» HEUREUX
COMME CARMIGNAC
A PORQUEROLLES
Le discret milliardaire collectionneur Edouard Carmignac et son fils Charles
ont invité “ Le Figaro Magazine”sur leur ile aux trésors. A la veille
de ouverture de leur fondation dart contemporain, ils racontent Vesprit
de ce projet audacieux, musical et intégral. Une captivante aventure fumiliale.
Reportage de Guyonne de Montjou (texte) et Stephan Gladiew (photos)EVOLUER PIEDS NUS PARMI LES (QUVRES
portrait de Lénine fait moins peur ici que
dans le bureau de ton pére !», amuse une
Jeune recrue de la fondation. Derriére ses
cheveux bouclés, Charles Carmignac
esquisse un sourire, avant de focaliser son
attention sur la déicate operation d’accro-
chage en cours. Le visage terrifiant du
dictateur peint par Warhol en 1986 vient de trouver sa
place sur un mur immaculé. L’artisan de la révolution
bolcheviqueau front dégarnict peinturluré de bleu, a été
placé. proximité de son camarade Mao, face orange sur
fond vert bouteille, Entrées dans la collection d'art
contemporain d'un magnat de la finance, les deux
figuresmarxistes du XXesiécle ne sourcillent pas. On les
comprend, leur nouveau palais est accueillant.
Autrefois propriété de l'architecte Henri Vidal, ce mas
proveneal édifié sur Vile paradisiaque de Porquerolles
Jouit d’une vue extraordinaire sur les vignes, la Méditer-
ranée et la presqu’ile de Giens. En dépit de cing ans de
travaux de modernisation, ou peut-étre grice & eux, la
batisse a gardé sa force sauvage. Le bruissement du vent
dans les arbres du pare se confond avec celui de la mer
toute proche et les tuiles bleutées de sa toiture reflétent
le soleil comme des écailles de poisson. « On niimagine
pas le parcours du combattant administratif, la multipli-
cation des autorisations qu'il nous a fallu obtenir pour
arriver é ce résultat, souffle Charles Carmignac qui
coordonne le projet depuis un an et demi. Plusieurs fois,
ona cru que la fondation ne verrait pas le jour. » Pour
contourner les restrictions liges au classement de!'ile en
1988, une cavité profonde de8 métresaétécreusée.L'espace
exposition de 2.000 m2 se déploieen croix autour d'un
carré central dont le plafonden épais plexiglas sur lequel
eau glisse, diffuse une lumiére crue. « Grace d ce puits
de lumigre et le mouvement constant de l'eau sur la vite,
le vent et la pluie semblent penétrer dans le batiment, admire
Charles en plissant les yeux, comme ébloui. Tout a été
congu pour qu'on nait jamais Vimpression d’étre sous la
surface de la terre. »
UNE COLLECTION FAITE DE COUPS DE CUR
Leuvre qui accueille le visiteur, One Hundred Fish
Fountain, est monumentale. Signée Bruce Nauman, elle
représente un aquarium sans parois dans lequel sont
suspendus, a différentes hauteurs, des poissons sculptés
dans le bronze en taille réell, traversés de jets d'eau. Le
mouvement se perpétue dans une cascade aquatique
fracassante. Presentée une seule fois dans une galerie
doutre-Atlantique en 2012, cette composition stupé-
fiantea tout juste eu le temps de faire 'objet d'un article
dans le New York Times avant qu’Edouard Carmignac,
de passage, ne l'acquitre, « Je fonctionne d l'intuition, au
coup de cur, fait mine de s'excuser le collectionneur qui
totalise & ce jour 300 acquisitions d’euvres majeures.
Cotte installation n'est pas destinge di bouger : nous avons
cconcu la salle et le bassin spécialement pour Vaccueillr.
201 Le Figaro Magaane (25 mai 2018Le Vick!» eur
‘émall de Roy
LiechtensteinElle fait partie de la collection permanente de la fonda-
tion». A 70.ans, fort ’une réussite professionnelle incon-
testable dans la finance, Edouard Carmignae semble ne
plus douter de grand-chose. A moins que cette assurance
soit inscrite au plus profond deson caractére,scellée dans,
les douze premiéres années de sa vie, coulées 4 Lima, au
Pérou. « J'ai toujours trouvé, en France, qutil y avait un
conformisme puissant, une pensée unique éerasante, des
réglementations de plus en plus fortes dans tous les domaines
qui font reculer notre lberté, regrette-il. Tout cela se renforce
Pour ma part, en art comme en Bourse, je waime pas étre
consensuel. »
PECHEUR PASSIONNE
Pour cet amateur de péche au harpon, commencer la pré-
sentation de sa collection par les poissons de Nauman,
n’est pas un choix anodin. Et son fils Charles, agé
aujourd'hui de 40 ans, n’a pas de mal & avouer que ses,
meilleurs souvenirs d’enfance sont lgs aux parties de péche
en Méditerranée, durant les vacances d'été, avec ce pére
qui n'avait pas encore fait sa fortune. « Im emmenait sur
un petit bateau pour pécker le poisson de notre déjeuner, se
souvient-il avec une pointe de fierté dans la voix. Apres
plusieurs minutes en apnée, il remontait a bord les mérous,
les daurades ou les rougets. » De ces vacances & Tos, dans
les Cyclades, Phabitude de vivre pieds nus est resiée. A
Paris comme a Porquerolles, chez les Carmignac, on est
prié de se déchausser. Pour la fondation, dont le sol est
recouvert de dalles en grés aux aspérités sensuelles, c'est
‘un must. « Les gens devront prendre le bateau pour gagner
Tle indique Edouard, ls marcheront un pewet enleveront
leurs pompes (sic) en entrant. Is seront ainsi pieds nus, en
contact avec le sol. Nous lesimvitons dune démarche int
4 faire une pause, @ reprendre contact avec eux-mé)
bref, asortir du monde virtue. » Pas de queue & entrée ni
decohuedans essalles Les billets seront vendus via internet.
Seules 50 personnes par demi-heure pourront franchirle
seuil. Une décoction composée de plantes du jardin sera
servie & entrée. « Ils pourront rester une heure ou tout
Taprés-midi, leur guise. A Tintérieur ou dans le pare. Is
pourront méme terminer leur visite par une dégustation de
notre vin, dont les chais se trowvent juste d cdté », promet
Charles. « Le soir quand le flux humain sera parti je déam-
bulerai dans le pare tranquille », murmure Edouard sans
préciser s'il chaussera ses espadrilles argentines de
Joueur de polo sous les oliviers centenaires. Devant lui se