origine est souvent
liée au contact avec l’Occident et aux problématiques culturelles qui y
surgissent ; Mayer (1998) parle d’ailleurs d’une véritable dimension
interculturelle de ces mouvements.
Les diverses religions du monde sont vues comme le patrimoine
de tout le monde (comme le déclare l’UNESCO). La pluralité est
désormais une richesse, que ce soit dans le domaine économique,
spirituel, politique (démocratie), etc. La multiplicité de ressources est
sollicitée sans se soucier des barrières traditionnelles. Une personne
pratiquant le bouddhisme tibétain va aussi en pèlerinage à Santiago
de Compostelle (comme en témoigne le site Web que nous
évoquons plus bas). Pour les adeptes, la possible acculturation du
bouddhisme n’est pas un problème. Elle ne serait qu’une question
secondaire, car le bouddhisme est considéré comme universel. C’est
La Tradition avec un grand T et la Vérité qu’elle possède.
« Précisément parce qu'elles ont été transformées, au sein de la
culture moderne de l'individu, en un réservoir de signes et de valeurs
qui ne s'inscrivent plus dans des appartenances précises ni dans des
comportements réglés par les institutions, les religions tendent à se
présenter comme une matière première symbolique, éminemment
malléable » (Hervieu-Leger 1999, p. 59)
Ce « bricolage », ou « synthèse », ou « syncrétisme », est aussi
décrit par une autre métaphore qui n’est pas moins appropriée : « il y
a mondialisation du marché des biens religieux, et les individus sont
sollicités par des ‘produits’ nouveaux, inédits, tentants, ne serait-ce
que pour ‘essayer’ » (Schlegel, 2000, p. 2394). Il reste à savoir par
quel biais ces « produits » deviennent attirants.
92

Un autre élément de cette idéologie est la tendance à nier les


distinctions « verticales » –ou hiérarchique, pourrait-on dire – et
« horizontales », par exemple entre les différentes religions.
« Certains en arrivent ainsi à unifier toutes les religions par le biais de
la ‘spiritualité’ et des traditions mystiques, comprises comme des
voies de l'intériorité foncièrement semblables sous toutes les
latitudes. Cette opération suppose la mise à l'écart ou la relativisation
des formes historiques et concrètes des diverses religions, pour n'en
retenir que certains aspects - les écrits mystiques, les traditions
ésotériques en l'occurrence. » (Schlegel, 2000, p. 2397)
Nous sommes, semble-t-il, loin de la « pensée religieuse » telle
que la définit Durkheim dans les Formes élémentaires de la vie
religieuse, où il affirme que toutes les croyances religieuses
supposent une classification des choses, réelles ou idéales, en deux
classes opposées que l’on peut traduire assez bien par les termes
profane et sacré. En effet, Durkheim (1968) définissait « religion »
comme « un système solidaire de croyances et de pratiques relatives
à des choses dites sacrées c’est-à-dire séparées, interdites ;
croyances et pratiques qui unissent en une même communauté
morale appelée Église, tous ceux qui y adhèrent » (p. 65).
Nous sommes donc confrontés à un véritable problème de
définition du type de croyances que nous voulons étudier. D’abord,
faut-il les appeler « religieuses » ? Berger et Luckmann avaient déjà
parlé en 1967 –avant que les NMR n’aient pris la place qu’ils
occupent actuellement- de « consommateurs symboliques » qui
élaborent ses combinaisons de signification à partir d’un stock de
symboles culturellement disponibles, dans le but de répondre aux
« questions ultimes » et qui concernent leurs « mini-
transcendances ». Ce type d’approche nous semble moins restreinte
93

et plus appropriée pour se référer à la démarche de construction de


sens des individus qui ne se considèrent pas en train de suivre une
idéologie religieuse, ni mystique, ni ésotérique.
Parler du « religieux » est pour nous un point de départ, un
instrument pratique qui doit aider à penser sa propre mutation.
De leur côté, Etienne et Liogier (1997) utilisent l’expression
« nouvelles modalités du croire », mais elle est imprécise en ce sens
qu’elle parle de « nouvelles » alors que ces modalités peuvent ne pas
l’être. Nous préférons l’expression de formes contemporaines du
croire. Nous préférons ne pas parler de groupes, mouvements ou
réseaux sociaux, car la construction de l’idéologie chez l’individu ne
dépend pas de sa conscience d’appartenir à un groupe aux contours
définis.
L’analyse de ce croire passe par les dispositifs (comme celui de la
métaphorisation) que les individus, immergés dans une culture,
mettent en place pour construire ce sens à partir d’une quantité
accablante d’informations mais très peu de certitudes ou de repères
stables. Pourtant, ce croire est lui-même changeant, alors son
analyse complète doit porter sur la logique de sa propre
transformation, les principes de son flux.
Hervieu-Léger s’appuyant sur les travaux de Jean Séguy, montre
que le concept de métaphorisation permet de rendre compte du jeu
mobile des échanges entre religions historiques et religions
séculières : « les religions historiques servent de référant aux
religions séculières qui se substituent à elles en réinterprétant
symboliquement leurs contenus. Mais ces religions séculières
deviennent à leur tour un référant des religions historiques qui se
recomposent, diversement, en s'alignant sur le même régime
symbolique que les premières ». (Hervieu-Léger 1993, p.109)
94

Face à la difficulté de repérer les contours du champ religieux, il


faut trouver des outils méthodologiques qui puissent rendre compte
de cette délocalisation et de la façon dont des nouveaux éléments
sont investis d’un sens transcendantal ou simplement d’une valeur
prioritaire pour l’individu. Pour y parvenir, nous croyons que des outils
méthodologiques peuvent être trouvés dans le champ des figures du
discours, par exemple la métaphorisation qui « spiritualise » certaines
croyances ou pratiques.
Hervieu-Léger signale que peu de travaux ont été faits sur ce
domaine de la « réélaboration métaphorisante des significations
religieuses » à laquelle Jean Séguy s’est intéressé. La
métaphorisation et la spiritualisation qui remanient les croyances, loin
d’être des sous-produits passablement dénaturés, sont de nouvelles
créations de plein droit, et qui, en plus, constituent un moyen par
lequel certaines formes religieuses peuvent conserver une pertinence
culturelle dans la modernité.
Aujourd’hui on considère comme obsolète et non-désirable
l’imposition des institutions ayant des contenus dogmatiques. Cette
valeur est l’impératif d’autonomie et de rationalité. Pourtant, cette
autonomie « impose » aux sujets la responsabilité de leurs parcours
personnels de construction de sens. « Personnel » entre guillemets
bien entendu, car il est à l’origine façonné par la culture (Bruner
1997), ainsi qu’il se construit à partir de ce que Paul Ricoeur appelle
le « croyable disponible » et enfin, parce que le sens est renforcé
dans la mesure où il est partagé. Pour récapituler, pour
comprendre la religiosité dans la modernité, il est utile de dégager
certaines caractéristiques essentielles de la modernité : -La
rationalité, c’est-à-dire l’impératif d'adéquation des moyens aux
objectifs désirés. –L’autonomie de l’individu, capable de décider pour
95

lui-même ce qui est juste et ce qui est vrai, et donc de donner sens à
sa vie et à ses propres actes. – La différenciation des institutions et
« détotalisation de l’expérience humaine » qui fait que « l’individu
peine à reconstruire l’unité de sa vie personnelle » (Hervieu-Léger
1999, p. 60), et qu’il cherche cette unité dans la pensée religieuse.
Le « bricolage » des croyances par chaque individu et qui échappe
à la régulation des institutions religieuses traditionnelles, est une
tendance assez homogène à l’échelle du continent européen et en
Amérique du Nord pour que l’on puisse la considérer comme un trait
de la « modernité religieuse » et que nous considérons aussi
répandue dans d’autres pays occidentaux comme la Colombie.
Cette homogénéité dépend, pourtant, d’un accès semblable aux
mêmes ressources culturelles. Il faut donc savoir que si cette
idéologie est répandue géographiquement, elle est tout de même
restreinte à certains groupes sociaux qui ont accès à ces ressources
culturelles. Le bricolage, qui emprunte des éléments aux religions
traditionnelles de diverses origines, concerne particulièrement
certains groupes qui « métaphorisent » les croyances religieuses
pour restaurer leur pertinence et application dans le contexte de leurs
vies « séculières ».
96

DEUXIEME PARTIE

ANALYSE DES REPRESENTATIONS

De l’analyse d’une religion en particulier, notre enquête a avancée


vers l’analyse des formes contemporaines du croire, pour ensuite
analyser la construction social d’un objet nommé « religion » à
travers le langage. « Les discours sont, eux aussi, des événements,
des moteurs de l’histoire » (Todorov 1989, p. 13). Ils sont des actes à
part entière, ils sont le produit d’une décision, et, ajoute l’auteur, ils
sont des « actes décisifs ».
Mais en abordant une idéologie que d’aucuns classifieraient
comme religieuse dans la recherche des représentations et
croyances en général, nous questionnons en même temps la
pertinence du concept de « religion » comme une catégorie d’étude
généralisable à toutes les situations culturelles. En effet, Couture
(2000) signale que l’usage du mot religion pour désigner un système
objectif de croyances comparable à d’autres systèmes de croyances,
est une idée qui doit se placer dans l’histoire. En outre, l’idée que le
mot religion pouvait être généralisable à tous les ensembles de
croyances du monde s’est imposée au XIX siècle.
De manière similaire, des catégories comme celle de l’institution
ecclésiale, ou encore celles du sacré et du profane, peuvent ne pas
rendre compte du changement rapide des formes contemporaines du
croire dans le monde occidental et ailleurs: « Richard Gombrich, un
des meilleurs spécialistes du bouddhisme au Sri Lanka, critique la
97

conception selon laquelle une religion doive correspondre à un credo


particulier » (Couture 2000, p. 1377).
Par conséquent, l’idée d’une religion comme un objet d’étude bien
défini et différencié des autres religions, est aussi mise en question.
Pour le cas du bouddhisme et en général d’autres formes de
religiosité en Asie, le phénomène est évident : « Les premiers
observateurs de la ‘religion’ bouddhique se sont évidemment étonnés
de ne trouver en général chez ces bouddhistes qu’une indifférence
aux doctrines religieuses. Quelques Occidentaux ont même tenté de
combler cette lacune en composant des catéchismes bouddhiques »
(ibid, p.1377). Le bouddhisme, comme une religion institutionnalisée,
n’existait pas.
Réduire chaque religion à quelques idées est peut-être une
tendance dans la tradition occidentale à bien marquer les contrastes,
à dichotomiser. « Il semble […] que l’idée même d’une religion hindou
unifiée soit une élaboration récente destinée à légitimer une
communauté hindou distincte du sikhisme, de l’islam et du
christianisme, et dentant de plus en plus le besoin de développer une
conscience socio-politique puissante. » (Couture 2000, p. 1380) Les
communautés religieuses sont aussi des communautés imaginées et
on pourrait dire la même chose des religions.
Par ailleurs, Bastide (2001) définit la religion comme un ensemble
de représentations collectives. Cette définition place le champ de
l’étude des religions dans celui des représentations, et nous permet
de dé-substantialiser la religion comme un domaine à part. En outre,
nous considérons qu’il s’agit d’un ensemble à contours flous, ce qui
est remarquable dans les nouvelles religiosités, et il semble bien que
c’est le cas pour d’autres cultures non-occidentales, où le religieux
peut être « partout ». Les formes contemporaines du croire posent
98

également un défi aux définitions et catégorisations classiques


(comme celles proposées par E. Durkheim) de la religion.
Mais prenons des définitions plus récentes : « La religion apparaît
à partir du moment où un groupe d’êtres humains désigne un monde
ailleurs, un invisible dont dépend le visible […] » (Audinet, 2000a,
p.2078). Cette conception de l’invisible est pour nous étroitement liée
au fondement de la pensée symbolique (et donc de toute pensée), ce
qui est pertinent ici car le phénomène auquel nous sommes
confrontés n’est pas le phénomène religieux du XIXème siècle
européen à partir duquel Durkheim donnait sa définition de religion
comme un domaine concernant les « choses sacrées, c’est-à-dire
séparées, interdites… ». Si le bouddhisme tibétain n’est pas
considéré pour bon nombre de ses adeptes comme une religion mais
plutôt comme une philosophie, c’est dans un contexte où la ligne de
division entre ce qui est du religieux et ce qui est du profane, est
souvent floue. Par exemple, la notion de « spiritualité » est tantôt
associée à des domaines qui pourraient être considérés comme
profanes, comme la santé et le bien-être, tantôt elle renvoie à des
divinités et à la vie au-delà de la mort.
« Cognitive studies of religion start from the premise that religious
concepts are governed by the same kind of constraints as other
concepts and can be investigated in the same way […]. A number of
anthropologists have argued that religious concepts do not in fact
constitute an autonomous “domain” […]. Information derived from
nonreligious conceptual schemata constrains religious ontology […],
the modes of transmission of religion as well as some developmental
aspects of religious belief. (Boyer et Ramble 2001, p. 536)
Le fait que nous pouvons étudier les concepts religieux comme
faisant partie d’un continuum de la pensée conceptuelle, nous permet
99

d’utiliser des théories de la sémiologie pour étudier cette pensée et


surtout de ne pas l’isoler des autres domaines de la pensée qui
seraient essentiels pour comprendre l’idéo-logique de ladite pensée
religieuse. D’une façon peut-être inattendue pour certains, ce
rapprochement entraîne la mise en lumière de l’ « irrationalité » ou
l’aspect « magique » d’un type de pensée qui se fait au quotidien. S'il
est vrai que l’aspect « mystique » de l’expérience est un domaine qui
recours aux figures de la langue –comme la métaphore-, il est aussi
vrai que notre pensée non considéré comme religieuse s’en sert
constamment.
La difficulté de comprendre les échanges entre les religions ou les
amalgames contemporains comme le « Nouvel Age » renvoie à une
tendance à conceptualiser la religion comme un tout cohérent, un
système de croyances figé et déterminé.

LA TRADUCTION ET L’INTERCULTUREL

Les représentations du bouddhisme tibétain qui circulent dans la


culture occidentale ont traversé plusieurs « filtres » d’acculturation, ce
qui a entraîné des transformations importantes. On doit considérer,
d’abord, que ces représentations sont le produit de traductions
OHVTXHOOHV SDU DLOOHXUV QH VRQW MDPDLV QHXWUHV QL GHV pTXLYDOHQWV
parfaits de leur original  (QVXLWH LO IDXW FRQVLGpUHU TX¶LO H[LVWH XQ
large éventail de possibilités de réinterprétations et de
transformations sémantiques à partir de processus d’adaptation des
signifiants orientaux à la pensée occidentale. En outre, des morceaux
de la doctrine bouddhiste ont été ignorés ou carrément transfigurés.
C’est là un point déterminant pour l’étude des phénomènes
interculturels. Il s’agit d’une problématique représentée par les
100

difficultés de traduction à cause de l’absence d’équivalences


sémantiques ou conceptuelles entre différentes cultures. La
signification complète d’un terme s’inscrit dans une vision du monde,
dans des pratiques sociales, dans une histoire commune et d’autres
facteurs qui composent la vie et la pensée des individus qui parlent
une langue. Un exemple classique de la différence conceptuelle qui
existe entre les cultures asiatiques et occidentales, c’est le concept
de « moi ». Il semble qu’il y a de très grandes différences quant à la
façon de concevoir cette idée. Et pourtant, la conception du « soi »
est centrale dans la doctrine bouddhiste, et de sa compréhension
découlent des principes essentiels, comme l’ « abandon » ou
« extinction » de soi, la réincarnation, l’âme, la compassion, etc.
Tous ces mots peuvent avoir plusieurs sens. On peut penser qu’il
suffit de les traduire, de dire que telle phrase en Tibétain signifie
« abandon de soi » mais ce qu’un Tibétain entend par là est
vraisemblablement fort différent de ce que nous comprenons, car
nous avons une éducation dès l’enfance, un ensemble de pratiques,
un rapport avec le monde à partir de notre conception de soi à nous,
qui est souvent différente de celle d’autres cultures non occidentales.
D’autres problèmes encore plus fondamentaux et généraux ont été
mis en lumière par des anthropologues dans l’étude des croyances
religieuses d’autres cultures. Par exemple la difficulté de généraliser
le concept de sacré, ou même la mise en question de l’universalité de
ce qui signifie « croire » en quelque chose.
Puisque les représentations occidentales de ce qui est le
bouddhisme ne correspondent pas nécessairement au bouddhisme
tibétain dans sa version « orientale », les approches traditionnelles
qui tendent à analyser l’intérêt pour cette religion en fonction des
caractéristiques du bouddhisme « de souche » orientale, et qui sont
101

une abstraction intellectuelle, statique et « pure », ne nous semblent


pas appropriées comme explication.
Les transformations et réinterprétations de ce qui est le
bouddhisme tibétain et plus largement la culture tibétaine, peuvent
aller dans presque tous les sens, c’est-à-dire qu’un objet culturel n’a
pas de sens en soi, mais on lui en confère un grâce à un processus
d’interprétation arbitraire et relative à la culture. Ainsi, une culture
peut toujours faire d’une doctrine une source de sagesse ou
d’aberration, et cette doctrine peut venir d’ailleurs ou de l’intérieur du
propre groupe social. Si l’on considère d’autres cas de rencontres
interreligieuses et interculturelles (y compris dans l’histoire
d’Occident), on ne peut que conjecturer que le bouddhisme tibétain
pourrait aussi être considéré comme quelque chose de mauvais et
incompatible avec la culture occidentale. Or c’est le cas contraire qui
s’est produit et c’est cette image qui continue de séduire des
occidentaux.
Le fait que ces interprétations positives ne concernent pas
seulement le bouddhisme tibétain et que le bouddhisme a été
acculturé, nous font penser que ce qui entraîne une valorisation du
bouddhisme tibétain chez les occidentaux, c’est la conséquence de la
diffusion de représentations culturelles construites suite à un
processus de transformations symboliques qui n’est pas unique ou
spécifique au cas du bouddhisme en France, et qui a son intérêt
justement parce que c’est un processus qui permet la construction
d’imaginaires de l’Altérité.
Nous nous intéressons à une idéologie qui s’est développée suite
aux contacts avec la culture tibétaine et par rapport à cette dernière,
et qui a crée de nouvelles formes de croire qui ne sont pas
nécessairement comme les croyances tibétaines. Nous pourrions
102

dire que notre cas concerne le phénomène de l’acculturation, mais ce


concept n’est pas sans équivoque non plus.
Prenons la définition classique de Redfield, Linton et Herskovits
(cité par Berry, 1999) : « acculturation comprehends those
phenomena which result when groups of individuals having different
cultures come into continuous first-hand contact with the subsequent
changes in the original culture patterns of either or both groups » (p.
177) Des questions surgissent par rapport aux cas qui ne
correspondent pas nettement à la définition. Quant y-a-t-il du contact
direct ? La perception de certaines formes symboliques venant de
l’autre groupe est-elle considérée comme ce type de contact ?
Comment savoir si ces changements au niveau de « cultural
patterns » ont lieu, particulièrement dans des sociétés complexes où
les sous-groupes culturels peuvent différer autant.
Pour De Villanova, Hily et Varro (2001), l’interculturel est un
processus de création souvent conçu autour de concepts comme
l’hybridation, l’emprunt, le métissage ; ils signalent qu’il est aussi
question de l’interrogation sur un point intermédiaire ou une création
nouvelle.
On peut donc dire que l’acculturation aurait lieux dans
l’interculturalité, mais là, on obtient encore d’autres questions du
même genre : De quelle façon pouvons-nous déterminer quand il y a
un vrai échange interculturel (et non, par exemple, dans la projection
de fantasmes dont nous avons déjà parlé). Quel degré et quel type
d’interaction doit-il y avoir lieu pour que l’on puisse parler de cet
échange ? Peut-il exister un échange sans aucune transformation de
ce qui vient de l’Autre ? Par ailleurs, qu’est-ce qu’une société
multiculturelle ? Et si une société se déclare ainsi (comme beaucoup
103

de pays l’ont fait), quelle distance culturelle faut-il qu’il existe entre les
parties pour pouvoir ajouter les préfixes « multi » ou « inter » ?
Bastide nous montre que le contact culturel ou l’acculturation
(terme d’origine américaine) « ne doit pas être regardé comme le
transfert d’éléments d’une culture à une autre, mais comme un
processus continu d’interaction entre groupes culturellement
différents » (Fortes, cité par Bastide 1998, p. 47). Ensuite il fait
référence au processus d’endoculturation, qui serait la transmission
de la culture des adultes à la génération qui leur succèdent et qui se
fait au cours des premières années de vie. A notre avis, l’opposition
entre acculturation et endoculturation (aussi appelée enculturation)
peut-être très questionnable justement dans les sociétés de plus en
plus « multiculturelles », où les individus, dès leur enfance, sont
confrontés à des éléments culturels d’origines diverses.
Le concept même d’acculturation comme contact entre cultures,
est questionnable, car que sont les cultures qui entreraient en
contact ? Qu’est-ce qui entre en contact véritablement ? A quel point
pouvons-nous dire que la culture a changée ? Bastide nous signale
que « …ce ne sont jamais des cultures qui sont en contact, mais des
individus […qui] ne représentent jamais la totalité de leurs cultures,
mais seulement la part que Linton appellerait ‘statutaire’, c’est-à-dire
le secteur de leurs cultures qui touche à leurs rôles distinctifs dans la
société globale. […] certaines parties des deux cultures peuvent ne
pas être du tout en contact. » (Bastide 1998, p. 51) ; à cela il faudrait
ajouter que les individus prennent un rôle particulier dans et pour la
situation de contact (sous la forme, par exemple, de stratégies
identitaires, comme le signale Camilleri 1990, 1999), ce qui limite
davantage le prétendu contact culturel. En outre, dans cette
dynamique, certains éléments culturels feront l’objet d’une diffusion et
104

une réception meilleures : « parce qu’empruntés par les chefs


politiques, [ces éléments] pourront rayonner » (Bastide 1998, p. 52)
Dans notre cas, ce facteur de « rayonnement » peut jouer un rôle
important, car certaines figures publiques et très populaires comme
des acteurs, chanteurs, politiciens, etc., ont manifesté leur sympathie
pour ces « sagesses » et revendiquent la protection des ethnies qui
en seraient à l’origine.
Parler de « culture » est forcément lié à la délimitation d’un
ensemble de traits que l’observateur subsume sous le terme
« culture », qui sont rapportés à des individus et à des groupes
(nation, ethnie, classe, etc.). Cette construction de l’objet « culture »
« est dépendante de la position d’un observateur se situant toujours,
d’une manière ou d’une autre, en extériorité […] elle est tributaire des
moyens que cet observateur met en œuvre pour sa description »
(Leimdorfer 2001, p. 142). Si la description de ce qui est « la culture »
est donc de cette manière ‘relative’, (c’est nous qui utilisons le terme)
la définition de ce qui est « interculturel » dépendrait aussi de la
position de l’observateur et de ses moyens. Ainsi, d’un point de vue,
pratiquement toute étude de la culture est aussi celle de
l’interculturel, car toute culture a reçu des influences d’autres cultures
et toute culture se définit par rapport à d’autres cultures. Une des
limitations des « moyens » de l’observateur est la période et
l’envergure de son cadre d’analyse : un phénomène qu’aux yeux
d’aucuns peut concerner l’interculturel, peut ne pas l’être pour
d’autres qui ont un cadre d’investigation plus réduit. Les flux
d’échanges interculturels font que la fusion de traits et de symboles
n’ait pas de frontières définies. Tracer les limites de ce qui appartient
à une culture et ce qui appartient à une autre, n’est pas notre tâche.
A partir de quel point du continuum peut-on parler de l’emprunt d’un
105

élément à une autre culture, étant donné que dès qu’on le perçoit et
lui attribue un sens, on se l’approprie en quelque sorte et il n’est plus
étranger. Si nous pouvons parler d’interculturel, il nous faut parler de
frontières entre cultures, ce qui est une construction sociale et non un
fait objectif (Barth, 1999). Pour parler d’échange, il nous faut parler
plutôt d’éléments culturels que les gens identifient comme ayant une
identité ethnique.
Douglass et Lyman (1976) critiquent la notion d’acculturation
comme un processus de transition d’une culture A devenant une
culture B, car pour ce faire, il faut caractériser les deux cultures
comme étant deux entités stables, descriptibles au moyen des listes
de traits, or, nous savons que les cultures sont en permanent
changement, et que ce qui demeure, pour qu’on puisse les appeler
« cultures » malgré ces changements, c’est une identité que nous
appelons ethnique. La continuité de ces entités, nous signale Barth
(1999) ne réside pas dans la continuité des traits culturels objectifs,
mais dans le maintien d’une identité (avec une frontière) ethnique.
En outre, le modèle d’acculturation mentionné « élude
implicitement les questions de la ‘viscosité’ du phénomène ethnique »
(Douglass et Lyman 1976, p. 206) : toutes les manières dont les
individus recourent à certains traits culturels et en refusent d’autres
pour construire leur identité et qui deviennent donc les traits
considérés à un moment donné comme saillants. « A mesure qu’ils
se dépêtrent de toutes sortes de situations, les individus se voient
contraints de marchander leur identité et de choisir les traits qu’ils
désirent mettre en relief » (p. 216). Les constructions identitaires
deviennent donc des procédés tactiques en matière de relations
sociales. Cette notion de « tactique », ou stratagèmes (mot que ces
derniers auteurs utilisent aussi) est analysée dans le même contexte
106

de relations interethniques, mais en approfondissant sur les raisons


psychologiques qui y interviennent (Camilleri, 1999). Egalement,
pour M. Lipiansky, I. Taboada-Leonetti, A. Vasquez (1999), les
individus recourent à des stratégies pour se définir et choisir leurs
appartenances, entendant par stratégies « des procédures mises en
œuvre (de façon consciente et inconsciente) par un acteur (individuel
ou collectif) pour atteindre une, ou des finalités (définies explicitement
ou se situant au niveau de l’inconscient), procédures élaborées en
fonction de la situation d’interaction, c’est-à-dire en fonction de
différentes déterminations (socio-historiques, culturelles,
psychologiques) de cette situation. » (p. 24). Concevoir les identités
en termes de stratégies identitaires permet de souligner leur
caractère relationnel et dynamique.
L’exemple concret de Bastide (2001) au Brésil, est celui des
sociétés des esclaves qui ont dû s’adapter au catholicisme mettant
des « masques » de saints catholiques sur le visage de leurs divinités
d’origine africaine ; les nouvelles divinités avaient donc des
caractéristiques et des saints catholiques et des dieux africains. Les
saints catholiques faisaient surgir, chez les croyants de couleur, les
« complexes affectifs et mentaux » qui étaient liés aux cultes des
dieux africains. C’est le cas paradigmatique où on a une forme à
laquelle on associe des concepts, des croyances, des significations,
et des émotions, de diverses sources. C’est aussi une caractéristique
de la pensée mythique, qui relie par la voie des correspondances
symboliques, des éléments de différentes réalités.
Plus tard, toujours au Brésil, mais cette fois-ci sous l’influence de
ce que Bastide appelle l’« orage mystique », ces divinités africaines
qui avait survécu au travestissement catholique, se sont
« spiritualisées » à cause du spiritisme importé d’Europe et des
107

Etats-Unis, de sorte que certaines d’entre elles ont pu devenir, par


exemple, des « Esprits de Lumière ». C’est ainsi que, nous raconte
Bastide, à Rio de Janeiro a surgit une nouvelle religion : un
« spiritisme nègre » par rapport au spiritisme d’Allan Kardec.
Poursuivant l’évolution de ces transformations des dieux, on voit
apparaître les candomblés dits « commerciaux » ou pour touristes.
C’est un cas de la transformation des formes culturelles propres pour
donner une image particulière aux Autres. Les chefs des
candomblés, avec une « mentalité occidentale », nous explique
l’auteur, y ont ajouté des éléments d’érotisme et de sadisme dans le
but de plaire aux touristes.
Il semble qu’il n’existe guère de consensus quant aux réponses à
toutes les questions que nous avons posées précédemment. Elles
correspondraient plutôt à des critères normatifs ou au moins
arbitraires de ce qui est une culture, un contact, un échange, la
« distance culturelle » qui doit exister pour parler de deux cultures
distinctes, etc.
A cause de ces imprécisions, nous préférons nous donner pour
objet d’étude ces transformations culturelles dans un contexte où les
individus conçoivent l’existence de plusieurs identités ethniques, au
lieu de parler de changements d’une « culture » en tant qu’entité
discrète, provoqués par une autre culture. Ces transformations, si
transformations il y a, nous les analysons sous la forme des relations
entre signifiants et significations (nouveaux et anciens) que les gens
associent avec un Autre ethnique. Si nous parlons d’intégration (et
nous préférons décidément ne pas utiliser le terme « assimilation », à
cause de sa connotation d’effacement de tous les traits culturels
précédents, ce qui est très invraisemblable), c’est dans le sens où un
108

signifiant censé avoir une origine étrangère est « emprunté » et


intégré dans une structure symbolique propre comme un discours.
Dans ce processus, les réinterprétations jouent un rôle central et
elles sont définies comme : « le processus par lequel d’anciennes
significations sont attribuées à des éléments nouveaux ou par lequel
de nouvelles valeurs changent la signification culturelle de formes
anciennes » (Herskovits, [1952], cité par Bastide, 2004). Il s’agit là
d’une définition qui correspond tout à fait à la réalité que nous avons
observée, et qui s’éloigne du débat stérile d’un bouddhisme
acculturé, occidentalisé, par opposition à un bouddhisme « vrai » ou
« authentique ».
Par contre, nous avons affaire, comme le suggère Bastide, à des
« synthèses vivantes », où apparaissent des traits culturels inédits,
une réalité originale. Abordant alors les notions de « situation » et de
« phénomène social total », ce sociologue conclut : « Dans le cas de
l’Afrique noire, société noire et société blanche participent à un même
ensemble [c’est nous qui soulignons]. Le contact et ses effets ne
peuvent être compris qu’à la condition d’être replacés dans des
‘ensembles’, c’est-à-dire dans les totalités sociales qui les encadrent,
les orientent et les unifient ». (Bastide, 2004 [en ligne]).
Dans les études d’acculturation, notre but n’est donc pas celui de
décrire deux civilisations avant leur contact (le fameux « point zéro »
critiqué par Malinowski), puis, de décrire ce qui se passe quand elles
se rencontrent. « Nous n’avons jamais d’autre objet d’étude que des
sociétés complexes, pluriethniques » (ibid). C’est là la critique que
nous proposons ici au modèle d’analyse du bouddhisme en France,
celle du bouddhisme pris isolément, à partir des théories sur le
contenu idéel de sa doctrine. Par ailleurs, la recherche interculturelle
a généralement porté sur la relation (sociale, pédagogique, etc.),
109

mais « plus rarement semble-t-il, sur les créations elles-mêmes


issues de ces contacts de cultures. » (De Villanova 2001b, p. 259).
« À partir du XIXe siècle, l’histoire des religions utilisa plus ou
moins consciemment le mot [syncrétisme] dans un sens péjoratif
pour désigner des manifestations religieuses hybrides, impures, qui
n’étaient pas primitives mais, au contraire, dérivées de la
combinaison de diverses religions, et qui correspondaient à un stade
de décadence, c’est-à-dire à l’incapacité de certaines religions à
subsister dans la rigueur de leurs formes constitutives. » (Sabbatucci,
2004 [en ligne]). « Syncretism is a contentious term, often used to
denote inauthenticity, or the pollution of a notionally pure tradition by
symbols and meanings taken from alien tradition. [...] Recently,
anthropologists and social historians have discredited the idea of
essential, untainted traditions, exploring instead the processes by
which they have been invented or imagined. (Maxwell 2001, p.
13054). Au lieu de chercher les essences qui se mélangent, il faut se
demander plutôt les motivations et les moyens pour revendiquer une
authenticité, une origine ou une tradition, que ce soit la sienne ou
celle d’un Autre ethnique.
A une époque, pour l’histoire comparée des religions « le prétendu
phénomène syncrétiste s’est révélé de plus en plus inconsistant à
mesure que s’étendait le champ de la comparaison ; il finit par
disparaître tout à fait quand on constata que tous les produits
culturels et non seulement les faits religieux peuvent être rapportés à
des sources diverses en ce qui concerne leurs éléments constitutifs
sans représenter pour autant une forme de syncrétisme. De la
rencontre des différentes cultures […] peut naître une culture
nouvelle […] ; on peut alors se demander quel sens il y aurait à
distinguer dans ce processus général un phénomène syncrétiste
110

particulier. […] Le fait que cela n’ait pas de sens s’explique par
l’absence d’un phénomène auquel s’oppose l’éventuel syncrétisme. »
(Sabbatucci, 2004 [en ligne]). Effectivement, si toutes les cultures
sont d’origine syncrétique, pourquoi parler de syncrétisme culturel. A
quoi bon dire qu’une idéologie est syncrétique, si toutes les
idéologies sont syncrétiques. Justement, pour qu’il y ait du
syncrétisme, il faut d’abord identifier les cultures, les religions ou les
idéologies comme entités bien définies, qui constitueraient ce qui se
mélange dans le syncrétisme. Par conséquent, ce débat rejoint celui
de l’applicabilité d’un terme comme « culture », car comment définir
ses limites, si l’on constate que tout ce qu’il existe ce sont des
continuums entre les formes culturelles qui passent d’une localité
(dans le sens du mot anglais « localities » employé par Appadurai,
2000) ou d’une communauté à une autre, et cela de plus en plus vite
et vers des destinations de plus en plus lointaines. On peut peut-être
parler de syncrétisme entre deux formes concrètes que l’on a
identifiées en tant qu’éléments distincts à un moment donné et qui,
se rapprochant, créent une forme nouvelle, mais parler des origines
culturelles indépendantes de ces deux formes, semble de plus en
plus problématique, et c’est en effet une problématique qui nous
concerne très directement lorsque nous voulons dire qu’une certaine
croyance vient de telle ou telle culture, par exemple la tibétaine ou
l‘indigène.
Pareillement, pour le concept de « métissage » culturel, celui-ci
part d’une idée erronée qui consiste à croire qu’il existe des entités
discrètes nommées « cultures », des univers étanches, qui restaient
« purs » dans un passé (qui n’a jamais existé), et qui, suite aux
contacts avec d’autres cultures, se seraient métissées. C’est l’idée de
culture mélangée opposée à celle de « cultures ataviques ». En
111

outre, cette approche suppose que ces entités métisses seraient de


plus en plus nombreuses à cause de la mondialisation, et que ce
processus tendrait à homogénéiser les cultures du monde entier (la
coca-colonisation, par exemple). Or ces cultures « originelles » à
partir desquelles on conçoit les métissages, sont, elles-mêmes,
métissées, et les contacts avec l’altérité ont toujours existé. Amselle
(2001) propose une approche alternative qui nous semble tout à fait
pertinente pour notre étude. Recourant à la métaphore de l’électricité,
et par extension de l’informatique, il parle de « branchements » que
chaque collectivité peut établir au réseau planétaire de signifiants,
leur donnant leurs propres signifiés locaux. Grâce à ce modèle nous
nous écartons décidément du modèle (bi)polaire ou dichotomique
dans l’analyse des échanges culturels. Nous nous écartons aussi du
débat sans fin sur les contenus originels de chaque culture et de
l’interrogation sur qui a apporté quoi dans le brassage culturel. Ces
débats se fondent sur des problèmes insolvables comme la
délimitation des cultures et des traditions, sans pouvoir user d’aucun
critère objectif concret pour y parvenir. Des anthropologues dans le
passé ont essayé d’utiliser certains critères comme la langue (qui est,
elle aussi, à contours flous et en constant changement), le territoire,
la religion, ce qui marchait pour eux et leurs notions fossilisées des
cultures « primitives », cultures-choses immobiles et isolées, qui n’ont
existé que dans leurs ethnographies.
Le branchement d’un groupe sur les signifiants qui circulent à
l’échelle mondiale devient un moyen pour reconstruire ses propres
particularités, par exemple affirmant son identité. La diffusion globale
de messages, de représentations culturelles, loin d’homogénéiser,
devient un moyen d’expression des particularités locales face aux
Autres, si bien que ces signifiants globalisés permettent aux groupes
112

locaux de se projeter sur la scène mondiale avec une image


reconnaissable par les autres. Dans ce phénomène d’appropriation
se trouve toute la problématique de la traduction et de la
réinterprétation. Pour Amselle, l’expression d’une identité suppose
d’emblée une traduction, une conversion de signes « universels »
(bien que ce mot puisse être controversé, nous l’entendons ici
comme désignant ce qui transcende la localité, et qui pourrait être
régional, transnational…) dans les idiomes locaux ou l’attribution de
signifiés propres aux signifiants « planétaires » afin d’y manifester
leur singularité.
En outre, les religions, nous signale cet auteur, sont basées sur
cette idée de traduction d’un message qui permettrait au particulier
d’accéder à l’universel. Le cas des religiosités modernes et la façon
dont le bouddhisme est représenté par les Occidentaux, suit ce
principe. Bien que cela puisse paraître contradictoire, les religions
locales -et par là les identités ethniques qui y sont rattachées-
existent sur la scène globale en fonction d’une « universalisation » de
leurs signifiants.
L’accent que nous mettons sur la métaphore des
« branchements », vient de la différenciation entre signifiants et
signifiés. Le modèle classique d’échanges culturels suppose la
transmission des signifiants toujours avec leurs signifiés ; seulement
s’il y a cette correspondance, supposent certains, il y a un véritable
échange. Ainsi, étant donné la construction sociale de la signification
on peut conclure qu’il n’y a jamais de vrai échange, que les cultures
sont incommensurables, ou qu’elles doivent rester séparées, car il
est impossible de reconstruire ce monde social pour reconstruire les
signifiés. De l’autre côté, il y a les « naïfs », qui ne font pas la
séparation non plus, et croient que reprendre le signifiant implique
113

automatiquement reprendre le signifié, de sorte qu’ils croient que leur


signifié (ou interprétation) au signifiant venu d’ailleurs, est le même
que celui que l’autre culture lui attribue.
Laplantine et Nouss (2001) prennent la créolisation des langues et
la traduction comme des exemples de métissage. En ce qui concerne
la traduction, par exemple, la conception traditionnelle repose, selon
ces auteurs, sur les notions d’équivalence et de fidélité. La traduction
serait l’équivalent de l’original, transmettant son message. Cette idée
plus que commune, ignore l’adage italien bien connu en
traductologie: « traduttore tradittore » (traduire, c’est trahir). La
conception traditionnelle suppose que le sens serait isolable de la
forme. Une sorte de monde platonicien d’idées pures et donc de sens
univoques qui existeraient indépendamment des vies humaines qui
les construisent et les vivent. Or, nous savons que le sens n’existe
que dans un contexte particulier, dans un cadre culturel et dans un
réseau de connotations, et que c’est donc là que réside le sens du
texte original. Ce réseau existe autour de la forme et la forme n’existe
qu’à l’intérieur de lui, de sorte que pour avoir une équivalence
complète du sens il faudrait recréer le réseau, mais ce dernier est
construit à partir des expériences qui composent la vie sociale des
individus, ce qui fait que nous ne puissions que rarement atteindre
cette reconstruction de façon complète.
Par conséquent, la traduction est très souvent un nouveau texte,
avec les réseaux locaux qui entourent les formes locales censées
prendre la place des étrangères. C’est une fiction populaire de croire
que la traduction nous rend un texte comme si l’écrivain originel
l’avait écrit dans la langue d’arrivée et de nos jours, alors que cet
auteur n’appartenait pas à une culture de langue écrite, ou qu’il vivait
en Inde il y a 2500 ans. Pour nous, le syncrétisme est dans la
114

construction de nouveaux « textes » (ou nouvelles formes culturelles)


qui effectivement surgissent dans la cohabitation d’individus et de
formes culturelles diverses. Ce qui nous permet de différencier le
syncrétisme du changement culturel, c’est la présence de plusieurs
identités ethniques concernant les formes -et les effets de frontière
que cet élément identitaire entraîne. Si l’on peut définir le
« bricolage » dont nous avons déjà parlé comme une démarche
syncrétique, c’est parce que les gens qui le réalisent tout en ayant
conscience des frontières ethniques, se permettent de franchir ces
frontières pour s’approprier des signifiants qui appartiendraient aux
Autres culturels.
Au modèle d’entités séparées, on a opposé le modèle de
l’universalisme construit sur l’idée de fusion et du partage du même,
une quête de synthèse, de l’Unité. Que ce soit par le truchement de
la Raison, de l’Histoire, du Progrès, des Astres, du Destin, de la
Nature, de la Nation, de la Classe, ces idées toujours très
occidentales, ont déjà aspiré à l’unification de l’Humanité. A ce
propos, on peut penser aux notions actuelles comme les droits de
l’Homme, le Spirituel ou la Psychologie ; des éléments qui seraient
partagés par toute l’Humanité et qui permettraient de rapprocher tout
le monde.
La traduction, ainsi que l’interculturalité, sont une construction
nouvelle, avec des risques et des potentialités nouvelles. L’erreur est
de croire que la traduction est l’original. En guise d’exemple de la
manière dont les traductions sont des adaptations en fonctions de
systèmes de représentations beaucoup plus complexes et qui
s’insèrent à leur tour dans des pratiques sociales, il faut remarquer
que dans les traductions du XVIIIème siècle, l’emploi de termes
typiquement occidentaux comme « couvent », « pontife » et
115

« prêtres », a été repris comme justification pour condamner la


religion du Tibet comme une hérésie. Dans ce contexte, avoir trouvé
un équivalent des concepts étrangers, proches de ceux de sa propre
culture, a été un moyen pour interpréter l’autre religion comme une
usurpation de sa propre religion. Les ressemblances sémantiques
étaient entendues comme le signe d’une religion qui voulait prendre
la place du catholicisme, et donc comme la religion du diable. « Dans
cette théorie, toute similitude entre les éléments rituels de l’Eglise et
ceux des cultes rivaux est l’œuvre du diable. » (Lopez 2003, p. 42).
Ceci pose un contraste intéressant avec l’idéologie d’aujourd’hui, où
l’on essaie de traduire la symbolique tibétaine avec des concepts qui
valorisent du coup l’Autre ethnique ; on n’y voit plus un signe
d’usurpation, mais au contraire, une la confirmation que toutes les
cultures parlent de la même chose, qu’elles peuvent contribuer à un
but commun.
Les mots ne sont pas simplement des étiquettes pour nommer les
mêmes objets que nous voyons tous, mais ils ont des connotations
de valeur (sacrée, politique, émotionnelle, esthétique, etc.). Ces
extensions sémantiques se manifestent dans la pensée sous forme
d’associations. Cette problématique devient évidente pour le
traducteur lorsqu’il veut traduire un texte humoristique ou un poème :
il en va de même lorsqu’on prétend connaître les croyances
religieuses d’autrui et la vision du monde qui va avec. En outre, elle
nous montre que le travail du traducteur est fondamental dans la
formation des représentations d’une autre culture (et l'ethnologue est
un traducteur!). En fonction des signifiants employés et de dispositifs
rhétoriques, la traduction établie des liens d’ « équivalence », et par
là elle peut fixer un rapport de « compatibilité » ou de
« compréhension », faisant d’une doctrine, malgré son éloignement
116

de la pensée propre, une source de « spiritualité », un « beau texte »,


etc.

LE « SUCCES » DE CERTAINES IDEES

En essayant de reconstruire l’effet « perlocutoire » (Austin, 1976)


que les mots ont sur les individus ou le « pouvoir des paroles »
(Bordieu, 1982) employées pour parler d'une autre culture, nous
sommes face aux questionnements sur les mécanismes
d’argumentation qui provoquent une certaine séduction (ou rejet).
« Communiquer, c’est requérir l’attention d’autrui : par conséquent,
communiquer, c’est laisser entendre que l’information que l’on
cherche à transmettre est pertinente. » (Sperber et Wilson, 1989, p.
7) L’importance de cette notion de « pertinence » dans notre étude
vient du fait que nous devons supposer une intention de la part de
ceux qui produisent les messages inter-ethniques. Elle nous rappelle
donc que dans ce type d’échanges communicationnels, il peut y avoir
une connaissance implicite de la part de l’émetteur du message sur
ce qui est pertinent pour ses interlocuteurs, il modifie donc son
langage en fonction de cette connaissance. Par exemple, dans les
messages du Dalaï Lama, il est normal de supposer une intention de
captiver son audience occidentale en disant des choses qui sont
pertinentes pour son audience. Pour certains, il s’agit là d’une sorte
de tricherie, mais, de fait, les théories de la communication montrent
que cela se fait tout le temps dans l’interaction sociale et que c’est
nécessaire pour que les interlocuteurs se prêtent attention les uns
aux autres.
Pour nous, l’intérêt et la valorisation de l’Autre ethnique passe en
grande partie par une forme de communication. Nous prenons la
117

définition très simple de la communication que Sperber et Wilson


(1989) proposent comme la modification de l’environnement
physique d’un dispositif de traitement de l’information (une personne)
par un autre dispositif de traitement de l’information. Cette notion
d’environnement est très importante car ce sont ces modifications de
l’environnement que nous pouvons observer, et il faut toujours
indiquer pour qui cet environnement est pertinent.
Les concepts d’ « échange » ou de « message » sont
problématiques car on peut toujours supposer qu’il n’y a pas de
correspondance exacte entre ce qu’un des interlocuteurs a voulu dire
(son prétendu message) et ce que l’autre interlocuteur a compris (sa
version du prétendu message). Parfois même, un des interlocuteurs
croit recevoir un message, alors que l’autre n’a rien voulu
transmettre, ou vice-versa. (On a même douté que ce que l’individu
croit vouloir dire soit ce qu’il veut vraiment dire, etc.) Cette
problématique devient d’autant plus insolvable qu’il s’agit de relations
entre individus culturellement éloignés. A chaque fois que les
individus croient avoir appris quelque chose sur l'Autre, on pourra si
cet Autre est vraiment la source de ce que le récepteur a cru
comprendre.
La communication verbale met en jeu à la fois un processus de
codage et un processus inférentiel. Un processus inférentiel a pour
point de départ un ensemble de prémisses et pour aboutissement un
ensemble de conclusions qui sont logiquement impliquées ou, au
moins, justifiées par les prémisses. » (Sperber et Wilson, 1989, p.
27). Les individus traitent les manifestations des autres ainsi que
l’entourage et leurs propres contenus mentaux comme des
prémisses. En outre, les individus tiennent compte de qu'ils croient
que l'autre pense, et d’un savoir mutuel, c’est-à-dire ce que leur
118

interlocuteur sait d’eux. Les tibétains, par exemple, comme le signale


Obadia (1999), connaissent ne serait-ce qu’en partie évidemment, les
discours que les Occidentaux tiennent à leurs propos.
L’interprétation, en tant que produit des inférences, va bien au-delà
du simple décodage des énoncés. Elle implique un vaste ensemble
de données qui est utilisé par les individus pour arriver à une
interprétation particulière. Dans l’analogie, par exemple, on établit
une ressemblance ou une correspondance entre A et B, qui nous
permet d’inférer les caractéristiques de B à partir des caractères
connus de A. B, étant un élément nouveau, est intégré à un réseau
de représentations auquel appartient A
En général, les processus inférentiels se produiront en fonction des
concepts qui constituent une représentation (Sperber et Wilson,
1989, chap. 2). Par exemple, la présence de concepts de valeur
comme compassion, amour, tranquillité ou épanouissement, qui sont
très fréquents dans les discours de type religieux, semble jouer un
rôle important dans la réception et valorisation des messages
religieux.
Dans l’analyse de formes culturelles comme les mythes, la
littérature, les rituels, etc., les auteurs nous montrent que « ces
phénomènes culturels ne servent pas, en général, à communiquer
des messages précis et prévisibles. Ils orientent l’attention des
destinataires dans certaines directions ; ils les aident à structurer leur
expérience. » (Sperber et Wilson, 1989, p. 20) En effet, c’est
justement dans ce sens qu’agissent les représentations publiques du
type religieux ou « para-religieux ».
La notion de représentation est le processus élémentaire de
l’interprétation. Elle met en relation trois termes : « une chose en
représente une autre pour quelqu’un. » (Sperber 1996, p. 108). Le
119

succès de la distribution culturelle d’une représentation est une


fonction de la richesse de ses conséquences et des ses possibles
interprétations par les membres d’une société en fonction de leurs
besoins. Un exemple cité par Sperber (ibid.) est celui de la croyance
que « tous les hommes sont égaux ». Les individus peuvent
l’interpréter de maintes façons, d’autant plus qu’elle a des
conséquences dans une société qui est de fait profondément
inégalitaire.
Les représentations culturelles sont, pour Sperber (1996), des
« représentations largement distribuées dans un groupe social et
l’habitent de façon durable. » (, p. 50). Cette précision nous paraît
importante, car elle impliquerait que les représentations peuvent être
« plus ou moins culturelles », dans la mesure où elles sont plus ou
moins largement et durablement distribuées. Cette considération
théorique est d’autant plus pertinente dans les sociétés dites
« complexes » ou « multiculturelles », où un grand nombre de
représentations circulent de façon très discontinue, souvent
partagées non pas en fonction des groupes sociaux dans un même
territoire, mais en fonction de réseaux sociaux et communicationnels.
Les représentations sont donc culturelles dans la mesure où elles
sont partagées et reproduites au fil du temps, mais le groupe qui les
partage peut ne pas coïncider avec ce que nous entendons
traditionnellement (et d’une façon très problématique) par « une
culture » délimitée. Pour ces raisons, il est préférable de parler de
représentations collectives.
La notion d’interprétation est centrale, vu l'objectif de montrer
comment les discours qui parlent d’une autre « culture » sont
interprétés en fonction des représentations pré-existantes. Une
complexification qui vient s’y ajouter, mais qu'il ne faut pas ignorer,
120

est qu'à partir de ces interprétations faites par une population


d’étude, nous faisons nos propres interprétations en tant chercheurs.
Geertz (1973) le dit très simplement : nous faisons des interprétations
des interprétations. Quand nous disons « Les X pensent que… »,
comment évaluer la véracité de notre interprétation ? Bien qu’un objet
de recherche comme les « contenus de la pensée » puisse paraître
de la métaphysique, et qu’en effet il se prête à toutes sortes de
dérapages théoriques, tous les individus, dans la vie sociale, font des
associations entre les représentations et utilisent une vaste
connaissance pour communiquer avec autrui. Ils peuvent inférer,
avec un succès considérable, ce que l’autre pense en fonction d’un
ensemble de représentations collectives ou de constructions
langagières. Ces interprétations nous aident à vivre ensemble. Si
l’anthropologie contribue à élucider les principes mis en œuvre dans
ces interprétations, il ou elle aura peut-être contribué à une meilleure
compréhension et tolérance dans la diversité culturelle
Nous pouvons envisager notre démarche à travers l’étude des
propriétés formelles des représentations. En effet, comme le propose
Sperber dans un exemple : « on peut se demander quelles sont les
propriétés formelles qui font que le Petit Chaperon rouge se
comprend et se retient mieux qu’un résumé des événements du jour
à la Bourse » (Sperber 1996, p. 88). C’est toute notre question
initiale : quelles sont les caractéristiques formelles du discours qui
circule dans l’espace culturel Français concernant le bouddhisme
tibétain, qui font que celui-ci soit « intéressant ».
Il semblerait que « les représentations les plus évocatrices sont
celles qui, d’une part, sont étroitement liées aux autres
représentations mentales de l’individu, et qui, d’autre part, ne peuvent
jamais recevoir une interprétation définitive » (op. cit., p. 101) ou qui,
121

en d’autres termes, sont à demi comprises. Leur compréhension


consiste en un travail de recherche de la part de l’individu, de
construction d’hypothèses grâces auxquelles l’idée à demi comprise
aura plus de sens. Parfois, il y a tout simplement l’autorité de la
personne qui parle (« l’argument d’autorité ». Bourdieu, 1982) qui fait
qu'une idée soit acceptée. Dans ce dernier cas, l’individu penserait
que le manque de sens n’est pas dû à une incohérence de l’idée,
mais à un manque des ses propres connaissances ou capacités pour
la comprendre complètement. Mais parfois, les l'argument d'autorité
intervient (et quand un chaman réputé parle, cela peut être le cas)
pour faire que des idées à demi-comprises reçoivent des
interprétations positives, qu'elles soient associés à d'autres
représentations ou concepts avec des connotations positives.
Evidemment, beaucoup d’idées religieuses ou para-religieuses
relèvent de ce domaine, et d’autant plus si ces idées sont censées
avoir une origine culturelle étrangère dans un contexte qui valorise la
pluralité. Concrètement dans notre cas, il faut prendre en compte
l’effet de « l’argument d’autorité », puisque les moines tibétains,
considérés comme des maîtres, jouissent d’un certain statut de
crédibilité.
Mais l’importance de la source ne se limite pas à la personne qui
énonce les mots, mais aussi aux sources autorisées. Un facteur à
prendre en considération est le fait que les individus tendent à prêter
plus d’attention à l’information qu’ils croient être largement partagée,
et d’autant plus si ceux qui la partagent appartiennent à un groupe de
référence valorisé. S’il s’agit d’informations confuses ou en principe
incohérentes pour l’individu, il va faire un effort pour les intégrer à sa
pensée et à ses goûts. Les médias, avec le statut dont elles jouissent
(le fait d'apparaître à la télévision est, par exemple, déjà un argument
122

d'autorité) peuvent rendre une information « importante ». Il faut donc


penser au rôle de la forte médiatisation du phénomène Bouddhisme-
Tibet, et au fait que certaines célébrités et membres des élites
montrent publiquement leur sympathie pour le bouddhisme et/ou le
Tibet.
D’autre part, ces idées à demi comprises laissent toujours la
possibilité d’être interprétées différemment en fonction des besoins
de sens des individus à un moment donné. Il faut donc considérer la
situation des récepteurs pour comprendre leurs interprétations. Les
croyances religieuses ont cet aspect de « mystère » qui fait qu’on n’a
jamais fini de les interpréter, laissant une certaine inquiétude.
Puisqu’elles sont seulement à demi comprises, elles sont
susceptibles d’être indéfiniment réinterprétées. D’ailleurs, il en est de
même des pratiques religieuses.

RHETORIQUES : LA CONSTRUCTION SYMBOLIQUE DE LA


REALITE

Nous adhérons au sens simple du mot « rhétorique » en tant


qu’ « art de dire quelque chose à quelqu’un » et plus particulièrement
« l’art d’agir par la parole sur les opinions, les émotions, les
décisions » (Douay-Soublin, 2004 [en ligne]). Il ne faut pas le
confondre avec un sens péjoratif du mot en français courant,
dénonçant « soit la grandiloquence déclamatoire du discours
malhabile, soit l’habileté menaçante du discours manipulateur »
(ibid.). Au-delà de ce sens péjoratif, le fait est que « la conjoncture
actuelle paraît assez favorable au retour de la rhétorique, puisque,
dans trois autres disciplines au moins, la philosophie du langage,
l’anthropologie culturelle et la linguistique générale, resurgissent des
123

concepts comme discours, genres, circonstances, moment, dialogue,


interaction, émotion, polyphonie, ajustement, convenance, qui dans
la réflexion rhétorique traditionnelle furent longtemps le pain et le
sel. »(ibid.). Au fond, ce qui nous intéresse ici est d’analyser le
pouvoir des mots et des discours sur l’esprit humain, et par
conséquent sur les relations sociales. Il faut tenir compte du fait que
la rhétorique n’est pas une activité limitée aux discours d’individus
surdoués ou ayant des projets machiavéliques pour manipuler les
autres ; les figures rhétoriques sont utilisées à tout moment dans la
communication ; le langage est foncièrement métaphorique et ce
type de figures n’existent pas simplement pour donner un style
esthétique au discours, mais elles construisent une réalité mentale en
re-présentant les choses et leurs qualités.
Une activité extrêmement importante dans nos sociétés actuelles
qui recourent au pouvoir du langage pour changer les croyances,
c’est la publicité. Observant ses mécanismes symboliques, dont le
but est de « séduire et convaincre », nous pouvons trouver des
ressemblances avec le phénomène de séduction d’un discours
religieux ; pareillement, la construction des attributs d’une marque,
d’une entreprise, peuvent nous mettre en lumière les moyens
symboliques mis en œuvre notamment dans les discours de type
religieux (mais pas uniquement), pour construire une identité
culturelle.
Il est reconnu que nombre des messages publicitaires combinent
les aspects dénotatifs (d’information) et connotatifs -qui évoquent une
émotion et procèdent par association d’idées, par l’évocation d’une
ambiance, qui jouent sur les symboles, les motivations profondes…-.
La publicité dite « douce » utilise cet aspect connotatif, visant
l’acceptation et le changement d’attitude en faveur d’un nom (une
124

identité), favorisé par les associations qu’induit et suggère le


message. Dans l’évolution des stratégies publicitaires, depuis les
années 70, elles jouent de plus en plus sur les aspects symboliques
et connotatifs. Il n’est pas de doute que si nous voulons comprendre
les raisons de l’acceptation d’un discours (pseudo) religieux, et le
changement d’attitude en faveur d’une identité qu’en serait l’origine,
nous devons analyser comment opèrent ces associations d’idées,
ces symboles, ces connotations que la publicité utilise, elle aussi,
dans ses buts.
La publicité compte aussi sur la « réinvention » de l’objet de la part
du récepteur du message, de sorte que celui-ci l’intègre à ses
besoins et ses désirs. C’est pourquoi, les objets (concepts, images,
signifiants) qui sont susceptibles de plusieurs interprétations peuvent
être plus facilement accueillies par les gens (avoir plus de
« succès », pour reprendre le concept de Sperber, 1996).
Les individus intègrent constamment des éléments neufs dans une
structure de sens. A travers l’analogie, par exemple, nous pouvons
donner du sens à la nouveauté, mais en plus, comme le signale
Tardan-Masquelier (2000), elle peut nous reconduire à une réalité
transcendante, faisant d’un phénomène banal, un de type religieux.
L’allégorie, de son côté, nous permet de rendre sensible et
compréhensible une réalité abstraite. Les discours religieux
mentionnent souvent des allégories, à travers, entre autres, leurs
multiples métaphores et paraboles. L’interprétation est une « mise en
marche », un « mouvement vers », un « éveil à l’altérité ». Le sens
caché révélé par la religion, est une manifestation de cette altérité.
La notion de structure de sens sera utile pour comprendre les
représentations que nous allons analyser. Pourtant, le concept de
structure a grand nombre de définitions que l’on a construit dans les
125

sciences sociales. Pour nous, une structure est un ensemble


d’éléments reliés entre eux et qui s’influencent mutuellement. Dans
une structure, bien que les liens suivent certaines trajectoires plus
fréquemment que d’autres, ces autres restent possibles et peuvent
être activées grâce à de nouvelles formes de conception et/ou aux
changements des pratiques.
La linguistique nous montre l’importance des schémas
relationnels : l'effet de sens ne procède pas du mot en soi, mais de
son potentiel de re-présenter d’autres mots, concepts, images qui lui
sont associés. De même, « une image symbolique ne porte pas, en
soi, de sens fixe, le rapport entre contenant et contenu étant
provisoire; tout dépend de la manière dont elle se trouvera combinée
avec d'autres représentations; seul importe, pour comprendre le
mythe, cette corrélation. » (Tardan-Masquelier, 2000, p. 2185-86).
Thomas d’Aquin décrivait déjà le fondement du dispositif
symbolique : « le symbole est une chose qui, outre l’apparence
qu’elle présente à nos sens, fait venir à la pensée quelque chose
d’autre qu’elle-même » (De Somme théologique, III, 60, a1, ad. 2, cité
par Tardan-Masquelier, 2000) ; c’est là, en fait, le même principe que
celui de la représentation. Qu'il s'agisse de symboles religieux ou de
toute autre forme de représentation symbolique (Cf. Boyer et
Ramble, 2001), les deux se réfèrent à ce qui n’est pas « sous nos
yeux » et les constructions mentales qui peuvent « venir » à la
pensée en fonction d’une image ou forme.
Le mysticisme est une des manifestations de la représentation,
puisqu’il s’agit de donner un sens qui est au-delà de la chose, un
sens caché. Il est important que le trait emprunté soit ré-interprétable
pour la culture « receveuse ». « Un trait culturel, quelle que soit sa
forme ou sa fonction, sera d’autant mieux reçu et intégré, qu’il pourra
126

prendre une valeur sémantique en harmonie avec le champ des


significations de la culture receveuse, c’est-à-dire, qu’il sera
réinterprété. » (Bastide, 1998, p. 54). Pour utiliser toujours le concept
de structure, pour qu’un nouveau trait soit ré-interpété avec succès, il
faut qu'il soit intégré à une structure de sens, qu’il soit, pour ainsi dire,
« positionné » dans la structure de représentations.
Egalement, il faut considérer, comme le note Bastide à propos de
l’acculturation, que « la modification d’un élément entraîne, comme
par une réaction en chaîne, des transformations dans d’autres
éléments qui n’ont pas cependant subi directement l’influence du
contact » (Bastide, 2004). D’autre part, les traits tendent à être plus
ou moins regroupés, de sorte qu’il se peut que lors de leur diffusion,
ils ne se transmettent pas isolément.
Raimundo Panikkar dans Le dialogue intrareligieux (cité par
Couture, 2000) nous propose quatre modèles ou quatre grandes
métaphores du rapport face à l’altérité religieuse : l’exclusivisme, qui
prétend détenir une vérité universelle et absolue, et donc rejette les
discours de l’Autre ; l’inclusivisme, qui affirme que sa tradition
englobe toutes les autres, les réinterprétant selon son système de
croyances, par exemple selon un évolutionnisme dans lequel les
croyances d’autrui serait des stades ; le parallélisme, qui admet que
toutes les traditions sont autant de voies particulières et
autosuffisantes vers un but ultime transcendantal ; il interdit les
syncrétismes ; enfin, l’interpénétration, prétend que les religions sont
complémentaires et qu’elles peuvent toutes contribuer à la
croissance spirituelle des individus.
On peut remarquer, toujours selon Panikkar, l’emploi et
l’importance des métaphores pour se représenter la religion et surtout
les religions. Panikkar propose une métaphore utilisé dans la
127

population étudiée: la métaphore des religions en tant que langages,


ce qui fait d’elles des moyens de compréhension du monde et de la
vie.
Les métaphores, et leurs conséquences interprétatives, ont été
signalées par les sociologues des nouvelles formes du croire en
Occident. « Précisément parce qu'elles ont été transformées, au sein
de la culture moderne de l'individu, en un réservoir de signes et de
valeurs qui ne s'inscrivent plus dans des appartenances précises et
dans des comportements régulés par les institutions religieuses, les
religions historiques tendent à se présenter, dans les sociétés
modernes, comme une matière première symbolique, éminemment
malléable, qui peut donner lieu à des retraitements divers, selon les
intérêts des groupes qui y puisent. » (Hervieu-Léger 2000, p. 2099)
(c’est nous qui mettons en italiques). Les traditions sont donc
considérées comme « des réservoirs de sens », mais ce processus
suit une « métaphorisation (ou symbolisation) des objets de la
croyance religieuse traditionnelle » (Hervieu-Léger 2000, p. 2098)
A propos de la façon dont les éléments sont incorporés dans une
structure de sens, Champion (2000) a une approche intéressante
lorsqu’elle analyse le phénomène en termes de « fragments » : « Le
sens de ces fragments -thématiques ou pratiques - réside dans
l'écho qu'ils éveillent chez chacun, dans les interprétations
personnelles pour lesquelles, de plus, l'éprouvé affectif est souvent
l'élément décisif. Leur sens reste, pour une part, flottant. C'est
pourquoi, dès lors qu'un même fragment entre dans plusieurs
compositions, il est susceptible de constituer une passerelle entre
ces compositions, de permettre des connexions pouvant conduire à
des rapprochements qui, eux-mêmes, amplifient la circulation des
thèmes et des personnes d'un univers à un autre. Un de ces thèmes
128

privilégiés concerne les ‘enseignements’ sur le fonctionnement


psychique, les états d'être de l'homme et les méthodes pour les
transformer. » (p. 35). Concernant la même question, il semble
intéressant de considérer la notion d’« espaces d’interprétation »,
« espaces sémiotiques », espaces sémantiques où des éléments
signifiants s’opposent et se relient, où « des significations s’élaborent
et s’ajustent. » (Leimdorfer 2001, p. 163). L'intégration d'un trait dans
une structure se fait donc, plus précisément, dans un tel « espace
d'interprétation ».
En approfondissant sur la façon dont les signifiants sont incorporés
à une structure de sens, nous remarquerons le principe fondamental
de la catégorisation.
Les catégories dans lesquelles les individus regroupent les
éléments n'ont pas toujours des frontières nettement définies, et
leurs éléments peuvent avoir différents degrés et modalités
d'appartenance (Lakoff, 1987). Les catégories s’entrecroisent,
s’enchevêtrent. Ainsi, il faut considérer le mécanisme de greffe des
catégories pour comprendre véritablement le sens ou les sens d’un
concept, en allant chercher plus en profondeur les catégories
auxquelles il peut être attaché, et par là, comprendre ses
connotations et les valorisations implicites.
Les éléments prennent sens dans la mesure où ils rentrent dans
des structures où les éléments sont regroupés dans des catégories.
Mais, comme on viens de voir, les catégories peuvent à leur tour être
« greffées » l’une sur l’autre à travers le langage, en amplifiant ainsi
les sens qu'un élément peut avoir. Ceci explique la diversité des sens
métaphoriques qu’un symbole peut avoir.
La division entre sens littéral et sens métaphorique, est toujours
très présente, même dans les sciences humaines. Pourtant, la
129

métaphore n’est pas la figure spéciale réservée aux poèmes. « La


métaphore est bien plus qu’un procédé rhétorique ; il y a une
« métaphorique » fondamentale qui préside à la constitution des
champs sémantiques. » (Ricoeur, 2004 [en ligne]). Lakoff et Johnson
(1980) ont démontré la nature endémique de la métaphore dans la
compréhension de la vie au quotidien, et ses implications dans le
domaine de la cognition.
Conçue comme un mécanisme de transfert d'un domaine
sémantique à un autre, d'une catégorie à l'autre, le mécanisme
métaphorique (au sens large du terme qui inclut d’autres figures du
langage comme l’analogie ou la métonymie) est donc fondamental
aux processus de réinterprétation, car il est un moyen privilégié
d’établir de nouvelles associations entre catégories : « La métaphore
franchit les coupures des classifications » (Ricœur, 2004 [en ligne]).
Cet agencement métaphorique permettrait d'expliquer
l'réinterprétation et la mise en valeur d’éléments « nouveaux »
(comme ceux d'une culture Autre qui avant étaient interprétés
différemment) à travers les connexions dans la structure de sens et
ses catégories, connexions qui entraînent l'attribution de
significations et de connotations nouvelles. Par exemple, il est
possible que la catégorie conceptuelle bouddhiste de "réincarnation"
ait été rapportée à celle du "progrès" individuel, et par là même
incorporée à la notion de réalisation personnelle, fort connotée
positivement et typique de l'individualisme occidental.
« Dans la rhétorique classique, la métaphore constituait une figure
de substitution par laquelle on transpose sur un objet la signification
d'un autre qui peut lui être comparé. Pour les théoriciens modernes,
en revanche, la métaphore ne peut se réduire à une simple figure
rhétorique ou stylistique, mais elle constitue un procédé de tension
130

capable de faire surgir des significations nouvelles en rapprochant


deux champs sémantiques de manière inattendue. » (Gorgievski,
2000, p. 2249) Les métaphores peuvent structurer l’acquisition de
l’information et elles nous permettent de construire des opérations
entre ces éléments, comme les inférences.
L’école de Palo Alto, travaillant sur les logiques de communication,
nous montre qu’il existe un « langage de changement » qui remet en
question la conception habituelle du receveur du message « en lui
proposant des alternatives nouvelles et c'est ce recadrage de la
réalité qui peut l'amener à modifier son système de valeurs. »
(Gorgievski, 2000, p. 2250). La valorisation d'éléments jadis méprisés
est désormais possible. Vu que le langage religieux est
particulièrement ambigu et donc ouvert à différentes interprétations, il
n’est donc pas surprenant que ce le langage religieux, riche en
métaphores, soit un domaine particulièrement prolifique pour les
réinterprétations « positives » (ou négatives, si l'on veut!) des
symboles de l’Altérité.
Le rapprochement entre des catégories nous rappelle le concept
de « conceptual blending » : « a basic mental operation that leads to
new meaning, global insight, and conceptual compressions useful for
memory and manipulation of otherwise diffuse ranges of meaning. It
plays a fundamental role in the construction of meaning in everyday
life, in the arts and sciences, and especially in the social and
behavioural sciences. The essence of the operation is to construct a
partial match between two inputs, to project selectively from those
inputs into a novel ‘blended' mental space, which then dynamically
develops an emergent structure. It has been suggested that the
capacity for complex conceptual blending (`double-scope' integration)
is the crucial capacity needed for thought and language. »
131

(Fauconnier, 2001, p. 2495). Un exemple est celui d’un rituel


symbolique où deux représentations sont mélangées [blended]:
monter les escaliers et le progrès dans la vie d’une personne, de
sorte que la première action symbolise le deuxième concept. Le
concept de « conceptual blending » englobe des phénomènes
comme « les catégorisations, les analogies, métaphores, les rituels,
les constructions grammaticales”, pour rapprocher des éléments
symboliques qui étaient considérés traditionnellement comme
distincts, voire incommensurables. (op. cit.. p. 2497).

CONTEXTE SOCIO-CULTUREL DES DISCOURS

Le Quéau (1998) propose une « phénoménologie qui restitue des


créations de l’esprit dans le milieu qui en dépend et, réciproquement,
dont elles dépendent. L’espace en tant qu’ensemble de formes
objectives dans lesquelles chacun se trouve nécessairement « pris »
dès le départ, constitue donc une matrice. » (p. 57).
Il va sans dire que l’analyse des discours et la recherche de
structures de représentation ne seraient pas possible sans la
considération d’un contexte très large qui va au-delà du contexte
linguistique et situationnel de l’énonciation, pour considérer les
aspects sociaux qui concernent directement ou indirectement la
population. Pour comprendre le sens des pratiques (et prononcer un
discours ou donner un simple avis sont des pratiques), il faut
considérer que les significations se négocient avec les interlocuteurs
qui portent une identité (ethnique ou autre), dépendent de la
circonstance d'interaction sociale dans laquelle les représentations
sont produites et de l’autorité qui les justifie. Ces significations
s'actualisent et parfois naissent grâce à d’autres pratiques, ont des
132

références dans la vie quotidienne des individus, sont les


conséquences d’événements passés, ont des connotations et des
implications pour les individus qui les interprètent (par exemple sur le
plan des rapports de pouvoir ou économiques), pour ne mentionner
que quelques aspects à prendre en compte. Nous considérons cet
ensemble de facteurs comme l'objet d'une description
ethnographique.
Comme nous l’avons déjà vu, il n’est pas question d’étudier une
« culture », car cette notion suppose une entité homogène et close,
ou du moins un Tout intégré et autonome. Or, ce que nous avons en
réalité ce sont des flux d’information, des milieux et des réseaux qui
s’enchevêtrent (ou des milieux en réseaux) dans lesquels les
individus cohabitent. Ces réseaux, plus fluides, plus éphémères, ne
remplaceront pas les communautés localisées traditionnelles, mais
s’y ajoutent, et font relativiser l’importance des communautés
localisées dans un espace en particulier, l’individu pouvant appartenir
et à sa communauté locale, et à plusieurs réseaux.
Le commerce et le consumérisme actuels promeuvent
constamment la valorisation de ce qui vient d’ailleurs et l’envie de
nouveauté. La publicité nous incite constamment à vouloir quelque
chose de nouveau. Les médias sont un élément crucial dans ce
processus. Pour Appadurai (2000) les médias véhiculent des images,
des idées, des opportunités qui « viennent d’ailleurs » et que
l’imagination locale transforme.
La culture cosmopolite d’aujourd’hui se nourrit de plusieurs formes
de transmission de sens et de valeurs comme les restaurants, le
cinéma, le tourisme, la musique, etc. qui ont des origines
transnationales et diverses. Quelques-unes de ces formes peuvent
commencer d’une façon très globalisée, et trouver un champ
133

d’application localisé, tandis que d’autres peuvent commencer


comme un phénomène ou une idée locaux, pour se répandre après
dans le monde. Ce qui est important de retenir, c’est qu’en général,
les origines d’une forme sont une combinaison de formes locales et
des influences plus globales, de sorte qu’il existe un va-et-vient entre
les échelles globale et locale qui constituent les créations culturelles
actuellement.
Si nous utilisons le mot « culture », c’est seulement d’une façon
approximative et relative, dans le sens d’une collectivité où certaines
représentations seraient assez largement répandues (une définition
basée sur celle de Clifford Geertz). C’est dans ce même sens que
nous parlons d’une façon de penser ou d’une idéologie qui peuvent
être relativement représentatifs d’une collectivité. Cela n’implique,
pourtant, que tous les membres d’une collectivité et d’un territoire
pensent de la même manière. Les généralisations sont toujours
problématiques, mais elles sont nécessaires pour la pensée
scientifique.
134

TROISIEME PARTIE

L’ANALYSE DES MEDIAS

Notre accès à la réalité est toujours biaisé par les représentations ;


il s’en suit que toutes les images de l’Autre, de sa culture, de sa
religion et de ses croyances, se construisent par ce biais, ce qui
implique toujours une simplification de la réalité, le choix arbitraire de
certains traits et notre interprétation selon nos grilles d’interprétation.
L’imaginaire du « bouddhisme tibétain » se construit très souvent
par le biais d’associations conceptuelles avec d’autres thèmes et
contextes culturels qui ne sont pas étiquetés en tant que
« bouddhisme tibétain ». Au cours de ce que l’on peut appeler un
itinéraire, les individus accèdent à différentes sources d’information,
pouvant commencer à se familiariser avec un thème très général
comme celui du « bien-être », pour ensuite se familiariser avec la
« méditation » ou la « spiritualité » dans d’autres médias, et arriver,
dans une étape postérieure, au nom du « bouddhisme tibétain ». Par
exemple, il se peut qu’un individu tombe sur un livre sur le bien-être
où l’on fait allusion à la méditation dans le bouddhisme, et qu’à la
télévision on ait vu le Dalaï-Lama parler du bouddhisme au Tibet.
Une association indirecte et faible est alors créée ; elle est à l’origine
de l’image d’une « culture » tibétaine en tant que source de
connaissances pour le bien-être. Ces associations produisent ainsi la
liaison (plus ou moins forte) entre des éléments apparemment
disparates. Pour comprendre cette idéologie nous devons donc
135

suivre ces itinéraires d’accès à l’information qui façonnent les


structures de sens.
Deux grands axes d’associations sont à explorer en raison de leur
présence répétée dans les représentations publiques qui concernent
l’identité tibétaine: le bouddhisme et l’invasion chinoise du Tibet. Le
bouddhisme est considéré comme le trait le plus représentatif de la
culture tibétaine, et la question de l’invasion est souvent mentionnée
et médiatisée.
En regardant de plus près le langage qui est employé par les
médias, on remarque qu’il y a certains concepts prépondérants qui
véhiculent la valorisation de cet Autre. Le bouddhiste se présente
comme une « sagesse », une source de « bien-être » ou de
« bonheur » pour l’individu. L’origine de cette sagesse est le Tibet :
un lieu mystique (et mythique), « spirituel », où la doctrine aurait été
mieux préservée. Cette culture, ce peuple, cette « civilisation », ce
pays, cet Autre est donc conçu comme un réservoir de sagesse, qui
doit être protégé de toute invasion afin que l’humanité entière ne
perde pas à jamais cette connaissance. Également, il doit être
protégé au nom de la liberté et du respect de l’identité et des
minorités ethniques.

LA PRESSE

Nous avons cherché dans la presse des articles qui traitent du


Tibet. Nous avons trouvé deux sujets principaux qui y sont associés :
Le bouddhisme et l’invasion chinoise. Le premier ayant bien d’autres
thèmes adjoints, prend une place beaucoup plus importante dans les
informations.
136

Mais notre enquête ne saurait se limiter au mot « Tibet » (et ses


variantes, comme « tibétain »). En effet, il a fallu aborder un
ensemble de sujets qui ne sembleraient pas être rapportés au Tibet
en première instance. En essayant de reproduire la démarche d’un
lecteur non-spécialiste du sujet, nous avons voulu voir par quels biais
il peut arriver à se former une image positive du Tibet. C’est pourquoi
nous devons inclure ici des extraits de textes qui parfois semblent
être hors-sujet. Nous croyons que ce type d’idées constitue une
partie importante de l’idéologie qui supporte cette image.
Les qualifications positives explicites du peuple tibétain ne sont pas
très fréquentes, mais on trouve des références au Tibet associées à
des thèmes qui sont valorisés et très porteurs en Occident.
Dès que l’on découvre la façon de classifier les articles, la section
dans laquelle les éditeurs les mettent, les catégories utilisées par les
bases de dépouillement, on ne peut que constater une certaine
association qui doit représenter une forme d’interprétation et qui peut
vraisemblablement avoir un effet sur le lecteur. Les classifications de
la presse nous sont utiles car elles sont une manifestation des
associations établies dans l’esprit de ceux qui les ont construites, et
parce qu’elles guident les connexions entre thèmes de ceux qui les
consultent.
Les associations entre les catégories se comprennent dans la
mesure où l’on prend en compte les différents termes qui les
composent. Ce type d’associations nous permet de comprendre
comment on peut arriver à se former une idée de la culture tibétaine
à partir d’un intérêt, par exemple, pour la médecine alternative,
l’écologie, les droits de l’Homme, les arts martiaux, etc.
Notre démarche a commencé par le fait de chercher
« bouddhisme en France» « bouddhisme tibétain » et « Tibet » dans
137

la base de dépouillement de périodiques généralistes de la presse


française « Généralis » (Copyrights : Indexpresse). Cette base de
données nous fournit les titres des articles qui appartiennent à une
catégorie, mais aussi les autres catégories qui y sont rapportées.2
Dans les paragraphes qui suivent, nous trouverons les catégories
sous-lignées et, en-dessous, marqués chacun par un tiret, des
extraits des titres ou des phrases utilisées dans certains articles. Nos
commentaires apparaissent entre crochets.

Bouddhisme, France
-Spiritualité
-Philosophie de la vie
-Etre avec soi
-La cinquième religion [le bouddhisme] du pays [France] fascine
Européens et Américains [on parle du bouddhisme en tant que
religion quand il s’agit de le mettre en valeur face aux autres
religions, malgré le fait que dans d’autres contextes on dit
explicitement qu’il n’est pas une religion].
-Bouddha : Ce qu'il dit vraiment, image de non-violence, de
tolérance et de maîtrise de soi sur un système philosophico-religieux
vieux de 2500 ans [souci d’authenticité, de « tradition testée et
confirmée » et de véritable altérité. La tradition y est donc
implicitement valorisée].

2
Les articles sont datés entre 1993 et 2003. Les sources sont des revues comme :
Jeune Afrique, L’Express, Psychologies, Actualité des religions, L’Histoire, Historia,
Nouvel observateur, L’Usine nouvelle, L’Evénement du jeudi, Esprit, Télérama, Le
Monde des religions, Le Point, Nouvel Observateur, Géo, Grands reportages, Courrier
international, Sciences et avenir, Le Monde : dossiers et documents, Le Monde
diplomatique, Science & vie, Alternative santé, Technikart, Sciences humaines,
Connaissance des arts, Futuribles, Rebondir, Enjeux-Les Echos, Challenges. Il faut
souligner que certaines revues apparaissent plus fréquemment, notamment Actualité
des Religions et Psychologies.
138

-De la dalaïmania à la bouddhophobie [Le Dalaï-Lama a toujours


une immense médiatisation et popularité, même au-delà de l’image
du bouddhisme]
-Bouddhisme : Le triomphe de la religion sans dieu. Conciliant
athéisme et spiritualité, corps et esprit, il a conquis le cœur de milliers
de Français. Non sans quelques malentendus.
-De plus en plus de Français sont séduits par la modernité du
bouddhisme, ses valeurs et son éthique.
-[Le bouddhisme] connaît un succès inattendu.
-…adeptes du bouddhisme : Isabelle Adjani, Sophie Marceau,
mais aussi des patrons, des intellectuels…

Bouddhisme Tibétain, Dalaï-Lama


-Après sa quasi disparition d'Inde, le Tibet devint le foyer de
rayonnement du bouddhisme.
-[Un lama] défrayé la chronique en fuyant le pouvoir communiste
chinois [on décrit l’aspect spectaculaire de cette fuite, on se met du
côté du persécuté].
-Le Vieux sage s'est réincarné.
-Dharamsala (Inde), avec ses cours de bouddhisme à la carte et
ses fêtes techno, c'est devenu la destination obligée des jeunes
routards occidentaux en manque de spiritualité.

Philosophie Orientale, Spiritualité Orientale


-Les mythes [religieux] concernent chacun d'entre nous, à chaque
instant.
-Spiritualité dans l'art australien aborigène.
-…[un] philosophe parle de son intérêt pour la spiritualité et même
la mystique. Un théologien catholique, se revendique "libre penseur".
139

-Plus qu'un savoir, une compétence, une règle de morale ou


d'action, la sagesse est un souci de soi-même, et du bonheur peut-
être.
-Les Eglises traditionnelles se vident, d'autres, venues du monde
entier, explosent. Leur secret : un rapport direct au divin et l'absence
de contraintes.
-Aurions-nous des neurones spécialisés dans le divin ?
[témoignage de l’intérêt intellectuelle pour la religion et son côté
apparemment naturelle et même nécessaire : Des idées qui
n’auraient eu le même écho il y a à peine 30 ans].
-…des montagnes du Tibet aux déserts du Mali et aux rives du
Gange, la spiritualité emprunte bien d'autres formes.
-Partir... à la recherche de sa vérité [le voyage spirituel].
-La vie, notre vie, ne serait-elle pas un perpétuel départ ? "Oui",
répond le psychanalyste…

Spiritualité, Connaissance de Soi, Psychologie


-Une mode ? Non, une vague de fond.
-Pourquoi on croit en Dieu : L'étonnante réponse des
neurosciences
-La neurothéologie se propose de mettre au jour les bases
physiologiques des expériences spirituelles.
-Spiritualité et bien-être
-Le renouveau spirituel.
-La quête de spiritualité n'a jamais été aussi forte
-A la recherche de la sagesse. Comment bien vivre ? A toutes les
époques et sous toutes les latitudes, l'homme s'est posé et se pose
cette question [...le bien-vivre est considéré comme un concept
140

universel. Les cultures du monde donnent la possibilité d’avoir des


réponses à ses propres interrogations].
-La propension à croire fait peut-être partie de notre nature. Même
s'il n'est astreint à aucun dogme, chacun s'interroge sur le sens de sa
vie, sur la souffrance et sur la mort.
-Chacun se construit sa propre chapelle.

Sagesse, Esotérisme, Spiritualité


-L’épanouissement de spiritualités sauvages
-[Au niveau éditorial] l'ésotérisme traditionnel tend à s'effacer au
profit de thèmes plus vendeurs comme développement personnel.
-La Spiritualité : notre nouveau besoin ? Un tiers des Français la
jugent nécessaire pour réussir leur vie. Désormais distincte des
religions, chacun peut la rencontrer à sa façon.
-Leçon de vie des sagesses orientales. Depuis les années 70, la
passion pour les sagesses orientales n'a cessé de croître..
-A défaut de changer la société, changer le cœur de l'homme.
-Au cours d'un travail sur soi, peut-on à la fois résoudre ses conflits
intérieurs et trouver un sens satisfaisant à sa vie ? C'est autour de
cette question que thérapeutes croyants et non-croyants se sont
récemment réunis à Paris....

Réalisation de Soi, Aspects Psychologiques


-Développement personnel
-Former, se former, se transformer.
-Comment devient-on soi ?
-Le Changement personnel
-Moi d'abord : Les nouvelles clefs de la confiance en soi
141

-S'affirmer pour être plus heureux, plus performant. La recherche


du développement personnel
-Vie professionnelle, vie privée et développement personnel. Etre
heureux au travail
-Le bien-être est une valeur en hausse dans l'entreprise.
-Le travail sur soi
-Les Français s'épanouissent-ils dans leur travail ? Quels sont les
secrets du bonheur dans l'entreprise ? Etre heureux rend-il plus
productif ?
-A quoi sert la croissance, si elle ne rend pas plus heureux ? :
Bienvenue dans l'ère postmatérialiste.
-Spiritualité et bien-être

Bien-être, Corps Humain, Spiritualité


-Les Sagesses antiques : Elles nous aident à mieux vivre
-Yoga, shiatsu, bouddhisme, taekwondo, qi, tantrisme... Petit à
petit, les pratiques, philosophies et religions venues d'Asie entrent
dans nos mœurs.
-Méditations et arts martiaux
-Pour échapper un moment aux cadences infernales, les
Occidentaux ont adopté les grandes disciplines d'Extrême-Orient.
-Les Français se réapproprient leur santé. Celle de leur corps et
celle de leur tête. Bien-être et développement personnel font
désormais partie intégrante d'une recherche d'équilibre plus globale.
-Le yoga paraît chargé d'une mission de réparation ; il viendrait
rappeler la place de l'être et de la gratuité dans un contexte où
l'humain ne se juge et n'est jugé qu'à l'efficacité de ses actes.
-Pour se retrouver soi, unifié et en paix. Les méthodes de
relaxation peuvent y aider.
142

-On découvre en soi un espace de paix et de sérénité que rien ne


peut entamer.
-L'Asiemania se propage dans de nombreux secteurs. Arts
martiaux, Cuisson au wok…
-Les arts martiaux ou le yoga apprennent à maîtriser le corps et
développer la concentration.
-Tai-chi : A force de persévérance, cet art martial favorise
souplesse et concentration, élimine le stress et fait circuler l'énergie.
-Soif d'exotisme ? Besoin de cultiver votre bien-être physique
autant que mental ? Pratiquez un art martial ! Lequel choisir ? Tai-chi,
qi gong, kendo ou aïkido : tout dépend de votre tempérament
-Ce n'est pas l'exotisme que je recherchais, mais des outils
opérationnels comme ceux que propose le bouddhisme avec sa
méthode d'observation de la pensée.

Bouddhisme, Tibet, Chine


-Tibet : L'épopée du petit Bouddha
-Isolé, jamais colonisé, ce royaume [le Tibet] heureux verdoie [une
image idyllique] à l'ombre des géants chinois et indien.
-Tibet : le peuple sacrifié.
-[Le Tibet,] un peuple menacé. Depuis 1950, et l'invasion de son
territoire par la Chine, il risque de disparaître...
- La tragédie du Tibet contemporain
-Tibet : L'épopée du petit Bouddha
-Lhassa : nettoyage ethnique à la chinoise […] Une colonisation qui
transforme les Tibétains en citoyens de seconde zone sur leur propre
terre.
-La Chine s'en prend aujourd'hui au patrimoine intellectuel du
Tibet. [Ce dernier] fait l'objet de destruction et de répression...
143

-L'avenir du Tibet reste dramatique.


-Tibet : comment on assassine une culture Au Toit du Monde […]
répression chinoise contre les moines et les traditions tibétaines.
-Arte présente un hommage au Tibet et à sa culture en exil

Nous approfondirons maintenant sur quelques extraits des


discours présentés dans le quotidien Le Monde, entre le janvier 2000
et mars 2004, qui traitent du Tibet et/ou du Bouddhisme tibétain. Il
s’agit d’extraits qui ont été mis ensemble par nous, mais dont les
mots utilisés sont ceux de la version originale du journal. Chaque tiret
correspond à un article différent. Nos idées personnelles et
explications du contexte de l’information, sont mises entre crochets.

-Le dalaï-lama, chef spirituel et temporel du Tibet, conquiert Paris


lors de sa dernière visite. […Selon lui], le bouddhisme est une
science expérimentale, un travail permanent et rigoureux sur soi pour
identifier les raisons de ses émotions et de ses souffrances, les
mesurer, les évacuer. [Il propose un ensemble de pratiques
expérimentales pour mieux comprendre la façon dont fonctionne
notre cerveau, connaître les mécanismes du bonheur...]
-[Dans des entretiens à des personnes présentes à une
conférence du Dalaï Lama :] « Il est l'un des seuls qui ne cherche pas
à convertir, à terrifier, à culpabiliser ». « C'était génial. Je ne veux pas
encourager quoi que ce soit, mais je le dis, ce pouvoir d'ouvrir l'esprit,
de devenir conscient de tout ce qu'auparavant on ignorait, c'était
génial ». « Il flottait dans l'air... comment dire ? Quelque chose de
léger et de doux. Quelque chose de souriant, quelque chose
d'amical….Rien à voir avec une fête. Parlons de réflexion, studieuse,
appliquée. Parlons de questionnement. Dans l'écoute. La
144

tolérance... » Albert, qui a tant étudié et comparé les religions qu'il ne


croit plus désormais qu'en la laïcité, est maintenant en quête de
"sagesse" et de sérénité. […] bouddhiste israélienne convaincue que
le message du dalaï-lama est le seul qui puisse insuffler la paix dans
son pays devenu fou. […]quelqu’un est venu chercher « un peu de
paix dans l'enfer que sont devenues les cités urbaines »; ils viennent
espérant "s'améliorer" et trouver l'inspiration qui les fera trouver en
eux-mêmes les ressources capables de rendre le monde meilleur.
« En sortant d'une conférence du dalaï-lama, on a la conviction qu'on
peut être » meilleur. « Alors que le processus de paix est bloqué
[Israël et Palestine], le bouddhisme apporterait un point de vue
radicalement nouveau
-Après l’invasion, les autorités chinoises tentèrent d'arrêter ou de
tuer le dalaï-lama, entraînant son exil et le soulèvement des tibétains
à Lhassa, où des dizaines de milliers d'entre eux furent massacrés.
Entre 1949 et 1979, un véritable génocide fut perpétré par le régime
chinois : 1,2 million de tibétains trouvèrent la mort.
-Aujourd'hui, il y a encore urgence, car les violations des droits de
l'homme et crimes contre l'humanité se multiplient au tibet. [...] De
plus, la Chine pille les ressources du pays, entraînant de graves
catastrophes écologiques sur le Toit du monde, source de toute l'eau
de l'Asie (...).
-Il y a des mots tabous à la commission des droits de l'homme de
l'ONU, dont la session annuelle s'est ouverte le 15 mars à Genève.
Comme "Guantanamo" ou "Tibet", comme "Tchétchénie". Consternés
par "cette grande parade de l'hypocrisie"
-Tibet martyr souriant. Aucun peuple en effet ne se trouve
aujourd'hui dans la situation d'écrasement et de joie mêlés qui
caractérise les tibétains. Du côté de l'écrasement : le pays occupé et
145

dominé par la Chine depuis 1950, …la joie : la sérénité jamais


perdue, l'espoir toujours résolument tenace, la ferveur secrète
habitant le pays malgré les coups, l'organisation des réfugiés en
Inde, en Europe, aux Etats-Unis, …la sympathie des opinions de par
le monde, la survivance, voire l'expansion, en exil, des croyances et
des pratiques millénaires du bouddhisme tibétain.
-[Le livre :] « Everest le rêve accompli » de la Royal Geographical
Society, Londres. Ce bel ouvrage ne passionnera pas seulement les
alpinistes. En préambule, un texte du dalaï-lama donne le point de
vue tibétain sur la montagne en général et sur celle-ci en particulier.
Il évoque le tibet, « ces Alpes d'ailleurs perdues aux confins
del'Himalaya », dont la culture est en train de disparaître.
-France-Culture propose une programmation spéciale sur la Chine,
dont l'histoire du tibet [encore cette région de la Chine qui est la plus
connue des Français. Effectivemment elle est peut-être la seule à
laquelle on dédie des émissions entières. C’est un territoire très
chargé de signification]
-Les causes humanitaires : la lutte contre le sida en Inde, la
défense de la forêt amazonienne, celle du tibet... « C'est de la
responsabilité de tous que de s'engager dans ce type de combat.»
-Où en est le Tibet, pays si lointain, berceau du bouddhisme
tibétain et du dalaï-lama ? Avec Françoise Pommaret, ethnologue et
auteur du Tibet, une civilisation blessée.[voilà trois des principaux
sujets associés au Tibet : lointain, bouddhiste et blessé].
-Car chacun sait que, si les préceptes de base du bouddhisme
sont simples - avoir un coeur compatissant et lâcher prise -, la
doctrine peut être déroutante et rigoureuse, mais la difficulté est
surmontable et l'exercice salutaire […] L'auteur principal, Matthieu
Ricard[…] s'efface pour mieux rendre hommage à son maître [la
146

valorisation de l’authenticité de l’Autre]…l'image du maître qui a


inspiré l'ouvrage, Dilgo Khyentsé Rinpotché.
-Le Tibet englobe tous les bouddhismes, notamment le
bouddhisme tantrique. Grâce à lui, en une seule existence, l'homme
peut se libérer de ses pulsions négatives et atteindre à la libération
par des techniques psycho-physiques et des rituels magiques. Les
images gorgées de sang,les divinités repoussantes ne sont là que
pour provoquer un choc salutaire, convoquer des énergies
puissantes. Un univers déroutant pour un esprit cartésien, aux
antipodes de la tradition judéo-chrétienne occidentale.
-L'exposition, pièce monumentale inspirée d'un voyage au tibet.
Ponomarev y a filmé le vent, souffle himalayen qui agite les stores
des temples de Lhassa. Belles images qui se terminent sur un
portrait de l'artiste, méditant à la manière d'un moine bouddhiste.
[l’importance des artistes dans la diffusion des images et de leur
valorisation par le biais d’une combinaison entre l’esthétique et le
spirituel]
-L'art sacré du Tibet trouve refuge à Bâle : Le Musée des cultures
présente la prestigieuse collection Essen de trésors bouddhiques,
plus de 700 pièces rescapées du Toit du monde [la présentations de
la destruction de la culture tibétaine par la Chine renforce la
valorisation de la première] …la collection Essen avait déjà suscité
un vif intérêt, d'autant qu'elle rassemble une partie importante de la
mémoire d'un peuple en exil coupé depuis un demi-siècle de son
terroir natal et qui sait sa culture gravement menacée dans ses
montagnes himalayennes d'origine. De pratiquement tous les objets
exposés à Bâle émane une puissante présence spirituelle. [nostalgie
du sens sacré des choses]. Pièces d’artistes anonymes doués d'un
sens aigu de la beauté. Regard inhabituel sur le monde. Les objets
147

sacrés auraient-ils une âme ? Pour les bouddhistes, et surtout les


tibétains, ils sont intimement liés à une vision originale du monde [les
tibétains comme prototype de l’altérité] et sont autant de repères sur
le chemin de l'éveil.
-En signe de solidarité avec le dalaï-lama, l'archevêque sud-
africain Desmond Tutu a été le premier à protester [contre l’exclusion
du Tibet à l ‘ONU. Dans une lettre adressée au secrétaire général [de
l’ONU], il a qualifié l'exclusion du dalaï-lama de " honteuse " [Qu’ont
en commun Desmond Tutu et le Dalaï Lama ? C’est alliance des
minorités ou plutôt des marginalisés. Ils luttent ou ont lutté contre une
forme de domination aujourd’hui largement rejetée et considérée
comme une honte de l’Occident. Ces figures représentent l’antithèse
de ce passé et/ou de cet aspect-là de la société Occidental et sont
donc supportées et valorisées. Avec les cultures indigènes en
Colombie c’est le même cas de revendication des minorités qui ont
souffert la répression des pouvoirs occidentaux.]

INTERNET

Dans notre analyse des associations entre thèmes qui sont reliés
au sujet du « Tibet » et du « bouddhisme tibétain » sur Internet, nous
avons voulu suivre l’enchaînement des ces sujets tel qu’il est
présenté sur les sites eux-mêmes.
L’hebdomadaire « Nouvel Observateur » propose quelques liens
Internet permettant de « comprendre ce que représente le Dalaï-
Lama, ce qu'est le bouddhisme, et la question du Tibet ». Trois
figures clés, trois images que mobilisent des discours, trois thèmes
représentatifs de cette mouvance. Quand on dit « ce que représente
le Dalaï-Lama », c’est justement parce qu’à ce nom sont rapportées
148

bien de qualités souvent très positives : une « culture », une


« sagesse » riche d’une tradition millénaire, originaire d’une région
lointaine, isolée, ces hautes montagnes.
D’abord, le site nous montre le texte du discours du Dalaï-Lama
lors de la remise de son prix Nobel de la Paix en 1989. Ce fait et très
souvent rappelé dans d’autres sources lorsqu’on parle du Dalaï-
Lama. C’était un événement sans doute très significatif pour les
Occidentaux. Ce prix est le symbole d’une reconnaissance publique,
d’une légitimation devant une autorité réputée.
Ensuite, sur le site sur le Dalaï Lama : « l’une des grandes figures
spirituelles de notre temps ; son message de paix et de
compréhension. A Lhassa, la capitale, il reçoit une éducation de très
haut niveau [ce fait, qui es mentionné souvent, renvoie à un système
de formation très familier en Occident]…lorsque la Chine envahit la
province orientale du Tibet… appelle à la non-violence, essence du
bouddhisme. Son charisme, sa nature humble et chaleureuse en font
l’une des personnalités les plus reconnues de la planète. Le Dalaï-
Lama offre des réponses concrètes aux difficultés que rencontrent les
hommes et les femmes d’aujourd’hui, grâce à sa compréhension du
monde contemporain. »
Le deuxième site sur la liste du Nouvelobs, c’est le « site officiel du
Gouvernement tibétain en exil et de sa Sainteté le Dalaï-Lama » :
www.tibet.net. Lorsqu’on parle de « la question du Tibet », c’est
presque entièrement consacré à la cause politique, et à la réification
d’un idéal nationaliste typiquement de la modernité occidentale.
On y voit la figure du Dalaï Lama et son nom. Ce site concerne
toutes sortes de questions administratives et politiques. Le rappel du
« génocide » chinois et de la répression sont très importants. On y
trouve « A brief introduction of Tibet » qui reprend des idées que l’on
149

retrouve fréquemment dans ce type de textes sur le Tibet : Invaded


by China in 1949-50, the independent country of Tibet was forced to
face the direct loss of life […] The fate of Tibet's unique national,
cultural and religious identity is today seriously threatened and
manipulated by the Chinese.
« Tibet is still in breach of the rights to life, liberty and security, and
the freedoms of expression, religion, culture and education. » (Il
existe une vidéo documentaire « Tibet », avec le célèbre acteur
américain Richard Gere, qui commence avec un extrait similaire à ce
discours de la déclaration des droit de l’Homme par d’autre célébrités
mondiales du cinéma ou de la musique).
« …with the invasion of Tibet, the consumerist and materialistic
Chinese Communist ideology trampled upon this nature-friendly
attitude of the Tibetan people. » Sur le site on parle et montre des
photos sur les tournées internationales de Sa Sainteté, faisant preuve
de sa popularité partout dans le monde.
Quant aux Ressources et événements relatifs au bouddhisme (le
site proposé est en anglais), on est emmené vers
www.dharmanet.org : « DharmaNet Internationa »l, un site Américain
« one of the first and largest Buddhist websites on the Net. Online
since 1991, DharmaNet is now at an important crossroads. »
[…]DharmaNet offers this www/ftp site freely […] to promote dialogue
and communication.
On constate comment, si l’on devient intéressé, on peut passer
d’un site à l’autre, étant emmené très loin, où on n’aurait pas pensé
aller. De plus, c’est un exemple de la promotion de la communication
entre les différentes traditions et de l’idée d’appartenir à une
communauté globale, construite à partir de l’échange et l’accès à un
150

réseaux d’information, où, plus que des rapports sociaux, les


individus partagent une idéologie.
On trouve un lien avec un “webring” (où il faut s’inscrire) sur le
bouddhisme. Ces webrings, se voulant des « communautés » et
peut-être donnant ce sentiment aux participants, sont une façon
d’ajouter son propre site Web à un ou plusieurs groupes de sites,
partageant un sujet en commun. Cette « inscription » permet de
participer à des Forums, se sentir part d’une « growing and vibrant
community of Internet users. ».
Sur ce site de webrings on trouve aussi :
« Dharma Dialogue: Chat Resources - Ask any question… » Dans
ces « dialogues » on trouve par exemple des question sur la
réincarnation, et la réponse d’un « expert » (ce besoin d’ « experts »
est un trait remarquable de cette mentalité, et il s’inscrit dans l’attitude
d’approche à cette question de la religiosité à travers des soucis et
d’interrogations personnelles) « When we die, the mind, with all the
tendencies, preferences, abilities and characteristics that have been
developed and conditioned in this life, re-establishes itself in a
fertilised egg…». Dans une autre question sur la prière à Dieu, la
réponse d’un autre expert est : « Enlightenment cannot be gained by
praying. However, paying homage to Manjushri is a form of respect
that we have for an enlightened being and also a way to accumulate
good and vast merits. » Dans ces questions et presque toutes les
autres, ces experts font preuve d’une habile combinaison de types de
discours, entre scientifique, religieux, ésotérique et références à des
valeurs et pratiques culturelles très contemporaines. L’utilisation de
l’anglais est aussi un trait remarquable dans cette mouvance.
Concernant la géographie « sacrée » qui constitue un des
éléments construisant l’image valorisé du Tibet, on trouve un site qui
151

parle en ces termes, combinant religion avec le « goût pour la


nature » : « The center of the cosmos for nearly a billion Hindus,
Jains, and Buddhists, Tibet's Mount Kailash is perhaps the most
revered place on the planet.[…] The mere sight of the peak brings
tears to the eyes of many who behold it.” L’intérêt pour la spiritualité
et la séduction de la beauté, servent aussi les affaires dans le
tourisme : « We make the beautiful and spiritually penetrating
pilgrimage. Circling the Sacred Mountain »
On passe sur un site américain sur « la culture vivante » du Tibet
(en anglais) : « In 1987, at the request of His Holiness the 14th Dalai
Lama of Tibet, Richard Gere, Philip Glass, Robert Thurman, among
others founded Tibet House for the sake of preserving and presenting
Tibetan Culture by means of educational programs, exhibitions of art,
publications, conferences and the like. The ultimate aim is to
establish a permanent institution to represent Tibets' displaced and
endangered civilization with its' unique devotion to the spiritual
potential of all human beings. ». Ce paragraphe touche trois éléments
clefs, qui se répètent et qui permettent d’attirer l’attention du public
occidental :- Nous avons tous un potentiel spirituel ; -ce potentiel est
développé par la culture tibétaine, mais -cette culture est en danger
de disparaître. Ensuite on ajoute un quatrième élément fondamental :
la pluralité : « Tibet House is dedicated to the proposition that the
wisdom and arts of all human civilizations vitally enrich the emerging
global culture. Within this, we focus on a special concern for Tibet, its
people, its spectacular highlands, and its civilization of extraordinary
wisdom and beauty. » On voie ici que l’idéologie qui valorise le Tibet,
est tout à fait transposable à la valorisation d’autres cultures, et que
sont fondement est l’unité plurielle dans une culture globale.
152

« Tibet House Benefit Auction at Christie’s : […] an array of


fabulous items ranging from exotic trips, jewelry, contemporary art
and photography to celebrity memorabilia, and Tibetan antiques. The
evening was a great success. » La présence du marché des objets
est un aspect peut-être secondaire mais non négligeable, car la
valeur monétaire des objets, manifeste d’une certaine façon la
valorisation de ce qu’ils représentent. Autrement dit, le marché
d’objets ethnico-religieux constitue une piste à suivre pour l’étude
d’une forme de valorisation de l’ethnique... Cela a été le cas quand
nous avons découvert la vente d’objets du « chamanisme » à côté
des rouleaux à prières tibétains.
Dans la section « événements » du site Internet www.tibet.fr, on
trouve une tournée qui, pendant 33 jours, a réalisé des événements
combinant l’activisme politique avec la spiritualité. Les manifestations
pour l’indépendance du Tibet et pour la défense des droits de
Homme ou encore la démocratie se confondent avec des
conférences consacrées au Bouddhisme Tibétain à la FNAC, et
l’esprit de « Aventure du Bout du Monde » avec les témoignages des
prisonniers politiques. Ses organisateurs sont, entre autres: « La
Transhimalayenne, en association avec Amnesty International ». La
politique agit pour la spiritualité et vice-versa, ou peut-être les valeurs
politiques et religieux-spirituels se confondent.
On voit qu’à part les organisateurs (qui promeuvent une image du
Tibet en France), ce type d’événements ont le support
d’organisations comme des universités, la FNAC (ce qui montre son
intérêt commercial aussi), des mouvements étudiants, des mairies,
l’Institut des Droits de l’Homme.
Un autre événement cité sur le site est : « Nov. 2003 : Le Dalai
Lama en Italie : "Le chemin de la liberté". Le titre de cette conférence
153

joue avec l’ambiguïté des mots : « Le chemin de la liberté ». On peut


penser qu’il s’agit d’un message de type religieux menant à la liberté
spirituelle, comme ceux auxquels on est habitué venant de la part du
Dalaï-Lama, mais, puisque ensuite on parle de militants de la cause
tibétaine, on suppose qu’il peut s’agir plutôt de la liberté politique, ou
des deux, ou que les chemins qui conduisent à la liberté du Tibet
conduisent aussi à la liberté spirituelle.
Un autre exemple de cette association entre la spiritualité qui
concerne l’individu, et les causes sociales, est le titre de cette
conférence par le Dalaï-Lama, qui a visité la France du 11 au 17
Octobre 2003 :"Paix intérieure, paix universelle". En effet, le
bouddhisme tibétain peut toucher aussi ceux qui sont concernés par
les questions sociales et de politique internationale. Il faut ajouter que
cette conférence a fait salle comble au Palais Omnisports de Paris
Bercy, malgré le prix d’entrée de 20 euros pour la conférence seule.
Le fait que le Prix Nobel de la Paix reçu par « Sa Sainteté le Dalaï
Lama » en 1989 coïncide avec la journée internationale des droits de
l’homme, est souligné : « La conjugaison de ces deux événements a
son importance toute particulière. »
Le Forum social européen réalisé en Novembre 2003 est
mentionné aussi sur le site, maintenant on combine l’engouement
pour le spirituel avec la lutte contre politiques néo-libérales et la
mondialisation, le sujet principal de la plénière étant « Accords
économiques, luttes sociales et populaires face aux politiques néo-
libérales » Aucune intervention ne touchera le Tibet ni le bouddhisme
directement ; l’association est pourtant faite puisqu’elle se trouve à
l’intérieur du site sur le Tibet.
Une publication qui a été cité dans une source de presse comme
ayant un énorme succès auprès du public, avec un tirage de son
154

magazine imprimé de 300.000 exemplaires, est le magazine


« Psychologies ». Nous en avions entendu parler dans des émissions
à la radio sur les sujets orientalistes, et elle fait l’objet d’une publicité
remarquable dans le secteur de presse grand public.
A partir de son site Internet www.psychologies.com, on voit le lien
« annonces du mieux-vivre » et puisque nous savons par la
classification de la presse que le bien-être est rapporté au
bouddhisme et par là au Tibet, nous y sommes allés, et nous y
trouvons un lien de publicité du centre « Dôjô » ce qui fait penser au
bouddhisme Zen. Pourtant, à l’intérieur, il existe aucune référence au
bouddhisme. Par contre, le contenu de cette annonce pour « mieux
vivre » est non seulement pertinent à cause du nom de « L’institut
Dôjô », mais aussi parce que nombre des thématiques qu’ils traitent
dans leur discours comme : individualisme, développement
personnel, efficacité, confort, sont en effet traitées dans d’autres
discours par rapport au sujet du bouddhisme, de la méditation, etc.
Le site www.psychologies.com contient une sélection des
« meilleurs sites » classés dans une quinzaine de thèmes (« Amour,
Dépendances, Spiritualité, Sport... »), « décrits et analysés par notre
rédaction. ». Dans l’édition de la semaine du 16 au 23 février 2004,
un de ces sites choisis est « Le bouddhisme et le bouddhisme
tibétain », décrit par le magazine comme « Les concepts de base du
bouddhisme, son histoire, son évolution, le rôle du Dalaï-Lama… De
quoi découvrir le bouddhisme ou approfondir des connaissances de
base. ». En allant sur ce site, on découvre qu’il ne s’agit pas d’un
« expert » ou savant sur la matière, ce qui le rend d’autant plus
intéressant pour notre recherche. Comme l’auteur même le dit, il
s’agirait d’une version « vulgaire ». Il décrit le site comme suit : « Ces
pages représentent la conception du bouddhisme que j'ai acquise
155

suite aux enseignements que j'ai reçus, livres que j'ai lu, discussions
bouddhiques, études personnelles, etc. Je ne suis pas un maître
mais un autre qui chemine, possiblement comme vous présentement.
Le Bouddha nous a enseigné de ne pas croire aveuglément… » La
démarche de cette personne coïncide avec les « parcours »
individuels dont nous avons déjà parlé plus haut.
Outre une grande quantité d’information sur le bouddhisme pour un
grand public, le site possède des liens concernant l’ésotérisme, dont
voici un exemple :
« Esotérisme expérimental. Le site de l'insolite par excellence...
Ufologie - Sciences alternatives - Sexualité - Tantrisme [directement
associé au bouddhisme tibétain] - École Djédi - Actualité sous l'angle
ésotérique. » « Sur notre site vous trouverez le meilleur choix de
livres et articles divers pour votre bien-être, votre développement
personnel et votre recherche spirituelle. »
Ce site semble être aussi dédié à faire la publicité
d’« accessoires », et on y trouve effectivement la section
« Bouddhisme » à côté des sections « Produits Feng Shui, Pendules
& Radiesthésie, Protéger votre habitat, Santé et bien-être, Tarots et
Oracles, Bagues Égyptiennes – Bracelets. »
On voit bien qu’il s’agit d’une idéologie qui met en relation une
véritable nébuleuse d’éléments et de concepts d’origines très
diverses, de l’écologisme aux oracles : On trouve aussi des origines
ethniques diverses aussi : les produits « Feng Shui » sont
normalement identifiés à une certaine image de la Chine ; nous
avons les bagues égyptiennes, dont on imagine l’origine dans la
« civilisation égyptienne antique » ; le bouddhisme, une sagesse que
possèdent les Tibétains.
156

Dans la section bouddhisme, on trouve un « Bol Tibétain Moyen


modèle », ou « Masque Bouddha Tibétain ». La version tibétaine du
bouddhisme se présente avec une iconographie plus abondante que
sa version Zen, par exemple, ce qui peut favoriser sa médiatisation et
une plus large popularité que les autres versions du bouddhisme.
Sur un autre site, appelé « Magicka » on trouve des articles
« amérindiens » ajoutés à cette nébuleuse. Un des livres annoncés,
qui a pour titre « Chamanisme » présente le contenu suivant :
« Qu'est-ce que le chamanisme ? Quels sont les rituels du
chamanisme ? Et où se pratique t-il ? Quel est le rôle des
hallucinogènes dans le chamanisme ? Les chamans ont-ils un rôle à
jouer dans le monde moderne ? En quoi l'expérience du chamanisme
rejoint-elle le développement personnel ? ». La question du rôle des
chamans dans le monde moderne, évoque un sujet qui nous paraît
central pour comprendre une mentalité de valorisation d’Autrui : C’est
la façon de voir ces « peuples », « cultures » ou « civilisations »
possédant des sagesses à caractère universel et (peut-être)
intemporelle, sorte de patrimoine de toute l’humanité, et qui, grâce à
un certain mouvement actuel (qu’il s’appelle ésotérisme ou pas), sont
mises à disposition de nous, les occidentaux, pour en profiter. Elles
sont des moyens pour le « développement personnel », ce concept
qui véhicule tant de représentations chargées de valeur en Occident.
A partir du site Internet de vente de livres « amazon.fr », si l’on
cherche par Tibet, parmi les livres, on en trouve 916 en français,
contre 1641 en anglais (ne pas oublier que nous sommes sur le site
francophone d’ « Amazon », ce qui démontre l’importance des
échanges transnationaux d’information concernant ce sujet).
Cherchant par Dalaï Lama, on compte pas moins de 189 éditions de
livres en Français dont le Dalaï Lama est l’auteur ou le co-auteur,
157

disponibles par Amazon.fr. Des livres d’autres auteurs qui y sont


rapportés parce, selon le Amazon ceux qui se sont intéressé aux
livres du Dalaï Lama se sont intéressés à ces autres livre aussi,
portent sur des thèmes comme par exemple : Les tantras et la
sexualité, la psychanalyse familiale, la paix intérieur, la paix dans le
monde, Ayurveda Science de la joie, Jésus maître spirituel, les
apôtres et les femmes, les énergies du corps et les techniques
chinoises, Tao et la sagesse, le Tao-te-king. Parmi les auteurs les
plus connus (et les plus étonnants pour nous de le retrouver dans
cette liste), il y a Daniel Goleman, célèbre psychologue américain,
connu pour ses livres grand-public sur « l’Intelligence émotionnelle ».
Après ce succès, il a publié : « Surmonter les émotions destructrices :
Un dialogue avec le Dalaï Lama », livre qui est présenté par l'éditeur
de la façon suivante : « Selon la philosophie bouddhiste, la source du
malheur est à rechercher dans les " trois poisons " : le désir, la colère
et l'illusion.[...] Pour les surmonter et atteindre le but ultime de
l'existence, le bonheur, le bouddhisme a élaboré des méthodes d'une
incroyable complexité[…] Il devrait être une source de réflexion et
d'inspiration pour tous ceux qui, de par le monde, sont en quête d'une
humanité en paix avec elle-même.

La sélection de sites analysés jusqu’à présent n’est évidemment


pas exhaustive. La quantité d’information disponible sur Internet est
toujours énorme et déroutante. La sélection dépend de la présence
d’éléments qui ont des connotations positives et qui nous permettent
de démontrer la façon dont les sujets ou concepts sont rapprochés
entre eux. Il ne s’agit pas d’une représentativité statistique, mais
plutôt d’une perception qui serait partagée par un individu quiconque
de la société occidentale qui « consomme » ce type d’information et
158

construit ses propres images à partir des nœuds qu’il emprunte du


réseau d’information. Il s’agit, en outre, d’un choix en fonction d’une
connaissance acquise par l’observation-participation (que
l’ethnologue peut utiliser) qui permet de repérer des sujets
« porteurs » qui circulent dans l’espace culturel général.
L’expérience avec l’Internet n’est pas aisée, car on se trouve
face à une réalité extrêmement complexe où une immense variété de
documents pourraient être pertinents pour comprendre cette
idéologie, mais dont on ne connaît pas la relation concrète avec le
sujet en question. Pourtant, ce qu’on peut ressentir est en soi une
donnée à prendre en considération au moins dans un sens : même si
cette expérience ne conduit aux données directement pertinentes,
elle confirme qu’il s’agit bien d’une sorte de « nébuleuse » (reprenant
le concept utilisé par F. Champion), ce qui implique qu’il y a plusieurs
points d’entrée, plusieurs directions à prendre une fois dedans, et
plusieurs aboutissements. Cette dynamique peut être bien
représentée par l’accès à l’information à travers Internet : on
commence quelque part où on trouve des « liens », qui nous
renvoient sur un autre site, aussi avec des liens, et ainsi de suite. A
un moment donné, on se trouve sur un site qu’on n’aurait pas prévu
dès le départ. Sur le chemin, il y a plusieurs routes, donc plusieurs
destinations. Il y a, pourtant, quelques points de repère qui peuvent
guider la personne, des sujets qui semblent plus intéressants, des
sujets dont on a entendu parler, un lien avec une figure renommée,
comme le Dalaï-Lama : Par exemple on peut voir ce dernier nom et
on peut se dire, « s’il a fait salle comble l’autre jour à Paris, ça doit
être intéressant ». A la fin, on se trouve sur un site inattendu. Du
point de vue du chercheur, on ne pourrait pas dire les raisons pour
lesquelles une personne se trouve sur un site sur le Dalaï Lama,
159

exclusivement à partir d’une idée fixe et claire qu’elle avait quand elle
a commencé sa recherche, et il en va de même pour ses « parcours
spirituels » au fil des années ; il faut prendre en compte cette
caractéristique de l’espace culturel contemporain qui présente au
sujet un faisceau de possibilités, d’associations que nous pouvons
représenter sous la figure d’un réseau d’information (dont Internet
n’est qu’un exemple paradigmatique). Ces associations lui permettent
de passer d’une étape à l’autre suivant une sorte d’itinéraire. Chacun
peut construire son propre itinéraire, suivre son propre chemin, ce qui
implique qu’une collectivité ne partage qu’un morceau du réseau.
Mais, nous l’avons vu, il y certains hauts-lieux, points communs par
lesquels la collectivité passe car ils ont été socialement construits et
deviennent des figures culturellement saillantes, mises en valeur
collectivement, partagés par une communauté qui a accès au même
type d’information.
Il faut donc expliquer les choix des individus dans un espace
culturel relativement ouvert, où l’information n’est pas (ou peu) limitée
par les frontières nationales et où l’individu se conçoit soi-même
comme libre de choisir, donc libéré des frontières culturelles qui était
jadis imposées par l’autorité ou la tradition.
Les croyances actuelles semblent être construites au cours des
trajectoires qui présentent des choix et des éléments symboliques
associés d’une certaine façon qui n’est pas forcément explicite ni
explicitable par l’individu. Nous voulons reproduire cette démarche
pour en dégager les principes d’association et de fluidité. Un des
principes les plus simples paraît être celui de la simple contiguïté
dans l’espace. La personne perçoit deux éléments ensemble, elle
pense qu’ils ont un rapport entre eux, mais elle en ignore la nature.
Elle assume ce rapport à cause du fait que des personnes qui
160

connaissent le sujet avant elle, les ont mis ensemble pour une
certaine raison, suivant une certaine logique par laquelle elle se
laisse entraîner, et qu’elle pourra peut-être reconstruire ou
s’approprier a posteriori. Nous ne prétendons que toute l’idéologie
concernant notre sujet soit construite uniquement à partir de ce type
d’associations, mais il serait un aspect à considérer. Un exemple en
dehors de notre sujet de ce mécanisme d’association d’images qui se
renforcent mutuellement malgré l’absence d’une rationalité qui les
relierait, semble être celui utilisé fréquemment en publicité : la mise
ensemble de belles images avec un produit qui n’a strictement rien à
voir avec cette image, mais qui valorise le produit en quelque sorte.
En tant qu’espaces d’accès à l’information, les librairies et l’Internet
ont certaines caractéristiques en commun. Dans les deux cas, si on
cherche par Tibet, on trouve des images et de l’info sur le
bouddhisme (ce qui confirme le fait que l’aspect le plus saillant du
Tibet est sa religion). D’ailleurs, même si on ne parle pas du
bouddhisme, on décrit ce lieu avec des adjectifs comme
« mystique », « magique », « spirituel », et dans les documents sur le
bouddhisme, il y a souvent des pistes qui renvoient au Tibet, si ce
n’est que l’auteur même est un tibétain.
Finalement, nous avons constaté que les pistes qui peuvent nous
conduire aux voies d’accès et aux perceptions du Tibet sont très
variées. Cette méthode doit être appliquée avec d’autres méthodes
de recherche comme l’observation ethnographique générale, qui
reste le moyen privilégié pour déterminer quels sont les concepts
prépondérants et leur signification complète pour une population
donnée. Par ailleurs, il nous semble important de commencer
l’investigation à partir des parcours des individus qui sont déjà
familiarisés avec l’idéologie autour du Tibet, et reconstruire ce
161

parcours « en arrière », retrouvant les étapes qu’ils ont vécu pour


arriver aux représentations qu’ils mettent en valeur aujourd’hui.

D’AUTRES MATERIAUX D’APPUI

Dans les paragraphes qui suivent, nous présenterons plusieurs


sources d’information, chacune indiquée par un tiret long pour les
distinguer :
௅'DQV les librairies, les publications sur le bouddhisme tibétain
sont rangées d’une façon particulière. Le rayon est typiquement
nommé « religions », « spiritualités », « bien-être », « bien-vivre »,
« développement personnel ». Ce rayon sera à côté de rayons
comme « psychologie », « santé » (souvent « médecine
alternative »), « ésotérisme »… Il nous semble important le fait qu’on
puisse associer le bouddhisme tibétain (lequel, on l’a vu, est
considéré comme le aspect le plus représentatif de la culture
tibétaine) à des sujets fortement connotés et populaires en ce
moment comme le « bien-être » ou le « développement personnel ».
Dans les rayons de livres de poche non discriminés par type, il n’est
pas rare de trouver un livre sur le bouddhisme (tibétain ou pas), et
parmi eux, un nom qui ressort est le Dalaï-Lama.

௅Les livres de Lobsang Rampa ont eu une très forte influence en


Occident. Quoiqu’on ait su qu’il s'agissait en fait d'une fiction et que
l'auteur était Anglais (Lenoir 2000, Lopez 2003) le succès de ses
livres fut immense et ils ont influencé un grand nombre
d'Occidentaux. En fait, il est l’auteur du plus grand nombre de livres
vendus en Occident « sur le Tibet » (Lopez, 2003). On peut très bien
penser que ce succès est dû en grande partie au désir du public de
recréer un « Tibet mystérieux ». Le mélange de sujets comme l’aura,
162

les extra-terrestres, les temps pre-historiques, prédictions de guerres,


l’évolution spirituelle de l’humanité, sont des thèmes qui attirent
l’attention du grand public, tous présentés dans le décor d’un pays
largement ignoré, quasi mythique, sur lequel on a pu projeter nombre
d’images.
Nous avons voulu voir quel est le type de discours utilisé
particulièrement dans « Le troisième Œil » de Rampa (1957), car il se
trouve toujours dans les librairies et les bibliothèques publiques
françaises et il est connu du grand-public aujourd’hui. D’abord, le livre
est libellé (et donc classifié), sur sa couverture comme « Aventure
Mystérieuse ». Cette collection –nous explique-t-on dans la dernière
page- publie des études sur « les grandes énigmes de l’humanité :
civilisations disparues, vie après la mort, OVNI, alchimie, astrologie,
[…] Tous ces sujets, qui sont à la frange des sciences reconnues,
sont analysés ici de façon passionnante. » (c’est nous qui mettons en
italiques). Nous remarquons déjà le type de sujets avec lesquels le
livre est associé. On nous dit aussi que l’auteur œuvre « dans le
secret à la diffusion de son message ».
Dès la première phrase du livre, Rampa assure, en effet, qu’il est
tibétain et qu’il nous décrira de l’intérieur « le pays le plus mystérieux
du monde, le Tibet ». Nous percevons donc l’air d’une histoire
secrète, la vrai, qui nous serait enfin révélée ; il y a là le même esprit
qui génère l’intérêt pour l’ésotérisme dans sa version populaire.
L’auteur se présente comme un être privilégié grâce à qui le devoir
de préserver une connaissance ancestrale et précieuse sera
accompli, tâche d’autant plus importante qu’« un nuage étranger
couvrira notre pays », faisant clairement allusion à la Chine. Ce
même thème de la préservation d’une connaissance ancestrale et
précieuse est repris dans les discours d’aujourd’hui.
163

Un autre sujet relie ce discours avec ceux d’aujourd’hui : c’est la


critique de la société « occidentale » : « …il est regrettable que le
scepticisme et le matérialisme de l’Occident n’ait pas permis une
investigation sérieuse des possibilités de la Science. » (p. 151).
L’idée de la Science (et son grand S) fait allusion à une connaissance
qui serait générale, partagé par toute l’humanité (ce qui est un
fondement, croyons-nous, du « bricolage pluriculturel » que nous
verrons plus tard et qui est au cœur de notre recherche). En
poursuivant les arguments de sa critique de l’Occident, il explique
pourquoi au Tibet ils n’utilisent pas les roues : « Les roues servent la
vitesse et la prétendue civilisation. Nous avions compris depuis
longtemps que la vie dans le monde des affaires est trop précipitée
pour laisser le temps de s’occuper des choses de l’esprit. » Cette
vision romantique de l’Orient comme contraire de ce qu’il y a de
négatif en Occident (la vie trop précipitée, négligeant ce qui compte
pour l’esprit), est toujours partagée de nos jours. Il critique aussi,
comme à présent, la religion traditionnelle. « Certains se réconfortent
en pensant qu’ils peuvent commettre péché sur péché à la condition
d’aller au temple le plus proche […] (p. 133) ». De plus il reprend un
discours qui fait partie des idées d’aujourd’hui sur un dieu
impersonnel. « Il est certain en tout cas que nous ne croyons pas en
l’existence d’un père omniscient et doué d’ubiquité qui surveillerait et
protégerait tout le monde » (p. 132), pourtant, « il existe un Dieu, un
Être Suprême. Qu’importe le nom qu’on lui donne ! » (p. 133).
Les effets des ouvrages comme celui de Rampa sont
considérables, même dans le monde académique : « Lorsque je
parle de Rampa avec des tibétologues et des bouddhologues en
Europe, nombre d’entre eux m'avouèrent que Le Troisième Œil avait
été le premier livre qu'ils avaient lu sur le Tibet ; certains avaient été
164

si fascinés par le monde décrit par Rampa que cela avait déterminé
leur avenir professionnel. Ainsi, certains disaient que même s'il était
un imposteur, Rampa avait eu ‘de bons effets’. » (Lopez 2003, p.
133) C’est ainsi que la diffusion de ces textes contribuent à créer un
intérêt pour une culture et l’identification ethnique qui vient avec. Par
le même biais, Rampa a stimulé la recherche et la diffusion des idées
scientifiques sur le Tibet, ne serait-ce qu’en attirant des masses
d’étudiants aux universités pour l’étudier.
Pareillement, nous croyons que l’idéologie de la valorisation
d’autres « cultures » et la « protection » des minorités, peut avoir
pour commencement ou facteur déclencheur, d’une façon indirecte,
l’intérêt pour des sujets comme l’astrologie et le New Age, qu’il
s’agisse d’ « impostures » ou non. Réciproquement, les descriptions
et découvertes scientifiques rendent des idées et des légitimations
aux écrivains qui se permettent une dose plus considérable de
fantaisie. Les ouvrages scientifiques et les livres ésotériques et
mystiques s’appuient les uns sur les autres tout comme sur les
étagères des librairies.

௅Pour approfondir sur certains concepts, nous avons cherché dans


des ouvrages de consultation qui peuvent être des sources
d’information pour la personne qui s’y intéresse. Par exemple, nous
avons trouvé, dans une bibliothèque publique, une « Encyclopédie
des Mystiques » qui contient des articles dans un style très
éclectique, combinaison de thèmes qui coïncide avec nos trouvailles
par d’autres moyens. « Cette Encyclopédie des Mystiques s’adresse
aux amants de la lumière, aux croyants et aux incroyants, à ceux qui
éprouvent une nostalgie de l’Unité située au-delà des religions
particulières » (Davy, 1977, p. XXVIII).
165

La mystique est un « au-delà », « elle enseigne à l’homme la


liberté », la « désaliénation ». Elle a normalement été la démarche
d’individus solitaires, suivant des « itinéraires en marge de la
conscience commune ». Par le biais de cette liberté et de cette
marginalité, on voit donc comment elle peut être associée à un côté
rebelle. « L’Esprit est révolutionnaire », « la conscience supérieure
brise les vieilles outres ». Il s’agit d’une sorte de découverte qui place
la personne dans une position privilégiée de la connaissance des
choses et des religions. C’est une « révélation » que la personne
s’approprie. Elle va de paire avec la valeur moderne de
l’individualisme : « La mystique appartient à des individus et non à
des groupements ». La connaissance de soi ou connaissance de la
« structure humaine » en sont à la base, et elles incluent la
connaissance du corps, de l’âme et de l’esprit.
L’intégration de « toutes sagesses » y est évidente. Les mystiques
de toutes les religions « se ressemblent ». Par exemple, selon
l’auteur, Maître Eckart expose des idées qui se rapprochent d’idées
censées être bouddhiques ou orientales : « abandonner le ‘je’ par
amour », « sois un désert de toi-même et de toutes choses ». « Nous
participons à la création du monde en nous décrétant nous mêmes »
selon les paroles de Simone Weil, une des figures fondatrice du
mysticisme. En outre, cette notion de « vide », qui est considérée par
certains comme caractéristique du bouddhisme, est ici rapportée à la
pauvreté chrétienne, et se retrouverait « identique » chez Lao Tseu.
On y ajoute aussi la philosophie grecque « en tant que sagesse ». La
gnose, le chamanisme y sont compris aussi : Quant à ce dernier, le
chaman, dans son extase, effectuerait une forme d’« ascension
spirituelle » comparable à celle des grands mystiques de l’Orient et
166

de l’Occident. Selon Simone Weil « les mystiques de presque toutes


les traditions religieuses se rejoignent presque jusqu'à l'identité ».
Ce discours semble une façon tout à fait actuelle d’argumenter le
pluralisme des croyances. La connaissance, la sagesse est Une,
valable pour tout le monde, tous auraient le même but de connaître
Le « mystère » -ce terme n’est pourtant pas souvent employé
aujourd’hui, mais il nous semble que le sens de ce quelque-chose à
découvrir dans le domaine de la spiritualité reste encore
fondamentale. Il est très intéressant de voir la façon dont les
possibles différends qui surgiraient à cause d’idées distinctes, sont
neutralisés par une individualisation de la façon de comprendre la
religion. Chacun a son propre « voyage mystique ». (On voit là une
relation entre la monté de l’individualisme et celle du pluralisme).
L’attitude actuelle est effectivement de prendre de chaque doctrine ce
que l’on veut, construisant ses propres idées, ne se souciant pas trop
des idées et croyances différentes, les considérant comme valides
dans une autre sorte de démarche.
Mais cette intégration est possible grâce à un principe : « le
langage des mystiques est un langage symbolique. Il faut
nécessairement recourir aux images […] Pour se décrire, la voie
unitaire réclame l’emploi des allégories » (p. XXVII) [c’est nous qui
mettons en italiques].
Jean Baruzi, dans l’introduction de ce même ouvrage, nous dit, à
propos du langage mystique, qu’il « émane moins de vocables
nouveaux, que de transmutations opérées à l’intérieur de vocables
empruntés au langage normal » (p. XXVIII) Et notamment,
ajouterions-nous, au langage « normal » des religions traditionnelles
et des valeurs contemporaines. Il faut se rendre « docile » à ces
symboles pour être conduit vers l’au de-là. Il compare, très justement
167

d’ailleurs, la façon d’opérer de ces symboles mystiques, à la façon


dont opère la poésie ; un même mot, qui peut être d’usage quotidien,
est définit d’une façon de plus en plus éloignée de son sens
traditionnel, mais pour le mystique ce sens est plus « profond », « le
fond même des choses »

௅A partir des forums que la revue « Psychologies » a organisés


sous le thème général « Quelle est votre spiritualité ? », nous avons
tiré les citations suivantes des 2408 messages qui composent ce
forum.
Le thème général « Quelle est votre spiritualité ? » se présente de
la façon suivante : « Le besoin de sens n'a jamais été aussi vivace.
Certains trouvent les réponses dans leur religion d'appartenance ;
d'autres se reconnaissent davantage dans des valeurs morales, des
lectures ou une pratique comme la méditation. […] Vie spirituelle,
avec ou sans dieu. » Dans ce thème général, il y avait plusieurs
sujets dans lesquels le gens participaient directement, dont le thème
« Bouddhisme » que nous analyserons ci-dessous.
[…Bouddhisme…]« J'aimerais tant en savoir plus... Cette
spiritualité m'attire ». On voit le sens d’une recherche personnelle,
mais en même temps partagée par d’autres. On cherche en général
des livres, des articles ou de l’information sur Internet. Quelqu’un
recommande "bouddhaline.net" où toutes les branches du
bouddhisme seraient représentées au travers de différents textes. On
cherche pourtant une connaissance qui ne soit pas limitée à la
doctrine d’un groupe réduit de personnes. On essaie d’éviter les
sectes.
« Il faut bien se renseigner lorsqu'on fait quelque-chose et savoir
où l'on va. Il y a moyen maintenant de se diriger en France vers des
168

centres bouddhistes on ne peut plus sérieux et d'être très bien


accompagné pour éviter de partir dans les dérives d'une mauvaise
pratique de la méditation. »
On recommande comme un bon « échantillonnage » du
bouddhisme, des livres écrits par des bouddhistes tibétains : « L'art
du bonheur », « Conseils spirituels pour bouddhistes et chrétiens »,
« Transformer son esprit » et « Le Dalaï- lama parle de Jésus » tous
les quatre écrits par le Dalaï-lama, « Le livre tibétain de la vie et de la
mort » de Sogyal Rinpoché, et ensuite « Plaidoyer pour le bonheur »
(de Mathieu Ricard, converti au bouddhisme tibétain).
Quelqu’un dit, pourtant, qu’à côté des religions, et des
« philosophies », « il y a l'art, la musique. Les choses qui font
vraiment vibrer l'âme et les sens ». Implicitement cela laisse entendre
que l’on cherche dans la religion quelque chose qui fait « vibrer l'âme
et les sens », ce qui coïncide avec d’autres témoignages.
Il faut trouver « la voie qui nous convient », même concernant le
bouddhisme (les différentes écoles). Un lama peut conseiller à une
personne d’aller ailleurs ou bien de méditer d’une façon plus
« adaptée » à son cas particulier. Le tout est de bien se renseigner et
de faire l'expérience par soi-même, sans que personne n’intervienne
de façon autoritaire
Les mouvements New-Age sont nettement dévalorisés car les
gens les associent avec des mouvements sectaires qui « disent
n’importe quoi ». Face à « l'hyper-marché de la méditation » on
préfère la sécurité d’une « sagesse qui est pratiquée depuis 2500 ans
» et qui a démontré ses « bienfaits incontestables » pour le corps et
l'esprit.
Bon nombre d’entre eux se méfient de tout groupe car « là c'est
souvent dévié » et préfèrent alors la recherche personnelle
169

notamment à travers la lecture et des conférences sporadiquement.


On y trouve ceux qui pensent que chacun doit avoir compris et avoir
fait l'expérience seul, car ainsi on ne se laissera influencer et
persuader par les autres. Pourtant, comparer ses propres
expériences avec celles d’autres personnes est souvent une façon
de confirmer qu’elles sont authentiques.
En parlant du Dalaï Lama quelqu’un ajoute « ... je l'admire! » « Je
n'arrive pas à concevoir comment un être humain puisse incarner
tant de sagesse, de bonté, de clairvoyance, de tolérance, d'amour. ».
Sur une autre ligne : « Le Dalaï-Lama dit que nous devons avoir la
porte d'entrée de notre propre culture ». On voit par là que le
bouddhisme est considéré comme un complément à une religiosité
qui n’a pas de frontières, qu’il s’agit au fond d’une même sagesse
sous des formes culturelles diverses mais secondaires. Par exemple
quelqu’un d’autre dit que les principales choses positives qu’il a
trouvé dans un livre sur le bouddhisme étaient : « il ne faut pas juger
quoi que ce soit... » « ne pas être orgueilleux », ce qui correspond à
des valeurs typiquement occidentales. Le parallèle qui est fait avec
d’autres sagesses tient peut-être en ce que la méditation, pratique
incontournable pour le bouddhisme, est une méthode qui « laisse les
émotions se lever et les pensées apparaître sans qu'on ait à les
refouler ni à les combattre ».
Le bouddhisme s'intéresse à « attaquer le mal à sa racine » et à en
connaître et comprendre les causes. C'est probablement en cela
qu’on le rapproche de la psychanalyse.
Quant à la psychanalyse, probablement la figure classique la plus
associée avec ce type de croyances « religieuses » c’est Carl Gustav
Jung. On le reconnaît comme quelqu’un qui travailla profondément
sur les phénomènes de la conscience, et qui était très proche de la
170

philosophie bouddhiste parce qu’elle a une approche toute


particulière et « très fouillée » du fonctionnement de l'esprit. (Ce sont
d’ailleurs les mêmes raisons que l’on évoque pour expliquer le
rapprochement du bouddhisme tibétain et les sciences cognitives,
que nous avons trouvées dans le livre de Varela, 1998)
A propos des liens avec la psychanalyse, quelqu’un ajoute que
c’est au cours de ses séances de psychanalyse qu’il a été amené à
« se documenter » sur le bouddhisme à cause de phénomènes qui
lui « intriguaient » et auxquels « ma culture ne me donnait pas de
réponse », sauf pour quelques éléments que Jung lui a apportés
concernant les archétypes et les mandalas qu’il ne connaissait pas
jusque là.
Une autre personne corrobore : elle a fait une psychanalyse, mais,
« il manquait des pièces au puzzle et je viens de comprendre que le
bouddhisme élargit l'horizon de l'être humain en se basant sur le
karma, la réincarnation qui personnellement me conviennent en tant
qu'explications logiques des évènements ».
Il paraît que l’idée de progrès n’est plus entendue comme le
sacrifice de la vie actuelle pour atteindre un but de salut dans l’avenir.
S’il y a encore des « bénéfices » qui seront récoltés dans le futur et
pour lesquels on travaille aujourd’hui, un critère est essentiel :
« Avancer sur son chemin avec un certain bien-être ». Dans ce
progrès, qui prend aussi souvent la forme de « développement
personnel » on souligne l’importance du « travail sur les émotions ».
L’expérience lors de la méditation « comme le dit Jung » « se
ressent physiquement ». « On n'arrive pas à décrire avec des mots
suffisamment précis et imagés cette sensation », « c'est cette unité
psychique, l'équilibre et l'harmonie ». Quelqu’un d’autre ajoute qu les
171

« choses spirituelles » ne doivent pas s'entendre que d'une façon


intellectuelle, elles doivent passer par l'expérience et la pratique.
Dans une comparaison interreligieuse, une personne lance
l’hypothèse que « les grands courants religieux prônent tous
l'altruisme », ensuite on confirme « Les exemples sont certainement
nombreux et les paraboles, les sourates, les sûtras et autres
enseignements sont riches de paroles tendant à élargir notre
focale ». Le bouddhisme serait le meilleur exemple en prônant la
compassion comme sujet central, selon le Dalaï Lama.
Finalement on manifeste que la spiritualité est une sorte de
« philosophie universelle et qu'on retrouve dans presque toutes les
civilisations » et qu’elle « laisse un sentiment de vision claire, de
sérénité, d'unité, de paix intérieure tel, que vous êtes certain d'avoir
"touché au but" sans pouvoir vraiment définir cette sensation » En
effet, après cette discussion il nous paraît essentiel d’approfondir sur
la signification du « spirituel » (dont on ne donne que des
descriptions très ambiguës) et de la façon dont on peut le différencier
de la psychologie, avec laquelle les gens la rapprochent mais en
même temps la différencient.

௅Le texte de F. Varela (1998) Dormir, rêver, mourir. Explorer la


Conscience avec le Dalaï-Lama a été écrit avec la participation de
plusieurs scientifiques occidentaux travaillant sur le domaine des
sciences cognitives (dont Varela) et Dalaï Lama. C’est le produit
d’une des rencontres qu’ont lieu tous les deux ans sous le titre
« Dialogue Interculturel et Conférences Mind and Life ».
Le Dalaï Lama nous montre avec clarté un des fondements
idéologiques de ce type de rencontre entre la science et le
bouddhisme, « Il est apparu avec clarté que le progrès extérieur à lui
172

seul ne saurait apporter la paix de l’esprit. On a commencé à prêter


davantage attention à la science intérieur, à la voie de la recherche
mentale et de l’évolution interne » (p. 9). Ce nouvel intérêt trouverait
un apport précieux dans les « explications d’anciens érudits de l’Inde
et du Tibet concernant l’esprit et ses manières de fonctionner » (p.
10). Selon lui, un nombre croissant de chercheurs s’intéresse au
« facteur spirituel », soulignant que le spirituel n’est pas restreint au
religieux, mais plutôt aux valeurs spirituelles comme « la
compassion », « l’affection humaine » et à la « bonté » qui viennent
« avant » la religion. Dans sa conclusion, Varela ajoute que les
concepts utilisés par le bouddhisme, et qui sont évoqués dans ce
livre, comme les degrés de « l’esprit subtil » correspondent à des
catégories assez précisément délimitées sur la base de l’expérience
réelle. Le contenu des discours bouddhiques aurait donc une
légitimité empirique, de sorte qu’elles peuvent et « doivent » être
prises au sérieux par la science. En outre, cette apport d’une autre
tradition et d’une approche différente à ces faits réels, fait penser qu’il
semblerait « nécessaire de réévaluer entièrement l’ensemble de
l’approche occidentale » (p. 279). Encore une fois, l’Orient se
présente comme une alternative aux modèles occidentaux de
connaissance. Il faudrait pourtant se garder contre les
réductionnismes, puisqu’il faudra l’effort de plusieurs générations
pour bâtir des ponts entre les deux traditions.
Dans un élan décidément enthousiaste et qui lie ce « projet » aux
causes politiques, il ajoute « nous pouvons changer le monde, du
moins dans le domaine des inégalités sociales. » (p. 15). Par ailleurs,
les rapports au soi sont très importants tout au long du livre. On nous
dit, rappelant les discours New Age, que dans certains états de la
méditation « on s’expérimente soi-même comme faisant parti d’un
173

formidable composé de relations, […] simplement un réseau de


connexions » (p. 145).
Dans ce livre il est évident le rôle qui joue le type de traduction des
termes pour représenter ce qui serait la culture tibétaine et/ou le
bouddhisme. Les traductions y présentées de quelques concepts
« bouddhistes » s’adaptent très bien (étonnamment dirions-nous) aux
sujets traités dans le livre. Par exemple, on traduit « abhidharma »
comme « recherches philosophiques détailles sur les fonctions
mentales » (p. 291) ; « karma » « se réfère aux actions et leurs
empreintes dans le continuum mental » (p. 295) ; « praña » « fait
référence à divers types d’énergie subtile qui animent et imprègnent
le système psychophysique » (p. 297). Nous pourrions citer bien
d’autres exemples où nous voyons l’emploi de termes qui sont non
seulement typiquement occidentaux, mais qui correspondent au
jargon de sciences comme la philosophie, la psychologie, la
neurologie, etc., et cela non seulement pour des termes précis, mais
aussi pour la présentation d’idées complexes qui paraissent avoir été
adaptées au type de discours utilisé par le livre.
Nous ne jugeons pas cette « adaptation », entre autres parce que
nous ne sommes pas en mesure de le faire. Nous constatons
pourtant qu’il s’agit d’une pratique qui à pour effet le fait de permettre
aux individus d’un groupe de penser à travers leur propre langage,
avec ses propres sens et ses propres valeurs, les manifestations d’un
groupe.
En fin, il faut remarquer qu’on trouve tout au long du livre de
commentaires très courts faisant allusion au sens de l’humour et à
l’attitude souriante du Dalaï Lama, ce qui peut être une façon grâce à
laquelle le lecteur peut ressentir une certaine affectivité envers ce
personnage, au-delà des arguments du texte.
174

௅Le Dictionnaire Critique de l’Esotérisme (Paris : PUF, 1998),


compilation d’articles de plusieurs auteurs, se présente dans son
« Avant-propos » comme étant « moins un dictionnaire, qu’un guide »
C’est la façon dont certains individus prennent la lecture des
« dictionnaire des symboles » et d’autres dictionnaires de ce genre.
En effet, cette notion de guide est très importante dans l’idéologie
mystique-ésotérique, où les discours sont censés guider la personne
en lui présentant un éventail de possibilités, de « sources », de
« ressources », les connexions qui mènent aux « réponses ». Plus
cet éventail est multiforme, éclectique, plus il est complet, et mieux la
personne sera « informée ».
La démarche du bricolage doctrinaire paraît mener au but de
mieux s’informer, de connaître le plus possible, de trouver des pistes
pour reconstruire la vérité, mais surtout pour ramasser autant d’outils
de bonheur. A ce propos, nous ajouterons que, de leur côté, des
personnes que nous avons rencontré ont véritablement un esprit de
recherche Pême si cela ne constitue pas un projet de vie ni un
travail de tous les jours, mais une attitude qui se manifeste à travers
un intérêt, une ouverture modérée mais quasi permanente à chaque
fois qu’ils croisent une source d’information considérée comme
légitime (hormis les personnes qui traversent une crise, et qui
peuvent être vraiment obsédées par cette recherche, et qui suivent
des voies extrêmes qui ne font pas parti de notre recherche).
Une entrée de ce dictionnaire est consacrée strictement au Tibet,
faisant de lui un sujet ésotérique à part entière. En effet, Jean-Luc
Achard présente le bouddhisme tibétain comme typiquement
ésotérique puisque qu’on y trouverait partout des secrets
communiqués à un petit nombre d’initiés ; « II n'est, pour ainsi dire,
175

pas de conceptions, de textes et de pratiques qui ne puissent être


interprétés selon un sens caché (sbas-don) ou nécessitant une
interprétation particulière pour révéler des éléments « secrets »
(gsang-ba) qui n'apparaissaient pas au premier abord. »
L’importance des exégèses « secrètes » se ferait sentir dans
quasiment tous les aspects de ce « Tibet ». Les multiples images de
la culture tibétaine, comme les démons ou le panthéon tantrique des
divinités autochtones, ou les récits, nécessiteraient un « décodeur ».
Mais ces secrets rendent le bouddhisme tibétain d’autant plus
intéressant ; cette nécessité d’interprétation est une voie ouverte à
toutes sortes de significations et (très pertinemment ici) la possibilité
qu’il y ait toujours un sens caché et intéressant même derrière ce que
l’on ne comprend pas, ou derrière certaines formes, par exemple l’art,
qui, en principe, vont à l’encontre des valeurs esthétiques propres.

௅Lors d’une émission à la radio sur « France Culture », le 11 avril


2004, on présente un livre sur la médecine chez les Navaho, et l’on
propose des exemples de plusieurs cultures, mentionnant très
souvent les Tibétains. Ils opposent les « savoirs » de ces peuples à
un Occident qui « a perdu le contact avec… », « est insensible à… »,
« n’est pas capable de… ». Les médecins tibétains sont capables, à
travers la méditation, de voir le « corps subtil », ce qui est une autre
façon de voir le corps et le monde.
Nous constatons que derrière ces associations entre cultures, il y a
la supposition qu’il existe des principes, concepts ou des entités qui
sont universels, qui se trouvent chez tous ces peuples, la seule
différence étant qu’ils les désignent d’une manière différente. Nous
notons à nouveau la croyance que toutes les différences culturelles
sont surmontables grâce à la traduction. Par exemple « le mana dans
176

les îles du pacifique, est le karma des Tibétains »! Nous avons donc
affaire à des concepts ouverts, des significations assez floues que
l’on peut désigner en choisissant des termes censés venir de
traditions fort diverses, parce qu’elles auraient toutes les mêmes
concepts. Parallèlement, il existe plusieurs voies de guérison, mais
elles guérissent les maux de toute l’humanité.
La question que nous devons nous poser maintenant porte sur les
autorités qui vont déterminer quelles seront les croyances et les
thérapies valables.
177

CONCLUSION GENERALE

Le phénomène d’engouement pour le bouddhisme tibétain en


France s’inscrit dans le contexte culturel occidental d'instabilité des
repères symboliques et d'affaiblissement des institutions
traditionnellement chargées d'attribuer du sens à l’existence, ainsi
qu’au déboulement d’anciennes hiérarchies. Nous assistons à ce que
quelques auteurs, après Lévi-Strauss, ont appelé un « bricolage » de
croyances et religions. La société occidentale est devenue
consommatrice d'idéologies du transcendantal dans un « marché »
qui transcende les frontières religieuses, nationales, ethniques.
Ainsi, parmi les principales caractéristiques du croire contemporain
nous pouvons compter : l’indépendance des institutions,
l’individualisme « bricoleur », l’hybridation de croyances et de
pratiques, la non-exclusivité des adhésions, l’importance de
l’expérimentation sur soi et des sensations vécues à travers
l’expérience religieuse, et le critère pragmatique pour le choix des
croyances et des pratiques. Quant aux motivations personnelles, une
des idées centrales est la quête de sens et de bonheur dans la vie
actuelle, sous la forme générale d’« épanouissement » personnel.
Les textes qui font allusion au bouddhisme tibétain traitent aussi
bien de biologie et neurosciences, que du bonheur, de
développement spirituel et de respect des minorités. Il s’agit d’un
discours qui tend à intégrer nombre d’idéologies, de valeurs et même
de pratiques. Cette « transversalité de valeurs » commence par
unifier les différences entre les traditions bouddhistes, comme celles
du bouddhisme tibétain, le zen vietnamien et le Theravada, à travers
le parrainage du Dalaï-Lama comme la figure la plus représentative
178

du bouddhisme auprès de l’Occident et ses organisations


transnationales comme la « International Network of Engaged
Buddhists ». Mais cette tendance unificatrice, qui passe souvent par
l’utilisation de la langue anglaise, s’étend à toutes les religions sous
la forme de « spiritualité », « sagesse », « thérapeutique », etc.
Cette nouvelle idéologie occidentale cherche à légitimer un Etat
fictif sans frontières et déterritorialisé. Il serait question d’une société
transnationale. Du point de vue individuel, ces idées s’inscrivent dans
une volonté de dépassement des frontières nationales et ethniques,
ainsi que de la mise en valeur des formes culturelles exotiques.
Cette tendance est à son tour fondée sur l’idée selon laquelle la
personne humaine est un être toujours en formation, toujours en
quête de « nourriture spirituelle », toujours à la recherche de repères,
où qu’ils se trouvent. Dès que l’identité personnelle et collective ne
dépendent pas d’une seule source de repères comme le territoire, la
communauté, la religion, etc., le soi ou la communauté peuvent
accepter l’influence des Autres, lesquels ne sont plus considérés
comme des menaces, car ils sont tout de même considérés comme
inférieurs technologiquement parlant. Ce sont là des conditions
indispensables et surprenantes qui facilitent le développement récent
d’un certain pluralisme.
Par ailleurs, le support pour la cause tibétaine représente
plusieurs enjeux, comme la société civile sans frontières, la liberté de
croyances, l’universalisme qui cherche des points en commun à
toutes les cultures, l’égalité accordée à chaque culture (surtout si
elles sont « ethniques » et « traditionnelles »). Soutenir la cause
« ethnique » est aussi une façon, pour l’individu occidental, d’afficher
des valeurs, des idéaux et, par conséquent, d’affirmer une identité et
179

d’adhérer à une communauté (souvent virtuelle) qui partage les


mêmes valeurs.
Nous avons constaté que l’identité et l’altérité ne peuvent exister
l’une sans l’autre. C’est ainsi que les représentations et la valorisation
de l’altérité ne peuvent être comprises qu’à partir des représentations
du soi moderne. On ne pourrait comprendre la valeur des sagesses
et des maîtres, l’importance de la pluralité des sources et des voies,
si ce n’est par rapport à l’épanouissement ou la réalisation
personnelle, le vide de sens, la soif de spiritualité chez l’individu
occidental ; autant de métaphores et de concepts flous, creux, à demi
compris, et par conséquent à demi ouverts, qui servent à mettre en
valeur les manifestations culturelles les plus distinctes, dans un
monde de plus en plus marqué par la cohabitation avec la diversité.
En France, la valorisation de la différence culturelle est manifestée
et formalisée dans le rapport remis par le Haut Conseil à l’Intégration
en 1991 au Premier ministre : « Il faut concevoir l’intégration comme
un processus spécifique : par ce processus, il s’agit de susciter la
participation active à la société nationale d’éléments variés et
différents, tout en acceptant la permanence, conservation de
spécificités culturelles, sociales et morales et en tenant pour vrai que
l’ensemble s’enrichit de cette variété, de cette complexité. » (Cité par
Barou 1993, p. 173). La diversité culturelle est donc considérée
officiellement comme une richesse pour l’ensemble de la société.
Malgré cette reconnaissance, nous savons que les mécanismes
d’exclusion dans le monde occidental demeurent encore très actifs,
bien qu’ils ne suivent pas forcément les critères qui s’imposaient au
passé.
Avec la création de l’UNESCO ou avec la Déclaration universelle
des droits de l’Homme, l’Occident a manifesté officiellement sa
180

volonté d’accorder une légitimité égale à toutes les cultures du globe,


alors même que l’idée d’un Homme universel y est prônée. Or, nous
sommes toujours face à la contradiction entre ces deux principes qui
combinent la reconnaissance effective de la diversité et l’affirmation
de l’unité du genre humain. Ces deux idées sont, nous semble-t-il,
présentes dans l’idéologie analysée dans ce livre. Il y a là une
défense et valorisation de la différence culturelle, mais en même
temps, la valorisation de cet Autre n’existe que sous les critères
occidentaux qui se présentent –soit dit en passant– comme
universaux. « L’option universaliste peut s’incarner dans plusieurs
figures. L’ethnocentrisme mérite d’être en tête, car il est la plus
commune d’entre elles. Dans l’acception ici donnée à ce terme, il
consiste à ériger, de manière indue, les valeurs propres à la société à
laquelle j’appartiens en valeurs universelles » (Todorov 1989, p. 19).
Dans les discours de valorisation de l’Orient il existe, en effet, une
revendication de « leur société là-bas », de la protection de leur
territoire, de leurs coutumes, de leur religiosité, etc., mais tout cela,
au fond, est valorisé en tant qu’une « richesse de l’humanité », c’est-
à-dire, une richesse pour nous, les Occidentaux.
Par ailleurs, cette idéologie se développe dans un paradoxe : une
population ultra-moderne qui valorise la tradition, et qui, depuis son
rationalisme, valorise le mysticisme. Dans cette contradiction, les
termes opposés émergent alternativement en fonction de la situation
sociale d’interlocution, ce qui rend d’autant plus importante la
nécessité de comprendre la multiplicité et la fluidité des mécanismes
d’interprétation mis en œuvre dans les différentes situations
communicationnelles et interculturelles.
L’engouement pour le bouddhisme tibétain en France s’inscrit dans
un phénomène plus général qui consiste en une idéologie présente,
181

avec quelques variations, dans plusieurs pays, et qui permet aux


populations occidentalisées de valoriser non seulement le
bouddhisme tibétain, mais aussi d’autres formes de croyances
« spirituelles » et d’autres identités ethniques. Notre objet de
recherche est devenu une idéologie pluraliste qui conçoit plusieurs
« cultures », « sociétés » ou « peuples » comme sources de
« spiritualité » ou de « sagesse universelle ». Cette idéologie, ce
« goût des autres » se répand dans la mesure où l’individualisme et
les angoisses existentielles des modernes se globalisent.

* * *
182
183

BIBLIOGRAPHIE

ALLEVI, Stefano (1999) Les convertis à l’Islam : les nouveaux


musulmans d’Europe. Paris : L’Harmattan.

AMSELLE, J.-L. (2001) Branchements. Anthropologie de


l’universalité des cultures. Paris : Flammarion.

AMOSSY, Ruth (1991) Les idées reçues. Sémiologie du stéréotype.


Ligugé, Poitiers : Nathan.

ANDERSON, Benedict (2000) Imagined Communities : reflexions on


the origin and spread of nationalism. London, New York : Verso.

APPADURAI, Arjun (2000) Modernity at Large. Cultural Dimensions


of Globalization. Minneapolis : University of Minnesota Press.

AUDINET, Jacques (2000a) « La religion, lieu d’émergence de


l’altérité ». In : LENOIR, Frédéric, TARDAN-MASQUELIER, Ysé.
Encyclopédie des Religions. Vol. II. Paris : Bayard, pp. 2077-2083.

AUDINET, Jacques (2000b) « Les types de discours religieux ». In :


LENOIR, Frédéric, TARDAN-MASQUELIER, Ysé. Encyclopédie des
Religions. Vol. II. Paris : Bayard, pp. 2268-2271.

AUSTIN, John (1976) How to Do Things with Words. New York :


Oxford University Press.

BALIBAR, Etienne (1990) Y a-t-il un « néo-racisme » ?. In :


BALIBAR, Etienne, WALLERSTEIN, Immanuel. Race, Nation,
Classe. Les Identités Ambiguës. Paris : La Découverte.

BARTH, Fredrik (1999) « Les groupes ethniques et leurs frontières ».


In : POUTIGNAT, P., STREIFF-FENART, J. Théories de l’ethnicité.
Presses Universitaires de France.
184

BAROU, Jacques (1993) « Les paradoxes de l’intégration ». In :


Ethnologie Française, XXIII, 2. CNRS Centre d’Ethnologie Française.

BASTIDE, Roger (1998) Anthropologie appliquée. Paris : Stock.

BASTIDE, Roger (2001) Le prochain et le lointain. Paris :


L'Harmattan.

BASTIDE, Roger (2004) « Acculturation ». In : Encyclopædia


Universalis [en ligne]. Téléchargé le 21 mai 2004 sur le site
http://www.universalis.fr/encyclopedie/acculturation/

BAUDRILLARD, Jean (2002) « Modernité », Encyclopædia


Universalis [en ligne]. Téléchargé le 12 mai 2004 sur le site
http://www.universalis.fr/encyclopedie/modernité/

BERGER, Peter et LUCKMANN, Thomas (1967) « Aspect


sociologiques du pluralisme » In : Archives de Sociologie des
Religions, N° 23.

BERGER, Peter & LUCKMANN, Thomas (1996) La construction


sociale de la réalité. Paris : Masson & Armand Colin.

BERRY, John W. (1999) « Acculturation et adaptation ». In : HILY,


Marie-Antoinette, LEFEBVRE, Marie-Louise. Identité Collective et
Altérité, Paris : L'Harmattan.

BERT, Claudie (2003) Les Stéréotypes. In : Sciences Humaines, N°


139, Juin.

BONARDEL, Françoise ( 1998) « Orient, orientalisme » In :


SERVIER, Jean (Dir.) Dictionnaire Critique de l'Esotérisme. Paris :
Presses Universitaires de France.

BORDIEU, Pierre (1982) Ce que parler veut dire. Poitiers : Fayard.


185

BOYER, Pascal, RAMBLE, Charles (2001) « Cognitive templates for


religious concepts: cross-cultural evidence for recall of counter-
intuitive representations » In : Cognitive Science, 25, pp. 535–564.

BRUNER, Jerome (1997) Car la culture donne forme à l'esprit. Paris :


Eshel.

BSTAN-'DZIN-RGYA-MTSHO (DALAÏ-LAMA) (1996) Le Dalaï-Lama


parle de Jésus. Paris : Brepols.

CAMILLERI, Carmel (1999) “Stratégies Identitaires : Les Voies de la


Complexification”. In HILY, Marie-Antoinette, LEFEBVRE, Marie-
Louise. Identité Collective et Altérité, Paris : L'Harmattan.

CHAMPION, Françoise (1989) « Les sociologues de la post-


modernité religieuse et la nébuleuse mystique-ésotérique ». In :
Archives de Sciences Sociales des Religions. N° 67-1, pp. 155-169.

CHAMPION Françoise, (1993a) « Religieux flottant, éclectisme et


syncrétismes » In : DELUMEAU, J (ed.) Le fait religieux dans le
monde d’aujourd’hui. Paris : Fayard. p.p. 741-772.

CHAMPION Françoise, (1993b) « La croyance en l’alliance de la


science et de la religion dans les nouveaux courants mystiques et
ésotériques » In : Archives en Sciences Socieles des Religions, N°
82, avril-juin, pp. 205-222.

CHAMPION, Françoise (1999) « De la diversité des pluralismes


religieux » In : MOST Journal on Multicultural Societies [en ligne],
vol 1, N° 2, UNESCO. Téléchargé le 14 septembre 2003 sur le site:
http://www.unesco.org./most/vl1n2cha.htm.

CHAMPION, Françoise (2000) « Thérapies et nouvelles


spiritualités ». In : Sciences Humaines. N° 106 Juin 2000. Auxerre :
Ed. Sciences Humaines, pp. 32-35

CLIFFORD, James (1996) Malaise dans la culture. Paris : Ecole


Nationale de Beaux Arts.
186

COUTURE, André. (2000) « La tradition et la rencontre de l’Autre ».


In : LENOIR, Frédéric, TARDAN-MASQUELIER, Ysé. Encyclopédie
des Religions. Vol. II. Paris : Bayard. (pp. 1373-1400).

DAVID-NEEL, Alexandra (1985) Mystiques et magiciens du Tibet.


Paris : Plon.

DAVIE, Grace (1990) « Believing without belonging : Is this the future


of religion in Great Britain » In : Social Compass, vol. 37, N° 4.

DAVY, Marie-Madeleine (Dir.) (1977) « Préface » In : DAVY, Marie-


Madeleine (Dir.) Encyclopédie des mystiques. Paris : Seghers et
Jupiter.

DAYAN, Armand (2003) La Publicité. Paris : Presses Universitaires


de France.

DE VILLANOVA, Roselyne (2001b) « Les créations


interculturelles. De l’emprunt au métissage » In : DE VILLANOVA,
Roselyne, HILY, Marie-Antoinette, VARRO, Gabrielle, (éds.)
Construire l'interculturel?: de la notion aux pratiques. Paris ;
Budapest; Torino : L'Harmattan.

De VILLANOVA, Roselyne, HILY, Marie-Antoinette, VARRO,


Gabrielle, (éds.) (2001) « Présentation ». In : Construire
l'interculturel?: de la notion aux pratiques. Paris ; Budapest ; Torino :
L'Harmattan.

DEMORGON, Jacques (2002) L'histoire interculturelle des sociétés.


Paris : Anthropos, collection : Exploration interculturelle et science
sociale.

DOUGLASS, William, LYMAN, Stanford (1976) « L’ethnie : structure,


processus et saillance ». In : Cahiers Internationaux de Sociologie,
Vol LXI, pp. 197-220. Presses Universitaires de France.
187

DROIT, R.-P. (1999a) « Chercher des sagesses ». In : DROIT, R.-P.


et SPERBER, D. Des idées qui viennent. Paris : Odile Jacob.

DROIT, R.-P. (1999b) « Vers une démocratie sans dehors ». In :


DROIT, R.-P. et SPERBER, D. Des idées qui viennent. Paris : Odile
Jacob.

DURKHEIM, Emile (1968) Les Formes élémentaires de la vie


religieuse. Paris : Presses Universitaires de France.

ETIENNE, Bruno, LIOGIER, Raphaël (1997) Etre bouddhiste en


France aujourd’hui. (n. s.) : Hachette.

EVANS-WENTZ, Walter (1987) Le Livre des morts tibétain ou les


Expériences d'après la mort dans le plan du Bardo. Bardo Thödol.
Paris : J. Maisonneuve.

FAIVRE, Antoine (1998) « Occident Moderne » In : SERVIER, Jean


(Dir.) Dictionnaire Critique de l'Esotérisme. Paris : Presses
Universitaires de France.

FAUCONNIER, G. (2001) « Conceptual Blending ». In : SMELSER,


Neil J. and BALTES Paul B., Editor(s)-in-Chief. International
Encyclopedia of the Social & Behavioral Sciences, Elsevier Science
Ltd, Oxford, pp. 2495-2498

FRAKE, Charles (1969) The Ethnographic Study of Cognitive


Systems. In : TYLER, Stephen. Cognitive Anthropology. New York :
Holt, Rinehart and Winston.

FRIEDEMAN, Jonathan. (2003) « Globalizing Languages : Ideologies


and Realities of the Contemporary Global System » In : American
Anthropologist. Volume 105, N° 4, pp. 744-752.

GEFFRE, Claude (2000) « Le Dialogue entre les Religions ». In :


LENOIR, Frédéric, TARDAN-MASQUELIER, Ysé. Encyclopédie des
Religions. Bayard, pp. 2421-2427.
188

GEERTZ, Clifford (1973) The Interpretation of Cultures. London :


Fontana Press.

GOODY, Jack (1999) L'Orient en Occident. Paris : Editions du Seuil.

GORGIEVSKI, Natalie (2000) « Le Langage des paraboles ». In :


LENOIR, Frédéric, TARDAN-MASQUELIER, Ysé. Encyclopédie des
Religions. Vol. II. Paris : Bayard, pp. 2247-2251.

HANNEGRAAF, Wouter (1998) « Nouvelle Age » In : SERVIER,


Jean (Dir.) Dictionnaire Critique de l'Esotérisme. Paris : Presses
Universitaires de France.

HERVIEU-LEGER, Danièle (1993) La religion pour mémoire. Paris :


Editions du Cerf.

HERVIEU-LEGER, Danièle (1999) La religion en mouvement : le


pèlerin et le converti. Paris : Flammarion.

HERVIEU-LEGER, Danièle (2000) « Croire en modernité : aspects


du fait religieux contemporain en Europe » In : LENOIR, Frédéric,
TARDAN-MASQUELIER, Ysé. Encyclopédie des Religions. Vol. II.
Paris : Bayard, pp. 2089-2107.

HILY, Marie-Antoinette (2001) « Rencontres interculturelles.


Echanges et sociabilités » In : DE VILLANOVA, Roselyne, HILY,
Marie-Antoinette, VARRO, Gabrielle, (éds.) Construire l'interculturel?:
de la notion aux pratiques. Paris : L'Harmattan.

HOURMANT, Louis (2000) L’attrait du bouddhisme en Occident. In :


Sciences Humaines. N° 106 Juin, pp. 28-31.

HUGHES, Everett (1996) « L’étude des relations interethniques » In :


CHAPOULIE, Jean-Michel. Le Regard Sociologique. Essais Choisis.
Paris : Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.
Pp, 72-202.
189

INGLEHART, R. (1997) Modernization and Postmodernization:


Cultural, Economic and Political Change in 43 Societies, Princeton :
Princeton University Press.

KEMPEL, Gilles « Mobilisations religieuses et désarrois politiques à


l’aube de l’an 2000 » In : LENOIR, Frédéric, TARDAN-
MASQUELIER, Ysé. Encyclopédie des Religions. Vol. II. Paris :
Bayard, pp. 2441-2450.

KUBLER, Thierry (2004) « New Age » In : Encyclopædia Universalis


[en ligne]. Téléchargé le 21 mai 2004 sur le site
http://www.universalis.fr/encyclopedie/new-age/

JONGEN, René (1985) « Polisemy, Tropes and Cognition, or the


Non-Magrittian Art of Closing Curtains whilst Opening them ». In
PAPROTTÉ Wolf, DIRVEN René. The Ubiquity of Metaphor.
Amsterdam : John Benjamin Publishing Company.

KLEIN, Olivier, LICATA, Laurent (2003) “When group representations


serve social change: The speeches of Patrice Lumumba during the
Congolese decolonisation” In : British Journal of Social Psychology.
Volume 42, Part 4, Décembre, p.p. 571-593.

LAKOFF, George (1987) Women, Fire and Dangerous Things: What


Categories Reveal about Mind. Chicago : University of Chicago
Press.

LAKOFF, George, JOHNSON, Mark (1980) Metaphors we live by.


Chicago : University of Chicago Press.

LAPLANTINE, Francois (1999) Je, Nous et les autres. Paris : Le


Pommier-Fayard.

LAPLANTINE, F., NOUSS, A. (2001) Le metissage. Paris :


Flammarion, Col. Dominos, n° 145.

LE QUÉAU, Pierre (1998) La tentation bouddhiste. Paris : Desclée de


Brouwer.
190

LEIMDORFER, François (2001) « L’interculturel dans le discours, ou


le passage de la frontière » In : DE VILLANOVA, Roselyne, HILY,
Marie-Antoinette, VARRO, Gabrielle, (éds.) Construire l'interculturel?:
de la notion aux pratiques. Paris : L'Harmattan.

LENOIR, Frédéric (1999) Le Bouddhisme en France. Paris : Fayard.

LENOIR, Frédéric (2000) Les Spiritualités Orientales en Occident. In


LENOIR, Frédéric, TARDAN-MASQUELIER, Ysé. Encyclopédie des
Religions. Vol. II. Paris : Bayard.

LENOIR, Frédéric [Entretien avec COROLLER, Catherine] (2003)


«Une fascination très française pour le Tibet. Interview avec Frédéric
Lenoir ». In : Le Point. 13 octobre 2003.

LEWIS, Gilbert (1994) Magic, Religion and the Rationality of Belief.


In : INGOLD, Tim. Companion Encyclopedia of Anthropology.
London and New York : Routledge.

LI, Shenwen (2001) Stratégies missionnaires des jésuites français en


Nouvelle-France et en Chine au XVIIe siècle. Sainte-Foy : Les
Presses de l'université de Laval ; Paris : L'Harmattan.

LIOGIER, Raphaël (2003a) « La religion déniée ». In : Diasporas, N°


3, pp. 135-147.

LIOGIER, Raphaël (2003b) Bouddhisme mondialisé. Paris : Ellipses.

LIPIANSKY, M., TABOADA-LEONETTI, I., VASQUEZ, A.


« Introduction à la problématique de l’identité » In : CAMILLERI, C. et
al., Stratégies identitaires (3e éd.), Paris : Presses Universitaires de
France, pp. 7-26.

LIPIANSKY, Edmond Marc (2001) « Relations Interculturelles et


psychologie sociale : Apports et limites » In : DE VILLANOVA,
Roselyne, HILY, Marie-Antoinette, VARRO, Gabrielle, (éds.)
191

Construire l'interculturel?: de la notion aux pratiques. Paris :


L'Harmattan.

LIPOVETSKY, Gilles (1989) La Era del Vacio. Barcelona :


Anagrama.

LOPEZ, Donald (2003) Fascination Tibétaine. Paris : Autrement.

LÜSEBRINK, Hans-Jürgen (1999) « La construction de l’Autre.


Approches culturelles et socio-historiques ». In : HILY, Marie-
Antoinette, LEFEBVRE, Marie-Louise. Identité Collective et Altérité,
Paris : L'Harmattan.

MAGNIN, Paul [Propos recueillis par Eric Vinson] (2004) « Y aurait-il


une exception bouddhiste » In : Le Monde des Religions. Mars-Avril
2004, pp. 45.

MALEWSKA-PEYRE, H. (1999) « Les processus de dévalorisation


de l’identité et les stratégies identitaires » In : CAMILLERI, C. et al.,
Stratégies identitaires (3e éd.), Paris : Presses Universitaires de
France, p.p 111-142.

MAXWELL, D. (2001) « Religion : Culture Contact ». In : SMELSER,


Neil J. and BALTES Paul B., Editor(s)-in-Chief. International
Encyclopedia of the Social & Behavioral Sciences, Elsevier Science
Ltd, Oxford, p.p 13054-13060.

MAYER, Jean-François (1998) « Nouveaux Mouvement Religieux »


In : SERVIER, Jean (Dir.) Dictionnaire Critique de l'Esotérisme.
Paris : Presses Universitaires de France.

MICHEL, Patrick (2000) « Des recompositions contomporaines du


croire » In : LENOIR, Frédéric, TARDAN-MASQUELIER, Ysé.
Encyclopédie des Religions. Vol. II. Paris : Bayard, pp. 2163-2169.

MOTTA, Roberto (1999) « La Gestion sociologique du religieux: la


formation de la théologie afro-brésilienne » In : MOST Journal on
192

Multicultural Societies, vol. 1, no.1. Téléchargé le 14 septembre 2003


sur le site : http://www.unesco.org./most/vl1n2cha.htm.

NEEDHAM, Rodney (1972) Belief, Language and Experience.


Oxford : Blackwell.

NEWARK, John (1985) “The Translation of Metaphor”. In :


PAPROTTÉ Wolf, DIRVEN René. The Ubiquity of Metaphor.
Amsterdam : John Benjamin Publishing Company.

OBADIA, L (1999) Bouddhisme et Occident. La diffusion du boud-


dhisme tibétain en France. Paris : L'Harmattan.

ORIOL, Michel (2001) « Identités ouvertes, identités fermées » In :


DE VILLANOVA, Roselyne, HILY, Marie-Antoinette, VARRO,
Gabrielle, (éds.) Construire l'interculturel?: de la notion aux pratiques.
Paris : L'Harmattan.

PACE, Enzo (2000) « Renouveau-rivivalismes » In : LENOIR,


Frédéric, TARDAN-MASQUELIER, Ysé. Encyclopédie des Religions.
Vol. II. Paris : Bayard, pp. 2429-2440.

RAMPA, Lobsang (1957) Le Troisième Œil. Paris : Editions J’ai lu.

RICOEUR, Paul (1990) Hermeneutics and the Human Sciences.


Cambridge : Cambridge University Press.

RICOEUR, Paul (2004) « Mythe » In : Encyclopædia Universalis [en


ligne]. Téléchargé le 12 mai 2004 sur le site
http://www.universalis.fr/encyclopedie/mythe/

RUANO-BORBALAN, Jean-Claude (2001) « Croyances et religions :


du déclin à l’affirmation ». In : Sciences Humaines. N° 118, Juillet, pp
8-9.

SABBATUCCI, Dario (2004) « Syncrétisme » In : Encyclopædia


Universalis [en ligne]. Téléchargé le 4 mars 2004 sur le site
http://www.universalis.fr/encyclopedie/syncretisme/.
193

SCHLEGEL, Jean-Louis (2000) « La nouvelle religiosité


Occidentale » In : LENOIR, Frédéric, TARDAN-MASQUELIER, Ysé.
Encyclopédie des Religions. Vol. II. Paris : Bayard, pp. 2393-2400.

SCHNAPPER, Dominique (1993) « Le religieux, l’ethnique et


l’ethnico-religieux ». In : Archives de Sciences Sociales des
Religions, N° 81, janvier-mars, pp. 149-163.

SCHÜTZ, Alfred (1994) Le chercheur et le quotidien:


phénoménologie des sciences sociales. Paris : Méridiens Klincksieck.

SEGUY, Jean (1986) « Religion, modernité, Sécularisation ». In :


Archives de Sciences Sociales des Religions. N° 61-2, avril-juin, pp.
175-185. CNRS.

SEGUY, Jean (1989) « Modernité religieuse, religion métaphorique et


rationalité ». In : Archives de Sciences Sociales des Religions. N° 67-
2, pp. 191-210.

SERVIER, Jean (1998) « Avant-propos » In : SERVIER, Jean (Dir.),


Dictionnaire Critique de l’Esotérisme. Paris : P.U.F.

SOGYAL Rinpoché (1993) Le livre de la vie et de la mort. Paris :


Table Ronde.

SOUTY, Jérôme (2001) « L’Orientalisme, entre science et avatars


historiques ». In : Sciences Humaines. N° 118, pp. 32-37.

SPERBER, Dan (1996) La contagion des idées. Paris : Odile Jacob.

SPERBER, Dan, WILSON, Deirdre (1989) La Pertinence. Paris : Les


Editions de Minuit.

TARDAN-MASQUELIER, Ysé (2000) « Le langage symbolique » In :


LENOIR, Frédéric, TARDAN-MASQUELIER, Ysé. Encyclopédie des
Religions. Vol. II. Paris : Bayard, pp. 2175-2191.
194

TAYLOR, Charles (1998) « Qu’est-ce que le soi ? » In : VARELA,


Francisco (Dir.) Dormir, rêver, mourir. Explorer la Conscience avec le
Dalaï-Lama. Paris : NiL.

TODOROV, Tzvetzan (1989) Nous et les autres. La réflexion


française sur la diversité humaine. Paris : Editions du Seuil.

VARELA, Francisco (Dir.), (1998) Dormir, rêver, mourir. Explorer la


Conscience avec le Dalaï-Lama. Paris : NiL.

VERKUYTEN, Maykel (2003) « Discourses about ethnic group


(de)essentialism: Oppressive and progressive aspects ». In : British
Journal of Social Psychology. Volume 42, Part 3, pp. 371-391.

VERMES, Geneviève (2001) « Culture et cognition : Ecriture et


autonomie de la représentation » In : DE VILLANOVA, Roselyne,
HILY, Marie-Antoinette, VARRO, Gabrielle, (éds.) Construire
l'interculturel?: de la notion aux pratiques. Paris : L'Harmattan.

VISONNEAU, Geneviève (2002) L'Identité Culturelle. Paris : Armand


Colin.

WEBER, Max (1967) L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme.


Paris : Plon.

WEBER, Max (1996) Sociologie des religions. Paris : Gallimard.

WEINBERG, Achille (2001) « Questions sur la pensée orientale ».


Sciences Humaines. N° 118, pp. 22-29.
Oui, je veux morebooks!

Buy your books fast and straightforward online - at one of world’s


fastest growing online book stores! Environmentally sound due to
Print-on-Demand technologies.

Buy your books online at


www.get-morebooks.com
Achetez vos livres en ligne, vite et bien, sur l'une des librairies en
ligne les plus performantes au monde!
En protégeant nos ressources et notre environnement grâce à
l'impression à la demande.

La librairie en ligne pour acheter plus vite


www.morebooks.fr
VDM Verlagsservicegesellschaft mbH
Heinrich-Böcking-Str. 6-8 Telefon: +49 681 3720 174 info@vdm-vsg.de
D - 66121 Saarbrücken Telefax: +49 681 3720 1749 www.vdm-vsg.de

You might also like